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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Le combat de Joël Devillet

violé par un prêtre

© Joël Devillet avril 2011


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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Réédition augmentée de « Violé par un prêtre »,


Devillet Joël, parution: février 2009.

© Toute reproduction ou diffusion par quelque procédé que ce soit,


et notamment par photocopie est autorisée.
Merci quand même d'y référencer la source.
L'auteur de cet ouvrage accepte toutes remarques.

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Table des matières :

Préface

Avertissement

Que du bonheur ! (1981-1987)

Bonheur et rêve brisés – L’innocence profanée (1987 – 1994)

Le Séminaire (1994-1997)

L’attente et la prise de conscience (1997-2001)

Les procès : pénal et civil contre le prêtre (2001- 200…..)

L’indifférence

a) L'Église

b) La Justice

c) Le Politique

d) La Société

Mon combat !

Le procès civil contre l’évêque (2006-200….)

Et après ?

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

a) La vie professionnelle

b) Mes rencontres

- Les prêtres

- Les pharisiens

La Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuels


dans le cadre des relations pastorales

La Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de


violence et aux sauveteurs occasionnels (S.P.F.J.)

Mes chiens

Des paroles aux actes

Remerciements

Annexes

Résumé

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

A Del et à Dora,

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Préface :

Ce livre révèle le combat difficile d’une victime d’un prêtre pédophile.

La victime n’a pas pour but de s’apitoyer sur son sort, ni de


pleurnicher mais seulement de montrer au monde la réalité d’un
combat pour réclamer Justice et aussi éviter d’autres victimes.

Ce récit montre de façon concrète comment il est difficile de


s’attaquer à l'Église en Belgique et de côtoyer la Justice.

« Les procès pour pédophilie font légion. Ceux impliquant des prêtres
sont plus médiatisés certes, mais à juste titre : ils ne sont pas commis,
comme dans la majorité des cas, par des pauvres gens incultes et dans
la misère. Mais par des hommes intelligents, éduqués et précisément
supposés dignes de foi. Ils n’ont pas besoin de réseaux pour alimenter
leurs phantasmes, ils vivent sur un véritable vivier de proies
potentielles, dans les écoles et les lieux de culte. Quand ils sont
découverts, ils nient et sont mutés ailleurs. En cela l'Église catholique
se comporte comme le plus grand réseau pédophile de la planète.
Les pédophiles sont des pervers psychopathes qui sévissent partout où
il y a des enfants, mais plus facilement dans l'Église parce qu’elle les
nie et les protège par la passivité de sa hiérarchie. Elle pardonne et
les mute au nom du dogme, sans prendre en compte la réalité de l’être
humain. »1

1 Guy Masavi , Chrestos, in libro veritas, 2007.

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Il a le cœur pur, il est toute innocence...


Malheur à celui qui blesse un enfant !

Enrico Macias

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Avertissement
Pour vous qui me lisez,

Ceci n’est pas un roman. Ceci n’est pas une fiction. Ceci est ma vie…
Une vie détruite à jamais. Ce que vous allez lire est mon histoire, celle
d’un enfant qui cherchait l’affection, ne l’ayant jamais beaucoup
trouvée auprès des siens.

C’est l’histoire vraie de la descente aux enfers par la perversité


inhumaine d’un prêtre violeur, puis le trajet d’un combat pour
qu’éclate la vérité, seul contre tous. Contre la justice engoncée dans
ses lois passéistes face à la perfidie et la duplicité de l'Église,
protégeant ses brebis galeuses au-delà de toute raison.

Ils ont volé et violé mon corps; détruit ma foi, anéanti les espoirs de
vie de l’enfant que j’étais au moment des faits, puis de toute
reconstruction de l’adulte que je suis devenu.

Je me suis battu avec âpreté, avec une ténacité qui ne peut se mesurer
qu’à l’atrocité de ce qu’ils m’ont fait subir durant toutes ses années.

Je voulais être prêtre, je croyais en Dieu et dans ses représentants sur


Terre. Aujourd’hui, je ne crois plus ni en Dieu, ni dans les hommes.
Tous ces morceaux de moi qu’ils ont éparpillés par perversité, par
hypocrisie ou par simple cruauté, je les ai rassemblés ici, dans un
témoignage sans compassion certes, mais sans l’exagération de cette
rancœur si vive, qui anime chacune des étapes de ma lutte.

Je suis la victime et non l’auteur.


J’étais un enfant en recherche d’amour et porté vers la foi.

Ceci est le récit d’une destruction affreuse, longue et sans


reconnaissance ni du préjudice, ni des douleurs subies.

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

C’est aussi l’histoire d’une juste cause, des étapes de l’acharnement


nécessaire à l’émergence de la vérité judiciaire et de la vérité humaine,
dans tous ses aspects.

C’est peut-être aussi le testament d’un homme brisé, dépouillé de tous


ses rêves d’enfant, dont l’unique but est d’éviter que cela n’arrive à
d’autres.

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« L'enfance trouve son paradis dans l'instant.


Elle ne demande pas du bonheur.
Elle est le bonheur. »
Louis Pauwels

Que du bonheur !

1981 à 1987

Aubange2, c’est le nom du village où je vivais enfant 3. Ce village fait


partie de la Lorraine belge, pas de la Gaume : la Lorraine ! Et j’en
étais fier. Je me croyais un instant Français, un autre instant
Luxembourgeois. Il suffisait d’aller au bout d’une rue pour être soit en
France, soit au Grand-duché de Luxembourg. C’était l’Europe avant
l’heure.4

Que de beaux souvenirs viennent à ma mémoire ! Je me revois


parcourant le village avec ma bicyclette, n’hésitant pas à passer les
frontières pour saluer les douaniers. C’était pour moi un sentiment
d’évasion, de voyage. Me promener dans le bois du village était pour
moi un bonheur. Sentir cet air pur de la forêt, écouter le chant des
oiseaux ou encore les déplacements des lapins, quel plaisir !

Ma famille était une des plus pauvres du village. Ma maman restait à


la maison, mon papa était grutier dans une casse automobile au bout
de ma rue. Je ne sais pourquoi, mais avant l’âge de mes huit ans, je ne
me souviens de rien, sauf du fait que j’avais un frère un an plus âgé
que moi et une sœur d’un an de moins.

2 En 1987, le village avait 1268 foyers et 3420 habitants.


3 Je suis né en 1973
4 A 15 km d’Aubange se trouve la ville d’Arlon, à 20 km la ville de Luxembourg et dans une autre direction à 15

km la ville de Longwy en France.


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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Joël à l’âge de 9 ans.

L’événement déclencheur de mes souvenirs, et sans doute du destin de


ma vie, fut l’accident de voiture de mon papa.
En 1981, le Pays d’Arlon n’avait pas la bonne manie des ronds-points.
Les routes étaient sans fin et dangereuses. Un soir d’hiver, la
gendarmerie vint frapper à la porte de la maison. Nous n’avions pas de
sonnette. Enfant, j’étais impressionné de voir des uniformes dans notre
cuisine. Les gendarmes nous annoncèrent :
– Monsieur est à l’hôpital ! Un grave accident de voiture. Nous
sommes désolés.
Je ne comprenais pas trop ce que les deux gendarmes disaient. Mon
cœur se serra.
Ils nous apprirent qu’il avait perdu un œil. Ma petite sœur s’exclama
alors:
– Qui va manger le morceau de pizza de papa ?

Cette innocente question me gêna. Je voulais pleurer car je ne savais


dans quel état mon papa se trouvait. Je l’aimais bien. Il était sévère et
me faisait peur quelques fois. J’aimais un peu moins ma maman. Elle
défendait toujours mon grand frère. Mais surtout, je lui en voulais de
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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

faire toujours dormir notre petit chien au dehors de la maison. Je


l’imaginais dans le froid de l’automne, grelottant, aspirant à la chaleur
la maison et de ses maîtres. Ceci me laissa une impression étrange et
je ne regrettai jamais assez de ne pas l’avoir aimé et de m’être occupé
plus de mon ami à quatre pattes.

Mon village et ma région fournirent bon nombre de vocations


religieuses. L’évêque du diocèse, était natif du village et son
auxiliaire, du même doyenné. La paroisse d’Aubange avait droit à un
curé, à un vicaire et de plus, à un vicaire dominical. Le vicaire, l’abbé
Rossignon, apprenant par des voisins l’accident de mon papa, et du
même coup notre situation familiale, se proposa d’aller le chercher à
l’hôpital, ce que ma maman accepta. J’accompagnai ma maman et le
prêtre lors de cette expédition. N’ayant pas l’habitude de la voiture, je
me souviens avoir eu des maux de ventre. Le prêtre s’arrêta sur
l’autoroute pour prendre une pomme dans son coffre, sachant
sûrement que mon ventre était vide. Et je me sentis mieux. C’est suite
à cet événement qu’il me proposa de venir de temps en temps chez lui
lorsque je ne voulais pas être à la maison.

A la suite de cet accident, mon père perdit son emploi ; il avait trente-
trois ans ! Il se réfugia dans la boisson. Je ne peux le condamner car
j’aurais sans doute agi de même.
Dans le village, résidait une communauté de religieuses de la Doctrine
Chrétienne. Elles étaient cinq. J’ai effectué mon école maternelle
auprès de Sœur Louis-Marie. Puis, j’ai suivi mon école primaire à
l’école communale. Sœur Marie-Thérèse était mon professeur en
dernière année et mettait une énergie remarquable pour que je
m’applique au mieux à mes études. Cette religieuse savait que je
partageais ma chambre avec mon grand frère qui écoutait fort sa
musique, m’empêchant d’étudier. Elle proposa dès la cinquième
primaire (CM1) de m’aider après l’école, à faire mes devoirs dans leur
communauté religieuse.

Je me souviens chaque jour du même rituel. Sœur Rosa, qui était


d’une humilité déconcertante parlait peu et ne se plaignait jamais. Par
la suite, je l’ai souvent prise comme modèle. Elle me préparait mon

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

bol de lait chaud, du bon lait de ferme. Je demandais toujours aux


Sœurs de me garder la crème, un délice : j’aurais bu la cruche entière.
Je me faisais deux ou trois tartines avec de la confiture produite par les
religieuses. Puis je m’attelais avec Sœur Marie-Thérèse à mes devoirs.
Elle m’aidait avec beaucoup de gentillesse tout en préparant ses leçons
pour le lendemain.

Dès que l’horloge sonnait 17h45, nous allions à la chapelle pour prier
et puis à l’église pour la messe. Elle avait lieu à la sacristie. C’était
une messe basse, c’est-à-dire sans chant. Puis, je retournais souper
chez les Sœurs.

L’église d'Aubange

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Grâce au vicaire Rossignon, et à l’accueil bienveillant des religieuses,


je connus ce milieu religieux catholique. J’aspirais à le fréquenter le
plus souvent possible, me sentant aimé et même choyé. Au début, je
me tournai vers le vicaire. Il me demandait d’aller faire de petites
courses au magasin du coin ou je l’aidais dans son potager. A la bonne
saison, nous allions en compagnie d’un ou deux autres enfants de
chœur, cueillir les champignons. J’adorais ces grandes ballades et la
découverte des meilleurs emplacements où les précieux cèpes ou les
morilles fleurissaient était un enchantement pour moi. Puis, il me fit
connaître un mouvement de jeunesse au sein duquel je ne me sentis
jamais bien.

Le vicaire habitait avec le curé au presbytère. Une grande demeure


que je trouvais accueillante et même chaleureuse. L’inscription sur la
porte donnait le code aux paroissiens pour les visites : Une pression
sur la sonnette, c’était pour le curé et deux pour le vicaire.

Rapidement je fis la connaissance de M. le Curé M. et je voulus me


rendre serviable auprès de lui. Il était attachant à mes yeux. Dès le
début, il fut à mon cœur comme un grand-père, un « bon papa »,
comme on dit dans ma région.

Je dois énormément à ces prêtres. Je ne le dirai jamais assez.

Le vicaire m’apprit à prier. Avant les messes, nous étions à genoux


devant le saint sacrement. Il confectionnait des prie-Dieu pour être à
genoux plus longtemps… Et souvent j’avais mal aux genoux. Je me
disais : « Quand va-t-on se lever ? ». Nous faisions aussi des icônes en
bois où je collais des images de la Vierge ou de la Sainte Trinité et
autres. Il fallait couper les morceaux de bois avec minutie, puis coller
au mieux l’image et appliquer le vernis. Dans sa voiture baptisée
affectueusement « Titine », nous récitions le chapelet à chaque
voyage.

Monsieur le Curé me fit connaître toute la paroisse et beaucoup de


gens. Je devins assez naturellement enfant de chœur. A cette époque,
j’étais petit et timide et je ne faisais pas mon âge, de sorte que ma

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

taille me valait l’honneur d’être toujours le premier dans les cortèges,


que ce soit pour les communions ou d’autres célébrations.
Je m’attachai à ce curé si bien que je délaissai presque le vicaire. Je
l’accompagnais partout dès que j’avais des congés, étant réellement
devenu important à ses yeux.
Le curé et moi allions visiter les malades. Je l’accompagnais pour les
courses dans les supermarchés en France ou au Luxembourg et nous
allions rendre visite à des amis : des prêtres ou des connaissances.

J’étais comme un petit prince, émerveillé de sa façon de vivre, de sa


bonté. C’était un homme réellement généreux et humble. Mais avec
un caractère marqué. Il se faisait respecter. Il me faut dire qu’il est
resté le curé dans la paroisse durant 25 ans…et pour beaucoup il a fait
bien des choses. Combien de personnes ne sont-elles pas venues lui
demander de les aider à trouver un emploi ?
Il consultait le journal luxembourgeois contenant des offres
d’embauches et régulièrement en faisait le tri. Et, dès qu’une personne
venait lui demander de l’aide, il s’échinait à trouver la meilleure place
pour le demandeur, n’hésitant pas à intervenir personnellement auprès
de l’employeur.

Après quelque temps de fréquentation régulière du presbytère : je fus


apprécié par ces prêtres. M. le Curé venait me chercher à l’école ou à
la maison pour l’accompagner à tel ou tel endroit. Il n’était pas rare
qu’il me fasse un mot pour le directeur, demandant de me dispenser
des cours afin d’être enfant de chœur lors de funérailles. J’en étais fier
et mes camarades de classe étaient quelque peu jaloux. Certains me
traitaient de fils du curé. Moi, ça ne me faisait ni chaud ni froid. Mais
j’aimais savoir que j’étais important pour les prêtres, que ceux-ci
m’aimaient, que les religieuses voulaient ma réussite à l’école. Et à
dire vrai, je me disais : « Et si le curé était mon père ? ». Puis, je me
disais que cela était impossible.

Il me faut dire aussi pour être tout à fait complet, que cet homme
d'Église était très riche. Il avait des carrières de sable dans la région. Il
a pu alors construire une école professionnelle de cuisine dans le
village. Faisant partie du pouvoir organisateur d’écoles privées, il

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

n’hésitait pas à répondre favorablement aux demandes d’un directeur


d’école sollicitant son appui financier. J’y trouve une raison
d’expliquer la mansuétude des professeurs face à mes absences
répétées pour aller servir la messe. Cela ne serait plus possible
aujourd’hui.

Je me souviens des beaux dimanches que j’ai vécus. J’aimais les


dimanches mais pas les samedis…
Les samedis, je rejoignais mon mouvement de jeunesse mais je n’y
étais pas heureux. Les parties de football étaient plus nombreuses que
toutes autres activités et je jouais au foot de façon très nulle. Si j’étais
gardien, je me couchais dans le sens opposé de la trajectoire de la
balle. Je fus vite mis à l’écart.

Le samedi soir, il y avait la messe à 18h30. Un quart d’heure avant, le


chapelet était récité par une religieuse ou par M. le Curé.

J’éprouvais une joie intense à pouvoir allumer les bougies et choisir


les lecteurs dans l’assemblée ! Je voyais sur les visages les gens se
dire : « Oui, viens me demander ! » Sur d’autres : « Oh non, pas
moi ! » Combien de fois n’ai-je pas eu comme réponse : « Pas
aujourd’hui, j’ai oublié mes lunettes. » Ou encore deux ou trois
personnes me faire la tête parce que je ne leur demandais pas à elles
de lire au micro.

Déjà petit, je ressentais cette forme de pouvoir. Mais plus encore, je


pouvais aisément dénicher les personnes désireuses d’aller lire la
Parole de Dieu dans l’unique but d’exhiber leur dernière coiffure ou
leurs nouvelles toilettes.

Je n’ai jamais aimé bien m’habiller. Des habits propres oui, mais pas
des vêtements de marques. D’ailleurs pouvait-on s’en acheter ? C’est
ainsi que, bien avant l’heure de la messe, je mettais déjà mes habits de
servant de messe. Rien que de me rappeler ces tenues d’enfant de
chœur, je repense non sans émotion à cette belle période de ma vie.

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

C’était encore l’époque de la soutanelle rouge avec un nombre infini


de gros boutons, puis un beau surplis blanc brodé, le tout surmonté
d’un superbe col rouge.

Joël à l’âge de 12 ans.

J’aimais l’ambiance avant la messe où l’organiste et les chantres


venaient demander les derniers détails aux prêtres et, où les enfants de
chœur s’apprêtaient. Comme je l’ai déjà dit, étant plus petit de taille,
j’étais toujours le premier à ouvrir le cortège. Même M. le Curé
voulait me donner des vitamines pour m’aider à grandir. Mais à part
de la limonade à base de lait, une spécialité luxembourgeoise

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

consommée largement, il ne me fit pourtant rien expérimenter d’autre.


Il se préoccupait cependant de ma taille, interpellant régulièrement
mes parents.
Durant la messe je chantais. Je prenais les partitions des choristes et
m’imposais pour chanter avec eux. Je donnerais tout au monde pour
pouvoir revivre cette période. Ce que j’aimais le plus en servant la
messe, c’était sonner les clochettes lors de l’élévation du pain et du
vin et aussi : faire la collecte. J’aimais voir ce que les gens mettaient :
les plus bruyants, mettaient des piécettes et les discrets, des billets ou
une grosse pièce. Quand il y avait un gros billet, M. le Curé me
demandait:
– Qui a mis cela ?
J’étais très fier de lui désigner le donneur anonyme.

Au fil du temps, l’abbé M. me confia la responsabilité des enfants de


chœur, mais jamais de façon officielle. Il n’aimait pas les gens se
prenant au sérieux. Il me donnait cependant de plus en plus de
responsabilités. J’aimais quand il m’appelait durant la messe et me
disait : «Va fermer la porte du fond ! » ou quand régulièrement, il me
disait de monter au jubé et de compter les fidèles pour ses statistiques.
Il aurait pu le demander à un choriste ou à l’organiste se trouvant déjà
sur place. Mais non ! C’était à moi qu’il confiait cette mission.
A la fin de la messe, j’éteignais les bougies, je rangeais tout et fermais
les portes. Puis j’allais retrouver tous les acteurs de la messe réunis
dans la cuisine du presbytère où le vicaire et le curé offraient une
bonne bière ou d’autres boissons.
Vers 20h30 tout ce petit monde partait, soit pour une répétition de
fanfares, soit vers leur domicile. Moi, je retournais à la maison
regarder la télévision, attendant avec impatience le lendemain matin,
le dimanche.
Les offices étaient bien suivis à Aubange. Le dimanche, il y avait trois
messes. Je préférais celle de 8h15. C’était une messe avec chants mais
sans orgue. Le son des cloches d’Aubange habite encore ma mémoire.
Le clocher possède quatre belles grosses cloches et combien de fois le
dimanche matin, je les entendais m’appeler une demi-heure avant
l’office. Et, je courais en craignant d’arriver en retard. Cela est arrivé
quelques fois, mais M. le curé me laissait la porte de la sacristie

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

ouverte et ainsi, je pouvais revêtir l’habit de servant et rejoindre le


chœur. Lorsque le curé ne présidait pas cette messe il était cependant
toujours présent et chantait de beaux cantiques. S’il célébrait la messe,
il chantait également. Parfois, en plein milieu de la messe, l’organiste
étant à l’avance pour l’office de 10h15, accompagnait discrètement les
chants d’une douce musique. Je jubilais, me croyant au paradis. Je
savais que cela faisait plaisir au curé d’avoir l’organiste à ses messes.
Il était fier de l’orgue de son église, surtout après sa longue et
onéreuse restauration.
Lors des mois de printemps et d’été, M. le Curé aimait avoir les portes
de l’église grandes ouvertes. Il n’était pas rare de voir de temps à autre
une hirondelle ou deux survoler l’assemblée et chanter à leur manière
la gloire de Dieu !
A tour de rôle, les prêtres se partageaient les prédications de semaine
en semaine.
Qu’il était beau de voir toujours ces trois prêtres concélébrer
ensemble ! Assez régulièrement, d’autres prêtres frontaliers venaient
prêcher également dans la belle église d’Aubange, de même que des
prêtres ou religieuses originaires de la paroisse. Je repense à cet
instant à l’abbé Gigi qui fut missionnaire au Rwanda jusqu’à y laisser
sa vie en 1994. Je revois Sœur A. Bosseler une dominicaine fondatrice
d’un monastère en Norvège. Elle mourut récemment à l’âge de 102
ans. Elle vint prêcher de temps à autre en notre église. Elle me
réservait un accueil magnifique à chacune de mes visites en Norvège.
Je ne dois pas oublier le brave chanoine Jacques à Gorcy ou un autre
prêtre français, aumônier de l’Hôtel Dieu à Mont St Martin. Enfin, il y
avait aussi le vicaire épiscopal du diocèse originaire aussi d’Aubange.
Cependant et à mon grand étonnement, M. le Curé ne lui réservait
jamais bon accueil ! Je n’ai jamais su pourquoi.

La grand-messe dominicale était donc rehaussée, par de nombreux


acteurs mais aussi avec l’orgue et de temps en temps de la trompette.
L’orgue magnifique avait été restauré grâce à Monsieur le Curé. Mais,
hormis ce fait, notre église disposait des services d’un organiste
remarquable, envié par d’autres paroisses. Il nous quitta même,
s’exilant volontairement vers de meilleurs horizons, après le
changement de prêtres. J’ai toujours regretté de n’avoir jamais su

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

jouer d’un instrument de musique et surtout l’orgue. J’ai souvent rêvé


de pouvoir remplacer au pied levé l’organiste absent ou en retard.
L’abbé M. essaya de m’apprendre, mais se découragea très vite et n’y
donna plus suite. De même, à l’âge de 13 ou 14 ans, il tenta de
m’enseigner la conduite automobile. Il abandonna aussitôt, ne me
sentant pas immédiatement doué. Il espérait sans doute un mot ou une
demande de ma part, afin d’apprendre ces choses. Je n’étais pas assez
extraverti pour exprimer de telles demandes.

L’église était « sale » à l’intérieur, les murs et plafonds noirs à cause


des années sans peinture. Mais je l’aimais, mon église ! Je faisais tout
pour qu’elle soit belle ! Ainsi, j’aidais les religieuses à l’orner de
fleurs, à enlever les toiles d’araignées, à laver les escaliers car il y
avait beaucoup de pigeons au clocher. Ceux-ci étaient les amis du
vicaire et ils pouvaient sans problème y élire domicile en échange d’y
faire leurs besoins… Cela servait d’engrais pour son potager et surtout
pour ses beaux plants de tomates. Il bataillait amicalement avec mon
papa, chacun espérant cultiver les plus belles et charnues ! Mais c’était
surtout afin de venir saluer ma famille. Lorsque j’eus neuf ans, un
petit frère vint au monde. J’étais heureux de caresser ses joues, au
toucher duveteux de la pêche, mais le peu d’affection que je recevais
de mes parents s’envola. Vers douze ans, un autre enfant naquit
accentuant encore ce vide en moi. Je décidai de compenser ce manque
en me rendant disponible, serviable et utile auprès de la communauté
paroissiale de mon village.
Mes parents ne s’inquiétaient pas de mes longues absences de la
maison. Ils savaient que j’étais entre de bonnes mains…

Le dimanche après-midi, j’allais manger avec M. le Curé chez telle ou


telle de ses connaissances. Je garde une tendresse particulière pour
Mademoiselle Alice : elle n’arrêtait pas de nous faire rire durant les
repas, avec un petit clown à piles jouant des timbales et qu’elle ne
cessait de faire fonctionner. Elle nous mettait de la joie au cœur quand
nous allions chez elle, prier le chapelet. Une autre dame chez qui nous
allions régulièrement se prénommait Rosalie. Elle était une
gouvernante de prêtre de son état, comme on disait dans le temps. Elle
nous préparait toujours un plat luxembourgeois, dont le nom me faisait

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déjà saliver. C’était le « Bouneschlupp » : un plat très copieux avec du


lard et de la saucisse à cuire, alors que mon curé était végétarien !
Lorsqu’il voyait la viande il s'exclamait :
– Streng verboten ! (Strictement interdit !).

Avec cette dame, le curé ne faisait que se disputer en luxembourgeois.


Et comme je ne parlais pas cette langue, je n’ai jamais compris le sujet
de leurs querelles. Mais, on y retournait chaque fois.

Il ne fallait pas embêter Monsieur le curé. Un jour, comme il le faisait


souvent, il prit un jeune du village en autostop. En s’asseyant, il dit
joyeusement :
– Et comment tu vas, Maurice ?

Monsieur le Curé se mit en colère et lui asséna des coups de poing sur
ses jambes, puis le jeta hors de la voiture. Le jeune gaillard se
demanda le mal qu’il avait pu faire… Il n’avait simplement pas eu le
minimum de respect voulu.
Je n’ai jamais tutoyé un de mes prêtres.

J’adorais être en voiture avec M. le Curé. S’il pleuvait, c’est moi qui
réglais les commandes des essuie-glaces ou du chauffage pour la buée.
Je devais aussi souvent l’aider à tourner le volant car à l’époque, il n’y
avait pas la direction assistée.

L’abbé M. et l’abbé Rossignon me donnèrent leur confiance et j’étais


au presbytère comme chez moi. Je les respectais et ils me respectaient.

Le samedi après-midi, il y avait souvent des mariages. J’aimais


balayer les escaliers de l’église après ces offices religieux et garder ce
riz pour les pigeons. Le dimanche, les baptêmes étaient fréquents. En
semaine, les enterrements étaient réguliers. Grâce à cela j’avais de
l’argent de poche et je ne demandais jamais rien à mes parents.

Nous allions souvent chez le frère de M. le Curé. Il lui nettoyait ses


taches sur son veston ou sa cravate et ils s’amusaient l’un l’autre se
taquinant devant moi. J’allais aussi voir « l’école des fans » chez la

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sœur de M. le Curé pendant que ce dernier faisait la sieste chez son


frère. Il était content de m’y envoyer. Elle me préparait de bons
goûters.

La messe du dimanche soir était très belle aussi. Il y avait beaucoup de


monde et surtout des Français. Je le voyais bien au résultat de la
collecte. Après cette messe, j’étais le maître des lieux. En effet, le curé
partait tous les dimanches soirs avec son ami prêtre, l’abbé Fonder,
dans de bons restaurants. Il me laissait tout seul à ranger, à fermer
l’église, à compter le fruit de la quête. Je devais fermer la fenêtre de la
chambre à coucher de M. le Curé et allumer le chauffage.

Le lundi, j’allais porter l’argent à la banque. Je répondais aussi au


téléphone pour M. le Curé et je faisais leurs courses. Je les
accompagnais partout. J’étais vraiment devenu leur sacristain, à mon
grand plaisir. De même, lorsqu’il y avait quelque chose à vendre pour
une association ou pour la paroisse, j’étais volontaire. Comme j’étais
connu du village, je n’avais guère de refus en sonnant aux portes !
J’étais aussi le jardinier d’une religieuse fort âgée, qui appréciait mon
aide.

Un jour, M. le Curé me donna la clé du presbytère ainsi que celles de


sa voiture afin de me permettre de faire du rangement. Il me dit:
– Je reviens dans deux semaines, je vais en Allemagne.
Le lendemain, je rentrai au presbytère. Le vicaire sursauta :
– Mais où est Maurice ?
– Il est en Allemagne, pour se reposer.

Je me rendis compte qu’il n’avait même pas averti le vicaire. Cela


m’étonna grandement, mais le vicaire ne s’en formalisa pas outre
mesure.
Je comprenais en vivant avec eux, presque au jour le jour, la vie de
prêtre et cette existence me plaisait.

Mais le prêtre restait homme. Le curé n’aimait pas entendre toujours


sonner à la porte pour le vicaire. Il en nourrissait une certaine jalousie.
Pour ma part, j’étais connu de tous les prêtres de la région, car l’abbé

22
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

M. m’en avait fait rencontrer bon nombre. Beaucoup d’entre eux


venaient également voir le vicaire et boire une bonne bière de l’abbaye
d’Orval. De son bureau, l’abbé M. entendait rire les invités du vicaire
et pensait souvent être le sujet de moqueries.
Alors il me disait :
– Viens, on va aller faire des visites !

Une chose m’a toujours frappé dans le comportement de M. le Curé :


Il ne s’invitait pas souvent à la table des âmes du village. S’il devait
voir quelqu’un ou prendre un rendez-vous, pour telle ou telle réunion,
je l’accompagnais en voiture. J’étais alors chargé de sonner à la porte
et le curé parlait tout en restant dans sa voiture. Parfois, je devais juste
glisser un petit mot sous la porte. Et, il n’était pas rare qu’il me dise :
– Ne fais pas de bruit avec la portière. Glisse le papier sous la porte et
ne sonne pas.

Dès que l’on passait la frontière du village ou du pays, nous nous


installions par contre, autour de très bonnes tables.

Il en avait assez de sa paroisse. Il y était depuis trop longtemps et la


lassitude le gagnait. Il aimait bénir des mariages en France ou célébrer
des messes au Grand-duché de Luxembourg, notamment avec le
Mouvement des Focolari, qui lui redonnait du dynamisme. Un jour, il
était réellement enjoué de sa rencontre avec le célèbre Père Tardif. Il
lui avait annoncé qu’il vivrait très vieux. Il me fit part de sa joie. Mais
elle ne fut pas de longue durée. Quelques temps après, le curé apprit
qu’il était très malade mais il ne le dit à personne, pas même à moi.
C’est pour cette raison qu’il partait en Allemagne, afin d’essayer de se
faire soigner. Mais que faire contre un cancer des os et avec des
métastases au cerveau ?

Ayant atteint l’âge de 65 ans, il fut pris d’une telle lassitude pour son
ministère qu’il voulut quitter la paroisse. L’évêque Mathen le supplia
de rester. Et, comme c’était son ami, il accepta. Se savait-il déjà
malade à ce moment-là ? Sûrement.
Deux ans plus tard, en 1987, ayant repris goût à son ministère, on le
força à quitter sa paroisse.

23
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Mgr R.-J. Mathen

Je me rappelle de ce moment terrible. J’étais dans la pièce voisine de


son bureau, séparée par une simple tenture. Je triais la collecte quand
soudain le vicaire épiscopal fit irruption. Il s’énerva sur le curé et lui
signifia l’ordre formel de quitter la paroisse. Mon curé ne le voulait
pas. Le vicaire épiscopal le menaça de l’intervention de la police s’il
n’obtempérait pas.
Une fois ce prêtre parti, je revins dans le bureau. Le curé me regarda,
prit le téléphone et contacta l’évêque pour le mettre au courant de la
visite de son vicaire épiscopal. Il raccrocha au bout de quelques
instants.
– Monseigneur m’informe qu’il n’a plus rien à dire : ce n’est plus lui
qui décide des nominations.

Je me souviens de la messe de départ du curé et du vicaire. Ils furent


écartés en même temps de la paroisse, me laissant seul ! Après la
remise de cadeaux, le curé remercia par ces simples mots :
– Je n’aime pas le culte de la personnalité. Je préfère rendre grâce à
Dieu comme nous l’avons fait tout à l’heure ! Merci !

Je peux comprendre que des paroissiens se soient plaint en haut lieu


concernant mon ancien curé car il lui arrivait de perdre toute mesure et
la raison. Mais, son état de santé en était la cause. Après tant d’années
au service de l'Église il y avait d’autres possibilités plus humaines
pour le mettre à l’écart.
24
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« Tout bonheur
est une innocence. »

Marguerite Yourcenar

Bonheur et Rêve brisés !

« Laisse toi faire… ! »

1987-1991

Au départ de l’abbé Rossignon, le nouveau vicaire, l’abbé Hubermont,


arriva le premier. M. le curé M. prit le temps pour partir. Il fallut
ensuite faire des travaux dans le presbytère, car son remplaçant venait
y habiter avec ses parents.

La paroisse mit à la disposition du nouveau vicaire une maison. Le


nouveau curé, l’abbé De Coster, prit ses fonctions lorsque les travaux
au presbytère furent terminés. Le vicaire Hubermont prit d’initiative la
responsabilité des mouvements de la paroisse. Le nouveau curé était,
il est vrai, également aumônier militaire en plus de sa charge
paroissiale. Il n’eut droit qu’à un seul mouvement de jeunesse.

Ces nouveaux prêtres firent ma connaissance. Le fait que je disposais


des clefs de l’église les encouragea à me faire confiance. Mon
dévouement fit le reste. Ils ont probablement considéré que j’étais
fiable, timide et réservé.

Pour ma part, leurs prédécesseurs avaient été pour moi des modèles
qui avaient fait naître ma vocation. Je voulais consacrer toute ma vie à
Dieu. Je leur vouais donc naturellement, un profond respect et une
grande admiration.

25
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Joël à l’âge de 14 ans.

L’ancien curé venait de temps en temps me chercher à la maison afin


de pouvoir l’accompagner lors de visites et même pour servir la messe
dans ses deux nouvelles paroisses.
Ce n’était pas l’époque d’Internet ou du téléphone portable et à la
maison nous n’avions même pas le téléphone. J’attendais des heures à
la fenêtre l’arrivée de M. le Curé. Il klaxonnait et je courais le
rejoindre. Je revivais les bons moments du temps où il était en poste.
Nous allions même rendre visite à l’ancien vicaire. Mais ce bonheur
n’était pas régulier et j’étais en fait, assez malheureux. Dès son
arrivée, le vicaire avait pris la responsabilité des enfants de chœur. Les
nouveaux prêtres avaient établi une liste de lecteurs pour les messes.
Ma taille me sauvait ! Je restais le premier dans les cortèges. Mais, à
part aider à préparer l’église et ensuite aider à la ranger à la fin des
offices, je n’étais plus responsable de rien. Fini aussi, le temps de
considérer le presbytère comme un lieu à moi…

26
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Outre le départ des anciens prêtres, je devais assumer tout ce


chambardement dans une vie bien réglée. Même les pigeons étaient
exclus, le clocher avait été grillagé. Finis nos beaux ornements de
servants de messe ! Le nouveau clergé les mit dans des sacs poubelle
afin de les envoyer en Pologne. Nos nouvelles tenues furent des aubes
blanches ! La messe du dimanche soir fut supprimée.

Mais, s’il n’y avait eu que ça.

Mon malheur fut de transférer instinctivement la confiance totale que


j’avais envers les anciens prêtres aux nouveaux. Dès le début de son
arrivée, le vicaire Hubermont attira à lui les enfants et les jeunes du
village. Étant arrivé avant le curé et ce dernier vivant avec ses parents,
le curé ne pouvait s’occuper de moi. A mes yeux, le vicaire devint
donc le véritable curé du village ! Il était responsable de tant de choses
à mesure de l’investissement du curé dans sa tâche d’aumônier dans
l’armée. Pour le vicaire, il était facile d’attirer les enfants. Il était
jeune (27 ans). Sa maison débordait de jeux (console Nintendo, baby-
foot, …) et on y trouvait même un lit superposé en plus du sien qui
était déjà très large pour un célibataire !

J’allais régulièrement chez lui, ayant perdu progressivement


l’affection et la présence de mes anciens mentors. D’ailleurs, je
n’aimais pas la présence d’autres jeunes autour de lui. J’avais
clairement perdu ma position privilégiée. Le vicaire l’avait bien
compris, décelant ma grande timidité et mon isolement par rapport aux
autres enfants. Il connaissait également ma situation familiale et mon
besoin d’affection.

Il m’invita à passer le voir le soir après la messe ou après une réunion


paroissiale, me promettant d’être seuls, tous les deux. Ayant fait mes
devoirs chez les religieuses, assisté à la messe à l’église et ensuite
soupé chez elles, que faire après ?
Je répondis favorablement à ses invitations. Au début, il me faisait
monter à l’étage où il disposait d’un grand bureau où trônait une
télévision. Je fus frappé par le grand nombre de cadres contenant des
photos d’enfants. Arrivé dans la vaste pièce, il fermait les volets,

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

allumait la télévision et me demandait de venir m’asseoir sur ses


genoux. Curieusement, dans son bureau, il n’y avait que sa chaise de
bureau et un fauteuil ; les enfants devaient s’asseoir sur le sol revêtu
d’un tapis. Le but était d’attirer plus facilement les enfants à s’installer
sur ses genoux.

A part l’affection que je recevais des prêtres et des religieuses, je n’en


connaissais guère plus. A la maison, je ne me souviens pas avoir été
dans les bras de mes parents. Ce n’était même pas l’habitude de
s’embrasser, sauf à leur anniversaire ou lors des fêtes de Noël et de
Nouvel an. Jamais à d’autres moments !
Quand le vicaire m’invitait sur ses genoux, j’étais tout heureux d’avoir
de l’affection physique, le contact et la chaleur humaine. Je pensais à
l’affection que ma maman donnait à mon petit frère, né quelques
temps plus tôt. Le vicaire étant assis dans son fauteuil, j’allais me
blottir contre lui comme un petit enfant. Pendant ce temps, il zappait
et dès qu’un programme l’intéressait (souvent du football), il
s’occupait de moi… Sur ses genoux je me sentais bien : je me sentais
aimé, je fermais les yeux et j’espérais que ce moment ne se termine
pas. Le vicaire me caressait doucement le haut du corps au-dessus de
mes vêtements, puis le visage et je retirais fréquemment sa main, car il
m’empêchait de m’assoupir dans ses bras.
Très rapidement, il me dit :
– Mais, laisse-toi faire !
Son ton ne traduisait pas d’agressivité, mais une insistance autoritaire
réelle.

Je n’aimais pas ses caresses qui me procuraient à la fois des frissons et


des chatouillements, mais à chaque fois que je retirais sa main il
répétait avec une insistance accrue :
– Laisse-toi faire !

Imperceptiblement, il passa à des caresses plus directes, touchant ma


peau par-dessous mes vêtements. Il insista à de maintes reprises
devant mes réticences, lâchant toujours cette phrase courte, d’une voix
assurée et pleine de toute l’autorité dont il jouissait à mes yeux :
– Laisse-toi faire, enfin !

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Il en vint à prendre ma main, m’obligeant de lui toucher le torse. Ses


mains descendirent plus bas et à nouveau je l’écartais. Puis, toujours
sous la force de cette phrase répétée éternellement, il repartait à
l’assaut. Sa bouche se posa sur mes joues, mes oreilles. J’étais dans un
état de confusion réel. Je frissonnais de tout mon corps et je me sentais
mal.
A la fin du match de foot ou de son émission de télévision, il me
reconduisait en voiture et me déposait devant mon domicile. Pendant
le trajet, il continuait à me caresser. Arrivé chez moi, je filais aux
toilettes car j’avais mal au zizi, surtout quand je faisais pipi. Je ne
comprenais rien de ce qui m’arrivait. Il m’est difficile d’exprimer ce
sentiment de trouble et de honte, mêlé aux réactions
incompréhensibles de mon propre corps.
A qui le dire ? Depuis mes huit ans, j’avais pris l’habitude de me
débrouiller seul. La sexualité m’était inconnue et ce n’était certes pas
à la maison que ces choses étaient évoquées. Je n’avais pas de
camarade de confiance à qui en parler. La pédophilie m’était
totalement inconnue. En 1987, l’affaire Dutroux n’avait pas encore
éclaté. Dans mon esprit d’enfant petit et timide malgré mes quatorze
ans, une seule idée s’imposa : il m’aimait !
Le vicaire m’apprenait simplement la sexualité et l’amour. Personne
ne m’avait dit que c’était mal et je n’allais pas mettre en cause les
bonnes intentions et l’affection d’un homme d'Église! Intimement, je
ressentais une honte grandissante. Et si c’était mal ? Oui, si le vicaire
me contraignait à commettre des actes contraires à la normalité ? Mais
à qui aurais-je osé le dire ?
Le prêtre me savait timide et j’allais lui en fournir une preuve
supplémentaire.
En effet, dès qu’il m’eut reconduit chez moi, je me rendis à l’église où
j’écrivis sur une feuille, mon ressentiment. Je lui fis part que je n’étais
pas un pantin et qu’il devait cesser.
Il me répondit en déposant sa réponse dans une enveloppe à mon nom,
à la sacristie. Il me rassura en des termes affectueux. Il souhaitait que
je sois autre chose qu’un pantin. Il me donna rendez-vous pour le
lendemain. Et à chaque fois, il abusa de moi un peu plus. Le rituel
était le même. Il me reconduisait et j’éprouvais une honte et une
humiliation de plus en plus grande. Il répondait à mes courriers qu’il

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

déposait à la sacristie. Mais, il me proposait aussi d’en parler, me


donnant de nouveaux rendez-vous.
Comment expliquer que je me rendais malgré tout à ces rendez-vous
où j’espérais des réponses, mais aussi qu’il ne me prive pas de son
affection ?
J’avais le sentiment d’être aimé. Mais très vite, je compris que je
n’étais que son objet sexuel. En effet, il ne se contenta bientôt plus de
caresses sur le haut du corps. Il mettait ma main sur son pantalon afin
que je lui caresse son sexe. Je ne le voulais pas mais il insistait. Il me
guidait la main et me forçait à faire des mouvements sur son sexe. Dès
qu’il avait joui, il s’essuyait avec son mouchoir et se rhabillait pour
me reconduire à la maison. Quand j’allais chez lui en journée, il
prenait toujours des enfants sur ses genoux. Alors, il me disait de venir
tard le soir afin d’être seul avec lui. J’étais jaloux de voir qu’il donnait
de l’amour à d’autres enfants me privant de l’exclusivité dont
j’aspirais désespérément. Si bien que le soir venu, je répondais à ses
rendez-vous afin de bénéficier seul, de toute son affection. Il n’était
pas rare qu’il me prenne la tête afin de m’obliger à mettre son sexe
dans la bouche. Je ne le voulais pas, mais il insistait au point de briser
toute velléité de résistance. Je trouvais cela dégoûtant et honteux, mais
je ne pouvais lui résister. Et à chaque fois, dès qu’il avait obtenu son
plaisir sexuel, il me disait de partir ou me reconduisait à la maison, me
plongeant dans un gouffre de frustration et de honte. De temps en
temps, il me demandait même de dormir chez lui et je me couchais
dans son grand lit avec lui. Là aussi, il me prouvait que je n’étais que
son objet sexuel. Au-delà de son plaisir égoïste, il quittait la chambre
et me laissait seul jusqu’au lendemain matin. Les fois où je logeais
chez lui, il tentait de faire plus de choses que ce que l’on faisait dans
le fauteuil, mais j’ai toujours refusé. Il existait donc des limites
impossibles à franchir. Je pouvais donc refuser, dire non et tenir bon !
Jamais je n’ai eu d’éjaculation avec lui.

Au fil de cette période, l’image que j’avais du bon prêtre vola en


éclats. Il avait détruit le but et les raisons de ma vie. A la maison, je ne
demandais plus à mon petit frère et à ma petite sœur d’assister à « ma
messe ». Avant ces événements odieux, dans ma chambre, je mettais
un peignoir et célébrais la messe avec des chips et du jus de raisin

30
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

rouge. Mais j’y renonçai définitivement. Je me renfermai de plus en


plus sur moi-même, voulant même en finir avec la vie. Combien de
fois n’ai-je pas mis ma tête sur mon oreiller, essayant de ne plus
respirer ! J’allais même dans le clocher, mais là, j’étais seul aussi. Il
n’y avait même plus de pigeons. J’aurais voulu qu’une cloche me
percute dans son balancement, et qu’on m’y retrouve mort des
semaines après.

Le vicaire profitait de moi pour exprimer toute sa perversité d’une


manière ignoble et répugnante. Pour lui, il était aisé d’assouvir ses
pulsions sexuelles sur l’enfant que j’étais !
Moi, je voulais juste mourir…

L’ancien curé m’écrivait souvent d’Allemagne où il partait sans doute


se soigner. Un jour, nous nous rendîmes chez l’ancien vicaire pour
discuter de mon avenir. Il lui demanda s’il pouvait s’occuper de moi
lorsque je serai interne au collège. Lorsque avec lui, j’allais me
promener dans les bois -surtout à Aubange- il me demandait d’aller
sur le parking de la douane afin de noter le nombre de camions des
différents pays. Ce jeu l’amusait. Après, nous marchions ensemble
dans la forêt où nous écoutions les oiseaux. Au passage, il saluait les
familles et conversait quelques instants. Il arrivait souvent que l’un ou
l’autre de ses paroissiens le questionne à mon sujet :
– Il veut devenir aussi curé, le petit Joël ?
Il s’énervait alors et répondait :
– On ne peut pas décider pour lui, il fera ce qu’il voudra, mais je
l’aiderai quoiqu’il fasse.

En 1989, je poursuivis donc mes études dans une ville voisine logeant
à l’internat du collège. De temps en temps, je rendais visite à mon
ancien vicaire, devenu curé dans un village voisin. Le vicaire
Hubermont m’écrivait régulièrement au collège. Il me jurait de ne plus
jamais recommencer et m’offrait de venir chez lui le week-end. Nous
dialoguions par écrit, car une fois chez lui, le mutisme m’habitait, tout
autant que la honte.
Je nourrissais beaucoup de rancœur à son encontre, pour l’engrenage
infernal dans lequel il m’avait sciemment plongé. Je voulais des

31
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

excuses pour pardonner, du repentir pour reprendre confiance.


Jusqu’ici, je n’avais parlé de ses méfaits à personne. Je décidai de me
confier par écrit à Mgr Musty, l’évêque auxiliaire du diocèse.

A cette époque en effet, une pétition circulait dans la paroisse,


demandant le départ du curé. Le vicaire ayant la main sur bon nombre
de mouvements de jeunesse, d’associations culturelles et religieuses,
disposait du soutien de la population. Les deux hommes ne
s’entendaient pas. Je fis donc valoir mes arguments; soutenant le
maintien du curé et les raisons pour lesquelles le vicaire devait être
déplacé. Je profitai de cette missive pour dénoncer à l’évêque
auxiliaire, les agissements du vicaire, une fois que je me trouvais seul
chez lui. Je ne reçus aucune réponse. Un an passa.
Mon ancien curé fut contraint de quitter ses deux paroisses. Il alla
habiter chez son frère.

Je dois ici, vous confesser toute l’horreur de la situation. J’avais vécu


des changements terribles dans ma vie, par l’arrivée des nouveaux
prêtres et l’éloignement de mes modèles de probité et de dévouement
à Dieu. Ma famille ne sut m’apporter l’affection et l’amour dont je
manquais si cruellement. J’y trouve les deux raisons principales, ayant
de fait de moi, la victime idéale de ce prédateur abject. Certaines nuits,
au comble de la douleur et de la honte, j’allais me réfugier dans le
dernier endroit de calme et de protection : mon église. Il m’est arrivé
bien souvent de dormir dans la sacristie, enroulé dans un drapeau
belge. Je sanglotais des heures entières, n’osant rentrer à la maison. Le
vicaire Hubermont connaissait mes faiblesses, ma fragilité. Il avait
parfaitement cerné sa victime avant de s’y attaquer. Un jour, il ramena
mon père à la maison car il avait un peu trop bu dans un café d’un
village voisin. Ma mère me réveilla et j’éprouvai en le voyant, une
gêne réelle. Mon abuseur dans ma maison ! Comme un fauve, il avait
même eu le toupet de venir renifler l’atmosphère familiale de son
objet de plaisir. Il a certainement considéré être à l’abri de toute
dénonciation. Je ne pouvais pas parler à mes parents.
De plus, il détenait une arme infaillible contre le gamin que j’étais. Si
j’avais parlé de ses actes odieux, il m’aurait immédiatement privé des
clefs de l’église, mon dernier refuge.

32
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Au fond de moi, j’avais toujours le désir de devenir prêtre. Je me


souviens d’un jour où j’étais à l’église en train de m’amuser sur
l’orgue, ce que je faisais souvent. J’avais allumé le micro et je
chantais un chant que j’aimais bien : « De mon cœur a jailli ce beau
poème, ma vie toute entière je l’offre au Seigneur ! ». A la fin de ce
chant, le vicaire venant de la sacristie, se mit à applaudir. J’étais gêné
de sa présence et qu’il ait entendu ma prière. Mais au fond de moi, je
formulai l’espoir qu’il ait enfin entendu et compris ma volonté d'une
vie consacrée à Dieu, grâce à ce cri d’amour sorti de mon cœur dans
l’église. Il allait peut-être me respecter et comprendre mon aspiration à
embrasser la prêtrise. Cependant, malgré cet événement et les
nombreux courriers échangés, il ne cessait de continuer. Pire encore,
au risque de vous paraître choquant, l’absence de réponse de l’évêché
à mon courrier me bouleversa grandement. Je finis par croire que je
n’étais pas normal et que les agissements du vicaire, ses pratiques,
étaient considérés comme logiques par la hiérarchie de l'Église.
Je finis par regretter mon courrier et d’avoir fait preuve de
méchanceté. Pourquoi me suis-je persuadé que les actes de ce
pédophile étaient normaux ? Comment ai-je pu me laisser faire ? La
peur de tout perdre, de condamner mon avenir et surtout de ne pas être
cru.

Mon ancien curé tomba un jour du lit durant la nuit et dut être
hospitalisé quelques jours. La consigne du médecin fut sans appel :
interdiction de voiture. Le pauvre : il n’avait déjà plus de charges
paroissiales. Si on lui interdisait la voiture, que lui resterait-il ? Au
début, des personnes venaient le chercher pour célébrer telle ou telle
messe et moi je ne le voyais moins souvent, ne sachant plus venir me
chercher. Ce qui devait arriver, arriva. Un jour, il reprit la voiture et
alla se promener dans un bois. Son frère alerta les villages afin de
demander si l’on savait où se trouvait Monsieur le curé. Il avait
disparu ! Trois jours après, un cultivateur vit une voiture dans un
chemin près d’un bois et eut la mauvaise surprise de voir Monsieur le
curé allongé par terre dans un état de fatigue extrême. Sa voiture avait
été embourbée et voulant sans doute la dégager, eut un malaise. Sans
le passage de ce cultivateur, il aurait été retrouvé mort. Il avait perdu
la parole et j’allais lui rendre visite le plus souvent possible. Il me

33
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

reconnaissait. Même sans la parole, son caractère et sa volonté étaient


toujours intacts. Je me souviens d’un jour, où un paroissien est venu
dans sa chambre, lui rendre visite. A peine eut-il franchi le seuil de la
porte que Monsieur le Curé, allongé sur son lit, lui désigna la porte
avec son bras.

Au collège, les choses se passèrent fort mal. Je fus renvoyé. J’étais


certes souvent dans la chambre de mes camarades, cherchant de
l’affection. Ayant vécu les méfaits du vicaire et étant devenu
adolescent, je me laissais à reproduire ce que le vicaire m’avait appris,
dans ce milieu masculin confiné. Personne ne me demanda
d’explications sur mon comportement. Cet événement coïncida avec la
période où mon ancien curé était hospitalisé à deux kilomètres de mon
village. J’allais lui rendre visite chaque jour. Il n’avait toujours pas
retrouvé la parole mais il était content de mes visites et souvent je
voulais pleurer à ses côtés, mais je me retenais pour ne pas le peiner. Il
avait une photographie de mademoiselle Alice dans sa chambre et la
montrait souvent à qui venait le voir. Elle était décédée quelques mois
plus tôt, mais personne n’osait le lui dire.
Un soir de février 1991, en allant servir la messe à l’église pour la
neuvaine à Notre Dame de Lourdes, le nouveau curé, me prit à part
dans la sacristie et m’annonça le décès de M. le Curé M. Je me mis à
pleurer. Je servis la messe obsédé par l’idée de vérifier de mes yeux,
si Monsieur le Curé était bien décédé. J’allais donc à la clinique dans
la chambre de M. le Curé. Il n’était plus là. Le personnel me dit qu’il
était déjà à la morgue. Je descendis les escaliers, entrai dans la pièce
mortuaire et trouvai un cercueil. Je ne pouvais imaginer que M. le
Curé soit mort ! Combien d’enterrements avais-je déjà servis comme
enfant de chœur ? Mais, jamais je n’avais perdu un être aimé. Je ne
pouvais admettre la réalité de sa mort. Je vérifiai que j’étais bien seul
dans les environs et soulevai le couvercle du cercueil afin de
m’assurer que c’était bien lui. Je le vis avec son costume habituel et sa
cravate. Il était bien mort. Je lui tins une dernière fois la main, et
pleurai toutes les larmes de mon corps.
L’abbé M. était un homme de cœur qui avait compté dans ma vie plus
que toute autre personne. Vous ai-je dit qu’il était historien et avait
écrit quelques ouvrages sur la région ? Il était également d’une

34
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

générosité sans borne. Ce bon vivant ne manquait aucune occasion de


taquiner ses ouailles, comme celui dénommé « le shérif ». Il le faisait
sans malice, trop heureux de voir quelqu’un se mettre en furie contre
lui. Le « shérif » était un simplet, mais dont personne ne s’occupait.
L’abbé lui apportait des repas, même au risque de prendre des coups.
Il est facile de critiquer et de fermer les yeux. L’abbé lui, avait fait son
choix, même s’il pouvait se montrer dur.
C’est donc début 1991 que mon curé est décédé, et que le vicaire
abuseur quitta la paroisse. J’étais très peiné du décès de mon curé mais
heureux du départ du vicaire.
Lorsque le vicaire était à Aubange, il me proposa une fois d’aller
assister aux ordinations de nouveaux prêtres. Il m’avait donné rendez-
vous devant chez lui à treize heures. J’étais tout content de pouvoir
aller assister pour la première fois à un office à la cathédrale. Cet
épisode me prouva, si je ne l’avais pas encore compris, que j’étais
bien son objet car à quinze heures trente j’attendais toujours devant sa
maison. Il m’avait oublié !

De sa nouvelle paroisse, il m’écrivait régulièrement m’invitant à venir


le visiter. Lors d’un stage pendant mes études d’aide-soignant, je
répondis à son invitation espérant qu’enfin il ne recommencerait plus
à abuser de moi. Hélas ! Il me prenait toujours pour un enfant en me
prenant sur ses genoux et recommençait d’abuser de moi. Je pensais
être aimé mais était-ce cela l’amour ? Il m’aimait ? J’étais donc
toujours son pantin.
Avant le décès de mon curé, ce dernier avait pris l’initiative de me
payer les frais de mes études au collège. Ses dernières volontés
données à sa famille furent de payer mes études quoique je fasse, si
bien que j’avais toujours en tête, malgré les actes ignobles du vicaire,
de devenir un jour prêtre. La seule chose faisant obstacle à mes yeux,
était de prêcher. Le comportement du vicaire Hubermont à mon égard,
en était certainement la cause. J’étais très renfermé. Je me voyais
plutôt moine et quelques personnes, pour me taquiner gentiment, me
parlaient souvent de la Trappe.
A cette époque pourtant, le suicide me tentait plus encore.

35
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Au risque de passer pour un blasphémateur : mon existence, je la dois


à Dieu. Rien de choquant, sauf que pour moi ce Dieu devait être réel
et toujours à mes côtés. Lorsque j’étais à Aubange, cette présence, je
l’avais en allant à l’église quand je le voulais, même la nuit. Je savais
que Dieu avait pitié de moi. Dieu était là, présent, dans le tabernacle.
Mais quand je dus aller au collège, mon seul secours était d’avoir dans
un tout petit ciboire, une hostie consacrée que je portais dans mon
cartable. Le soir dans ma chambre, je plaçais Jésus dans mon armoire
bien respectueusement. C’était mon secours, ma force et mon soutien
pour vivre5. Le vendredi soir, de retour au village, je remettais l’hostie
consacrée dans le tabernacle.

Début 1991, fut aussi la période de changement d’évêque. Dans la


région d’Aubange, les prêtres disaient régulièrement :
– Pourvu que ce ne soit pas l’abbé André Léonard qui devienne
évêque !
Ces commentaires me semblaient injustes et indignes d’hommes
d'Église. Je pris l’initiative de lui écrire, là où il était président du
Séminaire pour lui dire que j’entendais ces réflexions et qu’il pouvait
compter sur ma prière afin qu’il devienne évêque. Je profitai de ce
courrier pour lui dire mon désir d’être un jour prêtre et aussi de lui
parler des agissements du vicaire. Le jour du baptême de mon petit
frère, l’abbé Léonard fut consacré évêque. Très vite après son
ordination épiscopale, il vint à Aubange pour célébrer les
confirmations et fit ma connaissance. Après la messe, les prêtres de la
région l’attendaient pour un repas. Monseigneur Léonard m’invita
dans sa voiture, garée devant l’église et ce, aux yeux de tout le monde.
Nous y restâmes plus d’un quart d’heure pour discuter. Il voulait en
savoir plus sur moi, me parlant du courrier que je lui avais envoyé
quelques mois plus tôt et il me dit :
– Tu m’as parlé dans ta lettre de l’abbé Hubermont. Mais, je ne le vois
pas ici !
Je lui fis savoir qu’il avait été déplacé quelques semaines plus tôt.
Concernant ma vocation, il me dit de prier pour qu’elle se réalise. Il
s’enquit de savoir en quelle année d’étude j’étais, et de me dire de tout
faire pour bien étudier afin d’avoir mon diplôme. Nous allâmes
rejoindre les prêtres pour le repas. M. le Curé De Coster avait eu la
5 Devise de Mgr Mathen: « Dominus adjutor meus. », « Le Seigneur est ma force. »
36
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

gentillesse de m’inviter aussi autour de la table. Monseigneur Léonard


m’embrassa devant tous ces prêtres pour me dire au revoir. J’étais
immédiatement catalogué comme un pro-Léonard. A partir de 1992, je
passai aussi mon temps libre à faire du bénévolat au sein de la radio
locale : radio lorraine. J’enregistrais les messes du samedi soir pour
les diffuser le dimanche matin sur les ondes. A ce moment-là, M. le
Curé mit à ma disposition une pièce dans un bâtiment paroissial. C’est
là que je restais souvent afin d’étudier. Comme rien n’est gratuit, je
devais faire office de surveillance, nettoyer les escaliers de
l’immeuble et payer ma consommation de chauffage !

Je gardai le contact par courrier avec Monseigneur Léonard et vers la


fin de ma sixième professionnelle, je lui demandai de pouvoir entrer
au séminaire pour devenir prêtre. Il refusa et me demanda de
poursuivre mes études pour avoir le diplôme de fin d’études. Il me
proposa durant cette année d’étude d’aller quelques fois chez un
psychologue et chez un prêtre dans une abbaye afin de parler de ma
vocation. Ce que je fis. Monseigneur Léonard insista pour que je
puisse obtenir ce diplôme car j’avais un seul examen de passage en
luxembourgeois et pour lui, posséder le diplôme était l’unique
condition pour entrer au Grand Séminaire.

J’eus ce diplôme et fus fier de demander mon admission comme


séminariste.

37
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

«Être adulte,
c’est être seul. »
Jean Rostand

Le Séminaire

(1994-1997)

Une nouvelle vie s’offrait à moi. J’allais vivre dans une grande ville
et être séminariste ! Je retrouvais une raison de vivre. Enfant de chœur
à l’époque de mes anciens prêtres, j’étais choyé, j’étais heureux.

Joël au Séminaire à l’âge de 21 ans.

38
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

L’époque du vicaire abuseur m’avait rendu triste et introverti. Étant


séminariste, je ressentais en moi-même un grand honneur renforcé par
l’admiration de mon entourage. Pour m’accueillir, le Grand Séminaire
mit en place une année de discernement appelée propédeutique. La
famille de mon ancien curé se chargea d'une grande partie des frais
occasionnés durant mes trois années passées là-bas.
Les weekends, je retournais à Aubange pour servir les messes et
m’occuper de la diffusion de la messe à la radio.
Au Séminaire, je choisis le frère de Mgr Léonard, comme directeur
spirituel et confesseur. Le directeur du Séminaire m’envoya chaque
semaine voir un psychologue. J’y allais en train à mes frais et je
devais payer ma thérapie, imposée par le Président du Séminaire pour
sortir de ma timidité. Je pouvais me permettre ces dépenses avec
toutes mes économies et mes jobs de vacances d'aide-soignant dans la
maison de repos de mon village. On m’envoya chez un drôle de
psychologue. Sa méthode thérapeutique était la suivante : je devais
m’allonger sur le divan pendant trois quarts d’heure. Il me demandait
de sentir mon cœur battre au bout de mes doigts et de fermer les yeux.
Pendant ce temps, je l’entendais croquer les glaçons de son coca.
D’autres fois, je pouvais sentir le repas qui se préparait dans sa
cuisine. Après trois quarts d’heure, il m’interpellait pour me demander
si j’avais bien entendu mon cœur battre au bout de mes doigts. Je lui
répondais une fois oui, une fois non ! Pour lui, ma réponse n’avait pas
d’importance. Son seul souci était de me réclamer les honoraires6 et de
me fixer un autre rendez-vous. Au séminaire, je n’étais pas heureux. Je
sentais une certaine animosité de la part des professeurs. Il est bon de
souligner qu’ayant choisi comme « père spirituel » le frère de sang de
Mgr Léonard, cela n’était pas à mon avantage. De fait, Mgr Léonard
avait fermé -dès son arrivée comme évêque du diocèse de Namur- une
grande partie du Séminaire, car les professeurs ne dispensaient pas à
ses yeux de « bons cours ». Mgr Léonard plaça son frère au Grand
Séminaire comme responsable de la section de propédeutique où
j’étais, cela en 1994. Cette nomination ne plaisait pas du tout aux
autres professeurs, pensant que le frère de l’évêque était là comme
‘espion’. Les séminaristes qui allaient se confier auprès du chanoine
Léonard ont tous eu des ennuis. De plus mes camarades séminaristes
me traitaient toujours comme un petit enfant. On m’appelait sans
6 Au passage, il est bon de souligner que je ne recevais aucun reçu pour ces paiements d’honoraires.
39
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

cesse : « le petit Jojo ». Et encore, bien qu’ayant eu de bons points lors


de mon année de propédeutique, les cours de ma première année de
philosophie me furent étalés sur deux ans pour le motif que j’avais du
mal à étudier et que je n’avais pas fait de cours de rhétorique
classique. Tout cela pour me décourager ! Chaque semaine, nous
devions rencontrer notre directeur spirituel et nous confesser. J’en
profitais pour parler de ce que le vicaire avait fait sur moi enfant dans
mon village. Il n’y eut pas de suite car mon confesseur pensait que
l’affaire avait été réglée, puisque l’on m’avait accepté au Grand
Séminaire. Il me l’apprit plus tard, étant fort surpris de l’absence de
réaction de sa hiérarchie. A force d’aller régulièrement chez le
psychologue et de constater l’inefficacité de sa « thérapie », je
demandai à mon directeur spirituel s’il ne serait pas bon que je lui
parle des abus subis par le prêtre pédophile. Sa réponse me rassura:
– Mais, bien sûr ! Tu aurais pu lui en parler depuis longtemps.

Je pris donc mon courage à deux mains et me mis à parler de ces


méfaits à mon psychologue au début de 1996.

A l’issue de mon exposé, il prit un long moment à me répondre :


40
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

– Oui. C’est très grave !


Il avait l’air réellement embarrassé. Il me conseilla d’en parler au
vicaire judiciaire.
Ce que je fis…Il me reçut et me dit:
– Oui, c’est très grave ! Il faut que tu en parles au directeur du
Séminaire.
Ce que je fis…Le prêtre m’écouta avec attention, avant de conclure :
– Oui ! Voilà qui est très grave ! Il faudrait que tu en parles à l'Évêque.
– Je l’ai fait.
– Ah ! Et qu’a-t-il répondu ?
– Rien…
– Je vois, oui…Je lui en toucherai un mot.
Le temps s’écoula et je n’entendis plus rien de mes démarches. Un
jour cependant, je croisai le vicaire judiciaire dans les couloirs du
Séminaire :
– Il y a un problème dans ton histoire. Le prêtre nie les faits !
Je vous ai avoué être introverti, timide et d’une grande fragilité
affective. Je ne vous ai pas dit une autre de mes caractéristiques : je ne
jette rien et conserve tout. Ma réponse au vicaire judiciaire fut donc
très naturellement :
– Ce n’est pas grave. Je retourne ce week-end dans mon village et
vous rapporterai la correspondance du vicaire.

Ce que je fis…
Je fus invité à l’évêché pour y faire une déposition au tribunal
ecclésiastique. Je leur fis un exposé détaillé, mais empreint de
sobriété, tant la honte m’habitait. Je craignais également de mettre en
danger ma place de séminariste.
Quelques quatre mois plus tard, je fus convoqué une seconde fois à
l’évêché. Je fus soudainement mis en présence de mon abuseur, en
présence du vicaire judiciaire et de mon psychologue. Je disposais de
toutes les correspondances de l’abbé Hubermont. Je n’eus pas à
exhiber la moindre de ces pièces. Le vicaire avoua la totalité des faits.
Les larmes me montèrent aux yeux. Un aveu, devant des témoins
revêtus d’une véritable autorité, était une reconnaissance de ma
souffrance. Je vivais dans cette immense pièce -dite la salle des
portraits- une véritable délivrance. Une déclaration commune fut

41
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

signée à la fin de cette entrevue. L’on ne me donna ni copie de ma


déposition signée quelques temps plus tôt, ni copie de cette déclaration
commune où il y était fait mention de l’intervention de la part de
l’évêché ainsi que du prêtre pédophile dans mes frais de thérapie à
l’occurrence d’un tiers chacun.
Ce fait est important pour la suite de mon histoire, mais je me suis
naïvement contenté de cette reconnaissance du préjudice causé et des
aides promises. J’ai eu tort.

Le vicaire judiciaire se mit même à genoux devant moi pour me


demander pardon au nom de l'Église et de me dire de ne pas porter
plainte devant la justice des hommes. D’ailleurs le pouvais-je étant
séminariste ? Si je le faisais, je savais que la sanction serait terrible : je
serais renvoyé immédiatement.

Je continuai à payer moi-même intégralement mes thérapies ainsi que


les frais de transport. Quand je demandai au vicaire judiciaire
-professeur au Séminaire- à quel moment l’accord serait mis en
pratique, il me répondit :

– Continue à payer tout toi-même, on verra après.

J’étais bien découragé durant cette période et guère soutenu. Je ne


retournais que très rarement au village car je n’avais plus de raison
majeure. En effet, on m’avait renvoyé de la radio locale pour le motif
que je passais trop d’enregistrements de l’évêque. Les dirigeants
m’avaient averti quelques fois de ce désagrément, me parlant de
nombreuses plaintes parvenues au sein de la radio. Elles émanaient
surtout du clergé local, selon la rumeur. Personne n’a pu exhiber une
seule de ces plaintes. L’évêque m’encourageait dans mon travail de
diffusion de « sa parole ». Il alla même jusqu’à soutenir la radio
financièrement ce qui freina quelque peu l’ardeur des dirigeants à me
renvoyer. Pour moi, l’évêque était la personne en qui j’avais mis mon
estime, sachant que lui m’aimait. Mais pour les responsables de la
radio, cette situation les énervait. Ils m’éjectèrent comme un
malpropre de leurs micros, malgré toutes les heures passées
gratuitement à leur service. Je restai donc presque tous les weekends

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

au séminaire et j’allais chez les petites Sœurs des pauvres effectuer le


travail d’aide-soignant de manière bénévole. J’allais aussi chez un
vieux prêtre, pour servir les messes. Je l’aidais de mon mieux et il
m’invitait de nombreuses fois à sa table. Très souvent, surtout le
dimanche soir, j’allais à la cathédrale. Le sacristain de la cathédrale
avec qui je m’entendais très bien, voulait de temps en temps passer
son dimanche avec sa famille et me demandait de le remplacer pour
les offices à la cathédrale. Il me donnait régulièrement les clés de sa
maison. Sa femme me préparait un bon repas et j’étais là comme chez
moi. Je retrouvais là une ambiance chaleureuse et familiale.

Durant mes trois années de Séminaire, pour avoir de l’argent de poche


et payer mes frais de psychologue, j’allais travailler dans un
hypermarché. J’avais répondu à une annonce parue dans un journal
local. Ce magasin recherchait des étudiants. On m’engagea
immédiatement, par téléphone. Arrivé sur place, le gérant s’exclama :
– Holà…! Nous pensions que vous étiez une demoiselle ! C’est un
poste de caissière qui est disponible.
Il se mit à rire, puis continua d’un ton amusé :
– Bon, ce n’est pas grave !
Il me donna le poste pour mon mois de travail.
Ce n’était pas la première fois que l’on se moquait de ma voix ! Même
au Séminaire, mon directeur spirituel me faisait des confidences disant
que tel ou tel prêtre après les offices où j’avais fait la lecture,
demandait :
– Tiens ! C’est qui la demoiselle qui a lu aujourd’hui ?
Ces moqueries de la part de ces prêtres professeurs me faisaient
beaucoup de peine. J’avais plus de difficultés que les autres pour
étudier. D’ailleurs, le Directeur des études me prenait régulièrement
dans son appartement afin de mieux assimiler la matière de ses cours.
J’aimais la philosophie et la logique. Un jour, j’ai osé dire à ce
professeur devant mes camarades de cours que son calcul énoncé sur
le tableau n’était pas juste : j’avais trouvé autre chose. Il vint près de
moi, regarda ma feuille et me dit d’aller exposer ma logique au
tableau. Il me félicita devant l’assemblée, car lui avait raison dans sa
logique, mais moi aussi ! J’étais fier ! Je me rappelle aussi que, lors

43
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

d’un examen oral du professeur d’Histoire des religions, je ne savais


pas répondre à une question. Il m’interpela de manière agressive :
– Même mon chat saurait répondre !
Cela me renferma complètement alors que les mots de la réplique
explosaient dans ma tête. Je voulais lui répondre :
– Oui mais votre chat ne s’est jamais fait violer par un prêtre !
Mais les mots ne sont pas sortis de ma bouche. Je n’avais pas de
bonnes notes et une telle réponse aurait sans doute empiré ma
situation.
Je m’étais attaché à un séminariste qui m’aidait à réviser mes cours et
à faire des résumés. N’ayant pas l’affection minimale de mes
professeurs prêtres, j’ai donc recherché l’affection d’un camarade. Et
lorsque le weekend, il retournait chez lui, je lui écrivais des petits
mots sous sa porte. Un jour, le directeur du Séminaire me convoqua
dans son bureau où se trouvait également le vicaire judiciaire. Ils me
dirent qu’ils avaient trouvé la correspondance adressée au séminariste
en question. Je cherchais de l’affection, mais sans me douter que la
« machine » allait trouver en cette occasion, le moment le plus propice
de m’écraser.

Ils me donnèrent une feuille de papier et un stylo, et me dictèrent ce


que je devais écrire :

« Je soussigné, Joël Devillet, reconnais, en pleine liberté et sans


aucune pression de qui que ce soit entretenir depuis plusieurs mois
une relation ambiguë avec N., auquel j’ai écrit des lettres manifestant
ma jalousie amoureuse. Dernièrement je suis allé passer une demi-
heure chez l’abbé Hubermont ressentant un manque d’amitié… ».7

Voilà : les mâchoires de l'Église s’étaient resserrées. Elles n’allaient


plus cesser de cacher l’horreur, de la minimiser si elle était
découverte, de jouer de toute l’hypocrisie dont elle est si capable et de
manipuler les instruments du pouvoir.
Je croyais encore en écrivant les phrases dictées, sauver ma profession
de foi, mon espoir, ma vie.
7Le droit de l'Église dit pourtant ceci en son Canon 1538 – « Un aveu ou toute autre déclaration d'une partie n'a
aucune valeur s'il s'avère qu'ils résultent d'une erreur de fait ou qu'ils ont été extorqués par la force ou par une
crainte grave. »
44
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

J’ai signé ce document et l’on me fit part immédiatement de mon


renvoi dans les trois jours. Les faits étaient, aux yeux de mes
supérieurs, suffisamment graves pour justifier mon écartement du
Séminaire. Il me parait important sinon capital, de souligner que mon
camarade m’écrivait régulièrement lui aussi. Il n’a subi aucune
sanction et a été ordonné prêtre.8 Jamais les supérieurs du séminaire
ne me demandèrent si ce camarade m’écrivait aussi… Ce qui montre
bien qu’ils ne recherchaient pas la vérité, mais l’occasion rêvée pour
m’éjecter.

Joël et Jean-Paul II en 1996.


8 J’ai assigné Mgr Léonard en Justice. Ce dernier donna dans ses pièces « ma déposition », mais aussi la décision
du Séminaire de m’exclure. On y voit que cette décision d’exclusion a en fait, été prise 5 jours avant de
m’entendre ! Pourtant ce n’est que dans des pays totalitaires que l’on met les gens dehors sans même les
entendre. Même mon père spirituel, le chanoine Léonard n’a pas été au courant de la décision du Séminaire à
mon encontre. Ce qui est contraire à l’écrit donné par l’avocat de l’évêque pour se défendre lors de son procès et
signé par le président du Séminaire qui écrit que le chanoine Léonard est d’accord que l’on m’exclut. En 2000,
le chanoine Léonard m’écrivit -de sa main- suite à une lettre de ma part où je lui disais que l’abbé Hubermont
était venu chez moi à Bruxelles et m’avait dit que le Séminaire avait décidé de ne pas me garder car j’avais
dénoncé les abus : « Te laisser aller, sans rien te dire, jusqu’à la fin de l’année selon un projet bien déterminé
me scandalise… je ne puis que répéter : scandaleux. J’ignorais cette décision, parce que, comme tu le sais,
j’avais été exclu du monde des autorités. L'Église n’est pas toujours belle à voir. Elle est sainte, j’y crois
fermement, d’une sainteté qui lui vient du Christ, et que les saints et ceux qui leur ressemble manifestent au
monde. Mais que de défaillance chez ses membres…nous deux y compris ! Les Pères de l'Église l’appelaient :
« La chaste courtisane. » Chaste, oui, dans la mesure où, par la grâce du Christ, elle fait effort pour cesser
d’être courtisane. »
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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Le président du Séminaire et l’évêque savaient ce que j’avais vécu


enfant. On m’obligeait à suivre une thérapie pour une raison précise
mais fort gênante pour l'Église. Ils profitèrent donc de cette
opportunité pour me chasser loin de leur vue. Le comble fut atteint dès
le lendemain. Ce cher évêque, Mgr Léonard, vint me trouver au
Séminaire et me dit les larmes aux yeux, qu’il n’admettrait jamais la
décision prise la veille. Il me recommanda de travailler un an ou deux
en me renforçant d’une expression bien connue du monde de l'Église
face à quelqu'un de gênant : « Tu as besoin d'une expérience dans le
monde! ». A l’issue de quoi, il me reprendrait comme séminariste car
ceux qui avaient voté mon départ ne seraient plus là. Il me proposa
d’entrer à l’Abbaye de Leffe et de poursuivre, dès la rentrée, les cours
au Séminaire. Je lui rétorquai que pour moi c’était impossible du fait
qu’un prêtre professeur m’avait donné les noms de ceux qui avaient
voté pour et contre moi lors de mon éviction. Je m’y rendis quand
même par curiosité et par dépit.

46
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

La première question que le Père Abbé me posa fut :

– Combien de fois par jour joues-tu avec ton zizi ?

Je répondis par un sourire. Mais, dans ma tête, je savais fort bien que
je ne voulais passer mes jours dans cette abbaye. Le Séminaire et
l'Église ne sont peut-être pas la cage aux folles mais de là à être un
sanctuaire d’hommes asexués, pétris de surnaturel…
Combien de petits mots d’amour n’ai-je pas reçu sous ma porte de la
part de collègues séminaristes lors de ma formation ? Au cas où les
auteurs de ces missives voudraient rafraîchir leur mémoire, je les tiens
encore à ma disposition. J’en joins deux en annexe. Je vous l’ai dit : je
garde tout soigneusement et méticuleusement.

La légèreté des faits pour lesquels je fus expulsé du Séminaire, n’a


évidemment rien à voir avec la détermination de la hiérarchie
catholique à vouloir m’éliminer de leur milieu. Je pense aujourd’hui
que tout a été tenté pour me réduire au silence. Je crois pouvoir dire
que leur jugement était erroné. Mon raisonnement me partageait
toutefois entre croire en la promesse de l’évêque et faire le deuil de
toute possibilité de devenir prêtre, avec pour modèle mon curé de
toujours. Ayant un diplôme d’aide-soignant en poche, j’écrivis à
plusieurs maisons de repos et hôpitaux ayant la promesse de l’évêque
de reprendre ma formation bientôt.

47
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

«Passer pour un idiot


aux yeux d’un imbécile
est une volupté de fin gourmet. »
Georges Courteline

L’attente et la prise de conscience

(1997-2001)

J’avais eu la grâce de pouvoir rester quelques semaines de plus au


Séminaire, par l’intervention autoritaire de l’évêque, mais seulement à
la condition de payer mon loyer (125 euros par mois, payables
d’avance !)
A l’abbaye, je ne suis resté que quelques jours, faisant des travaux de
jardinage. Ma vie n’était pas là.
Je me rendis chez Monseigneur Léonard. Je disposais d’un grand
nombre de courriers d’employeurs regrettant n’avoir aucune place
dans l’immédiat, mais me promettant de figurer en bonne place dans
leur liste d’attente. J’aurais aimé que mon évêque prenne l’initiative
de me faire embaucher quelque part. Sa réponse me déçut :
– Je prie pour toi, tu vas trouver.
Je me retrouvais à nouveau seul avec moi-même. Les petites Sœurs
des Pauvres auprès desquelles j’avais donné des heures et des heures
de bénévolat durant mes années de Séminaire répondirent à ma
demande d’embauche d’aide-soignant :
– On t’aurait bien pris, mais on n’engage pas d’hommes !
L’évêque aurait pu prendre son téléphone et me faire engager pendant
quelques temps dans telle ou telle institution. Il ne me fit que des
promesses de prières !
Je passai au-delà de cette déception, m’accrochant à la promesse de
retrouver le Séminaire. Trouvant une annonce dans un journal, je
postulai pour un emploi d’aide-soignant à Bruxelles. Ce fut mon
premier emploi et il fallait être interne. J’étais réellement sous-payé.
Le Ministère du Travail intervint et condamna mon employeur à me
48
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

payer la différence entre le statut normal et celui injuste, auquel


j’avais été embauché. C’est sans doute le début de ma rébellion contre
l’injustice. Je pouvais sans doute supporter les manœuvres de
dissimulation et d’hypocrisie de l'Église, mais je ne pouvais concevoir
d’être éternellement la victime d’un système écrasant. J’ai donc, en
raison de mon passé, refusé de me laisser faire. Mon impression est
que le Ministère du travail accepta très naturellement mes arguments
et me rendit justice. Je n’avais pas connu cette simplicité auparavant.
Je vivais donc les prémisses de la connaissance des arcanes complexes
de la justice.
Je trouvai un autre emploi toujours comme aide-soignant et je dus
trouver un logement à Bruxelles. Je finis par dénicher une petite pièce
dans un sous-sol avec un coin sanitaire, un coin cuisine et juste la
place pour un lit.
Durant ma période au séminaire, j’avais répondu une ou deux fois à
l’invitation de mon ancien vicaire abuseur. Je voulais enfin savoir si
au travers de toutes ses turpitudes, il avait appris à me respecter, à
considérer ma vocation pour la prêtrise et allait par-delà ses aveux
écrits, cesser de me considérer comme un objet, un objet sexuel. Ma
dernière visite me conforta dans l’horreur putride d’un personnage
glauque. Il n’avait rien compris et voulut encore profiter de sensations
charnelles. Je devais guérir de mes rêves, de toute la somme de mes
aspirations les plus profondes.

L’abus me paraît plus important sur le plan intellectuel. La trahison est


totale par rapport aux aspirations innocentes de ma jeunesse. Pour
moi, être prêtre représentait la mise d’une vie au service des autres et
non l’exploitation de ma faiblesse pour les pulsions sexuelles d’un
pédophile. Le sacerdoce était le sacrifice de cœurs au regard de Dieu
et non, la perfidie, l’hypocrisie, la dissimulation, et toutes autres
formes de compromission inacceptable pour une institution prônant le
paradis des âmes.

L’abbé Hubermont est un être abject. Je n’ai pas peur de le dire 9. Lors
de ses aveux, il avait promis de m’aider pour mes frais de thérapie,
9 Sœur Emmanuelle qui a vécu parmi les tas d’ordures, les rats et les cochons pour aider les plus faibles a en
1988 dit une belle définition de l’homme mauvais : « L’ordure, c’est le cœur de l’homme qui justement est
devenu dur, c’est le cœur de l’homme qui se ferme, qui ne sait pas aimer, c’est le cœur d’un homme qui écrase
les autres pour lui, ça c’est la vraie ordure ». Mon abuseur a participé et participe à la médiocrité de ce monde!
49
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

admettant sa responsabilité dans les troubles comportementaux qui me


hantent. Il n’a jamais mis cette promesse en pratique. Parlons-en.

Je travaillais certes, mais sans gagner de quoi m’offrir les honoraires


de spécialistes en thérapie. N’avais-je pas l’engagement d’être aidé
financièrement ?

Je continuais à correspondre avec mon abuseur, ainsi qu’avec l’évêque


et le vicaire judiciaire pour voir les modalités pratiques de cette
promesse d’aide. A chaque fois, je n’avais droit qu’à des courriers me
disant d’attendre et me faisant toujours croire à une proche
réintégration au Séminaire. L’évêque m’écrivait qu’il croyait à ma
vocation et que je serais un jour aussi un saint prêtre dont l'Église et le
monde avaient besoin.
J’étais seul à Bruxelles face à moi-même dans un trou à rats ! Une
seule pièce en sous-sol, sombre et exiguë ! J’avais invité mon ancien
prêtre abuseur un jour à venir me voir. Il s’assit sur le lit et me
demanda combien je payais de loyer. Je lui répondis 250 euros et il me
dit que ce n’était pas cher. Je ne lui ai même pas offert à boire. On
n’est pas allés au restaurant. Il est parti directement. J’avais la preuve
qu’il me prenait pour un imbécile. Les prêtres aident souvent des
inconnus. Moi, enfant, j’avais été sa victime et il n’avait jamais réparé
ses fautes. Je l’invitais à voir ma situation précaire et sa seule réponse
était de dire :
– Tu es bien !

J’avais écrit au Ministre de la Justice pour lui parler de mon vécu, lui
disant que je ne recevais que des promesses du monde ecclésiastique.
Il me répondit qu’il y avait en Belgique la séparation des pouvoirs
entre l'Église et l'État, et que la seule solution était de prendre un
avocat et de porter plainte.
Jamais, je n’avais eu à faire à la justice. C’est donc par courriers
adressés à l’évêque, au prêtre abuseur et au vicaire judiciaire que
j’essayais d’avoir réparation. Je fus nourri de promesses mais remisées
dans une salle d’attente.
J’eus la chance de trouver un autre logement à Bruxelles à moindre
coût et j’invitai à nouveau le prêtre pédophile à venir voir ma nouvelle

50
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

demeure, fier d’avoir pu trouver mieux sans son aide, ni celle de


l'Église. Je voulais qu’il constate une reprise en main, une certaine
réussite, me donnant plus de pouvoir de domination à son égard. Je
sais, c’est sans doute difficile à comprendre, mais je ne pouvais
échapper à la tentation de confronter mon bourreau à mon
rétablissement progressif. Il devait penser à la menace de mon
redressement psychologique. Il ne me dominait plus et s’attendait aux
pires conséquences. Il s’installa dans mon divan et suite aux nombreux
courriers de réclamation concernant l’aide psychologique, il mit la
main dans son veston et voulu me donner de l’argent.
(J’appris pendant le procès pénal, que ce montant s’élevait à 250
euros). Je refusai, lui rétorquant que s’il voulait me donner de l’argent,
il devait m’être versé de manière officielle sur mon compte en banque.
Il s’étonna de cette réaction aussi ferme. Je pense que c’est la première
fois où j’ai pu le dominer et retrouver mon honneur. Il est inutile de
vous confier la fierté, mais aussi l’émotion ressentie en ces moments.
Mon violeur a vacillé, pour la première fois de mon existence d’objet
sexuel. Je crois avoir trouvé les mots justes :
– Je ne suis pas une prostituée, ni un mendiant !
Je connaissais tellement le pouvoir de celui qui donne de l’argent sur
celui qui l’accepte. Combien de fois aurait-il répété ce geste ? Je
connais la réponse : une seule.

C’est durant cette même période que suite à mes courriers demandant
l’intervention promise pour mes frais de thérapie10 que le vicaire
judiciaire me répliqua ceci:
– Que tu ailles chez la psychologue ou pas, on s’en moque, ce n’est
plus notre affaire !

Tout ceci devant le saint sacrement à la cathédrale, à l’issue d’une


messe que je venais de servir !

Je me précipitai auprès de mon ancien confesseur, le frère de l’évêque.


Il obtint un rendez-vous avec Mgr Léonard, dès le lendemain matin.
Cette rapidité me réconforta. Il n’était plus possible de repousser
éternellement les échéances, ni les mesures promises. Je ne gagnais
10 J’avais en effet trouvé une nouvelle psychologue à Bruxelles qui s’étonnait du fait que je devais payer ma
thérapie et que mon abuseur et les autorités de l'Église se dédouanaient sans cesse.
51
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

vraiment que le minimum vital. Et puis, une promesse ne mérite-t-elle


pas d’être simplement honorée ? Je pris congé pour rencontrer Mgr
Léonard. J’attendais beaucoup de cette rencontre et au risque de me
répéter, la simple exécution d’une promesse écrite, faisant suite aux
aveux complets de l’abbé Hubermont.

Monseigneur me déclara, la tête droite, le regard franc :


– Il faut comprendre le vicaire judiciaire. Tu tournes trop autour de la
cathédrale. Essaie de ne plus fréquenter ce milieu !
Pour achever cette entrevue surréaliste, l’évêque me bénit sur le front
et me renvoya à mes occupations. Je vécus cette entrevue comme une
frustration de plus, dans ma conviction religieuse. Entêté, j’allai
pourtant le retrouver quelques mois plus tard. Le doute avait envahi
toutes les parties les plus solides de ma conviction à servir Dieu. Je
devais savoir si j’avais été le jouet sexuel de l’abbé Hubermont et
parallèlement, le jouet intellectuel de Mgr Léonard. N’avait-il pas
promis de me reprendre au Séminaire, à l’issue d’une expérimentation
du monde extérieur ? Je m’attendais à sa réponse, mais elle attisa ma
colère et commanda les actions en justice, menées par la suite.
– Je n’ai jamais dit ou promis cela !

C’est à ce moment précis que je pris conscience de l’ampleur de leur


manipulation. Je la devinais, ayant perdu au fil des épreuves une
innocence d’ailleurs difficile à faire comprendre. L’heure de la
rébellion avait sonné. J’allais trouver le frère de Mgr Léonard en qui
j’avais maintenu ma confiance, pour de multiples raisons inutiles à
expliciter ici. Je lui exposai mes sentiments et mes frustrations ainsi
que cette impression d’avoir été pris pour un imbécile, durant toutes
ces années.
Le frère de l’évêque me répondit avec une réelle sincérité et beaucoup
de compassion :
– Tu n’as plus rien à espérer d’eux. Il n’y a plus qu’une seule chose à
faire : porter plainte.
– Porter plainte contre l'Église ? Demandais-je.
– Oui ! C’est ta seule solution contre le mensonge, la vilenie, la
compromission et l’hypocrisie. Bats-toi.
– Mais…

52
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

– Dépose plainte. Crois-moi !


J’étais à la fois agréablement surpris de la réaction de mon confesseur,
mais également déterminé à ne pas assister à l’enterrement de mon
drame.
J’en parlai à ma nouvelle psychologue qui me dit la même chose. Elle
me fit rencontrer un avocat que j’ai choisi pour me défendre.

