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Serge Rivron, journal inédit

La fin d'une mascarade ?

Lundi 23 mai 2010


Ça pourrait-il être la fin de la mascarade, une fois, tout ce tintouin autour
de surprises qui n'en sont pas tout en en étant quand même ? J'entends
parler de ces révolutions nord-africaines et moyen-orientales puis
grecques, puis espagnoles qu'on n'avait pas vues venir, paraît-il, aussi peu
que la défaite nucléaire de quatre réacteurs japonais face à un séisme
aussi improbable de puissance que le tsunami qui s'en est suivi, autant
que de cette rocambolesque affaire Strauss-Kahn, dont on ne sait pas et
ne saura probablement jamais s'il a commis toutes les saletés criminelles
qui l'ont engeôlé, mais qui aura quand même permis qu'on sache qu'on
nous tramait l'évidence de son destin présidentiel en "retenant" (ce dit pour
rester neutralement bienveillant) un tas d'informations crousti-crousti sur la
vie de turpitudes d'un serial fucker.
On trouvera sans doute le rapprochement de ces événements, révolutions,
explosions nucléaires et scandale politico-mondain, un peu oiseux, et l'on
aura certes raison si l'on en reste au pur factuel, qui d'ailleurs doit se
décliner au pluriel, puisqu'à moins d'y voir l'effet de la Providence,
toujours et forcément unique, il faudrait être fou pour trouver le moindre
point de concordance entre les faits qui ont abouti en février et mars au
départ de deux vieilles fripes dictatoriales, puis en avril à la contestation
d'une autre par sécession interminable d'une partie de son peuple, puis
d'encore quelques autres par la chute probable desquelles il est plus
que certain que nous devions renoncer cet été à toute excursion
touristique aux pays des mille et une nuits, et aussi en celui du soleil
levant et même à la Grèce et à l'Espagne donc, et où encore ? puisque
le jeu de quilles semble se propager – il faudrait être fou, donc pour
discerner déjà entre ces phénomènes complexes le moindre lien
consistant et penser pouvoir en établir en sus, avec la sordide affaire du
bégaiement de la libido d'un prince au moment de franchir la haie qui
devait le faire roi.
Pas de lien, vraiment, sauf celui-ci, qui pourrait être un espoir : la fin d'une
mascarade, les facettes multiples d'un unique et plaisant et inévitable
dévoilement, la rébellion des forces telluriques et spirituelles vitales contre
la chape méphitique de mensonges et d'intérêts depuis trop longtemps
consentie par la paresse et la lâcheté des hommes à accepter pour finalité
dévoyée à la quête du sens qui les habite nécessairement, celle de
l'hébétude consumériste qui les conforme inéluctablement. Ce serait trop
beau, sans doute, mais comment ne pas en rêver face à l'affolement des
Serge Rivron, journal inédit

commentateurs autorisés de toute espèce, "spécialistes" universitaires,


politiques, journalistiques, économiques, techniques, psychologiques,
philosophiques, sismiques, nucléariques, anathémiques, mais dont le
piaillement infernal déferle, de plus en plus évidemment inconséquent,
depuis le début de cette si belle année 2011 qui paraît n'en pas vouloir finir
de ridiculiser en direct les prophéties et mea culpa de ces sentencieux de
bistrot qui nous ont enfarinés depuis tellement d'années ? Qu'adviendra-t-il
de ce dévoilement, qu'en ferons-nous ? Je l'ignore, mais je me projetterai
j'espère encore longtemps quelques séquences du grotesque dans lequel
se sont enfoncés certains avisés, à l'image du journaliste spécialiste des
trucs techno-tectoniques, Michel Chevalet réagissant en direct aux
premières images du tsunami japonais balayant sur son passage ce qu'il
était pourtant assez facile de deviner, malgré l'altitude de la prise de vue,
comme étant les hangars d'une bourgade rurale, et affirmant benoitement
à la journaliste qu' "en réalité, le front de vague n'avance pas très vite, un
homme entrainé pourrait courir devant sans problème". Ou l'inénarrable
Bernard-Henri Lévy, osant écrire, pour prendre la défense de son ami
Dominique aux premières heures de la curée qui, il est vrai, s'était
déchainée contre lui, qu'il se demande sans même avoir remarqué ce qu'il
y avait d'insultant et d'accusatoire pour la déclarée victime "comment une
femme de chambre aurait pu s'introduire seule, contrairement aux usages
qui (…) prévoient des "brigades de ménage" (…), dans la chambre d'un
des personnages les plus surveillés de la planète". Une excuse, peut-être,
à un tel mépris : le regret indicible des complicités joviales vécues avec un
voisin de palais (à Marrakech, celui de BHL voisine avec celui de DSK) au
temps encore tout frais où il faisait bon boire le Raki (pastis local) en
s'autorisant quelquefois peut-être à "trousser des soubrettes" ? Pour faire
bonne mesure, on ne peut pas ne pas citer encore Michèle Alliot-Marie
proposant à Benali, via la tribune de l'Assemblée nationale, l'expertise des
forces de sécurité françaises pour l'aider à mater la révolte qui le
destituerait quelques heures plus tard ; ou ces cohortes d'experts
nucléaristes appelés à la rescousse de leur lobby, prétendant contre toute
évidence que la situation à Fukushima était "sous contrôle"…
2011, année de la perle, vraiment, et il serait fastidieux (et facile
cependant) d'en aligner un échantillon représentatif.
Mais revenons à l'espoir insolent et inepte qui, pour moi, se profile derrière
le ridicule de plus en plus transparent de ces propos de chaisières, que
laminent cependant un à un les événements, et qu'ils tentent vainement
d'enfermer derrière les digues de leur servile et suffisant conformisme. A la
Puerta del Sol, à Madrid, on entend retentir depuis 10 jours une musique
que l'infatigable contempteur d'Euro que je suis trouve doublement
sympathique : le rejet absolu, déterminé et calme de milliers de nos
enfants, entre vingt et trente ans pour la plupart, d'une classe politique
dominante, tous bords confondus, qui les a foutus à la rue bien avant qu'ils
ne l'envahissent ; et la jubilation personnelle de ce constat simple qu'alors
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que la génération des soixanthuitards n'avait su engendrer presque que


des fils à papa arrivistes et conformistes, celle de nos enfants est en train
de faire trembler la planète.
Tout ça n'est qu'un rêve, assurément. Mais qu'il fait bon !

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