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Causes publiques, affranchissement des appartenances et engagement personnel Jacques Ion et Bertrand Ravon Comment imaginer le lien poli- tique en France quand simultané- ment se trouvent contestés les mécanismes de la démocratie représentative par délégation et se généralisent Iexacerbation ou au contraire la mise & distance des appartenances _ communautaires? Crest-i-dire quand se révéle de plus cen plus inopérant ce qui, & nos yeux, a tres longtemps caractérisé espace public national, & savoir Particulation, & travers un ensemble de groupements associatifs intégrés dans des réseaux idéo-politiques, centre, d'une part, des insertions familiales, professionnelles, loca- WEN Sociat ET POLITIQUES RIAC, 39 Prinremes 1998 les, et d’autre part une liaison verti- cale avec la scéne politique nationale ? Telle est, trés sommaire- ment esquissée, 1a’ question prati- que trés le qui sous-tend le présent article’. Elle se double dune question théorique et métho- dologique qu'on peut, tout aussi suceinctement, poser ainsi: com- ment penser sociologiquement action en commun quand des res- sources conceptuelles fondamenta- Ies telle Topposition générique entre communauté et société for- mulée aussi bien par Tonnies que par Weber s’avérent moins perti- rentes, méme lorsqu’on s’attache & les mobiliser simultanément ? Bien évidemment, nous ne pré tendons pas répondre ici & une telle ambition, Nous voudrions seule- ment, prenant appui sur une recherche en cours sur l'engage- ment dans espace public, esquisser quelques propositions d’analyse. Nous __rappellerons dabord briévement Vorigine de c interrogations et le cadre propre- ment sociologique qui nous parait adéquat pour aborder cette question de Varticulation de l'individuel et du collectif, puis nous présenterons de facon forcément succinete quel ques résultats de nos demiers tt Vaux sur certaines —modalités actuelles de lengagement (voir encadré) Comment penser action en commun dindividus ? Nous conduisons depuis phi- sicurs années un certain nombre de travaux sur l'évolution, durant les 59 ur Soca Pours = AC, 39 60 case pay tctnemet es ‘Spowianc et cegagaren pose demitres décennies, de la structura- tion et du fonctionnement de grou- ements associatifs, syndicaux ou politiques (Ion, 1997). Dans ces groupements reconnus, anciens et structurés, les individus sont, nous semble-til, de moins en moins identifiables, comme cela a été Tongtemps le cas, soit d'une part aux groupes d’appartenance doit ils sont issus et qui constituaient en quelque sorte la matrice de la vie associative, matrice reformatée par insertion dans un réseau idéo- politique national largement faci- litée par la prédominance de la forme fédérative, soit aux roles et statuts sociaux (de membre, de diri- ‘geant) conférés par l'appartenance associative. En quelque sorte, les individus jouent eux-mémes’ un Ole de plus en plus actif dans la cxéation et animation collectives, ainsi que attestent un certain nombre d'indices _concordants: affranchissement des réseaux fami- Tiaux et idéo-politiques comme des appartenances — communautaires (professionnelles ou locales), déga- gement des obligations juridico- institutionnelles imposées. par le statut associatif, critique des méca- nismes de délégation, volonté de garder la maftrise d'une parole Propre, affaiblissement des pro- ‘eessus de formation interme aux ‘organisations, refus d’une pratique limitée aux seules fonctions défi- nies par institution associative, mobilisation concomitante des res- sources personnelles dans I’activité militante, ete. Bref, il nous semble qu’on peut de plus en plus rendre compte de l'engagement bénévole & partir du paradoxe suivant: un engagement personnel des indi- vidus allant de pair avec une exi- gence dautonomie et une mise en réserve de Videntité, corrélatifs une action ou d’une prise de parole se développant au nom d'une cause publique : ce caractére public garantissant ” précisément Panonymat recherché. Crest pour creuser ces pro- cessus apparemment paradoxaux {que nous avons été conduits & étu- ier précisément des groupements récemment apparus, voire des grou- ements non constitués en associa- Les terrains : des associations inédites “Las amis dela materi Wf ue fis leans ini lisée par Abdelaid Haramouche] Abdelkader Belbahri du champ poiio-associa urban (lus, travailleurs sociaux, opSrateurs dela politique de «une inscription lgitime dans la sphere publique locale est occasion pour les «jeunes» d'accéder la citoyenneté atte personnel et non au Litre des injonctions la parscipation. En ce sons. eur engagement ext coraf don vil >. Nquln-en-Vetin: association réune autour de a dense de fa maternité du quarter. Tout en transformant ses abjee- le gugnée. association varecrotera-, il nous est apparu néces- saire de mettre au centre de I'ana- lyse la question, spécifiquement sociologique, de T'étre collectif, Cest-a-dire du processus qui constitue et le fait advenir comme acteur. Il s‘agit de sortir des expli- cations renvoyant aux fondements rationnels de V’action (fondés et valeur ou en finalité) pour lesquels éréts individuels ou Tes enjeux de groupes, qu s‘agisse de construire une identi collective ou qu'il s'agisse dimposer des valeurs collectives & Pextérieur du groupe. En s'intéres sant aux formes de l’action plutot qu’a ses enjeux, la perspective mor- phologique se donne les moyens nous semble-til —, par Pobserva- tion détaillée des relations con- cretes qui sy déploient, d’analyser ce qui se construit dans et par Vection, cest-i-dire ce qui est auto-organisé, sans préjuger du sens de cette action ni Ia rapporter & des mécanismes _individuels, ordre psychologique. S’agissant de répondre aux questions récur- rentes sur ['affaiblissement des mobilisations collectives et Ia montée de l'ainsi nommé indivi- dualisme, et renongant aux explica- tions ultimes et incertaines sur les raisons de engagement, i nous est en effet appara plus heuristique examiner la question du com- ‘ment plutot que celle du pourquoi de quelle facon les individus s'associent-ils? od, quand? selon quelles modalités ? Comment des je deviennentils des nous et selon quelles configurations des rapports, entre ces je et ces nous ? Il s‘agit aussi pour nous de déplacer, comme nous avons indiqué plus haut, orientation de la problématique, et de raisonner moins en termes daction collective qu’en termes daction publique. La matigre du lien social qui se donne a voir dans ces collectifs éphémeres et non forcément structurés ne peut cn effet étre analysée dans le cadre habituel de la «société des individus», lorsque engagement est pensé comme — intégration sociale dans une entité collective, quelle que soit la grandeur de cette demitre. En quelque sort, il segit de penser la constitution de collec- 61

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