53
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

"Selon que vous serez puissant


ou misérable, les jugements de cour
vous feront blanc ou noir."
Jean de La Fontaine

Les procès

(Pénal et civil contre le prêtre)

2001-200…

J’étais à présent déterminé à me faire respecter. J’expliquai


longuement la situation à mon avocat. Pour lui, il y avait un risque
certain de classement sans suite de ma plainte, car à part les courriers
que le prêtre m’écrivait lors des méfaits, je n’avais rien d’autre.
Mon avocat me proposa donc, compte tenu de la faiblesse du dossier à
produire et de l’ancienneté des faits, d’écrire directement par son
entremise à l’évêché en demandant réparation. Il ne me cacha pas
espérer que par peur du scandale, l’évêque et le prêtre abuseur fassent
un geste concret.
Je n’acceptai pas cette proposition car j’avais déjà cru pendant des
années à leurs promesses non tenues, et je savais à présent qu’ils
temporisaient afin que la prescription arrive.
Je cessai d’avoir confiance en eux et même en l’humanité. L’évêque,
par son attitude de mensonge, de protection du prêtre abuseur et de
non-assistance à la victime que j’étais, avait réussi à me faire perdre la
foi. J’étais ébranlé par le poids de cette injustice, de toute cette
perfidie. En cette période de doutes profonds et de désespoir, je
reportai toute mon affection vers un petit chien. Je crois que je lui dois
la vie.

54
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Je suis né en juin 1973 et le délai de prescription pour des faits de


pédophilie est de dix ans après la majorité de la victime. Je me
constituai donc partie civile en avril 2001 et j’entamai un procès au
pénal contre le prêtre pour: attouchements, viol et toutes autres
infractions. Deux mois plus tard, deux agents de la police judiciaire
vinrent m’interroger à Bruxelles au sujet de ma plainte afin d’établir le
modus operandi. Un mois plus tard, l’évêque eut droit à une
perquisition concernant mon affaire.
Les cinq policiers, lors de la perquisition, furent accueillis par le
vicaire général qui déclara l’évêque absent. Le prêtre leur dit avoir
entendu parler des affaires de mœurs concernant l’abbé Hubermont
mais ne pas en détenir de dossier, à part un dossier administratif.

Pour reprendre les termes se trouvant dans le procès-verbal de


perquisition rédigé par les policiers : « …sans désemparer, nous nous
sommes rendus Place du Chapitre (au domicile de l’abbé Huet). Ce
dernier dit aussi avoir été informé de faits de mœurs concernant le
prêtre Hubermont; allant même jusqu’à dire qu’il était au courant
d’autres faits de mœurs dans une autre paroisse, mais que rien n’avait
filtré jusqu’à l’évêché.
Pourtant, le prêtre a dû quitter cette paroisse en quinze jours et
toujours actuellement, n’a plus le droit d’y mettre les pieds (du moins
dans l’église). Malgré les paroles des deux prêtres adjoints de l’évêque
disant n’avoir pas de dossiers concernant le prêtre abuseur, les
policiers repartirent de cette perquisition avec onze documents ne
concernant que mon affaire. Ce qui démontre que l'Église ne coopère
pas avec la Justice !
Je fus auditionné par le juge d’instruction qui me demanda à son tour
de lui parler des agissements du prêtre sur ma personne. Je le fis avec
l’impression d’être entendu et compris. La police interpella l’abbé et il
ne tarda pas à faire des aveux complets. Il reconnut l’ensemble des
accusations portées contre lui et figurant dans mon audition.
Cependant, quelques semaines plus tard, il redemanda une audition à
la police, sans doute sur les conseils de son avocat et revint sur ses
aveux relatifs aux fellations, ne les datant qu’à partir de ma majorité.

55
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

En effet, selon la loi, le viol est tout acte de pénétration sexuelle sur
une personne qui n’y consent pas.11 La Substitut du Procureur du Roi
lui rétorqua lors d’une audience :
– Vous l’abusiez presque tous les jours et vous auriez attendu le jour
de sa majorité pour faire des fellations ?
L’acte d’inculpation fut rédigé de la manière suivante : « Qu'eut égard
à l’existence d’indices sérieux de culpabilité, il est inculpé d’avoir, à
diverses reprises entre 1988 et 1994 commis le crime de viol étant tout
acte de pénétration sexuelle sur une personne qui n’y consent pas, en
l’espèce sur Joël Devillet, né le 7 juin 1973 (art. 375 du code pénal). ».
Dans le réquisitoire, outre toutes les accusations concernant mon
affaire, il y avait en cinquième lieu, le fait que le prêtre avait commis
aussi des attentats à la pudeur sur un mineur d’âge de moins de seize
ans.
En effet, lors de mon audition auprès du juge d’instruction, ce dernier
me demanda si j’avais connaissance d’autres faits. Il était évident que
oui ! Combien d’enfants n’avais-je pas vus sur les genoux du prêtre ?
Je relatai également cette fois où le prêtre nous invita, moi et deux
autres jeunes à aller au carnaval de Binche. Nous avions quatorze ou
quinze ans et au retour du carnaval comme nous avions plein de
confettis sur nous, le prêtre nous donna chacun à son tour le bain. Je
me rappelle encore de la scène là-bas, où il m’avait pris sur les genoux
sur un banc public à me caresser. Et aussi, ses caresses et masturbation
dans la voiture sur le chemin du retour, pendant que les deux autres
jeunes dormaient à l’arrière de la voiture. J’avais aussi donné au juge
le nom de deux jeunes du village qui furent après cela auditionnés par
la police. L’un deux, celui repris dans le réquisitoire contre le prêtre,
dit ceci :
« Je ne me souviens que d’une chose, c’est lorsque nous étions en
voiture avec M. Hubermont et que nous nous trouvions sur le siège
passager, il arrivait qu’il nous frôle au niveau du sexe tout en
s’excusant d’être passé à côté du levier de vitesse en rigolant. Cela a
dû se passer deux ou trois fois, mais comme j’ai rouspété, ça ne s’est
plus reproduit. Je me souviens également avoir été en vacances chez
lui à Flawinne. Nous étions quatre et nous sommes partis une
semaine. Nous sommes également allés à Paris, à Disneyland, avec
11Dans le quotidien « La Meuse » du 13/02/2003 en page 9, un grand article relatait le procès. En sous-titre et
en gras dans l’article : « Il reconnaît les fellations et les actes de masturbation, mais pas les viols ou les
tentatives. »
56
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

monsieur Hubermont. Nous logions dans un camping, je pense que


nous avions une seule tente pour nous tous. Ces activités étaient
payées par monsieur Hubermont. ».

Il est bon de souligner que ce procès contre le prêtre dérangeait la


hiérarchie de l'Évêché au plus haut point. Tous les moyens furent
utilisés par le Conseil du prêtre afin de mettre à néant le procès. Trois
requêtes furent déposées de leur part au Parquet. Deux refusées, une
pour consulter le dossier et une pour des devoirs complémentaires ;
cela dans des délais non légaux. Je reprendrais quelques propos de ces
requêtes :

«– Attendu que le prévenu a déjà depuis de nombreuses années prit


conscience de la gravité des faits, qu’il suit à cet égard une
psychothérapie et qu’il occupe actuellement un emploi.
– Attendu que monsieur Hubermont risque de perdre son emploi car
il pourrait ne plus être crédible, en cas de publicité des débats, 12 vis-
à-vis des personnes qu’il aide à se réinsérer.
– Qu’en effet, les pensionnaires de Banalbois en lisant les journaux
constateront les faits qui sont reprochés au concluant et celui-ci en sa
qualité d’assistant social ne serait plus du tout crédible.
– Qu’il est indispensable qu’il n’y ait aucune trace du présent
dossier dans son casier judiciaire.
– Que si le requérant dit encore la messe, il n’a plus de charge
paroissiale13 ».

Je fus, on le comprendra aisément, profondément choqué de prendre


connaissance de ce qui précède. Ce qui suit est encore plus scandaleux
au regard de la victime que je suis.

Il y est en outre écrit :


«– Que le requérant a toujours suivi scrupuleusement la sanction et
les conseils qui lui ont été infligé par l'Évêché.14 ».

J’invite le lecteur à lire la lettre que l’évêque a adressée des mois plus
tôt au prêtre ! Lettre que je mets en fin d’ouvrage. En 2008, ce prêtre
12 Cela venait à demander le huis clos, nous l’avons toujours refusé !
13 10 décembre 2001 et 12 février 2003.
14 Nous ne devons pas avoir le même sens du mot « scrupuleusement » !

57
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

habitait toujours son presbytère ! Vous apprendrez -par les pages qui
suivent- que tous mes efforts ont pu mettre fin à cette infâme
protection.
La requête du prêtre pour audition de témoins fut acceptée. L’un
d’entre eux dit ceci : « Cela fait quatre ans qu’il est dans le village
comme prêtre. Je fais partie du comité de la Guimbarde qui est une
salle des fêtes. M. Hubermont s’est inscrit dans le comité comme
président et a pris le village en main. (…).15 ».
Mes demandes d’entendre des témoins furent refusées.
En 2002, la Chambre du Conseil correctionnalisa les faits. Durant les
séances du tribunal, le prêtre ne put nier les faits puisque de nombreux
documents s’étaient ajoutés à ma plainte grâce à la perquisition
effectuée chez le vicaire judiciaire.
Je dois informer le lecteur d’un détail fort important :
J’avais porté plainte contre le prêtre pédophile et non contre l’évêque !
Et c’est l’évêque et son vicaire judiciaire qui eurent droit à une
perquisition et non le prêtre. Serait-ce dû au fait que le père du prêtre
était haut gradé à la gendarmerie ?
En 2003, l’avocat du prêtre bataillait ferme pour dire que les faits
étaient prescrits, donnant au tribunal un arrêt de la Cour de Cassation
rendu quelques temps plus tôt dans une affaire similaire à la mienne et
disant que lorsque la Chambre du Conseil correctionnalisait des faits
de pédophilie pour le motif qu’il n’y avait pas eu d’antécédents de la
part du coupable, les faits n’étaient plus prescrits après dix ans mais
après cinq ans. Alors que le code de procédure pénale prévoit
ceci: «Dans les cas visés aux articles 372 à 377, 379, 380, 409 et
433quinquies, § 1er, alinéa 1er, 1°, du Code pénal, le délai de
prescription de l’action publique ne commence à courir qu’a partir du
jour où la victime atteint l’âge de dix-huit ans. En cas de
correctionnalisation d’un crime visé à l’alinéa précédent, le délai de
prescription de l’action publique reste celui qui est prévu pour un
crime .»
Mon avocat demanda au tribunal de poser une question préjudicielle à
la Cour d’arbitrage : « L’interprétation donnée par la Cour de
cassation aux dispositions relatives à la prescription, ne préjudicie-t-
elle pas les victimes selon que les juridictions du fonds suivent ou non
cette interprétation, étant donné que dans le premier cas, les faits sont
15 Tribunal Correctionnel d’Arlon, audience publique du 12 février 2003.
58
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

prescrits tandis que dans le second les faits ne sont pas prescrits et la
constitution de partie civile sort pleinement ses effets. ».

Mon avocat demanda également au tribunal la non-application de la


jurisprudence de la Cour de cassation : « La Cour de cassation en
considérant que les circonstances atténuantes affectent le crime dès
son origine et lui impriment rétroactivement le caractère d’un délit,
aboutit à une situation de traitement inégal et injuste pour la victime
d’abus sexuel qui au moment où elle a pris l’option de se constituer
partie civile ne connaissait pas encore cette proposition et était donc
légalement toujours dans les délais pour se constituer: dix ans à
partir de ses dix-huit ans. ».
En février 2004, le tribunal déclara l’action prescrite et me condamna
aux frais envers l’État à liquider en totalité la somme de 221,41 euros.

Le jour de ce jugement, j’étais seul au fond dans la salle du tribunal à


écouter le juge. Il était entouré de chaque côté d’un autre juge et du
greffier. J’écoutais le jugement de quatre pages pour m’entendre dire à
la fin que c’était prescrit. Les trois juges me regardaient attendant sans
doute une réaction de ma part, mais je me levai et sortis comme si ce
n’était pas de mon affaire dont il avait été question. Non ! Ils ne
verraient pas mes larmes ou ma rage ! Non ! Je ne leur offrirais pas le
spectacle d’une seconde destruction. Je vous laisse le soin d’imaginer
le chaos qu’un tel jugement a pu susciter en moi.

Dans le couloir, la Substitut du Procureur du Roi me dit :


– C’est prescrit, mais vous avez réussi quand même à faire peur au
prêtre. Allez ! Tournez la page !
Elle n’eut que mon silence pour toute réponse16.

Mon avocat ne voulait pas faire appel. Le prêtre qui avait reconnu les
faits et promis combien de fois de « réparer » lors des audiences au
tribunal le fit surtout pour s’attirer la clémence du tribunal, car le
verdict de la prescription n’était pas certain. Le ministère public
-représenté par la substitut E. Hautier- demandait aux juges de ne pas
tenir compte de la prescription et de reconnaître la culpabilité du
16Je tiens à rendre hommage à cette magistrate qui a toujours été accueillante et d'une grande écoute lors de mes
visites auprès d'elle; venir dans son bureau avec mon brave lui plaisait. Elle vient de prendre sa retraire, donc cet
hommage appuyé n'est pas suspect.
59
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

prévenu, sans le condamner : « … La Cour de cassation vient


d’indiquer qu’il y avait prescription quant aux faits dont il a été la
victime et reconnus d’ailleurs par l’inculpé, dans une paroisse du
Sud Luxembourg. Il n’a donc plus que la possibilité d’une
procédure civile. Mais vous pouvez ne pas tenir compte de l’arrêt de
la Cour et prononcer la culpabilité du prévenu. Ce serait le
minimum satisfaisant. L’argent n’est pas ici tellement
important17. ».

Le tribunal, avant son jugement, avait même, suite à une nouvelle loi
relative à l’approbation {novembre 2000}, demandé « un avis
motivé » à un service spécialisé dans la guidance ou le traitement des
délinquants sexuels.18
Le tribunal balaya les arguments de mon avocat ainsi que la demande
du Ministère Public et déclara l’action prescrite.

Je payai ma condamnation envers l'État.

Je contactai régulièrement mon avocat afin de voir s’il avait des


nouvelles de la partie adverse et aussi afin de voir ce qu’il était
possible de faire au niveau d’un quelconque procès au civil. J’avais
l’impression de le harceler. Ni le prêtre qui a bénéficié de la
prescription, ni son avocat ne nous contactèrent.
Pour mon avocat, un procès au civil restait aléatoire, au vu des
controverses concernant la prescription et la recevabilité de l’action
civile. Il me dit que si le tribunal ne me donnait pas gain de cause, je
serais condamné à nouveau à tous les frais de procédure et de surcroît,
suite à une nouvelle jurisprudence, à payer les honoraires de l’avocat
du prêtre. Pour mon avocat, même une action civile contre le prêtre
paraissait dès lors prescrite. Il me demandait de faire le deuil d’une
action possible contre le prêtre du chef des faits scandaleux qui ont été
17 Journal « la Meuse », 15/01/2004, p. 9.
18 Le prêtre et son avocat jouaient sur les mots, disant qu’il n’était pas pédophile, mais pédéraste. Pour eux la
pédophilie c’est avec les enfants, et le prêtre serait pédéraste, donc attirance pour des adolescents. Appelons un
chat un chat. J’avais 14 ans, au lecteur de choisir la définition ! La majorité sexuelle est à 16 ans. Pour ma part,
je dis pédophilie. En effet, un pédophile est quelqu’un qui n’a pas de maturité sexuelle. Mon abuseur ne sait pas
quelle sexualité il a ! Voici ce que dit le rapport ‘avis motivé’ de l’expert neuropsychiatre désigné par le tribunal
en 2003: « La question de l’orientation sexuelle reste en suspens. M. Hubermont semble ne pas savoir réellement
qui il est sur ce plan : hétéro, homo, pédéraste ? Il existe, dit-il des questionnements qui n’appellent pas toujours
des réponses… même après plusieurs années de psychothérapies. » Avoir 43 ans et ne pas savoir sa sexualité…
Il est aussi dit dans le rapport : « L’intéressé ne mentionne aucune expérience sexuelle en dehors des relations
entretenues avec M. Joël Devillet. »
60
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

établis, m’écrivant aussi que j’avais pu avoir la satisfaction de lire la


peur sur le visage de l’abbé durant l’attente d’un procès, puis du
jugement. J’admets que la frayeur se lisait aisément lorsque les juges
ordonnèrent une enquête de personnalité, nécessaire pour statuer sur la
peine à lui infliger. L’avocat me rappela aussi que la question de la
prescription constitue finalement un problème technique qui n’a rien à
voir avec la réalité des faits commis, même si, bien entendu, cela était
très douloureux pour moi.
Pour mon avocat aussi, il ne me restait plus qu’à tourner la page.
J’étais à nouveau seul, avec ma peine et la souffrance de ce déni de
justice.

Je me renseignais auprès de quelques avocats leur expliquant mon


problème et tous me dirent qu’un procès en dommages et intérêts,
donc un procès au civil, m’était toujours possible. Le médiatique
avocat bénévole du pédophile et assassin Marc Doutroux voulait bien
plaider ma cause, mais il fallait lui donner 5.000 euros rien que pour
ouvrir le dossier! Je me suis tourné vers un autre avocat qui me dit :
– Je veux bien vous donner des renseignements concernant votre
affaire mais alors je suis votre avocat.
J’avais tellement attendu un geste de réparation de la part du prêtre et
ce geste n’étant jamais venu. Je décidai d’accepter de suite la
proposition de ce nouvel avocat. Il écrivit à mon ancien Conseil pour
lui faire part de ma démarche. Il en prit acte sans aucun soucis.

Neuf mois après le jugement au tribunal pénal déclarant l’action


prescrite, nous citions donc le prêtre abuseur devant le tribunal civil
pour demander des dommages et intérêts. Il est bon à nouveau de
souligner que jamais, ni le prêtre, ni son avocat ne nous ont contactés
pour la réparation promise lors des audiences précédentes …
Encore une fois, le conseil de l’abbé usa de la même tactique : la
prescription ! L’attente de la décision fut une vraie torture mentale. Je
dois dire que je ne m’attendais presque plus à une décision correcte.
Mais le tribunal décida que l’action civile n’était pas prescrite ! La
Justice s’occupait enfin de la victime. Le tribunal désigna un
neuropsychiatre expert des tribunaux afin d’évaluer les dommages.

61
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Il est habituel lors des condamnations, d’interdire que le pédophile


croise sa victime. Dans mon cas, mon agresseur était présent lors de
l’expertise! Fort heureusement, mon neuropsychiatre m’accompagnait
et fit en sorte que le prêtre ne soit pas présent dans la même pièce.
Seul son avocat et son psychologue-prêtre purent rester.
Si j’avais été seul, aurais-je eu le courage de demander que le prêtre
soit exclu ? Ce n’était pas une réunion de conciliation.
Deux mois plus tard, je fus à nouveau convoqué chez l'expert
psychiatre du tribunal. Il avait sous les yeux les courriers adressés au
prêtre pédophile après ma majorité et de me dire que j’avais continué
à correspondre avec lui, balayant les propos que je lui tenais
concernant le syndrome de Stockholm ! Je dus à nouveau me battre
seul, moi, la victime ! Il me demanda de sortir afin de lui permettre de
téléphoner au psychologue chez lequel il m’avait envoyé et que j’avais
vu quelques minutes plus tôt, pour des tests de personnalité.
L’expert me rappela et me demanda de redire à nouveau mon vécu.
Pendant ce temps, il consultait les nombreux documents de mon
dossier montrant la culpabilité du prêtre pédophile à mon encontre.
J’ai dû me battre, pleurer et m’énerver bien des fois afin de montrer la
manière dont mon dossier était traité depuis des années. L’expert me
dit soudain :
– Je vous ai bien compris. Je vais m’imprégner de votre dossier et
mettre un terme à tout cela. Vous ne viendrez plus qu’une fois au lieu
de deux ou trois, mais plus longuement.
L’assistante me fit passer un électro-encéphalogramme (où je devais
garder les yeux fermés et recevoir au visage des simulations
lumineuses). Quelques semaines après, l’expert me reçut à nouveau en
compagnie de l’avocat du prêtre, de son psychologue-prêtre et de mon
neuropsychiatre. Toutes ces personnes parlèrent de mon cas pendant
que j’attendais seul dans la salle d’attente. On m’appela et me dit que,
comme ce que j’avais subi était conséquent, je devais passer un test
médical (génétique et en endocrinologie) afin de voir si ma voix
fluette était due aux faits de pédophilie sur ma personne enfant ou si
j’étais né avec cette voix … L’expert nous dit aussi qu’il était harcelé
de courriers du président du tribunal demandant où en était l’expertise.
Pour rappel, ce dernier avait donné un délai de trois mois pour
effectuer cette expertise. Un an s’était écoulé et le rapport n’avait

62
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

toujours pas été remis… L’expert désigné par le tribunal dicta une
lettre pour le tribunal disant que le rapport d’expertise ne serait pas
remis avant fin 2008. Ce qui ferait dix-huit mois au lieu de trois! Ce
long délai ne plaisait plus à la partie adverse ou était-ce alors le fait
d’avoir demandé cet examen de génétique concernant ma voix ? Car
fin 2008 le Conseil du prêtre écrivit une lettre à l’expert du tribunal
demandant de remettre son rapport le plus rapidement possible et de
ne plus attendre les examens complémentaires demandés par mon
expert et par mon avocat. L’avocat du prêtre en profita pour dire à
l’expert que je n’étais plus dans le registre de la justice mais plutôt de
la vengeance. Parlant du procès intenté à l’évêque, d’un article paru
dans la revue Golias (presse catholique de France qui fut la première
en juin 2007 à oser donner le nom du prêtre abuseur dans un article),
de dire aussi que j’allais à la rencontre du doyen du prêtre, de
personnes étrangères au dossier (comme le bourgmestre de la
commune du prêtre) et surtout que je disais des contre-vérités. Sans
oublier de rappeler que j’avais gardé d’excellentes relations avec le
prêtre jusqu’en 2000.
Ce courrier montrait une certaine agitation de leur part.
Je repris contact avec mon expert qui n’hésita pas à me dire que
l’examen demandé aurait lieu et que ce n’est pas à la partie adverse de
décider le contraire. De me dire aussi que cela allait me coûter très
cher et à mes frais. Je répondis que je voulais cet examen qui à mon
sens serait bénéfique. Ce qui dérangeait le prêtre était le fait que son
nom ait été publié et que j’allais à la rencontre de personnes qui ont
une certaine autorité sur lui : son doyen qui n’était au courant que de
très peu et également le bourgmestre du lieu. Quant aux contre-vérités
dont l’avocat m’accuse, il n’y en a aucune car à chaque rencontre je
prends soins d’emporter et de montrer tous les documents pertinents.
Et, si vraiment il y en avaient, il leur est loisible de porter plainte
contre moi pour diffamation.

63
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« Il faut être ferme, sans cruauté


inutile, ni faiblesse coupable. »

Léopold Sédar Senghor

L’indifférence

a) L'Église:

Un certain Jésus n’a-t-il pas dit : « Quiconque entraîne la chute d’un


seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on
lui attache au cou une grosse meule et qu’on le précipite dans l’abîme
de la mer. » {Matthieu, XVIII, 5 et 6}19. Et encore : « Tout ce que vous
faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites. »
{Matthieu XXV, 40}20.
Face aux nombreux scandales des prêtres pédophiles dans l'Église
catholique, Jean-Paul II a eu ces paroles : « Nous sommes, ces temps-
ci, particulièrement frappés au plus profond de notre être de prêtre
par les péchés de certains de nos frères qui ont trahi la grâce reçue
par l’ordination, cédant jusqu’aux pires manifestations du Mysterium
iniquitatis [mystère du mal] qui est à l’œuvre dans le monde.21 ». Et
encore devant des évêques américains : « Les gens ont besoin de
savoir qu’il n’y a pas de place dans la prêtrise et la vie religieuse
pour ceux qui font du mal aux enfants. Je suis profondément peiné
du fait que des prêtres et des religieux dont la vocation est d’aider les
gens à vivre saintement devant Dieu aient causé scandales et
souffrances à des jeunes. Face aux grands maux causés par ces
prêtres et religieux, l'Église perd son capital de confiance, beaucoup
se sentent offensés par la manière dont leurs guides d'Église ont agi.
L’abus qui a provoqué la crise est inique, et il est juste que la société
19 Bible de Jérusalem, nouvelle édition, 2001.
20 Ibidem.
21 Lettre aux prêtres du monde pour le Jeudi Saint, le 21 mars 2002.

64
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

le considère comme un crime. Mais c’est un péché détestable aux


yeux de Dieu. J’exprime aux victimes et à leurs familles, où qu’ils
soient, ma profonde solidarité et mes pensées. 22 » Sans oublier que le
premier courrier électronique du Pape Jean-Paul II, en 2001, fut
consacré aux victimes des pédophiles leur demandant pardon.
Suite à certaines affaires de pédophilie, l'Église catholique a pris
conscience du fait que c’était un odieux crime. Jean-Paul II alla même
jusqu’à le comparer à un crime contre l’Humanité !

Ce Pape demanda aux évêques de sanctionner les prêtres coupables et


d’aider les victimes. En France, les évêques se rassemblèrent en
conférence plénière et discutèrent du problème. Il en sortit une belle
déclaration. Le lecteur la trouvera en fin de cet ouvrage, car elle vaut
la peine d’être lue, mais surtout d’être mise en pratique ! Pour être
complet et impartial, je joins aussi un document que Mgr Pican m’a
fait parvenir23. Pour rappel, cet évêque est le premier évêque à être
condamné24 par la justice depuis la Révolution française ! La peine fut
de trois mois de prison avec sursis. Le motif : non dénonciation de
mauvais traitements et d'atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans.
Le prélat n’a pas fait appel du jugement par respect pour les victimes
selon ses propos que j’honore en les joignant ci-après :

« … Je ne saurais pourtant oublier l'épreuve subie par les victimes de


l'abbé B. Même si certains ne l'ont pas perçu, j'ai constamment été
habité par l'ampleur de leur drame, et les souffrances qui se sont
exprimées lors des procès m'ont marqué en profondeur. Aussi ai-je
voulu manifester ma volonté d'apaisement à l'égard des parties civiles
et ne pas raviver les blessures, au cours d'un nouveau procès qui se
déroulerait devant la cour d'appel de Caen. J'ai aussi beaucoup pensé
à mon diocèse, à l'Église, à toutes celles et ceux qui, de bien des
manières, ont été affectés par cette situation. C'est pourquoi, dans
l'espoir de contribuer au retour de la paix dans les consciences et
dans les esprits, j'ai décidé de ne pas faire appel. »25. Ce qui contraste
négativement face à ces beaux discours est le courrier venant du Préfet
de la Congrégation pour le Clergé et envoyé à Mgr Pican quatre jours
22 Jean-Paul II, 23 avril 2002, Vatican Information Service, www.vatican.va.
23 Voir en annexes : lettre du Cardinal Préfet Dario Castrillón Hoyos, 8 sept. 2001.
24 Tribunal correctionnel de Caen, 4 sept. 2001.
25 Mgr P. Pican, Bayeux, 7 septembre 2001.

65
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

après la condamnation du Prélat. Cette missive, envoyée également


aux évêques du monde entier, prouve fortement que le Vatican protège
les évêques et les incite à être des martyrs !

En 2006, Benoît XVI, pour la première fois, condamna publiquement


les abus sexuels des prêtres. S’adressant aux évêques d’Irlande :
« Vous avez eu à répondre à de nombreux cas déchirants d’abus
sexuels sur des mineurs. Ceux-ci sont encore plus tragiques quand ils
sont commis par un religieux. » qualifiant ces abus de « Crimes
horribles », qui causent des « blessures profondes. ». Le Pape souligna
aussi « l’importance d’établir la vérité sur ce qui a eu lieu dans le
passé et de prendre les mesures nécessaires pour empêcher de tels
actes dans l’avenir.26 ».
Fini le temps où ces actes répugnants étaient considérés par l'Église
comme un simple péché au même titre que le péché de gourmandise et
où la victime n’avait pas de place. L'Église mesure enfin la gravité des
dégâts sur les victimes… Plus proche de nous dans le temps, Benoît
XVI a eu des mots justes et attendus lors de son voyage aux U.S.A. en
2008. Dans l’avion l’amenant dans ce pays où le nombre des victimes
des prêtres pédophiles est incalculable, le Pape a dit à la presse :
« Le fait que tout cela ait pu se produire est une grande souffrance
pour l'Église aux États-Unis, pour l'Église en général et pour moi
personnellement. Quand je lis les comptes rendus de ces événements,
j'ai du mal à comprendre comment certains prêtres ont pu manquer
à ce point à la mission d'apporter la guérison, d'apporter l'Amour de
Dieu à ces enfants. J'ai honte et nous ferons tout ce qui sera en notre
pouvoir pour faire en sorte que cela ne se renouvelle plus. Je crois
que nous devons agir à trois niveaux: tout d'abord au niveau de la
Justice et au niveau politique. Je ne parlerai pas ici d'homosexualité
car c'est un autre sujet. Nous exclurons de manière absolue les
pédophiles du ministère sacré; c'est totalement incompatible. Mieux
vaut de bons prêtres que beaucoup de prêtres. Celui qui s'est rendu
coupable de pédophilie ne peut pas être prêtre. A ce premier niveau,
nous pouvons faire justice et aider les victimes, car elles sont
profondément blessées; les deux côtés de la justice sont d'une part
que les pédophiles ne peuvent pas être prêtres et de l'autre, l'aide
aux victimes, de toutes les manières possibles. Il y a ensuite un
26 Le 29 octobre 2006, V.I.S., www.vatican.va.
66
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

niveau pastoral. Les victimes auront besoin de guérison, d'aide,


d'assistance et de réconciliation: il s'agit d'un engagement pastoral
important et je sais que les évêques, les prêtres et tous les catholiques
aux États-Unis feront tout ce qu'ils pourront pour aider, assister,
guérir… et tout sera fait pour guérir cette plaie... Le troisième point,
[c'est que] nous avons inspecté les séminaires, afin de faire aussi tout
ce qui est possible dans l'éducation des séminaristes, pour une
formation humaine et intellectuelle profonde et spirituelle, avec
discernement, afin que seules des personnes solides puissent être
admises à la prêtrise, les personnes avec un profond amour personnel
pour le Christ et un profond amour sacramentel, afin d'exclure que
cela puisse se produire [de nouveau]. »27
Le Pape Benoît XVI profita de ce voyage pour effectuer une rencontre
imprévue avec quelques victimes de prêtres pédophiles, là encore de
belles paroles de la part de l'Église :
«Je ne trouve pas les mots pour décrire la souffrance et les
conséquences provoquées par de tels abus», soulignant « l'importance
qu'une attention pastorale pleine d'amour soit réservée à ceux qui ont
souffert… De gros efforts ont déjà été faits pour régler de façon
honnête et loyale cette tragique situation et pour que les enfants, que
notre Seigneur aime plus que tout et qui sont notre plus grand trésor,
puissent grandir en milieu sûr… Les efforts pour protéger les enfants
doivent se poursuivre. J'encourage chacun de vous à mettre tout en
œuvre pour assainir la situation, pour promouvoir et pour venir en
aide à ceux qui ont été blessés.»28.
Le Pape a reçu des mains du cardinal O' Malley un livre reprenant les
prénoms d’un bon millier de victimes… rien que pour son
archidiocèse de Boston. Et, encore, plus proche de nous dans le temps,
lors des journées mondiales de la jeunesse en Australie, le Pape avait
ces mots : « Je tiens à faire une parenthèse pour dire la honte
ressentie face aux abus sexuels commis sur des mineurs par des
prêtres et des religieux de ce pays. Les souffrances de ces victimes me
causent une peine profonde et, comme pasteur, je veux compatir avec
elles. Ces crimes, qui sont une trahison de la confiance et qui
doivent être condamnés sans appel, causent une grande douleur et
un dommage grave au témoignage de l'Église. A vous tous, je
27 Benoît XVI, voyage aérien vers Washington 15/04/2008, V.I.S., www.vatican.va.
28 Benoît XVI, nonciature à Washington, 18/04/2008, V.I.S., www.vatican.va.
67
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

demande de soutenir vos évêques et de les aider à combattre ce mal.


Les victimes doivent recevoir compassion et assistance. Quant aux
coupables, ils doivent être livrés à la justice. Tout ceci constitue une
priorité absolue pour assainir le contexte et le rendre plus sûr aussi,
notamment pour les enfants. »29

Depuis la sortie de mon livre « Violé par un prêtre » début 2009,


combien de scandales de pédophilies commis par des prêtres furent
mis à jour ? Cela n’arrête pas ! Au Brésil, un prêtre pédophile viola un
enfant dans une église… Malgré une vidéo le prouvant, ce prêtre nia
être pédophile ! Plusieurs évêques ont dû démissionner pour avoir
couvert des prêtres pédophiles et, pire encore certains, pour avoir eux-
mêmes abusés d’enfant(s) ! Scandales en Allemagne, Norvège, Suisse,
… et surtout en Irlande. Les catholiques de ce pays eurent droit à une
lettre du Pape Benoît XVI. En voici un extrait : « Aux prêtres et aux
religieux qui ont abusé des enfants : Vous avez trahi la confiance
placée en vous par de jeunes innocents et par leurs parents. Vous
devez répondre de cela devant Dieu tout-puissant, ainsi que devant
les tribunaux constitués à cet effet. Vous avez perdu l'estime des
personnes en Irlande et jeté la honte et le déshonneur sur vos
confrères. Ceux d'entre vous qui sont prêtres ont violé la sainteté du
sacrement de l'Ordre sacré, dans lequel le Christ se rend présent en
nous et dans nos actions. En même temps que le dommage immense
causé aux victimes, un grand dommage a été perpétré contre
l'Église et la perception publique du sacerdoce et de la vie
religieuse.

Je vous exhorte à examiner votre conscience, à assumer la


responsabilité des péchés que vous avez commis et à exprimer avec
humilité votre regret. Le repentir sincère ouvre la porte au pardon de
Dieu et à la grâce du véritable rachat. En offrant des prières et des
pénitences pour ceux que vous avez offensés, vous devez chercher à
faire personnellement amende pour vos actions. Le sacrifice
rédempteur du Christ a le pouvoir de pardonner même le plus grave
des péchés et de tirer le bien également du plus terrible des maux.
Dans le même temps, la justice de Dieu exige que nous rendions
compte de nos actions sans rien cacher. Reconnaissez ouvertement
29 Benoît XVI, Cathédrale de Sydney, 19.07.2008, V.I.S., www.vatican.va
68
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

vos fautes, soumettez-vous aux exigences de la justice, mais ne


désespérez pas de la miséricorde de Dieu. »30

Force est de constater l’écart entre les bonnes paroles et la réalité des
faits. A travers mon histoire, j’ai pu me rendre compte de l’hypocrisie
de l'Église31, du moins de l'Église de mon diocèse.

Comme je l’ai dit plus haut en juillet 1996, j’avais révélé


officiellement mon affaire au tribunal ecclésiastique. Quelques quatre
mois après, une confrontation eut lieu à l’évêché avec le prêtre
pédophile d’où il en sortit ses aveux. Un document signé par lui, par le
vicaire judiciaire, mon psychologue ainsi que par moi-même. Le
rapport de la confrontation commence en ces termes : « D’emblée,
l’abbé Hubermont demande que l’on n’étale pas cette affaire sur la
place publique, ce qui lui serait hautement préjudiciable, ainsi qu’à
sa famille. »
C’est aussi ce jour-là que promesse fut faite -à présent- de payer les
frais de psychologue chez qui j’étais envoyé depuis des mois déjà et à
mes frais. J’ai eu droit à une vraie scène digne d’un cirque de renom.
Le vicaire judiciaire m’emmena dans une pièce, seul avec lui. Je
m’assis dans un fauteuil et lui, de s’agenouiller à mes côtés, me faisant
un sermon, disant que ce que le prêtre m’avait fait touchait toute
l'Église, que l'Église souffre avec moi et de me demander pardon au
nom de cette Église. Il me dit aussi qu’il n’était pas utile de porter
plainte à la Justice car l’affaire serait réglée entre nous et qu’il
m’aiderait. C’est ce même prêtre qui trois ans plus tard me chassa de
la cathédrale où j’étais sacristain bénévole assez régulièrement : il
pensait avoir temporisé assez mon affaire pour que la prescription soit
arrivée. Le psychologue auprès duquel le Séminaire m’envoyait avait
sans doute été à la même école ! Bien qu’il venait du Canada depuis
peu ! Il avait signé l’accord concernant les frais de ma thérapie et c’est
30 Lettre Pastorale de Benoît XVI aux catholiques d’Irlande, 19.03.2010 www.vatican.va
31 Les médias du monde entier, en 2010, ont révélés que l'Église cache ces scandales, cela partout dans le monde.
Pour parler de la Belgique, le prêtre Rik Devillé a dénoncé avec courage le fait que le cardinal Danneels évitait
de rencontrer des victimes et qu’il ne faisait rien pour connaître de ces scandales. La théorie de l'Église étant de
pardonner et d’oublier… Le célèbre Mgr J. Gaillot eu aussi le courage de parler et de dénoncer la pratique dans
l'Église au sujet de la pédophilie: « On rendait service. On vous demandait d'accueillir un prêtre indésirable
et vous l'acceptiez. C'est ce que j'ai fait, il y a plus de 20 ans. C'était une erreur », in Le Parisien,
05.04.2010. Je ne résiste pas à inclure son intervention ci après: « Oh mon Dieu, on est tombé des nues quand on
a appris que ce prêtre était pédophile, il était si gentil avec tout le monde et surtout avec les jeunes du village! »
Mgr J. Gaillot, 04.03.08 Grosses Têtes, RTL.

69
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

lui qui, lorsque j’ai dû quitter le Séminaire m’envoya une facture pour
dix séances de thérapie que je n’avais pas encore payées. Il alla même
jusqu’à me renvoyer quelques jours plus tard la même facture avec
une note de sa main et sa signature, me demandant de régler cette note
dans les huit jours ou il la ferait parvenir au juge de Paix. Mon seul
recours était l’évêque. Je correspondais quelques fois avec lui, ainsi
qu’avec le prêtre pédophile toujours dans l’espoir d’avoir une
réparation concrète des abus causés par ce dernier. J’avais aussi
l’espoir d’une reprise de ma vocation comme me l’avait promis
l’évêque. Je me rendis compte que lui aussi était un menteur. Il me
répondit par courrier que je devais payer la note. Je lui rappelai
l’accord signé quelques temps plus tôt. Il me dit alors de payer mon
tiers. Moi, victime, j’étais menacée du juge de Paix si je ne payai pas
une facture de 375 euros. J’ai donc payé ma partie : 125 euros, et
l’évêque m’écrivit pour me dire qu’il était content que cette affaire
soit réglée.

Un détail troublant me revient d’ailleurs sur cette époque : j’appris


quelques temps plus tard que le psychologue chez lequel on m’avait
envoyé durant le Séminaire était devenu prêtre, ce qui me conforta
dans l’idée qu’on m’avait bien roulé dans la farine depuis le début. On
m’avait envoyé chez un psychologue complice de leur magouille, dans
le but d’étouffer l’affaire. Monseigneur Léonard contribua également
à retarder mon procès devant la Justice des hommes par le simple fait
de son abus de pouvoir dans ses écrits. Régulièrement, il commençait
ses courriers ainsi : « Mon fils Joël… » ! Comment dans de telles
conditions, avoir même la pensée de porter plainte contre l'Église?

Dans le jugement de huit pages rendu lors du procès au civil, le juge


s’exprimait en ces mots : « On ne peut également que s’étonner de
l’attitude minimaliste des autorités ecclésiastiques qui se sont
bornées à recueillir les aveux explicites d’attouchements du
défendeur tout en définissant les modalités financières d’une prise
en charge thérapeutique du demandeur, alors qu’elles auraient dû
faire œuvre de civisme en dénonçant les faits aux autorités
judiciaires, sachant que ceux-ci, vu leurs gravités, sont passibles de
peines criminelles en vertu des articles 372 et suivants du code

70
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

pénal, ce que les responsables de l’évêché de Namur ne pouvaient et


à tout le moins ne devaient pas ignorer. »32 Ou encore lors du procès
au pénal la Substitut du procureur s’exprimait en ces termes en parlant
de ma qualité de victime : « Qu’il est évident que ce candidat prêtre a
été déçu par son Église et qu’il n’est pas sûr du tout que celle-ci a
réagi avec l’attention nécessaire. »33. Puis, plus loin :« …
L’impression d’avoir été abandonné par l'Église –en l’occurrence
l’évêché, qui s’est engagé à régler les frais de thérapie avant de se
rétracter. »34

Je ne fus donc pas le seul à me rendre compte combien les autorités de


l'Église avaient pu me mener en bateau. J’ai eu droit à des mots de
sollicitude. Des mots qui sonnent juste, mais des intentions qui n’ont
jamais été traduites dans des actes probants. Ces gens abusaient
également de moi, me prenant pour un moins que rien, sachant que
j’étais timide et qu’ils n’auraient pas d’ennuis de ma part. La victime
ne fut donc jamais prise en considération. Tout avait été fait par les
autorités du diocèse pour me dissuader de porter plainte, pour
« m’apaiser ». Seul un simulacre de procès canonique fut entamé, se
limitant en réalité à une déclaration commune de l’évêché, du
requérant et de l’abbé pédophile. Bien évidemment ce « Procès »
canonique n’eut aucune suite. Ces autorités sont donc fautives de ne
pas avoir dénoncé les faits au Vatican, comme le lui impose pourtant
le Droit Canonique, montrant encore une fois leur intention
permanente de toujours maintenir le prêtre en fonction, ce qui montre
une indifférence particulièrement choquante à l’égard de la souffrance
de la victime. Le prêtre pédophile en question n’a donc jamais été
sanctionné.35 Quelques temps après ma plainte au Tribunal
32 Tribunal civil d’Arlon, 5 juin 2007.
33 Journal « La Meuse », 12 février 2004.
34 Journal « L’avenir du Luxembourg », 13 février 2003.
35 Pour preuve, le 15 juillet 2010, le Vatican a publié des nouvelles normes pour les délits les plus graves, faisant

passer le délai de prescription de 10 à 20 années après la majorité de la victime. Pour le Vatican la pédophilie est
un délit. Pour beaucoup de pays civilisé cela est qualifié de crime. Le jour de la parution de ces nouvelles
normes, j’ai écrit à l’évêque de Namur, ainsi qu’à la Congrégation pour la doctrine de la Foi afin de porter
plainte à nouveau contre mon prêtre abuseur. Deux mois s’écoulèrent et je reçu cette réponse de l’évêché de
Namur: « Monsieur, Votre plainte du 15 juillet 2010 est bien parvenue à l'Évêché de Namur. Elle est transmise à
la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pour être jointe à la plainte que vous avez antérieurement déposée à
l'encontre de l'abbé G. Hubermont. Aucune sentence canonique n'a encore été rendue dans l'attente des
jugements qui doivent être prononcés par les Tribunaux belges dans les procédures que vous avez vous-
même engagées à Namur et Arlon. Avec mes salutations distinguées, Jean-Marie Huet, official. » J’avais porté
plainte en 1996 au tribunal de l'Église de Namur et en 2001 au tribunal à Arlon (pénal). Pourquoi l'Église n’a-t-
elle rien fait durant ces 5 années ? A présent, l'Église se retranche derrière mes procédures en cours pour encore
71
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

ecclésiastique, le prêtre dut quitter sa charge de curé dans un délai de


quinze jours. Sans même faire de fête pour son départ, comme
pourtant cela est de coutume. La consigne donnée par l’évêque aux
prêtres lui succédant dans cette paroisse est qu’il lui était interdit de
remettre les pieds pour une quelconque célébration dans l’église. Est-
ce suite à ma plainte ? Bien sûr que non ! Il n’est pas courant de
déplacer un prêtre en un si court délai. Il n’est pas aussi facile pour
toutes les victimes de parler et si elles y arrivent, la famille préfère
demander à l’évêque de simplement déplacer l’abuseur car un procès
est toujours long, aléatoire et pénible. L'Église préfère toujours cette
solution, lui évitant un scandale. Mais que s’est-il donc passé
concrètement ?
Le prêtre s’est pavané à la messe, célébrée pour le cinquantième
anniversaire de l’école paroissiale, fin 2007. L’évêque lui avait interdit
d’y remettre les pieds. Il est vrai que la messe avait lieu dans la salle
de l’école et non dans l’église paroissiale. Mais dans quel but ? Se
montrer, démentir les rumeurs de pédophilie. S’il suivait l’interdit de
l'évêque, il confortait les rumeurs.

La véritable question est donc de savoir pourquoi l'Église n’ose-t-elle


pas dire la vérité aux paroissiens ?

ne rien faire son côté… Mgr Charles Scicluna, de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, a émis une violente
mise en garde aux séminaristes, à la basilique Saint Pierre à Rome, lors d’une prière pour les victimes des abus
sexuels de prêtres pédophiles : «Leur punition en Enfer sera pire que la peine de mort sur Terre. » Citant
Grégoire le Grand, ancien pape et moine qui a institué les lois pour le clergé, Monseigneur Charles Scicluna a
déclaré qu’un prêtre qui abuserait de son pouvoir subirait un traitement plus dur lors du jugement dernier que
celui infligé à un profane. Ajoutant que ceux qui font du mal aux enfants devraient être jetés dans la mer avec
une pierre autour du cou. Dans son sermon, il a aussi souhaité que les prêtres qui ont couvert les abus commis
par leurs collègues soient confrontés aux flammes de l’Enfer. www.streetpress.com/sujet/675-le-vatican-
previent-les-pretres-pedophiles-et-leurs-complices-qu-ils-risquent-la-damnation. Il est bon de noter que c’est
Mgr Scicluna qui a été chargé par le pape Benoît XVI d’établir les nouvelles normes pour les délits les plus
graves au sein de l'Église !

72
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« C'est toujours l'impatience


de gagner qui fait perdre ».
Louis XIV

b) La Justice

Il m’a fallu du courage et de l’obstination pour mettre à mal la


forteresse qu’est l'Église, mais aussi pour faire face à la Justice de
mon pays !
La Justice n’est pas du côté des victimes. Elle préfère, elle aussi,
fermer les yeux de peur d’un scandale national. Quelques éléments de
preuves vécus se trouvant dans mon dossier vont étayer mes dires. Il
est flagrant de voir la légèreté avec laquelle la Justice a traité mes
dossiers.

-J’ai déposé une plainte en me constituant partie civile contre un


prêtre, l’accusant de pédophilie. La Justice ne daigne même pas faire
de perquisition chez cette personne.
-Le Juge d’instruction ordonna une perquisition à l’évêché (comme
relaté plus haut), pour reprendre les termes de celle-ci : « A l’effet d’y
rechercher et d’y saisir tous documents quelconques pouvant
concerner des faits de mœurs reprochés à l’abbé Hubermont Gilbert
sur la personne de Devillet Joël, à Aubange et Flawinne, de 1987 à
1994. ». Il est frappant de voir comment des gens d'Église ont voulu
cacher la vérité. Le vicaire général Bayet disant « qu’il ne disposait
que du dossier administratif du prêtre » et au domicile du vicaire
judiciaire Huet, ce dernier fit savoir à la police « qu’il ne détenait pas
de dossier à proprement parler concernant les faits reprochés à l’abbé
Hubermont, ajoutant également que toutes charges paroissiales ont
été retirées à l’abbé Hubermont ». Il alla même jusqu’à dire : « Je
soupçonne l’abbé Hubermont d’avoir eu des problèmes de mœurs
quand il était à Flawinne. ». Fort heureusement que ces policiers
n’ont pas cru les bonnes paroles de ces prêtres et ont pu embarquer
avec eux, onze documents sur mon affaire.
73
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

-Dans le réquisitoire {Crimes- renvoi au Tribunal Correctionnel}, le


Ministère Public mentionnait bien, en plus des attentats à la pudeur et
des viols sur ma personne étant mineur, également des attentats à la
pudeur sur un autre jeune de moins de seize ans, ceci également à
Aubange.

Est-ce l’habitude qu’une personne pédophile n’abuse que d’un seul


enfant ? La réalité des faits a toujours répondu par la négative. Et dans
le dossier qui me concerne, tout montre que ce qu’il m’a fait n’était
pas un simple dérapage.
Moi-même, j’ai bien vu ses comportements envers les enfants, et bien
des exemples révélateurs sont détaillés plus haut.
Mais la Justice, malgré le fait qu’il existait des charges suffisantes
contre l’inculpé, demandait qu’il plaise à la Chambre du Conseil de ne
prononcer que des peines correctionnelles en raison de circonstances
atténuantes résultant de l’absence d’antécédents judiciaires alors que
les faits étaient de nature à être punis de peines criminelles en vertu
des articles 373, 374, 375, 377 du Code Pénal !

A-t-on déjà vu ou entendu qu’une personne portant plainte auprès de


la police pour vol de sa voiture à charge d’un auteur identifié, constate
dans son dossier que le Juge d’instruction demande bel et bien d’aller
perquisitionner chez cette personne pour y rechercher la voiture volée
du plaignant, et que lors de la perquisition, les policiers constatent
qu’il n’y a pas une voiture volée mais bien dix voitures ? La police ne
chercherait-elle pas à savoir à qui appartiennent les neuf autres ?
En ce qui concerne la pédophilie, tout le monde est d’accord pour dire
que ce comportement est abominable. J’offrais à la Justice l’occasion
de connaître des éléments inavouables. Le prêtre avait été déplacé déjà
quelques fois. La perquisition chez l’évêque montrait la non-
coopération de l'Église et la Justice s’obstinait à ne chercher que ce
qui était lié à ma personne. Tout montre que même la Justice avait
peur d’un scandale. Je continue à m’interroger. Pourquoi n'avoir pas
effectué une perquisition au domicile du prêtre? Quid des autres
victimes probables ? La Justice s’en est-elle préoccupée ? Non. Une
chose est sûre : pour trouver, il faut le vouloir !

74
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Ce laxisme a permis au prêtre abuseur qui, « à de très nombreuses


reprises lors de mon enfance, avec la circonstance aggravante qu’il
était de la catégorie de ceux qui avaient autorité sur la victime et qui
a abusé de l’autorité ou des facilités que lui conféraient ses
fonctions »36 de bénéficier de la prescription. La justice n’a donc pas
cherché d’autres faits et a cru aux promesses répétées du prêtre en
aveux complets, de les réparer. La Substitut du Procureur du Roi
demandait quand même au Juge malgré la prescription de reconnaître
la culpabilité du prévenu. Mais le jugement au Pénal déclara la
prescription, le Tribunal s'en référant à la Loi !
Tout a été fait pour me faire abandonner, la Justice et le prêtre jouant
sans doute sur l’usure et le découragement. Rien n’aurait pu arrêter
mon élan assoiffé de justice à mon égard, mais aussi et surtout afin
d’éviter d’autres victimes des griffes de ce prêtre malfaisant. J’avais
appris par un prêtre bien placé que, depuis la perquisition suite à mon
affaire chez l’évêque et chez le vicaire judiciaire, les dossiers
concernant les prêtres ayant des problèmes de mœurs avaient été
cachés à la cathédrale dans une armoire fermée à clef dont seul le
vicaire judiciaire avait accès.

J’ai pris l’initiative d’écrire au Procureur général de Liège


(responsable de la problématique de la pédophilie au sein des
procureurs généraux !) afin de lui demander un rendez-vous pour lui
faire part de la façon d’agir de l’évêque Léonard, lui disant également
que je connaissais un élément important. Il me répondit que si j’avais
quelque chose à dire je devais le faire par écrit. Je lui dis donc ce que
je savais concernant les dossiers cachés et j’eus droit comme réponse
qu’il ne savait rien faire. Quelques mois plus tard, je relatais mes
propos au Procureur du Roi. Là, j’eus droit à une réponse évasive.
Deux mois après, je me rendis auprès du Parquet. Le Premier Substitut
qui avait répondu à mon courrier me renvoya vers la magistrate de
garde. Là encore, quel ne fut pas mon étonnement de voir que je les
dérangeais. Je lui racontai mon histoire, et elle, de m’interrompre à
chaque fois en me disant : « C’est prescrit ! Que voulez-vous que je
fasse ? » Je dus combien de fois lui dire que je n’étais pas là pour moi,
mais pour d’autres victimes potentielles. Je lui montrai les
correspondances du Procureur général et mes demandes répétées afin
36 Acte d’inculpation, 25.01.2002.
75
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

que quelque chose soit fait pour éviter d’autres victimes et que les
faits actuels non connus de la Justice, le soient enfin. Mon action
n’avait que pour but de leur donner l’endroit où les autorités
ecclésiastiques du diocèse cachaient ces dossiers précieux. Mais, la
Justice paraissait s’en moquer, allant même jusqu’à me dire :
– De quoi vous mêlez-vous ? Ce n’est pas votre affaire.

C’est suite à de tels comportements que j’ai compris que même la


Justice de ce pays était bien frileuse à chercher la vérité, se contentant
d’attendre une éventuelle plainte d’une victime pour se mettre en
action. Si mon « acharnement » auprès d’eux concernait des faits de
drogue ou de fraudes fiscales, là on ne m’aurait pas répondu qu’il faut
attendre une éventuelle plainte. L'on accepterait même ma plainte de
façon anonyme! Il est triste de constater la complicité passive de la
Justice face à des actes de pédophilie causés par des prêtres dans un
pays où soi-disant est en vigueur la séparation entre l'Église et l'État.
Tout mon combat montre à quel point le secret de l'Église et le secret
d'État étaient d’application, par la peur du scandale, par la peur du
coup de pied dans la fourmilière. On a manifestement préféré se
borner à une victime et un coupable, sans s’occuper de ce qui pouvait
graviter tout autour : un pédophile n’a jamais qu’une seule victime.

Je ne peux m’empêcher de parler de la Justice sans aborder la question


du service d’aide aux victimes. Ce service me contacta deux ans après
ma plainte au Pénal ! Et là aussi, force est de constater que je
dérangeais. C’était toujours à moi, de prendre l’initiative pour une
rencontre. Jamais l’initiative n’est venue de la part de ce service. Il me
fut également répondu, alors que je demandais une aide
psychologique :

– Vous avez parlé de votre histoire à beaucoup de personne déjà, il


serait temps d’oublier tout cela !
Une réflexion que je me suis faite souvent concernant la pédophilie est
que ces affaires devraient être traitées exclusivement –instruction et
jugement- par des magistrats de sexe féminin ! J’ai retrouvé cette
conviction dans un ouvrage intéressant37 : « Les femmes ne sont pas
indulgentes, parfois même de vrais tigresses paraît-il ; elles sont
37 Jacques Georgel, le procès d’un prêtre pédophile, Le Manuscrit, 2005, p.12.
76
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

impitoyables envers ceux qui ont abusé de la chair de leur chair. » Si


la Substitut du procureur du Roi qui siégeait dans mon affaire avait été
la juge, je suis certain que mon abuseur eut été condamné. Un avocat
ou un magistrat de sexe masculin ne comprend pas assez bien encore
le phénomène de la pédophilie, sauf bien sûr s’il en a été la victime.
Une femme porte son enfant durant neuf mois, l’allaite, le cajole,
l’éduque. Elle sait ce que c’est d’aimer un enfant et si un monstre
abuse d’un enfant dans son innocence, elle en sera davantage
scandalisée et révoltée. Les célibataires et les gens mariés sans
descendance n’ont pas la même vision que les autres dans ce genre
d’affaires.

77
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« La politique est l'art d'empêcher les


gens de se mêler de ce qui les regarde. »
Paul Valéry

c) Le politique

Ici encore, je me dois de constater la duplicité à l’œuvre. Elle s’exerce


évidemment au profit du coupable et non de la victime. Le jour où je
me constituai partie civile contre le prêtre pédophile, l’évêque
« renvoya » le prêtre dans l’unique but de se protéger de la Justice.
Mais, était-il nécessaire de le préciser ?
Si, à votre travail, vous dérobez quelque chose, il sera fait mention
d’une faute grave sur votre formulaire de licenciement, non ? Vous ne
pourrez pas bénéficier des allocations de chômage. Et, ce serait
normal, me direz-vous…
Mais alors, comment est-il pensable que l’évêque adresse au moment
même de ma plainte contre le prêtre un courrier38 étonnant !

L’évêque au courant des faits depuis cinq années (de façon officielle)
prit cette sanction le jour où je me constituais partie civile et où le
prêtre risquait gros, à savoir l'emprisonnement. Il n’était pas accusé de
vol mais de viol sur mineur. Aux yeux de la Loi, les faits sont
passibles d’une peine criminelle. Pour l’évêque, cela n’était pas assez
grave puisqu’il ne fut mention d’aucune faute et pouvait bénéficier du
chômage. Mais, plus fort encore ! Le prêtre n’eut même pas besoin de
s’inscrire comme demandeur d’emploi. Le jour même de ma
constitution comme partie civile, et de son soi-disant renvoi de
l'Église, il fut engagé comme éducateur spécialisé dans un centre pour
personnes en grandes difficultés sociales. Emploi obtenu grâce à la
Région Wallonne.

J’ai essayé cette tactique. J’ai écrit, sans parler de mes problèmes, à
différents politiques, pour être engagé comme aide-soignant dans une
institution de leur commune. Beaucoup de promesses me furent faites,
38 Annexes, lettre de Mgr Léonard adressée à l'abbé Hubermont, avril 2001.
78
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

mais jamais rien de concret. Comment le prêtre a-t-il donc pu


bénéficier d’un emploi auprès de personnes vulnérables alors qu’il
risquait la prison à ce moment-là ? Certains me diront que c’était
auprès de personnes majeures et que même s’il abuse d’une d’elles,
c’est entre adultes. Et oui, des politiques m'ont répondu cela!
Il serait naïf de penser que le politique n’ait pas été complice. Le
coupable, je dis bien le coupable et non un présumé innocent
(puisqu’il avait avoué bien des fois ses crimes), bénéficiait d’une aide
concrète pour trouver immédiatement un nouvel emploi. Il est donc
patent que le renvoi était un artifice de Mgr Léonard tendant à s’éviter
tout souci judiciaire. Il n’y a pas d’autre interprétation possible. C’est
précisément au moment du dépôt de ma plainte avec constitution de
partie civile et non avant, quand bien même les faits étaient connus,
que le formulaire de licenciement est rédigé. Il s’agit donc d’une
grossière simulation tendant à créer l’apparence d’un « licenciement »
tout en maintenant le prêtre en fonction dans les faits. Par cette
attitude, garantissant l’impunité à l’abbé violeur, tant au niveau du
procès canonique qu’au niveau de l’exclusion véritable de fonctions
ecclésiastiques, l’évêché et l’évêque, en particulier, manifestent leur
volonté de maintenir le prêtre pédophile en fonction et de lui assurer
de ce fait une solidarité patente. Car dans les faits, le prêtre était bel et
bien toujours prêtre n’ayant plus de salaire pour cette fonction mais
cela ne changeait pas grand chose pour lui ? Son presbytère était
toujours sa demeure et il disait toujours la messe. Les gens ne
vérifiaient pas sur sa fiche de salaire qui le payait. Il y avait bien des
rumeurs, mais les gens se taisaient. Il était protégé par tout le monde.
Donc il bénéficiait aux yeux de tous, de la présomption d’innocence,
malgré ses aveux que l'Église n’allait certainement pas répandre sur la
place publique. De plus, son pouvoir s’était étendu puisqu’il jouissait
directement de deux fonctions : prêtre et éducateur spécialisé. Est-il
pensable qu’un jeune vulnérable de dix-huit ans se fasse abuser par ce
prêtre éducateur ? Et si cela devait arriver, oserait-il s’en plaindre ? On
lui répondrait certainement: « Vous êtes majeur ! » Il me faut
souligner que ces gens placés dans l’institution où le prêtre est
éducateur ont des troubles mentaux !
Lorsque je me tournai vers la Ministre de la Justice afin de la mettre
au courant de la légèreté avec laquelle mon affaire a été traitée, elle

79
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

me répondit : « En tant que membre du pouvoir exécutif, la Ministre


que je suis ne peut intervenir ni vous donner des conseils en vertu de
la séparation des pouvoirs, fondement de notre État de Droit. Il ne
m’appartient pas d’intervenir à l’encontre d’une décision de Justice. »
La preuve par neuf qu’elle n’a pas lu mon courrier avec attention. Lui
avais-je demandé d’intervenir suite à la décision judiciaire du
Tribunal ? Bien sûr que non !

Durant ces années, j’ai appris à connaître le fonctionnement des


hommes et des femmes politiques de mon pays !

Lors de la Marche Blanche -époque Dutroux-, des promesses


solennelles ont été faites, par l’ensemble de la classe politique ! Je
voudrais savoir ce qui a véritablement changé pour les victimes et
pour leurs bourreaux.

Les politiques écrivent n’importe quoi ! Mais, ils ne sont pas les seuls.
Un jour, j’ai écrit à la présidente du centre public d’aide social de ma
commune pour lui demander de pouvoir travailler au sein de la maison
de retraite gérée par l’Administration communale. Elle me répondit
qu’il n’y avait pas de place vacante pour le moment mais qu’elle
gardait ma candidature durant une année, me promettant en même
temps, dans ce courrier, de m’engager dès qu’une place serait libre.
Plus d’un an après, n’ayant jamais eu de nouvelles de sa part, j’allais
donc la trouver, lui rappelant sa promesse. Sa réponse fut de me
prendre pour un fabulateur. Je lui mis sous les yeux la réponse qu’elle
m’avait faite dans une des ses lettres, et elle de me répondre avec un
sourire :
– Oui mais, on signe les lettres sans même lire ce qu’on signe !
Et ainsi va le monde…

Un autre exemple ! Voyant comment mon abuseur avait pu bénéficier


d’un emploi sans problème, j’ai voulu jouer sur la pitié. Habitant
Bruxelles, il m’aurait été aisé de travailler à la Commission
européenne, ne fut-ce que pour faire des photocopies ou du nettoyage.
J’ai écrit à un Commissaire européen lui expliquant mon combat et
mon désir de travailler afin de voir ce qu’il pouvait faire pour moi ?

80
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

N’ayant pas de réponse, après quelques mois, je lui envoyai ma carte


de visite en lui indiquant que la pire des choses en ce monde était
l’indifférence. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’un matin, vers
8h00, il me téléphona et laissa un message sur mon répondeur. Il me
disait qu’il avait bien reçu mon petit mot, mais qu’il n’avait aucune
trace de mon courrier précédent, me donnant son numéro de portable
personnel. Il me demandait de le rappeler et qu’il me prouverait qu’il
n’était pas indifférent. Je n’aime pas déranger les gens outre mesure.
Je téléphonai à sa secrétaire qui me dit être au courant car elle était
présente lorsque qu’il me téléphona. Je dis donc à la secrétaire que
j’allais à nouveau envoyer mon courrier à l’adresse privée de ce
Commissaire comme je l’avais fait auparavant. Je n’ai jamais eu de
réponse. Je retéléphonai quelques semaines après, et la secrétaire me
dit que le Commissaire avait bien reçu mon courrier et qu’il avait été
stupéfait du contenu, me disant qu’il m’assurait de son soutien.
En ce qui concerne un emploi à la Commission, la secrétaire me donna
la procédure à suivre : s’inscrire sur le site Internet de la Commission.
Je ne l’ai pas fait. La raison ? Je n’aime ni la pitié ni me faire
pistonner, mais j’ai voulu simplement voir si dans mon cas, cela était
possible alors que je suis une victime. Mon abuseur, lui, a bien été
pistonné. Fin 2007, je pris l’initiative d’aller rencontrer l’ancien
sénateur J.P. Malmendier, Fondateur de l'ASBL « Marc et Corinne ».
Pendant une heure et demie, je lui racontai toute mon histoire, la façon
d’agir de la Justice, l’attitude peu amène du service d’aide aux
victimes et l’indifférence du politique. Il ne fut pas surpris de mes
dires. Et lorsque je le quittai, il me dit :
– Tout ce que vous faites ne sert à rien, sauf si vous écrivez votre vécu
et que vous le publiez.
Et concernant les politiques de me dire :
– C’est triste, mais c’est comme ça que tout fonctionne. Ils ne lisent
même pas les courriers. Comment voulez-vous que cela change ? 39

Le changement ! Voilà ce que j’attendais du politique en les mettant au


courant de mon affaire. Et les promesses faites aux centaines de
milliers de personnes dans les rues ? En ma qualité de victime, le seul
droit qu’il me reste est de dire que la Justice se cache derrière la loi en
disant : « C’est prescrit ! La loi, c’est la loi ! » Lors du jugement
39 « Le mépris des hommes est fréquent chez les politiques, mais confidentiel. » André Malraux
81
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

déclarant la prescription, la Substitut déclara d’ailleurs : « Il faut


encore apporter une nouvelle déception à la victime : celle de la Loi,
c’est prescrit. ».
Et le politique (le législateur) se cache derrière la Justice en évoquant
la séparation des pouvoirs. En résumé : rien ne bouge ! Sauf peut-être,
si les médias s’en mêlent ou qu’une victime étale sa souffrance dans
un livre. J’ai toujours été scandalisé des belles « phrases choc » des
hauts responsables politiques, religieux et de la magistrature lors de
faits de pédophilie. Plus haut, j’ai déjà donné les bonnes paroles du
Vatican. Je reprends ici ce qu’a dit le président du parti socialiste
francophone (Elio Di Rupo) le 03 juillet 2006 devant les caméras lors des
funérailles de deux enfants violés et tués par un pédophile : « Dans
tous les cas, les délinquants sexuels doivent être mis hors d’état de
nuire. Il est inacceptable de toucher à qui que ce soit ! Il est
doublement inacceptable de toucher à des enfants ! Et ce qui s’est
produit, nous révolte, nous laisse impuissant. Mais malgré notre
impuissance, il faut quand même prendre des mesures ! ».

J’ai voulu lui faire part de mon histoire et j’ai reçu comme réponse de
sa part qu’il était trop débordé ! Il me renvoya vers une de ses
collaboratrices. J’ai refusé son offre …

Dans mon cas personnel, le prêtre pédophile n’a-t-il pas bénéficié le


jour de ma constitution comme partie civile d’un emploi offert par
l'État, alors qu’il risquait la prison ? Son salaire est sans doute plus
élevé depuis, que lorsqu’il était rémunéré comme prêtre ! Quel fossé
entre les bonnes paroles et la réalité des faits ! Comment, dans de
telles conditions d’indifférence coupable, la victime pourrait-elle s’en
sortir ?
L’attitude du président du P.S. à mon égard, alors que je lui donnais en
main des éléments tangibles, ne fut pas un cas isolé. Instinctivement
depuis ma plainte contre le prêtre, j’avais trouvé ma thérapie : parler
de mon vécu à n’importe qui ! Je m’étais tu depuis des années, gardant
ces méfaits pour moi, et après les faisant connaître que dans le milieu
de l'Église, dans l’espoir d’une réparation promise. J’allais donc
inlassablement écrire à de nombreux responsables politiques, ayant
quelques fois « la chance » d’avoir un entretien avec tel ou tel député.

82
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

A part des encouragements pour mes démarches, rien ne suivait.


L’indifférence pour d’éventuelles autres victimes était de mise. Cela
pour tous partis confondus sauf le parti écolo auprès duquel je n’ai
jamais fait part de ma situation personnelle. Qu’aurait-il pu
m’apporter comme solution ? La priorité de ce parti est au
réchauffement climatique. Et cela est devenu pour les autres partis
politiques également la priorité, avec à présent la ritournelle du
pouvoir d’achat40, phénomène de mode oblige. Je le répète, à plusieurs
reprises, j’ai écrit à de nombreux politiques, la très grande majorité ne
répondit même pas ! Mais lorsque des élections approchent, ma boîte
aux lettres déborde de courriers de leur part, sollicitant mon vote. Ma
réaction ? Je retourne le courrier à l’expéditeur, marquant sur
l’enveloppe : refusé. Comme le dit bien le titre d’un film de Michel
Audiard : « Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des
canards sauvages ! ».

Certaines personnes m’ont déjà dit :


– Tu devrais faire de la politique !
Je leur réponds :
– Oui je sais. J’y ai déjà pensé, mais je mens trop mal !

Ce n’est pas non plus pour rien que lorsqu’un journaliste demanda au
tout jeune Mgr Léonard en 1991 ce qu’il aurait fait comme métier s'il
n’était pas devenu prêtre, il répondit : homme politique !41

40 Il en aura fallu des années pour que le politique se rende compte du coût élevé de la vie. Heureusement que la
Belgique est proche de la France, ainsi il est facile de copier leur politique. Mais les politiques n’ont jamais de
difficultés de fin de mois. De plus avec leur bon salaire, ils peuvent sans souci investir dans l’immobilier et lors
de leurs vieux jours bénéficier des revenus des investissements (locations…). Leurs enfants peuvent aussi faire
de belles et coûteuses études, ainsi la relève sera assurée. L’homme du peuple, travaille pour payer son loyer,
manger… métro, boulot, dodo, et la grande partie de son salaire va à l'État, sans oublier toutes les taxes. Le
peuple se serre la ceinture et les puissants gaspillent l’argent. Que dire quand la presse (La DH 6/11/08) ose
révéler des choses inouïes ? Comme le fait que Sa Majesté le Roi fasse venir en Inde un avion de Belgique, au
cas où celui sur place tomberait en panne ! Ou encore lors de ce même voyage officiel, le fait que le ministre des
Affaires étrangères belge vint en Inde en Falcon depuis Goma et que cet avion repartira vide en Belgique.
Pourquoi ne pas profiter de ces vols pour amener à la population pauvre d’Inde des vivres ? La question
climatique n’est guère une préoccupation pour les élites…sauf dans les discours.
41 Émission télévisée « Strip tease ».

83
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« L’homme laisse l’homme en détresse. »

Mc Solaar

d) La Société

Selon mon dictionnaire42, la Société est « un ensemble de personnes


entre lesquelles existent des rapports organisés (avec Institutions,
sanctions, etc.) ». En ce qui concerne la pédophilie, la Société a
tellement honte de ce mot que pour reprendre le même dictionnaire, ce
mot n’y est même pas présent. Dans la tête de beaucoup de gens, un
pédophile est quelqu’un qui aime les enfants. Est-ce cela la vérité ? Un
pédophile n’est-il pas un criminel, un abuseur, un malade sexuel ?
Saint Nicolas et le père Noël aiment les enfants. Est-ce pour cela
qu’ils sont des détraqués sexuels et qu’ils vont violer les enfants ? Les
enfants se jettent dans leurs bras en toute confiance. Ainsi donc,
pourquoi donner comme définition du pédophile : quelqu’un qui aime
les enfants ? Pourquoi ne pas dire directement aux enfants qu’un
pédophile est quelqu’un qui abuse sexuellement d’eux, que c’est un
violeur ? Lorsqu’un enfant tombe dans les griffes de ces malades et
qu’il ose révéler ces méfaits, sa parole est souvent mise en doute.
C’est toujours à la victime de prouver ce que son abuseur lui a fait, car
il y a toujours l’éternelle présomption d’innocence. Le bénéfice du
doute est toujours pour la personne incriminée. Cela, j’en conviens, est
nécessaire afin d’éviter toutes accusations mensongères. Mais
comment alors une petite victime ayant été abusée oserait-elle parler si
elle a subi une telle cruauté de la part d’un adulte ? Va-t-on la croire ?
Devant la Justice, il faut toujours tout prouver, comment avoir des
preuves quand un enfant est abusé sexuellement par un adulte et, qui
plus est, quand l’agresseur est un prêtre ? Lorsqu’un prêtre abuse d’un
enfant il y a double trahison. Pour l’enfant, pour la Société et même
pour l'Église ! Le prêtre est de l’ordre du sacré ! Comment l’enfant
pourrait-il dénoncer l’innommable ? De plus, il est toujours plus
42 Dictionnaire Le Robert, 1995.
84
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

pénible à un jeune garçon de dénoncer de tels faits, car il y a la honte


d’une relation homosexuelle. S’il dénonce ces faits, il se sentira la
risée de son entourage n’ayant pu réagir fermement contre de tels
abus. Les pédophiles, et surtout ceux qui ont autorité sur les enfants,
savent bien cela ! Ils abusent. L’enfant se taira et n’osera jamais parler
faute de preuves tangibles et du fait qu’il sera habité par la honte et un
sentiment de culpabilité.
Il est toujours question de preuves dans les procès. Que doit faire un
enfant abusé après de tels actes ? Récupérer le mouchoir où se trouve
la semence, comme mon abuseur le faisait à chaque fois ? Doit-il se
rendre chez l’abuseur avec un enregistreur dans la poche et lui faire
dire des cochonneries ? La police ne va-t-elle pas dire que l’enfant a
piégé l’adulte ? Pour ma part, sur la cassette, il n’y aurait eu que la
voix de « mon prêtre abuseur », car le mutisme m’habitait à chaque
fois que je franchissais sa porte.

Est-ce sans doute pour cela que les pédophiles abusent d'enfants de
sexe masculin? Car en violant une fille, il y a le risque de la preuve
irréfutable: l'enfant à naître, dont le test ADN prouverait de l'origine
du crime.

Il est difficile pour un enfant et même un adolescent, de dénoncer de


tels méfaits. En ce qui me concerne, j’ai pu me rendre compte de la
raison pour laquelle de nombreuses victimes n’osent jamais révéler ce
qu’elles ont subi. Dans mon cas, comme je l’ai dit plus haut, j’avais
révélé les faits à l’évêque auxiliaire, Mgr Musty, lorsque ceux-ci
avaient lieu ! Je n’ai eu droit à aucune réponse. Comment, dans ces
conditions, penser que les agissements du prêtre étaient un mal ? A
quatorze ans, un adulte, de surcroît un prêtre, m’apprenait la sexualité,
pire l’homosexualité ! J’avais osé dénoncer cette déviance à l’autorité
sachant au fond de moi-même que ces agissements étaient mal et cette
autorité n’a pas daigné bon de venir à mon secours. Pourquoi faut-il
toujours que les pédophiles abusent des enfants venant d’un milieu
familial précaire43 ? Cet évêque connaissait bien mon milieu familial
43 J’en donne la réponse : un pédophile n’abusera jamais d’un enfant d’une famille d’avocat, de ministre et que
sais-je encore ? Le pédophile en abusant un enfant de cette classe sociale sait très bien qu’il n’aura aucune
chance de s’en sortir. Directement, une enquête approfondie sera menée. Ces gens-là n’accepteront jamais
d’arrangement à l’amiable. Ils voudront la justice, avec raison ! Tandis que les familles défavorisées ont du mal à
côtoyer la justice.
85
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

puisqu’il était natif du même village que les membres de ma famille


paternelle. Si un jeune ou un enfant avait écrit à l’évêque, pour se
plaindre que le prêtre de son village abusait de lui sexuellement, et que
celui-ci venait d’une famille aisée, il est évident que le courrier ne
serait pas resté sans réponse par peur du scandale. Pour moi, subissant
ces abus, je le répète de la part d’un prêtre, voyant le silence radio de
l’évêque, je me suis dit que ce comportement était normal. Bien sûr,
une fois au Séminaire, la notion de péché m’habitait. Le prêtre qui
avait abusé de moi, avait perturbé toute ma sexualité et ma vie
affective. Même le nouvel évêque (Mgr Léonard) minimisa ce que le
prêtre m’avait fait, puisqu’il osait le couvrir, et moi, il me bernait par
des promesses. C’était donc la tactique de l'Église ! Et leur aide à mon
égard était pour eux de la charité, alors que j’étais une victime d’un
prêtre pédophile qui avait avoué les faits. Face à la pédophilie, l'Église
est naturellement dans une logique de pardon, allant même au point
que les victimes doivent pardonner à leur bourreau, faisant fi que les
prêtres pervers risquent de recommencer. Il est plus facile pour la
société et surtout pour les responsables d’institutions, face à de tels
faits odieux, d’avoir la même attitude que prônent les trois singes de la
sagesse dans la mythologie chinoise (le sourd, le muet, l’aveugle) : ne
rien dire, ne rien voir et ne rien entendre.

Toute ressemblance avec la réalité est à imputer à cette dernière


86
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Quel courage ne faut-il pas aux victimes enfants et même adultes pour
pouvoir dire un jour ce qu’elles vivent ou ce qu’elles ont vécu !
Combien de personnes meurent en emportant ce pénible secret ? Et
pire ! Combien se suicident, n’osant pas révéler à la société ou même
à une seule personne l’ignominie qu’elles ont subie. Drôle de société
où la victime met fin à ses jours, car elle s’est sentie salie dans son
corps et dans son âme alors que les abuseurs eux ne prennent même
pas conscience du mal qu’ils ont fait et vivent quand ils sont
condamnés à la solde de la société, ou quand ils ne le sont pas,
commettent impunément d’autres crimes. Quand les faits sont
reconnus par l’abuseur et par la Justice – comme dans mon cas-,
combien de fois n’ai-je pas entendu de la bouche de magistrats, de
politiques, de psychologues des encouragements à tourner la page et à
oublier ? Est-ce si facile d’oublier quand je vois comment mon affaire
a été traitée par les hauts responsables de la société de mon pays ?
Qu’on me trouve un pédophile qui ait abusé uniquement d’un seul
enfant ! Il est très rare qu’un pédophile mette fin à ses jours à cause de
son comportement criminel. Combien de fois le prêtre abuseur et son
avocat n’ont-ils pas dit lors des procès que je n’avais aucune séquelle
malgré de nombreux rapports neuropsychiatriques me concernant et
attestant du contraire. Si tel était le cas, enfant, ne connaissant rien de
la vie sexuelle, ayant tout appris de cela par un prêtre, ma vie aurait
été comme celle de toute autre personne (sans cauchemar, sans
sentiments de honte, de culpabilité, ayant une vie affective, amoureuse
et sexuelle normale…) ? Pourquoi alors n’ai-je pas droit à mon nom
dans le livre des records ou à une médaille du chef de l'État ? Non, il
est évident que ma vie après de tels méfaits est remplie de séquelles !
Le prêtre ne m’a pas appris la sexualité mais la pédophilie, puis
l’homosexualité ! J’avais besoin d’affection et il bascula
immédiatement dans la « sexualité ». Pendant longtemps, après ce que
j’ai eu à subir, j’ai pensé que l’issue fatale de l’amitié ou de l’affection
devait être la sexualité. C’est bien pour cela que j’évite d’avoir des
amis. Je sais qu’avec des si on pourrait mettre Paris dans une
bouteille, mais je suis certain que si je n’avais pas eu le courage de
porter plainte contre le prêtre, je serais devenu un drogué, un prostitué
ou un clochard ; Et qui sait… : un suicidé.

87
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

J’ai toujours détesté la pitié, la pseudo-charité, mais également


l’hypocrisie. Ces comportements sont fort usuels chez bon nombre de
calotins. Aux yeux de ces derniers, un enfant ou un jeune qui passe
son temps chez les prêtres et qui ensuite entre au Grand Séminaire est
jouissif. Savoir qu’ils connaissent et entretiennent une relation
d’amitié avec un jeune qui bientôt célébrera la messe n’est pas
courant. De ce fait, ils se sentent honorés ! J’aimais correspondre avec
les habitants de mon village et avec les prêtres de la région pour leur
annoncer mes vœux de fin d’année. Combien de fois à cette époque
n’ai-je pas reçu dans l’enveloppe de leur réponse de l’argent ? Cela
me faisait plaisir mais j’ose croire que ce plaisir était beaucoup plus
important pour eux. Quand j’ai quitté le Séminaire, j’ai pu me rendre
compte que je n’étais plus rien pour ces gens-là. Je continuais à avoir
la bonne habitude d’écrire mes vœux de fin d’année. Et c’est à peine si
j’avais une réponse. Jamais plus je n’ai eu la surprise d’avoir de
l’argent dans un courrier. Ce n’est pas Joël qu’ils aimaient mais le
petit enfant de chœur, le séminariste !
Une victime d’un pédophile culpabilise toujours. Pour ma part, ayant
eu « la chance » d’obtenir les aveux de l’abuseur, les promesses de
l’évêque et du prêtre pédophile de réparer, la culpabilité me pesait
moins. Par contre, leur attitude mensongère et hypocrite à mon égard a
été à l’origine de ma révolte et de mon combat. J’ai appris que la
théorie de l'Église est de garder les affaires de pédophilie secrètes, et
pour eux la meilleure façon de garder un secret est de ne le dire à
personne. Mon combat était de tout faire à l’opposé de cette façon
d’agir afin que la vérité soit connue. Avant chaque audience du
tribunal, j’eus l’intelligence de prévenir les journalistes qui firent de
bons et grands articles dans la presse écrite. Sans cela, je contribuais à
la théorie du secret des autorités ecclésiastiques, et aurais-je pu alors
parler de combat ? Il eut été facile d’attendre les verdicts de mes
procès contre mon abuseur et contre l’évêque, couché sur mon divan.
Non ! Bien au contraire. J’ai averti la presse et j’ai parlé de mon vécu
peu banal à qui voulait l’entendre, allant jusqu’à montrer les
documents pour être crédible dans tous mes propos. La Justice est
tellement lente, la victime tellement seule et le coupable si libre de
poursuivre ses occupations. Il n’a pas cessé de bénéficier lui, de son
statut de prêtre et d’éducateur spécialisé 44. La victime, elle, vit une
44 J'aime insister sur le mot spécialisé, car spécialisé en quoi?
88
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

véritable destruction. Comment est-il possible pour cette dernière et


dans de telles conditions, de laisser le temps passer sans agir ? Malgré
le fait que le prêtre eut ses procès, pour la société mais aussi pour son
entourage et surtout pour les calotins, il est toujours un bon prêtre et
un excellent éducateur spécialisé ! Pour preuve, le témoignage donné
au cours du procès au pénal par le directeur du centre où est employé
le prêtre incriminé : « A partir du 1er avril 2001, Gilbert Hubermont a
pu être engagé avec un contrat de travail à durée indéterminée pour
occuper un poste d’éducateur spécialisé A1 mis à la disposition de
l'ASBL par la région wallonne […]. L'ASBL a fait progressivement
appel à d’autres compétences de Gilbert Hubermont pour couvrir
deux secteurs d’activités […]. C’est ainsi que Gilbert Hubermont a
rempli un rôle centralisateur, dynamique et efficace dans la gestion et
la finalisation de plusieurs données de subsidiation par les pouvoirs
publics en collaboration avec la comptable de l’institution ; fond
social européen, Objectif 3, Objectif 5b, Région Wallonne Entreprise
de Formation par le Travail, etc. […] Gilbert Hubermont a également
initié un important travail de représentation de l'ASBL et de ses
bénéficiaires dans des organismes tels qu’Acalux (Association des
centres d’accueil du Luxembourg) dont il exerce le rôle de président,
l’AMA (Association des Maisons d’Accueil) et ALEAP (fédération
EFT) où il représente officiellement et défend les intérêts de
l’association et de ses bénéficiaires.
Gilbert Hubermont s’est également investi dans la recherche de fonds
ou de parrainages privés pour améliorer la qualité de
l’accompagnement des pensionnaires hébergés et des stagiaires en
formation par le travail en élevage et horticulture. C’est ainsi qu’il a
tissé des liens de confiance et de solidarité avec d’importants
sponsors tels que Electrabel, la fondation Drèze, la banque Triodos,
Cera Fondation, Génération solidaire ASBL, l’abbaye d’Orval, le
département des affaires sociales de la Province du Luxembourg, des
donateurs privés, l'ASBL vivre ensemble… ».

Il est clair à la lecture de ces lignes que la seule raison pour laquelle le
prêtre est apprécié dans son travail est sa détermination à la recherche
de fonds. Cette société se préoccupe plus de l’argent que de probables
futures victimes. Elle est remplie d’hypocrisie et de profits. Il n’y a

89
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

que lorsqu’un scandale éclate au grand jour que la société se


préoccupe des victimes, et s’horrifie des actes causés par des
détraqués sexuels.
J’ai toujours aimé rendre service sans rien attendre en retour. A
l’école, je préférais rester près des surveillants au lieu d’aller jouer
avec mes camarades. Je surveillais avec eux les élèves du haut des
marches de la cour de récréation. Durant toutes mes années scolaires,
j’aimais nettoyer le tableau de la classe. Et quand, j’étais aux études
supérieures, au lieu de passer mon temps libre à discuter, à manger
avec mes camarades, je restais à la bibliothèque de l’école pour aider
la Religieuse qui m’avait nommé responsable de la photocopieuse. Je
n’ai jamais demandé de l'aide à qui que ce soit. J’ai toujours refusé de
peur de perdre leur amitié. C’est grâce à mon travail, à des intérims, et
des privations que j’ai pu financer toutes mes démarches judiciaires.
Pour le procès au civil, j’avais besoin de témoignages de personnes
m’ayant connu à l’époque des faits causés par le prêtre, j’ai écrit à une
dizaine de personnes m’ayant côtoyée enfant. J’ai reçu la moitié des
réponses. Aux autres personnes dont je n’avais pas eu de réponse, je
leur fis part à nouveau un mois plus tard de ma demande au cas où les
courriers se seraient égarés par la poste. Toujours pas de réponse !
Comme je suis persévérant et que j’aime ce qui est juste, je laissai
encore un nouveau mois s’écouler. Je leur réécris leur disant
simplement : « Je vous fais part que votre indifférence me peine. Il est
compréhensible que d’aucuns ne souhaitent pas témoigner. Mais,
l’indifférence est ce qu’il y a de pire en ce monde ! » Je ne leur
demandais pas d’argent et je ne les obligeais pas à me donner un
témoignage. Je leur quémandais une réponse ! Il est triste de constater
que c’est la Religieuse, pour laquelle je consacrais mon temps libre à
faire des photocopies, de même que le Directeur de l’école
m’autorisant à partir plus tôt afin de ne pas déplaire à mon ancien
curé, bienfaiteur pour l’école et encore de bons calotins, qui ne m’ont
même pas répondu.

A cause ou grâce à l’attitude des autorités ecclésiastiques à mon égard,


je suis devenu un non-croyant. Le comportement de soi-disant bons
chrétiens ayant appris mon histoire me choque. Ils ont encore plus de
compassion envers le prêtre coupable qu’envers moi ! Je suis sûr que

90
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

si le prêtre allait leur demander de l’aide pour les gens dont il


s’occupe, ou même pour lui-même, ils y répondraient volontiers
favorablement. Cette société est hypocrite. Le pouvoir, le paraître et le
mensonge sont souvent pratiqués. Je m’explique : le prêtre dont les
faits ont été reconnus par lui et par le Parquet bénéficie du soutien
d’amitiés, voire de compassions. Alors même qu'il allait jusqu’à dire
au tribunal qu’il ne m’avait jamais forcé. Pourquoi ne pas dire au
tribunal que c’est moi qui l’avais violé ? Moi, victime, qu’ai-je eu
comme soutien ? Rien ! Si je n’avais pas l’affection d’un chien, je me
serais tué ! S’est-on préoccupé de moi ? Je puis dire : très peu de gens.
Avec une main, j’ai déjà trop de doigts pour les compter. C’est grâce à
l’amour que j’ai porté envers mon chien et sa tendresse en retour, sans
arrière-pensées, que j’ai pu m’en sortir humainement sans sombrer
dans une dépression majeure ni « tourner la page » comme beaucoup
l’auraient souhaité. Comment peut-on tenir ce genre de discours
insensé ? Il est impossible d’oublier ! J’essaie, au travers de mon
combat, de vivre avec le poids des faits dont je fus victime, mais
également de l’âpreté de ce monde, son hypocrisie, sa duplicité inouïe.

