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Sans contrôle

Il est 17h30. Tu rentres du boulot. Tu tiens ta valise de la main droite et tes clés de la main gauche.
Je m’approche de toi, te dis le plus beau des bonjours et t’aide à enlever ton grand manteau noir. Je
l’accroche soigneusement à un cintre et le place dans la garde-robe de l’entrée. Tu m’embrasses sur
la joue droite avant de te diriger vers la salle de bain. Tes souliers sont demeurés au beau milieu du
tapis bourgogne. Tu les as laissés là, renversés sur le côté. Je les replace pour toi, biens droits, la
pointe face au mur pour que tu n’ais qu’à glisser tes pieds la prochaine fois. Je te serre une bière
avant même que tu entres dans la cuisine, car je sais que tu en bois toujours une en revenant du
bureau.

Nous sommes tous les deux, l’un en face de l’autre. Il n’y a que la radio qui brise légèrement le
silence. Tu ne me demandes pas comment je vais, tu ne t’informes pas de mon état. Tu ne me
demandes pas si je me sens mieux ou si j’ai reçu les résultats de mes examens. Je ne sais pas si tu
veux éviter le sujet. Peut-être as-tu déjà oublié que mon corps ne me suit plus depuis quelques
jours…

Je ne sais pas comment t’annoncer la nouvelle. Je ne sais pas comment t’avouer que mon corps
n’est plus qu’un champ de bataille. J’ai peur de te faire de la peine. En fait, je crois que j’ai plutôt
peur de ne pas t’en faire. J’ai peur que tu me repousses. Une tête chauve, un teint pâle, des cernes
profonds, voilà ce qui m’attend. Voilà ce qui t’attend.

Je te cuisine tout de même un bon repas, les pâtes que tu préfères. Je sors les petits pains du four et
t’en sert un, coupé en deux avec du beurre plein la mie. Moi, je me force pour manger, l’angoisse
me remplit l’estomac. Chaque fois que je prends une gorgée d’eau, j’espère avoir la force de
t’annoncer mon cancer. Je veux aussi te faire part de mon importante décision : celle d’avoir refusé
tout traitement de chimiothérapie. Cependant, chaque fois que je dépose mon verre sur la table,
aucune parole ne s’échappe.

Le repas se termine. Je t’envoie au salon. Je te dis d’aller relaxer devant la télé.

La vaisselle dans l’évier, j’ouvre le robinet, une serviette devant la bouche et une larme sur chaque
joue.

Guillaume Simard 
 

Guillaume Simard 

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