CHAUDRUC DE CRAZANNES Le lendemain 23 à sept heures du matin, M. le comte de Maulevier-Langeron fut envoyé avec trois cents hommes des piquets de bear et Bigore à Fouras qui étoit la partie plus à porter à favoriser la dessente et les pernicieux desseins de l'ennemy. et à onze heures, M. le maréchal se transporta à Angoulin ou étoient campés deux mille cinq cent hommes de garde-coste. j'y suivis bientot le maréchal qui avoit pour lors la goutte. Nous eummes le deuil d'y voir attaque à midi, l'isle d'Aix par deux vaisseaux de guerre, qui après une vigoureuse deffence de la part de l'isle, s'en rendirent maitres dans une demie-heurre. Bien resolleu à venger la prise de cette Isle, dont les fortifications mille fois commencées et mille fois détruites par les premières vagues qui venoient s'y briser, annonçoient à l'Europe qu'elle était imprenable, je me rendis à la Rochelle et chès M. le maréchal qui étoit aussi de retour, pour obtenir qu'il vouleut m'employer à la déffence de mon païs. Il était décidé que les dragons de Culants ne serviroient pas au corps et qu'ils n'auroient d'aultre employ que celluy de porter les nouvelles et les paquets d'ordres d'un camp à l'autre. Il est humiliant à un brave officer de ne commender que des couriers et de ne jouer dans une affaire quassi importante que le rolle de directeur de poste ou de messagerie. Aussi comblais-je avec toute la force dont je fus capable ce projet aussy funeste pour moi qu'il eut été avantageux à l'ennemy s'il eut effectués ses desseins. J'eus le bonheur de réussir. ma bonne volonté pleut à Monsieur le maréchal. il accorda que j'aurois un détachement de cent dragons et que je le conduirays le lendemain au camp d'Angoulin sous les ordres de M. de Torinville, sous qui je devois servir. je fis partir soudain un exprès pour Saint-Xendres ou étoient rassemblés ces dragons avec ordre de se rendre le 24 à cinq heures du matin sur le glacis entre la porte Royalle et la porte Dauphine ou je devois aller les prendre. Il est d'usage quant on doit entrer en campagne de mettre ordre à ses affaires et de se munir autant qu'on le peut, de toutes choses essentielles à la vie et au vêtement. celle que j'alois commencer pouvoit être longue et dure. il commençoit à geler toutes les nuits (note de bas de page : le 20 septembre ?) et l'apparition innatendue de l'ennemy ne nous avoit pas laissé le tems de pourvoir à la subsistance des troupes. Pour l'ordre dans ma maison, j'en remis les clefs à M; Bonnaud mon oncle et priay de se conduire suivant l'exigeance des cas. J'avois quatre-vingt mille livres en argent que j'offrois de preter à la ville pour pouvoir à la subsistance des troupes et des habitans. Mon offre fut acceptée en partie. on en pris quinze- mille livres et je priay M. Bonnaud d'en donner le reste s'il en étoit besoin. A l'égard de mon équipage, il fut très mince. Je n'avois qu'un abit d'uniforme extrêmement léger, une petite redingote et un portementeau ou je mis deux chemises, un bonet de voyage, quatre mouchoirs et une paire de bas de bottes. le portemanteau fut porté derrière mon laquais Dauffiné, ancien cocher et vieux ivrogne qui m'a beaucoup amusé pendant la campagne. Et sur un cheval à paniers, j'avois dix alloyaux, douze gigots et quinze pains de vingt livres. Comme j'avois toujours oui dire que les premières vertus d'un militaire étoient la présence d'esprit et la prudence, j'eus peur de perdre ces avantages précieux si je me laissois emporter au gout de vingt-cinq bouteilles d'un très bon vin qu'on m'offrit. je les reffusay donc et je partis sans rien prendre de plus que trois louis en or. Le 24 au matin je partis pour joindre ma troupe que je conduisis en très bon ordre après luy avoir fait traverser la ville ou sa bonne contenance fit renaitre l'assurance et la confiance dans toutes les âmes timides. A 9h du matin j'arrivai à Angoulin, mais le sieur de Torinville avoit eu ordre d'évaquer ce vilage à la pointe du jour et de marcher avec les troupes qui y étoient campées le long de la coste vers Rocheffort parceque l'escadre angloise s'étoit toute portée sur ce costé. On me signifia soudain de continuer ma marche et d'aller toujours jusques à ce que j'atteignis le dit sieur de Torinville. Je ne fus pas plus tost sorty d'Angoulin et à l'entrée de la garenne de Chatelaillon, la mer estant haulte, que j'apperceus par dessus de petites dunnes de sablequi servoient de retranchement à cette partie, deux voilles qui me parurent à bonne portée de mousquet. Ne voyant que le haut des mats, je pençay que ce pouvoient être des traversiers qui s'étoient échoués sur le platin pour être à l'abry de l'ennemy. je m'avançay seul jusque sur ces dunnes et fus détrompé en voyant que c'étoient deux grandes chaloupes de l'escadre dans laquelle il paraissoit y avoir trois cent hommes de troupe. je retournay à mes dragons et après avoir fait faire silence. "Mes amis, leur dis-je, vous êtes tous francès, vous avez vos biens, vos fâmes, vos enfans, votre personne à deffandre", et leur montrant les deux chaloupes "Voilà l'ennemy il faut faire bonne contenance ; alons nous montrer sur le platin ! Je ne vous exposeray pas innutillement, mais que personne ne tire que je n'en donne l'ordre !" En nous avanceames en avant des dunnes à portée de pistolet de l'ennemy. Il y auroit eu de l'imprudence de faire feu dessus : l'ennemy auroit tiré sur nous des pierriers à mitraille et des coups de fusil qui nous auroient eu bientôt balayer, sans qu'aucune troupe eut peu se montrer. C'étoit démasquer notre faiblesse et leur annoncer qu'ils pouvoient sans rencontrer le moindre empechement faire leur dessente dans cet endroit. Au lieu qu'en en faisant que les observer, ils soubsonnèrent beaucoup de troupes retranchées dans la garenne et ils prirent le large. Je rentray pour lors dans la garenne et continuay ma routte lorsqu'à l'arrivée de Chatelaillon, je vis de nouveaux mes deux chaloupes qui sondoient sur cette pointe."
publié in BSAHSA, 1905, tome XXV 1905 (tome XXV) 15-18