Une association (en France) de victimes d’abus sexuels sur mineurs, me


proposait de leur verser de l’argent afin d’être membre. Une autre
association (à Bruxelles), me parlait plus de ce qu’elle faisait que
d’écouter mon combat. Il est vrai que je n’étais pas un donneur, mais
une simple victime ! Cette association récolte des fonds auprès de
personnalités45. Lors de ma rencontre avec la présidente de cette
association, je n’avais qu’une demande : qu’elle puisse à chaque fois
qu’elle rencontre une personnalité lui demander une photo dédicacée à
mon nom. Elle me le promit. Je souhaitais être soutenu et elle me
donna l’impression de me comprendre. J’attends encore aujourd’hui la
première de ces photos. Au début de mes plaintes, j’avais même écrit
au Délégué général aux Droits de l’enfant. J’eus comme réponse écrite
qu’il ne savait rien faire pour moi car j’étais majeur et qu’il ne
s’occupait que des mineurs. Oui, je peux comprendre, étant mineur à
l’époque des faits et n’entrant plus dans la catégorie précise des
victimes pouvant être défendues. J’y trouve une hérésie, ce que
l'Église ne manquera pas de me reprocher d’ailleurs. Je suis, aux yeux
des psychiatres et des experts, dans une situation de profond
45 Celebritiesunitforchilfprotect.
91
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

effondrement, dû à un traumatisme subi durant ma période de


minorité. Fallait-il donc que le législateur compartimente à ce point et
ignore le délai nécessaire de l’émergence de notre témoignage, de
notre vérité implacable ? Je parle de toutes les victimes des actes de
pédophilies ! Pendant mes procès au civil, contre l’évêque et contre le
prêtre, j’ai même écrit au papa d’une des victimes de Dutroux, voyant
dans les médias son action pour les enfants disparus, et ensuite pour
les enfants d’Afrique. Cette personne avait sans doute beaucoup
souffert de savoir que sa fille avait été victime d’un pédophile et, de
plus, assassinée par ce dernier. Je lui écrivis car je savais par les
médias cette personne en réelle souffrance d’avoir été seule face à une
certaine justice. Je n’ai eu droit qu’à des accusés de réception par
courriels et, via sa secrétaire, une réponse me disant qu’il avait un
agenda surchargé. Je ne l’ai donc pas embêté plus longtemps.
L'association que j’avais été voir à Bruxelles me donna les
coordonnées d’un autre parent d’une des victimes de Dutroux qui a
fondé une association (Huis Van An). J’ai laissé un message sur le
répondeur et jamais je n’ai eu de réponse. J’ai même été plus loin. J’ai
écrit (en anglais) à Bill Gates et aussi à Oprah Winfrey qui consacrent
ostensiblement leur « argent » à la lutte contre la pédophilie. Je n’eus
jamais de réponse.46 Que le lecteur sache que tous ces gens ne sont pas
honnêtes. Combien de riches font des dons à des œuvres humanitaires
uniquement pour payer moins d’impôts ? Mais à quoi bon créer des
associations puisque lorsqu’une victime appelle à l’aide il n’y a pas de
réponse ? Un dernier exemple concret, j’ai écrit au célèbre mécène
français Pierre Bergé qui a créé SOS homophobie. Je lui fis part des
propos de l’évêque de Namur47 et lui parlai, dans mon courrier de mon
affaire avec des documents à l’appui. Là aussi, pas de réponse. Je ne
veux en aucun cas que la société belge devienne ou agisse comme cela
se passe aux États-Unis d’Amérique. Là, l’argent achète le silence et
la justice ne peut donc pas faire son travail. Mais en Belgique, les
affaires de pédophilie sont traitées comme de simples accidents de la
46 Lors du voyage pastoral de Benoît XVI aux U.S.A., j’ai également contacté l’association des victimes des
prêtres pédophiles SNAP (Survivors Network for those Abused by Priests). Malgré mon courrier traduit en
anglais, je n’ai, là encore, reçu aucune réponse à part un accusé de réception !
47 En avril 2007 Mgr Léonard qualifie l’homosexualité d’anormalité, au terme d'une analyse freudienne de la

question. La Chambre du Conseil de Namur a considéré que les déclarations de Mgr Léonard étaient, certes, de
nature à blesser la communauté homosexuelle mais qu'elles n'avaient pas l'intention de la discriminer, et a donc
bénéficié d’un non-lieu suite à une plainte contre lui pour homophobie.

92
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

route où seule la carrosserie serait froissée. Entre le laxisme et


l’étouffement des affaires au moyen de grosses sommes d’argent, il
faut un juste milieu qui permet à la victime d’être reconnue comme
telle et sans que le coupable ne s’en sorte grâce à des pressions
transactionnelles sur la victime. Jamais, je n’aurais accepté un
quelconque chantage de ce genre. Le prêtre pédophile et l’évêque l’ont
très bien compris, sachant par mon attitude, que j’étais intègre et
déterminé.
Le plus choquant est de constater que dans le domaine de l’hypocrisie,
l'Église est au plus haut du sommet ! Combien de prêtres à qui j’ai fait
part de mon histoire ont été révoltés au plus profond d’eux-mêmes ?
Combien de prêtres n’ont pas eu la même réflexion suite à mes
propos, me racontant comment l’évêque préférait protéger des prêtres
pédophiles, lorsque certains vivent avec une femme, ou encore étaient
pères quand ce n’est pas ceux qui vivent ostensiblement leur
homosexualité ? Cela n’a qu’un seul but, renforcer le pouvoir de
l’évêque. Qu’un des prêtres de l’évêque vive mal son célibat n’est pas
un souci pour lui. Un prêtre me confia un jour qu’il avait été convoqué
par le prélat car ce dernier avait appris qu’il allait la nuit dans un parc
que beaucoup d’homosexuels fréquentent. Le prêtre fut surpris de
l’attitude de l’évêque envers lui. Ce dernier ne lui fit aucun reproche
sur sa pratique sexuelle. Il lui dit simplement de faire cela ailleurs,
loin de Namur car, ici, on le connaissait. L’évêque est certes le
responsable de ses prêtres, mais ce n’est pas lui qui les paie : c’est le
Trésor public ! Et force est de constater que lorsque certains d’entre
eux ne peuvent respecter leur célibat ou, pire encore, lorsqu’ils
abusent d’enfants, l’évêque et son vicaire judiciaire traiteront cette
affaire dans le plus grand secret. Si un jour, il devait y avoir une
sanction à cause du fait que des gens seraient au courant de ces
méfaits, ils n’auraient comme sanction qu’un déplacement et
pourraient donc reproduire leurs pulsions ailleurs dans l’attente d’une
autre dénonciation ! L’évêque sait très bien qu’il n’a rien à craindre,
séparation des pouvoirs oblige ! Il est libre de faire ce qu’il veut de ses
prêtres. L'État n’a aucun droit de regard sur les nominations, le
ministère de la Justice se contentant de verser les salaires. Soit dit en
passant, de bons salaires48 ! Et ce ne sont pas des dotations où les
48De plus, les prêtres ne doivent pas épargner pour leurs vieux jours ou payer des prêts toute leur vie pour
posséder une maison. L'État leur offre le logement et autres avantages, et lorsque le prêtre est pensionné -à 75
ans !-, il sera aumônier dans une maison de retraite…
93
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

bénéficiaires doivent payer leur personnel avec leur rémunération, car


même les secrétaires des évêchés sont payés par le ministère de la
Justice !49 J’ai été outré un jour d’entendre Mgr Léonard, à la
télévision, dire qu’il n’avait jamais plus de mille ou deux mille euros
sur son compte en banque50 ! Et que son attitude dans la vie est de ne
rien posséder51 ! Quand je vois dans le rapport des Sages52 que le
salaire d’un évêque est de 55.127,56 euros par an, montant qui doit
être indexé (à savoir : indice d’indexation de 1,3728), ce qui fait
75.679 euros/an, soit 6.306,58 euros mensuels, je crois rêver. Sans
oublier les avantages que lui confère sa charge épiscopale ! Dont un
élément important dont peu de citoyens peuvent jouir, et, qui est le
remboursement des frais de déplacement avec un plafond illimité !
Plus encore une plaque d’immatriculation ministérielle pour sa
voiture53 ! Quel affront pour le commun des mortels !54 Le lecteur s’il
veut fouiller un peu, peut se procurer ce rapport sur le site Internet du
ministère de la Justice, il y verra les différences énormes entre les
salaires en fonction de la religion. Le pauvre cardinal a un salaire de
93.870 euros par an. Toujours la religion catholique la plus
privilégiée ! Des prêtres historiens me parleront de la Révolution
française, évoquant la spoliation des biens de l'Église et que c’est donc
à juste titre, grâce au Concordat de Napoléon, que l'État doit
rémunérer (et héberger) les ministres du Culte. Merci Napoléon ! Mais
que dire des croisades, l'Église a-t-elle indemnisé qui que ce soit ?
49 Le salaire des prêtres est réglementé par la loi du 2 août 1974 relative aux traitements des titulaires de
certaines fonctions publiques, des ministres des cultes et des délégués du Conseil central laïque (publié au
Moniteur Belge du 19 septembre 1974) en son Chapitre 4 (articles 26 à 31bis).
50 J.T. de la R.T.B.F. du 28/04/07.
51 Ibidem.
52 Le financement par l'État fédéral des Ministres des cultes et des délégués du Conseil central laïque, S.P.F.J.,

Rapport de la Commission des Sages 2005-2006.


53 Les plaques d’immatriculation pour les plus hauts représentants des cultes confessionnels reconnus en

Belgique sont prévues par l’arrêté royal du 20 juillet 2001 relatif à l’immatriculation de véhicules (M.B.,
8/08/2001) dont voici l’extrait : « Art 20 § 2. 2° la marque d’immatriculation « A », au président de la Chambre
des Représentants, aux membres du gouvernement fédéral, aux ministres d'État, aux représentants de la haute
Magistrature, aux Gouverneurs de province, aux plus hauts représentants des cultes confessionnels reconnus
ainsi que du Conseil Central des Communautés Philosophiques non Confessionnelles de Belgique (…) »
54 Sans oublier que pour Mgr Léonard, beau parleur, il est très facile de quémander de l’argent à ses fidèles, j’en

veux pour preuve ces lignes prononcées lors de son homélie en juillet 2000 lors de la session du Renouveau
charismatique : « Il y a peu, je suis allé passer trois jours à Medjugorje. J’ai vu une des 30 ou 35 communautés
du Cénacle fondées par Sr Elvira. J’ai dit la messe devant une centaine de jeunes sortant de l’enfer de la drogue
par l’adoration du St Sacrement, la prière, l’Eucharistie, le travail. L'Amour de Dieu révélé aux petits. J’espère
d’ailleurs accueillir une communauté du Cénacle dans le diocèse… Mais il me manque l’argent pour lui acheter
une maison. (S’il y a parmi vous des millionnaires qui désirent lâcher des cacahuètes, ils peuvent m’écrire.).
Source : www.renouveau.be Sans oublier ses nombreuses conférences au Cercle de Lorraine à Bruxelles -ou
ailleurs- où l’assemblée n’est pas composée des plus pauvres du pays !
94
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Je reprendrai ici quelques lignes d’un ouvrage français : « Ce n’est


pas Dieu qui crée l’homme, c’est l’homme qui invente Dieu. Parfois
un seul, parfois plusieurs. Si Dieu, si les dieux n’existent pas, la
religion est la plus vaste escroquerie dans le temps et l’espace de
l’histoire de l’humanité. »55 Un prêtre de mon enfance me disait
souvent en boutade : « La religion catholique est une secte qui a bien
tourné ! »
Il est vrai que la religion catholique a l’art de mettre les autorités de
son côté. Outre le pouvoir de la confession -qui est en quelque sorte
un viol de l’âme consenti par la victime- 56 ; et quand on sait combien
sont des pratiquants fervents au plus haut sommet de l'État, l'Église
peut et veut fabriquer des saints. Que n’a-t-on pas dit lors des
funérailles du Roi Baudouin Ier ! Il allait presque être béatifié de suite.
Il est évident que l’extase est alors présente dans le cœur des membres
de la famille royale. Un membre de notre famille bientôt béatifié, puis
bientôt saint ! Comment donc, ne pas protéger une telle institution et
lui accorder des privilèges à la pelle. Cela s’observe également dans
d’autres pays. Regardons quel titre reçoit le président de la République
en France dès qu’il commence son mandat. Il devient Chanoine du
Latran, pas moins que ça ! Sans même être prêtre ! Quel honneur ! Je
dirais : quel cirque. Il est vrai que quelques années plus tôt, en 1998, le
cardinal Ratzinger était fait Commandeur de la Légion d’ Honneur en
France ! Un peu plus loin de chez nous, en sept années de présidence
des États-Unis d’Amérique, le président Bush n’est jamais allé
accueillir un chef d'État à sa sortie d’avion. Il a fallu que Benoît XVI,
certes chef d'État du Vatican, mais aussi chef d’une religion ait le
privilège d’être accueilli57 par le président en personne qui, soit dit en
passant, est protestant… C’est dire l’honneur qui est fait au Pape. La
religion musulmane n’est-elle pas la première en ce monde à
présent… Cela fera-t-il changer les choses ? J’en doute, que du
contraire. « L'Église, voilà l’homme d’affaires des grandes affaires
durables.58 »

55 Jacques Georgel, Le procès d’un prêtre pédophile, Le Manuscrit, 2005, p.31.


56 N’ai-je pas constaté à plusieurs reprises des camarades du Séminaire se confesser auprès de prêtres d’une
communauté religieuse au centre de Namur, cela dans le but de confesser des péchés inavouables à son
confesseur du Séminaire ! Une pratique courante de faire le tri de ses péchés.
57 Base aérienne d'Andrews de Washington, 15/04/2008, V.I.S., www.vatican.va.
58 Arthur Adamov.

95
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

L'Église catholique a aussi, par ses prêtres, le pouvoir de pardonner les


péchés. Là, est aussi pour moi une cause de la pédophilie 59. Les
évêques ont souvent considéré la pédophilie comme un simple péché.
Et les prêtres qui ont le pouvoir de pardonner tout péché peuvent se
sentir indéfiniment pardonnables quoi qu’ils fassent. Sûrs d’entretenir
de bonnes relations avec le sacré, certains prêtres en concluent qu’ils
sont au-dessus des lois et des règles communes 60. La victime, quant à
elle est invitée à pardonner à son ennemi 61 si elle veut bien être dans la
ligne philosophique de cette religion. Là encore : quelle arnaque,
quelle escroquerie ! Dans une secte, on parlerait de bourrage de
crâne ! Si la victime ose parler, ose s’attaquer à l'Église, elle sera
rejetée par beaucoup, au lieu d’être soutenue et encouragée. Toujours
la peur du scandale ! L'Église a toujours fait montre de beaucoup
d’ingéniosité en ce domaine. Dans ce contexte, une victime se sent
toujours coupable de ces faits, alors qu’elle est pénalement
irresponsable, étant mineure, incapable de formuler un consentement
valable. Et, quand, de surcroît, durant toute son enfance et son
Séminaire, la victime égrène sans arrêt des dizaines d’Ave dont la
rengaine est de demander à la Vierge Marie : « Prie pour nous
pauvres pécheurs ! », il est évident que la victime se sent encore
davantage coupable.
J’étais pourtant dans le chapitre : Société, et je m’attarde à l'Église …
Mais comme le revendique bien souvent Benoît XVI, la religion n’est
pas une affaire privée62. C’est bien vrai ! Toute la Société en est
baignée ! No comment ! C’est un bon argument pour toutes ces
59 J’ai été frappé, lors de mon enfance, de constater que « mon » prêtre abuseur instaura à son arrivée dans la
paroisse une nouvelle manière pour se confesser. L’absolution collective. L’église du village était toujours pleine
lors de ces rituels répétés pour les grandes fêtes religieuses ! Déjà petit, je trouvais cela farfelu, mais il persistait
à confesser de la sorte. Cette façon de procéder n’est autorisée par le canon 961 que lors de’ grave nécessité’.
Inexistante en Belgique ! Il n’est pas étonnant qu’un prêtre s’autorisant de confesser les fidèles comme si un
danger de mort imminent allait se produire, sans même entendre individuellement la confession des péchés, croie
que tout est pardonnable en un clin d’œil, et ainsi se permette des actes odieux envers l’enfant que j’étais…
60 De plus, les prêtres jouent souvent sur les mots en ce qui concerne leur vie sexuelle. Les prêtres ne font en

aucun cas vœu de chasteté. Faire vœu de chasteté est propre aux religieux. Les prêtres s’engagent au célibat. Ce
qui leur permet de se sentir encore une fois moins coupables. Tous les célibataires ne sont pas chastes !
61 Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ! (Pater Noster)
62 (…) Est-il cohérent de professer notre foi le dimanche, puis, en semaine, de promouvoir des pratiques en

affaires ou des procédures médicales contraires à cette foi ? Est-il cohérent pour des catholiques pratiquants
d’ignorer ou d’exploiter les pauvres et les marginalisés, de promouvoir des comportements sexuels contraires à
l’enseignement de l'Église, ou de prendre des positions qui contredisent le droit de vivre de chaque être humain
depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle ? Il faut résister à toute tendance à traiter la religion comme une
affaire privée. (…) Dans le christianisme, il ne peut y avoir de place pour une religion purement privée : le Christ
est le Sauveur du monde, et en tant que membres de son Corps (…) nous ne pouvons séparer notre amour de Lui
de notre devoir de construire l'Église et d’étendre son Royaume. A tel point que si la religion devient affaire
purement privée, elle perd son âme même. » Benoît XVI, 19/04/2008 à Washington, V.I.S., www.vatican.va.
96
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

personnes qui demandent sans cesse aux victimes avec un certain


reproche : « Pourquoi avez-vous dénoncé les faits si tard ? » En tout
cas, pour moi, ce fut une raison majeure de mon silence !

97
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« Je ne suis pas abattu, je n'ai pas perdu


courage. La vie est en nous et non dans ce qui
nous entoure. Être un homme et le demeurer
toujours, quelles que soit les circonstances, ne
pas faiblir, ne pas tomber, voilà le véritable sens
de vie. »

Dostoïevski

Mon combat

Le procès au civil contre l’évêque

(2006-200…)

« Je connais trop les hommes pour


ignorer que souvent l’offensé pardonne,
mais que l’offenseur ne pardonne jamais. »

J.J. Rousseau

Ma vie a donc été gâchée à cause de ce prêtre pédophile. Ma vie aurait


pu être toute autre si ce prêtre n’avait pas abusé de moi lorsque j’étais
enfant ! Comme de nombreuses victimes qui ont vécu ce que j’ai subi,
j’aurais pu me taire. J’aurais pu tourner la page après un procès au
pénal qui déclara la prescription alors que j’étais dans les délais légaux
pour porter plainte. J’aurais pu me culpabiliser à jamais et rester dans
un mutisme laissant mon abuseur sans remords et tranquille de tous
soupçons alors que c’est lui le bourreau, lui le détraqué sexuel.
J’aurais pu mettre fin à mes jours suite à cette agression sexuelle et la
manière dont elle a été traitée par la Justice et l'Église…
Pourtant, il est connu de tous que la condamnation d’un coupable sert
à la reconstruction de la victime.
Je me suis toujours demandé si cette législation sur les crimes sexuels
était réellement consciente des situations vécues ? Je ne pense pas
98
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

avoir été suffisamment explicite sur les attendus du procès ayant


statué sur la prescription des faits. En réalité, le silence des autres me
fit perdre le procès. Je m’explique : pour que mon abuseur soit
condamné par la Justice pour ses crimes à mon égard, il eut fallu
prouver la récidive. Je le dis à tous les parents ou victimes : Il devra y
avoir récidive, pour réellement parvenir à la prescription d’un crime et
non du délit. Je ne me reconnais pas dans cette justice ! Le prêtre a
bénéficié de circonstances atténuantes63, et ainsi il n’a pas été
condamné pour ces actes avoués de nombreuses fois par le processus
quasi automatique de la correctionnalisation des faits de pédophilie.
Dans mon cas, il est donc clair que la prochaine victime pourra porter
plainte et espérer une condamnation du prêtre…je formule le souhait
qu’il ne recommence plus. Vraiment ! Mais je connais trop ce genre de
pervers pour l’espérer pleinement. Qu’au moins, ce témoignage soit
un avertissement solennel, lui tenant les phéromones en sommeil !
Qu’il soit prévenu que je témoignerai, quitte à revivre l’horreur, quitte
à pleurer et à devoir me reconstruire une nouvelle fois. Sa prochaine
victime pourra compter sur moi à la différence de l’indifférence dont
j’ai été doublement victime.

La reconstruction de la première victime d’un pédophile importe peu à


la justice. Je suis outré de voir la différence faite entre les coupables et
les victimes dans la majorité des affaires sexuelles ! Je n’ai pas vu de
changement significatif dans le traitement des victimes d’actes d’abus
sexuels dans le courant de la longue procédure me concernant. Il est
de notoriété que les auteurs médiatiques ou protégés se verront de
suite proposés les avocats les plus médiatiques, alors que les victimes
anonymes devront déboursés des sommes forts importantes pour
seulement faire valoir des droits essentiels. La victime doit sans cesse
se battre ne fut-ce que pour avoir une oreille attentive de la part de
gens qui sont payés pour cela !

Comme le lecteur de ce livre l’aura compris, j’aurais pu très bien


pardonner à mon bourreau si les promesses de ce dernier et celles des
autorités de l'Église de Namur avaient été tenues.
63La pédophilie est un crime, mais cela est quasi toujours correctionnalisé par la Chambre du Conseil ; même
avant l’arrêt de la Cour de Cassation intervenu pendant mon procès au pénal ! Dans quel but ? Éviter des procès
d’assises qui sont long, coûteux, médiatisés et dont on sait déjà que les jurés seront sévères car souvent des
parents d’enfants ! Et comme les prisons sont déjà surchargées… !
99
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

J’étais croyant. Je voulais devenir prêtre. Pardonnez-moi de vous le


répéter sans cesse. Je croyais profondément en ma vocation spirituelle.
Ceci doit vous conduire à comprendre, encore une fois, la mesure de
mon ébranlement intérieur. Et comme une expression courante le
dit : « On ne perd pas la foi, comme on perd son portefeuille ! ».

Malgré les agissements odieux d’un prêtre sur moi quand j’étais
enfant, le fait qu’il les ait reconnus et avait, ainsi que l’évêché la
volonté de réparer, j’aurais pu m’en tenir là. Et même si je devais
quitter le séminaire pour telle ou telle raison, je l’aurais accepté
d’autant plus que je ne me voyais pas du tout prêtre. Je n’aurais jamais
su ou aimer prêcher à la messe. Je me voyais plutôt moine. J’aurais pu
être sacristain à la cathédrale ou ailleurs, et les plaintes n’auraient
jamais vu le jour. Ni ce livre …

Je vous demande, croyant ou athée ; de vous arrêter un instant dans la


lecture de ce livre. Je ne peux continuer ce récit, ces pensées mêlées
de toutes les émotions vécues dans ma chair et dans mon esprit, sans
prendre le temps d’un silence que je veux vous faire partager. Je ne
suis pas auteur d’un livre pour ressasser colères et peines. Je ne
voulais pas écrire par rancœur ou par vengeance, mais simplement
pour témoigner de la douleur peu connue des enfants violés. Je voulais
simplement être reconnu comme un être humain ayant souffert et
réclamant cette simple reconnaissance. Je dois, aujourd’hui, me
résoudre à l’impossible rêve : voir l’évêque protecteur, menteur,
dissimulateur, félon, être jugé devant les hommes avant de l’être
devant Dieu.

La honte, le ressentiment, la douleur sont tels ! Comment vous faire


partager ce sentiment ? Si le prêtre et l’évêque avaient tenu leurs
promesses de payer une partie de mes frais de thérapie, je n’aurais pas
porté l’affaire en Justice. Je voulais et je veux toujours la
reconnaissance de la faute commise et la réalisation des promesses.
L’argent ne m’intéresse pas. Il ne fait aucun doute que mon chien ne
me demande que de l’affection et je lui en donne, tant il sait quand je
sombre dans le désarroi. J’attendais des servants de ce Dieu de
miséricorde, la même attention. Ce simple aveu m’aurait suffi. Je ne

100
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

voulais que de la reconnaissance modeste de ce que j’avais vécu, hors


de toute hypocrisie, de tout jésuitisme malsain. Qu’ont-ils provoqué,
sinon, une volonté intransigeante de défendre ma vie, mon honneur et
la destruction de toute la foi que j’avais mise dans l’architecture
terrestre de l'Église du « Tout Puissant ».

Avec une once d’intelligence mais surtout de sincérité, n’était-il pas


évident que le prêtre et l’évêché auraient de suite dû dire que j’avais
accepté un accord relatif à l’aide sociale et psychologique proposées.
Je suis certain que le tribunal aurait acquiescé à leur défense, à toutes
leurs revendications, tout en laissant la place à l’enfant violé ; celui
qui a osé porter en public tout le poids de sa douleur intérieure.

Mêlé dans l’ensemble des acteurs rencontrés au cours de ces années de


doutes et de terreurs, je remercie aussi par la même occasion le
psychologue chez qui le séminaire m’a envoyé et qui a osé par écrit
me menacer d’une action devant le juge de Paix si je ne payais pas sa
facture dans les 8 jours…alors qu’un accord écrit existait pour payer
cette thérapie.

Pourtant, ces gens d'Église ou apparentés, sont quand même fortement


ou lourdement ou…. méritoirement diplômés. Mais, dans cette Église
faite et bâtie sur la miséricorde, le pardon et la lumière, il m’a semblé
être considéré comme le simplet dont l’écrasement ne coûterait rien à
la grandeur de l'Église. Sans doute, se sont-ils dit : « La justice coûte
chère. Elle prend du temps. Il ne fera jamais rien contre nous. ».

Me résigner aurait été une autre possibilité. J’ai d’ailleurs voulu croire
en la fatalité mais je n’y crois pas. Comment expliquer la soif jamais
étanchée, de refuser leur indifférence, le déni de justice et les
mensonges. Depuis ce viol interminable, je dois aller sans cesse chez
des psychologues ou voir des gens disposant du pouvoir politique,
religieux ou judiciaire, afin d’exprimer mon vécu et ma révolte
légitime. Et pendant ce temps, l’abuseur lui, va chez son
psychologue-prêtre uniquement par obligation. Mon violeur n’a
jamais eu de regrets. Les semblants de remords étaient destinés à la
clémence du Tribunal afin d’échapper à toute condamnation ! Pour
preuve encore une fois : je lui ai laissé neuf mois après le procès au
101
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

pénal avant de le poursuivre au tribunal civil et réclamer des


dommages et intérêts.
Pourquoi ni lui ni son avocat ne m’ont contacté moi ou mon Conseil
afin de réparer comme ils l’avaient promis de nombreuses fois lors des
audiences. Rien ! Il pensait que je tournerais la page. Il est vrai que je
devais payer ma condamnation envers l'État et bien évidemment mon
avocat. Dans de telles conditions, le prêtre pouvait donc penser que la
fin de ses ennuis judiciaires était arrivée, par l’épuisement de tous mes
moyens financiers.
S’il avait seulement réfléchi un tant soit peu, il aurait pu se rendre
compte, que je n’ai ni femme, ni enfant, ni voiture. Je ne fumais pas et
ne me droguais pas. Donc, je pouvais me permettre de me battre. Il est
vrai que si j’avais pu tourner la page, si je m’étais marié et si j' avais
eu des enfants, je n’aurais pu mettre mon énergie à ces procès, faute
de temps et d’argent. Même mon épouse m’aurait dit d’abandonner.
Encore une fois, je sais qu’avec des « si » on met Paris dans une
bouteille. Mais, ce que je sais aussi c’est que je ne suis pas pédophile
et pourtant, à cause de ce que j’ai subi, je ne me marierai jamais.

Le but de ce livre est également de démontrer comment au siècle


passé et en ce nouveau siècle, il est encore possible qu’un prêtre
pédophile soit protégé et la victime, autant dénigrée et esseulée.
J’aime le rappeler, mes sévices ont eu lieu de 1987 à 1994 ! Et
l’affaire Dutroux -pour rappel, en Belgique- en 1996 ! Je n’ai donc
nullement bénéficié des promesses faites par le pouvoir politique, à
l’issue de la Marche Blanche.

J’ai toujours eu à l’esprit le titre d’un livre recommandé par le


professeur de morale au Grand Séminaire : «Être vrai »64. De même
que la phrase de Saint Jean : « La Vérité vous rendra libre ! ».65

J’ai toujours aussi pensé que quand on n’a rien à se reprocher, on peut
aller très loin.
Il n’est pas facile pour un jeune, viré (par la grâce de l’évêché) du
Séminaire, sans un sous en poche, de pourvoir affronter l’autorité pour
réclamer justice. Et bien, j’ai eu le courage de le faire ! J’ai travaillé
64 D'Albert Milet, 1987.
65 Jean 8, 32.
102
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

et, parce que j’ai enfin compris comment agissait cette Église, j’ai osé
l’affronter ! D’abord en m’attaquant au prêtre abuseur et ensuite à
l’évêque afin de révéler leurs mensonges. Ces lignes ont pour but de
voir comment cela est encore possible aujourd’hui. Lorsque je
racontais mon histoire, je sentais souvent l’incrédulité de mon
interlocuteur. On me prenait peut-être parfois pour un affabulateur ou
un malade !
Après un exposé d’une heure ou plus, je leur donnais en main les
documents probants et là, je les voyais stupéfaits de constater la
véracité de mes propos et l’ampleur de l’affaire !

Si vous aussi, cher lecteur, vous avez encore des doutes sur ce que j’ai
écrit, sachez que je veux bien vous rencontrer. Pourquoi pas!
Et vous : victimes de pédophiles, et surtout celles de prêtres
pédophiles : osez dire ce que vous avez subi ou subissez ! Vous,
parents d’un enfant ou d’un jeune abusé sexuellement : ne vous
contentez pas d’écouter la victime. Osez affronter le coupable devant
les tribunaux. Trop de parents se contentent de demander le
déplacement du prêtre auprès de l’évêque. Aux yeux de la victime,
c’est une mini victoire car la victime sait très bien que son bourreau
recommencera. Et, sans sanction, malgré des plaintes, malgré un
procès où les faits seraient reconnus, comment ne pas penser que le
pédophile se sente encore plus fort et qu’il ne recommence de plus
belle ?
Au cas où, vous, bons chrétiens fervents, hésiteriez entre le scandale
dans l'Église et la protection des enfants, je vous donne la bénédiction
du Saint Père, comme on dit…par la note qui suit.66
Que cette société cesse une fois pour toute les beaux discours sans
lendemain ! Il faut à chaque fois des tragédies où les enfants sont
violés et tués pour que le politique et la société se réveillent. Mais la
prise de conscience est fugace. Après l’indignation, tout le monde se
rendort ! Quid des victimes qui n’ont pas eu la chance de mourir après
leurs sévices ? Je suis conscient de la dureté de mes propos mais c’est
la réalité, ma réalité.

66 « Les enfants ont le droit de grandir avec une saine compréhension de la sexualité et de sa juste place dans les rapports
humains. Il faut leur épargner les manifestations dégradantes et la manipulation brute de la sexualité si répandue aujourd’hui.
Ils ont le droit d’être éduqués selon les valeurs morales authentiques qui ont leurs racines dans la dignité de la personne
humaine. » Benoît XVI, 19/04/2008 à Washington, V.I.S., www.vatican.va.
103
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

C’est donc pour cette raison et avec cette ardeur que j’osai m’attaquer
à l’évêque en portant plainte contre lui en décembre 2006, car les
reproches que je lui avais fait parvenir par mon avocat sont restés
vains. Il a fallu relancer l’évêque à plusieurs reprises et le menacer
d’une plainte devant les tribunaux, pour enfin obtenir une réponse.
Il nous fit savoir qu’ « il n’avait rien à se reprocher, mais que par
esprit de charité, cela sans aucune reconnaissance de responsabilité,
l'Évêché n’était pas hostile à consentir une aide temporaire en
intervenant à nouveau, dans une mesure à déterminer, dans les frais
de thérapie… Ceci suppose bien entendu que M. Devillet
reconnaisse irrévocablement le non fondement des griefs formulés
dans les courriers {de son Conseil}, et, plus généralement, qu’il
renonce à toute démarche ultérieure à l’égard de l'Évêché.67 ».

Quel mépris dans ces lignes pour une victime ! C’est grâce à de tels
propos que j’ai eu autant d’ardeur à aller jusqu’au bout. Pour rappel,
l’évêché a payé les frais de ma thérapie à concurrence de 125 euros.
A présent, l’évêque veut bien à nouveau intervenir dans ces frais
malgré toutes mes demandes antérieures restées sans réponse…

Est-il pensable de porter plainte contre un évêque sans élément de


preuve ? Il y a, à mes yeux, deux raisons au mépris de l’évêque.
Premièrement, il n’a jamais pensé que je disposais de preuves
suffisantes. Deuxièmement, il ne prenait pas mes revendications au
sérieux. Dans les courriers et dans la citation contre l’évêque, mon
conseil avait bien détaillé les reproches que je lui adressais. Cela
concernait deux points : démettre réellement le prêtre pédophile de ses
fonctions ministérielles, ce à quoi le conseil de l’évêque répondit :
« …Pour le reste, les relations entre l'Évêché et l’Abbé Hubermont
ne concernent que ces derniers. »68, et aussi de me dédommager pour
les trois années perdues au Séminaire. Combien d’éléments montrent
bien que, dans leur esprit, jamais je n’aurais été ordonné prêtre; que
j’étais au Séminaire uniquement pour garder cette histoire sous silence
et me faire croire que l’on allait m’aider. J’ai toujours eu un esprit
conservateur et j’ai toujours été très ordonné. J’ai par exemple
toujours conservé mes correspondances. Grâce à ces deux qualités, j’ai
67 Courrier du conseil de Mgr Léonard adressé à mon conseil, 10/01/2006.
68 Ibidem.
104
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

pu m’attaquer à un évêque. Mon procès n’avait pas la même


motivation que celui d’un autre prêtre pédophile où le Cardinal
Danneels et son évêque auxiliaire avaient été cités pour la première
fois de mémoire d’homme en tant que civilement responsables et
condamnés! Ils avaient été au courant de faits de pédophilie d’un de
leur prêtre dont ils étaient les responsables et avaient gardé le
silence69. La Justice a voulu traiter l'Église catholique comme une
personne morale soumise aux mêmes lois que le reste de la société.
Mais en appel ils furent reconnus non coupables! Pour ma part, les
raisons étaient différentes et multiples. J’ai tout fait pour les expliquer
à qui voulait les entendre.
L’évêque demanda même par courrier de son conseil en 2008, que je
cesse de correspondre avec le Vatican au sujet de mes plaintes, car son
client devait sans cesse se justifier là-bas !
Mon avocat me demanda ce que j’en pensais.
– Rien ni personne ne m’empêchera de contacter qui je veux au sujet
de cette affaire ! Je refuse un quelconque arrangement à l’amiable.
– Vous voulez que l’affaire soit jugée ?
Un « oui » puissant sortit de ma bouche. J’avais laissé suffisamment
d’occasions à l’évêque. Mais il est clair, pour l’évêque, que cette
plainte faisait tache à Rome où une éventuelle promotion était
compromise. Sauf bien entendu, si je retirais ma plainte et acceptais
un arrangement à l’amiable. Son ardoise serait effacée à Rome, et il
aurait eu tout le loisir de dire que mon dossier était vide. Il ignorait
encore que j’avais transmis à Rome un dossier complet.

Le jour de l’élection de Benoit XVI, en 2005, je vis l’évêque de


Namur s’exclamer à la télévision : « quel bonheur ! ». Afin de freiner
son ardeur, j’informai les Congrégations de la Curie à Rome, de la
façon d’agir de l’évêque de Namur.
Je préférais encore mieux perdre mes procès ou obtenir une somme
moindre que d’accepter ce que l’évêque me proposait. En acceptant un
arrangement, mon combat tombait à l’eau. Je devenais complice de
leur façon d’agir, et quel intérêt avait ma vie, mon combat, mon
manuscrit ? L’argent n’achète pas tout. L’argent n’efface pas tout.
Mais la Justice rendue, quel que soit le jugement, rend une certaine
liberté. L’argent, pour étouffer une affaire pourrit la vie. À l’évêque de
69 34ème Chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles, 9 avril 1998.
105
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

s’en mordre les doigts. Et bien qu’une année et demie après ma


plainte, il n’avait encore eu aucune pièce de notre dossier, le
calendrier pour l’échange des conclusions prit du temps avant d’être
traduit en ordonnance. Et je pense aussi que dès que l’évêché a reçu
nos conclusions et nos pièces (très nombreuses), la panique a grandi
chez eux. Leurs conclusions et leurs pièces n’apportèrent rien de neuf.
Toutes étaient connues et déjà en notre possession grâce ou à cause de
la perquisition diligentée lors du procès contre le prêtre Hubermont, en
2001 ! Leur argumentation était de dire que le tribunal était
incompétent concernant cette affaire, séparation Église-État oblige,
ajoutant pour le surplus que notre demande « ne relève pas de la
juridiction du pouvoir judiciaire belge ». En effet, l’article 21 de la
Constitution, qui prévoit que l'État n’a le droit d’intervenir ni dans la
nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque,
consacre le principe de non-ingérence de l'État dans l’organisation
interne des cultes. Il a notamment été décidé qu’en vertu de ce
principe de non-ingérence, les tribunaux du pouvoir judiciaire
n’avaient pas la compétence pour apprécier en vertu de critères
étatiques, le caractère équitable des procédures religieuses. Par arrêt
du 20 octobre 1994, la Cour de cassation a en effet décidé que :
« Cette règle de l’indépendance des cultes a pour conséquence :
1. Que la nomination et la révocation des ministres du culte, quels
qu’ils soient, ne peuvent avoir lieu que par l’autorité religieuse,
conformément aux règles usitées dans chaque religion ;
2. Que la discipline et la juridiction ecclésiastique ne peuvent
s’exercer sur les ministres du Culte que par la même autorité et
conformément aux mêmes règles ; que pas plus que le gouvernement,
un tribunal ne peut s’immiscer dans les questions que soulèvent la
nomination et la révocation des ministres des cultes.70 ».

Mon Conseil, par ses conclusions, répondit :


« Outre l’indemnisation de son préjudice résultant des fautes
commises, le concluant sollicitait également que Mgr Léonard soit
condamné à mettre fin, définitivement et irrévocablement à toute
fonction ecclésiastique de l’abbé Hubermont, sous peine d’astreinte à
défaut de le faire dans le mois de la signification du jugement à
70 Cass., 20 octobre 1994, J.L.M.B., 1995, p. 505-506 et la note L.L. Christians, « L’autonomie des systèmes
religieux : réaffirmation du principe ».
106
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

intervenir. Dans l’esprit du concluant, il s’agissait avant tout d’éviter


que cet abbé, se sentant impuni, puisse récidiver.».
Vu la Constitution de notre pays, nous avons renoncé à cette demande.
Mais, mon Conseil répliqua ceci :
« Le principe constitutionnel de l’indépendance réciproque de l'État et
de l'Église ne fait nullement obstacle à ce que, dans un État de droit,
les cours et tribunaux puissent apprécier le comportement fautif d’un
membre de l'Église, si éminent fut-il, dans ou à l’occasion de
l’exercice de ses fonctions et prononcer une condamnation à sa charge
afin qu’il répare le préjudice causé à celui qui fut victime de pareil
comportement. 71» (…) « Certes, la citation ne vise pas
expressément les articles 1382 et 1383 du Code civil mais le
défendeur n’a pu se méprendre sur le fait qu’était mise en cause
sa responsabilité quasi-délictuelle en raison des fautes commises
consistant principalement à le chasser du Séminaire en juin 1997.
Ce renvoi étant d’autant plus insupportable pour le concluant
qu’il devait en même temps constater la quasi impunité dont
bénéficiait l’abbé Hubermont pour des actes d’ordre criminels
commis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. (…) Mgr
Léonard négligeant d’imposer à ce prêtre fautif de veiller à
indemniser le concluant du préjudice qu’il avait subi par ses
agissements.72 »
Le jour du procès de Mgr Léonard arriva, enfin, le 22 janvier 2009 au
tribunal civil de Namur. Une joie immense m’habitait car mon avocat
était là ! Cela paraît curieux, mais une des séquelles est le fait que je
n’ai guère de confiance envers les gens et à plusieurs occasions j’ai
voulu changer d’avocat me demandant s'il ne délaissait mon affaire.
Autre source de joie, fut la présence des journalistes au sein du palais
de justice. Le dimanche avant le jour du procès, j’avais pu participer
sur un plateau de télévision à une émission 73 où je pu raconter mon
combat et ma souffrance, faisant écho d’un article de six pages qu’un
journaliste de la presse écrite m’avait consacré 74. Les deux grandes
chaînes des télévisions francophones du pays étaient présentes au
procès et firent de beaux reportages lors des journaux télévisés de ce
jour-là. Un journaliste eu même la bonne idée de passer dans son
71 Bruxelles, 25 septembre 1998, J.T. 1998, p.712.
72 Conclusions de mon Conseil, mai 2008.
73 L’info confidentielle avec Pascal Vrebos le 18 janvier 2009 RTL TVi
74 L’info confidentielle, Michel Bouffioux, « Paris Match Belgique » n° 385 et 386.

107
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

reportage une interview de l’avocat de l’évêque qui citait le nom du


prêtre abuseur. La presse écrite était également présente et fit aussi des
beaux articles, n’oubliant pas de mettre une belle photo de moi avec
mon chien que j’avais laissé chez la concierge du palais de justice. La
presse me présenta le micro et je n'eus guère peur de parler et de dire
le pourquoi du procès. Le seul reproche que je peux faire est que la
presse écrite et également un journal télévisé dirent que je fus abusé
par le curé d’Aubange. Mon abuseur fut le vicaire et encore, un des
vicaires. Un journaliste m’expliqua qu’il ne mettait jamais le nom de
l’abuseur afin que ce dernier ne puisse demander un droit de réponse
et puisse se faire passer pour une victime. Je comprends bien cela,
mais cela ne doit pas être amusant pour les autres prêtres qui sont
passés dans mon village exercer leur ministère et que des gens ne
connaissant guère mon histoire pourraient soupçonner ! Là est le but
de ce livre, rétablir la vérité.

Mon avocat plaida en commençant par annoncer au juge la présence


des médias, disant que la victime présente dans la salle s’était tue
depuis des années et qu’à présent elle devait sortir de ce mutisme et
médiatiser sa souffrance afin d’essayer de l’apaiser.

Mgr Léonard ne s’était pas déplacé et son avocat redit encore et


encore que le prêtre avait été sanctionné75 par l’évêque et que mon
exclusion du séminaire était légitime.

Il disait qu’être prêtre n’était pas un droit. Dans ces pièces déposées au
tribunal il avait mis une note du célèbre dominicain, le Père Timothy
Radcliffe qui commentait l’Instruction du Vatican sur la non
admission dans les séminaires de personnes présentant des tendances
homosexuelles. Pourquoi cet avocat n’a-t-il pas donné l’Instruction,
mais un commentaire ? Parce que dans l’Instruction approuvée par le
Pape Benoît XVI en 2005 il y est écrit: « … le candidat au ministère
ordonné doit atteindre la maturité affective. (…) En ce qui concerne
les tendances homosexuelles profondément enracinées, que présentent
75 En 2008, le prêtre était toujours repris dans l’annuaire du diocèse de Namur comme prêtre auxiliaire et habitait
toujours le presbytère de Bonnerue. Dans l’annuaire de 2009 il y est toujours mentionné mais il y est indiqué :
travailleur social. Mais pourquoi avoir attendu la mi-2008 pour que le prêtre quitte son presbytère et aille habiter
dans un camping. Enfin ! Car ainsi les gens peuvent à présent se poser des questions. Mais ce prêtre est toujours
repris dans la liste des éligibles pour le Conseil presbytéral de 2009 dans la catégorie socio-caritatif ! Vous avez
dit sanction ?
108
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

un certain nombre d’hommes et de femmes, elles aussi sont


objectivement désordonnées et, souvent, elles constituent aussi une
épreuve pour ces personnes. Celles-ci doivent être accueillies avec
respect et délicatesse; on évitera à leur égard toute marque de
discrimination injuste. (…) Par contre, au cas où il s’agirait de
tendances homosexuelles qui seraient seulement l’expression d’un
problème transitoire, comme par exemple, celui d’une adolescence
pas encore achevée, elles doivent de toute façon être clairement
dépassées au moins trois ans avant l’Ordination diaconale. (…) Dans
le discernement un rôle important est dévolu au directeur spirituel.»

Étant donné que le Séminaire prenait son temps avec moi pour me
former, puisque j’ai fait une année préparatoire, puis la première année
de philosophie en deux ans; j’aurai effectué mon séminaire en 12 ou
14 années au lieu de 6 ou 7 ! Ce que demande Rome aurait pu être
applicable à mon cas, puisque le vœu de célibat est prononcé en
dernière année et qu’il est demandé de ne plus avoir ses tendances
trois années avant cette ordination diaconale.

De plus mon père spirituel n’a pas eu droit au chapitre…

J’aime mettre ici un commentaire de cette Instruction vaticane d’un


autre dominicain collègue de celui que l’avocat de l’évêque fit
connaître au tribunal, il s’agit du Père James Alison qui écrit ceci :
« … L'Instruction distingue entre les hommes qui sont homosexuels et
ceux qui sans l’être, ont eu à un moment donné une relation sexuelle
avec d’autres hommes. C’est une distinction tout à fait raisonnable,
facilement acceptable par le sens commun; les jeux sexuels entre
adolescents du même sexe, ou encore l’homosexualité circonstancielle
d’un homme confiné durant un temps prolongé (comme en prison,
dans l’armée ou à la marine)76 avec des gens de son sexe, ce n’est pas
la même chose que d’être gay.
L’Instruction indique ensuite que de tels épisodes transitoires dans la
vie d’un hétéro ne devraient pas être considérés comme un
empêchement pour entrer au Séminaire, pour autant qu’il soit évident
que le candidat ait cessé de s’impliquer depuis longtemps dans ces
76Et moi j’ajouterai chez les gardes suisses, qui sont acceptés au Vatican que s’ils sont célibataires, et ont entre
19 et 30 ans. Ils doivent loger à deux ou trois dans de petites chambrées…et toute la journée rencontre des
ecclésiastiques en soutane ! Aïe, aïe, aïe.
109
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

activités. Mais pour ce qui est de ceux que l’on appelle « gay », on ne
pourra les admettre.»77

Comme le dira mon avocat lors de sa plaidoirie, la relation affective


que j’avais avec un autre séminariste fut un prétexte à me renvoyer du
Séminaire. Le Séminaire avait le devoir selon Rome de m’aider. Le
prêtre pédophile lui a été couvert après des faits de pédophilies !

Le 19 février 2009, le jugement fut rendu. Le tribunal me débouta


pour le préjudice matériel. Pour rappel je demandais que l’évêque soit
condamné à me payer trois années de salaire pour le fait que j’avais
perdu ces années en étant au séminaire. Le tribunal nous reprochant de
n’avoir pas démontré que c’était bien Mgr Léonard qui était à l’origine
de mon départ du séminaire. Par contre, en ce qui concerne le
dommage moral et psychologique, le juge déclara qu’il y avait lieu de
surseoir à statuer, compte tenu de la procédure actuellement pendante
à Arlon. La presse titra que j’avais été débouté point ! Mgr Léonard
sur un plateau de télévision se laissa dire qu’il avait gagné le procès !
Profitant de l’occasion pour affirmer qu’il ne dirait jamais le moindre
mal sur moi et qu’il m’avait beaucoup aidé !78 Que ne faut-il pas
entendre ? Moi, victime, je devais encore me justifier et dire que le
procès était et est toujours en cours. Si j’avais été débouté, j’aurais fait
appel du jugement, tout comme Mgr Léonard le fera sans doute s’il
devait perdre. J’aime mettre ici quelques lignes du jugement de juin
2007 du tribunal d’Arlon. C’est ce tribunal qui a demandé une
expertise pour chiffrer le dommage. Voici : « On ne peut également
que s’étonner de l’attitude minimaliste des autorités ecclésiastiques
qui se sont bornées à recueillir les aveux explicites d’attouchements
du défendeur tout en définissant les modalités financières d’une prise
en charge thérapeutique du demandeur, alors qu’elles auraient dû
faire œuvre de civisme en dénonçant les faits aux autorités judiciaires,
sachant que ceux-ci, vu leur gravité, sont passibles de peines
criminelles en vertu des articles 372 et suivants du code pénal, ce que
les responsables de l’évêché de Namur ne pouvaient et à tout le moins
ne devaient pas ignorer ».
77 Lettre à mes amis en réponse à l’Instruction du Vatican du 29 novembre 2005 sur l’homosexualité dans les
Séminaires, James Alison.
78 Émission ‘Controverse’, RTL-TVI, Pâques 2009.

110
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Les examens médicaux sur ma personne me donnèrent raison. J’étais


bien né avec un A.D.N masculin. L’O.R.L. conclut son rapport en
disant qu’il convient de retenir l’importance de la souffrance
engendrée par ma voix, l’important impact sur les ressentis dans la
sphère bucco pharyngée et l’interférence des traumatismes encourus
sur l’ensemble de la personnalité avec une difficulté
d’épanouissement en convivialité.

Avril 2010, le rapport de l’expert désigné par le tribunal d’Arlon


tomba… Cet expert m’accorda 50% d’incapacité permanente, ce qui
aux yeux de mon avocat et de mon expert personnel est un excellent
résultat. Le dommage lié aux faits incriminés au prêtre Hubermont a
été chiffré par l’expert à 16% ! Ce résultat est d’autant meilleur qu’il
évoque déjà la responsabilité de l'Église dans l’ensemble de mon
préjudice. En effet, dans les 34% restants est répertorié mon renvoi du
séminaire. Il invoque aussi mes carences affectives familiales, mon
échec scolaire en première année d’études d’infirmier et la perte de
mon emploi. L’expert, ayant juré avoir rempli sa mission en honneur
et conscience, avec exactitude et probité. Comme cela est indiqué au-
dessus de sa signature.

Au final, le prêtre et l’évêque Léonard devraient donc bien payer à la


victime et être reconnus coupables de mon préjudice. Mais quand ? Le
prêtre répond par son avocat que nous réclamons trop d’argent ! Alors
que cela est calculé en fonction de l’expertise. Et l’avocat de Mgr
Léonard ne daigne même pas répondre aux courriers de mon Conseil.

Un calendrier judiciaire a donc été demandé par mon conseil pour


obtenir des échanges de conclusions et une date de plaidoiries en ce
qui concerne le procès de mon abuseur..

111
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« Ne craignez jamais de vous faire des


ennemis ; Si vous n’en avez pas,
c’est que vous n’avez rien fait. »

Georges Clemenceau

ET APRES ?

Comme vous l’aurez constaté, je n’ai que peu ou voire pas encore
parlé des séquelles subies par toute victime d’abus sexuels dans son
enfance. Ne vous attendez pas à ce que je vous détaille mes séquelles.
Si je le faisais, ce serait trop jouissif pour mon abuseur et aussi pour
les personnes qui ne se préoccupent guère des victimes, mais préfèrent
soutenir les agresseurs !
Je vais donc dans ces lignes raconter quelques rencontres que j’ai eues
afin que quelque chose change sur le terrain où vit mon agresseur ainsi
qu’au niveau législatif. Tout un chacun sait que la Justice est lente et il
ne m’était pas permis d’attendre sans rien faire. Il y va de la
sauvegarde de l’innocence d’autres éventuelles victimes. Même si une
seule et unique victime de tels méfaits a pu être évitée grâce à mes
actions, j’aurais atteint mon but.

a) Ma vie professionnelle

Le travail est un remède pour éviter de repenser sans arrêt à mon vécu.
Je n’ai jamais rien attendu de quiconque, et ne rien faire dans la vie ne
me convient pas. Je me suis rendu compte aussi qu’il est facile de
« mourir » au travail à force de ne penser qu’au travail et de ne vivre
que pour ce travail. Comme je l’ai dit plus haut, dès mon éviction du
séminaire, je me suis mis à travailler en tant qu’aide-soignant dans une
maison de repos pour personnes âgées à Bruxelles. J’y étais interne,
mais aussi exploité. La directrice de cet établissement, pour
m’amadouer, me promit un beau calice en or lors de mon ordination
comme prêtre ! J’avais vingt-quatre ans et c’était mon premier
véritable emploi. J’avais toujours dans la tête les promesses de
112
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

l’évêque de reprendre ma formation prochainement. Être interne dans


cette maison de repos signifiait que durant deux semaines je devais
travailler comme un employé « normal », mais aussi qu’il m’était
interdit de sortir après vingt heures jusqu’à sept heures le lendemain
matin. J’avais seulement droit à mes deux jours de congés du week-
end terminant ma quinzaine de travail. Là aussi, la direction avait
repéré en moi quelqu’un de vulnérable et de maniable à souhait.
J’étais interne. Je travaillais à temps plein, mais mon salaire était
ridicule, car on me prélevait un montant pour mon logement, -très
étroit ne contenant comme meuble qu’un lit-, et pour ma nourriture. Je
n’ai jamais aimé être pris pour un moins que rien, je me suis donc
rendu au Ministère de l’Inspection des lois sociales expliquer ma
situation. J’ai donné ma démission après une année de travail. Le
Ministère est intervenu et a condamné l’employeur à me verser une
grosse somme d’argent, car il prélevait ces montants indûment sur
mon salaire mensuel.
En ce qui concerne mes recherches d’emploi, j’ai toujours eu la
chance de retrouver un emploi dès que je quittais le précédent.
Directement, j’allais retravailler dans une autre maison de repos,
toujours à Bruxelles. Cette fois-ci en horaire de nuit. Là aussi, j’eus le
sentiment d’être exploité. J’y suis resté pendant une année,
m’arrangeant pour partir avec une rupture de contrat à l’amiable.
Jamais un employeur ne m’a mis dehors. Lors de mon second emploi
dans une maison de repos, je fus confronté à deux incidents qui ont
provoqué ma démission.
Pendant une garde de nuit, un malade d’au moins cent cinquante kilos
glissa dans son urine et chuta lourdement. Étant le seul employé de
garde, je téléphonai à la police pour obtenir de l’aide. Quelques
minutes après, je fus aidé par trois agents de police qui soulevèrent le
malade et le remirent dans son lit. Je fis mon rapport de nuit et je fis
naturellement mention de l’incident. Le lendemain, je fus convoqué
dans le bureau du directeur. Ce dernier me reprocha vertement mon
coup de fil passé à la police, mais sans me donner d’alternative à une
telle situation.
Quelques temps après, je fus confronté à mon deuxième incident en
entrant dans la chambre d’un malade se trouvant au deuxième étage.
J’inspectai la chambre et je remarquai qu’il y avait de l’eau partout

113
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

dans la douche. Le liquide s’écoulait du plafond. Je montai


naturellement à l’étage supérieur. La chambre se trouvant au-dessus
était toute sèche. Ne sachant quoi faire j’appelais les pompiers. La
personne au bout du fil me demanda de fermer la vanne principale,
mais je n’en connaissais même pas l’emplacement. Une équipe de
sapeurs-pompiers vint sur place et remédia au problème. Les pompiers
me félicitèrent pour ma réaction. La fuite d’eau provenait d’un tuyau
se trouvant dans le plafond et était susceptible d’engendrer un court-
circuit et provoquer un incendie. Je fis mon rapport comme à
l’accoutumée. Je voudrais préciser que la nuit, j’étais seul et
responsable d’une quarantaine de malades. Le lendemain, je fus
convoqué dans le bureau du directeur qui me reprocha comme la
première fois, mon appel téléphonique, alors que lui, était injoignable
la nuit. Je ne pus supporter longtemps ses reproches et j’obtins une
rupture de contrat à l’amiable.
Je fus engagé ensuite dans une maison de repos, où il y avait en
majorité des religieuses. Malheureusement, le contrat était précaire,
car renouvelable après chaque période de 6 mois. Je décidai de ne plus
renouveler mon contrat (après avoir signé deux fois déjà) et j’allai
travailler dans une maison de repos plus près de mon domicile. J’y fus
très heureux. Les horaires « coupés » me convenaient à merveille. Je
travaillais le matin. Je mangeais là-bas à midi. Je revenais chez moi
me reposer l’après-midi avec mon petit chien et le soir, je retournais
travailler quelques heures et y soupais. Quelle belle vie j’avais ! Je
rapportais même les restes de viande à mon chien. Je n’avais que ce
travail en tête. La directrice pouvait me demander à n’importe quelle
heure de la journée, de remplacer au pied levé, un collègue malade
pour la nuit à venir. J’acquiesçais de suite à toutes ses demandes. J’en
profite aussi pour dire que jamais je n’ai été absent ou en retard à mon
travail, que jamais je n’ai eu comme excuse de pouvoir dire que mon
enfant était malade, comme beaucoup de collègues le font. Mais
soit…
Pour un employeur, avoir un employé célibataire, sans enfant et
habitant à quelques mètres de son endroit de travail n’est que
bénéfique. J’ai tout de même remarqué qu’il y avait une relation de
profit entre la direction, mes collègues et moi. Je n’ai jamais été naïf et
j’ai toujours constaté que la soi-disant amitié entre les collègues, du

114
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

moins avec moi, n’était qu’une relation de profit. Quand le matin, une
collègue souriante me demandait : « Comment tu vas ? T’as bien
dormi ? Comment va le petit chien ? Il est gentil ? ». Je savais qu’elle
allait me demander un service pour changer un horaire. Comme je n’ai
jamais su dire non -quel motif aurais-je pu donner pour refuser ?-
j’acceptais toujours. J’étais donc aimé. Après trois années de bons et
loyaux services, je profitais de l’occasion qui était offerte par l'État de
permettre à un aide-soignant de suivre des cours d’infirmier tout en
percevant son salaire. Il était bien spécifié dans la convention que si
l’étudiant abandonnait ou échouait au cours, il retrouvait directement
son emploi précédent. J’ai toujours eu des difficultés à répondre aux
examens oraux. A la fin de ma première année d’infirmier, j’ai eu un
examen de passage au cours d’anatomie. J’ai malheureusement échoué
et suis retourné directement auprès de mon employeur annoncer la
nouvelle. On me répondit qu’il n’y avait plus de place pour moi et que
j’avais un préavis de trois mois à prester. L’on me dit aussi que si
durant cette période de préavis, l’on devait engager un nouvel aide-
soignant, on me réengagerait sur le champ. Je compris très vite une
réelle pression de la direction. La Loi était pourtant claire : si une
personne ratait ses cours ou abandonnait, elle retrouvait d’office son
emploi précédent. L’on me prenait à nouveau pour un imbécile. J’en
fus ébranlé. Je n’ai jamais eu de médecin traitant. Je pris le premier
proche de chez moi, lui racontais ma situation et il me donna un
certificat médical pour une durée d'un mois. Le Syndicat prit en main
mon affaire, tandis que mon médecin m’accorda un second mois de
congé de maladie, la Mutuelle me convoqua et entérina mes certificats
médicaux. Mon employeur ne se gêna pas pour m’envoyer à plusieurs
reprises des médecins conseils afin de me remettre au travail, mais ces
derniers confirmèrent ma maladie. Après deux mois d’incapacité de
travail, le Ministère du Travail condamna mon employeur à me payer
mon préavis, plus une indemnité.

Grâce à quelques prestations d’intérims que j’avais déjà effectués


auparavant, je postulai dans une maison de repos de la ville de
Bruxelles. On m’engagea tout de suite pour un horaire de nuit. Là
aussi, je fus très heureux ! Je travaillais, mangeais là-bas et la journée,
je dormais avec mon chien. Souvent lorsque j’avais congé, j’effectuais

115
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

le même horaire de nuit en intérim. Tout cela dans le but d’essayer


d’oublier mes problèmes et aussi de payer mes avocats.
Croyez-vous qu’il est pensable que même l'État puisse voler un de ses
employés ? Je peux répondre par l’affirmative. Je travaillais la nuit et
je gagnais encore moins que lorsque je travaillais la journée ailleurs.
La réponse que l’on me donnait était : « Oui, mais saches qu’en
travaillant au C.P.A.S79, tu as droit à plus de jours de congés!». A quoi
bon avoir des jours de congés si le salaire est moindre, et devoir faire
des intérims pour avoir un salaire décent ? J’avais un temps plein de
nuit et en plus je travaillais également la nuit en intérim ailleurs. Ma
vie n’était que travail. Il m’est arrivé de travailler vingt nuits d’affilées
sans un seul jour de congé. La vingt et unième nuit, je me suis rendu à
mon travail au C.P.A.S. de Bruxelles. Lors du rapport de l’équipe du
soir, je tombai en syncope. Je tentai de me relever mais défaillis à
nouveau. Je fus transporté d’urgence au service de cardiologie.
Pendant mon hospitalisation, j’avais été déçu du comportement de la
majorité de mes collègues de nuit qui, sachant ce qui m’était arrivé, ne
firent pas la moindre démarche. Je ne reçus aucune visite. Ils n’avaient
même pas passé un coup de fil à l’hôpital pour s’informer de mon état
de ma santé. J’aimerais malgré tout souligner, pour ne pas passer pour
un ingrat, la gentillesse de l’infirmière en chef qui se dépensa
beaucoup pour moi ce soir là. Elle avait suivi l’ambulance jusqu’à
l’hôpital et s’inquiéta sincèrement de mon état de santé. Elle ne vint
pas me voir, parce que des collègues lui avaient dit que je n’étais à
l’hôpital que pour une journée, alors que j’y suis resté pendant dix
jours! Mon chien était tout seul à la maison. Je m’inquiétais de son
état puisque je n’avais personne à qui le confier. Le lendemain après-
midi, je demandai la permission aux infirmières de me rendre à la
librairie se trouvant près de l’hôpital afin d’acheter un journal. J’en
profitai pour sauter dans le tram et me rendre chez moi.

Je sortis mon chien qui comme d’habitude me fit la fête. J’étais


heureux et lui aussi, mais pour un cours moment car il fallait que je
retourne vite à l’hôpital. Après ma sortie, mon travail reprit comme à
l’accoutumée. Après plus d’une année et demie de travail, je me
rendis compte que j’étais réellement sous-payé. Mon employeur,
président du C.P.A.S. de Bruxelles-ville et député socialiste, m’avait
79 Centre public d’aide sociale.
116
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

engagé par contrat d’aide-soigneur et non d’aide-soignant. Cette


subtilité permettait de me rémunérer à un barème très inférieur.
Lorsque je me rendis compte de cette supercherie, j’en fis part au
service du personnel. Le chef de bureau me répondit :
– Oui. Vous avez raison. Il est possible de vous insérer dans le barème
adéquat, mais il n’est pas possible de payer les arriérés de salaires.

Je pris donc la décision de démissionner et j’engageais une procédure


judiciaire au Tribunal du travail contre mon employeur afin de
réclamer la somme due. J’ai dû aussi prendre un avocat personnel, car
celui du syndicat dont je pouvais bénéficier ne voulait pas m’aider.
Leur argument était de me dire que j’avais signé ce contrat et que je
perdrais d’office ! Il est vrai que j’étais affilié à un syndicat
d’obédience socialiste et que les loups ne se mangent pas entre eux. Je
savais pourtant que mon cas n’était pas isolé et je voulais me battre
jusqu’au bout pour que la justice soit au courant de cette arnaque à
l’emploi. J’ai pu rencontrer une député libérale dans l’opposition à
Bruxelles-Capitale, ainsi qu’une Conseillère du C.P.A.S. de Bruxelles-
Ville également dans l’opposition et de ce même parti politique, dans
l’espoir d’être aidé dans ma quête de justice. Outre ces rencontres et
des promesses d’aide, je n’ai jamais eu de nouvelles de ces personnes
malgré mes relances ! J’ai dû me débrouiller seul une nouvelle fois
pour trouver les documents officiels nécessaires à la réussite de mon
procès. Le député socialiste qui a signé mon contrat et qui souvent est
invité sur les plateaux de télévision pour parler du pouvoir d’achat et
de la misère des gens dans la capitale osait arnaquer son personnel et
personne n’osait bouger ! Il est vrai qu’à Bruxelles, la plupart des
soignants sont des personnes d’origines étrangères ! Ce métier est
assez ingrat et il y faut une certaine vocation ! Si une employée
africaine venait à rouspéter, on lui dirait immédiatement de partir si
elle n’est pas contente. En démissionnant, elle n’aurait pas droit au
chômage et comment nourrirait-elle sa famille ? C’est bien pour cela
que ces politiques usent et abusent de ces méthodes peu reluisantes
sans le moindre remords. Tout cela n’est pas conforme à leurs discours
défendant les plus démunis. Il faut également savoir que lorsqu’un
employeur engage quelqu’un, sa première question est de connaitre le
parcours du demandeur d’emploi et donc de connaître la raison de son

117
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

départ du dernier poste de travail. Qui engagerait une personne qui ose
porter plainte contre son patron, de surcroît un député ?

Vous pensez sans doute que je fais une obsession, mais comme je l’ai
dit, je ne supporte plus l’injustice.
Il est évident que s’attaquer à des puissants n’est pas donné à tout le
monde. La victime doit engager des frais, alors que pour eux ces
dépenses en justice ne proviennent pas de leur poche. Ils se moquent
donc bien des procès. Le député écrivit à mon Conseil en ces
termes : « (…) Le niveau de son diplôme n’entraîne nullement
l’obligation pour un employeur de rémunérer un travailleur à un
barème supérieur à celui de l’emploi qui lui est offert et qu’il remplit.
Par conséquent, nous ne voyons pas pourquoi il conviendrait de
remettre en cause le principe de convention loi. ».

Ma position défendue bec et ongle était appuyée par la charte sociale


qui avait justement pour but d’éviter ces manœuvres malhonnêtes. Le
jugement du Tribunal du travail me donna raison
« (…) La force obligatoire et contraignante de cette charte à l’égard
du C.P.A.S. de Bruxelles est confirmée par l’article 11.3.1 de ladite
charte qui a trait à la mise en vigueur de celle-ci. (…) Cette charte
sociale, à l’instar d’une convention collective de travail consentie
dans le secteur privé au niveau sectoriel, constitue bien une norme
supérieure à la convention loi conclue entre le C.P.A.S. de Bruxelles
et le demandeur. Elle lie les pouvoirs locaux, dont le C.P.A.S.
bruxellois, qui ont l’obligation de la respecter. En conséquence, (…)
Le C.PA.S. en n’adaptant pas sa grille de grades et barèmes à celle
qu’il était tenu de mettre en place depuis 1995, commet une faute à
l’égard de son travailleur. (…) Le Tribunal condamne en conséquence
le C.P.A.S. au paiement des arriérés de rémunérations et aux
avantages liés au contrat (…) à payer les entiers dépens soit les frais
de citation ainsi que l’indemnité de procédure.

J’attendis des semaines avant d’avoir des nouvelles de leur décision,


l’avocat de la partie adverse invoquant les vacances judiciaires et le
fait que leur client n’avait pu se pencher sur le jugement. Trois mois
après le jugement, le conseil du C.P.A.S. nous remercia pour notre

118
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

patience et nous signala leur intention de faire appel du jugement. J’ai


donc dû faire signifier le jugement (ce qui n’est pas gratuit !) et à
nouveau attendre une décision judiciaire fixée à décembre 2009. Cela
fut reporté à mars 2010 pour motif que la Cour du travail était
débordée. Les mêmes arguments exposés devant le Tribunal du travail
furent défendus. En avril 2010, la Cour du travail donna raison au
C.P.A.S. de Bruxelles disant que la charte n’avait pas force de loi
puisque pas traduite en loi. Cette « Charte sociale » est donc un
protocole d’accord. Les syndicats et le monde politique se mettent
d’accord sur quelque chose qui est au bénéfice des employés, cela en
1994 et cet accord ne vaut rien -légalement- en 2010 ! Cela est le
monde politique. Je fus condamné à payer les frais de procédures,
ainsi que les honoraires d’avocat de la partie adverse.

Ma période de chômage fut par ailleurs bénéfique pour moi. Le bilan


d’amitié avec mes collègues de mes dix années de travail était très
négatif. Je me reposai enfin et j’étais beaucoup plus proche de mon
chien. J’en profitai pour remettre mon appartement en peinture et je
me consacrai tout entier à mes procès. Je décidai aussi de coucher ma
vie sur le papier, de rencontrer des personnalités pour leur exposer
mon vécu et tenter de faire bouger les choses. Mon vécu et mon
combat n'étant pas anodins.

119
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

"Il y a des hommes dont il


est glorieux d'être haï."

Denis Diderot

b) Mes rencontres

-Les prêtres

« D'abord ils vous ignorent, ensuite ils


vous raillent, ensuite ils vous combattent
et enfin, vous gagnez »
Gandhi

Bien que n’ayant plus la foi, j’ai toujours gardé une estime pour les
prêtres. Il ne faut pas oublier que durant plusieurs années, mon désir
avait été d’en devenir un. Comme je l’ai déjà dit, prêtre pédophile
n’est pas un pléonasme. Je sais qu’il y a des prêtres qui vivent
correctement leur ministère. Avant que le prêtre abuseur ne s’en
prenne à moi, bien des prêtres m’ont donné la preuve qu’il est possible
de bien vivre le ministère sacerdotal. Grâce ou à cause de mes procès
contre le prêtre Hubermont et contre l’évêque Léonard, j’ai gardé des
contacts avec quelques prêtres. Je sais que pour eux, il est « plaisant »
d’écouter mes histoires (car attaquer en Justice leur évêque n’est pas
permis à tout le monde), mais aussi afin de me soutenir moralement
dans mes combats. C’est ainsi que j’ai retissé des liens avec des
prêtres de mon enfance : l’abbé Rossignon et l’abbé De Coster. Leurs
encouragements m’ont été d’un grand secours. L’abbé De Coster fût
la seule personne à me proposer une aide financière si j’en avais
besoin. J’ai toujours refusé sa proposition de peur de perdre son
amitié. Je sais que les prêtres restent des humains comme tout un
chacun, mais je suis frappé de voir comment certains réagissent encore
aujourd’hui face à des victimes de prêtres pédophiles. Ayant l’annuaire
de mon diocèse contenant les adresses emails des prêtres, j’ai pris le

120
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

temps, profitant d’une émission prochaine à la radio sur « l'Église et


la pédophilie », d’envoyer à tous l’annonce publicitaire de l’émission.
Sur plus de cent cinquante emails envoyés, seulement cinq prêtres
m’ont répondu se demandant pourquoi ils recevaient le mail en
question. Immédiatement je leur ai donné plus de renseignements, leur
expliquant mon combat. Ils m’encouragèrent à poursuivre ma lutte. Je
les en ai remerciés. J’ai reçu plus d’une centaine d’accusés de
réception de mon envoi électronique, sans rien de plus, ce qui prouvait
une certaine indifférence voire peut être une certaine peur d’en
connaître plus. Je ne peux passer sous silence une réponse que j’ai
reçue d’un prêtre jésuite qui m’avait connu lorsque j’étais au
Séminaire, et qui y est encore actuellement formateur et directeur
spirituel. L’intérêt, est de vous démontrer comment un prêtre et de
surcroît formateur de futurs prêtres ose encore réagir par rapport aux
faits de pédophilie qui lui sont dénoncés ! Cela prouve bien la
mentalité d’une certaine hiérarchie malgré l’évidence des faits subis.
Je joins donc intégralement son courriel et la réponse que je lui ai
fournie.

« Mon cher Joël,

Tu t'es fait embarquer dans une nébuleuse de médias hostiles à


l'Église "catholique". Curieusement, on ne parle pas des pasteurs
protestants, anglicans, des prêtres orthodoxes, etc.
Et encore moins des muftis islamiques (ultra-protégés par nos
médias!). Pire encore, on ne compare pas les prêtres catholiques
avec la moyenne des civils "pédophiles", infiniment plus élevée que
les prêtres.

Si tu avais eu le courage et la lucidité de porter plainte, tu aurais pu


le faire à 18 ans, quand tu es entré au Séminaire. Pourquoi ne l'as-
tu pas fait, alors que les faits n'étaient pas encore prescrits? Tu
avais alors de nombreux prêtres, formateurs au Séminaire, pour te
soutenir et t'aider. Pourquoi ne l'as-tu pas fait à ce moment?

Maintenant, tu es pris dans un "réseau" de détracteurs de l'Église


catholique, et tu leur prêtes ton concours pour accuser ta "Mère" et

121
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

cracher sur elle. Sache que tout ce que tu es devenu, c'est par sa
bonté, gratuite, que tu l'es devenu. Sans l'Église de Namur, tu ne
serais qu'un paumé, oublié de tous et n'ayant pas droit à la parole.

Je prie pour que tu te souviennes de tes propres fautes, que tu en


demandes pardon au Seigneur, et que tu pratiques à l'égard de celui
qui t'a fait ce mal la même miséricorde que Dieu a envers toi.

Père Th. Dejond s.j. »

Ma réponse :

« Franchement votre courrier est scandaleux. Il y a un proverbe qui


dit que : « Quand on ne sait rien on ne dit rien ! »
Vous parlez des médias qui attaquent l'Église, ma « Mère », et que je
crache sur elle qui m'a tout donné, et même que sans l'Église de
Namur je serais un paumé. Franchement, de qui vous moquez-vous ?

Sachez de un, que je suis rentré au Séminaire à 21 ans et non à 18 !

Sachez de deux, que quand j'ai porté plainte en 2001 ce n'était pas
prescrit. Je suis né le 7/06/1973, la prescription est de 10 ans après la
majorité de la victime.

Sachez de trois, que entré au Séminaire, j'ai bien dit ce que j'ai vécu
à Jean Léonard, mon père spirituel, et que c'est lui qui m'a incité à
porter plainte, car les promesses de l’évêché n'étaient pas tenues.
Sachez aussi que, si vous avez bonne mémoire, j'allais chez un
psychologue durant mon Séminaire à mes frais, et ce psychologue est
devenu prêtre en 2002.
Sachez que l'Église de mon diocèse ne m'a jamais rien donné, sans
elle je ne serais pas un paumé !
Durant mes 3 ans de Séminaire, tous les frais étaient payés : près de
250 euros par mois pour logement, nourriture etc.…
Rien ne m’a été donné.

122
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Sachez qu'en 1996, quand j'étais au Séminaire et suite à ce que j'avais


dit au psychologue, une plainte a été déposée au Tribunal
ecclésiastique. Le prêtre a dû avouer car j'avais gardé ses courriers.

Sachez que le vicaire judiciaire s'est agenouillé devant moi pour


demander pardon au nom de l'Église me parlant de la théorie de St
Paul, et m’avait promis de payer mes thérapies.
Sachez que j'ai dû quitter le Séminaire, chassé comme un chien, alors
que l'autre séminariste est prêtre aujourd'hui!
Sachez que j'ai toujours cru aux promesses de réparations. Donc je
n'ai pas porté plainte auprès de la Justice des hommes.
Mais puisque vous relatez bien des reproches, j'aimerais que vous
sachiez que selon le Droit Canon, il n'y a pas de prescription pour la
pédophilie.80

Sachez qu'un prêtre pédophile n'est pas la même chose qu'un laïc
pédophile. Quand c'est un prêtre, il y a double trahison.

Mais dans les deux cas cela est condamnable, j'en conviens. Dans
mon cas si je m'attaque à votre « Mère » c'est que j'en ai le courage et
les preuves nécessaires.

Sachez que Mgr Léonard a subi une perquisition.


Sachez que le prêtre abuseur non ! Pourtant qui est le pédophile ?
Est-ce moi qui commande les juges d'instruction ?
Sachez que l'on ne peut pas juger quand on ne connaît rien d'une
affaire et certainement pas de la façon dont vous le faites.

Vous n'êtes sans doute pas au courant des recommandations de Rome


en la matière : prêtres pédophiles exclus et aide aux victimes,
demandait encore Jean-Paul II avant de mourir !

Vous savez, je préfère être paumé qu’aveugle et pliant devant un


évêque malhonnête.

80 Canon 1492 du codex juris canonici déclare en son par. 1 : « Toute action est éteinte par la prescription selon
le droit ou d’une autre façon légitime, à l’EXCEPTION des actions concernant l’état des personnes, qui ne sont
jamais éteintes. »
123
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Pensez-vous que je fais ce combat pour moi? Pour dénigrer votre


Église ? Non, je le fais pour les victimes, et aussi pour les prêtres qui
sont intègres.
Car il est facile de changer les prêtres fautifs de paroisses et de
garder secret le motif de ce changement. Ne va-t-il pas recommencer
ailleurs ses méfaits? Mais on s'en fiche tant que cela ne se sait pas !
Voilà la théorie de l'Église de Namur en 2008!
Ne vous inquiétez nullement pour moi et moi pour vous. Vous me
demandez de pardonner à mon agresseur : cela lui est-il venu un jour
à l'esprit de me demander pardon ?

C'est vrai, vous avez raison ! Il faut tendre l'autre joue !

Mais Jésus n'a-t-il pas dit que « celui qui touche à un de ces petits
enfants qui sont les miens, il faut le jeter dans la mer avec une meule
au cou » ?

Trêve de bavardage.

Si un médecin m'avait abusé ou une autre personne, je mènerais le


même combat. Mais il aurait été plus facile, car immédiatement
l'Ordre des médecins aurait exclu le fautif ou le responsable de la
personne si elle en a.

S’il vous plaît, ne priez pas pour moi, je n'en ai pas besoin.

Ou si j'en ai besoin, je préfère que ce soit des gens qui me


comprennent et qui voient la réalité en face telle qu’elle est, c'est-à-
dire difficile à voir et à assumer de la part des gens d'Église.

Mais sachez aussi qu'avant de porter plainte, j'en ai écrit des


courriers à l'évêque, au prêtre pédophile, et au vicaire judiciaire pour
avoir réparation. Et, chaque fois comme réponse (écrites ou orales) :
« Attends encore un peu... », ou : « Que veux-tu qu'on fasse pour
toi ? ».
J'avais même écrit en 2000 au Ministre de la Justice afin qu'il règle
cela. Réponse: séparation des Pouvoirs.

124
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Alors que faire? La Justice.


Puis, sachez aussi une chose. On m'a chassé du Séminaire. OK. Mais
je n'ai nullement cherché à entrer ailleurs : Séminaire ou Abbaye,
comme le font beaucoup. J'ai fait ma demande dans mon diocèse.
Jamais ailleurs. C'est cela l'intégrité.
Vous allez me dire que jamais personne ne m'aurait accueilli ailleurs.
Vous seriez bien étonné !81 D’autres ont eu un parcours plus sinueux
que moi et ils sont prêtres. Mais une fois ordonnés, les problèmes
ressurgissent.

Je suis bien déçu, mais non étonné que vous ayez réagi à mon mail de
la sorte. Sachez aussi qu’au Séminaire, nous avions un livre : "Être
vrai".

C’est ce que j'ai toujours essayé d'être. La vérité vous rendra libre.
Quant au fait que les faits de pédophiles ne soient pas connus dans
d'autres religions, cela n'est pas de ma faute. Rien n'interdit aux
victimes et aux médias de se rencontrer.

En tout cas, je vous le répète, il ne faut pas juger sans connaître le


dossier.

Moi, je ne juge pas. Je combats avec ce que j'ai vécu, avec mes
preuves et la façon d'agir des autorités de mon diocèse. Le reste ça ne
me regarde pas. Mais je sais que c'est un combat utile, vrai et non
abstrait. Et qu'en plus il sert l'Église. Car vous seriez étonné; quand
je montre les pièces de mon dossier à des prêtres ou évêques, ils
enragent. J’ai perdu la foi, mais j'admire les bons prêtres qui à cause
de simple mutation de prêtres fautifs à tout le moins, peuvent être
soupçonnés aussi, lorsqu'on les déplace eux ! C'est cela mon combat.
Car prêtre pédophile n'est pas un pléonasme.
Respectueusement.
Merci de m'avoir lu. Merci d'essayer de comprendre ce que j'ai vécu.
Joël Devillet.»

Depuis, je n’ai plus eu de nouvelles de ce jésuite, et tant mieux.


81Pour éplucher les pommes de terre ou nettoyer les sanitaires, un novice est toujours bon à prendre, dans une
abbaye… cela évite d’engager du personnel et la moyenne d’âge y est souvent très élevée.
125
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

J’ai aussi rencontré un proche collaborateur de l’évêque afin de lui


parler de mon vécu. Il ne connaissait que peu de choses de mon
histoire avec le prêtre pédophile et très peu sur ce dernier. Ce prêtre
adjoint de l’évêque, s’étonna devant moi du pourquoi et de la façon
dont, selon lui, je n’avais pas réagi face aux agressions du prêtre, car
lui, il se serait « immédiatement défendu », me déclara-t-il. Je me suis
fâché devant lui, rassemblant mes dossiers, lui disant que je partais
(cela après cinq minutes d’entretien) car il n’avait rien compris au
problème de la pédophilie. Si mon abuseur avait directement abusé de
moi sexuellement, il est clair que j’aurais directement refusé cet acte.
Les pédophiles n’agissent pas directement sexuellement, c’est petit à
petit qu’ils arrivent à s’accaparer de leurs victimes. C’est aussi comme
cela que le mien a agi. Il m’a pris dans son engrenage, et après
impossible de voir la fin. Le collaborateur de l’évêque s’excusa, me
demandant de continuer l’entretien. Celui-ci dura trois heures. Là
encore, j’appris des choses. Il n’avait pas honte de me dire qu’il était
aumônier dans une prison et s’occupait de la section où l’on place les
pédophiles. J’entendais par ses dires et je voyais par ses réactions qu’il
avait beaucoup plus de compassions pour les pédophiles que pour les
victimes. Je suis sûr que j’étais la première victime à venir lui parler.
J’ai été choqué lorsqu’il m’a dit que très souvent des prisonniers
écrivaient au Pape et que rapidement, le Nonce apostolique écrivait
aux prisonniers de sa plus belle plume, donc à la main, pour leur
transmettre les bénédictions du Pape. J’ai moi aussi écrit plusieurs fois
au nonce à Bruxelles et aussi à celui de la communauté européenne. Je
n’ai jamais eu droit à une seule réponse. Il est vrai que j’écrivais pour
parler à nouveau de mon vécu et solliciter une entrevue. J’avais un
défaut: j’étais la victime, qui plus est, celle d’un prêtre pédophile. Ce
proche collaborateur de l’évêque me dit aussi que récemment, en deux
mille sept, il s’était rendu chez le prêtre qui m’avait abusé pour lui
demander un service. Il avait été frappé de constater, affichées sur les
murs dans le presbytère du prêtre, de très nombreuses photos
d’enfants. De même, il me fit part que lorsqu’il est allé célébrer des
confirmations dans une paroisse proche du village de mon abuseur il
avait dû faire une remarque à ce dernier, car il avait rempli sa
camionnette de jeunes afin de les ramener chez eux après l’office. La
remarque était :

126
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

– Tu sais que c’est dangereux, si tu as un accident ? Et en plus dans


ton cas !

Ceci pour dire que mon combat est bien d’actualité, et que je ne perds
pas mon temps. Trop de personnes qui ont le pouvoir de faire bouger
les choses et d’éviter une seule nouvelle victime préfèrent laisser faire.
Je sautais aussi sur une occasion qui m’était donnée. Un prêtre
m’avertit qu’un très proche collaborateur du Pape venait prêcher une
retraite non loin de Bruxelles. Il s’agissait du chef de la section
francophone à la première section de la Secrétairerie d'État (Saint-
Siège) ! Le thème de la retraire était : « Construire son identité
sexuelle ». Encore une fois, bien que n’ayant plus la foi, il me fallait
rencontrer cette personne. J’écrivais à la communauté religieuse qui
organisait cette retraite afin de demander s’il y avait encore de la
place. La réponse fût immédiatement positive. Je n’ai jamais aimé la
malhonnêteté, alors je jouai franc jeu avec la responsable de la
communauté, lui expliquant par courriel mon vécu et le pourquoi de
mon désir de participer à cette retraite. De un, le sujet m’intéressait et
de deux, je voulais rencontrer le prédicateur venant du Vatican. Là, je
dus attendre quelques jours pour avoir une réponse négative : Le motif
étant que le sujet de la retraite allait me rappeler douloureusement
mon passé. N’avoir plus la foi et vouloir la retrouver, n’est pas une
démarche simple après de tels événements subis. Mais si j’entamais
une démarche pareille et si je continuais à côtoyer certains hommes
d'Église, c’est qu’il me reste quelque chose de cette foi. Encore une
fois, je ne suis pas naïf. Il est fort probable que la responsable de cette
communauté ait contacté l’évêque Léonard, qui soit dit en passant est
le responsable des nouvelles communautés au niveau des évêques
belges-, et que ce dernier a sans doute donné la recommandation que
je ne vienne pas rencontrer le haut responsable du Vatican. J’écrivis à
nouveau à la responsable de la Communauté, lui disant que je prenais
acte de sa décision, mais que cela ne m’empêcherait pas de venir
remettre un dossier au prédicateur et de le rencontrer, s’il l’acceptait.
Il faut dire aussi que, parce que je n’avais pas les coordonnées du
prédicateur, j’ai envoyé un fax au Vatican et un mail dans une
communauté religieuse en France, afin que ce prélat sache le motif et
mon désir ardent de le rencontrer. La communauté religieuse en

127
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

France me répondit que ce prélat connaissait bien mon dossier et qu’il


suivait avec intérêt son avancée. J’ai pris mon chien et de nombreuses
copies de mon dossier afin de rencontrer cette autorité ecclésiastique.
Si, comme me l’avait écrit la responsable de la communauté, mon
problème n’intéressait pas cette personne, alors ce denier ne m’aurait
pas reçu. Il aurait pris mon dossier et m’aurait laissé partir. Or, je fus
écouté très attentivement durant une heure et demie. A la fin de
l’entretien, il prit les copies du dossier que je lui avais préparées, et me
dit: « Avec ça, il ne sera jamais cardinal! » Merci, Mgr Duthel82,
d’avoir écouté une victime, de m’avoir écouté. Une belle rencontre
dans ma vie, de même que celle avec Mgr De Kesel, l’évêque
auxiliaire de Malines-Bruxelles, mon voisin, un homme humble.
Preuve que même une victime d’un prêtre pédophile peut reconnaître
en d’autres prêtres, d’excellents hommes d'Église. Je n’ai pas une
aversion contre tous les prêtres, mais contre quelques-uns. Je ne peux
passer sous silence le comportement d’un prêtre qui, plus est, est de
ma famille. J’étais fier, enfant, d’avoir un prêtre au sein des miens. Il
est arrivé plusieurs fois qu’il m’invite à Lourdes en pèlerinage. Je
partageais sa chambre d’hôtel, son lit même, car cela était plus
économique de prendre une chambre avec un seul, mais grand lit. Il
m’a toujours respecté. Il savait que je voulais devenir prêtre. Quand je
suis rentré au Grand Séminaire, il était fier de m’inviter à des repas
paroissiaux ou des repas pour les prêtres des environs. Quel honneur,
quelle jouissance, que de dire: « voilà mon filleul, il est au
Séminaire. » Je servais souvent la messe dans sa paroisse, y donnais
la Communion aux fidèles. Même une fois qu’il est parti en pèlerinage
en Terre Sainte, j’ai dû m’occuper des offices et faire des A.D.A.P. 83.
J’étais très heureux. Mais, une fois que je fus renvoyé du séminaire, je
ne reçus plus aucune nouvelle de sa part. Je n’étais plus intéressant.
Quelques temps après avoir porté plainte contre le prêtre, je me suis
82 Quelques mois après cette rencontre, en juin 2008, le site Internet de la revue Golias révélera que ce Prélat
réputé exigeant et compétant, mais aussi sans doute avec un esprit trop d’ouverture, venait de perdre son poste.
Rome le reléguant dans une toute petite paroisse du diocèse de Lyon. Sans désemparer, j’ai écrit à son
successeur. Je n’ai jamais reçu de réponse. Profitant du voyage du Pape Benoît XVI à Lourdes en septembre
2008 et ayant eu écho de son lieu de résidence, j’ai pris contact avec la responsable de la communauté qui
hébergeait le Pape et sa suite. Très gentiment cette personne m’autorisa à faxer un courrier pour le secrétaire
particulier du St Père, Mgr Georg Ganswein. Cette « religieuse » me faxa même qu’elle avait remis en mains
propres mon courrier à ce prélat. Elle m’envoya quelques jours après une carte manuscrite de prières à mes
intentions et une belle photo souvenir du Pape. Il y avait longtemps qu’un membre de l'Église ne m’avait étonné
dans le bon sens. Je remercie cette personne de l’association auxilium à Lourdes, Anna Rust. Grâce à elle, à
présent je savais que Rome savait mon combat. Et que l'Église ne pouvait dire un jour : « On ne savait pas ! ».
83 Assemblée dominicale en absence de prêtre.

128
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

mis à parler de ce que j’avais subi à quelques personnes. Je voulus


renouer le contact avec ce prêtre pour lequel j’avais de l’estime. Je
me rendis auprès de lui avec mes dossiers, lui parlant de ma
souffrance, de mon combat. Qu’est-ce que cela m’apporta ? A partir de
ce moment- là, il me déclara son amour, me proposa de vivre chez lui,
d’être son secrétaire, son homme à tout-faire, mais surtout son gigolo.
Là, n’est pas ma conception du prêtre. Il me proposa son argent, de me
mettre sur son testament, mais à condition de l’aimer sexuellement ! Il
est arrivé qu’entre deux mariages qu’il célébrait, il vienne m’harceler
et bien plus, quand je faisais une sieste. Le pire c’est qu’il voulait que
je vienne à la messe pour faire plaisir à ses paroissiens. Moi, qui ne
pratiquais plus depuis déjà quelque temps. J’y allais donc pour faire
plaisir à ce beau monde. Après la messe, nous étions souvent invités
au restaurant. Il me questionna un jour sur la raison de mon refus de
communier lors de la messe. Je lui répondis que devenu non-croyant,
je respectais le culte, mais ne pouvais pas communier pour faire plaisir
aux gens. Bien que je fusse majeur, ce prêtre a aussi abusé de moi. Je
devais à nouveau être un objet sexuel. Combien de fois je lui ai dit ma
façon de penser, même par écrit, demandant des excuses. Rien n’est
venu ! Ceci pour raconter comment des prêtres, pas tous, mais un
bon nombre84 se comportent. Faites ce que je dis, mais pas ce que je
fais… Quelle déception pour moi encore une fois de vivre cela. Croire
qu’avec l’argent on peut tout avoir, même le corps, l’âme et le cœur
d’une personne. Je préférerais plutôt être mendiant dans la rue que de
vivre ce qu’il me proposait. Pour devancer un peu le chapitre suivant
concernant l’hypocrisie de certains chrétiens, j’aime parler d’un fait
qui m’a marqué. Un jour, ce prêtre, -dont je viens de parler plus haut-
organisa une fête pour mon anniversaire, mes 30 ans, et invita
quelques personnes au presbytère pour un succulent repas. J’avais
bien dit au prêtre de ne pas signaler que c’était en mon honneur.
Timidité oblige. Et pourtant en plein milieu du repas, une famille
catholique, très pratiquante et très riche, (il faut dire qu’on était au
Grand-duché de Luxembourg), me donnèrent devant tout le monde,
-dont une grande partie n’avait rien apporté comme cadeau, ce qui est
normal, puisque je n’en voulais pas- quatre enveloppes et me
dirent : «C’est pour ton permis de conduire.» Comme je suis
quelqu’un de bien élevé, j’ai attendu que tout ce beau monde soit parti
84 Car je pourrais raconter d’autres cas !
129
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

pour ouvrir les enveloppes, et voir leur contenu. Je ne sais pas quel
permis ces gens-là voulaient que je passe, mais en tout cas pas celui
des quatre roues. Chaque enveloppe contenait 10 ou 20 euros ! Ces
lignes révèlent beaucoup, mais certains me diront concernant mes
dires sur le prêtre que ça n’a pas d’intérêt. Je trouve au contraire que
cela en a. Ça n’aurait pas d’intérêt si cette personne qui voulait abuser
de moi était un charcutier ou un fleuriste. Ce qui fait mal, c’est que ce
soit un prêtre qui m’avait respecté quand j’étais enfant. Une fois,
devenu adulte, il me propose des choses identiques à celles que me
faisaient subir mon abuseur. Là, est l’ignominie. Cela ne m’aurait rien
coûté d’être amant, mais je n’en ai pas du tout la vocation.

Depuis, je n’ai plus eu de nouvelles de lui, et encore une fois tant


mieux.

Certains lecteurs se poseront légitimement la question du pourquoi je


n’arrive pas dire non à des tels abus, même et surtout encore à un âge
adulte avancé ! C’est une séquelle de ce que j’ai vécu petit.

Ce symptôme psychologique, résultat d’abus sexuels subis s’appelle


« L’impuissance acquise ».

« Certaines victimes -enfants ou même adultes-, qui subissent des


abus à répétitions, peuvent donner à penser qu’elles le cherchent…
Ce n’est évidemment pas le cas ; en réalité, ces personnes souffrent de
ce que l’on appelle l’ « impuissance acquise ».
Il s’agit d’un sentiment d’impuissance dans lequel la victime plonge
à l’occasion d’un premier abus ou d’une agression et qui se fixe
instantanément dans sa mémoire. Cette forme d’impuissance
persiste à l’état latent, mais est systématiquement réactivé, tout au
long de sa vie, chaque fois que la victime se trouve face à un
abuseur ou à n’importe quel abus. Il s’agit d’un mécanisme
psychologique trop peu connu qui laisse croire à tort que la victime
est consentante ou même qu’elle désire être abusée. Pour être plus
exact, il faut dire que cette fragilité psychologique crée un public-
cible repéré par les abuseurs et dont ils profitent pour commettre
plus aisément leurs forfaits.

130
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Cet état d’impuissance acquise a ainsi valu à une femme de 38 ans de


se laisser emmener dans un hôtel et violer par un de ses oncles qui
avait déjà abusé d’elle dans son enfance. A 38 ans, elle était toujours,
comme lorsqu’elle était enfant, mentalement paralysée et incapable
de dire « non ». On sait aussi, pour les mêmes raisons, que certains
enfants, placés en institution pour les éloigner d’un abuseur,
deviennent plus facilement que d’autres la proie d’adolescents ou
d’adultes abuseurs présents dans l’institution. (…) Il faut noter que
cet état d’impuissance est souvent mal compris : la victime,
psychologiquement paralysée, fait les gestes que son agresseur lui
dit de faire et se retrouve de cette manière dans un état de
soumission que, plus tard, la police ou la magistrature ont tendance
à considérer non pas comme un état de choc particulier dû à
l’agression, mais comme une forme d’acceptation. »85

85Gérald Brassine, Prévenir, détecter et gérer les abus sexuels subis par les enfants, Faut-il parler de ça aux
enfants ? Ed. Dangles, 2008, pp 49-51.
131
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« La meilleur prière est la plus clandestine. »

Edmond Rostand

-Les pharisiens

Comme le lecteur l’aura constaté, malgré les abus d’un prêtre sur moi
pendant mon enfance, je ne suis pas devenu un bouffeur de curés86.
Mon vécu, dans le milieu de l'Église, me permet de voir d’une façon
plus clairvoyante, les gens qui n’agissent que pour leur gloire
personnelle.
Je vais me répéter, je n’ai jamais aimé la pitié et encore moins les gens
qui veulent faire du bien à la seule condition que tambours et
trompettes soient au rendez-vous.
Je vais donner un cas concret qui vous montrera, à vous lecteurs,
comment agissent souvent les gens d'Église. Ma théorie n’est pas
nouvelle, elle est présente dans la Bible : « Pour toi, quand tu fais
l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite »87.
Bien souvent les catholiques -que j’appelle volontiers calotins ou
grenouilles de bénitiers- ne sont là que pour le paraître. Fort
heureusement ils ne sont pas tous pareils.
En 2007, j’en ai eu, encore une fois la preuve. J’appris par la presse
qu’une dame88 de mon village avait pris l’initiative de confectionner
des cartes postales et de les mettre en vente afin de pouvoir « faire une
surprise »89 à mon petit frère de dix-neuf ans. Cette « surprise »,
relatée dans la presse, avait pour but « de pouvoir offrir assez
rapidement un chien guide pour l’aider dans tous ses
déplacements. »90.

86 Prêtre pédophile n’est pas un pléonasme ou une redondance.


87 Matthieu VI, 3.
88 Il est à noter que cette dame était aussi la propriétaire de la maison où logeait le prêtre qui a abusé de moi. Elle

était de façon privilégiée la seule personne à avoir accès à toutes les pièces de la maison du prêtre. Elle aurait pu
alerter le curé que le prêtre avait partout dans la maison des photos d’enfants sur les murs, un très grand lit, et
encore des lits superposés dans une autre chambre…Non, elle n’a rien fait !
89Journal « L'Avenir du Luxembourg », 19/09/07.
90 Ibidem.

132
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Lorsque mon petit frère était en bonne santé, il n’a guère bénéficié
d’une quelconque aide de cette personne. Il est vrai, et c’est bien pour
cela que le prêtre avait abusé de moi sexuellement, que nous ne
sommes pas une famille riche. Pour cette raison, lors des baptêmes des
enfants de la famille, les religieuses du village demandaient souvent à
de « bons » chrétiens d’être le parrain ou la marraine. Il a fallu que
mon petit frère devienne aveugle pour bénéficier d’un semblant
d’affection.
L’affection ne peut être synonyme de pitié ou de compassion. De quel
droit peut-on se permettre de décider à la place d’une personne, même
si c’est pour son bien ? Comment peut-on se permettre de
confectionner des cartes postales, d’en faire la publicité dans le
journal, et de les vendre sans que l’intéressé ne soit mis au courant ?
La presse avait fait un article d’une demie page, n’hésitant pas à
cautionner cette opération de solidarité, à étaler l’âge de mon frère,
son prénom et son village, sans même vérifier auprès de celui-ci s’il
était informé de cette action et s’il la cautionnait. Mon frère n’a jamais
souhaité faire appel à la pitié des autres et à leur pseudo charité pour
faire face à son handicap.
L’article de presse litigieux posait en outre sérieusement problème
quant à la destination effective des fonds qui étaient ainsi récoltés.
L’article portait aussi atteinte de façon insupportable au respect de la
douleur personnelle de mon frère.
Je n’ai pu que prendre la défense des droits de mon frère et vu que la
rédaction du journal ne voulait pas reconnaître ses torts, croyant avoir
agi en toute bonne foi. Le rédacteur ajouta que si mon frère ne voulait
pas le chien, un autre aveugle serait content de l’avoir! Je fus obligé
de prendre un avocat afin de mettre un terme à cette soit disant action
de solidarité et à restaurer l’honneur de mon frère. Je me suis même
rendu auprès du Substitut du Procureur du Roi -qui me connaissait
bien, puisqu’elle a traité le dossier de pédophilie contre mon prêtre
pédophile-. Cette magistrate ordonna immédiatement une enquête de
police pour mettre un terme à la vente des cartes. Nous n’avons jamais
été des mendiants et d’ailleurs, si un aveugle veut bénéficier d’un
chien guide, il peut l’avoir sans débourser un euro, car ces associations
vivent de dons contrôlés par l'État, étant des A.S.B.L.. Au mieux, si
vraiment ces personnes voulaient faire une surprise à mon frère pour

133
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

lui offrir un chien guide, avec tout l’argent qu’ils possèdent, ils
auraient pu lui offrir un chenil !
Mais non, il faut le « m’as-tu vu » ! Il faut que les gens du village et
des environs croient que sans ces gens-là mon petit frère ne serait rien.

Des gens, soit disant bons chrétiens ont voulu l’infantiliser ou pire, ont
voulu au travers de son handicap, se donner bonne conscience et s’en
faire une publicité ! Jamais, je n’aurais pu rester impuissant face à
cette façon d’agir.

Combien de gens dans mon village ont été au courant de mon histoire
–peu banale- ? A-t-on, là, mis en place une opération de solidarité afin
que je puisse réclamer justice face aux actes commis par le prêtre
pédophile sur ma personne ? J’y ai déjà répondu plus haut. Et pourtant
cela aurait été tout à l’honneur de la paroisse.
Je n’ai donc pu supporter qu’une opération de solidarité soit mise en
route dans la presse sans que mon frère ne soit mis au courant.
L’avocat ordonna à la presse d’insérer dans leur édition un article de
même taille – dans les quarante-huit heures- afin de relater la vérité
des faits. Cela fut fait dans les délais impartis. Il est vrai que j’avais
pris pour mon frère le meilleur avocat dans le domaine de la presse et
fait remarquable il chiffra ses honoraires à O euros. L'histoire de mon
frère l'avait bouleversé.

Une autre attitude m'a aussi choqué. Connaissant bien le bourgmestre


de la commune, l'ayant eu quelques années comme professeur
d'anglais, je me permis de lui écrire afin de demander s'il pouvait faire
quelque chose pour mon frère. A dix-huit ans, en pleine année de
rhétorique91, mon frère se trouva du jour au lendemain non voyant, à
cause d’une maladie génétique {très rare} s’étant subitement
déclarée : la maladie de Leber. Le bourgmestre me répondit qu'il allait
aller rendre visite à mon frère, puis il me dit qu'il aurait bien engagé
mon frère à la commune, mais que comme il n'avait pas de diplôme
cela ne pouvait aller. Mon frère a repris ses études étant aveugle et les
a réussies. Quel courage et quelle détermination de sa part ! Mon frère
postula un emploi à la commune, il attend toujours!

91 Le BAC pour la France.


134
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Mon frère ne veut toujours pas de chien guide et il est heureux comme
cela. –si on peut parler de bonheur !- Cette histoire m’a montré
comment certaines personnes profitent du malheur des autres et
comment, aveuglément, des gens se laissent embobiner par pitié. Si
une personne de ma famille ou moi-même avions pris l’initiative de
récolter des fonds pour mon frère, n’aurions-nous pas eu assez tôt la
visite des policiers pour faire cesser cette action ? Je vous laisse, à
vous lecteurs, le soin d’y répondre.

Pour ma part, je risque peut-être un jour ou l’autre, que cette maladie


ne se déclenche, l’ayant également. Je n’ai pas besoin de pitié. On ne
sait rien y faire car il n’y a aucun traitement. Cependant, j’ai accepté
de faire partie d’une étude clinique à l’étranger dès que la maladie se
déclarera afin de pouvoir trouver un traitement préventif ou curatif
pour d’autres. La vie en société, c’est penser à l’autre. Et, je ne parle
pas de bondieuseries, j’agis. J’apprends le braille une fois par semaine.
Si un jour, j’ai besoin d’un chien guide, mon chien le sera.

135
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

-Commission interdiocésaine pour le


traitement des plaintes pour abus sexuels commis dans l’exercice
de relations pastorales

Depuis 1997, les Évêques de Belgique ont instauré un point de contact


téléphonique francophone et néerlandophone. Toute personne
concernée dans des faits de dérive sexuelle du clergé peut s’y adresser.
La victime y bénéficiera d’écoute adaptée ! En 2000, les évêques
remplacèrent ce point de contact par une Commission. Si la gravité
des faits l'impose, les membres de la Commission proposent -et ce
dans le plus bref délai- à l'Évêque diocésain ou au Supérieur majeur de
prendre des mesures d'urgence.92 J’avais déjà entendu parler de cette
Commission, mais je ne l’avais jamais contactée ne sachant pas ce
qu’elle valait. J’étais un peu sceptique, mais je ne peux critiquer
quelque chose sans la connaître.

Voyant comment l’évêque se positionnait depuis des années envers le


prêtre et sachant que constitutionnellement la Justice est impuissante
face aux nominations des membres du clergé, j’ai voulu parler de mon
affaire à cette Commission. M’étant rendu sur le terrain rencontrer le
bourgmestre du lieu où résidait mon abuseur, et voyant que lui aussi
était impuissant, je me suis dit que cette Commission pourrait faire
quelque chose, afin que le prêtre quitte son presbytère. Il n’a pas été
facile d’avoir quelqu’un au bout du fil. J’ai demandé une rencontre
avec la présidente et avec le vice-président de la Commission que je
savais être docteur en droit canonique. Lors de cette rencontre,
j’exposai à nouveau mon vécu et mon combat. Ces deux personnes
prirent des notes. Puis on me demanda une grande partie de mes
documents qu’ils photocopièrent. Je leur fis un exposé précis de mes
griefs, trouvant anormal que le prêtre puisse encore habiter dans un
presbytère et, bien que l’évêque et le prêtre prétendaient qu’il
n’exerçait plus aucune fonction religieuse, je leur remis les preuves du
contraire. Mon but était, vous vous en doutez, de faire en sorte que
cette commission mette un terme à ce mensonge. Le vice-président me
déclara trouver très ambigu et nuisible, le maintien de ce prêtre dans
ce presbytère. Il me dit que la Commission pouvait et allait demander
92 Préambule de la Commission art. 1 et art. 20.
136
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

à l’évêque de mettre un terme à cela. Et d’ajouter avec dépit que bien


souvent, les évêques ne répondent pas à la Commission ou de manière
laconique surtout si l’affaire est toujours dans les mains de la Justice.
Quelques temps après, j’ai reçu un résumé de ma plainte avec bon
nombre d’inexactitudes. Je leur fis part des rectificatifs utiles. A
chaque fois que je contactais la présidente de la Commission ou
qu’elle le faisait, il fallait que je fournisse tel ou tel document du
dossier. J’en ai eu assez et j’ai écrit à la Commission disant qu’ils
avaient assez de documents et qu’elle n’est pas là pour faire un procès
identique et parallèle à ceux de la Justice civile. Il faut dire que la
présidente de cette Commission est une magistrate, présidente retraitée
du tribunal de Bruxelles. Et qu’une victime vienne avec un dossier
carabiné, cela lui plaisait. Elle voulait le maximum de documents
surtout concernant la plainte de l’évêque. Dans le but d'aider la
victime ou l'Église ? J’en ai eu la réponse assez rapidement. J’ai été
étonné que dans les conclusions fournies par le Conseil de l’évêque
pour son procès il soit fait mention d’un article sur la séparation
Église-État écrit par le vice-président de la Commission. J’ai écrit à ce
vice-président afin d'avoir le texte en entier. J’ai écrit deux fois sans
obtenir de réponse. Un mois après, il me répondit pour me dire qu’il
n’avait pas le texte, mais que mon avocat pouvait le trouver dans une
bibliothèque ! Un autre élément qui m’a choqué est le fait que dans le
courrier que la Commission a écrit au prêtre parlant de ma venue et
de ma plainte, il y est fait mention de ceci : « …De toute manière,
quelles que soient les décisions judiciaires, il y a lieu pour vous, dans
le cadre du codex juris canonici, d’indemniser Monsieur Devillet tant
au point de vue moral qu’au point de vue matériel. Monsieur Devillet
se trouve dans une situation bien difficile. Il est grand temps que
l’aide et les dédommagements qui lui sont dus deviennent réalité. La
Commission vous propose dès lors de lui verser dès à présent à titre
de dédommagement moral une provision de 25.000 euros, sous
réserve d’augmentation. Le calcul de l’indemnité morale définitive
ainsi que le calcul des indemnités matérielles se fera dans un avenir
proche. La Commission a écrit en ce sens à monseigneur Léonard 93 ».
Lors de mes contacts avec la Commission, il n’a jamais été question
d’argent. Mes seules préoccupations étaient que cette Commission
sache la façon d’agir de l’évêque et que des dispositions soient prises
93 Courrier de la Commission envoyé au prêtre qui m’a abusé, 3/04/2008.
137
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

afin que le prêtre ne puisse encore pouvoir faire des victimes.


Plusieurs fois j’ai demandé à la Commission la lettre que celle-ci avait
envoyée à l’évêque, en vain ! Encore là, la seule préoccupation de la
Commission était l’argent, rien concernant les fonctions actuelles et
réelles du prêtre. J’ai fait part de ma perplexité et il me fut répondu
sèchement ceci : « …Cette Commission n’a d’ordre à recevoir ni
des autorités ecclésiales ni des personnes qui s’adressent à la
Commission. La Commission dispose, comme elle estime devoir le
faire, de l’entièreté de son dossier. (…) Nous ignorions que le seul
but que vous poursuiviez en vous adressant à la Commission était
d’éviter d’autres victimes. Nous prenons note de ce souhait
éminemment noble. Tant l’abbé Hubermont que Monseigneur
Léonard savent donc à présent que la Commission est au courant de
votre vécu et que votre dossier figure parmi celui des autres
victimes. Ici s’arrête donc le travail de la Commission.94 »

Même là, on me prenait pour un imbécile. Il fallait que je donne le


maximum de pièces, mais lorsque je demandais ce que la Commission
avait écrit à l’évêque -afin que je sache exactement leur demande- je
n’avais plus droit au chapitre. Je savais, ayant lu sur le site Internet de
l'Église de Belgique le préambule de cette Commission divers points
importants, dont l’art. 22 disant : « La partie plaignante ainsi que la
personne à l’encontre de qui plainte a été déposée sont averties par
écrit des éléments de l’enquête. La possibilité leur est donnée de
prendre connaissance du dossier. Une éventuelle réaction écrite de la
part de ces personnes sera jointe au dossier. » Je n’allais quand même
pas fournir des documents concernant la plainte contre l’évêque et
permettre au prêtre et à l'évêque de consulter ces documents comme
bon leur semblait. J’ai été choqué de lire que le travail de la
Commission s’arrêtait là, car je refusais l’argent. Mon seul souci,
répété à de nombreuses reprises, par écrit et oralement était bien le
sort d’éventuelles autres victimes et on n’en tenait pas compte ! Cette
Commission travaillait peut-être en toute indépendance, mais il est
clair que je savais de quel côté elle se trouvait et ce n’est pas du côté
des victimes. Si je n’avais pas réagi au courrier que la Commission a
écrit au prêtre lui ordonnant de me verser 25.000 euros, et si pire je les
94 Courrier que la Commission interdiocésaine m’a adressé, 09/04/2008.
138
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

avais acceptés, le prêtre et l’évêque n’auraient-ils pas profité de cette


transaction financière pour dire aux tribunaux qu’ils avaient indemnisé
la victime ? Le tribunal n’aurait-il pas pu, à juste titre, penser que je ne
n’agissais que pour des raisons pécuniaires ? Qui refuserait 25.000
euros ? Et bien, j’ai refusé. En tout cas, les doutes que j’avais sur cette
Commission ou ce dont j’avais déjà entendu d’elle, se sont vérifiés.
L’hypocrisie régnait au sein de cette Commission ! Je n’ai jamais eu
de suite de ma plainte, ni aucune copie des courriers que le prêtre ou
l’évêque auraient écrits, contrairement à ce que prévoyaient les statuts.
La veille du procès contre l’évêque, le vice-président de la
Commission me demanda par courrier électronique de lui faire
parvenir la copie du jugement dès qu’il serait rendu. D’emblée, je lui
répondis que je n’avais plus eu de nouvelles de la Commission depuis
neuf mois. Dans ces conditions, il n’avait qu’à demander à l’évêque la
copie du jugement. D’ajouter aussi qu’il n’était plus nécessaire de me
contacter. D’ailleurs un mois plus tôt la presse s’était faite l’écho du
fait que les évêques trouvaient que cette Commission agissait comme
un tribunal ce qui n’était pas son rôle. Suite à la révélation de l’affaire
de l’évêque de Bruges95, il a été mis à la connaissance de la société
que la grande majorité des membres de cette Commission avait
démissionné fin 2009. La raison ? Trop de pression de la part des
évêques et responsables religieux. Mais je peux en apporter une autre
raison. En effet, en septembre 2010, une personne m’a communiqué
un courrier datant du 28 mai 2008. Ce courrier était rédigé par la
présidente de la Commission elle-même dont le destinataire était
l’évêque Léonard ! Ce courrier répondait à une lettre de Mgr Léonard
datant du 6 mai 2008 adressée à la Commission, lettre qui demandait
d’attendre la fin des procédures judiciaires. Cela démontre que Mgr
Léonard avait répondu à la Commission, et que cette dernière ne m’a
jamais tenu au courant. Mais, plus grave encore, dans la réponse de la
présidente de la Commission (Mme G. Halsberghe) à Mgr Léonard, il
n’est question à nouveau que d’argent. Le courrier se termine en ces
termes : « La Commission espère vous avoir convaincu de la
nécessité de porter aide et secours immédiat à Monsieur DEVILLET
par l’entremise de la Commission. » Alors, que cette présidente
m’avait écrit plus d’un mois plus tôt que le travail de la Commission
s’arrêtait là, car je refusais une transaction financière.
95 Inceste sur deux de ses neveux.
139
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Il est évident que cette Commission ne tenait même pas compte de


mes souhaits et qu’elle intervenait non dans mes intérêts.

En janvier 2010, une nouvelle Commission fut mise en place par les
évêques. Je pris contact par mail avec son président le Professeur
pédopsychiatre Adriaenssens le 9 juin 2010 afin de savoir si sa
nouvelle Commission avait en possession mon dossier. Je n’eus
aucune réponse. Le 24 juin eurent lieu les perquisitions dans le dossier
‘calice'96 et les dossiers furent saisis. Fin juin 2010, j’ai interpellé ce
pédopsychiatre sur un plateau de télévision, lui demandant pourquoi je
n’ai pas eu droit à une réponse de sa part. Il me répondit sans
ménagement : « Vous, vous êtes en justice, on ne répond pas à ceux
qui sont en justice ! » Quel mépris, quelle indifférence face à la
souffrance des victimes, qui osent aller en justice… Quelle hypocrisie
au sein de ces Commissions dites indépendantes…

96 Nom donné à l’enquête menée par le Juge d’Instruction bruxellois Wim De Troy. Le Juge est chargé de
démontrer que l'Église de Belgique protège ses prêtres pédophiles. L’avocat de l'Église utilise toutes les
procédures possibles afin d’anéantir cette enquête. Preuve que cette Église a des choses à cacher…
140
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

-La Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes


intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels (S.P.F.J.)97

En septembre 2007, grâce à Internet, je pris connaissance de


l’existence de cette commission, qui se trouve à quelques mètres de
mon domicile. Je me battais en justice, depuis six années et jamais
personne ne m’avait parlé de cette possibilité d’aide financière.

Je me renseignai donc, et fort heureusement, je pus bénéficier de


l’aide du Ministère de la Justice qui déclara ma demande recevable et
fondée, m’octroyant une aide d’urgence -vu que j’étais au chômage
depuis une année- afin de couvrir mes frais supportés dans la mesure
où ceux-ci sont directement liés aux faits, à l’exception des frais
d’avocat et d’expertise.

Sans cela, comment une victime pourrait-elle payer les frais de


condamnation envers l'État, les frais de dossiers, de procédures et
suivre régulièrement une thérapie non remboursée par la mutuelle ? Il
est évident que sans cette aide financière, j’aurais dû abandonner mes
procès, ou accepter un arrangement à l’amiable. Je n’étais plus en
mesure financièrement de poursuivre mon combat. Lorsque le prêtre
sera condamné, il est clair qu’il devra rembourser la Commission. J’ai
reçu 5.000 euros, qui ont permis de rembourser mes frais de thérapies
précédentes et encore 1050 euros pour ma thérapie actuelle. En mars
2010, cette commission m'accorda encore 989 euros pour les frais
thérapeutiques.

Enfin, la société et l'État me reconnaissent comme victime et m’aident


à m’en sortir et à poursuivre la lutte. Mais, il est vrai que là aussi, j’ai
plaidé seul ma cause. Ces gens ont bien vu comment je me battais seul
contre tous et avec quelle obstination de Justice. Jamais, je n'ai eu la
présence de mon conseil pour défendre ma cause lors des 3 audiences.
J’avais aussi parlé de la rédaction de mon ouvrage, ce qui a
certainement joué en ma faveur.

97 Service public fédéral Justice.


141
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

"Nos amis les chiens ne nous font


de la peine que lorsqu'ils meurent."

Blaise Pascal

-Mes chiens

C’est à eux que je dois tout. Sans Del, un brave petit chien que j’avais
acheté lorsqu’il avait deux mois, au moment où j’ai quitté Namur pour
travailler à Bruxelles, je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui, et ce
livre n’aurait pas vu le jour.

Del

Que d’affection reçue de sa part ! Que de joies exprimées lorsqu'il me


voyait rentrer du travail. Je le voyais, m’attendre à la fenêtre. Je
pouvais le promener sans la laisse en ville : il restait toujours à mes
142
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

côtés. Je le pleure souvent, car en 2007, en pleine rue piétonne, un taxi


l’a percuté et il est mort sur le coup. La voiture ne s’est même pas
arrêtée. Je suis revenu chez moi, avec mon chien mort dans mes bras.
Il était ma vie, ma raison de vivre. J’ai cherché un cimetière pour
animaux et deux jours après l’avoir veillé, il fut enterré. Ce fut un
déchirement atroce.

143
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Coïncidence ou providence, le lendemain de sa mort, le moine que je


connaissais depuis des années me téléphona, car de temps en temps
nous prenions le repas de midi ensemble. Soit il m’invitait au
restaurant, soit nous mangions à la maison, car j’aime cuisiner. Il fut le
seul à m’entendre pleurer mon chien. Je n’allais pas lui dire que tout
allait bien. Il compatissait à ma douleur. J’ai dû attendre six mois pour
un second appel téléphonique de sa part. Il est évident que je n’ai pas
décroché. Puis quelques mois après, il appela de nouveau pour
partager un repas, mais j’ai décliné l’invitation. Est-ce cela l’amitié ?
Ce prêtre98 connaissait tout de moi et lorsque mon chien mourut, il ne
m’apporta aucun soutien. Il est vrai : qui suis-je pour que l’on
s’intéresse à moi ? S’intéresser sans profit, je veux dire… Car étant
devenu Père Abbé entre temps, il n’avait plus rien à craindre de moi
s’est-il dit. (A la sortie de mon livre début 2009, l'ayant lu, il m’écrivit
et s’excusa de son attitude, me proposant de le revoir. J’ai accepté ses
excuses, mais lui ai dit que je le rencontrerai qu’au terme de mes
procès.)

Pleurant mon chien sans arrêt, ne sortant plus, ne mangeant plus


depuis une semaine, j’ai cherché sur Internet un chien comme mon
petit Del. Aucun n’était aussi beau que lui. Et, je voulais le même. Car
il m’est impossible de vivre seul. Sans humain à mes côtés si ; mais
pas sans un chien à qui donner de l’affection et de qui je peux en
recevoir. L’idée de mettre fin à mes jours me revint avec force.

Le lecteur aura compris que la société m’a déçue fortement. Que


l’homme m’a trahi bien des fois.
Comme dit le proverbe : « Plus je connais les gens, plus j’aime les
bêtes ! ». J’ai aussi remarqué que ceux qui n’aiment pas les animaux,
n’aime en réalité pas les gens.

Grâce encore une fois à Internet, j’ai trouvé après une semaine et après
avoir rencontré deux autres chiens, ma petite Dora. Elle est
exactement comme mon ancien chien sauf que c’est une femelle. Peut-
être un cadeau de la Providence ? Je pense tous les jours à Del, mais
98 Lorsque j’avais été exclu du Séminaire, étant désemparé, j’avais demandé à ce moine de pouvoir rentrer dans
son abbaye. Il avait refusé me disant qu’on ne peut y entrer à cause d’une déception ; me disant que s’il
acceptait, après six mois ou même avant, je partirais. Plusieurs fois, je lui ai fait part de ma reconnaissance suite
à sa décision de l’époque.
144
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Dora m’aide à survivre. Car quelqu’un qui vit seul a-t-il envie de
cuisiner pour lui chaque jour ? Grâce à la présence de mon chien, je
cuisine pour lui et pour moi.

Je peux lui parler, et je sais qu’il me comprend. C’est mieux que tout
médicament antidépresseur ou que la présence d’un humain qui ne
serait là que pour profiter de moi. Je doute fortement de l’amitié des
humains. Comment dès lors croire en l’amour. Telle est ma vie.

Dora

145
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« Le bien et le mal doivent leur


origine à l’abus de quelques
erreurs. »
Paul Eluard

-Des paroles aux actes

Je sais que mon vécu est hors du commun. Comme je l’ai dit plus
haut, j’aurais pu rester sans rien faire et attendre le déroulement des
procédures judiciaires, mais je ne pouvais le tolérer. J’avais un
important dossier et il devait servir à faire bouger les choses dans ce
pays. Je ne pouvais admettre qu’une personne qui risquait la prison
pour des faits de viol sur mineur puisse être engagée comme
éducateur dans un centre pour personnes en difficultés, le jour même
de ma constitution comme partie civile. Je ne pouvais non plus
admettre la façon avec laquelle l’évêque Léonard traitait le problème
de la pédophilie au sein de son diocèse, se contentant seulement d’un
déplacement du prêtre incriminé. Il n’est pas facile de faire bouger les
choses en politique. Très souvent, les courriers que les citoyens
adressent aux politiciens sont lus par des collaborateurs et ces derniers
y répondent avec peu d’intérêt. La majorité des politiciens ne lisent
pas les courriers qui leur sont adressés et pire encore, ne lisent même
pas les documents qu’ils signent. Beaucoup de collaborateurs ne
pensent qu’à leur carrière et croient que le citoyen se contentera d’un
simple courrier signé du mandataire politique, peu importe le contenu
et surtout le suivi de la requête.
J’ai déjà parlé plus haut de l’indifférence du parti socialiste face à mes
courriers. J’ai eu plus de chance avec deux mandataires du
Mouvement Réformateur99. Le député Olivier Maingain, après lui
avoir écrit, m’accorda une rencontre de dix petites minutes. Il me
montra son désir réel de vouloir faire quelque chose pour qu’à l’avenir
de telles situations ne se reproduisent plus.
Lui, prenait du temps pour répondre aux courriers des gens, car il lisait
lui-même tous les courriers qui lui étaient adressés et y répondait
99 Parti politique de droite en Belgique
146
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

personnellement. Ce député fédéral chargea une députée de la région


wallonne de déposer une question parlementaire. Le but étant de
connaître ce qu’il en était au sujet des personnes ayant commis des
faits de mœurs mais ayant bénéficié de la prescription par le tribunal,
et de savoir si elles pouvaient sans problème travailler dans des
Institutions où séjourne une population vulnérable.
Pour rappel, mon abuseur a avoué les faits et le Parquet, malgré la
prescription, demandait que le Tribunal déclare la culpabilité du
prévenu. En dépit de cela, il fut engagé sans problème comme
éducateur auprès de personnes certes majeures, mais très fragilisées
mentalement et socialement. Nous sommes tous égaux devant la Loi.
L'Église se croit au-dessus des lois. Il est vrai que la Belgique est un
État de droit, où l’un des fondements est la séparation des pouvoirs.
La séparation de l'Église et de l'État est criée haut et fort, mais tout un
chacun et surtout le politique savent bien que cette séparation n’est
que de façade. Pour preuve : les nombreuses tentatives de députés,
ayant pour but de modifier l’ordre de préséance protocolaire. Cette
modification du protocole tend à reléguer le nonce apostolique et le
cardinal à une place lointaine. Il est connu que beaucoup de politiques
sont de la loge maçonnique. Les partis catholiques en Belgique furent
pendant des années au pouvoir et les libéraux dans l’opposition. Il y a
plus de onze ans, lorsque les électeurs permettaient aux libéraux de
prendre le pouvoir, ces derniers n’ont pas attendu longtemps pour
vouloir supprimer le privilège de l'Église catholique au niveau du
protocole. Force est de constater que leurs tentatives furent vaines.
Aucun changement n’a eu lieu dans la liste, et la commission chargée
de la modifier y travaille depuis 1991 ! Il suffit de voir à la télévision
lors des cérémonies officielles quelles sont les personnalités que le
Roi salue et dans quel ordre protocolaire. La liste de préséance veut
qu’après les membres de la famille royale se placent les Cardinaux, et
le Doyen du Corps diplomatique (qui en Belgique est toujours le
Nonce Apostolique). Après, se trouvent le Président du Parlement
Européen, le Président de la Chambre et celui du Sénat. A la 73 ème
position –après les Ministres et autres personnalités- se trouvent
l'Archevêque de Malines-Bruxelles (si pas cardinal) et les Évêques !
Et seulement après, on trouve l'Église Protestante Unie de Belgique, le
Grand rabbin, le président du Comité Central du Culte Anglican de

147
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Belgique, le Métropole Archevêque du Patriarcat œcuménique de


Constantinople, le Président de l’Exécutif des Musulmans de Belgique
et le Président du centre d’Action Laïque. Est-ce cela la séparation de
l'Église et de l'État ? Ne peut-on pas y voir l’influence réelle de
l'Église catholique et l’adhésion non dissimulée de la famille royale
envers cette religion ? La religion n’est-elle pas une affaire privée ?
Pourquoi donc, au plus haut sommet de l'État le contraire est-il
d’actualité ? Si seulement aux côtés de la hiérarchie de l'Église
catholique se trouvaient les responsables des autres religions
reconnues en Belgique, alors peut-être n’y aurait-il rien à y redire ? La
réalité des faits montre bien que la Belgique est un État catholique 100.
Là, n’est pas mon problème, chaque pays a son histoire, sa culture et
son passé religieux. Mais là, où ça me dérange et où le lecteur
comprendra mon combat, c’est le fait que l’autorité religieuse de
l'Église catholique profite de son statut privilégié au plus haut sommet
de l'État, se croyant intouchable sur le plan politique et judiciaire.
Si, comme je l’ai dit plus haut, de nombreux hommes politiques sont
membres de la franc maçonnerie -qui n’est pas du côté de l'Église-, il
est connu mais souvent caché que de hauts responsables dans le
monde judiciaire belge et même dans la famille royale font partie de
l’Opus Dei ! Il est évident que, dans de telles conditions, les évêques
ou du moins l’évêque de Namur (pour ne reprendre que mon dossier)
se croient tout permis au risque d’avoir de nouvelles victimes à cause
de la protection exercée envers leurs prêtres pédophiles dont la seule
sanction est un déplacement de paroisse. Il est normal que
Monseigneur Léonard se croie intouchable dans de telles conditions.
N’est-il pas protégé par les plus grands de ce pays ? Il est aussi connu
que le chef du cabinet du roi est très proche de Mgr Léonard.
Le Vatican est perturbé par la situation politique belge qui a envenimé
la succession du cardinal Danneels et le porte-parole des évêques de
Belgique, l’abbé de Beukelaer n’a pas eu peur de dire ceci : « Tout
d’abord le cardinal est en place depuis 28 ans. Il a droit à un repos
bien mérité. Ensuite, on est en pleine turbulence politique en
Belgique. Ne vaudrait-il pas mieux que le cardinal reste encore un
petit peu en place ? » 101 Pas de nouvel archevêque avant les élections
100 La communauté juive de Belgique a eu l’honneur pour la première fois depuis l’histoire du Pays de recevoir
un roi régnant en sa synagogue, à l’occasion du bicentenaire du Consistoire juif en la Grande Synagogue de
Bruxelles le 16 novembre 2008 !
101 « Vers l’Avenir », 17 mai 2008.

148
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

régionales de juin 2009. En janvier 2010, ‘consécration’ pour Mgr


Léonard qui par choix personnel du pape fut nommé archevêque… Le
pape n’avait guère apprécié le vote de la résolution de la Chambre
condamnant les propos de Benoît XVI sur le préservatif102, ainsi que
les menaces exercées par des députés pour faire rappeler
l’ambassadeur du Saint Siège en signe de protestation. La crise
politique revenue en 2010, de même que certains propos d’hommes et
de femmes politiques concernant la nomination de Mgr Léonard à la
tête de l'Église belge, notamment en ce qui concerne la place
privilégiée au niveau du protocole feront peut-être réfléchir le Vatican
quant au choix ou non de la barrette pour Mgr Léonard. De plus, ayant
un procès en cours de la part d’une victime d’un prêtre pédophile, par
respect pour les victimes dans l'Église de Belgique, il devrait avoir la
décence de refuser ce titre. Des évêques dans le monde démissionnent
les uns après les autres… Et, ici en Belgique, un évêque en procès
accède aux plus hautes marches de l'Église !

L’ancien sénateur Jean-Pierre Malmendier m’a fortement encouragé à


mettre sur papier et à diffuser mon vécu. Il est à noter qu’il s'est battu,
depuis la mort de sa fille, pour le droit des victimes. J’ai souhaité avec
lui, instaurer un grand changement au niveau des lois. Il est
inadmissible qu’une personne, de surcroît un prêtre puisse bénéficier
du chômage alors qu’elle est accusée de viol sur mineur. Les autorités
ecclésiastiques se réfugiant toujours derrière la séparation des
pouvoirs, et alors que les prêtres, les évêques sont payés par le
ministère de la Justice, cachent le motif du renvoi du prêtre à l'État
-quand il a lieu-. La raison en est simple. Si à chaque fois qu’un prêtre
pose problème, l’évêque doit en donner le motif au ministère de la
Justice, ce dernier en profiterait pour dire à l’évêque : « Vous prenez
des sanctions contre le prêtre. Donc vous êtes l’employeur ! A vous de
les payer. » Les évêques préfèrent éviter qu’un de leurs prêtres n’ait
plus le salaire du ministère de la Justice, et lorsqu’ils n’ont pas le
choix, le salaire du prêtre sera retiré et il bénéficiera sans problème
des allocations de chômage. Motif : il n’existe pas de fautes graves
pour les prêtres. Car Dieu est plus grand que leurs péchés, et Il les
pardonne.. Une nouvelle loi permettrait de faire en sorte qu’un prêtre
102Lors de son voyage au Cameroun Benoît XVI avait déclaré que l'on ne pouvait résoudre le problème du Sida
en Afrique par l'utilisation du préservatif ...et que le préservatif, au contraire aggravait la situation. 17.03.2009.
149
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

soit considéré comme tout un chacun. Enfin, il a promis de voter un


décret afin de combler la lacune juridique concernant les personnes
reconnues coupables de faits de mœurs sur des mineurs, mais qui ont
bénéficié de la prescription et qui peuvent, sans problème à l’heure
actuelle, être engagée auprès de personnes vulnérables.
Espérons que le politique tiendra ses promesses103…

Mon avocat, assistant en droit pénal à l’Université libre de Bruxelles


et souvent demandé par les médias pour éclairer le public lors de
débats ou journaux télévisés, m’avait dit que rien ne se ferait. Il avait
bien raison. Du Commissaire européen, je n’ai jamais eu de nouvelles,
malgré mes courriers. En ce qui concerne la députée vers laquelle un
de ses collègues avait confié ‘mon’ dossier, silence radio. Pas de
réponses à mes courriers non plus. Étant déterminé, mais ne voulant
pas harceler, je lui fis part de ma dernière tentative de la joindre. Elle
ne connaissait visiblement pas ou plus mon dossier et me dit que
c’était au fédéral de régler ce problème ! Quand je lui dis que le
député fédéral m’a envoyé voilà des mois un courrier me disant
qu’elle était chargée de faire un décret, elle en fut étonnée et me
demanda de renvoyer un dossier. Ce que je fis. En vain.
Je rencontrai à nouveau M. Malmendier au siège du Mouvement
réformateur et m’informa que, malheureusement après s’être
renseigné auprès de députés, rien ne pouvait être fait au niveau
politique concernant mes demandes. Mais que grâce à mon livre cela
pourrait peut-être servir pour ceux qui veulent un changement dans la
réalité de la séparation de l'Église et l'État.
Sans mon acharnement à faire avancer les choses, je me serais
contenté seulement de promesses d’hommes et de femmes politiques.
Promesses en l’air. Je préfère m’entendre dire que le politique ne sait
rien faire, que de m’entendre dire on va faire quelque chose, et puis
plus de nouvelles. Le politique a l’art d’embobiner les gens, mais je
ne suis pas naïf. M. Malmendier qui a fait beaucoup au niveau
politique et de la justice pour les victimes, me dit aussi que les
services d’aide aux victimes ne prennent jamais l’initiative de
contacter les victimes pour ne pas prolonger le statut de victimes, de
me dire que c’est toujours à la victime de faire les démarches. Mais
103 Le 28 février 2011, M. Malmendier a quitté ce monde. Un homme de combat, en faveur des peines
incompressibles et pour l'aide aux victimes.
150
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

justement une victime n’ose faire le pas car elle a l’impression… de


déranger avec ses histoires.
Il en va de même de la presse en Belgique à la solde des partis
politique qui leur donne des subsides. J’aime l’expression de Karl
Zéro : « Ce ne sont pas des grands courageux les journalistes, mais en
meutes ils peuvent faire des dégâts. »104 Jamais un journaliste en
Belgique n’a osé mettre le nom, les initiales de mon prêtre abuseur, ou
l’endroit des faits. Par contre, lors du procès au civil de Mgr Léonard
la presse se pressa en nombre. Alors que pour le procès au civil du
prêtre pédophile, cette même presse me répondit que pour les procès
au civil elle ne se déplaçait pas ! Bien des mois avant le procès de Mgr
Léonard, j’ai averti les rédactions de tout le pays pour leur annoncer le
procès prochain de Mgr Léonard dans l’affaire m’opposant à lui.
Entendant sans cesse le Pape Benoît XVI s’excuser pour la façon avec
laquelle l'Église a traité ses cas de pédophilies, et les journalistes de
spéculer et d’annoncer que Mgr Léonard serait le favori à la
succession du cardinal Danneels, je me devais de les avertir du procès
qu’un simple citoyen, victime d’un prêtre de Mgr Léonard, avait osé
lui intenter. Aucune rédaction n’osa parler de ce procès avant la date
où il eut lieu. Pourtant je leur en donnai l’autorisation.
Le silence est le meilleur allié de l’oppression. Le silence est le
meilleur allié de la pédophilie, des pédophiles.
C’est grâce à un acharnement certain et une volonté inépuisable que
j’ai pu arriver où j’en suis aujourd’hui, avoir su médiatiser mon
« histoire » dans le seul but que le monde sache.
Cela fait partie de ma reconstruction que de médiatiser mon affaire.
J’aimerai évoquer ceci : lors du procès du prêtre une journaliste
m’avait consacré un article et avait mis ma photo avec mon
autorisation. Cela en 2006, cet article permis à ma famille d’être au
courant de mon vécu et de mon combat de justice. Jamais je n’ai osé
en parler à mon papa qui est décédé en 2008 avec ce non-dit, de peur
de le culpabiliser et à cause de la honte. A présent, je suis de façon
obstinée tourné vers cette médiatisation et je remercie tous les médias
qui participent ainsi à ma reconstruction et au fait que l’on sache mon
dur combat.

104 Starko, film de Karl Zéro et Daisy Derrata, juin 2008.


151
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Le procès de Mgr Léonard et la sortie de mon livre firent de moi une


personne ‘autorisée’ en ce domaine douloureux de la pédophilie au
sein de l'Église. De nombreux articles me furent consacrés et je fus
invité sur de nombreux plateaux de télévision. Même la chaîne
parlementaire française vint à Bruxelles et me consacra des minutes
sur leur antenne. Le célèbre Père de La Morandais eut des propos
scandaleux, lors du débat, disant qu’il était normal que l’on m’ait mis
dehors du séminaire car j’avais été abusé enfant et qu’une victime
devient bourreau un jour105. Ce n’est pas avec ce genre de déclarations
que la foi me reviendra un jour ! J’ai eu la chance de passer chez
Thierry Ardisson sur canal +, dans l’émission ‘Indices’ sur RTL-TVi,
des journaux de Suisse, une radio de Maurice, firent des reportages sur
mon combat. Même le journal ‘Le Monde’, le nouvel obs., des radios
de France et enfin la R.T.B.F. !106

À chaque fois j’en profitai pour dire que Mgr Léonard n’avait pas
gagné son procès. J’étais pour les médias une victime de prêtre qui
osait parler publiquement et eux étaient pour moi la manière avec
laquelle je pouvais dire la vérité et espérer que d’autres victimes
parlent. Il est bon de souligner que grâce à la médiatisation, une autre
victime a dénoncé au Parquet de Namur une plainte contre ‘mon’
prêtre abuseur…

La nomination de Mgr Léonard comme archevêque de Malines-


Bruxelles et le fait qu’il se déclara le chevalier blanc de la pédophilie
dans l'Église lors de la conférence de presse annonçant les viols sur
mineurs de la part de l’évêque de Bruges et annonçant sa démission
firent que je devais à tout prix faire en sorte que la Flandre sache !

105 L.C.P., émission ‘ça vous regarde’; 01.04.2010. De tels propos étant inacceptables pour la victime que je suis,
je me suis donc constitué partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de
Paris du chef de diffamation publique envers particulier. Une information judiciaire a été ouverte et, après
commission rogatoire, le prêtre fut mis en examen du chef de diffamation publique envers particulier. L'abbé
Alain MAILLARD DE LA MORANDAIS est donc renvoyé devant le tribunal correctionnel pour y être jugé
conformément à la loi. Je ne peux laisser dire, surtout de la part d'un prêtre médiatique- que je serais un
« bourreau » en puissance, du fait de mon statut de violé. Car, ces propos contiennent bien une imputation
diffamatoire, celle d'être un individu dangereux susceptible de commettre à tout instant des faits de viol. Ce qui
est à la fois précis et attentatoire à mon honneur et à ma considération.
106 Il est clair que les médias se sont tournés et se tournent vers moi, car j'ai osé attaquer en justice l'évêque le

plus médiatique, mais le moins aimé de Belgique. Ce n'est en aucun cas du fait de la sortie de mon livre: 'Violé
par un prêtre'.
152
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Le prêtre Rik Devillé -fondateur du groupe Droits de l’Homme dans


l'Église- révéla qu’il avait averti à de nombreuses reprises des évêques
sur le comportement pédophile de prêtres identifiés. Il accueille et aide
depuis près de deux décennies des victimes, surtout dans le nord du
pays.

Ce qui se passe en Flandre et ce qui se passe dans la partie sud du pays


en Belgique sont deux mondes différents. Nous ne sommes guère
informés de la même manière.

J’avais déjà entendu parler de l’abbé Devillé. Lisant à l’époque de


mon séminaire un de ses livres : ‘La dernière dictature’, livre prônant
une Église sans pape. Vous le devinerez, c’était une lecture
personnelle et non demandée par le séminaire. Mais, je n’étais pas au
courant de son noble et courageux combat. Je le regrette.

L’affaire de l’évêque de Bruges était l’occasion pour moi de réveiller


la Flandre. Je pris contact avec le prêtre Devillé et fut accueilli comme
à l’époque de mes anciens bons prêtres. Deux journalistes italiens
étaient présents pour un reportage sur le combat du prêtre. Lorsque je
me mis à parler de mon combat et surtout de celui contre Mgr
Léonard, le prêtre averti un journaliste du journal « De Morgen ».
Dans l’attente de la venue du journaliste, le prêtre me laissa seul dans
son presbytère avec mon chien. Me permettant de manger dans sa
cuisine le temps que lui, aille manger chez un paroissien. Je me sentis
du temps de mon enfance. Un prêtre me faisait confiance, me laissait
seul chez lui, et ne m’abusait pas. Je remercie ce bon prêtre, c’est avec
ce genre de prêtre que l'Église sera crédible.

Le journaliste de la presse écrite m’écoutant, je lui remis mes dossiers


et documents de preuves. Le lendemain, j’avais la « une » de son
journal et deux pages entières. Ce matin-là, la presse du nord du pays
ne cessa de m’appeler et de m’envoyer leurs journalistes et
photographes. Un car de la V.R.T se gara devant mon domicile avec sa
parabole pour retransmettre un reportage sur moi dans leur J.T. de
13h00. Le journal télévisé de V.T.M. me consacra également un sujet.

153
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Et la totalité de la presse écrite flamande parla abondamment de mon


combat dans leurs éditions du lendemain.

Cela ne cadrait pas du tout avec les propos de Mgr Léonard quelques
jours plus tôt !

Le porte-parole des évêques de Belgique déclara par communiqué


qu’il ne désirait pas commenter cette affaire ancienne qui a
suffisamment suscité la polémique. Et de dire aussi qu’il fallait laisser
la justice faire son travail.

Là, est encore l’hypocrisie de l'Église. Au même moment le service de


presse de la Conférence épiscopale envoyait -à la presse- trois pages
relatant l’historique de mon combat. Bien évidement selon leur vérité.
Un journaliste me communiqua ces pages.

Permettez-moi de contredire par quelques exemples leur vérité.

Serv. Presse évêques. : « L’Évêché a été mis au courant des faits imputés
à l’abbé H. par la plainte de Joël DEVILLET en date du 4 juillet 1996. Les
faits étaient, selon la loi belge, prescrits depuis le 7 juin 1996. Non
seulement l’Évêché n’a rien fait pour empêcher la prescription (qui était
déjà acquise au moment de la dénonciation des faits) mais il apparaît
aussi que Joël DEVILLET ne souhaitait pas porter plainte. Dans le procès-
verbal de l’audience de l’Officialité namuroise du 14 novembre 1996, il a
été proposé à Joël DEVILLET de porter plainte, ce qu’il n’a pas fait. Il ne
peut donc accuser l’Évêché de l’avoir empêché de revendiquer ses
droits. »

Il est déjà anormal de constater qu’encore à ce jour, le coupable


bénéficie de la confidentialité, l’abbé H. ! Je dis bien le coupable, les
faits au tribunal correctionnel ont été prescrits, le prêtre n’a pas été
acquitté au bénéfice du doute ! Rien que par leur première
argumentation, je vais démontrer que l'Église ment. Et ça je ne le
comprends pas. Mentir sur des éléments de preuves facilement
démontrables. En effet, il est dit que dans le P.V. d’audience du
16.11.1996, il m’a été proposé de porter plainte ce que je n’ai pas fait.
Je vous invite à aller lire ce P.V. en annexe 3. Il n’y a rien en ce sens,
que du contraire. Il est aussi dit que les faits étaient prescrits selon la
loi belge le 7.06.1996. Si c’était le cas, lors de ma constitution comme
154
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

partie civile en 2001, cette plainte aurait de suite été refusée. Autre
élément, il est dit que c’était prescrit lorsque j’ai dénoncé les faits le 4
juillet 1996 au tribunal de l'Église. Cela n’est pas correct. L'Église de
Namur était au courant des faits bien avant. Dans ma déposition de
plainte, il est indiqué : « L’an dernier, j’ai révélé ces choses à mon
directeur spirituel, le chanoine Jean Léonard. L’abbé Claude Bastin
m’a ensuite demandé d’aller voir le psychologue Jacques Grignon, ce
que je fais chaque semaine. »

Il serait déjà naïf de croire qu’un matin, le 4 juillet 1996, je me suis


rendu au tribunal de l'Église déposer plainte. Cela s’est fait sur rendez-
vous ! Cela, après avoir révélé les choses à mon directeur spirituel et à
mon psychologue. Il suffit de constater le délai entre ma plainte et la
confrontation avec le prêtre ! Quand j’ai révélé les faits cela, n’était
pas prescrit !

155
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Dans le communiqué de presse il est dit : « Joël DEVILLET tente de faire


croire que son renvoi du Grand Séminaire est à mettre en lien avec la
découverte des faits de mœurs commis par l’abbé H. C’est absolument
contraire à la vérité : Joël DEVILLET a été renvoyé pour comportement
incompatible avec la préparation à la prêtrise. » « L’admission au
Séminaire ne donne pas automatiquement un droit à l’Ordination. Les
faits survenus pendant son séjour au Séminaire justifient amplement le
renvoi, et par conséquent la privation de l’ordination. »

Pédophile est donc davantage compatible avec la prêtrise, qu'une


relation ambigüe avec un camarade de classe majeur ! Qu’il ait fallu
2008 pour ‘sanctionner’ le prêtre ? Moi, j’ai été chassé sur le champ
pour avoir eu de l’affection avec un autre séminariste ! Cet autre
séminariste est prêtre aujourd’hui.

Et encore : « L’abbé H. n’a plus aucune mission canonique : seulement


une nomination de prêtre auxiliaire semblable à celle donnée aux prêtres
atteints par la limite d’âge et qui sont pensionnés. »

Mgr Warin dit ceci : « Il y a des évêques auxiliaires. L'expression


"prêtre auxiliaire" n'est pas dévalorisante! (…) Il y a une répugnance
bien compréhensible chez le prêtre auxiliaire lorsqu'il est considéré
comme "bouche-trou". Il y a plus en lui. Il est souhaitable que lui
soient confiées des tâches fixes. »107

Autres éléments de preuves. Le doyen de Saint Hubert, responsable de


l’abbé Hubermont m’écrivait par mail le 06.01.2008, suite à un
courrier de ma part, l’informant de mon combat : « OK, j’ai une
réunion pour le secteur de Bras le 17 janvier afin de mettre les choses
au point… Mgr m’a informé de quelques bribes ainsi que l’abbé Huet
mais ma nature discrète ne m’a pas fait creuser plus loin. Tu peux
passer jeudi ou vendredi… ». Et, le même jour ce doyen
m’écrivait : «Merci pour ta réponse ! Sache que tu peux faire signe
quand tu veux et que je suis en train de faire des démarches afin que
Gilbert ne soit plus en contact, du moins au niveau paroissial, avec
des jeunes. »
Que dire de plus ?

107 Le prêtre auxiliaire, Son identité et sa mission ; Pierre WARIN, évêque auxiliaire de Namur, Juillet 2009.
156
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Le droit de l'Église. Dans les statuts du conseil presbytéral Art. 8.-§1 :


« sont électeurs tous les prêtres diocésains incardinés dans le diocèse
ainsi que les prêtres résidant dans le diocèse, dont les noms figurent
dans l’Annuaire diocésain de Namur, et y exerçant, à titre principal,
une fonction pastorale pour le bien du diocèse. » « Tous les électeurs
sont éligibles, à l’exception des membres de droit et de ceux qui
auraient renoncé expressément par avance à la charge de membre du
Conseil presbytéral. » (Art. 8.- §2) Les prêtres éligibles sont répartis
en diverses catégories, d’après leurs missions pastorales. Le prêtre
peut renoncer par avance à la charge de membre du Conseil
presbytéral, qui représente les prêtres du diocèse auprès de l’évêque.
Mon prêtre abuseur s’est laissé inscrire sur la liste en tant que prêtre
dans le secteur socio-caritatif ! Et l'Église ne l’a pas écarté. Les prêtres
du diocèse pouvaient donc voter pour lui. Quelles élections ? Celles
du 02.02.2009, (il n’y a pas de faute de frappe, c’est bien 2009 !)

Encore bien d’autres éléments que ce service de presse essaie de


démontrer : « L’abbé H. occupait le presbytère de Bonnerue, presbytère
propriété de la Fabrique d’Église. Mais il l’occupait à titre purement privé,
sans pouvoir prétendre à un logement de fonction. Joël DEVILLET invoque
ce fait pour montrer que l’abbé H. est encore en fonction, ce qui est faux.
De même qu’il invoque des pages d’Internet où l’abbé H. est -faussement-
renseigné comme curé du village. L’abbé H. est membre d’une association
de village – ce qui est son droit le plus strict – et le site de la commune le
renseigne erronément comme le curé par ce qu’il est prêtre et occupe le
presbytère. Ceci aussi induit Joël DEVILLET en erreur. »108

Ces lignes me confortent dans ma vérité, et j’en suis sûr sera la vérité
judiciaire un jour ! En effet : la défense de Mgr Léonard et celle du
prêtre disent sans cesse que dès ma dénonciation des faits au tribunal
ecclésiastique -en 1996-, le prêtre Hubermont fut déchargé de toute
mission paroissiale. Pourtant en 1999, le prêtre Hubermont
confectionna une carte de vœux pour la nouvelle année et y était
indiqué ceci : « Cette année 1999 sera pour moi l’occasion d’un
tournant, tout en gardant mon engagement social à Banalbois, une
maison d’accueil pour adultes en difficulté, je quitte la Gaume pour
108 Voici un passage où Mgr Léonard parle d’un de ses prêtres pédophiles : « Ici ce prêtre avait refusé de se tenir
à l’écart, et continuait à habiter au presbytère. Alors nous lui avons fait perdre sa condition de curé –il existe
toute une procédure pour cela- et dès lors qu’il n’était plus curé, la commune pouvait le prier de ne plus habiter
le presbytère. En effet quelqu’un n’a le droit d’y habiter qu’en tant que curé. » Monseigneur Léonard, entretiens
avec Louis Mathoux, Ed. Mols, 2006, p.189. Pourquoi demander des choses à la commune, alors que dans le cas
où le prêtre habite un presbytère propriété de l'Église, l’évêque Léonard ne fait rien pour le déloger ?
157
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

m’investir dans l’animation chrétienne des six paroisses du secteur de


Bras (près de Libramont). » Tout en oubliant pas de mettre sur son
adresse : Presbytère de Bonnerue ! N’y a-t-il que moi qui puisse être
induit en erreur… ? Ou est-ce purement et simplement du mensonge
de la part de l'Église ? Et, plus haut, j'ai mis le témoignage d'un
paroissien disant sous serment que le prêtre Hubermont dès son
arrivée avait pris le village en main!

Cherchez l’erreur ! Le nouveau chevalier blanc de l'Église de Belgique


demande aux prêtres coupables de faits de pédophilie de se dénoncer à
la justice ! Et lui-même protège ses prêtres criminels… Il est bien naïf
de croire que d’eux-mêmes ces criminels vont aller à la police
dire : « Je suis pédophile ! » Ces gens d'Église savent très bien qu’il
est difficile pour une victime d’aller porter plainte. Comme je l’ai dit
plus haut, il faut des preuves pour pouvoir aller en justice ou à la
police. Les victimes savent qu’il y a toujours la présomption
d’innocence qui prime et que leur violeur pourrait les attaquer en
justice pour diffamation ! C’est ainsi que bon nombre de pédophiles
coulent et couleront des jours tranquilles…

« La vérité vous rendra libres109 » disait St Jean… Les propos de Mgr


Léonard ne sont que de la poudre aux yeux. Du mépris pour les
victimes, de l’assurance pour les coupables. Car cet évêque a pour
credo : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ».110
Il n’est pas le seul responsable de ce mépris. Il suffit de voir comment
les deux prêtres représentant l'Église belge m’ont traité lors du débat
en direct le jour de Pâques 2010 sur RTL-TVi, me traitant quasi de
menteur, disant que j’aurai dû leur envoyer mon livre… Une victime
de prêtre pédophile en Belgique ose saisir les tribunaux, ose s’afficher
dans les médias pour dire son combat… et ces représentants religieux
n’en ont que faire. Que du mépris ! Grâce à cela, ou à cause de cela,
JAMAIS, je ne baisserai les bras. Merci à eux et aux gens qui leur sont
semblables!

109 St Jean 8, 31
110 Archevêque Léonard, Homélie anniversaire Benoît XVI – 17.04.2010 – Cath. de Bruxelles.
158
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

J’aimerais aussi insister sur ce point: Je ne médiatise pas mon affaire


pour l’argent. Quand je passe à la T.V. ou dans des journaux et
magazines, je ne perçois rien. Ce qui est bien normal !

Mon livre n’a pas été rédigé et publié pour l’argent non plus. Tout qui
a déjà publié un livre dans sa vie, sait que cela ne rapporte pas grand-
chose. Et il est facile de se faire avoir par un éditeur 111… Ce n’est pas
pour rien que j’ai changé de maison d’édition pour publier mon livre
en néerlandais.

Non, la médiatisation a pour but, de dénoncer ce que je sais dans cette


hypocrite. L’expert désigné par le tribunal écrit ceci dans son
rapport final: « Joël Devillet a trouvé dans les médias l’occasion
d’exprimer sa souffrance psychologique ». Je le répète, mes passages
dans les médias sont tous non-rémunérés ce qui va de soi… je veux
souligner cela pour les personnes qui propagent le contraire !

J’ai consacré ma vie à ce combat de justice. Suites aux perquisitions


dans l’affaire ‘calice’, l'Église essaie par toutes les procédures
possibles d’annuler cette opération du Juge d’Instruction.

Après ‘l’affaire’ de l’évêque de Bruges, j’ai pu lire dans un journal les


propos du chef de la cellule pédophile de la police judiciaire fédérale à
Bruxelles qui dit ceci : « Même si la Commission pour le traitement
des plaintes pour abus sexuels dans une relation pastorale se rendait
devant la police avec de vieilles plaintes concernant des prêtres
pédophiles, la police pourrait quand même agir. Pas directement à
l'encontre des auteurs mais en vue de protéger les victimes. Nous
enregistrons chaque déclaration, vieille ou pas. Le Procureur peut
décider de lancer une enquête, même en cas de prescription, afin de
protéger les mineurs d'âge actuellement présents dans l'entourage
du prêtre pédophile. »112
111 Le relevé des ventes reçu en juin 2010 de ma maison d'éditions indique: 1735 exemplaires vendus, montant
versé 613,78 euros. Faites le calcul pour un livre vendu 18,90 euros et écrit par moi-même! Depuis juin 2010, j'ai
rompu ce contrat et récupéré mes droits d'auteur. Je fus menacé d'un procès pour plagiat car j'avais écrit un livre
en néerlandais, ce procès impliquant également le retrait immédiat des ventes de cet ouvrage actualisé et traduit
dans la langue de Vondel. Nous voici une année après ces menaces, et toujours aucune plainte, ni même aucune
nouvelles des ventes depuis juin 2010, ni même aucune rémunération. Mon avocat a donc assigné en justice cette
maison d'éditions.
112 Peter De Waele, « De Morgen », 28/04/2010.

159
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

J’ai contacté ce service de la police, en demandant directement une


rencontre auprès de Monsieur De Waele, cela 15 jours avant les
perquisitions au sein de l'Église belge. J’ai fait part de mon combat, je
fus écouté et il me fut dit que quelque chose allait se faire
prochainement. Quelques jours après, je me rendis à nouveau au sein
de la police judiciaire fédérale afin de contribuer au mieux à l’enquête.
Je n’en dirai pas plus, secret de l’instruction oblige.

Le ministre ‘catholique’ de la Justice, -face à l’affluence des plaintes


contre des prêtres-, avait nommé deux ‘magistrats spéciaux’ référents
pour traiter ces plaintes. Ils avaient pour mission de conseiller la
Commission de l'Église… en aucun cas d’instruire ou d’enquêter… Et
oui, la Belgique, pays du surréalisme.

Face à la multiplication des plaintes et à la parution des témoignages


effroyables du rapport Adriaenssens113, les députés et sénateurs
demandèrent au ministre de la Justice de laisser la Justice travailler
dans l’indépendance et de ne plus collaborer avec l'Église. Si la
Belgique pouvait s’inspirer du travail du parlement d’Irlande ce serait
fantastique.

‘Le criminel tient le civil en état’ est une règle d’ordre public. Sauf
qu’en espèce elle ne s’applique pas dans mon dossier. Je me suis
constitué partie civile dans le dossier ‘calice’ en portant plainte contre
mon abuseur (viols sur mineurs de 1987 à aujourd’hui) et contre Mgr
Léonard (abstention coupable). Dans quel but ai-je fait cela ? Afin de
montrer à mon abuseur et à l’évêque que ce ne sont plus eux qui
mènent la danse. Je ne suis plus leur pantin. En me constituant partie
civile en 2010, je vais peut-être permettre à la justice de condamner
enfin au pénal mon abuseur, ainsi que l’évêque Léonard.

Voilà mon vœu le plus cher.

113Le Professeur Peter Adriaenssens est l’ex-président de la Commission pour le traitement des plaintes pour
abus sexuels dans une relation pastorale (janvier - juin 2010), Le rapport contient entre autres, des témoignages
de victimes, des informations sur le groupe des victimes et celui des auteurs de faits, la méthodologie de la
Commission et divers conseils à la Conférence épiscopale. Le rapport est disponible sur le site de la commission,
www.commissionabus.be. Mon témoignage se trouve aux pages 69 à 73 du rapport. J’ai avec insistance demandé
que mon témoignage soit repris dans ce rapport, même si cette Commission ne m’avait pas entendu.
160
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Dernière réflexion. La médiatisation des affaires de pédophilie au sein


de l'Église catholique partout dans le monde et surtout en Belgique à
cause des perquisitions médiatiques au sein de l’habitation du cardinal
Danneels et auprès de l’archevêché de Malines-Bruxelles, dans la
cathédrale de Malines, et en d’autres lieux stratégiques font en sorte
que des victimes de prêtres se révèlent.
Il faut tenir en compte que certains témoignages pourraient s’avérer
mensonger. Légalement il est impossible de porter plainte contre un
défunt. Une plainte se déroulant à charge et à décharge. Et fort
heureusement.

A l’heure de la télé-réalité et dans ces temps où des avocats des U.S.A.


et d’autres parlent d’attaquer en justice le pape, puis à présent le
Vatican114… il faut se méfier des plaintes contre des prêtres décédés
depuis belles lurettes ou des plaintes contre des prêtres non identifiés.
Certains pourraient multiplier ces procédures pour une médiatisation
ou par profit financier ! Agir de la sorte est honteux pour les vraies
victimes. Il faut se méfier des faux témoignages surtout si l’accusé est
décédé, car il ne peut plus se défendre. Il est tellement difficile aux
victimes de crimes de pédophilie de parler, de dénoncer cela que si des
‘victimes’ peu crédibles se manifestent cela jettera la suspicion sur
toutes.

Le prêtre est un autre Christ ! Sacerdos alter Christus !

Enfant, se faire abuser sexuellement, violer, voler sa pureté par un


prêtre est donc terrible de conséquences.

Je ne peux passer sous silence la lettre sans évoque des évêques


belges115 adressée aux membres de la communauté catholique du
pays. Lettre faisant suite à la visite ‘ad limina’ à Rome. Ces excuses
n’auraient jamais vu le jour, s’il n’y avait pas eu la démission de
l’évêque de Bruges, suite à des faits de pédophilie-inceste avoués.
Voici quelques lignes : « Ce qui doit prendre le pas sur toute autre
114 Pour ma part, je ne crois pas en ces procédures judiciaires contre le Pape ou le Vatican, ce n’est que du show.
Pour preuve, même la présidente de S.N.A.P. -dont j’ai déjà parlé plus haut- s’est déplacée en personne à
Bruxelles en septembre 2010 pour ‘soutenir’ des victimes de prêtres pédophilies… cela bien entendu devant une
bonne dizaine de journalistes. Conférence de presse organisée pour sa venue… la récupération est vite faite…
115 Lettre pastorale des évêques et administrateurs diocésains de Belgique, 19.05.2010, www.kerknet.be

161
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

considération, est la sécurité et la protection des enfants. Sur ce point,


il n’y a pas à tergiverser. Nous reconnaissons que des responsables
d'Église n’ont pas suffisamment pris la mesure du drame de l’abus
sexuel sur mineurs et de l’étendue de ses séquelles. A cause de ce
silence, c’est la réputation de l’institution ecclésiale et de ses
ministres qui prima par rapport à la dignité des jeunes victimes. Des
abuseurs ont reçu une nouvelle chance, tandis que des victimes
portaient en leur chair des blessures qui ne se cicatrisaient pas ou
peu. A toutes les victimes d’abus sexuels nous demandons pardon, tant
pour l’agression que pour le traitement inadéquat de celle-ci. Nous
demandons également pardon aux proches des victimes et à la société
pour les séquelles humaines causées par ces abus. Nous exprimons
avec modestie l’espoir qu’un chemin de réconciliation reste ouvert.
Nous remercions les victimes qui trouvent le courage de briser le
mur du silence en racontant ce qui leur est arrivé. Nous espérons
que leur parole contribue à ce qu’elles obtiennent la reconnaissance
et la guérison auxquelles elles aspirent. En s’exprimant, elles
rendent en outre possible un chemin de purification et de
conversion au sein de l'Église. (…) Nous élaborerons un code
déontologique pour ceux qui œuvrent avec des enfants, des
adolescents ou des adultes fragilisés. La problématique des abus ne
s’explique pas seulement par la personnalité des abuseurs ; nous
savons que d’autres éléments peuvent favoriser la dérive, comme par
exemple une certaine manière d’exercer l’autorité. C’est pourquoi
l’Église doit veiller à ce que l’exercice de l’autorité ne conduise pas à
des abus de pouvoir. Cela va exiger courage et humilité, surtout de la
part des évêques et autres responsables de la communauté
ecclésiale. »

Encore des belles paroles remplies d’hypocrisie.

Mgr Léonard a eu aussi des paroles fortes lors de sa conférence de


presse116 à Rome après avoir rencontré le pape : « De grâce, ne vous
laissez jamais ordonner diacre, prêtre ou évêque avec un passé
gravement punissable ! (…) Je demande instamment aux personnes
victimes d’abus de porter plainte devant la justice civile et je supplie
les personnes en charge pastorale (prêtres, diacres, personnes
116 Appel de Mgr Léonard, 27.04.2010, www.kerknet.be
162
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

consacrées ou laïcs) qui auraient commis de tels délits de se présenter


spontanément à la justice. »

La pédophilie n’est pas un délit en Belgique, mais un crime !


L'Église de Namur n’a pas collaboré à l’enquête pénale, disant lors de
la perquisition à l’évêché et chez le vicaire judiciaire qu’aucun dossier
n’existait contre ‘mon’ prêtre abuseur ! Les policiers prouvèrent le
contraire.
« Des abuseurs ont reçu une nouvelle chance »… Mon récit démontre
que ‘mon’ abuseur en a reçu bien plus qu’une de la part de l’évêque
Léonard ! Et que, depuis ma plainte au pénal, ce prêtre travaille
toujours auprès d’adultes fragilisés !
La grande défense de l'Église est de dire que 85% des actes de
pédophilie se passe au sein de la famille ! Non, cela s’appelle de
l’inceste. (…)

Alors, dans ces conditions, je ne peux accepter les excuses de l'Église


belge ! Excuses fallacieuses !
Et, je relance l’appel lancé plus haut à Mgr Léonard en le
paraphrasant : « De grâce, Mgr Léonard, -par respect pour les
victimes de prêtre dans l'Église de Belgique- ne vous laissez par
remettre le titre de cardinal si un jour le pape vous le proposait! Il en
va de votre crédibilité… Et pour la vérité, laissez faire la justice et
cessez de lui mettre des bâtons dans les roues.

Et, en passant, je demande à Mgr Léonard de respecter un des 10


commandements: « Le mensonge banniras. » En effet, lors de la
commission abus, il a eu ces propos: « Je ne tiens pas à être trop
explicite dans les affaires qui sont en cours car j'ai la conviction que,
quand il y a procédure, il est inconvenant de publier des livres et de
faire des interviews ou des déclarations publiques. Cela fait partie,
me semble-t-il, du respect dû à la justice. »117
Pourquoi la victime que je suis n'aurait-elle pas le droit de parler et de
dire sa souffrance et la réalité des faits. En effet, combien de fois Mgr
Léonard donne sa version quant à la manière dont il gère ce problème
de la pédophilie dans sa pratique sur le terrain. Cela dans des livres,
dans les médias, ou homélies. Et bien entendu dans le communiqué de
117 Commission spéciale « abus », 22 décembre 2010.
163
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

presse (voir plus haut !) de 3 pages envoyé par ses services de presse de
l'évêché de Namur lors de la médiatisation de mon affaire en Flandre!
Alors, dans l'État Belgique, la liberté d'expression existe et n'est pas
réservée qu'aux puissants. Mais, il est vrai que Mgr Léonard est un
récidiviste dans le domaine du mensonge. Si je devais relever rien que
ceux proclamés en Commission lors de son audition, ce livre ne
verrait pas la fin. A la justice de mettre au jour cela grâce à ce que j'ai
pu lui faire part. Je veux rappeler un dialogue qui a été diffusé à la
télévision entre un journaliste et l'évêque Léonard:

Pascal Vrebos: La question que l'on n'ose pas poser mais qu'on pose
quand même!

Mgr Léonard: Rire.

P.V. : Alors, récemment vous avez eu une affaire au tribunal, où


d'ailleurs vous avez gagné. Euh, vous imaginez de quoi je parle, je
parle de Joël

Mgr L. : Oui oui

P.V. : Qui a été victime d'un prêtre pédophile. Et qui vous avait accusé
d'avoir tenté de, d'étouffer l'affaire, disons de régler le problème entre
les murs, il a été débouté d'ailleurs par le tribunal. Alors la question,
on ne va pas revenir sur cette affaire. Est-ce que, quand il y a un cas
comme ça qui se présente, finalement vous avez tendance à régler les
problèmes entre vous?

Mgr L. : Surtout pas!

P.V. : Et, parce que visiblement, j'ai reçu ce garçon sur ce plateau,
euh, il est vraiment mal.

Mgr L. : Oui, et je ne dirai jamais le moindre mal de ce garçon, que


j'ai beaucoup aidé, parce qu’il était en souffrance dès, au moment
même où j'ai fait sa connaissance. Mais au contraire, notre politique
si je puis dire quand il y a des cas de ce genre c'est de toujours de

164
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

recommander de s'adresser à la justice civile. Parce qu'elle a des


moyens d'investigations dont moi

P.V. : Et le prêtre vous l'avez enguirlandé ou pas? Le prêtre


pédophile?

Mgr L. : Ah ! En tout cas nous l'avons enguirlandé, nous l'avons


écarté.

P.V. : Vous l'avez écarté vraiment.

Mgr L. : Oui, nous l'avons écarté pro-gres-sive-ment également, parce


que si j'agissais du premier coup, de façon drastique, j'aurai un autre
procès: ne pas respecter la présomption d'innocence.118

Que de mensonge, cela me rappelle ce qu'il a osé dire en commission


au parlement: « Il y a des victimes qui supplient l’autorité de ne
prendre aucune mesure à l’égard de l’abuseur et ne veulent en aucune
manière porter plainte devant la justice civile. Une procédure
canonique est cependant lancée et, parfois, l’évêque a tout intérêt,
d’un point de vue égoïste, à ce qu’elle aboutisse à une sanction grave
car le prêtre concerné est un opposant notoire qui lui mène la vie
dure. »

Je sais que c'est de moi dont il parle, mais j'aimerai dire que c'est le
vicaire judiciaire qui s'est agenouillé devant moi pour me demander
pardon au nom de l'Église et non l’inverse. Si une procédure a été
lancée à Rome ou Namur, jamais je n'en ai eu écho. Pourtant ma
plainte au tribunal de l'Église date de 1996 ! Il n’y a qu'en date de
2010 que l'évêché de Namur a répondu à mon courrier (d'une nouvelle
plainte contre mon prêtre abuseur déposée au Tribunal de l'Église de Namur,
puisque le Vatican venait de doubler le délai de la prescription) me disant que
la procédure canonique était en suspens car j'étais encore en procédure
devant les tribunaux civils. Le jour où les procédures civiles se
termineront, l'on me répondra: « Au niveau de l'Église votre affaire est
prescrite, nous prions pour vous. »
118 Controverse, RTL-Tvi, Pâques 2009.
165
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Quant à la vérité judiciaire, un seul journaliste a osé la dire, combien


d'autres de dire que j'avais été débouté contre Mgr Léonard, point ?

La voici: « Monseigneur Léonard pas encore blanchi dans l'affaire


qui l'oppose au tribunal civil de Namur à un ancien enfant de
chœur, abusé, lorsqu'il avait 14 ans par le curé de la paroisse
d'Aubange. La victime, aujourd'hui adulte, réclamait des dommages
et intérêts à l'évêque parce qu'il n'avait pas pris les sanctions
nécessaires vis à vis du prêtre incriminé. Hors, une autre action, au
civile, contre l'ancien curé d'Aubange, cette fois, est toujours en
cours à Arlon. A Namur, on a donc décidé de surseoir au jugement
jusqu'à ce qu'Arlon tranche dans cette affaire. Monseigneur
Léonard n'en a donc pas tout à fait fini avec la justice! »119

Et, bonne nouvelle, grâce à mon nouvel avocat, nous avons pu avoir
une date assez proche, les plaidoiries concernant le procès de « mon »
prêtre violeur auront lieu en octobre 2011. Durant ces 6 mois
d'attentes: échanges de conclusions tous les mois.

En effet, depuis janvier 2011, je me suis séparé de mon conseil. Il est


vrai qu'il était plaisant pour moi d'avoir un avocat médiatique. Mais, à
chaque fois, harceler mon conseil pour que quelque chose bouge dans
mes dossiers ne me plaisait pas. Une certaine stratégie du
pourrissement régnait. Cela devait être bénéfique pour certains, mais
pas pour moi. D’aucun de s'attendre que j'accepte un arrangement à
l'amiable, que j'abandonne, voir que je me suicide. De plus, tant que
les procédures durent, le client paie. Mon conseil ne pouvait ignorer
que jamais je n'accepterai un arrangement à l'amiable, que ce que je
veux à tout prix est une condamnation de la justice. Je n'ai jamais été
corruptible et je ne le serai jamais. Je veux la justice. Un proverbe
dit: «Mieux vaut un bon arrangement qu'un mauvais procès. » J'ai
toujours détesté cela et tout le démontre dans mon combat de justice.
Un autre élément troublant que je veux souligner ici. Lorsque j'ai pris
cet avocat médiatique pour mes procédures au civil, il m'encouragea
en me disant: « Ce n'est pas parce que votre affaire a été prescrite au
pénal qu'elle n'a servi à rien; il suffit qu'une autre personne porte
plainte contre votre abuseur et il ira de suite en prison. » C'est mon
119 Thierry Bellefroid, R.T.B.F., Journal télévisé de 13h00, 19.02.2009.
166
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

rêve le plus cher. Il y a quelque temps, j'ai appris que mon prêtre avait
une autre plainte. Je me suis rendu au Parquet de Namur où l'on m'a
dit qu'ils attendaient une enquête de police depuis 3 années. Et que
c'est aux avocats à faire bouger les choses. J'ai donc averti mon
conseil de ma visite au greffe du tribunal et il me répondit sèchement
que je n'avais pas à me mêler de cela, que cela ne me regardait pas et
que de plus son client ne voulait pas que son dossier soit mélangé au
mien! Quelle surprise d'apprendre que mon conseil avait une autre
plainte contre mon abuseur et qu'il ne faisait rien pour qu'à Namur cela
bouge. Pourquoi la victime aurait elle prit un avocat à plus de 150 km
de chez elle?

Il est donc évident que je devais changer de conseil, mais il est grave
de se faire rouler dans la farine avec un certains sans gêne! L'avocat
est le porte-parole du client, j'ai donc décidé d'en changer n'ayant plus
de confiance. De plus, mon conseil ne croyait même pas au combat du
juge De Troy et à l'affaire « calice ».

J'ai eu l'honneur d'être l'orateur bénévole d'une conférence à


l'invitation d'une association à Metz120. Quelle joie de voir mon
nouveau conseil avec son épouse dans la salle pour m'écouter et me
soutenir. Ils avaient fait plus de 100 km! Alors que mon conseil
précédent n'avait même jamais pris la peine de plaider lui-même les
fois où il fallait se déplacer pour le procès de mon abuseur. Aucun
déplacement de sa part non plus lors des nombreuses séances de
l'expert pour évaluer mes dommages. Toujours un stagiaire ou un
collaborateur était envoyé. J'eus quand même la chance de voir plaider
mon conseil lors du procès de l'évêque, mais il est vrai que j'avais
averti la presse pour cet évènement. Et que cet évêque est le plus
médiatique des évêques belges, mais pas le plus aimé...

Je tiens à remercier cette seule association de m'avoir permis cette


belle expérience d'une conférence121. J'ai pu faire rire l'assemblée,
lorsque la responsable de l'association me demanda comment j'avais
appris à parler si bien en public. Moi de lui répondre de suite: « grâce
à la Leffe! »
120 Sanviolentine lorraine, 16 mars 2011.
121 Podcast sur www.sanviolentine-lorraine.org,
167
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

"La religion est la maladie honteuse de l'humanité.

La politique en est le cancer."

Henry de Montherlant

Lettre ouverte de Joël Devillet,


Rédigée le 1er avril 2011, complétée et finalisée le 07 avril 2011.

suite à la finalisation du rapport de la Commission spéciale relative au


traitement d'abus sexuels et de faits de pédophilie dans une relation d'autorité,
en particulier au sein de l'Église. 122

La présidente de la Commission « abus » a eu ces propos: «Nous pouvions


nous transformer en Commission d'enquête. Nous n'avons pas dû le faire. Toutes
les personnes que nous avons invitées à venir devant notre Commission, les
Évêques mais aussi les supérieurs religieux, se sont présentés spontanément et je
dois dire que je m'en félicite. Ils se sont présentés spontanément et ont répondu à
toutes nos questions et parfois pendant de très, très longues heures, que je suis
satisfaite de toutes les réponses, ça, je ne dis pas, mais c'était leurs réponses,
mais en tout cas, je me félicite qu'on n'a pas dû se transformer en Commission
d'enquête et que la Commission spéciale a pu travailler dans une ambiance
sereine et constructive avec tout le monde »123
En tant que victime, je suis déçu du fait que jamais une commission
d'enquête digne de ce nom et réclamée depuis le début ne verra le jour. On aurait
pu y découvrir les mensonges multiples des évêques. Si ! Les évêques
confessent les prêtres dans la pratique. Même si le droit canon le déconseille.
Si ! Mgr Léonard a envoyé des prêtres pédophiles dans d'autres diocèses ou
pays.
Quand André Léonard dit qu’il ne défroque jamais les prêtes abuseurs sinon
ils seraient dans la nature et qu’en les gardant prêtres il peut les surveiller…
Pourquoi cette commission ne recommande-t-elle pas que Mgr Léonard
surveille même les pédophiles laïcs s’il a un tel pouvoir de contrôle ?
122 Parlement fédéral du Royaume de Belgique, 31 mars 2011.
123 Karine Lalieux, Matin première, rtbf radio, 1 avril 2011.
168
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

La Commission d’enquête désirée par bon nombre de victimes et très peu


de députés aurait pour montrer à l’opinion publique les mensonges répétés des
hauts responsables de l'Église.
Quand Mgr De Keysel dit : « Il faut faire la différence entre un prêtre qui a
abusé d’un seul enfant et entre celui qui en a abusé de plusieurs. » J’aimerais
dire que même avec un seul enfant le prêtre est récidiviste car il abuse des
dizaines de fois sa victime mineure d’âge !
Quand Mgr Harpigny dit dans la presse: « Nos avocats nous avaient interdit
de prononcer des mots comme “pardon” ou “excuses”, estimant que nous
aurions alors reconnu notre responsabilité, ouvrant la voie aux demandes
d’indemnisation des victimes. Ils nous ont fait peur. On s’inquiétait de l’audition
de certains évêques, plus sensibles, par la commission. Nos avocats évoquaient
de possibles confrontations, comme à la commission Dutroux… J’ai pensé
qu’on pourrait finir en prison ! »124 N’avait-t-il pas la possibilité d’être
courageux et de dire ce qu’il pensait, si vraiment ce qu’il pensait était différent
de ses avocats. Moi, si je ne suis pas content de mon avocat, je le limoge !
La Commission « abus » a finalisé ses travaux et propose 70
recommandations! Les députés se félicitent de leur travail et la présidente
d'y préciser que la meilleure des recommandations est celle du passage de
10 à 15 ans pour le délai de prescription. Les députés ne veulent pas
accorder imprescriptibilité à ce crime qu'est la pédophilie. Mais alors, au
lieu de mettre 15 ans, ils devraient rendre ces crimes incorrectionnalisables.
En correctionnalisant ces crimes, ils deviennent des délits et là, la
prescription est de 5 ans ! Je sais ce dont je parle puisque c’est ce qui est arrivé
dans mon dossier après 4 années de procès ! Dans 10 ans, une nouvelle
commission de députés verra le jour et on ajoutera 5 ans de plus! Depuis
l’affaire Dutroux, l’on parlait déjà de prolonger la prescription de 10 à 20 ans.
Mais plus étonnant, au Sénat, à quelques mètres des travaux de la
commission « abus », deux sénateurs ont élaboré en octobre 2010 une
proposition de loi, demandant la prescription trentenaire!125
Je le répète, c’est la non correctionnalisation de ces crimes qui pourra être
salvatrice. Mais bien sûr, quasi chaque semaine, la tv annoncera un procès pour
pédophilie dans un diocèse de Belgique. Et cela n’est pas souhaitable pour les
élus de la Nation. Quelle image aurait notre pays à l’étranger ? Sans compter
que les procès de pédophilie commis par des laïcs feraient l'objet de la même
mesure... les tribunaux seraient débordés!
124Le Soir, 25 mars 2011.
125Proposition de loi modifiant la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure
pénale en ce qui concerne le délai de prescription de certains délits commis à l'égard de mineurs. (Déposé par
Mme Martine Taelman et M. Bart Tommelein) Sénat de Belgique, SESSION DE 2010-2011, 14 OCTOBRE
2010.
169
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

En correctionnalisant, le politique (puisque c’est lui qui légifère) évite les


coûts de ces procès d’assises, leurs durées et surtout leur médiatisation !
Plusieurs fois, la présidente de la Commission « abus » insistait lors
d’auditions d’évêques sur le fait de leur avoir demandé les chiffres de chaque
diocèse, chiffres indiquant depuis 1960 leurs données quant à leurs prêtres
pédophiles.
Qui va vérifier ces chiffres? Chiffres bien évidemment faux. Je n'ai
confiance qu'à peu de personnes dans ces dossiers de pédophilie au sein de
l'Église. Le Juge W. De Troy et son équipe de policiers dirigée par Peter De
Waele font parties des gens en qui je crois fortement en leur volonté de faire
justice. Je n'ai qu'un espoir, c'est que l'enquête du Juge d'instruction Wim
De Troy (dossier calice) puisse instruire à charge et à décharge et qu'enfin
l'on connaisse la vérité. Mais voici plus de neuf mois que ce juge est mis
sur la touche. Voici plus de neuf mois que des perquisitions ont été effectuées
au sein des hauts responsables de l'Église et tout est fait pour qu’il ne puisse
rechercher la Vérité.
Je crains fortement que l'Église parvienne à ses fins et arrive à ce que la
totalité des dossiers saisis lui soit restituée. C'est pour cela que beaucoup de
victimes réclamaient de la part du politique une commission d'enquête digne de
ce nom. Car à cette allure, la vérité ne verra jamais le jour. C'est sans doute le
souhait de beaucoup.
Des victimes sont peut-être satisfaites du rapport et des "propositions" suite
à la commission « abus », je ne parle ici que de mon ressenti. Mais je connais
ceux qui sont les plus ravis, ce sont les évêques et les abuseurs.
Une des recommandations est de réclamer un certificat de bonnes vies et
mœurs aux gens qui travailleraient en présence de mineurs (club sportif etc…).
Les candidats à la prêtrise y sont-ils inclus?
Durant toute la durée de la Commission a été répété le fait que seul le
Procureur du roi était habilité à dire si un fait était prescrit ou non. Et un tribunal
arbitraire de se créer à la demande des commissaires !
Que va faire ce tribunal arbitraire des prêtres pédophiles dont la victime
viendrait se confier mais ne voudrait porter plainte à cause du coût, de la durée
et de l’incertitude des procès ? Car bien sûr au sein du tribunal arbitraire, le
prêtre voudra un arrangement à l’amiable afin d’éviter un procès et reconnaîtra
les faits. Mais si un procès est intenté il les niera. Justice parallèle ? OUI
N'est-ce pas montrer que l'argent achète le silence? N'est-pas accepter de
l'argent sale?
Ce qui me rends perplexe face à la création de ce tribunal arbitraire est
cette sorte d'arrangements à l'amiable. Dans ces conditions, il est clair que très
170
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

peu de plaintes se retrouveront devant les tribunaux normaux, où la justice peut


être rendue après instruction, enquête, expertises, plaidoiries contradictoires, etc.
C'est sûrement ce que veut le politique afin de dégorger les tribunaux débordés.
Mais, il y a une chose qui me dérange, c'est des cas à la Michaël Jackson! Cette
personne, médiatique, a été accusée pour des faits de pédophilie. Lorsqu'il a
quitté ce monde, la victime déclara qu'elle avait porté plainte à la demande de
son père et cela dans un seul but financier. Je crains donc, que des personnes
fassent appel au tribunal arbitraire dans le seul but de l'argent. L'accusé, même
s'il est innocent acceptera peut-être l'arrangement proposé, cela pour éviter un
procès long et douloureux. J'ai la conviction, que si l'on veut réclamer de l'argent
à son abuseur, il faut avoir le courage de la justice. De plus, cela permet de
découvrir d'autres victimes probables. Si ce tribunal arbitraire existerait pour une
certaine réconciliation entre l'abuseur et l'abusé, pourquoi pas. Mais je suis
certain d'une chose également: le fait que si un abuseur s'entend sur les faits
avec sa victime et qu'un accord est conclu, il sera acté qu'il ne sera plus possible
à la victime de porter plainte même si cela n'est pas prescrit car elle aura accepté
un arrangement. Et cela, est une justice parallèle. L'abuseur s'en sortant trop
bien. Puis, pourquoi des victimes devraient affronter la justice normale et
d'autres un tribunal non judiciaire ? Y a-t-il deux sortes de victimes, y a-t-il
deux sortes d'abuseurs? Pour moi la justice ne se fait pas avec du marchandage.
Car, durant la conciliation, il y aura toujours la menace d'un procès ou de la mise
sur la place publique de l'affaire en cas d'échec d'un accord.

Jamais la commission ne parle de la prescription au civil ! Pourquoi ?


Beaucoup d’affaires sont prescrites au pénal ! Quoi que, en cherchant, le
Procureur du roi dirait le contraire.
Mais au civil (dommages et intérêts) la prescription est de 30 ans après la
majorité de la victime.
Le tribunal arbitraire ne va parler que du dommage, pas des intérêts. Qui est
gagnant ? L'Église.
Il existe déjà tant de choses en Belgique, mais peu connues. Notamment la
Commission d’Aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence
SPFJ. Cela est présent dans le rapport, mais un oubli important: lorsque le
coupable est condamné, l'État reprendra cette aide accordée.
Les députés devront traduire en lois certaines des recommandations du
rapport. J’espère qu'ils pourront tenir compte de ma proposition de ne plus
correctionnaliser ces crimes !
Les victimes étaient paraît-il au centre de la Commission. Je ne le pense
pas et beaucoup de victimes ne le pensent pas, cela s'est passé au-dessus de leur

171
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

tête. Il est vrai plusieurs députés, dont la présidente de la commission ont reçu
des victimes, dont moi.
Mais écouter ne veut pas dire être du côté des victimes.
La commission a écouté des évêques, magistrats, avocats etc.
Pourquoi n'avoir pas entendu en Commission des victimes? Pour ne pas
porter préjudice à leurs procédures en cours ou à venir dit-on. Mais s'il y a
tellement de cas prescrits que seul le tribunal arbitraire pourrait traiter, il aurait
été possible d'entendre ces victimes, puisque le tribunal arbitraire n'est pas un
tribunal judiciaire. Et puisque ce tribunal arbitraire existerait aussi pour les
victimes ne voulant pas porter plainte...
Beaucoup de victimes sont déçues.
Un exemple concret : Souvent l’on dit : « Pourquoi y a-t-il tant de victimes
de prêtres pédophiles en Flandre et beaucoup moins en Wallonie ? »
Une réponse est que cela n’est pas encourageant pour une victime de se
faire connaître et de s’investir dans des procédures judiciaires. Prenez le cas
d’une victime d’Arlon qui viendrait se joindre au combat de justice du Juge De
Troy, assister aux audiences au palais de Justice de Bruxelles, constatant des
appels et des cassations à tout va et ne rien y comprendre du tout. La procédure
étant totalement en néerlandais !
Bien sûr l'on va me dire : « Votre avocat est là pour vous aider et vous
renseigner. » Mon avocat ne croyait même pas au combat du juge De Troy c’est
d’ailleurs pour une de ces raisons que je me suis séparé de lui il y a 3 mois.
J’ai été un des précurseurs dans ce domaine délicat de la pédophilie au sein
de l'Église catholique. Mon livre ‘Violé par un prêtre’ paru début 2009 contient
pas mal d’éléments soulevés au sein des travaux de Commission. Je ne fais pas
de pub pour mon livre. Je demande depuis plus d’un an de ne plus l’acheter,
étant en litige avec ma maison d’éditions francophone. Cfr mon site internet
Je vous partage cette image :
La victime que je suis était à une table d'un bon restaurant et attendait un
bon repas: entrée, plat et dessert.
En venant plusieurs fois aux travaux de la commission « abus », j’étais
comme à ma table en train de manger mon entrée. Bien des fois elle me restait
sur l’estomac.
Mais ce que j’attendais c’était le plat: la commission d’enquête
parlementaire digne de ce nom, digne d’un État de droit
Le dessert aurait été les sanctions. Dire qui est responsable de quoi.
Dans les pays où une commission d'enquête a eu lieu, des évêques ont dû
démissionner,
172
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Il faut arrêter de dire que ce que l’on reproche aux évêques est dû à leurs
prédécesseurs et que quand eux étaient là ça ne se passait plus comme cela, la
stratégie de l’étouffement et de la non sanction du prêtre. Sinon pourquoi n’avoir
pas entendu les évêques à la retraite ?
Je suis sûr que d’une seule chose suite à vos travaux, c’est que dans 10 ans
il y aura de nouveau des scandales qui éclateront et on dira rien n’a changé. Cela
est évident, puisque vous laissez les évêques dans l’impunité.
Les députés me répondront : « La commission n’avait pas pour rôle de
sanctionner qui que ce soit. » Vrai, mais alors je rejoins les propos d’un sénateur
catholique que je n’apprécie guère et qui dit que cette commission n'était qu'un
show. Si les députés posaient des questions parfois de la manière d’un juge
d’instruction, et au final que les réponses importent peu à quoi bon ?
Le travail de la commission a à tout le moins permis de connaître
publiquement des mensonges des évêques surtout dans les questions-réponses.
Puisque leurs déclarations, lues à la virgule près, étaient sous la responsabilité de
leurs avocats. Il faut aussi saluer le fait que le parlement a publié les auditions,
ainsi que les questions réponses.
Je suis sidéré de cette autosatisfaction des élus de la Nation, alors
qu'aucune commission d'enquête digne de ce nom n'a vu le jour. Cela aurait
pu démontrer les mensonges des évêques et permettre des sanctions à leur
égard.
Mgr Léonard a dit que si une victime n'est pas contente de la façon
dont l'évêque traite son dossier, la victime peut toujours s'adresser au
Vatican via le Nonce apostolique. Jamais le Nonce ne daigne répondre à
des courriers de ce genre, même si c'est par courriers recommandés. Ni
même le Vatican.
Les intervenants n'ont pas prêté serment. Pas étonnant qu'à la question
posée par un député à Mgr Léonard: « Avez-vous déplacé des prêtres
pédophiles à l'étranger ou en avez-vous accueilli ? » La réponse fut un non
catégorique. Une commission d'enquête aurait permis de démontrer le
contraire.
La commission « abus » adresse trop d’éloge à la défunte commission
Adriaennssens. Cela n'est pas curieux à la fin de ces travaux
parlementaires, puisque même l'Église regrette, elle aussi, toujours sa
disparition forcée. Trop de connivences entre députés et évêques, surtout entre
évêque et député de la même province! Pourquoi interpeller les évêques
par des « Monseigneur » à tout va? Pourquoi permettre l'exhibition de leur
croix pectorale et autres signes religieux (col romain, anneau épiscopal), le
parlement n'est-il pas le lieu par excellence où la séparation État devrait
173
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

être respectée? De quoi les commissaires avaient-ils peur pour demander


un bon nombre de policiers lors des auditions du cardinal Danneels et de
l'archevêque Léonard? Escortés comme des dieux... Le sénateur Torfs a
qualifié dès le début cette commission « abus » de show, mais il n'était pas
le dernier pour apparaître dans les médias, alors qu'il n'était pas
commissaire. Dès le début il a torpillé la commission faisant tout pour
qu'une commission d'enquête ne voit le jour et de critiquer au passage les
représentants des victimes.
J'adhère bien volontiers aux conclusions du député fédéral L. Louis
suite à la publication du rapport de la commission « abus ».
Je joins son discours:

Les raisons pour lesquelles je voterai contre le rapport de


la Commission spéciale "abus sexuels":
Par Laurent Louis, jeudi 7 avril 2011
Voici le discours que j'ai prononcé ce 6 avril à la tribune de la Chambre lors de la discussion
sur le rapport de la Commission spéciale "abus sexuels":
Merci Monsieur le Président,
Chers collègues, même si je ne peux que regretter le manque d’intérêt suscité par la
discussion de ce rapport (les sièges vides en témoignent…) permettez-moi de débuter cette
intervention en saluant les heures de travail effectuées par les membres de la Commission
spéciale. Des heures et des heures d’auditions, d’interventions, de réflexions pour finalement
accoucher de ce rapport de 483 pages.
Malheureusement, que retenir de ces heures de travail et de cet énorme rapport ? Peu de
choses. Peu de choses car à n’en point douter, une composante essentielle du travail a été
balayée d’un revers de la main. Je veux bien entendu parler des victimes et de leurs attentes.
Au final, après de mois de travail, il nous reste ce rapport, rapport censé apaiser la souffrance
des victimes mais qui croyez-moi ne fait au contraire qu’augmenter leur révolte et leur
découragement. De nombreuses victimes attendaient que justice soit faite, elles attendaient la
mise sur pied d’une Commission d’enquête chargée de soulever les responsabilités et de
pointer les dysfonctionnements ou pire les protections.
Il n’en fut rien.
Au final, nous voilà donc avec un rapport de 483 pages, mais avouons-le, il s’agit avant tout
d’un recueil de bonnes intentions qui comporte essentiellement 70 recommandations.
Parmi celles-ci, on retrouve une proposition faite à l'Église « d’accepter de se soumettre à
l’appréciation d’un tribunal arbitral afin de répondre, au cas par cas, aux attentes des victimes
d’abus commis par des prêtres ou des religieux même pour des faits prescrits ».
Je me demande sincèrement s’il n’aurait-il pas été possible de trouver une formulation encore
plus douce ? Mais bon, soit.

174
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Comme c’est le cas pour de nombreuses victimes, cette main tendue à l'Église me choque
particulièrement quand on sait que depuis des dizaines d’années les plus hauts responsables de
l'Église catholique belge étaient au courant des abus commis par certains prêtres et qu’ils
n’ont jamais réagi préférant appliquer la loi du silence.
Après avoir dû entendre les mensonges exprimés par Monsieur Danneels mais aussi par
Monsieur Harpigny et bien d’autres, comment pourrions-nous croire que l'Église va
maintenant ouvrir tous les dossiers et se soucier enfin de l’intérêt des victimes ?
Pourquoi agirait-elle ainsi aujourd’hui alors qu’elle avait bénéficié d’une privatisation de la
justice accordé par le Ministre De Clerck et matérialisée dans la Commission Adriaenssens
qui avait le droit de juger de la recevabilité de certains dossiers et même de la prescription,
droit dont dispose pourtant, seul, le Procureur du Roi dans un État de droit digne de ce nom.
Il est consternant de voir à quel point les collègues de cette Commission spéciale et en
particulier la Présidente Lalieux se réjouissent du travail accompli. Bien sûr, ils pourront dire
qu’ils ont passé des heures et des heures à travailler, certes avec sérieux et abnégation mais
ayons aussi la franchise de dire que depuis 3 mois, cette Commission n’intéresse plus grand
monde et que les auditions des dernières semaines ont surtout eu pour objet de noyer le
poisson et de calmer le jeu.
De mon côté, je ne peux que déplorer l’absence réelle de volonté de pointer les responsables
de ces abus mais aussi la responsabilité de ceux qui savaient et qui n’ont rien dit et ont ainsi
participé à une non-assistance généralisée à personnes en danger.
Indéniablement, les victimes restent sur leur faim.
Depuis le début, j’ai réclamé, en vain, la création d’une Commission d’enquête mais il n’y
avait aucune volonté politique de faire toute la clarté sur les responsabilités mais aussi sur les
protections dont avaient bénéficié les prêtres abuseurs.
Aussi, après la lecture de ce rapport, je suis assez troublé voire même perplexe au point de
vouloir demander aux membres de la Commission de préciser quelle est pour eux leur notion
de Justice ?
En effet, chers collègues, nous avons des lois que nous devons appliquer et faire respecter.
Nous avons aussi des tribunaux qui sont compétents pour juger des faits punissables. A quoi
cela sert-il donc de créer une Commission de suivi devant mettre sur pied un tribunal arbitral
non-judiciaire ? Surtout quand on sait qu’il ne pourra pas établir la moindre responsabilité.
Je ne peux imaginer que vous ne vous rendiez pas compte qu’en faisant cela, vous suivez la
même voie que celle empruntée par le Ministre de la Justice lorsque ce dernier institua une
privatisation de la Justice qui apparut comme une véritable Justice parallèle.
Il ne manquerait plus que Monsieur Peter Adriaenssens soit désigné pour siéger comme juge-
arbitre…
Sincèrement, mes chers collègues, si les responsables politiques de ce pays ne font plus
confiance en leur Justice et en leur Tribunaux, il est temps qu’ils le disent et qu’ils
entreprennent alors les réformes nécessaires afin de redonner à la Justice la place qu’elle
mérite mais aussi de lui redonner la confiance des citoyens.
C’est une chose que de vouloir indemniser les victimes d’abus sexuels dont les faits sont
prescrits mais ce qui est plus important encore, c’est de reconnaître la culpabilité non
seulement des auteurs mais aussi de ceux qui ont laissé faire ces actes odieux et qui, eux, s’en
sortiront sans le moindre problème.

175
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Il est difficile pour le légaliste que je suis d’accepter ces adaptations de la Loi. Soit un fait est
prescrit et il ne peut être poursuivi soit il ne l’est pas et la Justice étatique doit alors se charger
de la poursuite et du jugement. Dois-je rappeler au pouvoir législatif qu’il est opportun qu’il
respecte et fasse appliquer les propres lois qu’il a votées.
Clairement, la priorité est donnée aux indemnisations qui doivent surtout correspondre aux
frais thérapeutiques engagés par la victime. Et cela doit bien entendu arranger l'Église qui
n’est pas dépourvue de moyens financiers. Par contre, quand il s’agit d’assumer et de
reconnaître ses responsabilités, il n’y a plus personne. C’est déplorable et cela constitue une
preuve supplémentaire, si besoin en est, de l’urgence de mettre un terme au financement
public des cultes.
Selon Raphaël Jacquerye, auteur de « Tempête au Vatican », l'Église belge espère s’en tirer en
versant quelques millions d’euros aux victimes. Très justement, il précise que les traitements
et les pensions des ministres du culte s’élèvent annuellement à 110 millions d’euros. Tout
comme lui, devant ces vies brisées, ces êtres moralement détruits, je me demande si les
responsables ecclésiastiques peuvent s’en sortir à si bon compte en se contentant de participer
uniquement aux frais de thérapie des victimes. N’est-ce pas indécent ?
A la lecture de ce rapport, j’invite le monde politique à faire en sorte que nos lois soient
appliquées, nos institutions respectées et qu’ils mettent tout en œuvre pour mettre un terme
aux réseaux de protections et de pédophilie qui existent dans notre pays.
Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre mais à la fin, on en viendrait à
penser que ces réseaux doivent être bien puissants dans notre pays pour étouffer tant le monde
politique que le monde judiciaire.
A en croire Monsieur Brotcorne, tout ne va pas si mal, c’est du moins ce qu’il a dit dans une
interview donnée à la DH le 25 mars. Allez dire cela aux victimes qui ont été abandonnées
tant pas l'Église, que par la Justice et aujourd’hui par le monde politique.
Tout ne va pas si mal… En effet, c’est ce que l’on doit penser quand on fait la politique de
l’autruche et qu’on s’obstine à ne pas vouloir voir l’évidence. Je dirais au contraire que notre
pays se porte bien mal Monsieur Brotcorne car il est incapable de faire respecter ses lois et
que le monde politique ne croit même plus en sa justice lui préférant une justice privée et
parallèle matérialisée dans ce tribunal arbitral non-judiciaire.
Même les victimes craignent que ce tribunal arbitral soit encombré par des tas de personnes
qui verront là un moyen de toucher un peu d’argent de l'Église. Comment prouver les faits ?
Comment assurer une justice équitable en dehors de toute procédure légale reconnue par notre
Constitution ?
Le problème du passage de la prescription de 10 à 15 ans pose problème en cas de
confessionnalisation des crimes d’abus sexuels et vous n’êtes pas sans savoir que les
correctionnalisations sont fréquentes en la matière. Cette augmentation de la prescription est
en outre critiquée par Child Focus surtout au niveau de l’établissement des preuves.
Je sais mes chers collègues que vous êtes des gens intelligents et je ne peux donc pas imaginer
que vous n’ayez pas pensé à ces conséquences. C’est pour cette raison que je m’en viens à me
demander si, en fait, tout cela n’est pas fait exprès. Vous donnez ainsi l’apparence d’avoir agi
dans l’intérêt des victimes mais au fond, vous savez très bien que cela ne changera rien pour
elles s’il n’y a pas un véritable changement de mentalités au sein de nos institutions.
Madame Christine Clerc, dans son livre, « le pape, la femme et l’éléphant » pointait
dernièrement notre pays et ses 475 cas cités par la Commission Adriaenssens en disant que
ces horreurs avaient été couvertes par la hiérarchie de l'Église qui prit même la défense des
176
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

auteurs. Je l’ai moi-même souvent dit lors des travaux de cette commission, trop souvent les
responsables ecclésiastiques ont pris les victimes pour des coupables et les coupables pour des
victimes d’esprit malins qui tentaient de leur extorquer des fonds… Comme le dit Madame
Clerc, on parle ici de sévices sexuels, pas de genoux discrètement caressés mais bien de
pratiques sadomasochistes. Elle termine en disant qu’il faut que l'Église profite de ce big-bang
pour se repenser et retrouver le message de l'Évangile. Croyez-vous, mes chers collègues, que
le cadeau que vous lui offrez en refusant de soulever les responsabilités et de vous contenter
d’un tribunal arbitral remplira cet objectif ? Je ne le pense sincèrement pas et je suis persuadé
que vous le savez tout autant que moi.
Je terminerai mon intervention en citant un passage de la lettre ouverte écrite par Monsieur
Joël Devillet car elle correspond bien à l’état d’esprit des victimes et je ne voudrais terminer
cette intervention sans les mettre en évidence car je tiens par la même occasion à leur adresser
toute mon admiration pour le courage dont elles ont fait preuve jusqu’ici : Monsieur Devillet
termine sa lettre ouverte pas ces mots : « La victime que je suis, en venant assister aux
travaux de votre commission était comme assise à la table d’un restaurant, elle attendait un
bon repas, le menu était copieux et semblait appétissant : une entrée, un plat et un délicieux
dessert. La commission, c’était mon entrée, elle me restait bien souvent sur l’estomac mais
j’attendais avec impatience le plat consistant. Ce plat principal, c’était une commission
d’enquête parlementaire et le dessert devait être les sanctions, établir les responsabilités et
sanctionner les responsables. »
Vous imaginez que cette victime est bien restée sur sa faim.
Comme elle, j’estime qu’au final cette commission spéciale n’aura été qu’un grand show
devant donner bonne conscience au monde politique.
En prenant la décision de ne pas soulever de responsabilités, vous avez opté pour la voie de
l’inaction et de l’immobilisme. Ainsi, je crains que nous reparlerons dans quelques années de
nouveaux faits de pédophilie dans l'Église et une fois de plus, les plus faibles d’entre nous
seront les victimes de votre politique à laquelle je ne peux m’associer. N’oubliez pas que des
prêtres pédophiles exercent toujours en toute impunité malgré les actes graves qu’ils ont
commis. Et nous, nous les laissons faire !
Pour cette raison, je ne soutiendrai pas le rapport de cette commission car même si Madame
Marghem déclarait il y a peu de temps encore dans la presse qu’elle espérait que l'Église
saisisse l’opportunité qui lui est ici offerte alors qu’elle n’a pas fait le moindre geste jusqu’ici,
permettez-moi de douter de la volonté de l'Église de réparer quoi que ce soit.
Il y aura peut-être des faux-semblants, une légère ouverture mais vu les mensonges exprimés
devant notre commission par les plus hauts responsables de l'Église permettez-moi de ne pas y
croire. Je serai en la matière comme Saint Thomas, je croirai ce que je verrai et j’espère que
vous assumerez vos responsabilités quand vous verrez que l'Église se sera complu dans
l’inaction et le statut quo.
Je vous remercie. Laurent LOUIS - Député fédéral

177
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

« Et c'est comme ça que ça fonctionne


dans ce monde de tâches.
Les gens les plus lâches
jettent la pierre et ensuite ils se cachent.
C'est comme ordonné. Coordonné.
Dieu ordonne de pardonner »
Mc Solaar

Monsieur le député Louis a été un bon ambassadeur des victimes qui


savent que la devise de la Commission "abus" était : « L'union fait la
farce ! » Même l'agence de presse belga ne rapporta pas son
intervention... mais bien celles des autres intervenants... Ce député est
dans le bon et je le soutiens. Il serait tellement facile pour moi de faire
l'éloge de la commission « abus », je serai vite récupéré par ces
politiques dont la vérité n'est pas leur priorité ! J'ai une conscience,
mais c'est à en pleurer, beaucoup de victimes espéraient une
commission d'enquête qui aurait pu prouver que beaucoup ont mentis
dans les hautes sphères... mais rêver ne sert à rien. L'Église a tellement
de pouvoir et le politique tellement d'intérêts à ce que cela reste tel
quel !
Il m'en a fallu du courage lorsqu'à la fin du discours de ce député,
personne ne l'a applaudi, moi, du haut de l'assemblée parlementaire, je
fus le seul à l'applaudir. Je montrai ainsi devant la représentation
nationale, que je désapprouve leur rapport. Au risque de m'isoler de
ces politiques qui pendant des semaines m'avaient fait croire en leur
volonté de recherche de la vérité et de sanctions !
Je tiens à remercier le Président de la Chambre des Représentants, M.
A. Flahaut, qui m'a fait déplacer de la « tribune réservée au public » à
la « tribune présidentielle » dès le début des débats, le jour de la
présentation du rapport en séance plénière. Ainsi que le député
socialiste néerlandophone R. Landuyt pour être venu me saluer durant
la séance.
Par contre, une députée que j'avais à plusieurs reprises rencontré
durant les travaux et à qui j'avais fourni bien des éléments accablant
178
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

l'Église durant les travaux, m'interpella discrètement de sa place me


disant qu'elle avait reçu mes courriers de mécontentements suite à la
publication du rapport et de me dire qu'elle n'avait pas tout compris de
mes courriers. Elle ne prit même pas la peine de venir me parler pour
en savoir plus si soi-disant elle n'avait pas compris. Il est vrai que le
monde est petit, et que, sur internet, j'ai pu découvrir une photo de
cette députée en compagnie d'une personne influente de sa région et
qui n'est autre que le frère de mon prêtre abuseur...
La veille du vote, j'ai écrit à tous les députés de la Chambre des
Représentants afin de leur demander de voter contre le rapport -et
encore une fois de leur dire le pourquoi de ma non-approbation face à
leurs conclusions. Bien évidemment le vote fut à l'unanimité pour ce
rapport, sauf une voix, celle du député Louis qui vota contre.
Je pense que des députés ont le même avis que moi, ainsi que de celui
du député Louis, mais ils n'ont osé se démarquer de leur formation
politique et du consensus trouvé. J'invite chacun de vous à lire les
auditions de la Commission « abus » sur le site internet de la
Chambre126. Vous serez stupéfait à bien des reprises. Surtout de
l'arrogance de l'archevêque Léonard, pour ce qui est de ses
mensonges, l'on commence à s'en habituer.
Deux jours à peine après le vote de la Chambre approuvant le rapport
de la commission « abus », le peuple belge apprit par la presse que la
décision de Rome à l'encontre de l'évêque Vangheluwe était prise, à
savoir: l'exil de son pays et suivre un traitement. "Nous sommes
satisfaits que, un an après le début de l'affaire, une décision ait été
prononcée", a indiqué la porte-parole de l'évêché de Bruges. "Cette
lourde sanction disciplinaire prouve combien le Saint-Siège a pris
cette affaire au sérieux". Nous souhaitons à présent nous tourner vers
l'avenir. Nous espérons que la sérénité pourra à présent revenir, et que
l'Église, et ce pas seulement dans l'évêché de Bruges, pourra en toute
humilité se concentrer sur sa mission: répandre le message du Saint
Évangile."127.
Quelle lourde sanction de la part de la Congrégation de la doctrine de
la foi! Une année pour attendre cette sentence! Alors même que
l'instruction (au niveau du tribunal des hommes et non de l'Église) à
126 En annexes, se trouvent l'audition de mon ancien conseil et celle de Mgr Léonard.
127 Doenja Van Belleghem, www.dhnet.be, 09.04.2011
179
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

l'encontre de cet évêque pédophile est certes proche d'être clôturée


mais pas encore dans les faits.
La présidente de la commission abus de s'offusquer, de suite, en ces
termes: « Il est clair que, j'aurai attendu de la part de M. Vangheluwe
qu'il ait un comportement plus, moins lâche. Moins lâche, parce que
déjà ces crimes, les crimes qu'il a commis, sont des comportements
forts lâches, des abus sexuels. Mais, j'aurai aimé qu'il reste sur le
territoire, pour, un jour peut-être, être devant la justice de son pays,
des juges de son pays, pour répondre de ses crimes ou de non-
assistance à personne en danger. Alors, c'est vrai qu'il y a certains faits
prescrits, mais il y a toujours une instruction qui est en cours au
niveau de Bruxelles, le juge De Troy a toujours une instruction en
cours, où il y a des dossiers, concernant M. Vangheluwe et là M.
Vangheluwe va quitter le territoire ce qui me semble aussi assez
extraordinaire. »128
Cet épisode conforte bien entendu ma position quant au fait que
l'Église n'a peur de rien. Elle savait que, jamais, une commission
d'enquête ne verrait le jour. Elle sait sans doute aussi que le Juge De
Troy ne pourra jamais aller jusqu'au bout.
C'est ainsi que je veux vous faire part d'une belle citation, que je
partage fortement ayant suivi de très près les travaux de la commission
« abus », la voici: "La politique, c'est l'art de chercher les problèmes,
de les trouver, de les sous-évaluer et ensuite d'appliquer de manière
inadéquate les mauvais remèdes."129
J'ai bien envie d'inventer des chasubles anti feu et de déposer un
brevet. Ce marché serait prometteur. Car, si je reprends les propos
-cités plus haut- d'un prélat influant à Rome disant que les prêtres
pédophiles et les prêtres qui les protègent finiront en enfer, j'en
écoulerai pas mal. Là, sera la vraie sentence et pas un exil de
Belgique. Pour finir: J'espère que Dieu existe, mais j'espère que
l'espérance n'est pas la consolation des imbéciles! Et s’il existe comme
le dit la Bible, il reconnaîtra les siens. Car l'Église en matière de
pédophilie est très suspecte. Pourquoi tergiverser sans arrêt ?

128 Karine Lalieux, J.T. RTL-TVi, 19.00, 09.04.2011.


129 Groucho Marx
180
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

A la veille du dernier consistoire créant 24 nouveaux cardinaux,


Benoît XVI avait réunit le vendredi 19 novembre 2010, l'ensemble des
cardinaux du monde pour une « journée de prière et de réflexion » sur
la liberté religieuse, la liturgie, la crise des abus sexuels et d'autres
sujets. De nombreux thèmes pour un temps réduit. Sur deux petites
heures, trois thèmes importants : la crise des abus sexuels, le retour de
certains Anglicans dans l'Église catholique, et les dix ans de la
déclaration « Dominus Jesus ». La pédophilie au sein de l'Église n'est
donc pas un sujet vraiment préoccupant pour ces dignitaires religieux.
Pourquoi ne pas créer au Vatican une Commission sur les abus sexuels
dans l'Église? Il y a bien la Commission vaticane pour la Chine
instituée par Benoît XVI en 2007 ! Combien de pays, de diocèses sont
concernés par ce fléau qu'est la pédophilie infligée par des hommes de
Dieu?
Mais, il est vrai que les coupables minimisent leurs actes en parlant de
jeux, d'intimités sexuelles, ou de consentement de la victime. Il est
bon que la presse ait donné la parole à Mgr Vangheluwe et ainsi qu'il
ait pu se dévoiler.
Ce qui est le plus choquant dans tout cela, est le soutien que de telles
personnes reçoivent du monde de l'Église! Hospitalité, soutien
moral....
Je cite les propos d'un prêtre de la communauté catholique qui a
héberge Mgr Vangheluwe: « Nous avons lu dans les journaux de quoi
il s'agissait, mais personnellement je trouve que c'est un saint. Il a fait
des erreurs, mais c'est normal, dans la vie tout le monde en fait; et en
comparaison avec un criminel qui se trouve en prison ce n'est pas si
grave »130

Je propose au Vatican de déjà instruire en vue de trouver un saint


patron pour les prêtres pédophiles, il y a déjà quelques évêques en
lice: Mgr Vangheluwe de Bruges, Mgr Muller de Norvège et Mgr
Mixa d'Allemagne; ah, il est vrai pour ce dernier il a seulement eu des
violences sur des enfants d'orphelinats, mais rien de sexuels... Sans
oublier les évêques qui protègent et donc encouragent leurs prêtres
pédophiles, mais là je ne sais par quel diocèse commencer...
130 Père Thomas, fraternité de Jérusalem, Ferté-Imbault, JT RTL-TVi, 15.04.2011.
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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

182
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Remerciements

Merci à ma famille, mes parents, grands-parents et ceux qui m’ont soutenu en son sein.
Aux nombreux prêtres, malheureusement décédés, pour leur exemple durant mon enfance;
grâce à leur vie, j’ai également voulu consacrer ma vie à Dieu et aux autres :

L’abbé Maurice Muller, le chanoine René Jacques, les abbés Paul Fonder, Jean Neu, J.
Simonin, Mgr. R.-J. Mathen, les abbés R. Jamin, G. Rossignon, G. Seivert, le doyen E.
Weyland, Mgr J. Hengen

Merci aux gens de mon village pour leur gentillesse lorsque j’étais enfant de chœur et/ou
séminariste. Merci au Père J. Lillig, Mgr R. Le Gall, les abbés J. Nélis (+) et D. Goens et le
Chanoine Jean Léonard (+)

Merci aux prêtres qui m’ont encouragé à poursuivre mon combat :


Les abbés Albert Rossignon et Wilfried De Coster, Mgr Luc De Maere et le Père Gilbert
Degros. Mgr Michel Dangoisse (+) et l’abbé Rik Devillé.

Mme M. Santkin, Dr D. Brand, Dr L. Berge et M. G. Brassine

Merci à mes avocats : Maître Raoul Van de Put (+) et Me Régine Meert.
Maîtres Olivier Bastyns, Michaël Mallien, Pierre Chomé.
A Maître Jacques Englebert, Me Cédric Lefebvre, Me Odette Haas, Me Nathalie Crochet,

A Maître Jean-Christophe Lardinois, Me Céline Astolfe,

et plus particulièrement à Me Marc Kauten.

Merci pour les personnes qui m’ont aidé à la réalisation de ce livre, notamment :
Martial kwindze Mbiakop (dactylographie),

A M. Ch. Terras, directeur des éditions « Golias », et à son équipe.

Merci à Yohan Smets, éditions Sea-n Publishing, pour avoir publié en 2010 mon livre en
néerlandais : ‘Ik was 14 en werd misbruikt door een priester.’

Merci à M. Luc Arnault pour le dessin en page 5, et à Jean-Paul Coudeyrette pour le poème.
Merci aux journalistes de la presse écrite, télé et radio. Merci à la télévision d’exister, à la
radio, Internet, aux livres et aux personnalités du petit écran et de la chanson qui nous font
rêver et de la sorte, oublier nos soucis.

Merci à vous, lecteurs de m’avoir lu.


Merci à mes petits chiens Del et Dora; ainsi qu'à mes perroquets!

« La vérité subsiste éternellement. » Blaise Pascal

183
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Déclaration de l'Assemblée plénière


de la Conférence des évêques de France

Lourdes, 9 novembre 2000

Depuis quelques années, des affaires de pédophilie se trouvent sous les feux de
l'actualité. La France est atteinte comme d'autres pays et l'Église est atteinte
comme d'autres institutions. Elle n'est pas épargnée par une réalité dont elle
découvre toute la complexité. L'Assemblée plénière des évêques a pris le temps
d'aborder en vérité le difficile problème de la pédophilie.

**
*

Ces actes de pédophilie, l'Église les condamne absolument.


Les actes de pédophilie, actes sexuels marqués par une forte inégalité, sont
profondément destructeurs. Ils le sont d'autant plus qu'il s'agit d'enfants qui
n'ont pas la maîtrise de leur existence. Que la société ait aujourd'hui pris
conscience de cela est un grand progrès social.
Lorsque l'agresseur est un prêtre, il y a une double trahison. Non seulement
un adulte averti impose à un mineur ses pulsions, mais ses agissements
contredisent l'Évangile qu'il annonce. Les évêques mesurent combien la
blessure des enfants ou des adolescents est profonde et souvent même
indicible. Ils en éprouvent une vraie souffrance ; ils sont solidaires des victimes
et de leurs familles.

**
*

La responsabilité de l'évêque, en ce domaine, est à la fois claire et délicate. Il ne


peut ni ne veut rester passif, encore moins couvrir des actes délictueux. Il reste
que la pédophilie est un phénomène encore mal connu. Elle se cache. Elle s'avoue
rarement. Souvent, il n'est pas facile à un évêque de réunir les éléments
suffisants et sûrs lui permettant de savoir si un prêtre a effectivement commis
des actes à caractère pédophile.
184
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Les prêtres qui se sont rendus coupables d'actes à caractère pédophile doivent
répondre de ces actes devant la justice. Il est nécessaire qu'ils réparent le mal
qu'ils ont fait et portent le poids de la peine infligée par l'Église et par la
société. Comme tout être humain pourtant, le prêtre qui a commis ces actes
demeure une personne qui a droit à notre respect, à notre accompagnement, à
notre prière.
Nous tenons à redire notre volonté de veiller avec soin à ce que de tels actes ne
se produisent pas, ne se reproduisent plus.

**
*

Les actes à caractère pédophile interpellent non seulement la conscience des


évêques, mais aussi celle de toutes les familles, des éducateurs, des
responsables politiques, des responsables de notre société, des responsables de
la communication et de la culture.
Avec eux nous voulons collaborer pour prévenir de tels comportements. Avec eux
nous voulons collaborer à l'éducation de l'affectivité et de la sexualité des
enfants et des jeunes. Dans la ligne du travail de notre Assemblée de Lourdes,
nous allons poursuivre notre recherche sur la pédophilie et ses manifestations,
sur le soutien à apporter aux victimes et à leurs familles, sur la prévention, sur
l'information et la formation des prêtres, sur le mode d'intervention des
évêques. Nous le ferons avec la lumière et le courage que nous apporte l'Évangile.

**
*

Vis-à-vis de notre société comme vis-à-vis de l'Église et des prêtres, nous


appelons à ne pas laisser s'instaurer un climat de méfiance généralisée et
injuste. Les crimes et délits commis par quelques-uns ne doivent pas jeter le
discrédit sur tous. Aussi nous exprimons notre confiance aux prêtres de nos
diocèses et à nos collaborateurs, comme aux parents et aux éducateurs.

Notre société a besoin de vivre dans la vérité et dans la confiance. 131

131 Conférence évêques de France, www.cef.fr.


185
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Irlande : Demande publique de pardon aux victimes d’abus


Réflexion de Mgr Martin, archevêque de Dublin, le 20 février
lors d'une liturgie du repentir dans la pro-cathédrale Sainte-Marie

Certains d'entre vous, dans votre douleur et votre écoeurement, aurez rejeté
l'Eglise que vous aimiez tant jadis ; mais, paradoxalement, votre abandon de
cette Église a peut-être contribué à la purifier, en la défiant d'affronter la
vérité, de dépasser le déni, de reconnaître le mal qui a été fait et la souffrance
causée aux enfants, affirme-t-il. « Le premier pas vers une forme de guérison
est de permettre à la vérité d'être révélée au grand jour. La vérité nous rend
libres, mais pas de façon simpliste. La vérité fait mal. La vérité ne lave pas avec
du prêchi-prêcha, mais avec un feu qui brûle, qui fait mal, un feu pénétrant ».

Il y a des moments où le silence et l'écoute sont plus importants que les mots et
les paroles.

Que pourrais-je vous dire, à vous qui êtes les victimes d'abus sexuels perpétrés
par des prêtres de l'archidiocèse de Dublin, ou par des religieux ? Je ne serais
ni honnête ni sincère si je vous disais que je sais ce que vous avez souffert. Je
peux essayer de comprendre, mais cette souffrance est la vôtre. Vous seuls
savez ce que signifie d'avoir été abusés, sexuellement ou d'une autre manière.
Je peux essayer d'imaginer l'horreur d'être violenté quand on n'est qu'un
enfant, sans défense, innocent. Je peux essayer d'imaginer comment cette
violence a hanté votre vie jusqu'à aujourd'hui, et continuera peut-être, hélas, de
le faire pour le restant de votre vie.

Je peux reconnaître l'humiliation que vous avez subie, l'atteinte à votre dignité
et à votre amour-propre, la peur et l'angoisse, l'isolement et l'abandon que vous
avez éprouvés. Je peux vous écouter me raconter vos cauchemars, vos
frustrations et votre aspiration à une conclusion, qui peut être n'arrivera jamais.
Je peux imaginer votre colère lorsqu'on ne vous croyait pas et que vous pouviez
voir d'autres enfants pris en charge tandis que vous restiez seuls.
Je peux essayer d'imaginer toutes ces expériences, mais je sais que c'est vous,
et vous seuls, qui les avez connues. Je peux tout imaginer, mais ce que vous avez
vécu doit être mille fois pire. Je peux exprimer mon chagrin, mon sentiment du
mal qui vous a été fait. Je pense à votre souffrance, à chacun, de ne pas être
entendu ni cru, ni réconforté ni soutenu.
Je peux me demander comment cela a pu se passer dans l'Église de Jésus-Christ
où, comme nous l'avons entendu dans l'évangile, les enfants sont présentés
comme des signes du royaume.
186
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Comment avons-nous pu ne pas vous voir dans votre souffrance et votre


abandon ?

L'Église de Jésus-Christ dans cet archidiocèse de Dublin a été blessée par les
péchés des auteurs de ces abus et par la réponse qui vous a été faite, pour
laquelle nous avons tous une part de responsabilité.

Quelqu'un un jour m'a rappelé la différence qui existe entre s'excuser ou dire
«je suis désolé, je regrette », et d'autre part demander pardon. Je peux
heurter une personne dans la rue et lui dire que je suis « désolé». Une phrase qui
peut être significative, ou une simple formule vide. Quand je dis que je regrette,
cela dépend de moi. Mais quand je demande pardon, cela ne dépend plus de moi,
je m'en remets aux autres. Vous seuls pouvez me pardonner ; seul Dieu peut me
pardonner.

Moi, en tant qu'archevêque de Dublin et en tant que Diarmuid Martin, je reste en


silence et je demande le pardon de Dieu et un premier pas vers le pardon de tous
les survivants d'abus.

Il y a un temps pour le silence. Mais il y a aussi un autre silence : le silence qui


peut signifier faire la sourde oreille, le silence qui est un manque de courage et
de vérité. Dans notre cathédrale aujourd'hui, il y a des hommes et femmes à qui
nous tenons à exprimer notre immense gratitude, car ils ont eu le courage de ne
pas se taire. Malgré ce qui leur en a coûté, ils ont eu le courage de parler
publiquement, de parler, parler, parler, encore et encore, avec courage et
détermination, bravant même l'incrédulité et le refus.

Toutes les victimes sont redevables à ceux qui ont eu le courage de parler, pour
que l'on sache ce qui s'est passé et comment ils ont été traités. L'Église de
Dublin et du monde entier, et chacun ici présent aujourd'hui, leur sont
redevables. Certains d'entre vous, dans votre douleur et votre écœurement,
aurez rejeté l'Église que vous aimiez tant jadis ; mais, paradoxalement, votre
abandon de cette Église a peut-être contribué à la purifier, en la défiant
d'affronter la vérité, de dépasser le déni, de reconnaître le mal qui a été fait et
la souffrance causée aux enfants.

Le premier pas vers une forme de guérison est de permettre à la vérité d'être
révélée au grand jour. La vérité nous rend libres, mais pas de façon simpliste. La
vérité fait mal. La vérité ne lave pas avec du prêchi-prêcha, mais avec un feu qui
brûle, qui fait mal, un feu pénétrant.
Encore une fois, l'Église dans cet archidiocèse vous remercie pour votre courage.
En mon nom propre, je vous présente des excuses pour l'indifférence, voire les

187
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

réactions blessantes et désobligeantes que vous avez pu rencontrer. Je vous


appelle à continuer à parler. Il reste un long chemin à parcourir sur la voie de
l'honnêteté avant de pouvoir vraiment mériter le pardon.
Il y a un troisième niveau de silence au milieu de nous, cet après-midi. C'est le
silence de la croix. On m'a demandé qui devait présider cette liturgie. Ma
réponse a été : ni un archevêque ni un cardinal, mais la Croix de Jésus-Christ.
Nous nous sommes rassemblés devant la croix de Jésus qui préside et nous juge.
C'est la Croix de Jésus qui juge de la sincérité de nos paroles et de nos cœurs.

Les derniers moments de la mort de Jésus ont été marqués par l'obscurité et le
silence. Ce silence est brisé par les paroles de Jésus : il pardonne à ceux qui vont
le tuer. Il adresse le pardon et une vie nouvelle à l'un des deux larrons crucifiés
avec lui. Mais ce n'est pas un pardon bon marché. Un des larrons s'est moqué de
Jésus ; il n'a pas reconnu cet acte d'injustice qui a été perpétré. L'autre larron
reconnaît sa propre faute, ouvrant ainsi la porte au pardon. Aucun de ceux qui
ont eu une quelconque responsabilité dans ce qui s'est passé dans l'Église de
Jésus-Christ dans cet archidiocèse ne saurait demander le pardon à ceux qui ont
été abusés sans avoir d'abord reconnu l'injustice commise et sa propre
défaillance dans ce qui s'est passé.

Le silence de Jésus sur la croix est de nouveau interrompu par sa prière


d'abandon : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Cette prière,
beaucoup de victimes d'abus ont dû se l'approprier tandis qu'elles avançaient
dans la vie, tourmentées par cette souffrance que, pendant de nombreuses
années, elles n'ont pu partager et qui les a hantées jour après jour, depuis leur
enfance et jusqu'à l'âge adulte.

Mais Jésus fait face à cet abandon et pour finir s'en remet au Père, portant son
amour désintéressé jusqu'au moment suprême de donner sa propre vie par
amour. Cela a ouvert la porte à une vie nouvelle. Nous nous rassemblons sous le
signe de la croix qui nous juge mais qui, en définitive, nous libère.

Cet après-midi n'est qu'une première étape. Il serait facile pour nous tous de
partir d'une certaine manière en se sentant bien, mais aussi avec le sentiment
que maintenant « eh bien voilà » « c'est fini », « maintenant nous pouvons revenir
à la normale ».

L'archidiocèse de Dublin ne sera jamais plus le même. Il portera toujours cette


blessure en lui. L'archidiocèse de Dublin ne trouvera le repos que lorsque la
dernière victime aura trouvé la paix et pourra se réjouir d'être pleinement la
personne que Dieu, dans son projet, veut qu'elle soit. 132

132 Agence de presse Zenit / février 2011


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Cher Joël,

J’ai été heureux de faire ta connaissance.


Merci des cassettes. Je les écouterai.
Prie pour moi. Je te bénis très
affectueusement.

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Mon fils Joël,

Notre but n'est évidemment pas d'écraser ce


confrère mais de le sauver et d'en sauver d'autres.
Il n'est pas absolument certain qu'il doive aller
ailleurs. Un bon accompagnement pourrait
éventuellement suffire. Nous verrons.
Merci pour la cassette.

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Mon fils Joël,

Merci de ta délicate attention norvégienne pour le


premier octobre. Je me réjouis de ce que tu me dis
d'un accompagnement psychologique régulier.
Je crois que cela te sera très utile. Tiens-moi au
courant du résultat de tes démarches.
Je garde l'espoir que tu pourras, si Dieu le veut,
reprendre un jour le chemin interrompu.
Je te bénis de tout cœur.

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Mon cher Joël,

Merci de tes bons vœux et de ta


lettre précédente, où tu me disais avoir
trouvé un bon accompagnement
psychologique. Que cela ne t’empêche
cependant pas de payer à M. Grignon
ce que tu lui dois encore!
Clôture au plus vite ce compte…
Je te souhaite une heureuse année
nouvelle et te bénis de tout cœur.

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Cher Joël,

Le chanoine Huet m’a dit récemment


que tout était arrangé, ce que tu me
confirmes. J’en suis très heureux et te
bénis. Merci du soutien de ta prière.

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Cher Joël,

J’ai parlé de la question de ton


accompagnement avec le chanoine Huet
et l’abbé G. H. En conclusion, celui-ci
est disposé à supporter une partie de la
charge. Cela me semble juste, en effet.
Avec tous mes vœux.

213
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Son Excellence Monseigneur André-Joseph Léonard


archevêque métropolitain de Malines-Bruxelles

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

COMPTES RENDUS
Ces comptes rendus peuvent être consultés sur le site de la Chambre:
www.lachambre.be
CHAMBRE-2E SESSION DE LA 53E LEGISLATURE
2010
Ici ii
COMMISSION SPECIALE RELATIVE AU TRAITEMENT
D'ABUS SEXUELS ET DE FAITS DE PEDOPHILIE DANS UNE
RELATION D'AUTORITE, EN PARTICULIER AU SEIN DE L'ÉGLISE

LUNDI 06 DECEMBRE 2010 Après-midi


La séance est ouverte à 14.22 heures et présidée par Mme Karine Lalieux.

Audition de: M. Pierre Chomé & M. Jean-Pierre Lothe, avocats

La présidente: Je demanderai à chacun de regagner sa place pour que nous


puissions commencer nos travaux avec les auditions des deux personnes prévues
cet après-midi.
Avant d'ouvrir nos travaux, je voudrais faire un rappel de la notion de huis clos
et de l'opportunité des huis clos, à l'intention du public comme des membres de
la commission. Un huis clos ne sert pas à cacher les choses, au contraire. Ils sont
très utiles à nos travaux car ils permettent aux parlementaires d'obtenir des
renseignements sans mettre à mal une affaire judiciaire, sans mettre à mal
l'anonymat d'une victime, sans mettre à mal le travail des avocats, des magistrats
ou d'autres personnes qui demandent le huis clos.
Vous aurez remarqué que depuis le début de nos travaux, nous procédons à des
huis clos uniquement quand des intervenants nous le demandent. Il faut
respecter le souhait de ces personnes, avocats, magistrats ou autres.
La commission tient à ce que l'ensemble des travaux soient publics, sauf en cas
de demande spécifique. Il y va du bon déroulement de nos travaux et de leur
utilité. C'est une question de respect à l'égard des victimes, des magistrats ou
avocats qui travaillent de manière active dans ces dossiers. Je vous demande, dès
lors, de bien vouloir respecter la confidentialité de ces huis clos et d'accepter
qu'ils aient lieu, de manière à ce que chacun puisse sortir de la salle en toute
confiance à ce moment-là. Je tenais à le rappeler. C'est important tant pour nos
travaux que pour le crédit de notre commission.
Aujourd'hui, ont été invités au sein de cette commission Me Pierre Chomé ainsi
que Me Jean-Pierre Lothe. Ces deux avocats ont eu à voir avec certains dossiers
d'abus sexuels dans le cadre de l'Église. Ils commenceront par un exposé public.
Ensuite, suivront, comme à notre habitude, les questions des parlementaires
membres de cette commission. Je cède tout d'abord la parole à Me Pierre Chomé
que je remercie pour sa présence.

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Pierre Chomé: Madame la présidente, mesdames, messieurs, actuellement, je


suis en charge de six réels dossiers de suspicion d'actes de pédophilie commis
par des gens d'Église. Par la médiatisation, par le fait que le sujet est devenu
terriblement public, ces six dossiers ont généré une série d'appels assez
poignants de personnes qui ont eu des difficultés et qui ont été victimes
d'attouchements il y a fort longtemps. Cela me frappe très fort par rapport aux
dossiers dont je vous dirai un mot, une partie en tant qu'exemples anonymes, une
partie plus officielle puisqu'un de mes clients a toujours revendiqué son identité
à travers le drame qui est le sien. Depuis quelques mois, je reçois des visites, des
appels de gens qui proviennent d'un peu tous les horizons; ils sont âgés d'à peu
près 55, 60 ans et peut-être même un peu plus. Ils viennent, me prenant pour un
thérapeute, ce qui n'est évidemment pas ma fonction initiale; ils viennent me
raconter les drames d'abus qu'ils ont subi lors de leur séjour en internat ou lors
de contacts avec certains curés de campagne, par exemple.
Ce qui me frappe terriblement à ce niveau, c'est que ce sont des gens qui
n'émettent pas de demande particulière: ils sont tout à fait conscients de se
trouver en situation de prescription malheureusement incontournable pour eux, il
n'y a pas de demande financière quelconque, il y a une demande d'être écoutés.
Ils vous disent que c'est un soulagement extraordinaire que, tout à coup, on
s'intéresse à eux et qu'ils peuvent enfin s'exprimer même à l'égard de leurs
proches: famille, compagnon, époux, etc.
C'est quelque chose de particulier par rapport à d'autres phénomènes de société.
On a l'impression que des gens viennent de la nuit la plus profonde pour
expliquer au grand jour leurs souffrances. C'est intéressant de voir que ces
souffrances sont aussi la démonstration d'un certain désintérêt du monde
judiciaire. On peut parler aussi tout à l'heure du désintérêt de l'Eglise. Par
ailleurs, ces faits paraissent être pour des professionnels des enquêtes de mœurs,
par exemple, des faits "secondaires" par rapport à la problématique réelle de
l'abus sexuel. Pour eux, il s'agit d'un petit chipotage, une petite masturbation,
une petite caresse, etc. C'est ainsi que certaines autorités judiciaires considèrent
les choses en disant que c'est du second de gamme par rapport à ce qu'on
imagine comme horreur de viols, de gens torturés, attachés, etc. Ce qui est
terrible, c'est que le traumatisme paraît être aussi important que pour des
situations de viols classiques. À mon sens, nous sommes confrontés à trois
problématiques différentes. Premièrement, celle des abuseurs, qui est la plus
évidente au départ, à savoir les incriminations qu'on peut leur reprocher, les
délais de prescription. Deuxièmement, il y a la non-assistance de certains
membres de l'Église, de proches qui sont au courant mais qui ne réagissent pas.
Enfin, il y a une situation de paroxysme dans la souffrance des victimes. Ce sont
des situations de harcèlement et de pression sur les victimes. "Tu ne parleras pas
parce que ceci, parce que cela, etc."
Je vis actuellement au travers d'un dossier quelque chose qui m'a bouleversé. Le
récit qui m'en a été fait était celui de quelqu'un qui avait l'air d'être très calme et
216
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

très posé. Je vais vous en lire quelques mots car il me paraît être utile pour votre
travail en commission. Il s'agit d'une situation particulièrement délicate puisque
c'est quelqu'un qui a été abusé dans son jeune âge, jusqu'à 13, 14 ans. Les faits
sont prescrits pénalement – sauf s'il y avait d'autres faits ultérieurs – mais sur le
plan civil, la situation est plus ouverte et je peux répondre à certaines questions
et vous dire d'office ce que j'en pense. Il s'agit d'une personne qui a participé à
des camps de vacances et à qui on a imposé de dormir nu dans le sac de
couchage du prêtre qui dirigeait le camp et de participer à des bains collectifs
avec d'autres enfants que le prêtre se chargeait de laver de manière assez
perverse. Cette personne a continué son chemin et est devenue prêtre. Ce qui est
extraordinaire – et là nous entrons dans une autre problématique –, c'est ce que
j'appellerai le "sabotage" de sa prêtrise par certains membres du clergé. Cette
situation est hallucinante. On essaie de le "psychiatriser". On lui dit qu'il est
fragile, qu'il n'est pas bien dans sa tête, que pour être ainsi, il doit certainement
être homosexuel, etc. Il m'a expliqué qu'on avait demandé à une personne de le
"draguer" afin de voir s'il était sensible aux charmes masculins.
Après la description "kafkaïenne" de son parcours de souffrance, on décide, non
pas de s'intéresser à l'abuseur qui a été identifié, mais de s'intéresser à lui avec
l'idée de le "psychiatriser". On l'envoie alors chez le professeur Lievens, pour ne
pas le nommer, à qui il va s'expliquer. Et il n'a aucun feedback de ses propos. Il
ne sait pas ce que ce professeur, par ailleurs tout à fait respectable, pense ou dit.
On ne sait donc pas à quoi ont servi ces rencontres. Á discréditer son discours?
Á l'aider? Mais dans ce cas, il fallait lui faire savoir en quoi consistait cette aide.
Toujours est-il qu'il y a eu une absence de dialogue. On l'a écouté raconter son
vécu et sa souffrance, sans qu'il n'y ait de retour. J'ai demandé les conclusions de
l'expert en question pensant que cela pouvait l'aider à titre personnel. Mais je
n'ai reçu aucune réponse, ce qui est assez troublant. Cela prend des proportions
qui peuvent paraître ridicules pour quiconque, mais qui, pour lui, sont autant de
blessures et d'humiliations. Ainsi, par exemple – on a un peu l'impression d'une
histoire à la Cloche-merle, mais c'est son quotidien –, il devait célébrer une
messe dans une des paroisses qu'il dirige, et en arrivant, il s'est aperçu que
l'organiste avait été décommandé. Il n'a donc pu donner cette messe comme il
l'aurait voulu. Chaque jour, il fait l'objet de harcèlements à travers des petits
gestes. Vous imaginez le genre de difficultés qu'il rencontre avec les autorités
ecclésiastiques. Quand il se plaint, on lui dit qu'il n'est pas bien dans sa tête ou
qu'il ne fait pas son travail correctement, etc. En même temps, il n'a aucun
retour. Et quand il s'adresse, comme il l'a fait dans un premier temps, à la
commission Adriaenssens et, ensuite, aux autorités judiciaires, il a le sentiment
d'être écouté, mais se pose alors pour lui un problème de loyauté envers l'Église
car son vœu n'est pas de quitter la prêtrise mais, au contraire, de poursuivre sa
carrière en tant qu'abbé. Voilà un cas qui me paraît intéressant. Il est ici question
de faits vécus en 2010 et la situation de cette personne reste problématique. J'ai
le sentiment que les différents efforts des médias et du monde politique font qu'il
217
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

y a un peu plus de retenue dans le chef de certaines personnes qui procédaient à


un véritable harcèlement à son égard. La situation est donc un peu plus
confortable pour lui. À mon sens, nous ne nous trouvons plus dans une
problématique d'abuseur, qui risque malheureusement de subir le même sort, au
niveau de la prescription. C'est la non-assistance à personne en danger! Très
souvent, le cri d'alarme est postérieur aux faits, donc il n'y a plus de personne en
danger. Le mineur étant devenu majeur, il n'est plus 'comestible' pour tel ou tel
abuseur. Dans ce cas, les poursuites sont aussi aléatoires que des dénonciations
d'abuseurs pour des faits beaucoup plus anciens.

Je voudrais encore citer deux ou trois exemples qui paraissent poser problème au
niveau des poursuites. Il y a un cas que vous connaissez tous, il a été revendiqué
par la victime, M. Devillet. Après l'échec de la procédure pénale, j'ai entamé à
ses côtés une procédure civile, qui est relativement avancée. Le prêtre a reconnu
les agissements accomplis à l'égard de Joël Devillet. Le tribunal d'Arlon a
désigné un expert et cela situe l'importance de l'impact. L'expert a retenu 16 %
d'invalidité, ce qui est énorme. Cela a donc un impact sur sa vie de tous les
jours.
En préparant cette réunion, j'ai retrouvé quelques lignes qui vous situent ce que
peut être la question de l'indemnisation. Une fois que le dommage au plan
médical était reconnu, nous espérions que nous allions recevoir une forme
d'indemnisation quelconque. Mais nous devrons malheureusement faire un
nouveau parcours judiciaire afin d'obtenir un jugement qui correspond au
dommage subi.
Joël Devillet écrivait: "Je ne me marierai jamais, je n'aurai jamais d'enfant. Je ne
peux pas avoir une relation de confiance, j'ai trop peur de me retrouver, un jour
ou l'autre, dans une situation de quelqu'un qu'on suspecterait d'abuser alors que
je l'ai été moi-même. J'ai peur qu'on me soupçonne un jour de devenir un
pédophile. Ma seule vie affective, c'est mon chien." Quand il vient me voir, et
cela énerve un peu mes associés, il vient avec son chien. Son chien le suit
partout. Il n'a plus confiance dans aucune relation de travail. Il n'a plus confiance
en ses amis. Il pense toujours qu'on va l'abuser, qu'on va le rouler. Il a dû quitter
sa région natale, après qu'il ait été renvoyé du séminaire. Tout cela vous montre
ce qu'il se passe maintenant, pour des faits qui se terminent en 1991.
En 1991 et dans les années qui suivent, 1993, 1994, 1995, tout était possible à ce
moment-là parce qu'il s'adresse aux autorités hiérarchiques, il explique ce qui lui
est arrivé et il y a déjà, à ce moment-là, une forme de reconnaissance des abus
du prêtre concerné. Le pénal était donc l'arme tout à fait normale de ce genre
d'agissement particulier. On lui fait une promesse. Il demande trois choses.
Rétrospectivement, c'est horrible ce qu'il demande. Premièrement, il demande
qu'on mette ce prêtre à l'abri de la société civile pour qu'il ne récidive pas. C'est
donc une forme d'altruisme intéressant. Deuxièmement, il demande que l'on
participe à sa thérapie puisqu'une thérapie coûte cher. Et, troisièmement, comme
218
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

il reste convaincu dans sa foi dans l'Église, il demande de pouvoir participer au


séminaire. Quelles sont les suites de tout cela? La thérapie: à part un paiement
d'un tiers d'une séance par le prêtre, n'a jamais été payée par monseigneur
Léonard qui s'était engagé à participer à raison d'un tiers à celle-ci. Le prêtre: il
est apparu dans l'annuaire diocésain avec des fonctions de prêtre auxiliaire
jusqu'en 2008. Vous imaginez: je parle des années 90 et je vous parle de 2008. Et
pourquoi, à mon sens, a-t-il disparu de cet annuaire diocésain entre 2008 et
2009? C'est parce que nous avions une procédure distincte, dont je peux vous
dire un mot, à l'égard de monseigneur Léonard qui est toujours pendante à
Namur et qu'elle était plaidée début 2009. J'ai le sentiment qu'on a très
judicieusement deleté le nom et les fonctions de ce prêtre qui était toujours
reconnu comme tel jusqu'à ce moment-là. C'est un élément quand même très
intéressant. Je vous ai dit que cet accord était horrible. Pourquoi? Parce que
lorsque l'affaire Devillet éclate et qu'il essaye, lui, d'exorciser toutes ses
souffrances à travers son combat médiatique, à travers son livre, à travers toute
une série de plaintes -il va même jusqu'à écrire au pape qui lui répond d'ailleurs
et qui demande apparemment des comptes aux autorités ecclésiastiques belges -,
je reçois, il y a deux ans maintenant, une lettre d'une maman disant: "Voilà, j'ai
vu cette histoire de M. Devillet, de ce prêtre. Et bien, mon fils un peu plus tard a
été abusé par le même prêtre". Et donc, son exigence de le mettre à l'abri de
victimes potentielles, de victimes fragiles, cette exigence n'a pas été suivie
d'effets. Elle a créé une nouvelle victime qui, elle, a déposé plainte pour laquelle
j'ai dû aller jusqu'au procureur général de Liège pour qu'on bouge ce dossier de
quelques centimètres. Cela fait maintenant quatre ans qu'on aurait pu s'intéresser
à ce dossier. Il ne s'agit pas de l'examen de bilans de sociétés internationales
avec des ramifications maffieuses dans les Balkans, ce sont des gestes précis,
commis ou pas commis. Il y a d'autres mineurs qui ont été cités dans la plainte
de ce monsieur qui s'est adressé au procureur du Roi de Namur et nous ne
sommes nulle part.
Nous ne sommes nulle part après trois ans d'enquête ou plutôt de non-enquête,
puisqu'on m'a dit que la demande de devoir d'enquête s'était perdue dans les
bureaux du parquet ou de je ne sais qui. Voilà une situation intolérable: cet
homme, un employé paisible qui depuis lors s'est marié, a dû s'expliquer avec
son épouse, avec sa mère et faire l'effort d'aller jusqu'à la justice pour avoir
finalement l'impression qu'on se désintéresse totalement de son sort. On a vu
qu'il y avait une forme de désintérêt dans le chef de l'Église et des promesses
non tenues mais on voit également que sur le plan judiciaire, ce n'est guère
mieux. Vous reprenez la plainte pénale que M. Devillet finit par déposer quand
on l'éjecte du séminaire en lui disant qu'il n'était pas capable. Je n'ai pas les
compétences nécessaires pour affirmer que c'était justifié ou non. Lui considère
qu'il s'agit d'une manière de l'évincer lorsque le risque pénal n'existe plus. Il
dépose plainte en 2001 et il faudra attendre 2004 pour qu'on décide que l'affaire
(attouchements, viol, les préventions redoutables du Code pénal) est prescrite
219
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

sur le plan pénal. Je vous ai dit ce que nous en avons fait sur le plan civil pour le
moment. Une brèche existe donc pour les dossiers les moins anciens.
Voilà la situation. Une dame a eu encore moins de chance: elle avait été abusée
dans une famille d'accueil et on n'a rien trouvé de mieux pour la protéger que de
la mettre en famille d'accueil chez un prêtre qui s'est dit qu'elle était peut-être
suffisamment fragile et habituée aux abus pour faire perdurer cet état. Ce dossier
s'est terminé par une prescription sur le plan pénal après des lenteurs et des
dysfonctionnements. Malgré la question du coût de ce type de procédure, qui se
pose aussi, j'espère encore pouvoir trouver une solution sur le plan civil. À mon
sens, il existe des possibilités pour des faits antérieurs à la loi de 1998 pour faire
valoir une prescription trentenaire, ce qui n'est plus le cas depuis cette date,
depuis que l'ex-Cour d'arbitrage, la Cour constitutionnelle, avait considéré que
les anciens fonctionnements de prescription des affaires civiles découlant du
pénal étaient parfaitement anticonstitutionnels au sens des articles 10 et 11 de la
Constitution. On constate que des appels au secours émanent de cette femme, de
sa famille, et de nouveau, une forme d'indifférence totale. Que peut-on imaginer
dans tout cela? Effectivement, les voies choisies par l'Église étaient terriblement
dangereuses. Vous l'avez certainement stigmatisé dans vos débats antérieurs
avec M. Adriaenssens. La situation par rapport aux interlocuteurs était ambiguë.
Dans certaines situations, des dossiers, qui étaient peut-être sauvables au plan
judiciaire, ont pu être prescrits par cette voie-là. Cependant, si une forme
d'interlocuteur professionnel spécialisé, mais au niveau fédéral – ou d'autres
formes publiques selon l'évolution de notre pays –pouvait collaborer sous la
direction d'un procureur du Roi, sans doute y aurait-il moyen d'intervenir
rapidement et efficacement. Supposons qu'un interlocuteur, dans un premier
temps, garantisse une forme d'anonymat en fonction de l'orientation et explique
ce qu'est une procédure judiciaire, les conséquences et donner les clefs des
poursuites à l'égard de tel ou tel supposé abuseur, peut-être une solution se
présenterait-elle sous la forme d'une véritable écoute? En effet, le principal
problème rencontré est un manque d'écoute total et un manque de
professionnalisme dans le chef des personnes qui écoutent. Il s'agit
manifestement de deux problèmes quasiment insurmontables. Imaginez ce genre
de situation pour une personne, qui l'a tue, qui a pensé ne pas être crue, la honte
qu'elle peut vivre, la méfiance que les autres peuvent éprouver, le discrédit que
cela peut jeter au niveau de petits arrondissements, de petites communes, où il
existe une forme de tabou vis-à-vis des représentants de l'Église sur place! En
l'absence de professionnels à l'écoute pour examiner votre cas et respecter le
choix d'un anonymat éventuel dans le chef des victimes, dont le souci principal
est d'éviter une récidive, le vécu de la personne concernée est dramatique et
parfois, le fait d'être écouté s'avère plus réparateur qu'une réparation provenant
d'une condamnation pénale ou financière. Or, nos services, avec toute leur bonne
volonté d'aide aux victimes ne sont pas du tout outillés pour traiter ce type de
problématique. De plus, il est un fait qui, pour moi, s'avère hautement
220
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

scandaleux, au-delà même de faits de mœurs qui peuvent se présenter dans


d'autres situations intra-familiales ou de proches de l'Église, c'est une forme
d'indifférence et de sélection pratiquée par nombre d'autorités de police. Je crois
qu'il faut rappeler au monde policier qu'il n'est pas là pour faire le tri et pour
juger ce qu'il faut faire ou ne pas faire! Il y a des parcours véritablement
injurieux pour les victimes. Récemment, j'ai entendu une dame qui, pour des
violences graves, a dû se rendre dans quatre commissariats avant de se faire
entendre. Quelques semaines plus tard, son mari était terrassé par son ex à coups
de pavés. Si on l'avait entendue et si on avait pris des mesures, on aurait évité
que quelqu'un se retrouve invalide à vie! Tout cela parce que la police censure,
ne s'intéresse pas à ce qu'elle considère comme des faits mineurs. Il s'agit de
victimes fragiles qui ne vont pas combattre, qui arrivent déjà sur la pointe des
pieds et qui ont déjà peur de donner leur carte d'identité. Vous imaginez dans
quel contexte on les reçoit; or c'est le début d'un processus qui doit aboutir à un
processus judiciaire avec, si possible, la condamnation des gens reconnus
coupables de telles situations. Voilà en quelques mots comment j'imaginais les
choses. Je me suis également intéressé à la question de la prolongation générale
de la prescription pénale. Je crois que la prolongation de cette prescription, qui
est déjà intervenue dans plusieurs cas de figure ces dernières années, n'est pas
une bonne solution. On a déjà créé une situation dérogatoire pour les abus sur
mineurs puisque, comme vous le savez, on ne démarre la procédure qu'à l'âge de
18 ans. On peut très bien imaginer – cela aurait sauvé beaucoup de dossiers – de
ne pas correctionnaliser puisque la plupart de ces gestes sont des crimes au sens
du Code pénal. On oublie que les crimes au sens du Code pénal sont prescrits
après dix ans, mais qu'un acte interruptif (une enquête, une instruction, une
arrestation, etc.) provoque un rebond de maximum dix ans. Vous avez donc tout
de même une marge de manœuvre pour quelqu'un qui dénoncerait à partir de ses
18 ans ou quelques années plus tard s'il ne peut exprimer sa souffrance avant.
Par conséquent, pourquoi ne pas aller en cours d'assises et refuser ce système du
traitement de texte de la plupart des chambres du conseil qui proposent
d'admettre les circonstances atténuantes qui n'en sont pas vraiment. Il s'agit
simplement de circonstances atténuantes techniques, comme l'absence
d'antécédent judiciaire. Cela amène parfois certains paroxysmes puisque j'ai déjà
lu "absence de condamnation criminelle dans l'année précédente" parce que le
type avait déjà été condamné aux assises deux ans auparavant. Tout cela dans le
but de correctionnaliser! Que le message soit clair et que les instructions des
parquets le soient aussi. Il faudrait que les juridictions d'instruction arrivent à
éviter cet automatisme et qu'il y ait un véritable débat. Avec des délais de quasi
20 ans, la marge de manœuvre serait beaucoup plus grande. Il faut vous dire
aussi que si on augmente de manière systématique les délais de prescription,
vous risquez d'avoir un effet pervers. Parce que si ce sont des actes isolés qui se
sont produits il y a très longtemps, il est évident qu'on ne peut pas les juger de la
même manière que pour quelqu'un dont la famille est venue crier au secours
221
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

pour des abus qui ont eu lieu il y a une semaine, un mois, un an, etc. Donc,
forcément, la justice pénale ne sera pas sévère. Elle dira que les faits étant très
anciens, l'être humain a évolué, il a pris une autre voie, etc. Il suffit de voir
l'application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme:
que veut dire le délai raisonnable? Cela veut dire plus de clémence; cela veut
dire plus de recul pour l'appréciation des preuves. Et l'on sait la difficulté, dans
des huis clos, à laquelle on est confrontés en ce qui concerne l'appréciation des
preuves. Cela veut dire que si vous avez quelqu'un qui est jugé dans des délais
complètement anormaux, cela va être pire que tout pour une victime. Parce que
pour elle, l'acte qui a été posé, il y a 20 ou 25 ans, c'est l'acte qu'elle a subi hier
et qu'elle revit tous les jours. Vous n'imaginez pas mettre quelqu'un en prison
pour des faits aussi anciens, donc ce sera, pour la victime, une deuxième
humiliation, un échec total. Je crois qu'une autre voie devrait être trouvée, il ne
faut pas nécessairement aller vers une augmentation du délai de prescription
classique.
Voilà ce que je voulais vous dire. Madame la présidente, je me propose, avant ou
après les questions – la décision vous revient –, de vous dire quelques mots sur
les procédures en cours. Il s'agit de choses importantes, mais que je ne me vois
pas exposer en audience publique. Je n'ai rien à cacher, mais j'aimerais vous
apporter une information qui est celle du juriste, par rapport à d'autres
informations que vous avez eues et que vous aurez encore. Si les procédures
n'étaient pas en cours pour le moment, je ne me trouverais pas aussi embarrassé.
Pour vous donner une autre information, je peux vous dire que la procédure à
l'égard de Mgr Léonard, que j'ai voulue tout à fait distincte de la procédure des
abuseurs – loin de moi d'imaginer qu'il soit responsable personnellement de quoi
que ce soit, sauf d'une forme d'indifférence et d'enterrement de la situation de
drame vécue par M. Devillet –, est toujours ouverte au tribunal de Namur. Le
juge a dit que si nous n'arrivions pas à obtenir tout notre dommage à Arlon – qui
est le tribunal de l'abuseur –, nous verrions effectivement si l'on pouvait faire
rejaillir sur Mgr Léonard en tant que responsable de l'évêché de Namur à
l'époque, une partie du dommage. Il est en effet établi par des documents que
toute une série d'engagements qui avaient été pris n'ont pas été respectés à
l'époque et qu'ils étaient parfaitement connus de Mgr Léonard.

La présidente: Monsieur Chomé, je vous remercie pour cet exposé. Chers


collègues, je proposerai à Me Lothe d'en faire de même. Ensuite, vous poserez
vos questions. En fonction du déroulement des travaux, nous déciderons d'un
huis clos plutôt en fin de séance.

Jean-Pierre Lothe: Madame la présidente, mesdames, messieurs, j'ai prêté


serment d'avocat en 1968. Depuis cette date, je suis inscrit au barreau de Namur.
Je bénéficie donc d'un recul de 42-43 ans. Pendant les 30-35 premières années
de ma carrière, les dossiers qui vous occupent aujourd'hui étaient inconnus dans
222
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

les juridictions namuroises et dans le ressort de la cour d'appel de Liège dont


dépend l'arrondissement de Namur. Il n'y avait pas de dossiers d'abus d'enfant,
que ce soit dans le cadre de la fréquentation de lieux religieux, de personnes
religieuses. Il n'y avait pas de multiplication de dossiers d'abus d'enfants de
personnes ayant autorité sur ces enfants, notamment d'abus d'enfants dans un
contexte où l'abuseur est un membre de la famille et un ascendant. C'est, depuis
15-20 ans peut-être, que ces dossiers, de manière extrêmement ténue et timide,
sont apparus, mais dans des proportions infinitésimales. Il s'agissait d'une
situation particulièrement exceptionnelle, qui ne se renouvelait pas dans les
années qui suivaient. Et on avait l'impression que c'était une délinquance qui
n'existait pas, non faute de dossiers, faute de plaintes ou faute de suivi à des
plaintes déposées, mais parce qu'ils restaient dans la confidentialité, souvent, du
droit d'opportunité du ministère public, qui engage ou qui n'engage pas de
poursuite selon sa libre décision. C'est depuis une quinzaine d'années que ces
dossiers sont apparus, avec cette lame de fond de l'année dernière, qui a été la
révélation de l'ampleur d'abus commis dans le contexte de l'appartenance
religieuse. À cet égard, Me Chomé vous a exposé être en charge de dossiers de
personnes qui ont été abusées, jeunes ou moins jeunes, dans le cadre de la
fréquentation de lieux de culte ou de personnes exerçant ces cultes. On peut aller
dans l'extrême dans l'horreur. C'est un dossier que j'ai connu, où l'auteur de
l'agression sexuelle cumulait la double qualité de prêtre – c'était un imam – et de
père de la jeune fille abusée. Je crois que ce sont les limites de l'indicible: deux
circonstances d'autorité cumulées. Si l'on donnait les conditions de l'exécution
pendant des années d'un abus sexuel tout à fait caractérisé, car pas simplement
superficiel, pas simplement des attouchements. Le cas le plus actuel que j'ai en
charge est significatif de ce que cette souffrance ne se digère pas; le temps ne la
rend pas supportable. Il suffit de prendre l'époque des faits, quand cette personne
avait 13-14 ans, et l'époque de la révélation: elle en a 52. Il s'est pratiquement
écoulé 40 ans; 40 années durant lesquelles cette personne a vécu avec un
tourment, qu'elle n'a confié à personne, d'abord par choix et, ensuite,
vraisemblablement le temps passant, par désespérance d'obtenir une écoute
quelconque. Cette personne a parlé parce que cette lame de fond s'est manifestée
et que sont apparues, comme le rappelait Me Chomé, des personnes qui ont
courageusement expliqué ce qu'était leur situation. Cela a produit un effet
d'entraînement qui a permis à cette personne-ci, après 40 ans, de sortir de ce
silence dans lequel elle s'était littéralement confinée. C'est une caractéristique de
ce que le mal infligé est un mal indépassable. On peut vivre 80 ans: le mal ne
s'estompe pas, on en reste affecté et, par voie de conséquence, on en "infecte"
l'ensemble de son entourage, soit par les propos qu'on a le courage de lui tenir,
soit par le silence et le secret qu'on lui oppose. Plusieurs causes expliquent sans
doute la difficulté de faire apparaître des dossiers de cet ordre. La première est
inhérente à la personne et la psychologie de l'abusé. Cela permettrait peut-être
de dire que l'abusé, par son silence, est pratiquement celui qui sauvera l'abuseur
223
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

si le silence est continu et si le silence dépasse le délai de prescription. Pourquoi


ce silence? La première raison est qu'on ne veut pas parler. On ne veut pas parler
car on est victime d'une agression d'un type tout à fait particulier. Une agression
physique: vous recevez un coup, vous protestez immédiatement, vous vous
manifestez immédiatement. Si vous êtes téméraire, vous ripostez. Si vous êtes
moins téméraire, vous courez au commissariat de police. L'avantage de cette
réaction immédiate, c'est que les rôles sont immédiatement posés. La victime
d'un coup, d'une violence physique investit sa situation de victime. Il n'y a pas
d'ambiguïté. L'abusé sexuel, que ce soit par un prêtre, par un ascendant ou par
un enseignant, la victime mineure, si les faits ont lieu en dehors de la famille, est
généralement confrontée à cet obstacle, au discours, à la parole qui est la peur de
l'autorité parce qu'il y a en quelque sorte un rapport de soumission: l'élève est
soumis à l'instituteur, au maître; le catéchumène est soumis à l'autorité de celui
qui lui enseigne le catéchisme. Il y a une difficulté à parler car il y a cette crainte
révérencielle qui pèse sur le discours et, si les faits sont survenus dans une petite
communauté d'enfants comme une classe ou une classe de catéchisme, il y a la
crainte de la réaction de rejet des personnes, des condisciples qu'on côtoie à
l'égard de quelqu'un qui est dans ce groupe dans des conditions relationnelles
tellement particulières.
Dans la difficulté à s'exprimer, il y a extraordinairement une part de honte
d'avoir été en quelque sorte souillé. Cette souillure qu'on porte et qui tient à des
gestes qui ont été posés ou à des exigences qui ont été formulées, cette souillure
est difficile à rendre verbale. Il est difficile de dire à un interlocuteur (policier,
familier, magistrat, assistant social) qu'on se sent sale, qu'on se sent souillé par
les gestes dont on a été victime. Quand c'est intrafamilial, il y a la crainte de
provoquer le maelström familial, de provoquer un éclatement de la famille, à la
limite de consacrer une rupture entre l'abusé et l'abuseur à l'égard duquel, en
dépit de ce qu'on a subi, on conserve peut-être une relation d'affection. J'ai vu
dans des dossiers, des enfants, des jeunes filles complètement partagés entre la
revendication d'une sanction et l'horreur de voir la personne qui serait
sanctionnée quitter le giron familial et être emprisonnée. Il s'agit d'un véritable
dilemme, extrêmement difficile, pénible à vivre.
On se tait aussi majeur, quand on n'a pas trouvé l'occasion, la stimulation ou le
courage de parler quand on était mineur. Mais comme il est difficile de parler
quand on est mineur, le silence – comme le dit le titre du film américain -, c'est
un peu le silence des agneaux. Ne pas parler, c'est ne pas se voir renvoyer sa
souffrance par les interlocuteurs. C'est donc une espèce de baume artificiel. On
garde son problème pour soi, on évite de le partager avec les autres, on évite de
se faire juger par les autres, on évite de voir le reflet que l'on pense projeter dans
le regard des autres; on garde sa honte pour soi. Et gardant sa honte pour soi, on
la porte, elle fait mal, elle est douloureuse, elle s'infecte, elle ne quitte jamais la
personne qui en est l'objet et elle peut corrompre une partie de ses relations ou
toutes ses relations ou son avenir. Son avenir familial, son avenir conjugal, parce
224
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

qu'à l'instar de la jeune femme qui a été violée avant qu'elle se marie et qui a, par
la suite, les problèmes psychologiques que l'on peut imaginer avec quelqu'un qui
pourtant l'aime beaucoup, il est difficile pour quelqu'un de partager un secret de
cette importance, tant on redoute le regard qui pourrait être porté sur celui qui a
été l'objet de ces sévices. Puis, il y a une crainte de parler aussi parce qu'on a la
peur de ne pas être entendu. Ceci était évoqué à très juste titre par Me Chomé de
manière imagée: cette femme qui court quatre commissariats pour pouvoir dire
ce dont elle a à se plaindre. Je pense que si pendant 30 ans, je n'ai pas entendu
parler de problèmes de cet ordre ou je ne les ai pas vus évoqués devant les
tribunaux, c'est parce que dans l'esprit de l'époque, on n'imaginait pas facilement
qu'on puisse attraire un prêtre, un diacre, un sacristain ou quelqu'un qui se trouve
plus haut dans la hiérarchie religieuse, devant un tribunal correctionnel. Car
c'était inimaginable pour un juge ou pour un procureur dont le palais était dans
la proximité du siège de l'évêché. Ces personnes étaient évidemment sacralisées.
Il n'était pas imaginable qu'un prêtre se livre à de telles ignominies. Et partant de
ce postulat, des magistrats, pendant des années, se sont en partie volontairement
masqué les yeux. Et les dossiers de plainte, s'il s'en est trouvé, ont été
soigneusement tenus au frais avant d'être mis définitivement au frigo. Je pense
que c'est par les révélations récentes que la magistrature prend, au jour
d'aujourd'hui, une autre allure et une autre posture, dans laquelle il faut
évidemment l'encourager.
Elle a contribué, par une forme de passivité, une détermination – un peu comme
les trois petits singes qui ne veulent ni voir, ni entendre, ni dire –, à maintenir
ces personnes dans cet état de souffrance et à maintenir le couvercle sur la
marmite qui était pourtant en relative ébullition. Que faire? La première idée, et
c'est aussi celle sur laquelle s'est exprimé Me Chomé, est de dire qu'on va
rattraper ces personnes qui, il y a si longtemps, ont abusé de leur situation, de la
relation de confiance, de l'autorité qu'elles avaient sur des mineurs. On va faire
en sorte que, quel que soit le temps écoulé, ce temps ne comptera pas pour elles,
et ne comptera pas pour la rémission de leurs péchés. Je parle de l'allongement
de la prescription. On ne va pas l'allonger tous les quinze ans. La dernière fois
qu'on a allongé les délais de prescription, c'était par la loi de 1995, qui a porté la
prescription des crimes à dix ans. En novembre 2000, on a fait courir le délai de
prescription pour les abus à l'égard des mineurs à partir de l'âge de leur majorité,
que ce soit pour des problèmes d'attouchements ou des problèmes de viols. Dans
l'année qui vient ou dans cinq ans, on ne peut pas dire qu'on va rajouter un
wagon au train de la prescription. Ou alors, disons que les infractions des
articles 372, 373 et 375 sont imprescriptibles, ce qui n'existe actuellement, dans
notre État de droit, que pour les crimes de génocides. L'allongement de la
prescription qui permettrait, vingt ou trente ans plus tard, de rattraper l'auteur
des faits et de le conduire devant le tribunal – mais reste encore à voir lequel –,
n'est pas envisageable. Pourquoi? Parce que la prescription est une institution
juridique qui abrite l'ensemble des règles de droit, l'ensemble des corpus
225
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

juridiques. Il y a de la prescription en droit pénal, en droit social et en droit civil.


À un moment donné, les acteurs judiciaires sont confrontés à l'écoulement du
temps, qui est une réalité. Dans l'écoulement du temps, la victime s'est peut-être
reconstruite ou l'auteur des faits s'est complètement réhabilité. En effet, le temps
a permis de dédramatiser, a permis peut-être de pardonner. Il y a 36 000
circonstances, en raison desquelles la prescription doit, à un moment donné,
arrêter l'éventuelle procédure judiciaire, souvent, ou la procédure judiciaire en
cours. Intervient ensuite cette notion de droit, qui a pris un bel essor au cours des
dernières années: le respect d'une procédure judiciaire inscrite dans un délai
raisonnable. Il n'est pas facilement imaginable de juger une personne lorsque 10,
15, 20 années se sont écoulées, tant la vie de cette personne à l'époque était
différente de la vie qu'elle mène à l'heure actuelle. Je ne crois pas que la voie de
la prescription et de son allongement soit praticable. Le législateur a criminalisé
toutes les agressions contre les mineurs par la loi de novembre 2000. On peut se
demander la raison pour laquelle, le législateur prévoyant des crimes et donc une
juridiction pour les juger, on n'entend pas de procès évoqués par des cours
d'assises. Systématiquement, les parquets ou les juges d'instruction font
descendre la gravité extrême, le crime, voulue par le législateur, au niveau
inférieur du tribunal correctionnel. Dans quelle optique? Certainement pas pour
défaire le travail du législateur, qui voulait que l'affaire soit jugée comme crime
et par la juridiction spécifique, mais vraisemblablement dans le cadre d'une
politique criminelle qui tend non pas à la banalisation mais à la crainte de
l'encombrement. Imagine-t-on le renvoi systématique de ces dossiers, comme la
loi le prévoit, devant la cour d'assises? Dans ce cas, il faudrait modifier le Code
d'instruction criminelle. La cour d'assises ne serait plus une juridiction
temporaire, mais une juridiction permanente. Et dans chaque arrondissement, il
faudrait qu'elle siège de manière continue et, peut-être, la diviser en deux, trois
ou quatre chambres, qui jugeraient à jets continus, en quelque sorte, des crimes
d'abus sexuels. Est-ce la voie? C'est un regard un peu dirigé sur le passé
lorsqu'on évoque de rattraper les procès par le biais de la prescription, sur le
présent lorsqu'on présente l'éventualité de ne plus correctionnaliser, mais de
renvoyer les dossiers vers le juge que le législateur a désigné. Il me semble –
mais je le dis avec toute la modestie de cette expérience fragmentaire –, que la
solution d'avenir est de créer une structure un peu particulière, comme l'évoquait
Me Chomé il y a un instant, avec des modalités particulières: une structure avant
tout d'écoute, d'où ne ressort pas automatiquement l'orientation vers la
juridiction répressive. Pourquoi? Parce qu'écoutée, puis informée, puis, par le
biais de la réflexion personnelle, une personne qui serait en situation d'abus
sexuel pourrait choisir librement de ne pas donner de suite judiciaire pénale au
malheur qui lui est arrivé. Cette décision doit être respectée. Nous ne devons pas
contraindre quelqu'un à saisir la justice pénale, si elle ne saisit pas d'autres voies,
si cette personne se sent la force de caractère de dépasser l'épreuve qui lui a été
infligée grâce à ses ressources morales ou ses ressources psychologiques
226
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

personnelles. Cette structure particulière, qui aurait d'abord une fonction


d'écoute et d'information, devrait évidemment être dotée du personnel spécialisé,
placée sous une autorité qui en contrôle le fonctionnement et la régularité, mais
dont je ne vois pas facilement qu'elle puisse être ainsi surveillée ou contrôlée par
quelqu'un de l'ordre judiciaire, que ce soit le parquet ou un magistrat. En effet,
quand les magistrats ont connaissance d'un délit, ils doivent le dénoncer au
procureur du Roi; quand le procureur du Roi a connaissance d'un délit, il doit
poursuivre, hormis à faire jouer son pouvoir d'appréciation. Il convient d'arriver
à la mise au point d'un mécanisme qui permette aux gens de parler: cela
nécessite des adresses et, derrière ces adresses, des personnes formées à l'écoute,
neutres, qui reçoivent, entendent, expliquent, informent et partagent, le cas
échéant à travers un dialogue, l'orientation que le sujet veut donner au malheur
qui lui est arrivé. Une autre réforme à laquelle il faudrait peut-être songer à
donner corps, dont je ne suis pas du tout l'auteur, a été formulée de manière très
intéressante par un juriste distingué, M. Vandermeersch, qui a proposé de créer
ou d'instaurer, au même titre que la présomption d'innocence, la présomption de
victime. On peut faire un texte; la difficulté sera de le faire appliquer et de le
faire entrer dans l'esprit de ceux qui devront l'appliquer. À propos de la
présomption de victime entendue comme une forme de respect à l'égard de la
personne qui a été notamment victime de faits de mœurs, je vous lirai ceci:
"Lors de leur confrontation avec la justice, les victimes se plaignent
fréquemment de ce qu'elles se sentent infantilisées, déresponsabilisées et
dépossédées de leur plainte dans le processus judiciaire. La justice leur apparaît
comme une affaire de spécialistes dont elles se sentent exclues. Certaines
victimes ont même ressenti que leur parole était systématiquement mise en
doute par les acteurs judiciaires et qu'elles étaient même considérées comme les
premiers suspects de l'affaire. Une des revendications actuelles des victimes tend
à ce qu'elles soient placées sur un pied d'égalité avec les suspects dans le procès
pénal, notamment pour l'exercice de leurs droits. Afin de garantir un meilleur
respect des victimes dans le cadre d'un procès pénal, il apparaît essentiel de
développer, à l'instar de la notion de présomption d'innocence, celle de
présomption de victime. Ainsi, lorsqu'une personne s'adresse à la justice en se
déclarant victime d'une infraction, on doit lui reconnaître le droit d'être traitée
avec tous les égards dus à la victime tant qu'une décision judiciaire n'a pas
constaté que ses déclarations étaient contraires à la vérité. Il est primordial que
la personne qui se déclare victime et qui fait appel à la justice ait le sentiment
qu'elle est réellement entendue, c'est-à-dire que ses déclarations sont prises au
sérieux. Ce n'est qu'à cette condition qu'elle pourra, le cas échéant, accepter la
décision judiciaire finale, même si elle ne lui est pas favorable." Je cite mes
sources: Damien Vandermeersch a écrit ce texte en 2003. On peut dire qu'il n'a
pas eu jusqu'à présent un écho extraordinaire, en tout cas, je le pense, pas dans
l'esprit de ceux qui appliquent le droit au quotidien.

227
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

La présidente: Je vous remercie pour vos deux exposés. On reprendra de toute


façon les coordonnées du document que vous venez de lire. Avant de passer la
parole à mes collègues, je voudrais juste vous poser une question, maître Lothe.
On entend bien, et c'était une réflexion qu'a faite aussi M. Adriaenssens, qu'il
faut respecter le souhait de la victime de porter plainte ou pas mais la question
c'est si l'abuseur est évidemment toujours un danger pour la société. Il y a la
victime qu'il faut respecter et elle peut garder l'anonymat mais, à un moment
donné, il y a aussi une protection globale de la société qu'est censée faire un
ministère public et une justice. Je ne peux donc pas me soumettre à l'idée -et
j'aimerais bien que vous développiez cela – que c'est juste une relation
particulière entre un abuseur et une victime. On sait que l'abuseur fait souvent
beaucoup de victimes, ne se contente pas d'une victime. Il ne s'agit donc pas
d'une relation particulière entre deux êtres. C'est un problème pénal et donc aussi
un problème de protection de la société. Par rapport à la structure que vous
imaginez, il me semble qu'il y a la protection de la société qui est alors, à un
moment, mise à mal. Mais c'est une question particulière, nous y reviendrons.
Cette question me chipote un peu depuis le début de cette commission: on met
souvent la société et la protection de la société, c'est-à-dire les autres enfants et
les autres adolescents, sur le côté. Je vais laisser la parole à mes collègues pour
une série de questions. Vous y répondez puis nous ferons un huis clos.

Daniel Bacquelaine (MR): Maître Chomé, quand vous dites, parlant du prêtre
qui avait été lui-même abusé et qui par la suite se trouvait dans une situation de
fragilité dans son sacerdoce, qu'on a essayé de le psychiatriser et, en fait, on l'a
harcelé, j'aimerais savoir de qui vous parlez. Qui est le "on"? S'agit-il d'un cas
particulier ou, à votre connaissance, cela se réfère-t-il à une sorte de
systématisation? Ma deuxième question: vous avez parlé de non-enquête
pendant des années au sujet de l'attitude des parquets. Vous avez même dit
"plutôt de non-enquête". Là aussi, dans votre expérience, que tirez-vous comme
conclusion par rapport à la pro-activité ou simplement à l'activité des parquets
en la matière? Pour vous, vous semble-t-il que, globalement, il y a une tendance
à minimiser les faits et peut-être à faire en sorte qu'on classe très rapidement la
plupart des dossiers? Ma troisième question rejoint un peu la remarque de notre
présidente mais ma question s'adresse à tous les deux. Je trouve que, très vite,
lorsque l'on parle d'écoute de la victime qui est évidemment quelque chose
d'essentiel, on glisse vers une sorte de privatisation du cas. D'ailleurs, lorsque
j'ai entendu le professeur Adriaenssens en commission de la Justice, la question
que j'avais posée à cette époque c'était vraiment mettre en cause une sorte de
privatisation d'une fonction régalienne essentielle de l'État dans le cadre
notamment des accords qui avaient été passés entre le ministère public et la
commission Adriaenssens. Mais je pense qu'on peut aller plus loin par rapport à
cette constatation: chaque fois que l'on introduit une "écoute particulière", qui
sort donc du régime classique de la relation entre le parquet, la victime et le
228
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

suspect, n'y a-t-il pas un risque de finalement ne plus considérer, d'abord,


l'intérêt général et l'intérêt de la société et de faire en sorte qu'on permette à
l'avenir aux abuseurs de commettre de nouveaux faits parce que, quelque part,
on aurait obtempéré à un souhait de ne pas aller plus loin, qui ne viendrait pas
d'une non-enquête des parquets, mais d'une volonté d'une victime? Cela pose un
réel problème. Comment éviter cela dès que vous introduisez, par une fonction
que l'on peut appeler de médiateur, une personne chargée d'une écoute
particulière ou en tout cas de la prise en considération des problèmes des
victimes, même s'il s'agit d'un magistrat, et qui finalement serait une sorte
d'écran qui ferait que l'intérêt général de mettre hors d'état de nuire un abuseur
ne serait plus véritablement le premier objectif?

Sophie De Wit (N-VA): Mevrouw de voorzitter, ik dank de beide sprekers. Ik heb


een eerste vraag voor u beiden. U sprak van het stilzwijgen en de druk van de naasten
en van de Kerk. U gaf ook aan dat de politie soms onverschillig was. U gaf een
voorbeeld van een slachtoffer dat vier commissariaten moest bezoeken alvorens ze
ernstig werd genomen. U gaf ook aan dat het openbaar ministerie ook een klacht had
verloren. Mag ik dat zien als louter onverschilligheid of echte onwil? Is dat casuïstiek
of is dat een wederkerend verschijnsel in uw ervaringen? Meester Lothe zei dat
dossiers in de frigo werden gestoken. Er was een passiviteit bij Justitie. Hebt u in uw
ervaring met de dossiers eigenaardige zaken meegemaakt, bijvoorbeeld als een zaak
toch voor de rechtbank kwam en de samenstelling van de rechtbank plots veranderde
of dat het niet de gebruikelijke kamer was die zetelde? Hebt u dat ooit meegemaakt? Ik
heb nog een tweede vraag met betrekking tot de uiteenzetting van meester Lothe over
het idee van Vandermeersch in verband met een vermoeden van slachtofferschap. Ik
begrijp zeker de insteek daarvan, omdat het ingaat tegen het gevoel van het slachtoffer
om niet geloofd te worden. Ik vroeg mij af of u iets meer toelichting kon geven over
hoe dat in de praktijk verder verloopt. Hoe wordt dat geplaatst tegen het vermoeden
van onschuld van een dader? Wil dat zeggen dat het dan 0-0 of 1-1 is, dat men een
gelijkaardige bewijslast heeft? Of wil dat zeggen dat men een vermoeden van
slachtofferschap heeft en dat het vermoeden van onschuld bij de dader wegvalt? Kunt
u daarover meer informatie geven?

Christian Brotcorne (cdH): Madame la présidente, je voudrais tout d'abord


remercier nos deux intervenants de cet après-midi, qui nous ont donné un exposé
de qualité, et qui, pour moi, allait dans le sens de la mission de notre
commission: voir comment améliorer les choses par rapport à tout ce que nous
avons déjà entendu et qui est évidemment dramatique. Je ne suis pas loin de
partager votre opinion par rapport à la prescription. Mais il faut quand même
qu'à un moment donné, on puisse rattraper les auteurs. Vous nous avez dit ce que
vous pensiez de la prescription. Vous avez évoqué la notion de présomption de
victime. Vous avez évoqué ce centre ou ce point d'écoute qui pourrait être un
réceptacle neutre. J'aimerais pour ma part vous entendre – car vous l'avez abordé
en filigrane – sur la notion de non-assistance à personne en danger. On constate
229
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

quand même, dans ces matières-ci, qu'il faut du temps à la victime – parfois plus
de 40 ans – pour qu'elle puisse s'exprimer. Dans un tel cas, la prescription au
plan pénal est une évidence. Mais on se rend compte aussi que dans son
cheminement, la victime, à un moment ou à un autre – pas immédiatement après
les faits, pas non plus au moment où elle invoque publiquement ou devant le
monde judiciaire sa situation – a essayé d'en parler à l'autorité. Nous parlons
évidemment de ce problème dans le cadre d'une relation d'autorité. Et en
général, l'autorité, et plus particulièrement dans le chef de l'Église, n'a pas été
réceptive. Or, on se rend compte que la capacité de réaction à ce moment-là est
essentielle pour la victime, pour sa reconstruction, pour l'itinéraire
qu'empruntera son "dossier". Est-ce que, par le biais de la notion de non-
assistance à personne en danger, on ne pourrait pas "rattraper les choses",
substituer à l'auteur initial et véritable un autre auteur qui est l'autorité au sens
général et générique du terme, pour autant qu'on puisse bien l'identifier? Cela
aurait l'avantage que, dans un tel cas, on ne ferait courir un délai de prescription
que bien après les faits, même bien après que la victime ait atteint ses 18 ans.
Cela aurait peut-être aussi l'intérêt de responsabiliser ces autorités et leur faire
comprendre que quand elles sont saisies de ce genre de demande – on en revient
à la présomption de victime -, elles sont obligées, sous peine de se mettre elles-
mêmes en danger sur le plan judiciaire, de réagir adéquatement. J'aimerais
entendre votre opinion de praticiens par rapport à cette notion.

Stefaan Van Hecke (Ecolo-Groen!): Mevrouw de voorzitter, geachte sprekers, ik


heb drie concrete vragen. Ten eerste, hebt u als advocaat in de behandeling van zaken
contact gehad met de kerkelijke autoriteiten? Ik verklaar mij nader. Hebt u
bijvoorbeeld in bepaalde dossiers brieven verstuurd naar een overste, naar een
bisschop of hebt u bijeenkomsten gehad om het dossier te bespreken? Zo ja, wat waren
uw ervaringen daarmee? Verliep dat vlot of niet? Ten tweede, u hebt een voorbeeld van
onderzoek gegeven dat reeds heel lang aansleept en waarin u zelf ook de
procureurgeneraal in Luik hebt moeten contacteren. Mijn vraag is een beetje
gelijklopend met de vraag die reeds eerder gesteld werd. Duidt dit volgens u op een
slechte werking van Justitie, op een desinteresse van Justitie, zoals dat ook in andere
strafzaken gebeurt? Of is het wel vrij specifiek en uitzonderlijk in deze zaken van
seksueel misbruik in de Kerk? Of hebt u effectief aanwijzingen dat er inderdaad
tegenwerking is of bepaalde druk op bepaalde personen? Ten derde, het was toch wel
opmerkelijk dat ik van u, mijne heren advocaten, voorbeelden hoorde uit Namur. Is dat
toeval? Of is er een specifiek probleem in Namur? Wij hebben in de vorige zittingen
reeds over andere arrondissementen gehoord, u mag dus vrij zijn om daarover te
spreken, de naam van een aantal arrondissementen is reeds gevallen. Als er een
specifiek probleem is in Namur, waar ligt het dan? Ligt het bij een procureur, een
onderzoeksrechter, iemand van de zetel, een voorzitter? Kunt u ons daarover iets meer
vertellen, en ik begrijp dat u daarop zou antwoorden dat het achter gesloten deuren
moet besproken worden? Uit uw ervaringen, zijn er alleen problemen in Namur of hebt

230
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

u ook kennis van problemen in andere arrondissementen? Als u ons daarover wat meer
informatie zou kunnen geven, dat zou ons helpen in onze verdere werkzaamheden.

Marie-Christine Marghem (MR): Madame la présidente, tout d'abord, je


remercie les intervenants qui, avec leurs confrères néerlandophones, nous
donnent, avec toute l'émotion et l'empathie voulue, un profil des victimes que
j'estime très attachant et admirablement bien fait et qui nous renseigne, de façon
très précise, sur la souffrance encourue par ces victimes. La première chose qui
m'interpelle et qui ne m'étonne pas, c'est que finalement, ce genre d'affaires ne
viennent au jour que depuis quelques années. Nous nous posons la question de
savoir –et vous donnez, maître Lothe, une réponse troublante et glaçante –
pourquoi ces délits n'ont pas été poursuivis avec le professionnalisme qui
s'impose, même s'il y avait la peur de s'exprimer, la peur de conflits familiaux, la
peur de l'abusé d'exposer cette souillure au regard de tous, et pourquoi les
parquets ont mis ces affaires au frigo? La pratique est-elle encore d'actualité?
Lorsqu'on entend Me Chomé évoquer des plaintes qui ne sont pas prises dans les
commissariats, chose que nous connaissons tous les jours, sachant que l'avocat
est malheureusement, malgré tous les efforts, difficilement accessible et que l'on
ne pense pas nécessairement à le requérir pour déposer une plainte auprès d'un
procureur du Roi, parce qu'on n'a pas pu enregistrer une plainte auprès du
commissariat, c'est quand même un dysfonctionnement de l'appareil judiciaire et
de sa capacité à prendre en compte la poursuite et l'établissement des
infractions! u égard aux propos que vous avez tenus tout à l'heure, maître
Chomé, sur la non-assistance à personne en danger, vous parliez d'une procédure
civile fondée – corrigez-moi si je ne m'abuse – sur l'article 1382 du Code civil.
En effet, la procédure pénale, tout comme et même bien plus que la procédure
qui concerne l'abuseur et l'abusé dans le crime d'abus sexuels, se prescrit
relativement vite et, je suppose, est impraticable. Ou vous ne voyez pas
comment la mettre en pratique dans les dossiers dont vous êtes saisi. J'aimerais
que vous en parliez également, car dans l'esprit des victimes, j'ai compris, à leur
contact, que les choses n'étaient pas toujours très claires et que l'on s'attendait à
pouvoir incriminer pénalement l'autorité ecclésiastique par rapport à la non-
assistance à personne en danger, puisque la plupart des gens sont d'abord allés se
plaindre dans le "cercle familial" au sens large, à savoir auprès des autorités
ecclésiastiques. En ce qui concerne la prescription, j'aimerais que vous dressiez
à nouveau le parcours technique de la prescription, puisque l'article 21bis du
titre préliminaire du Code d'instruction criminelle précise que, pour les
infractions contenues dans les articles 372 et suivants, depuis 2000, la
prescription ne court qu'à partir de la majorité. Mais on dit aussi – et cela a été
ajouté en 2005 – que le délai de prescription restera celui d'un crime même si
c'est correctionnalisé. Que vouliez-vous dire précisément tout à l'heure au sujet
de cet aspect de la longueur de la prescription?

231
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Renaat Landuyt (sp.a): Heren advocaten, en in het bijzonder de heer Chomé, ik


wil een paar concrete vragen stellen. Ik heb begrepen dat u nog bezig bent met
een burgerlijke procedure in naam van de heer Joël Devillet tegen monseigneur
Léonard. Ik veronderstel dat wij daarover meer kunnen vernemen achter
gesloten deuren, tenzij u of de heer Devillet, gelet op zijn boek en zijn website,
geen problemen hebt met publieke verklaringen. Is de houding van monseigneur
Léonard sedert april 2010, toen dat de bisschop van Brugge bekentenissen heeft
afgelegd en er een groter begrip voor de slachtoffers is gekomen, in het lopend
dossier veranderd of dezelfde gebleven? Is er in verband met de discussie over
therapiekosten die in het dossier, maar ook in andere dossiers werd gevoerd met
de commissie-Adriaenssens, ooit enige beweging geweest? Ik herhaal de vraag
van collega’s, maar ben een beetje directer. U hebt heel wat ervaring met
procedures. Zijn er u tussenkomsten bekend, uitgaand van kerkelijke
autoriteiten?

Olivier Deleuze (Ecolo-Groen!): Madame la présidente, j'ai deux questions à


poser à Me Chomé et Me Lothe. C'est à travers les cas individuels que nous
essayons de voir s'il existe un système ou un fonctionnement systémique. Ma
première question concerne le nom que vous nous avez cité, maître Chomé, à
savoir M. Lievens, psychiatre, psychologue. Ce M. Lievens, à votre
connaissance, est-il employé par les autorités de l'Église et également dans
d'autres cas? Peut-être avez-vous connaissance de l'identité d'autres personnes
que les autorités de l'Église emploieraient pour rencontrer les victimes des
abuseurs, et éventuellement soit les écouter soit leur faire passer un message de
la part de ces autorités de l'Église?À votre avis, y a-t-il quelque chose qui
pourrait être analysé utilement par notre commission? La deuxième chose qui
m'a frappé, c'est lorsque vous nous avez parlé de cet abuseur que vous avez
identifié via un cas. D'après ce que j'ai compris, cet abuseur n'a pas été écarté de
victimes potentielles; en effet, quelque temps après, si je vous ai bien compris et
je demande une confirmation, cet abuseur a fait une nouvelle victime. Est-ce
bien ce que vous nous avez dit: vous avez identifié une personne comme
abuseur, cette personne n'a pas été isolée de victimes potentielles et, d'une
certaine manière, par voie de conséquence, cette personne a été l'auteur de
nouveaux abus du même type?À votre connaissance, au moment où nous
parlons, cette personne est-elle toujours en contact avec des victimes
potentielles? Est-ce un cas isolé?

Laurent Louis (PP): Madame la présidente, maîtres, dans vos exposés, on


constate clairement qu'il y a un manque total de volonté de répondre à la
souffrance des victimes, tant au niveau de l'Église que de la police ou de la
justice. Il est vrai que, plus les témoignages se succèdent, plus les filtres
semblent être multiples et les modes de pression variés. Selon vous, ces filtres et
ces pressions sont-ils organisés, institutionnalisés? En ce sens, peut-on déduire
232
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

des différents dossiers que vous avez eu à traiter une sorte de système ou de
réseau (en Belgique, on n'aime pas beaucoup ce mot) organisé afin que ces actes
demeurent impunis? Pensez-vous qu'il soit possible que de tels faits restent
impunis, voire même non poursuivis sans qu'il n'existe un véritable système
organisé qui participe à la commission de ces abus ou du moins à la non-
assistance à personne en danger? Dernièrement, j'ai été contacté par la victime
dont vous avez évoqué succinctement les souffrances et le quotidien au sein
même de l'Église. Cette Église a couvert les abus qu'il a subis, on ne peut pas
dire le contraire. Et en entendant son témoignage, ses confidences, on voit
clairement que les plus hauts responsables de l'Église, que ce soit Mgr Harpigny,
Mgr Danneels ou Mgr Léonard, devaient au moins être au courant de ces actes
et qu'au lieu d'entendre la souffrance de la victime et de sanctionner, voire de
dénoncer à la justice les faits de l'abuseur, ils ont préféré exercer une pression
sur la victime, sur ce prêtre abusé, afin qu'il cesse de parler de ces faits. On voit
que dans ce cas précis, l'Église ne peut pas réfuter d'avoir été au courant des faits
et des actes commis par l'abuseur. Elle n'a malheureusement jamais voulu y
apporter de réponse. Selon vous, maîtres, ces hauts responsables pourront-ils un
jour être poursuivis pénalement ou civilement? Pouvez-vous retrouver, parmi les
différents dossiers que vous avez eus à traiter, une convergence au niveau des
personnes qui ont tenté – et, il faut l'avouer, ont souvent réussi – à étouffer ces
abus en faisant bien souvent passer les victimes pour des malades et les abuseurs
pour des victimes. Au niveau des services de police, dont vous avez évoqué les
errements en ce qui concerne le traitement des plaintes, pointez-vous plus une
mauvaise volonté de leur part ou une mauvaise formation des policiers de terrain
pour recevoir et traiter ces plaintes d'abus sexuels? Ou pensez-vous qu'il ait pu y
avoir des injonctions au niveau des supérieurs pour qu'on traite de cette manière
et avec une telle désinvolture des cas aussi graves et aussi particuliers? Je me
pose cette question car tant dans l'affaire Dutroux que dans les scandales de
pédophilie que nous connaissons aujourd'hui au sein de l'Église, on semble
retrouver les mêmes mécanismes, les mêmes errements et les mêmes échecs.
Doit-on penser – et ce serait grave – que notre système judiciaire est aussi
défaillant? C'est une question que je me pose. Et est-ce, selon vous, une pure
coïncidence? Dans l'affirmative, ce serait inquiétant car cela voudrait dire que
l'on n'a pas tiré les conclusions de cette horrible affaire Dutroux et
qu'aujourd'hui encore, on répète les erreurs du passé. Mais ce qui me trouble
aujourd'hui, c'est qu'on ne peut quand même que constater au niveau des
différents services de police et au niveau de la justice, qu'il y a une nette
amélioration au niveau du traitement des victimes d'abus sexuels. On voit que
d'énormes progrès ont été réalisés, mais bizarrement, quand il s'agit de
poursuivre des abus sexuels au sein de l'Église, notre justice semble redevenir
inefficace. Comprenez que je me pose quelques questions et je pense que vous
pourrez nous éclairer. Pensez-vous possible par exemple qu'il y ait eu des
injonctions du ministre de la Justice dont les liens étroits avec l'Église ne sont
233
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

plus à démontrer depuis qu'il a offert à cette dernière de pouvoir bénéficier d'une
justice, ou plutôt d'une injustice, privée parallèle? En ce sens, voyez-vous dans
les dossiers que vous traitez une différence de traitement en cas d'abus sexuel au
sein ou en dehors de l'Église?

La présidente: Un autre avocat est venu devant nous et a parlé de la possibilité


– il a même demandé l'autorisation à son barreau – de faire une class action pour
l'ensemble des victimes qui s'étaient constituées partie civile devant lui. Il s'agit
de Me Van Steenbrugge. Pensez-vous que ce soit une possibilité pour toutes ces
victimes d'obtenir des dommages et intérêts? Il nous a expliqué ce qu'il avait
demandé à son barreau concernant toutes ces affaires. Je pense que la question
que beaucoup de parlementaires se posent est de savoir si dans les cas que vous
traitez, il y a une différence de traitement entre arrondissements judiciaires? Je
ne sais pas s'il est facile pour les avocats d'avoir des affaires dans plusieurs
arrondissements mais peut-être en discutez-vous entre collègues Pour le dire
plus délicatement, y a-t-il une certaine connivence et proximité sociologique
entre des magistrats et des personnes de l'Église qui ont entraîné un traitement
relativement différent de ces affaires? Je vais vous laisser répondre aux
questions auxquelles vous voudrez bien répondre publiquement. Si vous nous
demandez le huis clos, je pense que l'ensemble de la commission l'acceptera.

Pierre Chomé: Je vais essayer de n'oublier aucune des questions posées. Je vais
vous raconter une anecdote qui a tout son poids dans le cadre de ce débat. Lors
d'un débat télévisé, je me suis retrouvé face à Mgr Harpigny. Le journaliste lui a
demandé s'il allait demander pardon. Il répond: "Non, parce que si on demande
pardon, on va payer!" Il ajoute qu'il n'était pas dans cette problématique et qu'il
ne se sentait donc pas responsable. Je l'interpelle en lui disant que le fait que les
autorités demandent pardon pour des drames que des citoyens ont pu subir est
un phénomène planétaire. Même Gordon Brown a demandé pardon aux familles
irlandaises pour le fait que des soldats britanniques ont tiré sur la foule dans les
années '70. Gordon Brown n'était pas aux affaires à ce moment et cela n'a pas
coûté plus cher au gouvernement britannique d'avoir fait ce geste symbolique,
essentiel pour les victimes. Je peux vous annoncer que j'étais très heureux de
mon intervention car, le lendemain, il a dit à la télévision ou à la radio: "Comme
l'a dit Me Chomé, je vais demander pardon!" J'ai quand même réussi quelque
chose, de manière tout à fait modeste. Monsieur Bacquelaine, le "on" n'est pas
indéfini. Il s'agit d'une série de personnes identifiées, responsables de la
hiérarchie ecclésiastique auprès de qui ce prêtre s'est plaint. Il leur a même
demandé d'être délocalisé car il était dans le même diocèse que son abuseur et
qu'un ami de son abuseur qui avait un comportement particulièrement ambigu à
son égard. Ce prêtre parlait de scènes qu'on ne peut pas inventer. Son supérieur
lui demandait de faire un débriefing de sa semaine en fonction des différentes
paroisses. Après un dîner tout à fait convivial, ce prêtre lui a sauté dessus
234
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

physiquement. C'est une situation assez étonnante. Je suis un peu inquiet de


certains conseils des autorités de police puisqu'il a été convoqué pour une
réunion diocésaine et la police lui a dit de ne pas y aller. J'ai dit que je n'étais pas
d'accord avec lui car il risquait de tomber dans le piège. Je lui ai dit que si cette
réunion avait pour vocation de discuter de missions paroissiales, c'était son
métier et qu'il fallait y aller. Mais s'il était interpellé à titre personnel sur ses
choix procéduraux, je lui ai dit de me prévenir et que j'allais envoyer un courrier.
J'ai écrit plusieurs fois au supérieur de ce prêtre et je n'ai même pas eu un accusé
de réception. Voilà où nous en sommes. Très récemment, ce supérieur
hiérarchique a décidé d'organiser un genre d'audition, comme s'il était policier.
Je ne sais pas où cela s'inscrit juridiquement ou en droit canon, dont je n'ai pas la
compétence d'analyse. Lors de cette audition, les phrases se terminaient souvent
par: "Vous convenez avec moi que je n'étais pas au courant" ou "Je ne savais pas
du tout ce qu'il se passait". J'ai l'impression qu'il s'agit d'une forme de parapluie
ouvert dans le cadre de cette audition, dont je ne connais pas les suites. J'ai reçu
copie et je verrai s'il y a quelque chose à en faire sur le plan judiciaire. Autre
question, qui répondra finalement à plusieurs de vos interpellations: est-ce qu'on
banalise? Il existe trois hypothèses. C'est un peu ce qu'on s'était posé comme
question à l'époque des tueries du Brabant: pourquoi n'arrivait-on pas plus loin
dans le cadre des enquêtes? J'en avais discuté avec un procureur. Il m'a dit qu'il y
avait trois choses: d'abord, ce qui est peut-être moins criant ici, c'est-à-dire une
forme d'incompétence. Ici, les faits ne sont pas particulièrement compliqués,
exigeant des devoirs d'enquête particulièrement sophistiqués. On l'exclut. La
deuxième est la question extrême de se demander s'il n'y a pas une forme de
"pieuvre", le phantasme de l'affaire Dutroux, sur lequel j'ai toujours crié au loup
quand il en a été question; la deuxième commission parlementaire m'a donné
raison à l'époque. Je n'y crois donc pas. Le véritable problème qui se pose, dans
une partie de la magistrature, c'est une forme d'autocensure. On a parlé du tabou
du prêtre, comme le disait Me Lothe; il y a aussi des magistrats (et j'aurais
tendance à dire des "hauts magistrats") qui se disent: à ça, on ne touche pas; on
ne peut pas croire, cela dépasse notre entendement, notre culture, notre
éducation. Sauf s'il s'agit d'une situation d'horreur absolue et qu'il n'y a pas
moyen de faire autrement. Quand il s'agit de situations de huis clos plus ténus à
cause des éléments détenus, comme la parole de l'un ou la parole de l'autre, et vu
le temps, le défaut d'ADN ou de traces de sperme, tout ce qu'on peut imaginer
dans des enquêtes de faits de mœurs, ils disent "on ne touche pas". Selon moi,
c'est véritablement un fait. J'ai déjà été frappé – j'y viendrai plus longtemps à
huis clos –, vu de l'extérieur, par le zèle extraordinaire dont le parquet général de
Bruxelles a fait montre dans le cadre du dossier De Troy. Qu'on vérifie si, dans
un dossier, il n'y a pas une branche pourrie qui pourrait gangrener tout le dossier
et que cela se termine par une irrecevabilité éventuelle de poursuites si des gens
devaient être poursuivis, tant mieux! Mais alors, qu'on le fasse dans tous les
dossiers! Vous voyez des inégalités, des violations de principes fondamentaux
235
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

qui sont de plus en plus écartés dans une forme de finalité des poursuites où tous
les moyens sont bons. Le crime fait que notre justice court à sa perte; la fin
justifie les moyens. On couvre tout: on couvre des perquisitions illégales, des
écoutes téléphoniques illégales. Moi, en tant que démocrate, après 32 ans de
métier, cela me terrorise. Nous avons là un phénomène très inquiétant. À côté de
cela, dans un dossier qui pourrait être un dossier comme un autre, du jour au
lendemain, on assiste, tout à coup, à tort ou à raison – le problème n'est pas là –
à une intervention "commando" – dirais-je – et le dossier de M. De Troy est
soumis à la censure de la chambre des mises en accusation. Demandez-leur
pourquoi on ne procède pas de la même manière dans les dizaines de dossiers
qui mériteraient pourtant que l'on se penche sur le cheminement de la procédure
et sa régularité. L'idée d'une forme d'écoute professionnelle et publique – il s'agit
de deux choses essentielles – n'est pas du tout liée à une forme de privatisation.
Nous nous inscrivons dans un système que l'on appelle "l'opportunité des
poursuites". Le procureur peut ainsi, sous réserve d'une mise à l'instruction,
décider s'il est opportun ou non d'aller plus loin. On pourrait même imaginer que
cela puisse être le fait non pas d'un procureur, mais un collège de trois
procureurs pour donner une garantie supplémentaire. La victime vient raconter
une histoire très ancienne pour laquelle on peut vérifier s'il y a eu ou non
récidive. Un premier filtre est alors mis en place. Si on apprend qu'il ne s'agit
pas d'un fait isolé, grave et dramatique, mais qu'il y a eu récidive et que l'auteur
à continuer à trouver "de la chair fraîche", il n'y a pas de raison que les
poursuites ne soient pas engagées de manière diligente et musclée. Par ailleurs, à
l'instar de ce qui se fait dans le cadre du grand banditisme – les lois ont été faites
en ce sens –, on pourrait imaginer une forme de témoins anonymes. Il pourrait
s'agir de témoins protégés qui relèvent de sphères du droit pénal différentes avec
des révélations lourdes de conséquence et la protection de l'identité de la
personne. En outre, cela permet d'avoir une forme d'avis. Ainsi, la victime ne
reste pas dans l'inconnu. Le procureur du Roi pourra faire savoir que tout ce qui
est dit, sous réserve de faits plus récents, est prescrit. Il procèdera à des
vérifications, en tant que garant de la sécurité et de la légalité en Belgique. Si les
faits sont prescrits, l'intéressé saura, par exemple, qu'il y a une possibilité de
voie civile. Il sera également informé du fait qu'il existe aussi une voie
thérapeutique. Il sera alors invité à choisir son propre thérapeute. Autrement dit,
celui-ci ne lui sera pas imposé partant du principe que c'est absurde et inefficace.
Je crois véritablement qu'un problème se pose au niveau de la gestion des
dossiers de mœurs pas les parquets. Il se pose d'autant plus quand il est question
d'une relation abuseur masculin-victime féminine. En effet, avec la science
terrible de la victimologie, on a le sentiment que certaines victimes ont pu
provoquer la situation. On se retrouve parfois – et c'est horrible – face à des
jeunes filles qui sont enlevées, abusées, etc. Et puis, leurs parents viennent vous
voir et vous apprennent que l'on a dit au "bonhomme", qui a été identifié grâce à
sa plaque d'immatriculation, de rentrer chez lui et d'être prudent la prochaine
236
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

fois. Vous vous imaginez! Donc, le bonhomme a l'impression d'une forme


d'impunité et, lors d'une prochaine soirée arrosée, il choisira une nouvelle proie
et occasionnera un nouveau traumatisme. Pour moi, un véritable problème se
pose quant à la gestion de ce type de dossiers au niveau de plusieurs parquets.
Dans les dossiers dont je vous parlais tout à l'heure et qui patinaient après
l'intervention du parquet général, j'ai eu des échos qui me faisaient penser à la
banalisation d'une situation: "Ce n'est quand même pas une des affaires les plus
importantes que l'on puisse imaginer!" Oui, dans la logique de statistiques
criminelles ou d'une politique criminelle globale, mais dans le chef de la
victime, ce sont véritablement des stigmates qui ne s'effacent pas et le temps ne
sert à rien! Alors qu'il y a plein d'autres situations, pour lesquelles les victimes
"font leur deuil" et remontent la pente. Dans le cas présent, la situation n'est pas
aussi claire et aussi évidente à cet égard. Qu'en est-il de l'idée bien évidemment
de cette situation de statut de présumée victime? La loi Franchimont a voulu
aborder cette question en créant un genre de personnage hybride, qui n'a aucune
consistance juridique, car il n'y a pas de conséquences à ce qu'on en fait ou pas:
la personne lésée. C'était très généreux au départ, mais la "personne lésée",
-passez moi l'expression! – chacun s'en fiche! On oublie de l'avertir, on ne lui dit
pas que le dossier est clôturé, on ne lui dit pas que le bonhomme est poursuivi,
etc. Par conséquent, si elle ne fait pas le pas de se constituer partie civile, donc
de mettre l'artillerie lourde en route en se rendant chez un juge d'instruction, on
va l'oublier complètement et le statut qu'on a voulu pour une personne, qui veut
être reconnue dans sa souffrance sans vouloir nécessairement ouvrir un front
contre l'auteur des infractions chez les victimes, cela ne marche pas du tout, du
tout, du tout! En France, vous avez plusieurs dossiers d'abus sexuels qui sont
jugés devant des cours d'assises. C'est peut-être cruel pour la victime aussi, car,
même si c'est contraire à tout ce que chacun prétend, dans notre système et le
système français analogue, ce n'est jamais le procès des victimes: un procès
pénal est le procès des auteurs présumés d'infraction et les victimes sont
agrippées à ce procès pénal. Elles essaient de faire entendre leur voix, mais
souvent, elles se sentent parfois davantage mises en cause que le bonhomme qui
est dans le box et qui doit répondre des faits. De toute évidence, aller vers le
sommet de la criminalité, c'est-à-dire devant les cours d'assises, aurait, dans
certains cas qui seraient répétitifs ou emblématiques, un effet pédagogique et
dissuasif. Il faut aussi savoir qu'autant on trouve parfois une forme de
complaisance ou d'indifférence chez les magistrats professionnels, autant le jury
populaire ne supporte pas ce genre de choses. Très souvent, lorsque vous
regardez statistiquement, par rapport à des réquisitions d'une peine moyenne, le
jury populaire va se retrouver au-dessus parce qu'il considère que – on a parle de
tabou – il y a des gens qui ne peuvent pas se défendre, qui sont jeunes et qu'on
ne peut pas y toucher, c'est tout. Si on y touche, on en paie les conséquences. Il y
a eu des politiques criminelles un peu bricolées dans certaines cours d'assises où
on envoyait des dossiers qui étaient correctionalisables. Il y a eu toute la
237
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

politique de Charleroi où, vu l'ampleur de la délinquance violente, on envoyait


des dossiers qui étaient sans morts, sans conséquences irréversibles d'invalidité,
etc. parce qu'on voulait faire des dossiers chocs. C'était ce qu'on appelle des
dossiers de tiger kidnapping, etc. Cela pose un problème bien évidemment de
logistique parce que cela veut dire qu'il y a plusieurs personnes qui sont là, il y a
plusieurs affaires différentes, cela coûte de l'argent, cela mobilise énormément
d'énergie, etc. mais cela donne, au niveau de la répression, une toute autre
dimension en ce qui concerne les peines. Ce sont des faits qui auraient pu être
banalisés devant des juridictions correctionnelles, qui étaient correctionalisables,
mais qu'on n'a pas voulu comme tels. Je crois qu'il y a eu certains signaux forts,
à tort ou à raison, qui ont été lancés à travers tout cela. Il est évident que, dans
les situations d'abuseurs – puisque je ne crois pas à des systèmes de réseau -, on
n'aura pas cette difficulté de 4, 5, 10, 15 prévenus ou accusés comme on le
trouve dans des dossiers de grand banditisme. En ce qui concerne la question de
pressions du ministre de la Justice, quel que soit le bricolage de son pacte avec
la commission qui me paraissait terriblement dangereux, franchement, je n'y
crois pas parce qu'il y a trop de personnalités différentes au sein des différents
parquets. Nous savons que l'injonction négative serait totalement illégale et
qu'elle aboutirait à un scandale sans pareil. Je crois qu'il n'y a peut-être pas de
demande, comme cela se fait dans certains domaines, de priorités dans les
politiques criminelles. C'est ça aussi le problème! Vous avez le Collège des
procureurs généraux qui, effectivement, a ce droit de définir des politiques
criminelles. Je suis parfois sceptique dans la manière dont on définit les
politiques criminelles puisque quand vous voyez dans les plans quinquennaux…
Je prends un exemple qui paraît finalement assez dérisoire au niveau du résultat
par rapport à l'idée noble du départ: la traite des êtres humains. J'ai fait une
conférence il n'y a pas longtemps sur la politique criminelle et j'ai vu que la
priorité, c'est la traite d'êtres humains. Et alors le parquet met "traite d'êtres
humains" sur n'importe quoi. Un type est avec sa petite amie, ils sont là sans
domicile et la fille fait un peu le tapin parce qu'ils n'arrivent pas à manger et cela
devient de la traite d'êtres humains. C'est bien, parce que quand le ministre vient
vous présenter ses dossiers: "Regardez ces statistiques, vous avez vu ce que je
fais!". Qu'on fasse une priorité, comme Mme Onkelinx l'avait fait à une époque
de la tolérance zéro en matière de coups et blessures intrafamiliales dans des
couples, et bien je vous avoue qu'on sent la différence. Les parquets poursuivent
beaucoup plus facilement et les condamnations sont beaucoup plus lourdes. Il y
a donc un impact. Que le Collège des procureurs généraux définisse des
priorités! On a dit que certaines matières ne l'étaient plus du tout, comme la
consommation de stupéfiants, etc. Pourquoi pas? Cela me paraîtrait être une
mesure efficace et une pression qui pourrait jouer sur les parquets qui ne sont
pas motivés. J'ai repris tout à l'heure quelques chiffres. Je vois par exemple la
dame dont je vous ai parlé qui avait été abusée dans son domicile d'accueil puis
par un prêtre. Elle dépose une plainte en 1996. La chambre du conseil clôture le
238
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

dossier et renvoie les personnes devant le tribunal correctionnel en 1998. Deux


ans! Il y a un appel; la chambre des mises en accusation se repenche sur la
question six mois plus tard. Il faudra attendre 2001 pour qu'on déclare les faits
prescrits! Ce n'est pas normal. Cela signifie qu'on laisse planer une certaine
incertitude pendant cinq ans. Dans certains cas, vous avez des dossiers qu'on
peut juger en trois ou six mois. Dans des dossiers de mœurs, j'ai vu il n'y a pas
longtemps un dossier clôturé au bout d'un mois et deux mois et demi plus tard,
le type était condamné et commençait à purger sa peine et à payer sa dette.
C'était simple pour tout le monde. La victime a pu tourner une page; elle était
reconnue en tant que victime et le bonhomme, pour peu qu'il ait des chances de
réinsertion, a commencé à reconstruire son avenir, ce qui est très difficile tant
que vous n'êtes pas jugé!
Pour répondre à M. Van Hecke, en ce qui concerne l'intervention des autorités
judiciaires dans les affaires pénales, je n'y crois pas. Je crois plutôt – je vous l'ai
dit –à une forme d'autocensure de certains magistrats en fonction de leurs
attirances philosophiques ou religieuses. Je crois qu'ils se gardent effectivement
mais en même temps se méfient très fort. Je disais qu'ils ne répondaient pas à
des courriers qui mériteraient au moins un accusé de réception, comme certaines
autorités publiques peuvent le faire, c'est selon moi leur politique jusqu'à
présent. La véritable explication est une gestion désastreuse de la crise qu'ils
vivent. Il est évident qu'avec un peu plus de compassion et un peu plus
d'ouverture d'esprit, je crois qu'on n'en serait pas là aujourd'hui. Y a-t-il certains
arrondissements plus ciblés que d'autres? Je relève ici à plusieurs reprises des
problèmes au niveau de Namur. Je n'en tire pas de conclusion, même si Mgr
Léonard a été évêque dans la région. Je note que l'affaire, où j'ai mentionné un
délai de cinq ans pour dire à cette dame que les faits étaient prescrits, se passait
à Charleroi, comme quoi il n'y a pas que Namur. Je n'ai pas de cas au niveau de
Bruxelles pour le moment. Il faut aussi dire que dans ces grands arrondissements
les sections de mœurs sont beaucoup plus professionnelles. Autant il y a un
grand arriéré judiciaire, autant les dossiers de mœurs sont jugés, en l'absence de
détenu, dans un délai d'environ un an alors que pour d'autres affaires, sans
détenu, on est à des délais de deux à quatre ans. Pour répondre à M. Deleuze, je
dirai que le Dr Lievens est le Pr Lievens. Je ne le connais pas personnellement,
mais pour moi, c'est un grand professeur et un grand psychiatre. Je l'ai vu en tant
qu'expert dans des dossiers qui sont totalement étrangers à notre préoccupation
aujourd'hui. Et la question que je me pose et que j'ai essayé de lui poser et à
laquelle il n'a pas répondu est la suivante: à quel titre reçoit-il une victime? La
reçoit-il pour l'examiner? Pour l'expertiser? La victime sait-elle pourquoi elle
vient? Elle accepte l'ordre lui disant d'aller voir le Dr Lievens et de se soumettre
à lui. Est-ce qu'il est là pour essayer de donner des arguments à certains hauts
responsables de l'Église du genre: cette personne, il est normal qu'elle soit
tombée sous l'affection de (…) parce qu'elle est fragile, etc.? Est-ce parce qu'elle
fragile que les choses sont arrivées ou la fragilité vient-elle de ce qu'elle a vécu
239
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

dans son adolescence? Mais ceci est un autre débat. Donc, le Dr Lievens est
quelqu'un pour qui, au départ, j'ai du respect de par les missions dans lesquelles
j'ai pu le voir à l'œuvre. Mais dans ce cas-ci, je me demande s'il n'est pas, lui,
tombé dans une forme de piège. J'en viens au fait qu'on n'écarte pas la personne.
Vous avez bien entendu, monsieur Deleuze. C'est la réalité. Il y avait une
demande de la part d'une victime, qui était d'au moins éviter qu'il y en ait
d'autres après lui. On lui a répondu: "bien sûr, on va le faire." On a retrouvé
l'abuseur avec une mission de curé auxiliaire, c'est-à-dire une sorte de curé
"intérim", qui faisait des remplacements. Un autre cas – une personne qui veut
rester aussi loin que possible des feux de l'actualité parce que tout cela la touche
dans sa vie personnelle – concerne un enfant de village. J'ai relu sa déposition ce
matin avant de me présenter devant vous. Il cite 10 autres enfants qui pourraient
être des victimes potentielles. En fait, le curé en question, qui est en aveux dans
la première affaire – il n'y a donc pas de problème de présomption d'innocence,
puisqu'il reconnaît dans le cadre d'une procédure interne à l'Église qu'il a fait ce
qu'il ne fallait pas faire -, avait installé une batterie de PlayStation, Gameboy,
etc., dans un petit village;il s'agissait du luna park local. Vous pouvez imaginer
que dans ce lieu, on ne faisait pas que jouer à des jeux vidéos – qui en soi sont
déjà nocifs -, mais qu'il se déroulait des choses bien pires. Et dans ce dossier qui
est toujours en attente à Namur, d'autres victimes pourraient peut-être être
identifiées à travers l'enquête, pour autant qu'elle ait été faite. En ce qui concerne
les problèmes de prescription, je suis d'accord avec vous que les choses ont été
améliorées en 2005 en permettant, pour une série d'infractions extrêmes d'aller
jusqu'à dix ans devant les juridictions correctionnelles. C'est un bien énorme; il
permet de ne pas changer le chiffre pour toute la délinquance classique. Au
niveau de l'application du principe de la responsabilité classique, donc l'article
1382, la non-assistance à personne en danger, il s'agit d'un délit très peu
sanctionné: le maximum possible est d'un an de prison. La peine a été
augmentée il y a quelques années dans un souci parlementaire de solidarité: on
est passé de six mois à un an. Cela fait encore très peu comme conséquence. Le
problème que je soulevais tout à l'heure, c'est que cette non-assistance, à mon
sens, est contemporaine des faits d'abus. Si, après, on vient raconter quelque
chose, je vois mal, même si c'est choquant moralement parce qu'on n'a rien fait,
comment considérer qu'il y a une véritable non-assistance à personne en danger.
Parce qu'il faut que le danger soit concomitant avec les abus. Cela veut dire que,
s'il y a déjà un risque majeur de prescription pour l'abuseur, il y a un risque pour
tous les gens qui auront saboté, ignoré ou laissé faire pendant toute une période.
Ce n'est pratiquement envisageable que si l'on a des faits relativement proches et
que ces faits permettent aussi à la fois d'identifier telle ou telle autorité – ou tel
membre de la famille si l'on sort du cercle de l'Église – et que des poursuites
puissent être concomitantes. La situation est plus compliquée au niveau des
aspects civils. Il faut savoir qu'au départ, la prescription civile d'une action
pénale était de 5 ans; cette prescription ne commençait à courir que quand
240
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

l'action pénale était terminée. Telle était la règle qu'on connaissait depuis
toujours. Vous avez donc un "sans suite" lorsque le procureur ne s'intéresse pas
au dossier; les 5 ans se mettent en route à partir de ce moment; ou pas d'affaire
pénale du tout: vous pouviez aller au civil. Au moment où le fait avait été
commis, il restait un délai de 5 ans. La Cour d'arbitrage, à l'époque, avait été
interpellée: ce n'était pas très normal que, parfois, pour des histoires banales de
la société, on puisse avoir des prescriptions trentenaires: on se plaint pendant 30
ans. Alors que, pour des faits généralement volontaires qui vous touchent bien
plus que des histoires de voisinage ou d'arbre, on n'a que 5 ans. La Cour
d'arbitrage a donc rendu plusieurs décisions considérant que la loi sur la
prescription civile découlant d'une infraction pénale était inconstitutionnelle
parce qu'elle créait une discrimination, selon les articles 10 et 11 de la
Constitution, entre des citoyens qui avaient une affaire civile classique (30 ans)
et des citoyens qui avaient une affaire civile découlant d'un fait pénal (5 ans). On
s'est donc retrouvés, pendant un certain moment, dans un flou. Et le législateur a
recréé une loi cohérente, en 1998, je crois. Il n'a pas été facile d'aboutir à cette
loi, parce qu'on avait tendance à laisser, dans tout ce qui concerne des atteintes
personnelles, des prescriptions plus ou moins longues. Mais il y avait, à
l'époque, des pressions de la part des lobbies des assurances, parce que derrière
tout cela, il y avait le contentieux des victimes d'accidents de roulage, c'est-à-
dire beaucoup d'argent à la clé. Ces dernières voulaient qu'on n'étende pas trop
les délais de prescription. On a donc créé la possibilité de se déclarer plus tard,
si on découvre une conséquence ou une faute médicale ou quoi que ce soit,
longtemps après une opération, par exemple. Et dans ce cas, la prescription
commence à courir plus tard. Donc, maintenant, c'est précis. Il y a une loi qui
s'impose. Elle pourrait être améliorée, notamment sur le plan de ce qui nous
intéresse aujourd'hui. Mais à côté de cela, il y a une période intermédiaire. Il
s'agit des dossiers qui n'ont pas été clôturés définitivement jusqu'à la loi de 1998.
Pour ces dossiers-là, à mon sens, comme il n'y avait pas de nouvelle loi – le
tribunal d'Arlon m'a suivi dans cet argument -, la prescription trentenaire
s'appliquait. La nouvelle loi ne pouvait en effet pas rétroagir. Par conséquent, les
victimes – elles ne sont pas très nombreuses, mais il y en a quand même
quelques-unes – pourraient se retrouver dans une procédure civile devant une
juridiction, un tribunal de première instance quelconque, à demander réparation,
à faire reconnaître symboliquement qu'elles sont victimes – ce qui, pour elles,
est essentiel – et, le cas échéant, à se faire indemniser de manière compensatoire
en fonction de ce que dirait une expertise médicale des séquelles qu'elles
subissent. Je pense avoir fait le tour des questions qui m'ont été posées.

La présidente: J'aimerais revenir sur le dédommagement. Je pense à l'affaire de


M. Devillet. Si j'ai bien entendu, un expert a défini 14 % …

Pierre Chomé: 16 %.
241
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

La présidente: … Oui, 16 % de …

Pierre Chomé: … de conséquences sur son intégrité physique et morale


découlant des agissements.

La présidente: Face à cela, l'attitude des autorités ecclésiastiques est de remettre


cela en cause. Et elles demandent une contre-expertise?

Pierre Chomé: Non. Il y a deux aspects: d'un côté, l'aspect prêtre qui, lui, nous
fait des propositions qui ne sont même pas dignes, selon moi, du règlement d'un
accident de roulage sans conséquences réelles. Je n'ose presque pas dire à M.
Devillet ce qu'il propose, parce que je trouve cela injurieux par rapport à des
barèmes qui ne sont pas issus de mon imagination, mais qui sont des barèmes
indicatifs que les juges de Belgique ont mis au point et qui nous donnent une
fourchette de discussion en négociations. Et, d'un autre côté, il y a une
interpellation à l'égard de Mgr Léonard, qui, pour moi, a été la suite de ce qu'il a
raconté, à savoir que les victimes seraient aidées dans leurs souffrances, c'est-à-
dire dans leur thérapie. Et la réponse est qu'on attend de voir ce qui va se passer
avec l'abuseur à Arlon et de revenir vers lui plus tard si nécessaire. Rien de plus.

Jean-Pierre Lothe: Madame la présidente, mesdames, messieurs, je vais


essayer de ne pas faire double emploi avec maître Chomé qui a été très complet
dans la réponse à l'ensemble des intervenants. Je reprends votre interpellation,
madame la présidente, et je la confonds avec celle de M. Bacquelaine. Nous
nous exprimons dans un temps très contraint. Nous n'avons évidemment pas le
loisir d'entrer dans le détail de l'évocation d'une commission ou d'une instance
d'écoute, éventuellement de tri. Il va de soi qu'il ne faut pas prendre la
proposition de la mise en place d'une institution d'écoute et d'information
comme étant une institution parajudiciaire qui déposséderait le pouvoir
judiciaire de ses prérogatives et de ses devoirs qui sont notamment les devoirs
de préservation de la société et de préservation de victimes éventuelles de
personnes qui ne s'arrêteraient pas dans leur parcours délinquant. C'est
évidemment une proposition qui est tout à fait brute et qu'il faut accompagner,
assortir de toutes les mesures qui lui permettraient de fonctionner d'une manière
efficace sans se substituer à des autorités judiciaires. Je voulais faire cette
réflexion. On imagine maintenant que, à la connaissance de vos travaux, il y a
peut-être combien, 500, 1.000, 1.500, 5.000 dossiers de victimes. Si une
institution d'écoute et d'information avait existé, il y a vingt ans ou il y a dix ans,
les parquets ne seraient-ils pas en charge de dossiers qui auraient pu déjà aboutir
devant les tribunaux, cour d'assises ou tribunal correctionnel? C'est quand même
extraordinaire que, du jour au lendemain, apparaissent 2.000, 3.000 dossiers qui
remontent – je vous ai donné l'illustration par le cas de cette personne – parfois à
40 ans. Cette personne dit: "Vous ne savez pas le nombre de portes qui se sont
242
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

entrouvertes mais où on ne m'a pas fait entrer". S'il y avait eu une institution
d'accueil de personnes qui se sentaient victimes de ces faits, qui avaient
l'intention de prendre des informations, qui avaient l'intention d'expliquer ce qui
leur était arrivé et de demander des références, un conseil, un guide, je crois que,
naturellement, la justice aurait pu bien mieux faire son travail parce que,
inévitablement, une partie considérable des dossiers ainsi évoqués par cette
commission lui aurait été déférée. Par quelle voie et sur quels critères? Tout cela
est un travail d'étude et de discussion. Il va de soi que les dossiers ne sont pas
uniformes. Un dossier d'abuseur n'est pas le dossier de l'autre abuseur. Tous les
abuseurs ne sont pas des abuseurs à victimes multiples. Un certain nombre de
critères auraient bien évidemment permis à cette commission de renvoyer
presque automatiquement, si certains critères étaient réunis, le dossier vers
l'intervention judiciaire. On peut l'imaginer dans certains cas, tout en laissant à
une victime majeure, à une victime qui est informée, à une victime qui a la
parfaite conscience de son préjudice et de la mesure qu'elle souhaite voir
prendre, une intervention dans l'orientation du dossier. Imaginons être en
présence d'une victime parfaitement instruite et informée, d'une personne dont il
est acquis qu'elle a été abuseur, mais que c'est un abus non classé parmi les abus
les plus graves, qui ne s'est jamais produit avec d'autres et que c'est un cas
unique; je pense qu'on peut ne pas nécessairement compromettre les intérêts de
la société en traitant ce cas d'une manière différente de celui d'un récidiviste
récurrent, qui multiplie les cibles, les proies et la recherche de la chair fraîche.
On s'est également interrogé sur la passivité des parquets. En effet, ils auraient
dus être informés, puisque les victimes finissaient par s'exprimer. Je vous
répondrai en me basant sur une expérience professionnelle propre à tous les
avocats amenés à s'intéresser à cette matière. En ce qui concerne l'audition des
victimes, on a effectivement fait des progrès tout à fait considérables, tout
d'abord en évitant de multiplier les auditions. Donc, on procède à une audition
filmée censée servir aux enquêteurs, à l'expert inévitablement désigné, l'expert
psychologique ou l'expert pédopsychiatrique, pour déterminer, par exemple, la
crédibilité du discours de l'enfant, de la victime. Elle servira, le cas échéant, au
tribunal correctionnel lorsqu'il aura à juger. Donc, une seule audition, qui évite
que l'enfant ne soit amené devant différents interrogateurs et ne revive la même
souffrance. Ces auditions filmées, nous les voyons. Et je puis vous porter
témoignage de ce que ce sont des moments très difficiles à vivre, car la parole de
la personne, de l'enfant, du mineur entendu est une parole noyée dans les
sanglots, accompagnée de tremblements par le seul fait de l'évocation de ce qui
s'est passé. Si une victime arrive à ce stade de la démarche judiciaire où des
enquêteurs spécialisés, qui ont reçu une formation particulière pour procéder à
ces auditions, l'auditionnent, je vous demande de considérer la difficulté pour
cette personne, d'initiative, d'aller dans un commissariat de police ou dans un
service judiciaire expliquer ce qui lui arrive. Déjà quand elle est dans le
processus judiciaire, c'est une telle difficulté – et on la voit sous les yeux – de
243
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

s'exprimer et d'évoquer cette souffrance qui a été épouvantable, qui pèse sur son
discours, qui pèse sur le choix de ses mots; qu'on s'imagine la difficulté d'un
enfant, d'un jeune qui est seul chez lui, avec des parents à qui il ne veut pas
parler parce que l'un des deux est un abuseur ou des parents à qui il n'ose pas
parler de ce qui lui est arrivé lors du cours de catéchisme, la difficulté pour cet
enfant de 15 ans, par exemple, de vaincre cette résistance, cette inertie et de dire:
"Je vais m'expliquer droit dans les yeux avec un commissaire de police". C'est
bien ce qu'il faut souhaiter qu'il arrivât, mais, malheureusement, les choses ne
sont pas comme ça, la nature humaine n'est pas comme ça: l'enfant, avec ses
moyens de défense, n'est pas comme ça. Il y a des pas qu'on ne peut pas
facilement demander à un enfant de franchir: parfois, on ne peut pas demander à
un adulte de le faire. On le constate. Enfin, je voudrais dire, à la décharge de
mes concitoyens, que je ne pense pas que Namur soit une terre particulièrement
exposée à la déviance sexuelle et aux manifestations multiples de paraphilie. Le
tribunal de première instance de Namur (ce n'est pas un secret) est installé dans
un fort beau bâtiment qui est l'ancien évêché de Namur et il reste peut-être des
fantômes, des fumigations… L'essentiel de ce qui a attiré dans notre propos
l'attention sur Namur, c'est que l'un des adversaires du client de Me Chomé,
l'évêque Léonard, a été évêque de Namur pendant plusieurs années et a
certainement marqué les esprits, non seulement de son clergé, mais aussi de ces
gens qu'il rencontrait à l'occasion des inévitables mondanités administratives et
politiques par la force de son caractère et l'impérativité de sa présence.

La présidente: Nous n'avons pas stigmatisé les Namurois, bien entendu! Nous
parlons d'un rapprochement entre une magistrature et une autorité ecclésiastique.

Jean-Pierre Lothe: Sur le dernier point, je rejoins tout à fait Me Chomé. Je n'ai
pas vu de la part des procureurs généraux une déclaration de guerre totale aux
abus sexuels. Si c'était le cas, cela se saurait! Comme cela s'est su pour la
violence intrafamiliale, zéro degré de tolérance; comme cela s'est vu pour les
trafics d'êtres humains où on a été très loin. Parfois, il est bon d'aller loin car
cela permet de nettoyer un certain nombre d'écuries mais ici, jusqu'à nouvel
ordre, en matière d'abus sexuels, on a l'impression, notamment dans le contexte
qui a institué votre commission, que les parquets se réveillent. Nous allons
suivre les affaires namuroises. Je vais suivre une affaire qui est à l'heure actuelle
à Neufchâteau et je verrai bien si l'on traite le dossier avec la célérité qui
convient compte tenu de l'effervescence utile, indispensable, qui accompagne
ces révélations et qui nous sidère.

Pierre Chomé: Je vérifiais ma liste de questions et je me rends compte qu'il y a


un ou deux points que je n'ai pas abordés. Vous nous avez demandé tout à l'heure
si on avait mûri les leçons de l'affaire Dutroux. Je vais dire qu'on les a mûris
pendant un certain temps, puis qu'on a malheureusement oublié et tourné la
244
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

page. Vu du côté judiciaire, ce séisme, que vous avez tous plus ou moins bien
connu, a provoqué une forme d'électrochoc: les juges se sont remis en question.
Comme il y avait des victimes qui attendaient parfois pendant des heures car les
juges ne savaient pas qu'elles étaient victimes, ils ont décidé de s'intéresser à ces
citoyens meurtris dans leur chair ou dans leur morale. J'ai vu une véritable
métamorphose des juges pendant tout un temps. Ensuite, on a assisté à des
phénomènes très impressionnants comme les 300 000 personnes dans la rue, etc.
J'ai eu le sentiment que le monde judiciaire considérait alors que le peuple
déraillait, qu'il devenait fou, et qu'il devait se retirer dans sa tour d'ivoire, fermer
le plus grand nombre de portes possible et recommencer comme avant. Ce
rendez-vous, qui pour moi était magique, d'une justice plus humaine et plus
interactive entre les victimes, les magistrats et parfois même des rapprochements
avec des auteurs, a été manqué. Il ne faut pas minimiser le côté de la médiation
pénale. Je vois parfois des choses extraordinaires. J'ai vu récemment une
personne qui a rencontré celle qui l'avait mitraillée il y a des années; elle ne
savait pas qui c'était et avait affirmé que si on lui présentait son agresseur, elle
lui tirerait une balle dans la tête. Le fait de connaître les raisons de l'agression a
été salutaire pour la victime. Elle savait ce qui lui était arrivé et ils sont partis en
se serrant la main. C'était au départ quelque chose d'absurde. Dans des histoires
aussi troubles et aussi sensibles que les histoires de mœurs où il y a eu chez des
abusés des sentiments, qu'ils n'ont pas compris tout de suite que ces sentiments
étaient trahis et avilis, peut-être y a-t-il une voie parallèle à suivre, voie pourtant
judiciaire, la médiation, qui pourrait aboutir à de très bons résultats. Pour
conclure ma réponse, vous m'aviez demandé si la police est mal préparée ou si
elle était de mauvaise volonté et je vous dirai qu'elle est de mauvaise volonté.
C'est clair et désespérant: elle est de mauvaise volonté. Et en milieu moins
urbanisé, s'y ajoute la proximité avec les auteurs présumés. Cela ne se fait pas
d'aller embêter le curé du coin avec qui on sympathise. Avec quelque chose de
plus spécialisé et un peu plus de distance, peut-être qu'on éviterait ce genre
d'écueil. Comme le disait Me Lothe, cela veut dire que plein de gens sont allés
jusqu'au commissariat et qu'ils ont été si mal accueillis qu'ils se disent qu'on ne
les y verra plus jamais D'une part, ces personnes n'arriveront pas à établir leur
souffrance et, d'autre part, il existe ce risque majeur qu'on a souligné tout à
l'heure, le risque de récidive si on ne dénonce pas les faits à temps.

La présidente: Nous allons passer à huis clos. J'informe le public et les


journalistes qu'il n'y aura plus de séance publique aujourd'hui. Je rappelle que
peut rester outre les membres un collaborateur par parlementaire.
La réunion publique de commission est levée à 16.30 heures.

245
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

COMMISSION SPECIALE RELATIVE AU TRAITEMENT


D'ABUS SEXUELS ET DE FAITS DE PEDOPHILIE DANS UNE
RELATION D'AUTORITE, EN PARTICULIER AU SEIN DE L'ÉGLISE

MERCREDI 22 DECEMBRE 2010


La séance est ouverte à 10.19 heures et présidée par Mme K. Lalieux.

Audition de:
– Mgr. André-Joseph Léonard, président de la Conférence des Évêques
de Belgique

La présidente: Messieurs les journalistes, je pense que vous avez une collection
de photos pour l'année! Je vais demander que chacun reprenne sa place. Nous
allons commencer nos travaux. Au nom de la commission, je remercie Mgr
Léonard de sa présence pour cette audition. Je serai très brève. Il y aura
sûrement deux parties, puisque vous avez d'abord été évêque de Namur pendant
près de vingt ans, et il y aura certainement une série de questions par rapport à
ce que vous avez fait lorsque vous étiez en fonction quant à la problématique des
abus sexuels au sein de l'Église. Et puis, bien entendu, vous êtes aujourd'hui
archevêque. On nous a bien expliqué que c'était un titre honorifique, mais quand
même… Il y aura aussi sans doute des questions sur votre rôle dans la
Conférence épiscopale et en rapport avec ce que vous aimeriez voir à l'ordre du
jour relativement à cette problématique des abus sexuels. Je ne serai pas plus
longue et vais immédiatement vous céder la parole.

André-Joseph Léonard: Mesdames, messieurs, mon intervention aura trois


niveaux puisque je suis entendu ici à un triple titre: celui d'archevêque du
diocèse de Malines–Bruxelles, ce que je suis depuis le 27 février dernier, celui
de président de la Conférence épiscopale belge depuis la même date et celui
d'évêque de Namur, ce que je fus du 14 avril 1991 au 18 janvier 2010.
Je crois utile de rappeler que l'archevêque de Malines-Bruxelles n'est à la tête
que de l'archidiocèse de Malines-Bruxelles. Il n'est en aucune manière
l'archevêque de toute la Belgique, laquelle compte huit diocèses avec un évêque
à la tête de chacun. Ainsi, par exemple, c'est simplement en tant qu'archevêque
de Malines-Bruxelles que dans mon homélie de Pâques, en cette année, face aux
scandales qui éclaboussaient l'Église catholique dans d'autres pays, j'ai dénoncé
fermement le manque de rigueur avec lequel, dans le passé, on avait parfois
traité certains cas d'abus sexuels sur des mineurs, préférant le silence et la
discrétion à l'honneur des enfants abusés.

246
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

En tant que président de la Conférence épiscopale belge, j’ai surtout un rôle


d’écoute et de coordination, parfois aussi d’inspiration, dans les divers domaines
qui touchent la mission de l’Église catholique. En ce qui concerne la
problématique des abus sexuels perpétrés au sein de l’Église, j’ai assumé ma
responsabilité en concertation avec les évêques référendaires en ce domaine,
désignés par la Conférence épiscopale, à savoir les évêques de Tournai et
d’Anvers, Mgr Harpigny et Mgr Bonny. C’est ainsi que, lors de la conférence de
presse du 13 septembre dernier, j’ai présenté en néerlandais et en français la
partie introductive du texte préparé, comme il se devait, par mes deux confrères.

Semblablement, c’est bien en tant que président de la Conférence épiscopale et


de ma propre initiative que, lors de la conférence de presse du 23 avril
annonçant la démission de l’évêque de Bruges, Roger Vangheluwe, j’ai lancé un
appel solennel aux victimes pour qu’elles osent se manifester et dénoncer les
sévices subis, en s’adressant prioritairement à la justice et, au cas où elles le
refuseraient, en recourant à l’écoute et à la compétence de la commission
présidée par le professeur Adriaenssens.

Je rappelle que cette commission avait pour but de recevoir les plaintes des
victimes, de leur rappeler la possibilité prioritaire du recours à la justice civile et
de donner un avis compétent et éclairé aux évêques et aux supérieurs religieux
afin que ceux-ci traitent ces douloureuses situations de manière adéquate.

Nous avions la ferme intention de suivre les injonctions de cette commission.

Pour en revenir à l'appel du 23 avril, je ne regrette vraiment pas cette démarche


vigoureuse accomplie au titre de ma mission de président de la conférence car
elle a permis à des centaines de victimes de prendre, enfin, la parole et d'être
honorées par l'écoute même de leur terrible récit.

Je regrette seulement que ce travail d'écoute, toujours précédé par le rappel du


recours prioritaire à la justice, ait été pratiquement anéanti par la perquisition du
24 juin et la saisie des dossiers confidentiels des victimes. C'est sans doute à
d'autres, désormais, qu'il appartient de regagner la confiance des victimes, de
leur prêter écoute et de leur rendre justice.
C'est encore en tant que président de la conférence épiscopale belge que j'ai
signé, avec tous mes confrères, la lettre du 19 mai dernier dans laquelle nous
demandions pardon, d'une part, aux victimes d'abus sexuels pour l'agression
subie et le traitement inadéquat de celle-ci et, d'autre part, aux proches des
victimes et à la société pour les séquelles humaines causées par ces abus,
démarche sans doute nécessaire sur le plan psychologique, même si elle
demeure ambiguë lorsque ceux qui la font n'ont pas euxmêmes perpétré ces
actes ou péché par négligence coupable dans leur traitement.
247
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Bien évidemment, ce sont toujours les abuseurs qui devraient prioritairement


demander pardon à leur(s) victime(s).

En tant qu’archevêque de Malines-Bruxelles, donc depuis le 27 février dernier,


je n’ai eu à traiter personnellement aucun cas de prêtre de mon diocèse. Le 2
juin, la commission Adriaenssens m’a fait parvenir une liste de vingt noms
d’auteurs présumés de faits répréhensibles, parmi lesquels cinq concernant des
personnes inconnues dans le diocèse, sept autres, des religieux sur lesquels
l’évêque n’a pas juridiction (et parmi eux deux décédés), trois autres, des prêtres
diocésains décédés, et quatre des prêtres diocésains en vie, tous retraités.
Concernant ces quatre prêtres, nous prendrons les mesures et sanctions
adéquates quand nous aurons eu accès à leurs dossiers actuellement saisis. Car,
je le précise, seul un nom et un prénom ont pu nous être communiqués par la
commission mais aucun document évaluant la nature, la gravité et le sérieux de
la plainte. À supposer même qu’il soit déontologiquement correct de le faire,
puisque c’est confidentiellement que les plaignants se sont adressés à la
commission Adriaenssens, il m’est donc impossible de transmettre ces dossiers à
la justice puisque c’est celle-ci qui les détient à la suite de la perquisition.

J’ai également reçu quelques lettres se plaignant de faits anciens, une bonne
dizaine environ. La plupart concernaient des prêtres appartenant à d’autres
diocèses ou des religieux. J’ai donc transmis ces lettres aux évêques ou
supérieurs religieux concernés et ai recommandé aux plaignants de s’adresser à
eux. J’en ai exceptionnellement reçu l’un ou l’autre, lorsque la souffrance vécue
me semblait devoir être immédiatement entendue et honorée au-delà des
circonscriptions ecclésiastiques mais en renvoyant toujours aux autorités
concernées, celles de la justice d’abord, celles du diocèse ou de la congrégation
concernés ensuite.

À leur demande, j’ai également reçu depuis le 23 avril trois personnes se


plaignant d’abus anciens commis par deux prêtres du diocèse et un d’un diocèse
étranger, ayant travaillé chez nous mais ne vivant plus en Belgique.

Dans ce dernier cas, qui fut traité par la justice, j'essaie, à la demande de la
victime, de clarifier la situation actuelle de ce prêtre avec l'évêque étranger
concerné.

Des deux prêtres du diocèse, l'un est décédé. Dans l'un et l'autre cas, j'ai renvoyé
ces personnes auprès de la justice civile, ce dont elles ne veulent pas en raison
de l'ancienneté des faits et parce que ce qui compte pour elles, c'est d'être enfin
entendues et crues. Je note qu'aucune ne souhaitait un quelconque
dédommagement, constat fait également par la commission Adriaenssens dans la
majorité des cas qu'elle a traités. C'est d'une reconnaissance morale que ces
248
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

personnes me disaient avoir besoin. Elles ont été soulagées d'avoir enfin été
entendues.

L'une d'entre elles m'a demandé de bien vouloir rencontrer le prêtre abuseur afin
qu'il reconnaisse devant moi son forfait. Il s'agissait d'un prêtre fort âgé,
gravement malade, mais avec des moments de lucidité suffisants pour supporter
une telle conversation. C'est une rencontre qui m'a bouleversé profondément car
ce prêtre m'a dit: "Je n'ai jamais parlé de cela à personne mais je suis heureux de
pouvoir, avant de mourir, reconnaître enfin devant vous ce chapitre noir de ma
vie". Sur quoi je lui ai demandé s'il était disposé à recevoir la victime pour
reconnaître devant elle son forfait. Il a acquiescé. J'ai donc repris contact avec la
victime, laquelle a été très heureuse de cette ouverture. Après quelque temps,
elle est allée rencontrer ce prêtre, qui a reconnu les faits, mais n’est pas allé
assez loin, nous semble-t-il, dans cette reconnaissance et a trop vite interprété la
rencontre comme une réconciliation.

J’espère revoir ce prêtre prochainement et pouvoir l’inciter à aller plus loin dans
l’aveu de son forfait en présence de la victime. C’est à cette situation que je
pensais lors d’une interview qui, tirée de son contexte, a choqué, de manière
bien compréhensible, un certain nombre de téléspectateurs. J’avais
préalablement rappelé qu’en toutes circonstances il convient de s’adresser à la
justice.

Mais que faire lorsque je suis mis au courant des faits alors que la justice les a
déclarés prescrits ou quand les victimes refusent obstinément d'y recourir?

L'Église peut alors infliger des sanctions aux abuseurs. Mais, sauf les mesures
immédiates qui peuvent s'imposer à titre de précaution, l'évêque ne peut infliger
de sanction canonique qu'après avoir soumis le cas à Rome, laquelle tient ainsi à
s'assurer que les mesures nécessaires et les sanctions adéquates seront prises.

Dans un cas comme celui que j'ai évoqué, je me pose sincèrement la question:
qu'est-ce qui est le plus juste à l'égard de la victime et à l'égard du prêtre? Est-ce,
par exemple, qu'on lui interdise publiquement de concélébrer à la messe célébrée
dans sa maison de repos? Ou est-ce qu'avant de mourir, il reconnaisse enfin son
crime devant sa victime?

Je ne suis pas sûr de la réponse, mais j'incline à penser que, dans un cas comme
celui que j'ai évoqué, ce qui s'est passé lors de ces rencontres poignantes était
plus profondément humain pour toutes les parties concernées. Il ne s'agissait
donc en aucune manière de suggérer que le jugement de la justice civile soit
épargné, par principe, au prêtre pédophile âgé ou malade, ce qui n'aurait aucun
sens.
249
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

En tant qu'évêque de Namur, j'ai été immédiatement très sensible à la


problématique des abus sexuels commis par des prêtres ou d'autres acteurs
pastoraux. En effet, par mon long ministère de prêtre à l'Université catholique de
Louvain, j'ai été amené à entendre parfois le douloureux récit de jeunes ayant été
abusés au sein de leur famille. J'avais également entendu des rumeurs
concernant l'un ou l'autre prêtre de mon diocèse d'origine.

Devenu évêque en 1991, je me suis dit d'emblée que je devais, dans des cas de
ce genre, jouer la carte de la transparence et me préoccuper davantage de
l'honneur des victimes que de celui des abuseurs, en évitant des stratégies de
camouflage, parfois utilisées dans le passé.

C'est ainsi, qu'avec l'aide de mon vicaire épiscopal pour les affaires juridiques, je
suis intervenu de manière énergique dans le cas d'un prêtre ayant commis des
faits atroces et avérés mais qu'en l'attente prolongée de son jugement, le tribunal
laissait paisiblement rejoindre sa paroisse et se pavaner devant ses paroissiens y
compris sa victime.

J'ai donc lancé la lourde procédure canonique qui permet de retirer à un prêtre sa
mission de curé. Au terme de cette procédure, nous avons pu demander à la
commune d'exiger le départ de ce prêtre d'une cure, d'un presbytère qu'il
occupait désormais abusivement.

Outre ce cas gravissime, j’ai été confronté, comme évêque de Namur, à sept
autres cas de délits commis par des membres du clergé diocésain. J’ai été mis au
courant de cinq de ces cas parce que la justice, à travers la police parfois, nous
en a avertis. Quand le jugement a été rendu, nous nous en sommes strictement
tenus aux mesures de prudence, de probation et d’accompagnement décidées par
la justice.

Je note cependant les difficultés auxquelles j’ai été confronté dans les autres cas.
Comme nous n’avons pas ici à traiter de situations particulières, et ce d’autant
plus que des procédures judiciaires sont toujours en cours, je mêle délibérément
les données concrètes de ces diverses situations et m’exprime en général car il
s’agit de situations qui peuvent se présenter en d’autres circonstances.

La première est le cas de victimes pour lesquelles un évêque éprouve une


immense sympathie parce qu’il connaît leur fragilité et, avant même la
connaissance de leurs épreuves, a cherché à les aider dans leur cheminement
humain, mais qui supplient l’autorité de ne prendre aucune mesure à l’égard de
l’abuseur et ne veulent en aucune manière porter plainte devant la justice civile.
Une procédure canonique est cependant lancée et, parfois, l’évêque a tout

250
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

intérêt, d’un point de vue égoïste, à ce qu’elle aboutisse à une sanction grave car
le prêtre concerné est un opposant notoire qui lui mène la vie dure.

Cependant, une fois que la victime s’est décidée enfin et heureusement à


recourir à la justice civile, l’évêque est déontologiquement contraint d’arrêter la
procédure canonique et, en attendant, de prendre les seules mesures
disciplinaires qui s’imposent immédiatement, et ce de manière prudente, en
proportion des seuls éléments qui semblent avérés, car, sinon, s’il prend des
mesures trop radicales, il risque d’être accusé de se venger bassement sur un
prêtre qui lui complique la vie et il pourrait même, en raison d’une sanction
jugée prématurée, encourir un procès pour non-respect de la présomption
d’innocence.

Je veux indiquer par là que, dans certaines situations complexes et pendant que
la justice civile suit son cours, il faut parfois procéder avec prudence et n’arriver
que progressivement à la décision, par exemple, de retirer toute charge pastorale
à un prévenu.

En ce qui concerne l’avenir, ce que je retiens surtout de la dramatique actualité


de ces derniers mois, c’est la priorité à accorder à l’écoute des victimes dans leur
immense souffrance. C’est l’un des rôles de la justice civile et c’est la tâche
prioritaire des centres agréés pour l’écoute des victimes. Maintenant que la
commission Adriaenssens n’existe plus, l’Église catholique continuera
cependant à s’acquitter de la part qui lui revient en la matière, à savoir l’écoute
proprement pastorale. Dans chaque diocèse, un petit groupe de personnes
compétentes est chargé d’entendre, sur ce plan, les plaignants qui le souhaitent.
Ces personnes jugeront s’il est expédient que l’évêque écoute parfois
personnellement les victimes.

Nous confirmons également notre ferme volonté de ne jamais recourir à une


forme quelconque de camouflage d’une vérité établie, ainsi que cela fut le cas
parfois jadis dans tous les milieux de la société, mais aussi, hélas, dans l’Église
de notre pays ou d’ailleurs.

Nous serons aussi plus attentifs que jamais à l’équilibre affectif des personnes
qui se destinent à devenir prêtre et veillerons plus que dans le passé à
l’accompagnement personnel des prêtres dans leur vie sacerdotale.

Un code déontologique et un vade-mecum concernant l’attitude à adopter en cas


d’abus seront également publiés à l’intention de tous les acteurs pastoraux en
contact avec les enfants et les jeunes. On y travaille activement. Une vigilance
semblable serait d’ailleurs indiquée dans la préparation des jeunes au mariage
religieux et un accompagnement pastoral des couples chrétiens après le mariage
251
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

serait tout aussi souhaitable, dans la mesure du possible, puisque nous savons
que la majorité des abus ont lieu dans le cadre de la famille.

La question souvent posée d’une indemnisation des victimes est fort complexe,
sauf dans le cas où elle concerne l’abuseur lui-même ou le responsable
ecclésiastique qui n’aurait pris aucune mesure pour empêcher la récidive de faits
avérés.

Pour le reste, c’est à l’autorité civile qu’il appartiendra de statuer, conformément


au droit et compte tenu du bien commun, sur la pertinence d’un
dédommagement imposé à une institution, quelle qu’elle soit, dont les
responsables ne sont pas personnellement impliqués dans les crimes perpétrés.
L’analogie, plus ou moins adéquate, avec d’autres contextes où de semblables
abus sont commis devra sans doute éclairer votre réflexion afin que la décision
prise soit réaliste autant que juste, alliant un sens authentique de la solidarité
avec une juste conception des responsabilités effectives.

J’espère de tout cœur que l’audition de tous les évêques de Belgique aidera la
commission spéciale à se faire une idée adéquate de la manière dont l’Église
catholique de ce pays a assumé et assume ses responsabilités en ce domaine. Je
souhaite également que ce travail puisse inspirer les modalités selon lesquelles
la même douloureuse question sera abordée dans les autres secteurs de la vie
sociale.

Je vous remercie de votre attention.

La présidente: Monseigneur, je vous remercie pour cet exposé. Comme nous


l'avons fait pour les autres évêques, je vais passer la parole aux commissaires. Ils
peuvent poser deux questions chacun. Nous reviendrons ensuite sur les thèmes
abordés. Les secrétaires de la commission vont noter toutes les questions. Nous
ferons ensuite une petite pause avant de revenir sur vos réponses.

Sophie De Wit: Monseigneur, ik dank u voor uw komst naar deze commissie. Ik heb
twee vragen. Gisteren heeft Monseigneur Danneels hier duidelijk gesteld dat er binnen
de bisschoppenconferentie een grote discussie aan de gang was over de burgerlijke
aansprakelijkheid. U raakte dat daarnet ook even aan. Hij heeft daarbij gezegd, en dat
is volgens mij toch wel heel belangrijk, dat als er een beslissing moet worden genomen
over die morele of burgerlijke verantwoordelijkheid en de eventueel daaruit volgende
schadevergoeding, het belang van het slachtoffer moet primeren op het belang van de
organisatie en de structuur van de Kerk.

Bent u het daarmee eens en, bij uitbreiding, is de Conferentie het daarmee eens?
Mijn tweede vraag betreft een van de laatste zaken die u hebt gezegd. Het is eigenlijk
een vraag om verduidelijking. Ik weet immers niet zeker of ik het wel goed heb
252
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

begrepen. U zegt dat als er een klacht komt en men preventieve maatregelen moet
nemen ten aanzien van een priester die dergelijke feiten zou hebben gepleegd, moet
men voorzichtig zijn. De priester voor wie veel op het spel staat, zal zich immers
weren.

Als men zware preventieve sancties zou nemen, schendt men eventueel het vermoeden
van onschuld. Maar waar – en dat is dan mijn vraag, als ik u tenminste goed heb
begrepen – is daar dan het belang van het slachtoffer?

Valérie Déom: Madame la présidente, monsieur Léonard, comme je l'ai rappelé


hier à votre prédécesseur, les différentes auditions des associations et des
représentants des victimes aboutissent dans la majorité des cas à la même
constatation: le silence de l'Église. C'est ce silence que nous souhaitons essayer
de comprendre. Sur quelle base repose-t-il et pourquoi a-t-il pris une telle
ampleur, ce qui a entraîné autant de victimes?

Hier, nous avons écouté votre prédécesseur. Je lui ai clairement posé la question
de savoir pourquoi il n'avait rien fait des informations qu'il avait recueillies ou
qu'on lui avait fournies sur des faits graves de pédophilie commis dans d'autres
évêchés que le sien. Il a répondu qu'il devait respecter les règles de son
institution.

Monsieur Léonard, je vais être plus claire. Quelles sont les règles de votre
institution qui obligent un évêque à se taire et à fermer les yeux sur des crimes
commis sur des enfants?

Lorsque vous étiez évêque de Namur, vous nous avez dit que vous aviez été
proactif dans tous les cas qui vous avaient été soumis. Or, nous avons clairement
entendu une série de témoignages de victimes et de leurs représentants. Maître
Chomé, notamment, nous a clairement expliqué que dans certaines affaires, dont
une en particulier qui est assez connue, il y avait eu de votre part une proposition
d'arrangement à l'amiable, portant à la fois sur l'indemnisation de la victime et
sur ce qui était demandé par la victime, à savoir le fait d'écarter le prêtre
abuseur. Malheureusement, cet engagement n'a pas été tenu, ni sur la
problématique de l'indemnisation, qui portait sur le remboursement de la
thérapie assez onéreuse, ni sur le principe d'écarter la victime. Les faits ont été
dévoilés au début des années '90 et on a dû attendre 2008 pour que l'abuseur ne
soit plus repris dans l'annuaire diocésain. Entre les années '90 et 2008, on lui
avait simplement attribué la fonction de prêtre auxiliaire, ce qui ne l'a pas écarté
d'autres victimes potentielles.

Maintenant, vous nous dites que vous allez appliquer une jurisprudence plus
claire. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait quand vous étiez évêque? Que pouvez-

253
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

vous me répondre concernant les faits évoqués par un avocat devant notre
commission?

Stefaan Van Hecke: Monseigneur, ik heb uitgekeken naar vandaag om u te horen. U


bent de laatste in de rij en u bent de huidige kerkleider. Ik had van u eigenlijk verwacht
dat u zou komen met een plan van aanpak hoe de Kerk, u en de zeven andere
bisschoppen, nu concreet het probleem zullen aanpakken. Het dossier- Vangheluwe is
eigenlijk al acht maanden achter de rug en eigenlijk wachten we al acht maanden op
een duidelijk signaal vanuit de kerkelijke overheid hoe men nu concreet en
krachtdadig zal optreden. Dus blijf ik toch een beetje op mijn honger zitten.

U hebt een aantal zaken aangekondigd, maar hoe zult u omgaan met vergoedingen?
Welke procedures zullen worden gevolgd door alle bisschoppen op een gelijke manier?
Hoe zullen we aangifte doen in welke omstandigheden? Wanneer niet? Daar blijft u
heel vaag over. Dat had ik eigenlijk wel verwacht, vandaar twee heel concrete vragen,
monseigneur.

Ten eerste, indien slachtoffers u contacteren en u meedelen dat zij geen gehoor of
onvoldoende gehoor vinden bij de bisschop die bevoegd is in zijn bisdom, hoe zou u
dat aanpakken, u als kerkleider? Wij weten dat iedereen, elke bisschop, bevoegd is
voor zijn bisdom en dat u niet zomaar kan ingrijpen in een ander bisdom. Dat weten
we. Maar u als kerkleider, hoe zult u daarmee omgaan wanneer u dergelijke klachten
ontvangt? Zult u de klager gewoon doorsturen, terug naar het bisdom waar hij geen
gehoor heeft gevonden, of zult u andere initiatieven nemen? Dat zou ik heel graag van
u vernemen.

Dat hangt samen met de rol die u voor zichzelf ziet, als voorzitter van de
bisschoppenconferentie. Ziet u die rol als een loutere voorzitter, die een agenda
opmaakt, of ziet u zich ook als voortrekker, als degene die de Kerk zal leiden naar een
nieuw tijdperk, als de echte morele leider van de Kerk in België? Want een te passieve
houding als gewone voorzitter en degene die de agenda maakt, ik denk dat dat niet
meer van deze tijd is.

Tweede vraag, monseigneur, is de vraag die ik aan alle bisschoppen heb gesteld en die
ik ook aan u stel. Hebt u, nu als aartsbisschop of vroeger als bisschop van Namen,
contacten gehad met procureurs des Konings, met politiediensten, procureurs-generaal,
onderzoeksrechters, magistraten, over concrete dossiers? Meer bepaald na de
inbeslagname van de dossiers- Adriaenssens, hebt u na die inbeslagname contacten
gehad met Justitie, met het parketgeneraal?

Marie-Christine Marghem: Madame la présidente, monseigneur, je vous


remercie pour votre présence et votre exposé particulièrement clair.

Je voudrais vous poser deux questions. La première concerne votre statut


d'archevêque que vous avez confirmé en disant ce qui suit: "Dans cette position,

254
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

j'assure la coordination et l'inspiration en concertation avec les évêques de


Tournai et d'Anvers qui sont les référents en matière d'abus sexuels au sein de
l'Église."

Cette position de primus inter pares, c'est-à-dire de premier entre ses pairs, est
une position qui vous donne une responsabilité supplémentaire d'impulsion,
comme vous le dites vous-même.

Dans ce contexte, nous avons entendu le cardinal Danneels qui a occupé cette
position avant vous. Selon lui, il faudrait que la Conférence épiscopale se
réunisse et mette au point un système d'organisation du financement des
indemnisations qui seraient sollicitées. Il a ajouté, du bout des lèvres, que cela
pouvait être envisagé pour les frais thérapeutiques. Il nous a même fait savoir
qu'il avait une petite idée sur la question. J'imagine que le cardinal Danneels
peut avoir des idées et que vous ne manquez pas d'idées non plus.

Dès lors, j'aimerais vous demander si vous avez une petite idée sur cette
question et si vous avez l'intention – après avoir lu et entendu ce qui s'est dit
dans cette enceinte depuis que nous entendons les évêques de Belgique –
d'impulser et de coordonner, au sein de la Conférence épiscopale, un système
d'indemnisation pour les victimes qui le souhaitent. Il n'a jamais été question
dans notre chef – je le dis et je le répète – de promouvoir une indemnisation des
victimes qui ne le souhaiteraient pas.

Nous savons pertinemment, par expérience, que les victimes demandent trois
choses. Premièrement, elles demandent à être cru – vous l'avez bien compris –
dans ce qu'elles racontent et dans ce qu'elles ont vécu. Autrement dit, elles
demandent à être reconnues. Cette reconnaissance va parfois, que vous le
vouliez ou non, même si cela vous paraît un peu désincarné parce que ceux qui
présenteraient leurs excuses ne sont a priori pas les abuseurs, jusqu'à demander
symboliquement des excuses de l'institution Église. Deuxièmement, elles
demandent parfois à être indemnisées. Mme Valérie Déom a cité le cas très
précis d'une victime de votre diocèse de Namur au sujet de laquelle un accord
avait été trouvé en termes de remboursement de frais thérapeutiques. Je rappelle
qu'un psychothérapeute avait été assigné à cette personne et qu'il réclamait, à
juste titre d'ailleurs, d'être rémunéré pour ses services.

Un tiers de cette rémunération devait être versée par l'évêché, un tiers par la
personne elle-même, la victime, et un tiers par l'auteur abuseur, qui avait
reconnu les faits. Malheureusement, cette promesse n'a pas été tenue.

255
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Par ailleurs, pour compléter ce qui a été dit – et j'aborderai ma deuxième


question en faisant le lien avec la première –, nous retrouvons encore l'abuseur
en 2009, désigné par vote au conseil presbytéral pour le secteur socio-caritatif.

J'aimerais donc que vous m'expliquiez ce secteur socio-caritatif et si, pendant


toutes ces années depuis que les faits ont été reconnus, c'est-à-dire en 1996 (il
s'agit d'un dossier ancien), jusqu'en 2009, les mesures ont bien été prises pour
isoler ce prêtre de l'accès à de jeunes personnes.

Deuxième question par rapport à ces faits. On a bien remarqué que le diocèse de
chaque évêque est son domaine de compétence. Au-delà du diocèse, c'est un peu
les terrae incognitae, c'est-à-dire qu'on ne sait pas ce qui se passe, on ne peut pas
le savoir et on envoie parfois des gens écartés de leur propre diocèse dans
d'autres diocèses sans se préoccuper de la façon dont ils se comportent ailleurs,
puisqu'ils ne sont pas connus ailleurs.

Cela fait penser à un comportement qui met en avant la discrétion. On peut faire
ce qu'on veut du moment que l'on reste discret. On peut faire ce qu'on veut, mais
jamais dans le diocèse; à l'extérieur du diocèse!

Je suis donc fortement interpellée par ce que vous avez dit au sujet du suivi à
l'égard des prêtres abuseurs, ceux dont vous avez traité les dossiers dans votre
compétence d'évêque au sein de votre diocèse, en prenant la responsabilité d'une
procédure canonique qui ne relève pas uniquement de Rome, comme vous l'avez
dit vous-même: vous pouvez prendre cette mesure et introduire une procédure.

J'aimerais donc savoir comment vous assurez le suivi préventif, avant qu'une
sanction ne tombe, et le suivi après la sanction pour qu'un prêtre abuseur ou
fortement suspecté de l'être, ou qui est en aveu d'abus à l'égard de sa victime,
soit écarté définitivement, dans votre diocèse ou ailleurs dans un autre diocèse,
des victimes potentielles qu'il pourrait encore faire.

Raf Terwingen: Mevrouw de voorzitter, monseigneur, ik blijf het moeilijk hebben


met een aantal elementen die telkens opnieuw door de commissie worden naar voren
gebracht en waarbij geprobeerd wordt advies te geven aan de Kerk, namelijk hoe die
zich moet organiseren. Ik zal dat niet doen. Ik zal geen adviezen aan de Kerk geven.
Dat is niet mijn taak als commissielid.

Ik wil echter toch enkele suggesties doen en uw ideeën horen over een aantal zaken die
wij als wetgevende macht zouden kunnen doen om dit soort zaken in de toekomst te
vermijden. Ik meen dat dit ook uw betrachting is. Het is niet aan ons om u lesjes te
geven. Dat denk ik niet. Er werden hier heel veel goede suggesties gedaan. Men blijft
dat ook nog vandaag doen. U zult daar akte van nemen, maar dat is uw
verantwoordelijkheid binnen de Kerk. Ik denk dat wij als commissieleden moeten
256
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

nadenken over hoe wij wetgevende initiatieven kunnen nemen om een aantal zaken te
verbeteren.

Twee zaken in wat u hier vandaag zelf hebt verteld, hebben mij tegen de borst
gestoten, monseigneur.

Ten eerste, ik heb goed begrepen dat de Kerk verder een rol zal spelen door naar de
slachtoffers te luisteren. Dat hebt u gezegd. Er zouden daarvoor intern, binnen de
Kerk, bepaalde regels, een deontologie of een bepaald vademecum geschreven
worden. Ik denk dat dit onvermijdelijk is. Als iemand zich meldt voor een gesprek, dan
zult u daarop ingaan, maar ik denk dat wij dan opnieuw stoten op de kritiek die ten
grondslag aan de deze commissie heeft gelegen, namelijk het parallelle circuit.

Concreet is mijn vraag aan u wat u vindt van de meldingsplicht naar Frans recht. Zo
kunnen wij vermijden dat wij opnieuw in hetzelfde bedje ziek worden. De hele
commissie heeft al verwijten gemaakt over het parallelle systeem. Op dat ogenblik zou
iedereen, eender wie, ook een bisschop of een priester, die met een slachtoffer
geconfronteerd wordt die meldingsplicht hebben, waardoor wij zouden vermijden dat
in de toekomst dat soort zaken intern kerkelijk blijft. Dat is in de commissie altijd de
grote kritiek ten opzichte van de Kerk geweest. Zou die meldingsplicht niet een goede
stap vooruit zijn?

Ten tweede, diezelfde meldingsplicht zou misschien ook bij het volgende probleem
helpen. U hebt gezegd dat het binnen de Kerk vaak moeilijk is om disciplinaire
maatregelen te nemen, omwille van persoonlijke verhoudingen en door de situatie en
het feit dat men te zware disciplinaire maatregelen zou kunnen nemen en dat priesters
eventueel daarmee verder zouden gaan. Dat stoot mij heel erg tegen de borst, want ik
kan mij voorstellen dat de slachtoffers die dat hier net hebben gehoord, van mening
zijn dat zij veel belangrijker zijn dan de priester en het gevaar dat men tegen hem een
te zware maatregel zou nemen.

Persoonlijk vind ik dat een priester geschorst moet worden, zodra hij in aanraking
komt of verdacht wordt van pedofiele zaken. Nu ben ik mij echter weer aan het
begeven naar een punt waarnaar ik mij niet wilde begeven, namelijk het zich bemoeien
met de interne kerkelijke regels. Daarmee wil ik mij niet bemoeien. Zou in zo’n geval,
als de Kerk, zoals u hebt gezegd, problemen heeft om disciplinair op te treden en als
men niet weet hoe ver men kan gaan of het gevaar loopt om door het kerkelijk recht
teruggefloten te worden, de meldingsplicht per definitie niet het middel zijn om die
feiten te melden, waardoor de gerechtelijke instanties, aan de hand van
probatiemaatregelen of eender wat, kunnen opleggen wat er met die priester moet
gebeuren? Ook dan is het niet meer het probleem van de Kerk, maar het probleem van
het profane recht.

Dat zijn een aantal zaken die wij hier in de commissie moeten doen. Wij moeten ons
misschien niet bemoeien met wat u intern kerkelijk doet. Daarover heeft iedereen zijn
gedacht, ik ook, daarover ga ik niet uitweiden.
257
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Hoe kunnen wij hier in deze commissie echter zoeken naar wetgevende initiatieven
van profaan recht die voorkomen dat u terug in de problemen komt met betrekking tot,
ten eerste, welke disciplinaire maatregelen en, ten tweede, het gevaar dat er terug
hoorzittingen, verhoren of bepaalde gesprekken gaan zijn binnen de Kerk waardoor
naderhand weer het verwijt kan gemaakt worden, terecht trouwens, dat men het niet
aan het gerecht heeft doorgegeven?

Christian Brotcorne: Monseigneur, je vous remercie également pour votre


exposé. On sent bien que tous les mots ont été pesés avant d'être écrits. Votre
exposé contient déjà des réponses à des questions que nous ne devrons plus vous
poser. Comme vous, je m'intéresse à ce que devrait être l'avenir, de manière à
éviter le type de situation dans laquelle nous nous sommes trouvés, certes, dans
différents milieux. C'est d'ailleurs la préoccupation de notre commission.
Aujourd'hui, nous nous penchons sur ce qui s'est passé au sein de l'Église
catholique.

Globalement, vous avez apporté deux types de réponses. Un premier volet très
intéressant concerne la formation des futurs prêtres, des séminaristes et des
équipes pastorales. Manifestement, il y a là un effort considérable à réaliser.
Vous avez parlé de "l'équilibre affectif". Il faut, selon moi, aller au-delà de cette
seule considération de l'équilibre affectif. Hier, le cardinal Danneels nous a parlé
de la solitude des prêtres. Le mot "solitude" est peut-être plus adéquat que celui
lié souvent à la notion de célibat. À un moment donné, le prêtre se sent seul, ce
qui peut l'amener à commettre des actes répréhensibles. Le prêtre se sent aussi
parfois seul au moment où les autorités ecclésiastiques prennent une décision,
une forme de sanction, quelle qu'elle soit. Avoir davantage de collégialité dans la
manière de travailler, de gérer et de réfléchir au sein de l'Église serait
probablement une excellente chose. Former les futurs prêtres ou ceux qui sont
chargés d'intervenir dans le cadre de relations pastorales à la gestion de ce type
de situation est aussi essentiel.

Le deuxième volet de vos propos pour l'avenir tournait autour de ce qui est
récurrent au sein de notre commission. C'est le problème de l'indemnisation. J'ai
le sentiment, alors que l'on vous attend ainsi que l'Église catholique sur ce point,
que vous venez d'opérer un transfert de responsabilités. Vous dites que c'est le
travail de notre commission que de dire ce qu'il devra en être demain sur ce
volet, étant entendu que, lorsqu'un abuseur est condamné par la justice, force
reste à la décision judiciaire. Toutefois, vous omettez un point et ce fut
systématique lors de toutes les auditions des évêques jusqu'à aujourd'hui. Il en
est de même pour ce qui vous concerne. En votre qualité de président de la
Conférence épiscopale, je m'attendais peut-être à ce que vous alliez au-delà de
ce qu'on a entendu jusqu'à présent. Il faut prendre en compte la souffrance et
donc la réparation nécessaire pour toutes les victimes abusées par des prêtres
258
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

qui, soit sont décédés, soit pour lesquels les affaires sont prescrites et il n'y a pas
d'issue judiciaire. La réponse que vous nous apportez est une réponse
essentiellement juridique.

Les enseignements du passé vous font dire qu'il n'appartient plus vraiment à
l'Église de s'occuper de ce genre de choses, que c'est à la justice civile
d'intervenir, que c'est la commission spéciale qui doit préciser les formules pour
demain. Ne croyez-vous pas que la responsabilité de l'institution que vous
présidez en Belgique n'est pas seulement juridique mais aussi pastorale? Elle est
morale. On ne vous sent pas prêt à franchir ce pas, pas plus que les autres
évêques.

Votre réponse me paraît dès lors incomplète. En tant que chrétien et comme
beaucoup de chrétiens qui s'interrogent, je suis demandeur d'une réponse de
l'Église qui aille au-delà de vos propos d'aujourd'hui et de ceux que nous avons
entendus hier et avant-hier de la part des évêques. L'Église se grandirait en
reconnaissant cette responsabilité morale dont nous avons déjà régulièrement
parlé et en acceptant d'intervenir dans la réparation financière car c'est aussi une
voie importante de la reconnaissance de la souffrance et la reconstruction des
victimes.

Carina Van Cauter: Mevrouw de voorzitter, monseigneur, met betrekking tot de


schadevergoedingen heb ik u horen zeggen dat het aan de burgerlijke rechtbanken is
om uit te maken of er schadevergoeding moet worden betaald, wie die
schadevergoeding moet betalen en hoe groot deze schadevergoeding in al zijn
componenten dan wel zou mogen zijn.

Wat met die situaties waar een burgerlijke rechtbank een vonnis heeft geveld, de dader
is veroordeeld, de schade is begroot, vastgesteld en de priester in kwestie niet kan
betalen?

Wij weten dat de Kerk bereid is om de dader verder onderhoud te bieden. De kosten
van levensonderhoud worden op het ogenblik van intrede van de priester in kwestie
ten laste genomen en gehouden door de Kerk, ook nadien.

Monseigneur, wat met de solidariteit ten aanzien van de slachtoffers? Is de Kerk bereid
om evenveel solidariteit te betonen voor slachtoffers van seksueel misbruik dan voor
de dader van seksueel misbruik?

Wij hebben hierover met aantal van uw collegabisschoppen van gedachten gewisseld.
Er is ook voorzichtig een weg geopend naar een eventuele minnelijke regeling van
schade en het minnelijk vaststellen van een eventuele schadevergoeding om de
slachtoffers te behoeden voor opnieuw een lange weg van strijd met Justitie en de
Kerk aan te gaan.

259
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Daar waar er bijvoorbeeld bekentenissen zijn, maar waar er obstructie is omdat de


feiten zijn verjaard en het slachtoffer gedurende lange tijd in de waan is gebleven dat
de Kerk haar verantwoordelijkheid zou hebben opgenomen en dan na jarenlang
aandringen en in der minne te proberen een vergoeding te bekomen, uiteindelijk in de
kou blijft staan omdat inmiddels, jammer genoeg voor het slachtoffer, de feiten zijn
verjaard.

Denkt u dat in de gevallen waar de schuld niet wordt opgeheven door een
procedurefout, waar de schuld en de verantwoordelijkheid niet zijn weggenomen met
het jarenlang talmen van degenen die verantwoordelijkheid hadden, ook op basis van
een morele verantwoordelijkheid die de Kerk in deze dan toch heeft, men zijn
verantwoordelijkheid ten volle draagt en ook in die gevallen de slachtoffers zou
vergoeden?

Dat is een dubbele vraag. Solidariteit met de slachtoffers. Is men bereid om in die
gevallen waar de schuld vaststaat toch wat meer te doen dan wat in rechten kan
worden afgedwongen? Wil men zijn verantwoordelijkheid nemen?

Ten tweede, monseigneur, hebt u verwezen naar uw pastorale brief van mei. U hebt
gezegd dat de Kerk in het verleden – u schrijft dat ook letterlijk – op een
onzorgvuldige wijze de dossiers in verband met pedofilie heeft behandeld. Inmiddels
is er heel wat gewijzigd, ook met betrekking tot de wijze waarop Rome of de paus u
instructies heeft gegeven over de afhandeling van seksueel misbruik. Er zijn enerzijds
de canonieke regels. Als ik het niet verkeerd voorheb, hebt u de instructie om in alle
dossiers van seksueel misbruik het dossier ten minste aanhangig te maken bij de
Congregatie voor de Geloofsleer. Toen ik u daarstraks heb gehoord, volgt u vandaag
nog steeds uw eigen canonieke regelgeving niet, want u stuurt niet in alle gevallen het
dossier door aan de Congregatie voor de Geloofsleer. Dat gebeurt ook vandaag niet,
nadat u die mooie woorden hebt gesproken, schuld hebt bekend en hebt aangegeven
dat het de Kerk vandaag menens is en dat het gedaan zou zijn met de doofpotoperaties.
Als we op die manier verder gaan, dan heb ik daar toch wel vragen bij. Kunt u daar
nadere toelichting bij geven?

Een tweede werkwijze. Ten eerste hebben we het canonieke recht maar daarnaast is er
ook het burgerlijk recht. Als ik niet verkeerd ben ingelicht, dan is er vanuit het
Vaticaan ook de instructie gekomen dat de Kerk heden haar volle medewerking dient
te verlenen aan de Justitie en in alle dossiers aangifte moet doen en de feiten moet
overleggen aan de Justitie. U zegt dat u in bepaalde dossiers een naam hebt, maar een
naam alleen volstaat voor mij niet. Wat belet u om een onderzoek van de feiten te
doen, de priester in kwestie bij u te roepen en eens te peilen naar de waarachtigheid
van de feiten die u ter kennis zijn gebracht en daar desgevallend het gepaste gevolg
aan te geven, zowel canoniek als burgerrechtelijk? U kunt dan ook het dossier
overleggen aan de Justitie, want ook daar hebt u als burger een plicht.

Olivier Deleuze: Monseigneur, je vous remercie pour votre disponibilité. Mes


deux questions seront les suivantes. Premièrement, en ce qui concerne
260
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

l'éventuelle mise sur pied d'un troisième lieu d'écoute par le biais d'une troisième
commission au sein de l'Église, j'ai pu lire que, le 14 septembre, vous aviez
déclaré qu'avant Noël, un nouveau centre d'écoute serait ouvert. Le 14
septembre, c'est bien sûr après les perquisitions de juin dont vous aviez dit
qu'elles avaient anéanti le travail de la commission Adriaenssens. Donc, cet
élément-là était déjà intégré dans votre proposition. Et puis, un mois après, vous
avez changé d'avis. Pourriez-vous nous dire quels sont les éléments qui vous ont
fait changer d'avis? Pourquoi avez-vous décidé qu'il n'était plus opportun
d'ouvrir un centre au sein de l'Église catholique?

Deuxièmement, on a l'impression que, jusqu'à maintenant, on ne connaît pas


beaucoup l'ampleur du phénomène. On a eu la commission Halsberghe avec 33
cas, dont deux venaient des autorités ecclésiastiques; ensuite, les dossiers
confidentiels ou les cas que chaque évêque nous a rapportés. Si on les
additionne, on arrive à un chiffre situé entre 50 et 100. Et puis, vient la
commission Adriaenssens et les 450 plaintes. Parmi celles-ci, certaines peuvent
être fantaisistes. Sur ces 450 plaintes, 90 % sont néerlandophones et 10 %
francophones. On comprend bien que cet échantillon n'est pas statistiquement
représentatif. Nous avons l'impression d'une juxtaposition de cas individuels qui
nous conduit à penser que nous sommes devant un phénomène systémique et
nous tentons de l'appréhender.

Dès lors, ne pensez-vous pas que l'Église devrait apporter des réponses
systémiques, globales, coordonnées, malgré la division en huit territoires, à ce
phénomène? Que ce soit l'indemnisation, l'isolement des abuseurs présumés –
dont certains nient, bien entendu, et peut-être qu'on verra pour certains que ce
n'était pas le cas, avec des faits prescrits, etc.? Ne pensez-vous pas que, pour la
société belge, il serait important de percevoir que l'institution apporte des
réponses globales et systémiques, malgré les difficultés dues au droit canonique
et au partage du territoire en huit îlots, d'une certaine manière?

Renaat Landuyt: Monseigneur, ik heb twee vragen. Ik probeer met mijn eerste
vraag beter te begrijpen wat u bedoelt met uw uitspraak dat de Kerk in het verleden
een soort “manque de rigueur” had. In het verdere verloop van uw exposé had ik
immers de indruk dat u in ieder geval altijd al streng bent geweest, terwijl de anderen
misschien die “manque” hadden.

Indien u zegt dat de Kerk in de toekomst ordentelijker en strenger moet zijn,


betekent zulks dan dat u de zaak-Devillet, waarover wij een boek hebben
kunnen lezen, anders zou hebben aangepakt? Zou u het nu anders aanpakken
dan in het verleden?
Anderzijds wil ik het woord “strenger” trachten te begrijpen. U hebt geschetst dat uw
zinsnede in

261
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

verband met de gepensioneerde priesters, waarop wij geen wraak mogen nemen en
waarvoor wij enig begrip moeten hebben, uit haar context werd gehaald. U hebt de
context gegeven. Desondanks zit u met enige twijfel.

Ik wil uw twijfel trachten te begrijpen, door de volgende vraag te stellen.

Ik meen mij te herinneren dat de functie van priester voor gelovigen een belangrijke
functie is. De priester is met enige overdrijving het gezicht van God, de leidsman van
de Kerk of van zijn kleine parochie. In het verleden is altijd aanvaard dat een priester
seksuele misdrijven kan plegen, maar toch priester kan blijven. Is het signaal aan de
gelovigen dat zij begrip moeten hebben voor het feit dat zij die het gezicht van God
zijn, dergelijke feiten mogen hebben gepleegd, een signaal dat u ook in de toekomst
zult handhaven? Ten slotte, mijn tweede vraag houdt verband met de praktische
uitwerking van een beter beleid in de toekomst. Mijn vraag komt er ook naar
aanleiding van de opmerking dat de canonieke procedures de burgerlijke procedures
niet mogen verstoren. Hebt u op dat vlak als voorzitter van de bisschoppenconferentie
of in eigen naam met mensen van het parket-generaal in Brussel contacten gehad naar
aanleiding van wat aan beslagnames bezig is? Hebt u met die personen contact
genomen, contact gehad of afspraken voor de toekomst gemaakt over de manier
waarop beide instellingen – gerecht en Kerk – een en ander beter zouden kunnen
aanpakken?

Daniel Bacquelaine: Monseigneur, j'ai été heurté par un propos que vous aviez
déjà tenu précédemment. Vous récidivez donc aujourd'hui, si je puis me
permettre: vous dites regretter les perquisitions de la commission Adriaenssens.
D'une part, vous nous dites que la commission Adriaenssens était parfaitement
indépendante et, de l'autre, vous portez un jugement sur un acte de justice réalisé
vis-à-vis d'une commission qui serait indépendante de vous. Mais vous, en tant
qu'autorité ecclésiastique, je suppose, vous vous permettez de porter un
jugement de cette nature. Il me semble qu'il y a là matière à réflexion. Une
autorité ecclésiastique, qui a un rôle spirituel et moral important, et qui se
permet de porter un jugement sur un acte de justice, est-ce le bon exemple? Je
pose simplement la question.

Deuxièmement, vous avez parlé d'une certaine prudence dans le retrait de la


charge pastorale, invoquant notamment la présomption d'innocence, ce qui est
bien sûr quelque chose d'important. Vous avez indiqué également que la
commission Adriaenssens, quand elle vous communiquait des dossiers, donnait
seulement un nom et un prénom et que vous n'aviez donc pas toujours les
informations nécessaires pour prendre des décisions ou des sanctions. Est-il
arrivé que des abuseurs connus de vous soient maintenus dans la possibilité de
récidiver, de perpétrer de nouveaux forfaits et de faire de nouvelles victimes? In
fine, c'est cela qui est important. Je comprends qu'on invoque la présomption
d'innocence, le manque d'information mais il y a aussi la notion de mesure

262
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

conservatoire. À un moment donné, il faudrait intervenir, dès que vous avez le


moindre doute sur la possibilité de nouvelles victimes ou de perpétrer de
nouveaux actes répréhensibles, et prendre les mesures qui s'imposent pour
l'empêcher. À votre connaissance, des situations ont-elles existé où cet
empêchement n'était pas garanti?

La présidente: Monsieur Bacquelaine, normalement, on a droit à deux


questions par membre. Mais si vous êtes bref, vous pouvez poursuivre.

Daniel Bacquelaine: Ce n'est même pas une question. Je voudrais savoir si vous
avez eu connaissance ou si vous êtes intervenu dans l'établissement du protocole
entre la commission Adriaenssens et le Collège des procureurs généraux.

La présidente: Une question importante.

Bert Schoofs: Monseigneur, bedankt voor uw uiteenzetting. Ik sluit mij aan bij
collega Terwingen, door te beginnen met de stelling dat de enige bedoeling van deze
commissie kan zijn om maatschappelijke normen te stellen in de vorm van wetgeving
op basis van wat wij hier horen, op basis van wat de instellingen en verenigingen die
hier de revue zullen moeten passeren, ons komen vertellen. Het kan niet de bedoeling
zijn om ons te bemoeien met de interne organisatie van al degenen die hier worden
gehoord. Wij moeten er wel voor zorgen dat elke vereniging of instelling de nodige
voorzorgen kan en wil nemen om misbruik op alle domeinen van het maatschappelijk
niveau te voorkomen.

Hoe wil de Kerk, als instituut dat hier al tweeduizend jaar is gevestigd, op haar eigen
specifieke manier de misbruiken die haar moraliteit en moreel gezag enorm hebben
aangetast in de toekomst voorkomen? Ik geef een aantal voorbeelden van wat wij
gisteren en de voorbije weken hebben gehoord. Ziet u een mogelijkheid om het
canoniek recht aan te passen, een meldingsplicht in te voeren, het biechtgeheim te
versoepelen, eventueel een meer gestroomlijnde organisatie met Rome op te zetten om
tot laïcisering te komen van degenen die zich aan zeer ernstige feiten hebben schuldig
gemaakt, ook en vooral van seksueel misbruik?

Als wij dat van u kunnen te weten komen dan staan wij al een heel eind verder in het
bestrijden van misbruik van kinderen en in sommige gevallen van volwassenen in de
samenleving. Dat is de verantwoording die elke organisatie die wij hier horen zal
moeten afleggen.

Wat willen de Kerk, u en de bisschoppen ondernemen om dergelijke feiten in de


toekomst te voorkomen en om zoveel mogelijk de aansluiting te maken met de gehele
samenleving om dat misbruik zoveel mogelijk te vermijden?

Laurent Louis: Madame la présidente, je vous rassure tout de suite; je serai


assez bref aujourd'hui. Cela va vous plaire!
263
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Monsieur Léonard, après les auditions de M. Harpigny et de M. Danneels, je


dois vous avouer que je ressens pour ma part un grand malaise mais aussi et
surtout une profonde douleur pour toutes les victimes d'abus sexuels au sein de
l'Église. Selon les informations dont je dispose et au regard des témoignages que
j'ai reçus de différentes victimes, tant M. Danneels que M. Harpigny n'ont pas
dit toute la vérité devant notre commission. Je ne peux que le déplorer. Je
voudrais donc vous demander quel est aujourd'hui votre sentiment. Quelles sont
vos impressions après ces différentes auditions dont j'imagine vous avez dû
recevoir un compte rendu précis?

Trouvez-vous normal que M. Danneels minimise le rôle qui était le sien au sein
de l'Église catholique belge dont il fut le primat pendant plus de trente ans?
Auriez-vous agi de la même manière si vous aviez été à sa place, face à M.
Devillé et sa délégation de victimes?

Enfin, je vous surprendrai peut-être mais je pense que vous tentez de faire
changer les mentalités et les comportements au sein de l'Église belge et ce, avec
le soutien de Rome, du moins du pape. Cependant, je ne peux que m'étonner des
attaques dont vous faites l'objet depuis votre prise de fonction en tant
qu'archevêque de Malines-Bruxelles. Ainsi, je voudrais vous demander si vous
avez l'impression aujourd'hui d'être victime d'une sorte de cabale et de devoir en
quelque sorte payer pour les fautes commises par d'autres.

Croyez-vous que certains redoutent aujourd'hui votre action et tentent de vous


déstabiliser pour la simple et bonne raison que vous essayez d'aider à la
manifestation de la vérité et que vous tentez de redresser l'image de l'Église par,
il est vrai, une certaine radicalisation du message? Est-ce bien votre volonté?
Ressentez-vous des tentatives de déstabilisation à votre égard?

Pour me tourner vers l'avenir, je serai, comme d'autres commissaires, attentif


aux actes que vous poserez prochainement, surtout en matière d'indemnisation
des victimes. Je serai donc heureux de vous entendre en la matière même si,
selon moi, cette question ne doit pas détourner de l'objectif principal qui doit
être de sanctionner les prêtres abuseurs et d'ainsi reconnaître aux personnes
abusées et violées leur qualité de victimes.

Siegfried Bracke: Monseigneur, ik zou willen vragen of willen peilen naar


oplossingen. In dat verband zou het nuttig zijn als u de commissie kon meedelen of er
in dat verband een tijdschema is, een soort van deadline die u zou willen respecteren.

Afgezien daarvan, wil ik de volgende twee dingen voorleggen.

264
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Het probleem dat wij hier vaak hebben ontmoet, is dat er voor slachtoffers geen
tweede instantie is. Dat wil zeggen, zij gaan met hun klacht naar de bisschop, maar
worden daar niet gehoord. Dan gaan ze naar de aartsbisschop, maar die is niet
bevoegd, en zendt de klacht terug naar de bisschop. Mag ik u ter overweging geven dat
het misschien maar een heel kleine ingreep zou zijn indien de aartsbisschop, u, zich
zou opwerpen als natuurlijke tweede instantie? Waarom zou u zichzelf niet aanbieden
als een soort van tweede instantie voor alle mensen die in eerste instantie, op het
niveau van het bisdom, niet worden gehoord? Het structurele antwoord luidt dat de
volgende instantie Rome is, maar het zal u bekend zijn dat Rome erg ver is voor
mensen die met dat soort van klachten moeten langskomen.

Een tweede opmerking is iets dat mij verontrust. U geeft hier proef van uw goede
bedoelingen. U wil strikt zijn en van alles opzetten. Van de andere kant lees ik ook wel
eens een interview met u. U neemt daar zelden een blad voor de mond. U bent van de
school, als ik dat zo mag zeggen, die heel strikt in de leer is en die daar een vraag aan
koppelt om meer respect, meer waardigheid voor het priesterlijk ambt. Het is
natuurlijk uw volkomen recht om dat te vinden. Echter, blijkens de verklaringen van
talloze collega’s van u, net de afstand tussen de priesters en de gelovigen, waar u dus
eigenlijk voor pleit, heeft ervoor gezorgd dat de pedofiliegevallen die er zijn geweest,
niet eens gewone pedofiliegevallen waren, maar ook misbruikgevallen waarin het
aspect macht een heel kwaadaardige en zelfs een beetje vieze rol heeft gespeeld. Moet
u op dat punt niet de positie van de priester herdenken?

La présidente: Monseigneur, je vais clôturer la série de questions en vous en


posant deux aussi.

Je reviens un instant sur la problématique des perquisitions; en effet, c'est


aujourd'hui qu'on rend l'arrêt. Il est un peu surprenant – et nous l'avons entendu
de la part des autres évêques –, d'entendre qu'il faut la collaboration entière et
pleine avec la justice. C'est ce que nous avons entendu: "collaboration entière et
pleine avec la justice". On a parlé – et vous avez parlé – de la séparation de
l'Église et de l'État, donc de l'Église et de la justice, ce qui est important dans
une société démocratique.

En même temps, vous contestez et vous revenez contester les actes posés par la
justice, c'est-à-dire la saisie des dossiers. Vous les contestez aujourd'hui
ouvertement. En plus, vous dites que cela a anéanti le travail d'écoute par
rapport aux victimes. Ce sont là des mots forts que vous avez prononcés.

Il nous semble donc assez antinomique d'entendre qu'il faut faire confiance en la
justice, qui est là pour protéger la société, qu'il faut respecter la séparation de
l'Église et de l'État, la séparation de l'Église et de la justice, tout en contestant ce
qu'un juge d'instruction fait aujourd'hui pour protéger la société vis-à-vis de
personnes qui ont commis des crimes, qui sont donc considérées comme des
criminels.
265
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Monsieur Léonard, s'agit-il d'une maladresse, s'agit-il d'une pression? Je n'en


sais rien, mais ces paroles sont fort interpellantes en commission parlementaire.

Une autre question. Vous avez rappelé plusieurs fois que "dans le passé, on ne
faisait pas comme ça". "J'aimerais bien jadis". Le passé et jadis, j'aimerais
pouvoir y mettre des dates. J'ai demandé la même chose à Mgr Danneels, hier.
C'est quoi le passé? C'est un passé proche, un passé de trente ans, un passé de
dix ans, un passé d'un an, un passé de quelques mois par rapport à la
commission Adriaenssens qui a révélé tous ces cas?

En même temps, je vous ai bien entendu par rapport aux cas de Namur. Je ne
reviendrai pas sur le cas Devillet: on peut en parler puisqu'il a écrit un bouquin;
on sait qu'un procès est en cours, mais le cas est sur la place publique. Il y en a
eu d'autres où les faits étaient prescrits, où il semble qu'on soit venu vers vous,
où une enquête a d'ailleurs été menée et l'abuseur a reconnu plus de dix victimes.
Il est resté diacre. Aucune mesure n'a été prise. En même temps, la justice a dit
que c'était prescrit; et vous avez dit: "puisque c'est prescrit, pas de mesure prise".
L'évêque de Namur qui vous a remplacé, lui, a pris des mesures. Vous, vous n'en
aviez pas prise.

Si je me souviens bien, cela se passait dans les années 2003-2004. Qu'en est-il
du passé en termes de mesures prises à l'encontre de prêtres, de diacres ou
d'autres personnes qui ont commis des faits d'abus sexuels?

Monseigneur, chers collègues, nous clôturons ici les questions. Les secrétaires
de la commission vont maintenant les classer.

Je vous propose de suspendre nos travaux durant un quart d'heure. Nous


reprendrons ensuite la séance pour entendre les réponses. Nos travaux se
poursuivront durant l'heure de midi.

La réunion publique de commission est suspendue de 11.32 heures à 11.59


heures.

Nous allons entendre les réponses de Mgr Léonard. Comme d'habitude, vous
levez la main si vous souhaitez obtenir des précisions.

André-Joseph Léonard: Madame la présidente, je terminerai par la question la


plus délicate et la plus complexe, celle des indemnisations. Si je l'aborde en
premier lieu, je crains que soit, vous soyez tellement heureux de mes réponses
que la tension diminue, soit que vous soyez tellement insatisfaits que la tension
diminue également ou augmente.

266
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

La présidente: Nous avons tellement d'autres questions importantes à vous


poser!

André-Joseph Léonard: On m'interrogeait sur les mesures préventives ou


provisoires, telle la suspension. Personnellement, dans tous les cas que j'ai eu à
traiter essentiellement à Namur, lorsqu'une décision de justice est intervenue et
n'a pas abouti à un non-lieu ou simplement à la constatation que les faits sont
prescrits, j'ai cherché à appliquer ce qui était recommandé par la justice, à savoir
les mesures d'accompagnement demandées par la justice pour garantir la non-
dangerosité de la personne.

Ma conviction est qu'il faut prendre, dans tous les cas, des mesures
proportionnées. Toutes sortes de mesures peuvent ou doivent être prises. Par
exemple, une mesure peut être de confier à un prêtre une tâche qui, par sa nature
même, ne le met pas en contact avec des enfants ou des jeunes. Bien sûr, quelle
que soit la mesure prise, sauf l'emprisonnement, la décapitation ou la peine de
mort, on ne peut empêcher qu'une personne rencontre encore un enfant dans la
vie. Néanmoins, on peut prendre des mesures qui, par leur structure, ne
favorisent pas, voire écartent le contact avec des enfants ou des jeunes. On peut,
entre autres, confier à quelqu'un des tâches purement administratives ou la
mission d'aumônier dans une maison de repos pour personnes âgées. Des
mesures plus graves peuvent également être prises quand des faits ont été jugés
graves par la justice. On peut faire en sorte que la personne ne puisse plus du
tout exercer le ministère sacerdotal.

Je ne tiens pas à être trop explicite dans les affaires qui sont en cours car j'ai la
conviction que, quand il y a procédure, il est inconvenant de publier des livres et
de faire des interviews ou des déclarations publiques. Cela fait partie, me
semble-t-il, du respect dû à la justice. On peut néanmoins veiller à donner une
mission purement profane. Dans le cas évoqué, il en est ainsi depuis de
nombreuses années. En l'occurrence, il n'y a même aucune rétribution liée au
statut de ministre du culte. Encore faut-il être prudent et venir progressivement à
ce genre de décision pour respecter également la présomption d'innocence dans
certains cas et ne pas anticiper sur une décision de justice. La mesure extrême
que l'on ne peut prendre que si Rome l'a prise, c'est la perte de l'état clérical.

C'est une expression qui n'est pas très flatteuse pour les laïcs. Désormais, on ne
l'emploie plus. On parle de "la perte de l'état clérical". Il s'agit d'une mesure
radicale qu'il faut parfois prendre, mais qui n'a pas que des avantages. En effet,
aussi longtemps qu'un prêtre garde son statut de prêtre, on peut exercer un
contrôle sur sa personne. On peut l'encadrer. On peut lui demander de rendre des
comptes, le rappeler à l'ordre s'il ne répond pas aux exigences qui ont été posées
par la justice. S'il est "renvoyé dans la nature" – si j'ose dire – en lui faisant
267
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

perdre son état clérical, il devient un électron libre, par rapport à l'Église. Il y a
donc parfois intérêt à ce que la personne reste dans son statut clérical. Cela aura
notamment pour conséquence que son nom continuera à apparaître dans
l'annuaire diocésain. Elle pourra, même si ce n'est pas souhaitable, être élue par
ses pairs comme représentant d'un secteur sociocaritatif où il travaille. Mais il
faut savoir ce que l'on veut. Si l'on demande à Rome de retirer l'état clérical d'un
ecclésiastique, cela veut dire que, ce faisant, l'Église n'aura plus le moindre
contrôle sur la personne.

Marie-Christine Marghem: Vous dites qu'on peut le vouer à des tâches


administratives. On nous en a déjà parlé et avait alors surgi la question qui
consistait à demander si, en aucun cas, on ne reprenait ces personnes
ponctuellement pour assurer le service d'une paroisse. On sait qu'il y a pénurie
de vocations et qu'il est parfois nécessaire d'avoir quelqu'un en mesure de dire la
messe. D'ailleurs, le prêtre, qui garde sa qualité à vie d'une certaine manière, doit
faire la messe tous les jours.

J'en profite pour vous dire que vous semblez être – vous m'arrêtez si je me
trompe – le champion toutes catégories de l'ordination de prêtres pendant les 18
années où vous avez été évêque du diocèse de Namur. Il semblerait que vous en
ayez ordonné beaucoup. On m'a dit qu'il y en avait 87.

Vous enquérez-vous de la qualité des personnes ainsi ordonnées au sein de votre


diocèse? Bien entendu, c'est une condition sine qua non pour éviter d'avoir des
problèmes. Statistiquement, avez-vous eu plus de problèmes parce que vous
avez ordonné plus de prêtres?

Vous enquériez-vous de leur qualité ou, lorsqu'il y avait des problèmes, preniez-
vous des mesures d'écartement dans votre diocèse ou à l'extérieur? Je n'en suis
pas sûre à cause des faits qui m'ont été rapportés. Si l'écartement se passe à
l'extérieur, cela pose un problème de contrôle.

André-Joseph Léonard: Quand un prêtre est amené à célébrer les messes dans
une paroisse, out en faisant l'objet de mesures restrictives – on appelle cela assez
souvent un vicaire dominical –, nous mettons au courant les responsables de la
paroisse du fait que ce prêtre fait l'objet de précautions. Nous demandons
explicitement qu'il ne soit jamais seul à la sacristie avec d'éventuels acolytes,
bien qu'une sacristie ne soit pas le lieu le plus favorable à des abus sexuels
caractérisés. Nous prenions cette précaution.

En ce qui concerne votre autre question, on ne devient prêtre, actuellement,


qu'au bout de sept années de formation au cours desquelles on a l'occasion de se
rendre compte des aptitudes d'une personne. Et, vis-à-vis des prêtres que j'ai
268
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

ordonnés, relativement nombreux, c'est vrai – en moyenne, cinq par an – au


cours de mon épiscopat à Namur, nous avons pris ces précautions. Nous avons
été très attentifs à leur équilibre affectif. À ma connaissance, il n'y a jamais eu
de plainte concernant des prêtres que j'ai ordonnés moi-même.

Il y avait encore un troisième volet à votre question…

La présidente: Je ne crois pas, non. Mais d'autres parlementaires veulent encore


vous poser des questions.

Stefaan Van Hecke: Monseigneur, u verwijst naar een beslissing van Justitie. Indien
Justitie een duidelijke veroordeling uitspreekt, is het voor u gemakkelijker. Justitie
spreekt echter niet steeds een veroordeling uit of toch niet snel. Wij hebben gehoord
dat in Namen een procedure of een onderzoek reeds zeven jaar aansleept. Wat zal ooit
de uitspraak zijn?

En recent, de zaak was vorige week in de pers, ik kan de naam ook noemen, het gaat
over de heer Borremans, was er een vrijspraak vanwege procedurefouten, omdat de
priester een bekentenis heeft afgelegd aan de politie zonder bijstand van een advocaat
en dat betekent volgens de nieuwe principes vrijspraak. Wat zult u doen in dergelijk
geval, waarbij feiten worden erkend maar er juridisch een vrijspraak is op basis van
procedurefouten? Zult u dan ook even streng ingrijpen als in de gevallen waar er een
duidelijke veroordeling is?

André-Joseph Léonard: Dans le cas que vous évoquez – même s'il est délicat
de se prononcer sur des cas individuels –, comme il y avait eu une absence de
jugement en raison d'un vice de forme, nous avons pris la précaution de confiner
ce prêtre à une mission dans une maison de repos, en avertissant le directeur de
cette maison de repos qu'il y avait eu des problèmes et qu'il devait donc être
attentif au comportement du prêtre.

Depuis ma succession à Namur par Mgr Vancottem, grâce à la commission


Adriaenssens, il y a eu une nouvelle révélation très grave concernant ce prêtre
qui jusqu'alors avait commis des abus qui paraissaient plutôt être pathologiques
que révélateurs d'une perversion profonde. À la suite de cette grave révélation,
mon successeur a aussitôt pris la mesure de le suspendre radicalement de tout
ministère.

La présidente: Qu'entendez-vous par des abus qui relèvent du pathologique ou


d'autres de la perversité? N'est-ce pas le comportement qui est important et non
ce qui dans la personnalité de l'abuseur relève de l'une ou l'autre chose? Pour
moi, le pervers a peut-être des problèmes pathologiques. Le principal n'est-ce
donc pas le comportement et l'acte posé?

269
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

André-Joseph Léonard: Cela dépend de la nature… Mais vous m'obligez à


parler d'un cas particulier.

Dans les comportements bizarres qui étaient reprochés à ce confrère, on a appris


qu'il donnait parfois comme pénitence après la confession une fessée aux
enfants. Cela nous paraissait un comportement tout à fait inadéquat mais qui
était plutôt de l'ordre de la bizarrerie que de l'ordre de la perversion sexuelle.
Cela nous semblait très curieux mais d'un ordre différent de celui qui nous
occupe ici.

La présidente: C'est donc cela la différence entre problèmes pathologiques et


perversité.

André-Joseph Léonard: C'est ce que je visais mais je ne désire pas entrer dans
le détail des cas particuliers car ce n'est pas le lieu pour en discuter.

Valérie Déom: Une fois qu'il y a eu le jugement, vous respectez évidemment la


décision de justice et vous mettez en place des mesures sur cette base. Mon
collègue est revenu sur des jugements peut-être un peu plus ambigus. Pour ce
qui me concerne, je remonte plus loin, c'est-à-dire lorsqu'une instruction est
menée et que, soit le prêtre est en aveu, soit il y a un faisceau de preuves qui,
sans violer la présomption d'innocence, amènent à prendre éventuellement une
mesure conforme à ce que j'appellerais le "devoir de précaution".

Je voulais savoir si vous aviez agi de cette manière avant le jugement. Votre
successeur à Namur nous a dit avoir pris, avant même un jugement, différentes
mesures, notamment une sanction plus forte que celle qu'on avait l'habitude de
prendre, c'est-à-dire la suspension a divinis.

André-Joseph Léonard: Oui.

Valérie Déom: Je voulais connaître votre avis et savoir ce que vous suggériez
pendant l'instruction.

André-Joseph Léonard: Mon successeur a en effet pris cette décision qui est
très radicale, qui n'est pas encore la perte de l'état clérical, mais la suspension a
divinis, parce qu'il y a eu des informations nouvelles, que j'ai d'ailleurs lues avec
horreur dans le rapport de la commission Adriaenssens… De la part de ce prêtre
que je juge un peu pathologique, parce qu'il donnait un nom à ces horreurs. Il
appelait ça le "zimboum". Enfin, a-t-on idée de donner un nom pareil à des abus
perpétrés, avec des arguments théologiques? Donc, on a très bien fait de faire ce
qu'on a fait. Mais, dans les cas que vous évoquez, il y a un faisceau d'indices et
une instruction en cours. Il faut prendre – et c'est ce qu'on faisait – des mesures
270
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

de précaution qui ne préjugent pas encore trop radicalement de la décision de


justice, mais qui cherchent en même temps à éviter des récidives. Donc,
limitation du ministère à un secteur bien déterminé qui, par nature, n'implique
pas de risque.

Valérie Déom: Juste une demande de précision pour ne pas rester médiocre,
madame la présidente: la laïcisation ne peut-elle être prononcée que par Rome?
Ou peut-elle être prononcée par certains évêques?

André-Joseph Léonard: Elle ne peut être prononcée que par Rome.

Carina Van Cauter: Monseigneur, ik heb nog twee bijkomende vragen. Ten eerste,
nam u met het oog op het nemen van preventieve maatregelen, dus alvorens er een
definitief vonnis wordt uitgesproken, persoonlijk contact op met het parket? Zult u
adviseren en inspirerend voorstellen aan de bisschoppenconferentie dat een bisschop
die kennis heeft van bepaalde lopende onderzoeken, contact opneemt met het parket,
zodat hij inzage in het dossier krijgt en desgevallend op basis van de toegestane inzage
de nodige preventieve maatregelen kan nemen?
Ten tweede, u zegt dat u in bepaalde gevallen niet opteert voor laïcisering en het
aanhangig maken van een procedure in Rome, maar dat u de weg van de schorsing
verkiest omdat u dan nog steeds controle kunt uitoefenen op de priester in kwestie. Als
hij eenvoudigweg geschorst is, kunt u hem ergens plaatsen waar minder gevaar op
recidive is. Maar is het niet zo dat wanneer er een procedure aanhangig gemaakt wordt
in Rome, de Congregatie van de Geloofsleer diezelfde maatregel kan opleggen?
Volgens Canon 1722 – zo werd ons gezegd door andere specialisten – kan men de
aangeklaagde immers niet alleen van de gewijde bediening of het kerkelijk ambt en de
kerkelijke taak weren, maar men kan hem ook een verblijf opleggen, of verbieden, in
een plaats of gebied. Men kan hem ook de publieke deelname aan de allerheiligste
eucharistie verbieden.

Kortom, ook de canonieke rechtbank, of de Congregatie van de Geloofsleer, zou


diezelfde controle kunnen uitoefenen op de priester die gelaïciseerd wordt en het ambt
van priester dus niet meer uitoefent?

Wanneer u, volgens het kerkelijk recht, de instructie krijgt dat alle dossiers inzake
seksueel misbruik aan Rome moeten worden overgemaakt, en wanneer u weet dat ook
daar die maatregelen genomen kunnen worden, teneinde controle te behouden op de
persoon in kwestie, waarom gaat u dan niet systematisch over tot het opstarten van een
procedure voor de canonieke rechtbanken? Dit biedt de slachtoffers daarenboven de
kans voor de canonieke rechtbanken een schadevergoeding te bekomen.

Als wij dan terugblikken naar de situatie in Ierland, waar de paus expliciet heeft laten
weten dat door na te laten die kerkelijke procedures in gang te zetten, de kerkelijke
overheid zich de mogelijkheid heeft ontnomen om precies toepassing te maken van
Canon 1722, dan moet u mij eens uitleggen waarom voor een minder ernstige sanctie
271
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

wordt gekozen, eerder dan voor de toepassing van de geëigende regelgeving die het
kerkelijk recht voorziet?

André-Joseph Léonard: J'ai déjà répondu partiellement à cette question en


évoquant les mesures de prudence, de précaution qui peuvent être prises, que
l'on doit prendre et que l'on prend.

Carina Van Cauter: Monseigneur, neemt u contact met het parket?

La présidente: Madame Van Cauter, on va d'abord laisser répondre Mgr


Léonard. Vous devez savoir que ce dernier doit partir à 14 h 30. J'invite donc
tous les membres à poser des questions précises et courtes.

André-Joseph Léonard: Je ne pense pas qu'il y ait obligation d'avoir un contact


avec le parquet en vue de savoir quelles mesures doivent être prises, aussi
longtemps qu'une affaire n'est pas jugée. En tout cas, je n'ai pas connaissance
d'une telle obligation. Je crains d'ailleurs que ce genre de contact puisse être
interprété de manière négative, comme si nous voulions passer un accord avec le
parquet avant qu'un jugement soit rendu.

Pour en revenir à la perte de l'état clérical, je redis qu'il s'agit d'une mesure qui
peut être prise, et qui est prise par Rome dans certains cas. Mais je répète que je
suis perplexe quant à l'efficacité de cette mesure. En effet, une fois qu'un
ecclésiastique a perdu son statut clérical pour reprendre l'état laïc, l'évêque n'a
plus de contrôle direct sur lui.

Dans certains cas, – je n'ai pas vécu ce genre de situation, sinon de manière très
transitoire, à Namur – l'évêque peut, à condition que la personne ait toujours le
statut clérical, imposer à un prêtre un séjour prolongé dans un lieu où il est, en
quelque sorte, en résidence surveillée. Cela est parfois arrivé. Dans le diocèse de
Namur, je ne me souviens pas avoir eu recours à ce genre de mesure, en tout cas
durant une période longue. C'est une solution à laquelle on peut recourir dans
l'attente d'un jugement en bonne et due forme.

La présidente: Madame Van Cauter, je vous donne la parole, mais je vous


demande d'être précise.

Carina Van Cauter: De verplichting om contact te nemen met het parket, bestaat
effectief niet, maar u kunt een brief schrijven, niet telefoneren of afspraken met het
parket maken, maar u kunt een brief schrijven waarin u officieel vraagt om inzage van
het strafdossier, zodanig dat u de nodige preventieve maatregelen kunt nemen. Dat is
een vraag en een suggestie en ik zal het daarbij houden.

272
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Ten tweede, ons werd gezegd dat wanneer een kerkelijke procedure wordt opgestart in
Rome, het aan de bisschop toekomt om een voorstel van sanctie mee te sturen op het
ogenblik van het aanhangig maken van het dossier. Als u op het ogenblik dat u het
dossier aanhangig maakt, niet alleen de laïcisering vraagt maar ook het verplicht
verblijf of het ontzeggen van een bepaalde plaats, van het verblijf in een bepaalde
regio, dan kan men daarmee toch effectief rekening houden in het kerkelijk vonnis en
dan zijn de maatregelen genomen zoals ze zouden moeten genomen worden. Of heb ik
dat verkeerd begrepen?

André-Joseph Léonard: Je n'ai eu à Namur que deux cas, postérieurs à 2001,


où nous avons dû transmettre un dossier, mais nous n'avons pas fait de
suggestion sur la sanction que Rome devait prendre; en effet, Rome a l'habitude
de traiter ce genre de situations.

Aussi longtemps que les procédures civiles sont en cours, il ne faut pas
s'attendre à une décision romaine. Nous sommes simplement invités, par la
nature des choses, à prendre les mesures de précaution qui s'imposent. Ce que
nous avons fait.

Renaat Landuyt: Monseigneur, ik merk dat u een argument om iemand priester te


laten blijven, overneemt welk wij vandaag ook in een paar kranten hebben kunnen
lezen. U zegt dat het voor de maatschappij veiliger is dat een priester die seksueel
misbruik heeft gepleegd, priester blijft, want dat de bisschop dan nog vat op hem heeft
en hem bij manier van spreken niet kan loslaten op de maatschappij. Dat is nieuw. Ik
neem er akte van dat u die argumentatie overneemt.

U begrijpt echter dat, gelet op het verleden, het vertrouwen in het feit dat de
bisschoppen goede bewarende maatregelen nemen, in twijfel kan worden getrokken.
De overplaatsingen hebben immers niet altijd het gewenste effect gehad, gezien de
recidive.

Mijn vraag, die geen juridische vraag is, blijft. Ik bemoei mij niet met de gelovigen en
hun Kerk. Wij gaan hier na waarom men seksueel misbruik niet ernstig heeft genomen.
Los van alle geschriften die wij kennen, niet als schriftgeleerde, maar vanuit het
oogpunt van de mensen, vraag ik mij af of het signaal dat u blijft geven dat iemand die
seksueel misbruik pleegt, priester kan blijven zolang men ervoor zorgt dat hij in de
sacristie niet alleen is met iemand die hij kan aanraken, geen verkeerd signaal is naar
gelovigen en ongelovigen? Is het signaal dat leiders in de katholieke kerk die
dergelijke feiten gepleegd hebben, zich gewoon kunnen herpakken als priester, terwijl
ze toch een zekere moraliteit moeten uitstralen in het verleden en in het heden, geen
signaal van te veel tolerantie ten opzichte van seksueel misbruik?

André-Joseph Léonard: Oui, je comprends votre question et j'essaierai de


donner une réponse qui tient compte de l'aspect émotif tout en se voulant
rationnelle. Ce qui est vraiment important pour honorer les victimes, si les faits
273
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

sont avérés et jugés, c'est de prendre toutes les précautions possibles pour
empêcher la récidive. C'est la manière dont on peut honorer les victimes et c'est
souvent ce qu'elles demandent: éviter que d'autres personnes doivent subir ce
qu'elles ont subi.

La perte de l'état clérical que vous évoquez sera parfois très importante
symboliquement et je ne l'exclus pas du tout. Dans certains cas, que je n'ai pas
connus, je comprendrais bien que je puisse suggérer à Rome de faire perdre l'état
clérical aux abuseurs. Dans certains cas, cela peut avoir une grande importance
symbolique mais je le répète, il y a aussi un côté moins heureux à cette prise de
position car quelqu'un qui a perdu l'état clérical échappe plus facilement à une
surveillance. Mais symboliquement, dans certains cas, ce sera peut-être
important.

Renaat Landuyt: Ten eerste, het nieuwe argument dat iemand priester moet blijven
omdat jullie als bisschop de bewaking gaan doen over die gevaarlijke priesters is wel
een klein beetje storend als men ervan uitgaat dat het de Staat is, de gemeenschap zelf
die moet zorgen voor de veiligheid van de bevolking. U kunt toch niet de taak op u
nemen om die categorie van gevaarlijke mensen te bewaken? U bent toch geen
gevangenisbewaker? U begrijpt toch dat dit een storend argument is in de
taakverdeling tussen een godsdienst en een gemeenschap?

Ten tweede, ik ben blij dat u mijn vraag begrijpt en dat u ze niet zomaar afwijst. Ik
vraag u echter om begrip op te brengen voor de positie van de gelovigen die dat nooit
ernstig hebben genomen. Zij leefden met de uitdrukking “Kom eens naar mijn kamer.”
Dat is een rare, die pater. Dat is een rare, die priester. Die toestand hebben wij allemaal
laten bestaan en nu zegt u dat u nog altijd twijfelt of u in de toekomst een einde zult
stellen aan die toestand. Als men priester blijft, geeft men toch het signaal dat men een
beetje begrip moet hebben voor seksueel misbruik?

André-Joseph Léonard: Si ce qui est poursuivi, c'est avoir l'assurance que,


dans un cas de délit très grave, il n'y ait pas de récidive possible... Que voulez-
vous, nous ne sommes plus à l'époque où l'Église a des prisons à disposition. Je
pense que c'est à l'ordre civil de changer, par exemple, la prescription et de
décider l'emprisonnement à perpétuité.

Comment voulez-vous que nous garantissions absolument qu'il n'y ait plus de
récidive possible? Nous prenons les mesures qui sont en notre pouvoir, mais
nous n'avons pas la possibilité d'emprisonner quelqu'un.

Je le répète même si dans un premier temps c'est peut-être difficilement


compréhensible: la perte de l'état clérical n'est pas nécessairement la meilleure
garantie pour la non-récidive. Je sais bien que ce n'est pas facile d'argumenter
cela, mais nous sommes ici dans une assemblée de personnes raisonnables, qui
274
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

peuvent raisonner, qui peuvent suivre une argumentation et en comprendre la


portée.

La présidente: Votre argumentation n'est peut-être pas partagée, mais nous


allons arrêter sur cette partie, sauf si Mme Marghem insiste pour pose sa
question. Si ce n'est plus sur cette partie puisque Mgr a expliqué son
argumentation, qu'elle soit partagée ou non par les membres de la commission.

Marie-Christine Marghem: C'est sur cette partie. Contrairement à moi, Mgr


Léonard a été plus attentif à ma troisième question. Je demandais comment
surveiller l'application de mesures de confinement à l'égard de prêtres qui
quittent le diocèse. Comment vous organisez-vous?
Le débat qui est lancé – et qui est loin d'être fini – par Renaat Landuyt concerne
la contradiction: les prêtres nommés par vous sont payés par l'État.

La présidente: On ne revient pas la-dessus!

Marie-Christine Marghem: Non, mais forcément, cela pose un problème: on


se demande, lorsqu'ils perdent l'état de prêtre, comment ils assurent leur
subsistance, quelle est la conséquence. J'aimerais vous entendre à ce sujet pour
que nous comprenions exactement ce qui vous rend peut-être réticent à les
réduire à l'état laïc.

André-Joseph Léonard: Je ne connais pas de cas où l'on a déplacé quelqu'un


de mon diocèse dans un autre diocèse, ni qu'on a accueilli d'un autre diocèse. Je
n'ai pas été confronté à ce cas. J'ai eu seulement le cas que j'ai évoqué tout à
l'heure de quelqu'un que je ne connais même pas, un prêtre étranger qui a
travaillé en Belgique dans le diocèse de Malines-Bruxelles, qui, dans le passé, a
été poursuivi en justice et qui, maintenant, est retourné dans son pays d'origine.
La victime est venue me trouver en me demandant: "Nous voudrions bien savoir,
nous ne voulons pas le re-poursuivre en justice, nous n'exigeons pas de
dédommagement, mais nous voulons savoir ce qu'il est devenu et quelle est la
mission qui lui a été confiée dans son pays."

J'ai pris contact avec l'évêque concerné et j'ai reçu une réponse qui ne rejoignait
pas tout à fait le témoignage de la victime. Je vais relancer cet évêque étranger
pour tirer au clair la question des dates, qui ne correspondent pas.

Quand un prêtre a été condamné pour des faits de ce genre et que nous désirons
lui retirer toute mission pastorale, soit nous veillons à ce qu'il trouve de quoi
travailler dans un autre secteur de la société pour vivre, soit nous lui donnons
son C4.

275
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Marie-Christine Marghem: Cela lui donne droit aux allocations de chômage.

André-Joseph Léonard: Oui, jusqu'à ce qu'il retrouve un emploi. Dois-je


poursuivre les réponses aux questions?

La présidente: Vous pouvez poursuivre mais nous restons devant


l'argumentation qui n'est pas tout à fait partagée.

André-Joseph Léonard: On m'a interrogé sur la question de la dénonciation


des faits par allusion à la situation française où il y a un "meldingsplicht", un
devoir de dénonciation. Subsidiairement, on m'a demandé si, quand on me
communique simplement un nom, je ne dois pas le transmettre à la justice.

Nous savons que le devoir de dénonciation n'est pas universel. Je ne suis pas
juriste mais je pense qu'on n'a pas le devoir de dénoncer des gens de sa propre
famille. Le rapport que nous avons avec nos prêtres n'est pas administratif mais
plutôt de nature familiale. Par exemple, si un prêtre de mon diocèse, lors d'une
célébration commune de la réconciliation, vient me trouver pour se confesser,
que fais-je? Je lui dis d'abord que s'il commence à parler de choses qui auront
des répercussions sur son avenir, je le stoppe aussitôt car je ne désire pas être lié
par le secret absolu de la confession.

Il m'est arrivé de recevoir des prêtres qui viennent me trouver non pas comme un
fonctionnaire son supérieur mais comme un fils son père sur le plan spirituel. Si
ce prêtre me dit avoir quelque chose de très important sur le coeur à me dire, je
le préviens. Je lui dis que je veux bien accueillir ses confidences mais que si
elles ont des répercussions sur les nominations, sur les postes que je lui confie
dans le diocèse, il me délie de toute confidentialité. Et si c'est pour me parler
d'actes répréhensibles qu'il a commis, je lui dis qu'il me délie à l'avance de toute
confidentialité pour que je puisse prendre les mesures.

En France, on impose le devoir de dénonciation; j'estime que si on introduit cette


mesure dans notre pays, cela va nuire au rapport de confiance qu'il y a entre un
prêtre et son évêque car il va se dire qu'il a intérêt à pratiquer le silence, que s'il
commence à parler des problèmes réels de sa vie, il risque d'être dénoncé. Il y a,
par ailleurs, des ambiguïtés dans le devoir de communication, sauf dans le cas
où ce que nous apprenons par un prêtre ou par des tiers implique un danger
immédiat, prévisible à l'égard de personnes déterminées. Dans ce cas, si on ne le
communiquait pas, il y aurait négligence coupable.

La présidente: Ce que vous nous expliquez, c'est que le secret de la confession


n'est pas absolu.

276
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

André-Joseph Léonard: Non.

La présidente: Mais si, vous venez de nous dire "sauf dans le cas où il y
aurait…"

André-Joseph Léonard: Non. Vous avez été distraite. J'ai bien dit que le secret
de la confession était absolu. Je l'ai spécifié.

La présidente: Pour être clair, si dans le secret de la confession, on vous dit


qu'il y danger imminent pour une personne, gardez-vous le secret de la
confession?

André-Joseph Léonard: Je vous ai expliqué les précautions que je prenais. Si


dans une confession, soit quelqu'un qui a commis un abus me parle, soit
quelqu'un me parle d'un abus possible de la part d'une tierce personne, ce que je
fais, c'est imposer moralement à la personne de se faire connaître ou de faire
connaître le danger qui existe mais le secret de la confession est absolu.

En revanche, lorsqu'il s'agit d'une conversation confidentielle, je dois prendre


des précautions pour ne pas être lié par la confidentialité si je subodore qu'il va
s'agir de problèmes de ce genre. Et si j'apprends quelque chose qui met en
danger de manière prévisible une personne déterminée et non un danger
potentiel général, j'ai l'obligation, sous peine de négligence coupable, de faire
connaître ce danger.

Carina Van Cauter: Met betrekking tot de dossiers die werden overgemaakt door de
commissie Adriaenssens. De commissie- Adriaenssens heeft u een aantal dossiers
overgemaakt, waarbij u zegt dat u werd gemeld dat er klachten waren wegens seksueel
misbruik van bepaalde priesters. Deze zijn met naam en toenaam geciteerd in de
briefwisseling die de commissie u heeft geschreven. U hebt gezegd bij uw inleidende
uiteenzetting dat u daar niets mee kan doen want u hebt geen dossier. Ik heb daar twee
vragen bij.

Ten eerste, wat het eventueel nemen van preventieve maatregelen, als tuchtrechtelijke
overheid betreft, vindt u dan niet dat u een onderzoek moet doen naar de feiten, dat u
de waarheid moet trachten te achterhalen, zodanig dat u desgevallend preventieve
maatregelen kan nemen?

Ten tweede, rekening houdende met artikel 422bis van de Strafwet dat stelt dat
wanneer een toestand u is beschreven en men uw hulp inroept, u zich schuldig maakt
aan schuldig verzuim indien u niet optreedt. In dezen heeft de commissie-
Adriaenssens u een aantal namen opgegeven van priesters die verdacht worden van of
aangeklaagd worden wegens seksueel misbruik. Denkt u dan niet dat u, rekening
houdend met deze bepaling, ook maatregelen moet nemen en ten minste melding moet
277
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

maken aan Justitie van datgene wat u is gesignaleerd, zodanig dat men ten minste een
opsporingsonderzoek en desgevallend een gerechtelijk onderzoek kan laten volgen?

André-Joseph Léonard: Je ne pense pas, madame. Seuls un nom et un prénom


me sont communiqués, sans aucun élément d'information sur la nature des
soupçons que l'on porte. Le Pr Adriaenssens a déclaré que, parmi les cas soumis
à son attention, il y avait, à son sens, aussi un certain pourcentage de faits
illusoires, non fondés. Dès lors, commencer à prendre des mesures de précaution
à l'égard de quelqu'un simplement sur la base de la communication d'un nom me
paraît léger. C'est ne pas respecter le droit des personnes. Quand on me cite des
noms, dans quelque milieu que ce soit, je m'abstiens d'interroger. Il faut au
minimum communiquer une brève information sur ce dont est soupçonnée la
personne. Où cela nous conduit-il, sinon?

La présidente: Il y a deux choses. D'une part, vous êtes en possession des


noms. D'autre part, le Pr Adriaenssens a dit que, dans la plupart des cas, les
abuseurs avaient avoué les faits. Il est toujours question d'abuseurs, puisqu'il
s'agit des personnes évoquées par le Pr Adriaenssens. Le principe de précaution
ne voudrait-il pas que vous fassiez une petite information et que vous
convoquiez le prêtre? Je pense que c'était là le sens de l'intervention de Mme
Van Cauter.

Carina Van Cauter: En daarenboven heeft professor Adriaenssens ons gezegd dat
hij enkel die dossiers met potentieel gevaar, bekentenissen of sterke aanwijzingen aan
de bevoegde bisschoppen heeft overgemaakt. Hij heeft niet alle namen zomaar lukraak
in het rond gezonden. Hij heeft zich enkel beperkt tot die dossiers waar er
mogelijkerwijze gevaar was voor recidive en/of aanwijzingen van schuld.

André-Joseph Léonard: Dans la communication, il n'y avait pas la moindre


mention d'un aveu des faits par ces personnes. Il y avait seulement des plaintes
ou des soupçons concernant ces personnes, sans autre détail.

Marie-Christine Marghem: Il est intéressant de vous entendre jusqu'au bout


dans une question compliquée, qui demande beaucoup de nuances. Au fond, le
vrai problème ici, c'est d'être actif ou passif. Dès qu'on vous communique un
nom, vous avez en tant qu'évêque la possibilité, le pouvoir d'inviter cette
personne à un entretien et d'essayer de savoir ce qu'il en est, peut-être pour
découvrir que ce qui est dit dans le courrier que vous avez reçu – ou
l'information ou la rumeur – est inexact. Au moins une confrontation permettra
aussi à cette personne de se rendre compte de votre position et du fait que vous
êtes informé de quelque chose. Il faut commencer par là et après, sans pour
autant vous transformer en policier, hiérarchiquement parlant, vous avez le
pouvoir d'interroger quelqu'un sur ce que vous entendez.
278
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Stefaan Van Hecke: Monseigneur, nog even over de dossiers of de brieven die u
hebt gekregen van de commissie-Adriaenssens. Uw collega’s bisschoppen hebben ook
brieven gekregen van de commissie-Adriaenssens. Zij zeiden dat in die brief vaak een
verzoek aan de bisschop stond om een aantal priesters op non-actief te zetten. Na
onderzoek door de commissie kwam er dus een verzoek aan de bisschoppen om
bepaalde priesters op non-actief te zetten. Waren het brieven in die zin die u hebt
ontvangen van de commissie, met die concrete vraag? Of was het gewoon een
oplijsting van een aantal namen? Bij die namen moet toch iets bij gestaan hebben? Was
het ook een vraag om de bij naam genoemde personen op non-actief te zetten?

André-Joseph Léonard: Il n'y a pas eu de suggestion en ce sens de la part de la


commission Adriaenssens. Et, dans les quatre cas que j'ai évoqués, il s'agissait
de prêtres pensionnés qui n'avaient plus de responsabilités.

La présidente: On clôt donc ce sujet.

André-Joseph Léonard: La question suivante qui était posée, c'est: "si une
victime ne reçoit pas à son jugement l'attention nécessaire d'un évêque et que ces
faits sont portés à votre connaissance, cette personne peut-elle s'adresser à vous?
Y a-til une sorte de seconde instance?"

Effectivement, j'ai reçu quelques lettres de personnes qui jugeaient qu'elles


n'avaient pas été suffisamment entendues par un collègue. J'ai donc parlé de cela
avec ce collègue, qui m'a expliqué brièvement ce qu'il en était. J'ai donc
conseillé à la personne de reprendre contact avec l'évêque.

Mais, si on veut une seconde instance, ce n'est pas l'archevêque qui va servir de
seconde instance, puisqu'il est évêque comme les autres en ce qui concerne la
responsabilité d'un diocèse. Si la question m'était posée avec insistance, je dirais:
parlez avec le nonce apostolique pour voir si on peut faire un recours à Rome, si
on a des raisons graves de penser qu'un évêque n'a pas traité un dossier avec le
respect voulu. Rome instruira alors la question, mais ce n'est pas l'archevêque
qui va faire cela. Je pense qu'il vaut mieux que, s'il y a une seconde instance, elle
soit extérieure à la Conférence épiscopale, que cela ne se traite pas uniquement
entre collègues.

Siegfried Bracke: Monseigneur, beseft u wat voor drempel u nu aan het opwerpen
bent voor slachtoffers? U zegt – en ik neem maar een willekeurig voorbeeld – het zal
of in Gent zijn en de volgende instantie is in Rome. Als ik u een beetje kwaadwillig
zou willen interpreteren, dat is het bewust opwerpen van een muur waar gewone
mensen niet over kunnen.

André-Joseph Léonard: Il faut d'abord rappeler que si des victimes jugent ne


pas avoir été suffisamment entendues, elles doivent recourir à la justice civile
279
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

pour imposer l'écoute. Si elles veulent être entendues à l'intérieur de l'Église, s'il
s'agit de prêtres diocésains, elles doivent s'adresser à l'évêque du diocèse
compétent; s'il s'agit de religieux, elles doivent s'adresser au supérieur de la
congrégation concernée. Et si elles jugent, finalement, ne pas avoir été
suffisamment écoutées, elles doivent s'adresser à une instance supérieure, à
savoir Rome dans le cas d'un diocèse et le supérieur général (et non pas
provincial) dans le cas d'une congrégation religieuse.

Siegfried Bracke: Een laatste poging. Wij zitten hier om ervoor te zorgen dat er
maatregelen worden genomen die er op hun beurt voor zorgen dat er in de toekomst
niet meer gebeurt wat er is gebeurd. Vermits u als instituut toch behoorlijk veel bij dat
soort misbruiken betrokken bent, kan men verwachten dat u ook leert uit de feiten. Er
zijn overduidelijk momenten geweest waarbij gelovigen zich richtten tot hun bisschop
en daar niet gehoord werden, zich richtten tot de aartsbisschop, daar ook niet worden
gehoord, terug naar de bisschop worden gestuurd… Ik neem aan dat u dat niet de
goede manier van doen vindt. Dat is mensen letterlijk van het kastje naar de muur
sturen. Er moet toch ergens een tweede instantie zijn die toegankelijk is en niet ergens
ver weg in Rome.

André-Joseph Léonard: Personnellement, je n'ai pas l'expérience de cas


semblables où une victime n'est pas entendue par l'évêque. Je connais un peu
mes confrères et je me connais moi-même: s'il y a des personnes auxquelles on
est porté par tout son être à prêter écoute, c'est bien aux personnes qui ont vécu
ce genre de souffrances.

La présidente: Il y a pourtant des témoignages qui disent que ce n'était pas le


cas. C'est pour cela que M. Bracke insiste tant: on entend qu'ils ne sont pas
entendus par leur évêque, qu'il n'y a pas d'autre recours vu l'indépendance des
évêchés et qu'on les envoie vers Rome, c'est-àdire vers nulle part. Excusez-moi
de le dire ainsi mais vous comprenez bien qu'une victime se voit mal être
entendue à Rome. L'utilité d'une autre personne, accessible, est ressentie par les
parlementaires et par les victimes. Les victimes ont besoin d'un accès plus facile
pour parler.

André-Joseph Léonard: En effet, j'ai reçu un certain nombre de personnes – et


je dois encore en recevoir une prochainement – qui m'ont dit avoir le sentiment
de ne pas avoir été suffisamment entendues. Comme il y avait une grande
souffrance chez l'une ou l'autre personne, il m'est arrivé de dire que je voulais
bien l'entendre, même si je n'ai aucune autorité sur l'abuseur dans un autre
diocèse. Mais je suis toujours prêt à entendre les personnes qui demandent à être
entendues, même si je dois éviter de donner l'impression que je suis l'archevêque
de tout le pays.

La présidente: D'être le patron…


280
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Stefaan Van Hecke: Mevrouw de voorzitter, ik sluit mij aan bij de redenering van
de heer Bracke. Ik denk dat wij opnieuw – wij hebben dit gisteren ook gezien – in
cirkeltjes aan het draaien zijn. Een slachtoffer wordt altijd doorverwezen. Als men
uiteindelijk de stap zet naar de aartsbisschop, wordt het dossier weer doorverwezen
naar de bisschop en zo blijft dat aan de gang. De suggestie die u nu doet van misschien
ergens een instantie in Rome is inderdaad niet de oplossing.
U wordt gepercipieerd als het hoofd van de Kerk. Of u dat nu graag hebt of niet, dat
zal de perceptie zijn bij de gelovigen. Als er iets fout loopt, zullen ze zich tot u
wenden.
Ik denk dat het zeer goed zou zijn, monseigneur, als u samen met uw collega’s in de
bisschoppenconferentie echt goed zou nadenken: wat kunnen wij in België opzetten
om mensen die geen gehoor in hun bisdom vinden op een correcte manier te helpen.
Ik weet ook niet welke oplossing dat misschien moet zijn, maar ik denk dat het nuttig
kan zijn om daar een oplossing voor uit te denken en de mensen niet door te sturen
naar Rome.
Bent u bereid om die denkoefening te maken? Bij veel overheden heeft men een
ombudsdienst. Misschien moet men ook een ombudsdienst bij de aartsbisschop
inrichten.

André-Joseph Léonard: Je ne dois pas encourager le sentiment qui consiste à


croire que je suis responsable pour toute la Belgique. Mais si des victimes ont le
sentiment de ne pas avoir été assez entendues par l'évêque qu'elles ont contacté,
je les invite à demander au diocèse d'instituer un tribunal diocésain pour juger
leur situation. À ce niveau, il existe un système d'appel. Des tribunaux
diocésains fonctionnent en première instance. Si le plaignant n'est pas satisfait
de l'accueil reçu, à l'instar de ce qui se passe dans le système civil, il existe un
tribunal de seconde instance constitué de personnes étrangères au diocèse
concerné qui peut intervenir, mais pour ce, il faut demander que soit instaurée
une procédure canonique.

Raf Terwingen: Monseigneur, ik wil een beetje concreet worden, want men blijft
hier toch insisteren op adviezen vanuit de commissie aan de kerkelijke organisatie. Ik
neem daarvan akte, ondanks het feit dat onze opdracht niet daaruit bestaat, maar dat is
een discussie die wij naderhand zullen voeren. Ik dacht dat onze opdracht was om na
te gaan hoe de Staat hiermee moet omgaan, maar men is bezig hoe de Kerk hiermee
moet omgaan.

Laten wij dan eens concreet zijn. Monseigneur, weet u of misschien moeten wij dat
vragen aan kerkjuristen of er een mogelijkheid bestaat om zo’n tussenstap,
tussenberoep te creëren? Ik weet dat niet. Ik ben een beetje juridisch gevormd,
profaanrechtelijk. Bestaat de mogelijkheid zoals ze hier wordt geopperd? Ik vraag het
u concreet, maar misschien dat u het ook niet onmiddellijk weet, monseigneur. Ik stel
u de vraag. Bestaat de mogelijkheid om zo’n tussenniveau te creëren als een soort van
beroepsinstantie, zoals hier telkens opnieuw wordt gevraagd? Ik weet het niet.

281
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

André-Joseph Léonard: Il existe une seconde instance, à condition de


demander une procédure canonique. Si cela ne suffit pas, l'instance romaine
intervient en troisième lieu. Quand il s'agit simplement de l'écoute dans un
entretien par un évêque, je ne vois pas comment j'ai à me substituer à ce niveau-
là.

Valérie Déom: Madame la présidente, c'est exactement le même type de


réponses que nous avons obtenues hier lors de l'audition de Mgr Danneels. Peut-
être répondez-vous en partie à ma question. Comment se fait-il que l'Église se
soit tue, qu'il y ait eu ce silence et que, finalement, personne n'ait parlé? Quel est
le fondement? Le droit canonique, etc. Vous donnez ici en partie la réponse car,
manifestement, la manière dont l'Église est structurée permet d'instaurer un
système qui pousse au silence, puisque l'on est responsable que dans son
diocèse. On observe par la fenêtre ce qui se passe dans le diocèse voisin. C'est
comme si, de mon appartement, je voyais ce qui se passe dans l'appartement de
l'autre. On fait du mal à un enfant mais je ne bouge surtout pas parce que je n'ai
pas le droit de quitter mon appartement. C'est exactement la même structure qui
est organisée et qui, finalement, organise ce système du silence.

Malheureusement, je n'entends ni de votre bouche, ni de celle de Mgr Danneels


la volonté de toucher à cette structure ou de la pointer du doigt. Elle est pourtant
une des causes qui a amené à autant de silence et de drames dans la vie des
victimes.

André-Joseph Léonard: Cette structure n'a vraiment rien à voir avec ce que
vous dites. Il n'existe pas de culture du silence entre diocèses.

Valérie Déom: Comme cela ne se passe pas chez vous, vous ne faites rien!

La présidente: Madame Déom, je suggère de laisser Mgr Léonard répondre.


Vous pourrez intervenir par la suite.

André-Joseph Léonard: Il y a, en Belgique, des circonscriptions


ecclésiastiques, comme il y en a dans la vie civile. Si un évènement se produit
dans une province, vous n'allez pas vous adresser à la province d'à côté pour
régler le problème. Il en est de même pour les communes ou pour les Régions.
Partout, les circonscriptions ont une autorité limitée à la circonscription. Cela ne
signifie pas qu'en Belgique, on se soit tu, après avoir appris des choses
gravissimes qui se passaient dans un autre diocèse, parce qu'elles se sont
produites dans ce diocèse-là. Je ne connais aucun cas de ce genre. S'il y a eu une
culture du silence, c'était la culture du silence globale dans toute la société. Dans
les familles, on ne voulait pas étaler ce genre de difficultés et on souhaitait les
garder chez soi.
282
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

On ne pensait même pas à dénoncer cela devant la justice. Cette culture du


silence a existé au sein de toute une série de professions. Mais cela n'est pas du
tout lié aux circonscriptions géographiques. Il fut une époque où, dans tous les
milieux, la tentation était grande de cacher les problèmes pour qu'ils
n'apparaissent pas au grand jour. C'est justement avec cette culture du silence
que j'ai voulu rompre en donnant un signal extrêmement clair. Nous pouvons
constater que cette culture du silence est également en train de "sauter" dans
d'autres milieux. Combien de fois le Pr Adriaenssens ne m'a-t-il pas dit que si,
dans sa profession, on voulait faire le même ménage que celui est fait au sein de
l'Église catholique, il y aurait du pain sur la planche! Ce n'est pas une espèce
d'étanchéité des circonscriptions qui a favorisé la culture du silence. Malgré tout
le respect que je vous dois, je dois vous dire que vous êtes à côté de la vraie
question sur ce point.

Valérie Déom: Je n'ai fait qu'écouter ce qui nous a été expliqué. Je vous ai
écouté dire que vous ne pouviez intervenir, mais qu'il existait un tribunal
diocésain. Ce à quoi je vous réponds que les victimes ne connaissent pas le droit
canon. Elles n'ont d'ailleurs aucune raison de le connaître puisque jusqu'à preuve
du contraire, c'est le droit civil et le droit pénal qui s'appliquent de manière
légale en Belgique et non le droit canon. De plus, comment pourraient-elles être
informées, quand bien même elles voudraient être reconnues devant les autorités
ecclésiastiques?

-Vous me dites que je suis "à côté de la plaque"!

André-Joseph Léonard: Dans ce cas! Pas en général!

Valérie Déom: Vous nous avez dit que chaque évêque est compétent dans son
diocèse. On vous a demandé ce qui arrive si un évêque ne réagit pas et que vous
êtes saisi de la question. Et vous nous avez répondu que vous ne pouviez rien
faire et qu'il fallait s'adresser à Rome.

Cette structuration ne permet, en tout cas, pas l'échange d'informations, ni


l'écoute efficace de la victime. Ce faisant, si la loi du silence, le "camouflage" –
c'est vous qui avez utilisé ce terme….. Depuis les années '60, '70, '80 '90, il y a
eu des centaines de cas au sein de l'Église. Il faut se demander pourquoi. Et ne
par partir du principe qu'il s'agit simplement d'un phénomène de société. En
effet, je ne pense pas que ce soit pour cette raison que les cas se sont
démultipliés au sein de l'Église.

Encore une fois, je n'entends pas de volonté de changer cette structure pour
permettre plus de transparence, une meilleure transmission de l'information,
notamment à la justice.
283
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

André-Joseph Léonard: Madame, chaque fois que j'ai été confronté –


heureusement, pas souvent – à une victime qui me parle d'abus qu'elle a subis, la
première chose que je fais, et que fait tout évêque normalement constitué, est de
lui dire qu'elle doit s'adresser à la justice civile. Deuxièmement, si elle ne veut
pas s'y adresser, ce qui arrive, je lui dis que nous pouvons instituer une
procédure interne à l'Église, une procédure canonique, via le tribunal diocésain.

Je ne vois pas où il y a là une culture du silence!

La personne est automatiquement mise au courant du fait qu'il existe un droit


canon qui peut donner lieu à une procédure interne, mais toujours sous réserve
que la victime a d'abord été renvoyée vers la justice civile.

Marie-Christine Marghem: J'ai envie de dire que Mme Déom n'a pas tout à
fait tort. Je vais me servir du cas public, publié dans un livre, que vous
connaissez bien à Namur. L'organisation du silence n'est pas nécessairement
volontaire, elle résulte d'un ensemble de choses qui paraissent opaques et qui ne
sont pas organisées entre elles pour donner une clarté à un objectif que l'on
poursuit. C'est un peu cela qu'elle veut dire.

En l'espèce, la personne concernée avait été renseignée sur l'existence du droit


canon puisqu'elle avait déposé plainte en 1996 auprès du tribunal diocésain.
Vous savez que les prescriptions en matière de droit canon sont plus longues
qu'en droit pénal étatique. Mais ce procès diocésain n'a pas été activé pendant un
certain nombre d'années, jusqu'au moment où on s'est un peu réveillé parce la
personne en question a déposé plainte, en 2001, près de la justice étatique belge.
Les procès pénal et civil qui s'en sont suivis et qui suivent leurs cours ont
réveillé en quelque sorte la justice canonique qui, jusqu'à présent, s'était tue. On
revient donc à la problématique de l'opacité et de l'organisation, sans doute
involontaire, du silence.

Pendant ce temps-là, les prescriptions courent et il est évident que cela peut
parfois arranger certains de les laisser courir, même si elles sont longues. Quand
je lis les documents récents qui viennent du Saint-Siège et qui traitent des
normes sur les délits les plus graves, on en compte six ou sept. Le premier, c'est
l'hérésie, l'apostasie et le schisme, ce n'est pas ce qui nous concerne. Le
deuxième…

Le président: Madame Marghem, vous n'allez pas lire les sept!

284
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Marie-Christine Marghem: Le dernier concerne les abus sexuels. Avant tout


cela, il y a notamment le délit grave de tentative d'ordination sacrée d'une
femme!

Le délit le plus grave – mais, en réalité, le moins grave dans la catégorie des plus
graves -, c'est le délit contre le sixième commandement du Décalogue commis
par un clerc avec un mineur de moins de 18 ans. Et il est équiparé au mineur la
personne qui jouit habituellement d'un usage imparfait de la raison.
Deuxièmement, l'acquisition, la détention ou la divulgation à une fin libidineuse,
c'est-à-dire de plaisir amoral, d'images pornographiques de mineurs de moins de
14 ans de la part d'un clerc, de quelque manière que ce soit et quel que soit
l'instrument employé.

On se rend compte qu'il y a des prescriptions très strictes venant de Rome et


qu'il y a une possibilité de procédure canonique. Mais, en même temps, même si
on renseigne les gens, les procédures ne sont pas menées, derrière le paravent
qu'il y a une procédure de justice pénale étatique qui a cours et dont il faut
attendre le résultat. Mais c'est un peu pratique, puisque dans notre cas
précisément, la première plainte, c'était auprès du tribunal ecclésiastique.
Pendant de nombreuses années, c'est-à-dire au moins cinq ans, elle n'a donné
lieu à aucun mouvement. Et puis, elle s'est un peu mise en mouvement, mais elle
n'est toujours pas clôturée aujourd'hui.

Je lis que, dans l'organisation de cette procédure, et c'est la petite idée à laquelle
je pense et à laquelle j'ai fait référence tout à l'heure en termes d'indemnisation,
il y a possibilité de ranger dans la procédure un chapitre sur l'obligation
d'indemnisation…

La présidente: On y viendra tout à l'heure, madame Marghem.

Marie-Christine Marghem: J'en parlerai donc tout à l'heure.

La présidente: Monseigneur a dit qu'il terminerait par l'indemnisation.

Renaat Landuyt: U zegt dat u aan de slachtoffers die bij u komen, zegt dat ze bij
Justitie moeten gaan. Maar het tweede element is naar mijn oordeel nieuw. Uw
collega’s hebben niet zo benadrukt dat er de canonieke procedure is die ze kunnen
laten instellen. Dat opent perspectieven gelet op de mogelijkheden rond verjaring. Dat
opent perspectieven voor de toekomst voor vele gekende gevallen. U zegt dat u bereid
bent, toch minstens in Mechelen, om op vraag van de slachtoffers de canonieke
procedure te starten. En hoeveel zijn er in het verleden geweest?

285
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

André-Joseph Léonard: Une victime peut toujours demander qu'on instaure


une procédure canonique mais elle sera suspendue si, comme nous le souhaitons
par priorité, il y a recours à la justice civile. C'est une mesure que l'on prend
lorsque, provisoirement souvent, la victime ne s'adresse pas à la justice civile. Je
ne vais pas entrer dans le détail de cette affaire parce que, je le répète, ce n'est
pas le lieu. Il y a des réponses à donner aux questions que vous posez mais ce
n'est pas mon rôle, ici, de dire du bien et encore moins du mal d'une personne
concrète. C'est une affaire qui est actuellement traitée sur le plan judiciaire et je
ne fais pas de déclarations, même pour me défendre, dans une procédure en
cours. Cela me paraît déontologiquement incorrect.

Renaat Landuyt: Ik krijg zodoende geen antwoord op mijn algemene vraag. Ik


herhaal dat het de eerste keer is dat ik een bisschop hoor zeggen dat wordt aangeraden
ook een kerkelijke procedure op te starten.
Ik vraag hoeveel dergelijke gevallen er zijn geweest.

André-Joseph Léonard: À ma connaissance, quand j'étais évêque de Namur,


on a eu cela deux fois. Dans les autres cas que j'ai mentionnés, il y a eu une
procédure civile qui a été engagée. Deux fois, nous avons commencé et, ensuite,
dû arrêter la procédure canonique parce qu'il y a eu, heureusement, une
procédure civile qui a été engagée.

Renaat Landuyt: Moet ik mij dat dan voorstellen zoals bij de procedures van
huwelijksontbinding, waarvoor men naar de canonieke rechtbank kan gaan en waarbij
er een beroepsinstantie in een ander bisdom is?

André-Joseph Léonard: Oui.

Renaat Landuyt: Ook hier zou dus strikt genomen de kerkelijke procedure op
verzoek van het slachtoffer ingezet kunnen worden, met zelfs een beroepsinstantie in
een ander bisdom?

André-Joseph Léonard: Effectivement.

Renaat Landuyt: Ook om schadevergoeding te vragen kan men die procedure dus
instellen? Dat is dan ook opnieuw een zeer goede oproep van uwentwege naar het
publiek.

André-Joseph Léonard: Le canon 1730 prévoit qu’en cas de délit, le tribunal


ecclésiastique peut imposer à celui qui a commis le délit de quelqu'ordre qu’il
soit, un dédommagement.

Marie-Christine Marghem: Même si vous vous rangez déontologiquement


derrière le fait que l’affaire soit en cours sur le plan de la justice pénale belge, je
286
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

constate quand même que pendant 5 ans la procédure de droit canon qui avait
été introduite par l’intéressé en 1996 n’a pas été menée. Cela me pose un
problème

André-Jospeh Léonard: Il y a des raisons. On m’a interrogé sur les


perquisitions.

La présidente: Vous dites que la procédure de droit canon s’arrête s’il y a une
procédure judiciaire civile ou pénale. Mais par la suite, reprend-elle son cours ou
vous "contentez-vous" de la justice des hommes?

André-Joseph Léonard: Je n’ai jamais été confronté à ce genre de problème. A


priori, j’aurais tendance à penser que si un jugement a été rendu par la justice
civile, il y a toutes les raisons de faire confiance à ce jugement. Probablement la
victime et nous-mêmes allons nous ranger à ce jugement.

La présidente: Et si la justice civile dit que c’est prescrit? Continuez-vous la


procédure?

André-Joseph Léonard: Si la justice civile dit que c’est rescrit, je ne suis pas
un spécialiste du droit canon mais j’imagine qu’une procédure canonique peut
éventuellement commencer. Le canon 1730 permet de faire parfois des choses
que ne peut pas faire la justice civile.

La présidente: J’entends bien que la victime peut initier une procédure


canonique. On l’entend pour la première fois ici, c’est important. Mais si cela se
passe contre la volonté de l’Église? Cette procédure va-t-elle aboutir?

André-Joseph Léonard: Elle est obligée de le faire. J’ai eu le cas à Namur dans
un domaine tout à fait différent, qui était plutôt un problème de diffamation. Il
nous paraissait à nous, responsables du diocèse, peut-être inopportun de lancer
cette procédure. Mais la victime – enfin la personne qui se croit victime – d’une
diffamation a le droit de demander que le tribunal diocésain se penche sur son
problème.

J’ai été interrogé sur la question des perquisitions. Je n’ai aucune objection, pas
plus que mes confrères, à ce qu’on mène une perquisition. Cela me paraît tout à
fait normal. Ce sur quoi nous avons eu quelques états d’âme, c’était sur les
modalités de la perquisition et sur la proportion entre les buts poursuivis et les
moyens employés – et même les moyens déployés. À ma connaissance, d’autres,
sur le plan civil et judiciaire, se sont posé des questions semblables. Je pense
qu’il est encore légitime dans ce pays, de se poser une question sur la manière –
non pas sur le principe – dont une perquisition a été menée. Et je dois dire que le
287
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

jour-même, quand nous avons vécu cela, quelques questions, même un petit peu
humoristiques, me sont venues à l’esprit. Quand j’ai appris qu’on allait
perquisitionner y compris dans des tombes d’archevêques, j’ai trouvé les
moyens déployés susceptibles d’un questionnement. Aujourd’hui d’ailleurs, il y
a un jugement qui devrait être rendu sur ces questions-là. S’il y a au moins la
possibilité de ce jugement, c’est qu’il y avait quand même des questions à se
poser sur la méthode et sur la proportionnalité.

La présidente: Monseigneur, vous dites toujours que l’important, ce sont les


victimes, que l’important c’est la justice, que l’important c’est la transparence.
L’important aussi, dans un pays démocratique, ce sont les règles de droit. Mais
des perquisitions disproportionnées? On a vu plein de caméras de télévision, il y
en a souvent. Quand vous dites que cette perquisition ne répondait pas à
l’objectif de transparence et de vérité, qu’est-ce que vous entendez par là?

André-Joseph Léonard: J’entends que les moyens déployés étaient


disproportionnés. Par exemple, penser que des dossiers sulfureux sont
dissimulés dans des tombes cardinalices de la cathédrale de Malines, cela me
paraît de l’ordre du roman plus que de la perquisition.

Je n’ai aucun problème sur l’objectif ni sur le principe ou le fait de la


perquisition. Mais, comme pas mal de citoyens, de juristes et de personnes dans
le monde judiciaire, j’ai quand même mes questions sur les modalités selon
lesquelles cela c’est produit.

La présidente: Avec comme conséquences qu’aujourd’hui des prescriptions


courent et sans doute, des abuseurs ne sont pas poursuivis. C’est ce que
j’entends par rapport à votre objectif.

André-Joseph Léonard: Oui, mais ce n’est pas moi qui ai fait la perquisition.

La présidente: Non, mais c’est l’Église qui a introduit un recours.

Marie-Christine Marghem: Quand quelqu’un n’obtient pas satisfaction parce


que cela n’avance pas devant la juridiction épiscopale et qu’il introduit une
plainte au niveau de la justice civile et pénale et que, dans le cadre de cette
plainte, il y a des perquisitions – toujours dans l’optique de dénoncer l’opacité et
l’organisation, peut-être involontaire, du secret –, on voit que celles-ci doivent
être faites de façon subtile et assez large.

Donc, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Dans le cas qui m’a été
soumis, et dont je parle librement avec l’autorisation de l’intéressé, on voit que,
288
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

lorsque l’on va à l’évêché, on trouve un dossier administratif dans lequel il n’y a


qu’une feuille. Lorsque l’on va chez le vicaire épiscopal, on trouve une dizaine
de documents et la trace de l’accord de participation à l’indemnisation de la
victime, toujours pas honoré à ce jour, et une série de documents qui permettent
d’approfondir.

Je ne peux donc pas vous suivre sur la voie que vous évoquez en termes de
disproportion et je rappelle quand même que le juge d’instruction a été confirmé
dans son mandat.

Stefaan Van Hecke: Monseigneur, een heel concrete vraag over de inbeslagnames.
De Kerk vraagt dat de dossiers die in beslag genomen zijn bij de commissie-
Adriaenssens zouden worden terugbezorgd, maar die commissie bestaat niet meer. Wat
moet er volgens u gebeuren met die dossiers als ze worden teruggegeven?

André-Joseph Léonard: Ce n'est pas tout à fait à nous d'en décider mais nous
avons suggéré que ces dossiers soient remis sous scellés, déposés dans un
endroit neutre que désignera la justice et que les victimes décident du sort de
leur dossier. Nous l'avons suggéré mais je ne crois pas que la décision nous
appartient. Nous avons en tout cas dit que nous ne voulions pas qu'ils soient
remis à la conférence épiscopale ou à son siège à la rue Guimard ni à
l'archevêché. Ils doivent être déposés sous scellés dans un endroit neutre. Nous
avons suggéré – mais c'est à la justice d'en décider – que les victimes aient leur
mot à dire dans ce qu'il adviendra des dossiers qui ont été constitués parce
qu'elles se sont adressées à cette commission.

Carina Van Cauter: Mevrouw de voorzitter, ik denk dat mijn vraag gedeeltelijk
vervallen is. Ik wilde vragen, wanneer de bisschop terug in het bezit gesteld zou
worden van de dossiers, of hij ze ter beschikking zou hebben gesteld van Justitie. Ik
verneem net dat er blijkbaar een uitspraak is geweest door de KI en dat de
inbeslagnames in het bisdom regelmatig zijn verlopen. De dossiers zullen dus blijven
waar zij zijn, bij Justitie.
Met betrekking tot de dossiers, in beslag genomen bij de commissie-Adriaenssens, zou
er een andere beslissing zijn gevallen, maar de details daarvan zullen wij nog wel
vernemen.

André-Joseph Léonard: Je n'ai pas d'avis particulier sur la destination de ces


dossiers. Nous ne désirons certainement pas qu'ils reviennent dans les mains des
évêques, ni qu'ils arrivent au siège de la conférence épiscopale. Nous émettons
le souhait que les victimes aient leur mot à dire dans l'usage qui sera fait ou non
de leur dossier.

289
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

S'il y a des dossiers qui nous concernent, que nous soyons mis au courant de
manière suffisante pour pouvoir prendre les dispositions nécessaires dans notre
chef, sous réserve de l'intervention prioritaire de la justice.

La présidente: Monseigneur, M. Adriaenssens l'a dit ici et écrit dans son


rapport, dans ces dossiers, il y a énormément de victimes, 475, mais également
beaucoup de prêtres abuseurs qui ont reconnu les faits. Je ne sais plus si c'est
entre 91 ou 400 qui ont reconnu les faits. En tout cas, 91 ont reconnu les faits.

J'entends bien de respecter à nouveau la volonté des victimes. C'est une chose.
Les victimes peuvent toujours garder l'anonymat, même si une information
judiciaire est en cours; c'est important si elles le désirent.

D'un autre côté, vous le savez aujourd'hui, 91 prêtres dénoncés sont en aveu.

Vous estimez qu'il faut mettre cela dans un lieu neutre et que vous, la conférence
épiscopale, puisque j'imagine qu'ils sont un peu de tous les évêchés, ne devriez
plus regarder l'ensemble de ces 91 noms de personnes en aveu, que vous vous
lavez les mains de ces dossiers, en quelque sorte?

André-Joseph Léonard: En aucune manière! Mais ce n'est pas à nous de faire


l'examen de ces dossiers. Il appartient à quelqu'un d'autre de le aire…

La présidente: Mais ils sont en aveu! Et beaucoup de procédures internes


peuvent se faire.

André-Joseph Léonard: S'ils sont en aveu, qu'on nous dise qui est en aveu et
quelles mesures nous devons prendre! Mais nous n'avons aucune connaissance
du contenu de ces dossiers.

On nous a transmis un nom: est-ce un nom répondant à une accusation


fantaisiste? Est-ce un nom qui correspond à quelqu'un qui était simplement
soupçonné? Était-ce une rumeur le concernant? Est-ce le nom de quelqu'un qui a
avoué? Nous n'en savons rien et nous ne demandons pas mieux que de le savoir,
mais ce n'est pas à nous à feuilleter les dossiers; c'est à quelqu'un d'autre, que la
justice doit désigner, de le faire et de nous mettre au courant.

Nous ne demandons pas mieux. Et nous regrettons que tous ces dossiers aient
été mis au frigo pendant tant de mois. Ce n'est pas nous qui en sommes les
responsables.

La présidente: Mais vous avez quand même introduit un recours contre une
perquisition; et ils sont donc au frigo.
290
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Prenons une hypothèse, monseigneur. Si ces dossiers n'avaient pas été mis au
frigo, ce que M. Adriaenssens nous a dit c'est que, de toute façon, on envoyait à
tous les évêques une lettre avec les noms afin de prendre des décisions et sans
doute des mesures.

André-Joseph Léonard: Mon intention était que la commission, après avoir


traité les plaintes reçues, nous donne un avis circonstancié, des conseils avisés et
compétents sur ce que nous avions à faire en interne, tout en rappelant toujours
le recours prioritaire à la justice.

C'est justement cela que nous n'avons pas reçu parce que la commission
Adriaenssens a été privée de ses dossiers. Elle n'a donc pas pu accomplir à notre
égard ce devoir d'information.

La présidente: Puisqu'il n'y a plus de commission Adriaenssens et que vous


estimez ne pas avoir reçu d'avis circonstancié pour savoir que faire avec des
prêtres en aveu, vous n'allez plus rien en faire?

André-Joseph Léonard: Le jour où ces dossiers ne seront plus dans le frigo, je


suppose que la justice va trouver un moyen pour que nous soyons informés de
manière détaillée et concrète des cas à traiter. Nous ne demandons pas mieux.

La présidente: Il est quand même préférable que des dossiers soient dans les
mains d'un juge qui va pouvoir mener des devoirs d'enquête que de les avoir
sous scellé, peu importe où, …

André-Joseph Léonard: Ils ne sont pas sous scellé à titre définitif mais
jusqu'au moment où une décision sera prise par l'autorité compétente sur leur
destination et sur leur usage.

Pourquoi demandons-nous qu'ils soient sous scellé? C'est pour qu'on ne puisse
pas soupçonner les évêques de trafiquer ces dossiers, de les faire disparaître.
C'est pour qu'ils soient en sécurité jusqu'à ce qu'une décision soit prise les
concernant.

Marie-Christine Marghem: Monseigneur, estimez-vous devoir prendre des


sanctions disciplinaires à l'égard d'un prêtre condamné par la justice étatique à
une condamnation pénale, une amende et éventuellement des dommages et
intérêts? En interne, dans le cadre du droit canon, estimez-vous devoir doubler
cette condamnation étatique d'une condamnation disciplinaire?

291
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

André-Joseph Léonard: Bien sûr. Nous allons évidemment transmettre ce cas à


Rome pour demander quelle sanction nous devons prendre.

Marie-Christine Marghem: Systématiquement?

André-Joseph Léonard: Oui, depuis 2001, pour les cas postérieurs à cette date,
nous sommes tenus d'informer Rome des décisions prises par la justice civile et
s'il n'y a pas de recours à la justice civile, nous sommes tenus de demander à
Rome quelles sont les mesures à prendre. Après instruction, Rome renvoie à
l'évêque en lui demandant de prendre les sanctions adéquates ou dit elle-même
ce qu'il faut faire, surtout dans les cas qui paraissent les plus graves. Le souci de
Rome est d'éviter que les diocèses soient négligents. Pourquoi Rome a-t-elle
demandé cela depuis 2001, sinon pour s'assurer qu'il n'y ait pas de diocèse où on
laisse passer des choses, où on ferme les yeux, pour s'assurer que les décisions à
prendre soient prises et qu'elles le soient à juste titre.

On m'a demandé si j'étais intervenu dans le protocole de la commission


Adriaenssens. La réponse est non. Ce sont les évêques référendaires de Tournai
et d'Anvers qui ont eu des contacts avec la commission et également à titre
informel avec les autorités judiciaires pour éviter que le fonctionnement de cette
commission apparaisse comme une sorte de justice parallèle, pour s'assurer que
le recours à la justice civile soit toujours prioritaire.

La présidente: Sur le même sujet, M. Bacquelaine vous a demandé si vous étiez


intervenu dans cet accord entre la justice et l'Église.

André-Joseph Léonard: Non. Il y a eu des contacts, déjà à l'époque de la


commission présidée par Mme Halsberghe et aussi à l'époque de la commission
Adriaenssens, entre les évêques référendaires et des personnalités du monde
judiciaire pour s'assurer que l'instauration de cette commission ne soit pas
perçue comme une forme de justice parallèle. Malgré tous nos efforts dans ce
sens, tous les efforts de mes collègues dans ce sens, un soupçon a demeuré.

C'est pourquoi nous avons changé d'avis. Ce que nous avions annoncé le 13
septembre, pas le 14, nous ne l'avons finalement pas fait. Il s'agissait d'instaurer
un centre. On avait pensé changer de nom, pour faire moins officiel. Malgré
l'intérêt d'un tel centre, nous y avons renoncé pour couper court préventivement
à toute interprétation possible d'une quelconque justice parallèle. C'est peut-être
dommage, mais nous allons dans l'Église nous limiter à l'écoute pastorale. Pour
ce qui est d'une écoute d'un autre genre, nous allons renvoyer aux centres agréés
et surtout renvoyer à la justice civile pour l'accueil des victimes.

292
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Marie-Christine Marghem: Nous aurons l'occasion d'interroger le ministère


public quant à la rédaction de ce protocole d'accord entre la commission
Adriaenssens et le ministère public. Mais ce qui a notamment créé cette
suspicion, vous devez le savoir, c'est le fait que, dans ce document, il est indiqué
que la commission Adriaenssens transmet à la justice, sous sa propre
responsabilité, les dossiers qu'elle estime devoir transmettre.

Le problème d'avoir une unité interne à l'Église qui ne soit pas transparente et
qui collecte 475 dossiers, alors qu'ils ne sont pas transmis à la justice a provoqué
tout le déroulement de cette procédure exceptionnelle dont nous avons parlé il y
a quelques instants.

Valérie Déom: S'agissant de la transmission des dossiers à la justice, j'imagine


que, dans le code de déontologie et le vade-mecum qui est en préparation, des
choses seront précisées.

Pouvez-vous déjà nous dire quelles seront les grandes lignes qui seront
éventuellement tracées dans ce code de déontologie ou dans ce vademecum?
Comme Mme Marghem l'a rappelé, il y a le principe de l'anonymat qui est tout à
fait possible et qui permet de protéger la société et de rendre justice via la justice
des hommes.

On a quand même entendu, lors de l'audition de M. Adriaenssens, qu'il


considérait que, lorsque le prêtre ou l'abuseur avait avoué, mais qu'il n'y avait
plus nécessairement de risque de récidive, on ne transmettait pas le dossier à la
justice – faute avouée, moitié pardonnée. Ce n'est pas quelque chose de logique
dans le principe du droit judiciaire, qui est le seul que nous devons respecter en
tant qu'homme et que femme.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les règles qui seront prévues dans ce
code de déontologie et dans ce vade-mecum concernant la transmission des
dossiers à la justice?

André-Joseph Léonard: Je serai extrêmement rigoureux et ferme sur ce plan.


Dans la rédaction, nous nous inspirons de ce qui s'est fait, très bien d'ailleurs,
dans les Églises d'autres pays. Nous prenons connaissance de ce qui a été décidé
en cette matière en France, en Autriche, en Allemagne. Il y a là une matière
intéressante et, partout, on va dans le même sens de rigueur, de précision,
d'exigence.

Olivier Deleuze: J'ai deux questions concernant ces centres internes à l'Église.
Je crois percevoir à travers votre réponse que, d'une certaine manière, vous
regrettez que cela ait été perçu comme une justice parallèle. S'il n'y avait cette
293
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

perception, vous êtes toujours d'avis qu'il est peut-être bien de constituer ce type
de lieu au sein de votre institution. C'est l'impression que vous avez donnée mais
elle est peut-être incorrecte.

M. Luysterman nous a dit que pendant la commission Halsberghe, entre 2000 et


2010, il y a eu 33 dossiers dont deux seulement venaient des autorités de
l'Église. Cela donne l'impression que l'Église a créé une commission en son sein
mais qu'elle n'était pas franchement enthousiaste pour lui donner les
informations et pour que la commission puisse lui donner des avis sur la
question. Je sais que plus tard, un débat a en lieu entre vous sur la question de
l'indemnisation et qu'une lettre a été écrite en novembre 2006 par M. Danneels.
On crée une commission mais on ne l'alimente pas vraiment par du travail.

André-Joseph Léonard: Après avoir prévu un point de contact, quand il a été


question d'instaurer la commission, présidée par Mme Halsberghe, il y avait, au
départ, des perplexités chez certains évêques. Moi-même, j'étais heureux qu'on
prenne une initiative pour écouter les victimes.

Cependant, avec mon vicaire épiscopal chargé des affaires juridiques, nous
sommes un peu perplexes: nous risquons de penser que, malgré les précautions
prises, il s'agit d'une sorte de justice parallèle.

Néanmoins, on s'est tous ralliés à l'idée de cette commission, avec laquelle s'est
vite instauré un malaise, ce qui explique qu'on ne lui ait pas donné beaucoup de
travail. Malgré les grands mérites de la personne qui présidait la commission, sa
générosité, son engagement, on avait le sentiment qu'elle travaillait un peu trop
seule, en n'impliquant pas suffisamment les autres membres de la commission.
Et que, peut-être était-ce parce qu'elle était elle-même une ancienne magistrate,
elle vivait la commission un peu comme un tribunal qu'elle présidait, portant des
sentences, déterminant elle-même des montants d'indemnisation à faire.

On a donc justement eu ce sentiment que la commission fonctionnait de plus en


plus exactement comme ce que nous voulions éviter, c'est-à-dire une sorte de
petit tribunal parallèle. Il s'est donc instauré un manque de confiance: la manière
de faire ne correspondait pas à ce qui était le cahier des charges, elle allait dans
une autre direction.

Nous avons été heureux quand Mme Halsberghe, malgré ses grands mérites, a
présenté sa démission et que nous avons pu avoir une nouvelle présidence de la
part d'un homme qui avait une autre approche et qui nous paraissait plus juste,
inspirant plus de confiance, non seulement aux évêques, ce qui est relativement
secondaire, mais une grande confiance aux victimes. Et surtout, après l'appel que

294
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

j'ai lancé le 23 avril, les victimes ont été en confiance pour s'adresser à cette
commission.

Olivier Deleuze: En conséquence de cet état de fait, avez-vous transmis


davantage de dossiers à la commission Adriaenssens que vous ne l'aviez fait
envers la commission Halsberghe? En effet, les huit évêques avaient des
dossiers, des plaintes.

André-Joseph Léonard: En ce qui me concerne, je n'ai pas eu de plainte, mais


je ne suis archevêque que depuis le 27 février. Je n'ai donc pas eu de dossiers à
transmettre, mais les dossiers sont venus tout seuls, si j'ose dire.

C'était très bien que les dossiers viennent. C'est ce que nous avons voulu: nous
avons voulu la transparence. J'ai lancé un appel marquant dans ce sens le 23
avril et les dossiers sont venus tout seuls; nous n'avons pas eu à en transmettre.
Ils ont été ouverts par la commission Adriaenssens à la suite d'auditions de
victimes. C'est très bien ainsi.

Olivier Deleuze: Bien entendu, les dossiers sont venus tout seuls puisqu'on a pu
lire dans le rapport de la commission Adriaenssens qu'il y en avait eu 475.

André-Joseph Léonard: Il y a eu un pic de 200 dans les jours qui ont suivi mon
appel. L'appel a donc été entendu.

Olivier Deleuze: Effectivement. Et l'affaire Vangheluwe a eu également


beaucoup de retentissement.

À coté de cet apport spontané des victimes ou suite à votre appel et à la


démission de Mgr Vangheluwe, les autorités de l'Église ont-elles transmis des
dossiers spontanément? Cette commission Adriaenssens était destinée à donner
un avis aux autorités de l'Église. L'Église a-t-elle transmis des dossiers à la
commission Adriaenssens afin d'avoir son avis? Quelle que soit la réponse,
pourquoi?

André-Joseph Léonard: Peut-être qu'un confrère ou l'autre l'a fait, je n'en ai


pas la science certaine. En ce qui me concerne, la réponse est non car je n'ai pas
eu l'occasion de le faire, je n'ai pas eu de dossier nouveau.

Valérie Déom: Je voudrais revenir sur la notion de rigueur que vous avez citée
pour qualifier les règles qui seront prévues en matière de transmission des
dossiers à la justice dans le code de déontologie et le vade-mecum. Si je vous
comprends bien, ce ne sont pas les règes qui sont rigoureuses, c'est le principe de
l'exigence de transmission à la justice qui sera rigoureux.
295
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Je suppose que, sous le couvert de l'anonymat, si les victimes le souhaitent, il y


aura d'office transmission à la justice, sans que vous ne préjugiez d'un éventuel
risque de récidive, sans que vous ne préjugiez d'une éventuelle prescription. Il
n'y aura donc aucun filtre mis en place par l'Église – ce n'était pas le cas pour la
commission Adriaenssens – sur la prescription ou le risque de récidive pour
transmettre les dossiers à la justice.

André-Joseph Léonard: Je vous le confirme. Je suis un partisan acharné de ce


qu'on adresse tous les dossiers à la justice. Ce n'est pas à nous à juger de la
gravité des faits ou de leur prescription. C'est très clair.

La présidente: Nous allons demander à l'ensemble des évêques s'ils ont


transmis des dossiers à la commission Adriaenssens et combien. Nous ferons de
même avec la commission Halsberghe.

Olivier Deleuze: Il y a une espèce de contradiction factuelle: on institue une


commission mais on ne fait pas appel à la commission. Il y a peut-être une
explication.

La présidente: Surtout qu'elle devait rendre un avis sur les abuseurs.

André-Joseph Léonard: Mais nous devons envoyer, pour le 31 décembre, toute


une série d'informations, notamment à ce sujet.

La présidente: Cela ne figurait pas dans les questions. Nous allons donc ajouter
ce petit élément pour l'ensemble des évêques.

André-Joseph Léonard: Très bien

La présidente: Vous recevrez un courrier avant la Noël à ce sujet.

André-Joseph Léonard: Puis-je en revenir aux questions qui m'ont été posées?

La présidente: Je vous en prie, monseigneur.

André-Joseph Léonard: On m'a interrogé sur le rôle de l'archevêque en tant


que président de la Conférence des évêques. Je dois vous dire qu'il n'y a pas
nécessairement de lien entre les deux fonctions. Je pourrais très bien être
archevêque et ne pas être président de la Conférence épiscopale.

J'ai un rôle de cohésion. Il est évident que, dans l'affaire qui nous concerne, avec
les évêques de Tournai et d'Anvers, qui sont spécialement en charge de ce
dossier, nous allons chercher à avoir une attitude commune et coordonnée. Le
296
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

code, le vade-mecum auquel nous travaillons actuellement sera évidemment


d'application dans les huit diocèses belges. Il est nécessaire d'avoir une harmonie
dans la manière de traiter ce genre de matière.

On m'a demandé si j'avais eu des contacts avec la justice, des procureurs ou des
services de police dans les cas précis.

Non. J'ai eu des contacts après avoir été sollicité par la justice qui voulait
m'interroger sur tel ou tel fait. Mais je n'ai jamais cherché des contacts avec la
justice pour "arranger" le traitement de certains dossiers.

La présidente: Je ne pense pas que c'est ce à quoi pensait M. Van Hecke.

Stefaan Van Hecke: Om zeker te zijn, het volgende. U zegt dus dat u geen contact
heeft gehad met Justitie over individuele dossiers. Ook na de inbeslagname van de
dossiers van de commissie-Adriaenssens heeft u geen overleg gehad met de procureur-
generaal in Brussel? Daarin bent u formeel?

André-Joseph Léonard: Moi, non, aucun contact.

Je n'ai eu avec la justice que des contacts auxquels j'ai été soumis parce qu'on
voulait m'interroger, mais sinon aucun.

On m'a demandé s'il y avait, dans la formation des prêtres, un problème de


solitude et si ce problème était relié au célibat des prêtres. Certains souffrent
parfois de la solitude. Mais j'en connais un certain nombre, c'est un peu mon cas
aussi, qui souffrent de manque de solitude, c'est-à-dire d'être tout le temps
disponibles, tout le temps envahis, tout le temps sollicités – ce qui est très beau,
mais qui engendre parfois un sentiment de manque de solitude.

Il est vrai que des prêtres vivent une certaine solitude. Maintenant, est-ce
intrinsèquement lié au célibat? Là, je serais très prudent. Je connais des
personnes mariées qui souffrent d'une grande solitude à l'intérieur de leur
couple. J'entends souvent des confidences de personnes mariées qui me disent
que, même si elles vivent avec un conjoint, elles vivent une grande expérience
de solitude.

J'éviterais de relier les problèmes de pédophilie au célibat des prêtres, parce que
si le mariage était automatiquement une prévention contre ce genre de problème,
cela se saurait. Et on ne comprendrait pas pourquoi l'immense majorité des cas
de pédophilie sont posés par des personnes mariées ou qui ont un conjoint, et ce
n'est pas cela qui les a empêchées de céder à cette tendance perverse. Je crois
qu'il s'agit d'une évolution psychologique désastreuse chez des individus. On
297
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

retrouve des pédophiles, des gens ayant cette tendance dans le célibat qui n'est
pas celui des prêtres, c'est-à-dire celui des gens qui ne sont simplement pas
mariés. On en retrouve, pour une grande majorité, chez des gens qui sont mariés.
Et, hélas, on en retrouve aussi chez des pêtres engagés dans le célibat sacerdotal.
Mais je ne pense pas que ce soit d'abord lié à l'état de vie.

Cela implique comme conséquence que l'on doit être, dans la formation des
prêtres, et ensuite dans leur accompagnement, plus vigilant que jamais quant à
l'équilibre affectif, quant au caractère humain de la vie des prêtres. C'est une
préoccupation qu'ont tous les évêques désormais.

Il faudra éviter qu'un prêtre, par sa nomination, soit trop exposé à une solitude
qui risquerait d'être pour lui, compte tenu de son tempérament, dangereuse.
Nous sommes désormais très attentifs à ce genre de choses. Nous sommes très
attentifs à la manière dont on nomme les prêtres pour cette raison mais aussi
pour que, dans un monde qui n'est facile pour personne, nous puissions vivre
notre célibat d'une manière positive, équilibrée et juste. C'est une obligation dont
nous sommes très conscients.

Je pense avoir répondu à toutes les questions sauf celles dont j'avais dit que j'en
parlerais en dernier lieu.

La présidente: En ce qui concerne la question que j'avais posée sur le passé.


"Passé" et "jadis", quand cela se situe-t-il sur la ligne du temps?

André-Joseph Léonard: Il y a une première étape en 2001, moment où Rome


nous a demandé de transmettre tous les dossiers qui viennent à notre
connaissance dans ce domaine. Sinon, quand je parle du passé, je parle d'une
période qui se situe avant que je sois évêque.

Quand je suis devenu évêque en 1991, je vous l'ai dit tout à l'heure, j'ai été
immédiatement conscient de l'importance d'avoir une attitude de transparence.
J'avais en effet été au contact de victimes antérieurement, dans ma vie de prêtre
à l'université, et j'avais le sentiment diffus, pas très argumenté, que dans le
passé, on avait noyé le poisson, pas tellement pour ces problèmes de pédophilie
mais pour d'autres problèmes de désordres moraux dans le chef de prêtres. On
avait déplacé les gens. Or on déplace alors le problème en même temps que la
personne.

Je pense par exemple aux cas de prêtres alcooliques ou de prêtres vivant dans un
certain concubinage. Parfois, dans le passé, j'ai eu le sentiment que le problème
était déplacé. Telle est la période que j'envisage lorsque j'utilise le terme "passé",

298
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

une époque où dans beaucoup de milieux, on camouflait les problèmes au lieu


de les aborder de front.

La présidente: Des prêtres d'ailleurs qui avaient eu des enfants illégitimes. On


nous a dit qu'il y en avait beaucoup.

André-Joseph Léonard: Je ne sais pas s'il y en a eu beaucoup. J'ai eu la


connaissance de quelques cas dans le diocèse de Namur. Ce sont des cas que j'ai
traités en m'assurant que le prêtre en question payait une pension alimentaire à la
mère de l'enfant.

Il y a eu une question que j'ai trouvée quelque peu marginale mais j'y répondrai
quand même: est-ce que je me sens victime de machinations, de conspirations,
de complots? En aucune manière. Ce n'est vraiment pas mon rôle de me
présenter ici comme une victime. Je n'ai pas du tout ce sentiment-là et à
supposer même que dans certains cas, il y ait un fondement à cette impression,
je dois dire de manière prosaïque et quelque peu machiavélique que ce que les
gens pensent être des campagnes dirigées contre moi ont aussi à terme des
aspects très positifs. En effet, cela me donne des occasions de parler
extraordinaires. Si je fais une conférence quelque part, depuis qu'il y a eu toutes
ces attaques – que je ne vis pas comme des attaques –, les salles sont remplies.
S'il y a des machinations, elles ont comme résultat de me donner plus de chances
dans l'exercice de mon ministère. Je dirai donc: "Allez-y!".

La présidente: Nous ne sommes pas là pour cela: nous sommes ici pour obtenir
des réponses à nos questions, pas pour vous attaquer personnellement ou pour
vous juger. Par contre, monseigneur, vous n'en avez pas fini avec nous. Même si
notre objectif n'est pas de vous juger, vous attaquer ou vous mettre au pilori,
comme je l'avais dit hier au cardinal Danneels, M. Bracke a une question!

Siegfried Bracke: Wat betreft de deadline, wanneer denkt u als


bisschoppenconferentie een aantal oplossingen als feiten te kunnen meedelen?

André-Joseph Léonard: Là on est un petit peu comme Jean-Luc Dehaene et


d’autres. On n’aime pas trop se fixer des deadlines. Mais nous travaillons
énormément sur ces questions. En plus des réunions habituelles de la
Conférence épiscopale, d'autres réunions ont été organisées. Nous voudrions que
ce vade-mecum, ce code déontologique puisse être terminé dans un délai
raisonnable. Nous n'avons pas fixé de date, mais il doit être terminé dans une
échéance relativement brève vu le sérieux de la question. Mais il faut aussi que
toutes les précautions soient prises pour éviter certains pièges. Pour ce, nous
devons prendre le temps de nous faire conseiller par des experts. Je répète que je
ne donne pas de date, mais nous sommes conscients de l'urgence.
299
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Marie-Christine Marghem: Monseigneur, vous avez dit "avant", c'était "avant


que je ne devienne évêque". Vous comprenez que nous puissions comprendre
que quand vous êtes arrivé, les choses se passaient mieux.

À la lecture de certains documents, je constate quand même que vous pourriez


considérer que vous évoluez de plus en plus vers ce que vous avez voulu, à
savoir une transparence et une meilleure organisation. Peut-être, au début,
jusqu'à une certaine période, n'avez-vous pas toujours pu ou voulu faire tout ce
qu'il fallait pour traiter un dossier de "a" à "z" en toute transparence.

André-Joseph Léonard: Je vous ai dit tout à l'heure que, dans certains cas, j'ai
été confronté à une difficulté et j'en ai donné les raisons. Je vous ai dit pourquoi
j'ai été amené à prendre certaines décisions progressivement. Une de ces raisons
est notamment l'attitude initiale de la victime. De plus, après un certain temps,
une procédure civile est heureusement engagée et, aussi longtemps qu'elle n'a
pas abouti, il peut être délicat de prendre des décisions radicales du premier
coup car on n'est pas certain de respecter tant les droits de la victime que ceux de
l'auteur présumé des faits. J'ai reconnu ma perplexité et je vous en ai donné les
raisons. Mais le but n'était vraiment pas de me montrer négligent. Et je vous ai
dit de manière un peu plate que, sur un plan personnel, j'avais toutes les raisons
de me montrer le plus empressé possible quand j'avais affaire à des auteurs
présumés qui étaient des gens qui me compliquaient la vie. Egoïstement, je
n'aurais eu aucun intérêt à dissimuler un fait ou à l'atténuer.

Mais, dans ce cas, il faut aussi faire preuve de prudence et ne pas céder à une
sorte de tentation de vengeance personnelle.

Valérie Déom: Monseigneur, un certain nombre de témoignages que nous avons


reçus vont dans le même sens. Selon ces derniers, l'Église ou l'évêque propose,
suggère à la victime de recourir à un psychiatre ou à un psychologue. Le nom du
professeur Lievens a été cité à plusieurs reprises. Quel est l'objectif de l'évêque –
cela concerne notamment un cas qui relève de votre diocèse – quand il conseille
tel ou tel psychiatre ou psychologue? Un arrangement est-il pris, dès le départ,
au niveau de la prise en charge des frais de la thérapie? À qui le praticien doit-il
rendre des comptes?

André-Joseph Léonard: Les psychologues ne nous rendent pas de comptes


détaillés. En effet, cela serait contraire au secret professionnel. Mais ils nous
donnent un avis sur la dangerosité, sur la capacité d'évolution de la personne.

300
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Valérie Déom: Monseigneur, je voulais parler des victimes qui sont envoyées
chez un psychiatre.

André-Joseph Léonard: Je pensais à l'accompagnement de certains abuseurs


qui a parfois dû être assuré.
Quand on recommande à une personne de se faire accompagner
psychologiquement, l'objectif est de l'aider à guérir de ses blessures.

Valérie Déom: Dans ce cadre, le psychiatre ne vous fait jamais rapport des
entrevues qu'il a eues avec la victime?

André-Joseph Léonard: Non. Cela serait contraire à la déontologie.

Parfois, un accord a été passé – je ne connais pas beaucoup de cas – quant à la


prise en charge financière de la thérapie, prise en charge partagée entre la
victime, l'abuseur et l'évêché. Mais il s'agit d'une participation financière qui
n'est pas conçue comme une pension à vie. Elle est liée au traitement d'un
dommage précis, en ne perdant pas de vue que d'autres éléments ont pu
intervenir dans la vie d'une personne pour la déstabiliser. Le cas envisagé n'est
qu'un aspect de la problématique de la personne.

Ce n'est pas notre rôle d'entrer dans ce sujet.

En ce qui concerne la question des indemnisations, j'ai déjà souligné tout à


l'heure dans mon intervention qu'il s'agit d'un domaine très complexe qui pose
une question de principe. D'abord, une institution doit-elle prendre en charge les
conséquences financières de faits perpétrés par d'autres personnes? Il y a là une
question de principe qui mérite d'être traitée. Et je voudrais remettre cela dans
un contexte plus large. Il a été fait appel plusieurs fois à une sorte de solidarité
qui aille au-delà du droit. On m'a dit: "L'Église soutient certaines valeurs
morales; ne devrait-elle pas donner l'exemple d'une indemnisation, même si elle
n'y est pas tenue par le droit, mais simplement par générosité?" Je reconnais que
l'Église catholique est, à certains égards, assez spécialisée dans la générosité. Si
on doit faire le compte en Belgique de tout ce qui se fait du point de vue de la
solidarité avec les plus pauvres de notre société, de la solidarité avec le Tiers-
Monde, de la solidarité en matière de catastrophes et d'épidémies, l'engagement
généreux de l'Église catholique est extrêmement important. Et on est très
soucieux de cela. Cela fait partie de notre manière de voir les choses.
Cela étant, je tiens à rappeler que l'Église catholique n'a pas le monopole du sens
des valeurs morales et que je suis un champion acharné de l'existence d'une
morale non confessionnelle. Il y a des valeurs morales présentes dans toutes les
options philosophiques. L'Église catholique n'a pas le monopole du sens des
valeurs morales.
301
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Je pense aussi que c'est votre devoir et celui de la société civile, quand il est
question d'indemnisations, de bien peser tous les aspects du problème.

Par exemple, plusieurs fois, le Pr Adriaenssens nous a dit sa réticence à l'égard


de la volonté de faire des indemnisations une priorité.

D'abord, à son sens, parce que la plupart des victimes ne le demandent pas, mais
certaines le demandent; que si cela devenait un système, cela pourrait à nouveau
encourager une culture duilence; pour éviter des indemnisations, on cachera
autant que possible les faits; au risque aussi d'encourager des délations abusives,
des délations forcées parce qu'il y aurait des intérêts financiers à la clé. C'était sa
pensée.

Je pense aussi que c'est votre devoir de vous situer au niveau du bien commun,
de ne pas penser seulement à l'Église, mais de penser à tous les autres domaines
de la société.

Il est clair que, si l'on imposait à l'Église de dédommager les victimes, même
sans responsabilité personnelle de ses responsables, on raisonnera sans doute de
la même manière pour tous les autres milieux: pour les milieux sportifs, les
milieux thérapeutiques, les milieux médicaux, etc. où se produit également ce
genre d'abus. Il faut donc pouvoir extrapoler, pouvoir étendre à tous les
domaines de la société le même type de raisonnement.

Il faut aussi se poser la question: où va-t-on s'arrêter? J'ai été fort interpellé par
un arrêt dont j'ai vu l'écho dans la presse récemment, où l'on a jugé en Belgique
qu'il était raisonnable de dédommager quelqu'un qui se plaint du fait qu'il existe:
parce qu'on n'avait pas suffisamment informé ses parents d'un risque d'anomalie.
Il se plaint donc du fait qu'il existe. Cette plainte a été jugée recevable, quelque
part en Belgique.

Soyons attentifs à cela! Nous vivons dans un monde où on a tendance à


judiciariser un maximum d'affaires. Voyons aux États-Unis. J'ai été alerté par un
cas. Je vais évoquer quelque chose qui ne reflète pas du tout ma pensée car je ne
suis pas du tout porté à vouloir judiciariser trop d'affaires en matière de
dédommagements.

Par exemple, des études médicales commencent à paraître disant qu'il y aurait
des raisons de penser que les enfants qui ont été conçus par procréation
artificielle seraient, au bout d'un certain temps, plus vulnérables à certaines
maladies génétiques. J'imagine, sans l'approuver du tout, le scénario de gens qui
vont s'adresser aux pouvoirs publics en disant que ceux-ci ont élaboré des
législations en matière de bioéthique qui ont permis qu'ils soient conçus de cette
302
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

manière alors qu'il semblerait que cela entraîne parfois davantage de risques
génétiques. Ils exigeraient donc un dédommagement. On peut multiplier les
exemples.

Cet arrêt m'a interloqué. Je vous demande donc d'être très attentifs à toutes les
retombées possibles d'une logique d'indemnisation. Je ne dis pas non mais je
demande à ce qu'on soit attentif.

Il y a aussi des gens qui font faire des études – cela va commencer car le cas va
se poser de plus en plus – sur les éventuelles séquelles psychologiques des
enfants qui ont grandi en ayant deux mamans ou deux papas. Pensons à cela.
Que va-t-il se passer si un jour des gens commencent à demander des
dédommagements parce qu'une législation…

La présidente: Nous serons responsables.

André-Joseph Léonard: Je ne partage pas du tout cette analyse mais je sens


qu'il y a des gens qui vont raisonner ainsi! Sans partager du tout cette lecture, je
le répète encore, je demande simplement qu'on y soit attentif.

Je proposerais donc que l'Église catholique, qui est très sensible à la générosité
spontanée, participe librement avec tous les autres milieux de la société à la
constitution de fonds de solidarité, pas parce qu'on y est tenu juridiquement, sauf
si vous nous l'imposez, mais parce qu'il y a en général un devoir de solidarité
avec toutes les victimes: avec les victimes d'inondations, avec les victimes
d'épidémies mais aussi avec des victimes d'abus sexuels, même quand on n'est
pas directement responsable de ces faits.

Cela me paraîtrait être une contribution intéressante que l'Église catholique, qui
n'a pas le monopole de la générosité, qui n'a pas le monopole des abus sexuels
non plus, contribue librement, de manière volontaire, à un fonds de solidarité, si
vous jugez que cette manière de faire est tenable à long terme et en pensant au
bien commun dont vous avez la charge. Vous n'êtes pas vous-même le bien
commun mais vous êtes au service du bien commun et vous devez voir si dans
tous les domaines de la société, on peut trouver une solution qui soit juste à
l'égard des victimes et qui en même temps soit tenable, soit réaliste et respecte le
droit, qui ne fasse pas peser sur des gens qui n'ont commis aucun méfait et qui
n'ont pas montré une négligence coupable une responsabilité personnelle ou
institutionnelle.

La présidente: Monseigneur, certains de mes collègues voudront certainement


réagir à vos dernières propositions mais avant, je tiens à rappeler que nous
tenons à la séparation des pouvoirs et que l'un de nos objectifs est de voir la
303
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

séparation de l'Église et de la Justice, ce que nous examinerons après Noël. Je ne


crois pas que ce parlement puisse vous imposer, à vous qui incarnez l'image de
l'Église ici, ou en tout cas puisse imposer à l'Église quoi que ce soit en matière
de procédures ou de règles. Nous ne pouvons rien vous imposer.

Vous le savez, parce que nous tenons à la séparation des pouvoirs. Encore une
fois, il y a certains secteurs tels que le sport et puis, il y a l'Église qui est une
structure qui a une morale, qui avait une puissance dans la société que vous ne
pouvez pas nier et dont la responsabilité morale, en raison aussi de la confiance
que l'État avait mise en elle, puisqu'il y a eu les internats, les écoles et les
hôpitaux – qui existent encore –, est plus forte qu'ailleurs. Et c'était là-dessus
que se basait l'idée d'un dédommagement.

Christian Brotcorne: Monseigneur, c'était l'une des questions que j'avais


posées. Dans votre raisonnement, vous modifiez les prémisses. Vous n'avez pas
bien compris. En tout cas, à titre personnel, je souhaite, et je pense que c'est
aussi le cas des autres parlementaires, mais ils le diront eux-mêmes, que notre
propos n'est pas d'imposer quoi que ce soit à l'Église par le fait que nous
légiférions. Vous venez de parler de la générosité spontanée et librement
consentie.

C'est dans ce cadre-là, me semble-t-il, que l'Église pourrait décider, sans attendre
la réaction d'autres milieux dans lesquels se commettent également des actes de
pédophilie tout à fait répréhensibles, d'intervenir aujourd'hui sous la forme d'une
indemnisation au nom d'une obligation morale. Abusés, abuseurs décédés, faits
prescrits… Mon Dieu, monseigneur, cela se passe à l'intérieur de l'institution!
Pour l'essentiel, les victimes ne lui sont pas extérieures. Ce sont des gens
proches des milieux cléricaux, dans les églises et les écoles, "à l'ombre de nos
clochers" comme je le dis très régulièrement.

"Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez
fait". Ce sont des textes à partir desquels vous prononcez régulièrement des
homélies. Cela ne doit-il pas inspirer à l'institution, sans attendre que d'autres
milieux bougent, de se conformer à cette obligation de réparation? C'est la
question que je vous pose à titre personnel.

La présidente: Nous allons rester dans la même thématique et entendre


l'ensemble des réflexions et des questions des parlementaires.

Carina Van Cauter: Monseigneur, zoals de voorzitter al heeft gezegd, wij kunnen u
niet verplichten tot solidariteit. Wij kunnen u ook niet verplichten om vrijwillig de
schade te vergoeden die is aangericht. Evenmin kunnen wij u verplichten om moreel
de volle consequentie te dragen van de vaststelling dat er toch enige
304
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

verantwoordelijkheid ligt bij de Kerk op zich, waarvan u in een pastorale brief


expliciet hebt erkend dat op een onzorgvuldige wijze omgegaan is met de afhandeling
van klachten ingevolge seksueel misbruik. Wij kunnen u daar niet toe verplichten.

Maar omdat u zegt dat u een inspirerende en coördinerende rol hebt in de


bisschoppenconferentie, zouden wij van u verwachten dat u daar een voortrekkersrol
zou opnemen. Dat is wat ik eigenlijk van u had verwacht, vandaag.

Als wij spreken over solidariteit, dan is het een vaststaand feit dat men binnen de Kerk
solidair is met iedere priester die is ingetreden, ook met priester-daders. Ook met
priester-daders die desgevallend zijn gelaïciseerd, blijft de solidariteit bestaan.

Wanneer een burgerlijke rechtbank een fout aantoont, een oorzakelijk verband met de
schade vaststelt en de priester in kwestie heeft veroordeeld, en als de priester in
kwestie niet kan betalen, dan zou er toch een minimale vorm van solidariteit
opgenomen mogen worden door de Kerk om daarin verder te gaan en ook het
slachtoffer te vergoeden, wiens schade vaststaat? Dat is een eerste opmerking, of liever
een vraag, want ik heb u geen opmerkingen te maken.

Président: Stefaan Van Hecke.

Een tweede vraag. Wanneer de feiten vaststaan en de schuld is erkend, denkt u dan niet
dat men beter vrijwillig zou overgaan tot schadevergoeding? U zei daarnet zelf dat een
beroep gedaan kan worden op canon 1730, om via een canonieke procedure
schadevergoeding af te dwingen, ook in die gevallen waar, bijvoorbeeld ingevolge een
procedurefout, men niet komt tot het opleggen van een straf aan betrokkene. Denken
wij aan het geval-Borremans, ons bekend. In het canoniek recht staat dat de
verplichting tot schadevergoeding niet weggenomen is omdat de schuld vaststaat en
dat men dan gehouden is om de schade te vergoeden.

Welnu, als u zich darvan bewust bent, als u dergelijke dossiers onder ogen krijgt, moet
men dan werkelijk aan het slachtoffer vragen dat hij elk procedurea gaat uitputten,
kosten maakt, opnieuw die pijn doorstaat, om uiteindelijk genoegdoening te krijgen, of
gaat men vrijwillig zijn verantwoordelijkheid nemen en vergoeden waar het slachtoffer
recht op heeft?

Ten derde, die morele verantwoordelijkheid, als u erkent in een pastorale brief en hier
vandaag ook in deze commissie dat in het verleden op een foutieve wijze is omgegaan
met seksueel misbruik binnen de Kerk, neemt u dan niet die morele
verantwoordelijkheid op met al zijn consequenties? Het is gemakkelijk om 110
redenen te vinden waarom men het niet zou doen, maar ik kan er u evengoed evenveel
voorleggen waarom men het wel zou doen.

De christelijke leer in ons achterhoofd houdend, verwachten wij van u dat ietsje meer
en verwachten wij dat u de balans in de richting van de slachtoffers en niet in de
richting van de daders zou laten overhellen.
305
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Présidente: Karine Lalieux.

Olivier Deleuze: Madame la présidente, monseigneur Léonard, nous avons


entendu ici Mgr De Kesel, le 15 décembre, qui, à la fin de la session, disait qu'il
était d'accord en principe pour un système non arbitraire, transparent, décidé en
Conférence épiscopale. Tandis qu'à vous entendre, vous donnez des exemples
grotesques de gens qui demandent des dédommagements parce qu'ils existent et
ensuite dire que vous êtes d'accord si cela concerne tous les secteurs, si c'est
libre, qu'on fera comme pour les inondations. Est-ce que vous percevez que le
signal que vous donnez, en fait, est perçu très différemment par nous du signal
donné par Mgr De Kesel? Au minimum, c'est un signal de désintéret, mais au
maximum, un signal d'une certaine ironie à mon sens un peu déplacée.

Marie-Christine Marghem: Monseigneur, en ce qui concerne l'indemnisation,


nous sommes évidemment tout ouïe quand vous parlez d'un système qui pourrait
permettre ce type d'indemnisation. Mais vous commencez votre sujet par
quelques fumées (cela a été dit) qui ressortissent à des cas de responsabilité
civile soit réels soit hypothétiques, presque de sciencefiction. C'est une façon de
noyer le poisson sur le véritable problème.

Évidemment, ici, il n'y a pas de responsabilité civile qui permette d'engager


l'Église pour les clercs qui auraient fauté, qui auraient commis les crimes que
l'on connaît. Parce que, tout simplement, le lien de causalité, par exemple,
puisque c'est le lien de causalité que vous interrogez, n'existe pas ou ne peut pas
être établi. Ce dont on parle, comme cela avait été dit par un collègue, c'est d'une
responsabilité objective, c'est-à-dire en tant qu'institution.

Deux éléments me permettent de parler de vous comme institution responsable,


et l'un d'eux a été cité par vous. Quand un prêtre est réduit à l'état laïc, vous lui
donnez son C4; donc vous agissez comme un employeur qui se sépare de l'un de
ses employés, alors que c'est vous qui l'avez incardiné, c'est vous qui l'avez
amené dans votre domaine à devenir prêtre et qui avez produit qu'il reçoive un
traitement payé par l'État.

C'est là que je voudrais vous interroger.

Un, les ministres du culte sont payés par l'État parce que vous provoquez chez
eux cette qualité; deux, c'est vous qui décidez qu'ils la perdent à un moment
donné de façon très réticente, nous l'avons bien compris, ce qui est peut-être lié à
ce que je dis. Il y a donc un lien hiérarchique, juridique en gestation ou qui est
peut-être beaucoup plus précis que je ne l'imagine: je n'ai pas eu le temps
d'approfondir cette question sur le plan juridique, je l'admets.
306
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Une deuxième chose que je veux vous dire, c’est que dans la procédure
judiciaire dont il est parlé dans les normes sur les délits les plus graves que j’ai
rapidement énumérées tout à l’heure, on voit que les frais judiciaires sont réglés
selon ce qu’établit la sentence quand elle clôture une instance ouverte en droit
canon. Et au § 2 de l’article 29, on voit que si le coupable ne peut régler les
frais, ceux-ci seront réglés par l’ordinaire ou par le hiérarque de la cause.
Évidemment, en termes de vocabulaire, j’attends vos éclaircissements – le
hiérarque est évidemment le supérieur hiérarchique, mais l’ordinaire, je ne sais
pas ce que c’est.

Mais ça prouve bien que, même pour des frais judiciaires qui pourraient être
élargis à une indemnisation de victimes… Vous savez, on vous l’a répété et vous
le savez, le droit canon permet des condamnations disciplinaires; mais accrochée
à ça, l’obligation pour celui qui a été condamné disciplinairement pour des faits
d’abus sexuels – en l’espèce, que j’ai indiqués tout à l’heure – d’une réparation à
l’égard de la victime.

Dans ce sens-là, je pense donc qu’il y a des liens qui empêchent, dans un
premier temps, que la solidarité que vous interrogez au niveau de la société…
Un moment, j’ai cru que vous alliez nous demander de nous cotiser pour faire
partie de ce fonds! La générosité de l’Église, c’est très bien. Mais sa
responsabilité objective, je pense que c’es plus cohérent et plus logique par
rapport à ce que je dis.

Stefaan Van Hecke: Mevrouw de voorzitter, als ik het antwoord van de


monseigneur hoor, interpreteer ik dat als: ik kan bijna niet anders, ik zal wel iets
moeten doen, maar het is toch wel ferm tegen mijn goesting. Zo interpreteer ik uw
antwoord.

Ik was verbijsterd over uw argumentatie. Misschien is het een beproefde techniek om


ons een beetje uit te dagen door te provoceren en vergelijkingen te maken met ethische
dossiers waarover u een bepaald standpunt hebt die misschien de onze niet is. Door die
vergelijking te maken, provoceert u natuurlijk wel. En dan de vergelijking maken met
rampen. Wij weten dat de katholieke kerk genereus is als het over rampen gaat. De
overheid ook. Er is echter wel een groot verschil tussen een ramp die een
natuurverschijnsel is en seksueel misbruik op kinderen. Dat is geen natuurverschijnsel.
Dat is een gewilde daad.

Het feit dat u die vergelijking maakt, monseigneur, dat choqueert mij.

Ik kan alleen maar vaststellen waarmee ik ook ben begonnen: u voelt aan dat u niets
anders zult kunnen dan iets doen, maar dat is ferm tegen uw goesting.

307
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Ik zou eigenlijk willen vragen: probeer daar iets positiefs van te maken. Doe het omdat
het noodzakelijk is om de mensen te helpen en niet omdat de maatschappij het van u
verwacht.

Sophie De Wit: Mevrouw de voorzitter, ik ben begonnen en ik ga ook afsluiten. Voor


mij is de cirkel ook rond.

De monseigneur zei daarnet dat wij het recht moeten respecteren. Dat is al gezegd door
mevrouw Van Cauter. Waarin voorziet het recht? Fout, schade, oorzakelijk verband,
ook voor een aangestelde.

Het is een interessante discussie of priesters al dan niet aangestelden zijn. Het is hier
eigenlijk te weinig aan bod gekomen.

Los daarvan, het is aangehaald door de heer Van Hecke, het gaat hier niet om een kind
dat twee mama’s heeft of over een natuurramp, maar het gaat om misdrijven die in het
Strafwetboek zijn opgenomen. Het gaat niet zomaar om een simpel feit, maar om een
misdrijf.

Ik vind het heel jammer. Wij hebben het aan elke bisschop gevraagd. Wij hebben dat
gisteren aan kardinaal Danneels gevraagd. De kerkelijke, morele verantwoordelijkheid
is blijkbaar heel moeilijk om op te nemen.

Ik hoor u vragen: “Waar gaat dat stoppen”?

Ik kan besluiten met de vraag die ik in het begin heb gesteld. Wij hebben gisteren
kardinaal Danneels gehoord en hij zei: als wij daarover moeten beslissen – dat was zijn
standpunt – dan is de stelregel dat het belang van het slachtoffer primeert op het belang
van de structuren en het instituut van de Kerk. Ik vrees dat ik moet concluderen dat u
het daarmee niet eens bent.

André-Joseph Léonard: Quand je fais une comparaison, je compare des choses


différentes. Si j'ai fait des comparaisons, c'était pour suggérer comment on peut
parfois se montrer généreux à l'égard de victimes de situations dont on n'est pas
directement responsable. C'est le sens d'une comparaison. Cela n'a pas de sens
de comparer des choses identiques. On ne compare jamais que des choses
différentes. Donc, il n'y avait rien d'injurieux ou de choquant dans mon propos.

Je dis que l'Église catholique pratique beaucoup la solidarité avec beaucoup de


victimes de situations très différentes mais qui ont en commun d'être des
situations dont on n'est pas directement responsable. Je me fais comprendre?

J'essaie de dire, sans forfanterie, que l'Église catholique est très soucieuse de se
montrer solidaire avec toute une panoplie de victimes dans des situations où elle
n'est pas directement responsable, aussi dans le cas qui nous réunit aujourd'hui.
308
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Un "ordinaire" est le nom donné dans l'Église latine à l'évêque du lieu ou au


responsable équivalent au plan religieux.

L'exarque est le mot grec qu'on désigne pour les églises orientales.

Le président: Nous poserons les questions concernant le vocabulaire aux


juristes du droit canon.

André-Joseph Léonard: Vous avez utilisé la catégorie d'employeur, qui est très
contestée. Nous avons des cas dans la jurisprudence où il est assez clair qu'un
évêque n'est pas l'employeur ou le commettant vis-à-vis de ses prêtres. Ce n'est
pas lui qui fixe leur travail de manière déterminée, de manière réglementaire. Il
y a une très grande liberté d'action individuelle d'un prêtre qui fait que cette
catégorie n'est pas adéquate.

Je répète mon propos essentiel. La priorité est que, en droit canon comme en
droit civil, ce soit l'abuseur qui paie s'il y a des dommages à régler, s'il y a une
indemnisation. Je suis très réservé à l'idée que l'institution comme telle soit
automatiquement tenue d'indemniser les victimes, surtout quand il s'agit de faits
qui sont lointains, qui appartiennent souvent à une autre époque.

Au nom d’une espèce de responsabilité morale ou collective, être tenu à une


indemnisation me paraît quelque chose de risqué. C’est pourquoi je propose,
mais là, nous aurons besoin de votre réaction, que l’on trouve une solution qui
soit tenable dans tous les milieux concernés, parce qu’il n’y a pas que l’Église
qui bénéficiait jadis d’une grande autorité morale.

Que d’abus ont été commis également, d’après ce que j’entends de la


commission Adriaenssens, dans des professions de prestige: thérapie, monde
médical, autorités sportives, etc. Cela ne va pas se limiter évidemment à la seule
Église catholique. Je suis donc prêt à examiner, parce que cela en vaut la peine
et que les victimes sont prioritaires dans notre discours - cela a été rappelé
combien de fois aujourd’hui -, un système qui, sur base volontaire, permettrait,
dans tous les milieux, d’honorer les victimes qui le demandent, y compris sur un
plan de dédommagement. Cela, à condition que l’attitude adoptée soit
extrapolable à tous les milieux et que l’Église catholique n’exerce pas une sorte
de pression morale sur ces milieux par sa propre attitude. Il faut que ce soit
tenable dans l’ensemble de la société et vous avez fortement la charge de veiller
à ce que toute solution adoptée le soit en tenant compte du bien commun.

La présidente: Donc, vous excluez, par exemple, un système d’arbitrage,


dossier individuel par dossier individuel et contradictoire au niveau d’une

309
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

indemnisation par rapport aux victimes de l’Église, comme Mme Van Cauter le
présente souvent.

André-Joseph Léonard: Je ne suis pas juriste.

La présidente: Je ne parle pas du droit; je parle d'une procédure spontanée.

Je vous ai dit que nous ne pouvions et que nous n'allions rien vous imposer.
Nous respectons la séparation de l'Église et de l'État et la séparation des
pouvoirs qui nous a amenés à constituer cette commission par rapport à l'Église
et à la Justice. Nous respectons cela. Donc, n'attendez pas qu'on vous impose
quelque chose. Cette commission n'est pas là pour ça et elle n'a pas l'autorité
pour le faire.

Les questions qui vous ont été soumises ici tendent simplement à savoir si
l'Église compte, spontanément, de par la place qu'elle a pris dans notre société
depuis des dizaines d'années, par sa puissance, son pouvoir et par le fait que
l'État à un certain moment vous a donné énormément de place, parce que vous
aviez énormément d'écoles, d'hôpitaux, d'internats, etc., par le fait que vous êtes
autre chose qu'un simple club sportif, faire cette démarche.

Si j'ai bien compris, vous allez mettre à l'ordre du jour de la conférence


épiscopale la proposition que vous venez de nous exposer ici. Il y a sans doute
d'autres évêques qui mettront autre chose à l'ordre du jour de la conférence
épiscopale.
André-Joseph Léonard: Et dans votre hypothèse, qui ferait cet arbitrage?

La présidente: Cela pourrait être un arbitrage sur cas individuel, contradictoire,


avec des experts, etc.

André-Joseph Léonard: Fait par qui?

Marie-Christine Marghem: Dans les accords qui peuvent exister en termes


d'indemnisation entre le responsable du dommage et la victime de ce dommage,
il peut y avoir entre ces deux pôles un accord pour désigner un expert qui va
examiner la situation et auquel ils se lient pour les conclusions de l'expertise. En
le désignant, ils disent: "nous acceptons par avance les conclusions que vous
allez tirer de cette expertise." Et sur base de ces conclusions, sachant
qu'Adriaenssens lui-même nous a expliqué que l'on pouvait même chiffrer, en
pourcentage, la capacité de travail ou d'invalidité, le dommage corporel causé
par les abus sexuels (16 % est le chiffre que nous avons retenu et que nous
utilisons habituellement). Il y a des tables qui existent dans la législation belge
qui permettent de calculer, sur la durée de vie moyenne d'un individu, selon qu'il
310
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

s'agisse d'un homme ou d'une femme, ce qu'il en est de l'incapacité de travail


éventuelle, ce qu'il en est de l'invalidité et ce qu'il en est du dommage moral.
Pour ce dernier point, nous ne consultons pas les tables, mais la jurisprudence.
Si l'expert fait une proposition à un moment donné, les parties peuvent en
discuter et même transiger.
Et je vous rappelle – vous l'avez dit vous-même – qu'il y a finalement beaucoup
de victimes qui ne recherchent pas une indemnisation. Mais si certaines en
souhaitent une, j'estime qu'il est légitime de pouvoir l'entendre et pourquoi pas,
d'organiser ce système que la loi prévoit.

André-Joseph Léonard: Vous évoquez une sorte d'accord, avec un médiateur,


entre l'abuseur et la victime. Cela ne pose aucun problème.

Marie-Christine Marghem: Oui, mais si l'abuseur est incapable de payer, c'est


tout le problème de la surface financière de l'abuseur évidemment.

André-Joseph Léonard: Et c'est là que je vous demande de réfléchir. Si, au-


delà de l'abuseur, on s'adresse aux institutions, c'est aussi votre mission de voir
si c'est tenable dans tous les milieux de la société de faire peser sur une
institution les dommages qui ne pourraient pas être payés par la personne
physique.

Cela mérite quand même une étude qui ne doit pas être uniquement produite par
l'Église. Je pense que c'est à vous, en tant que responsables du bien commun,
d'étudier dans quelle mesure on peut généraliser un système où les institutions, à
défaut de l'abuseur personne physique, seront invitées, plus ou moins tenues -
au-delà d'une contribution volontaire – à assumer des frais. Cela me paraît
mériter une étude. Je ne suis pas opposé à ce que l'on étudie cela; je suis même
demandeur. Mais cette étude doit couvrir l'ensemble de la société. Donc, elle me
semble être de votre ressort.

La présidente: Je crois qu'on va clôturer sur ces positions divergentes.

Je vais d'abord remercier Mgr Léonard d'être venu répondre à l'ensemble des
questions. Je sais qu'il doit nous quitter pour prendre le train, car on l'attend à
Namur.
Je voudrais dire à mes collègues que nous reprendrons nos travaux avec les
congrégations. Le lundi 10, nous nous réunissons avec les platesformes. Ce sera
aussi un moment important. Par la suite, nous aurons aussi les congrégations
particulières: Dom Bosco et les jésuites.

La réunion publique de commission est levée à 14.38 heures.

311
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Lettres de 2 séminaristes devenus prêtres,

312
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Paroisse Aubange 1985.

313
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

RESUME :
(Témoignage rédigé pour la Commission Adriaenssens, rapport final, 09/2010, pp 69 à 73)

Je m'appelle xxxx. Je suis né le 7 juin 1973 à xxxx dans la xxxx belge. Dès l'âge
de 8 ans je fréquentai les prêtres de mon village, mon papa ayant eu un grave
accident de voiture, il devint invalide et perdit son emploi à l'âge de 33 ans.
J'avais déjà un frère et une sœur.
Le curé et le vicaire étaient pour moi ma famille. De même que les religieuses
du village chez qui j'allais faire mes devoirs après l'école. J'étais l'homme à tout
faire pour les prêtres et les religieuses. Je les aidais dans leur potager, je
préparais et rangeais tout pour les offices religieux. Le curé qui était présent
dans la paroisse depuis plus de 20 ans était respecté. Il venait me chercher à
l'école pour servir les enterrements. J'allais visiter les malades à l'hôpital et à
domicile avec les prêtres. J'étais comme un petit prince, ils me faisaient
totalement confiance. C'est moi qui répondais au téléphone, qui comptais les
collectes et allais les porter à la banque.
Ce fut le bonheur de 1982 à 1987 où là les prêtres durent quitter la paroisse car
le curé atteint l'âge de la retraite, l'évêque en profita pour déplacer le vicaire.
Deux nouveaux prêtres arrivèrent donc en 1987. Le nouveau curé vint habiter
avec ses parents, ce qui fit que le vicaire dû habiter seul dans une maison.
Contrairement aux prêtres précédents qui habitaient ensemble dans le
presbytère. Le nouveau vicaire, arriva 3 ou 4 mois avant le curé, car il fallait
effectuer des travaux dans le presbytère.
Le nouveau vicaire prit possession des mouvements de jeunesse et de
nombreuses responsabilités de groupes de la paroisse. En effet, le curé était
aussi aumônier militaire, et laissa donc beaucoup de responsabilité au vicaire.
Le nouveau vicaire est arrivé à l'âge de 27 ans, j'en avais 14. Chez le vicaire il y
avait de nombreux jeux pour les enfants et les jeunes: Baby-foot, Nintendo, tv,
ordinateur. Il avait un très grand lit, ce qui m'étonnait pour un célibataire. Plus
deux lits superposés dans une autre chambre. Il n'était pas rare que des enfants
logent chez lui. Je me souviens de nombreuses bagarres de coussins dans les
chambres. Le prêtre prenait souvent des enfants dans sa camionnette et en avait
un sur ses genoux pour soi-disant lui apprendre à conduire. C'était surtout pour
les avoir assis sur ses parties génitales et pouvoir toucher celles des enfants en
s'excusant ironiquement en disant: "Je croyais que c'était le frein à main ou le
changement de vitesses."
Le vicaire recevait les adultes au rez-de-chaussée de son domicile, où il y avait
une salle de réunion, un salon, et la cuisine, puis un jardin. A l'étage il recevait
les enfants, là il y avait son bureau, sa chambre et une autre chambre, + un
grenier au-dessus. Dans son bureau, il n'y avait que sa chaise de bureau sur
314
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

roulettes et un fauteuil trônant devant une tv. Les enfants se mettaient sur les
genoux du prêtre et sur les accoudoirs du fauteuil pour jouer à la console
Nintendo. D'autres enfants jouaient par terre sur le sol qui était recouvert d'une
moquette. Son bureau était rempli de cadre de photos de jeunes d'enfants du
village.
Le prêtre savait que j'avais les clés de l'église et que les anciens prêtres me
faisaient confiance. Le prêtre savait aussi que ma famille était très pauvre. Que
mon papa s'était mis à la boisson et que deux autres frères étaient nés depuis. Il
savait que j'étais souvent hors de chez moi. Il savait que les autres prêtres me
chouchoutaient et que j'étais jaloux de voir des enfants chez lui le nouveau
vicaire du village qui pour beaucoup de gens était le curé, vu le grand nombre
de responsabilité qu'il avait.
Le nouveau vicaire me disait de venir le soir après la messe ou après une
réunion du soir et qu'ainsi l'on serait seul. Il me prenait sur ses genoux sur son
fauteuil et regardais le football, souvent des enregistrements de ceux-ci. Il me
caressait la tête, me donnait des bisous aux oreilles. Je me blottissais contre lui
comme un bébé contre sa mère. J'aimai cette affection physique, pensant qu'il
m'aimait. Je fermai toujours les yeux, n'aimant pas le foot et voulant
m'endormir dans les bras du vicaire.
Les deux anciens prêtres m'aimaient. Mais jamais il ne m'ont touché et abusé.
Le nouveau vicaire profita de la situation du quart monde de ma famille, de ma
carence affective. A la maison on n'avait guère l'habitude de s'embrasser,
seulement pour les anniversaires ou la nouvelle année. Voir que ma maman
cajolait mes petits frères et blottissait le nouveau-né; voir que le prêtre donnait
de l'affection physique à de nombreux enfants, j'en étais jaloux. Je me disais
pourquoi pas moi et donc répondait toujours aux appels du vicaire à venir le
voir. Cela s'est passé en 1987 bien avant l'affaire Dutroux, je ne connaissais
rien à la sexualité, de plus je voulais devenir prêtre depuis mes 8 ou 9 ans suite
à l'exemple des anciens prêtres. Le vicaire abusa rapidement sexuellement de
moi, puisque je le voyais presque tous les jours et il m'abusa progressivement un
peu plus à chaque fois. Je retirai ma main, il la remettait et me disait "laisse toi
faire". Chaque fois qu'il avait jouit il me disait je vais te reconduire ou tu peux
retourner. Jamais je n'ai joui, il n'y avait que son plaisir sexuel qui l'intéressait.
Quand je franchissais la porte de sa maison j'avais un mutisme. Ce qui fait que
je lui écrivais souvent pour lui dire que je n'aimais pas ce qu'il me faisait; il me
répondait pas écrits pour me dire qu'il ne recommencerai plus, de s'étonner
pourquoi je ne parlais pas chez lui et souvent pour me culpabiliser.
En 1990 un conflit entre le curé et le vicaire régna dans la paroisse où des
pétitions circulaient. Je pris ma plume et écrivis à l'évêque auxiliaire du diocèse
de Namur, pour dire que je voulais que le curé reste et que le vicaire parte, en
profitant pour dire les méfaits du vicaire sur moi. Je n'ai jamais eu de réponse.
Je n'ai jamais eu le courage d'en parler à l'évêque, Mgr A, que je connaissais
bien puisqu'il était originaire du même village que moi.
315
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Peu de temps après en 1991, le prêtre quitta xxxx pour xxxx.


Durant de nombreux mois, je n'ai plus eu de contact de lui car il savait que
j'avais tout fait pour qu'il quitte le village. Il m'écrivit des lettres très méchantes
me culpabilisant à nouveau.
Puis quelques temps après voulu que je revienne le voir. J'y ai répondu quelques
fois et là encore il recommençait ses méfaits. J'étais certes majeur, mais
impuissant face à lui, mon ancien curé étant décédé, je pensais à nouveau que le
nouveau vicaire m'aimait. N'ayant pas eu de réponses de la part de l'évêque
auxiliaire suite à ma plainte, je pensais donc que ce que le prêtre me faisait était
normal. En 1991 j'ai écrit à l'abbé B, car il y avait des rumeurs quant à sa
nomination comme nouvel évêque de xxxx, les prêtres de ma région étant
ouvertement hostiles. Je lui écrivis pour lui dire que je priais pour qu'il
devienne évêque, que je voulais devenir prêtre et que le vicaire m'abusait.
Quelques temps après il devint évêque, vint un mois après célébrer les
confirmations dans mon village à xxxx et me demanda dans sa voiture (car je
devais l'emmener à la salle paroissiale pour un repas avec les prêtres de la
région) "Tu m'as parlé de C, je ne le vois pas ici;" je lui répondis que ce prêtre
venait d'être déplacé quelques mois auparavant. Preuve qu'il avait reçu mon
courrier de "plainte".
En 1993, Mgr B me demanda de rencontrer un psychologue et un moine de
l'abbaye de xxxx régulièrement pour m'extérioriser. Car j'étais très renfermé sur
moi suite aux abus sexuels du prêtre.
En 1994, Mgr B m'accepta au grand séminaire de xxxx pour devenir prêtre. Je
fus placé dans une année préparatoire qui n'existait pas auparavant. Le
Séminaire me demanda d'aller voir chaque semaine un laïc psychologue à xxxx,
cela à mes frais.
En 1995, je fis ma 1ère année de philosophie (1ere partie) et en 1996 la
deuxième partie de la 1ere année. L'on me disait que comme je venais du
professionnel cela était mieux ainsi. Le but était de temporiser et de me
décourager. Je n'avais que 2, 3 ou maximum 4 heures de cours par jour.
En 1996 le psychologue à qui je venais de parler des abus me dit d'en parler au
vicaire judiciaire, puis au président du séminaire, puis à l'évêque B. Quelques
mois passèrent et le vicaire judiciaire me dit que le prêtre niait les faits. Je fus
auditionné au Tribunal de l'Église de xxxx le 4/07/1996. Le vicaire judiciaire me
dit quelques semaines plus tard que le prêtre niait les faits, que je mentais. Je
dis que j'allais retourner le WE à xxxx et que j'apporterai les lettres que le
prêtre m’écrivait.
En novembre 1996 il y eut une confrontation avec le prêtre abuseur, le vicaire
judiciaire D et mon psychologue. Le vicaire abuseur sachant que je venais avec
les courriers, avoua les faits, un accord fut établi que l'évêché de xxxx paierait
un tiers de ma thérapie, le prêtre abuseur l'autre tiers et moi le dernier. A
chaque fois que je demandais quand cela allait être du concret on me répondait:
"attends un peu". Mais je devais continuer à payer entièrement les séances du
316
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

psychologue. Je fus accepté au séminaire que pour temporiser et que je me


taise. Bien des preuves le démontrent. Le psychologue chez qui le séminaire
m'envoyait fut ordonné prêtre quelques années après.
Étant souvent la moquerie des camardes de séminaire et de professeurs à cause
de ma voix (un expert a établi que ma voix fluette est due aux abus du prêtre,
car je fus abusé au moment où je devais muer), je me mis d'affection avec un
séminariste. Je lui avais écrit une lettre que j'avais déchirée et mis à la
poubelle. Quelqu'un l'a récupéré, reconstituée et donnée au président du
séminaire. Je fus convoqué en présence du président et du vicaire judiciaire,
l'on me dicta une lettre d'aveux, je la signa et l'on me dit que pour la fin de la
semaine je devais quitter le séminaire.
L'évêque B me dit le lendemain les larmes aux yeux qu'il n'admettrait jamais la
décision et que je travaille un an ou deux et qu'il me reprendrait au séminaire
car ceux qui m'avaient mis dehors ne seraient plus là.
J'avais un diplôme d'aide-soignant. Souvent lors de mes WE je faisais du
bénévolat chez les petites sœurs de pauvres de xxxx. Je leur demandais de
pouvoir travailler là un an ou deux, l'on me répondit que les hommes n'étaient
pas engagés. Pour faire du bénévolat, le même métier là j'étais bon. J'ai été chez
l'évêque avec un bon nombre de réponses négatives à ma candidature, disant
qu'il n’y avait pas de place mais que l'on gardait ma candidature en attente; et
l'évêque de me répondre: 'je prie pour toi tu vas trouver'; puis de me bénir et de
m'embrasser.
J'ai donc trouvé un emploi et un logement seul, sans aucune aide de cette . Je
continuais à servir les messes de l'évêque quand j'en avais la possibilité, et
continué à lui écrire.
Deux ans plus tard je vins à lui pour lui rappeler ce qu'il m'avait dit deux ans
plus tôt à savoir de me reprendre comme séminariste, j'eus comme réponse: 'je
ne t'ai jamais dit ça'. Je compris que je n'étais rien pour lui et que j'étais mené
en bateau.
Quelques temps après mon éviction du séminaire le psychologue m'envoya une
facture car je lui devais 10 séances. Je n'y répondis pas. Puis je reçu la même
facture avec une note de sa main, (à payer dans les 8 jours sinon ce serait
devant le juge de paix). J'en fis part à Mgr B par écrit, il me répondit de payer
la facture. Je lui réécrivis pour lui rappeler l'accord de 1996, là Mgr B me
réécrit en disant que je paie mon tiers (125 euros). Je reçu encore un lettre de
Mgr B me félicitant d'avoir payé et que cela était réglé.
Moi victime d'un prêtre pédophile avouant ses crimes, j'étais harcelé de payer
un psychologue devenu de surcroit prêtre.
J'avais trouvé une psychologue à xxxx. Je demandais au vicaire
judiciaire quand ils allaient intervenir dans les frais, il me fut répondu:
"que tu ailles chez elle ou pas on s'en moque ce n'est plus notre affaire". Je me

317
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

fâchais avec lui oralement et suite à cela il me fut interdit de servir les offices à
la cathédrale de xxxx. Mgr B acquiesça à cette décision.
Ma psychologue me dit de porter plainte. Ce que je fis en avril 2001 en me
constituant partie civile contre le prêtre à xxxx. Le prêtre n'eut droit à aucune
perquisition, l'évêque bien. Il fut répondu aux policiers qu'aucun dossier
n'existait contre le prêtre. Les policiers allant chez le vicaire judiciaire, la même
réponse fut donnée, et d'ajouter que l'évêché est au courant de rumeurs de faits
de mœurs de ce prêtre, mais pas de dossiers. Les policiers saisirent 11
documents concernant le prêtre et moi chez le vicaire judiciaire. Preuve que
l'Église ne collabore pas avec la Justice.
Le prêtre avoua les faits à la police, mais redemanda une auditions quelques
temps après pour se rétracter quant aux fellations, les datant qu’après ma
majorité. Car il ne savait pas qu'un viol est tout acte de pénétration sexuelle...
Durant tout le procès pénal il reconnaissait ses abus et désirait réparer. Le
tribunal déclara les faits prescrits par un jugement en 2004, pour la raison que
les faits avaient été correctionnalisés en 2002. Pour cause de casier judiciaire
vierge du prêtre et du fait que rien d'autre n'avait été trouvé contre lui!
Alors que le réquisitoire contenait les aveux d'un autre enfant pour
attouchements.
Je laissais neuf mois d'attente, ni le prêtre ni son avocat ne nous contactèrent.
L'évêque n'obligea même pas son prêtre a enfin réparer; alors que ce dernier
avait eu la grâce de la prescription, pas un non-lieu au bénéfice du doute mais
prescription.
Je portais donc plainte au tribunal civil xxxx pour les dommages et intérêts. La
défense du prêtre était de dire que cela était prescrit. Le tribunal après trois ans
de procédure déclara les faits non prescrits et désigna un expert pour chiffrer le
dommage. En avril 2010 l'expertise m'accorda 50 % d'invalidité permanente
dont 16 % attribué aux abus du prêtre. Le reste, à ma situations familiales de
l'époque, au fait que j'ai raté mon année d'infirmier durant les procès et au fait
que je sois au chômage actuellement, ainsi que du fait que l'on m'ait mis dehors
du séminaire.
En 2006, j'ai aussi porté plainte au tribunal civil de xxxx, car l'évêque a
toujours temporisé pour que je ne porte pas plainte, il ne m'a jamais aidé et a
toujours soutenu et protégé le prêtre pédophile.
En 2009, le tribunal déclara les faits non prescrits, mais me débouta quant à ma
demande matérielle du fait d'avoir perdu 3 années au séminaire. Le tribunal
disant que nous n'avons pas apporté la preuve que c'est Mgr B le responsable.
Quant aux dommages moraux et psychologiques, le tribunal a statué d'attendre
la fin du procès du prêtre pour juger l'évêque.
Le prêtre a toujours été protégé par l'Église de xxxx.
J'ai dénoncé officiellement les faits en 1996 au tribunal de l'Église de xxxx. Le
prêtre fut déplacé en 1997 dans une autre paroisse car il avait une menace de

318
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

plainte d'une autre personne que moi, il a dû quitter sa paroisse en 15 jours,


sans même faire de messe d'adieu et fête.
J'ai un document qui montre qu'il avait 6 paroisses en 1999. Et habitait un
presbytère.
Quand en 2001 j'ai porté plainte au pénal, l'évêque lui a donné son C4 avec
allocation de chômage à l'appui. Il fut engagé immédiatement comme éducateur
dans un centre pour adultes en très grandes difficultés... payé par la région
wallonne. Toujours en habitant dans le presbytère et disant des messes dans de
nombreux villages. Donc que des avantages car salaire plus élevé que celui de
prêtres. En 2008, je me suis rendu à la Commission dites indépendantes de
l'Église. Dans le but que cette commission fasse déguerpir le prêtre du
presbytère. L'on m'écrivit une lettre avec copie d'une adressée au prêtre abuseur
que ce dernier devait sur le champ me verser 25.000 euros de provisions à titre
de dommages et que d'autres montants suivront.
Je répondis de suite par fax à la Commission que je n'étais pas venu pour
l'argent mais pour éviter d'autres victimes. Il me fut répondu par écrit que le
travail de la Commission s'arrêtait là car je ne voulais pas d'argent.
En 2008 je pris rendez-vous avec son doyen et son bourgmestre pour leur
expliquer la situation, leur montrant tous mes dossiers. Quelques mois plus tard
le prêtre quittait son presbytère allant habiter dans un lieu résidentiel de
Chalet-camping.
J'appris en 2008, qu'en 2007 une autre personne a porté plainte contre ce même
prêtre. J'ai contacté la commission dite Adriaenssens, sans résultat. Par la suite
il me fut dit que comme j'avais porté plainte en justice je n'avais pas droit à une
réponse.
Suite à l'affaire Vangheluwe, les évêques de Belgique ont demandé pardon aux
victimes et remerciant celles qui ont le courage de briser le mur du silence.
Cela n'est qu'hypocrisie. Moi j'ai eu le courage de porter plainte, d'écrire un
livre, traduit il y a peu en néerlandais, et je suis méprisé par l'Église. J'ai écrit
au nonce apostolique plusieurs fois, à la Curie à Rome, au Pape et jamais de
réponse. Mon avocat doit harceler le conseil de l'évêque pour avoir des
réponses. Du moins, c'est ce qu'il m'a dit.
A présent l'expert du tribunal chiffre les dommages et je suis méprisé, le conseil
du prêtre après attente de réponse dit que l'on demande de trop comme argent.
Alors que c'est un expert désigné par le tribunal qui a chiffré le dommage et
remis son rapport après trois ans d'expertise; dont soit dit en passant à ma
charge.
Tout cela dans le but de dénigrer la victime, la décourager, la pousser à bout.
C'est ainsi que bon nombre de victimes de porteront jamais plainte sachant ce
combat dure et incertains. Moi j'ai plein de preuve de la culpabilité du prêtre et
de la passivité de l'évêque à le sanctionner et je suis méprisé.
Sur des plateaux de télévision le porte-parole des évêques et d'autres religieux
en viennent à dire que c'est faux tout ce que je dis.
319
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Ils savent que je suis régulièrement invité par les médias et ces prêtres disent
qu'ils n'ont pas lu mon livre car je ne leur ai pas envoyé un exemplaire.
Pourquoi ne le lisent-ils pas? Si dans ce livre je dis des mensonges, il y aurait
eu les procès en diffamation qui m'attendaient, car j'y ai mis les noms.
Mais ils ne le lisent pas car ils savent que tout ce que je dis est vrai. Voir ils
l'ont lu, mais disent pour se dédouaner : 'on ne l'a pas lu'.
Cela est du mépris. Cela ne me donne pas du tout l'envie de croire en ce Dieu et
en cette que j'aimai.
Mon combat continue donc et ma vie a été gâchée par les abus du prêtre. Mais
à présent toute ma vie est consacrée depuis 14 ans à ce combat de justice.
Je crois en la justice des hommes, la vérité finira par prévaloir.

N.B.: Je désirai que mon témoignage ne soit pas publié de façon anonyme, mais
la Commission Adriaenssens en a décidé autrement. Je l'insère donc ici comme
il est repris dans le rapport de la Commission.

320
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Les pédophiles et leur discours


Le professeur de Becker décrypte la logique de banalisation des abuseurs.

Le professeur Emmanuel de Becker est pédopsychiatre aux cliniques universitaires


Saint-Luc (UCL), à Bruxelles. Il ne se prononce évidemment pas sur le cas particulier
de Mgr Vangheluwe mais explique que dans les faits de pédophilie, d’inceste et d’abus
intrafamiliaux, il est courant sinon systématique que les auteurs entrent dans une
logique de "légitimation" ou de banalisation des actes qu’ils commettent, comme s’il
agissait d’une réaction de survie sur le plan psychique.
C’est ainsi, poursuit le professeur de Becker, que nombre de pédophiles vont s’efforcer
de minimiser et de rationaliser les faits, en avançant que les enfants ne se sont pas
opposés à la relation et n’en ont pas ressenti de malaise.
Ils usent aussi volontiers d’autres arguments de légitimation, en affirmant, par
exemple, qu’il n’y a pas eu de pénétration. Mais il serait évidemment trop simple, de
croire à une simple corrélation entre la qualification pénale des faits et leur réel impact
sur les victimes. Certes, en droit, un viol est plus grave qu’un attouchement, mais notre
interlocuteur a pu noter que certains de ses jeunes patients ayant été invités par un
parent à visionner un film pornographique avaient été autant voire davantage
traumatisés que des enfants violentés.
La vérité, complète-t-il, c’est qu’un adulte et un enfant ne peuvent être mis sur un
même pied, que les avances affectives ou sexuelles d’un adulte ne peuvent en aucun
cas faire l’objet d’un consentement plein et éclairé de l’enfant, lequel ne sait tout
simplement pas de quoi il s’agit. Et qui sera d’autant plus instrumentalisé et paralysé
que l’approche est progressive. On est là dans l’ordre de l’anesthésie affective :
l’enfant se sent dans un premier temps heureux qu’un adulte s’occupe de lui et le
complimente.
Il ne se rend pas compte qu’en réalité, l’adulte tisse, au bénéfice de sa jouissance, une
toile d’araignée dans laquelle sa victime deviendra bientôt le prisonnier impuissant.
Et si, on peut admettre qu’au début l’adulte n’éprouve qu’une attirance indéfinie, il
arrive un moment où il devient conscient et pleinement responsable de ce qu’il fait. Il
est alors trop tard car l’enfant est devenu une proie, qui ne peut plus dire non et qui le
peut d’autant moins quand l’adulte exerce sur lui une autorité morale, comme c’est le
cas d’un enseignant, d’un responsable de mouvement de jeunesse ou d’un prêtre.
Les dégâts sont évidemment considérables. Car l’enfant violenté nourrit une vive
angoisse mais aussi un terrible sentiment de honte et de culpabilité. Il se sentira
responsable de ce qui lui arrive, ce qui l’amènera à couvrir les faits, à se garder de les
révéler, à les légitimer parfois, sinon à en solliciter la répétition, pour ne pas faire de
mal à l’adulte "qui a sans doute de bonnes raisons de les commettre".
321
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

La perte de confiance de l’enfant victime s’exprimera également à l’égard de la société


tout entière; il va vivre dans la crainte de toute nouvelle rencontre.
De ce point de vue, le fait que les abuseurs reconnaissent leurs fautes peut aider
grandement les victimes à retrouver l’estime de soi et la confiance dans la société.
Mais cette reconnaissance, on vient de l’écrire, est extrêmement difficile à obtenir,
d’où l’importance d’une aide psychologique à l’auteur et celle du rappel à la loi.
"Certains abuseurs m’ont confié qu’un séjour en prison leur avait été bénéfique",
observe le docteur de Becker.133

Monseigneur était jouette

Moi, pédophile!? Tout de suite les gros mots! C’est bien les journalistes, ça: toujours à
faire des pataquès de rien du tout.
Et alors ces députés qui font des "Commissions d’enquête sur les abus sexuels dans
l'Église", pardon, mais ils n'ont rien d’autre à glander? Et la Justice? Toujours à
chercher le mal partout, celle-là! Enfin, heureusement qu’il y a un truc bien dans la
Justice: la prescription. Ça évite de perdre du temps à des broutilles.
Parce que Roger Vangheluwe ne voit pas où est le problème. Il n’a "pas du tout
l’impression d’être un pédophile".Ses treize années de tripotages, c'était juste"comme
une petite relation" avec son neveu,"de l’intimité qui s’installait".Et rassurons-nous,
"ça n’a pas été bien loin". D’ailleurs, faire touche-quéquette au gamin ou se faire
astiquer le tich par le môme, "cela n’avait rien à voir avec la sexualité".
La preuve, c’est qu’"il n’a jamais été question de viol". En plus,Monseigneur savait se
tenir: "Il ne m’a jamais vu nu." Et aussi se retenir: "Il n’y a pas eu de pénétration et
d’orgasme." Avec le second neveu tripoté, non plus. Même qu’avec celui-là, les
attouchements n’ont duré que un an. Rien, quoi. Finalement, pour l’ex-évêque, tout ça
"n’était que des petits jeux". Voilà tout: Monseigneur était juste un peu jouette.
Or, vous savez ce que c’est, la dure vie de prêtre: on n’a pas le sou pour s’acheter des
chouettes jeux. Roger aurait pu faire des puzzles ou construire une chapelle en Lego.
Mais puzzle et Lego, à force, ça devient gonflant. Alors le pauvre curé devait jouer
avec ce qu’il avait sous la main quand la famille venait en visite: ses neveux. Que
voulez-vous, c’était il y a 25 ans, un temps où la PlayStation n’existait pas. C’est con:
s’il avait eu une PlayStation pour un peu s’amuser, peut-être que Tonton Roger
n’aurait pas été obligé de jouer à abus sexuel avec ses neveux.

133 Www.Lalibre.be, 16.04.2011, Propos recueillis par J.-C. M.


322
Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Et puis, on oublie un truc. À l'époque, il ne savait pas que c’était mal, le tripote-kiki
avec des petits garçons: "Je n’étais pas conscient que cela avait un tel impact sur mon
neveu. Je croyais qu’il s’agissait de choses superficielles." C’est bête: Dieu aurait dû
le prévenir que c’était ultra-traumatisant pour le gosse.
Quelle tête en l’air, ce Dieu! Enfin soit. Après, quand il a super bien réussi dans
l'Église, Tonton Roger a versé de l’argent au gamin. Plusieurs millions de francs,
quand même. Mais attention, n’allez pas imaginer des choses: "Il ne s’agissait pas
d’obtenir son silence." Non-non, qui a dit ça? On disait que c’était juste une grosse
dringuelle d’un généreux mononcle. Ou alors le salaire d’un job étudiant un peu
spécial, mais vachement bien payé. Va savoir.
Enfin, le plus important, dans cette malheureuse histoire, c’est que Monseigneur
Vangheluwe ait trouvé les ressources nécessaires à la réalisation de son destin de
bienfaiteur: "Comme les faits ont cessé il y a 25 ans, j’ai pu vivre avec cela et très
bien travailler." Tout est bien qui finit bien. Sur ce, il faut que je vous laisse. Je dois
aller vomir.134
v.peiffer@moustique.be

134 Moustique, 21.04.2011.


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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

TORNADE

Les innocents
petits drôles
Joignent gentiment
leurs mains
Et tournent leur
ronde folle.
Ils sont heureux,
les gamins !

Ils mènent ces


chers enfants
Leur manège
émerveillé
Et la tendresse
du faon
Luit dans leurs yeux
éveillés.

Mais rôdent toujours, immondes,


Des pédophiles d'enfer,
Ignobles briseurs de rondes
Que mille larmes indiffèrent.

Et tournent aussi, atroces,


Les minutes de silence,
Aux enterrements des gosses
Dont on viola l'innocence.

Auteur: Jean-Paul Coudeyrette

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Le combat de Joël, victime d'un prêtre pédophile

Version néerlandaise parue en juin 2010, disponible en librairie.


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