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L’Hiver en Russie

"Soir d'hiver" de Pouchkine


"Ce poème traduit bien l'ambiance de l'hiver russe et l'ambiguïté de l'âme slave."
Il vous est proposé en cet hiver 2001 par daniklar@noos.fr

SOIR D' HIVER ЗИМНИЙ ВЕЧЕР

Ciel de brume ; la tempête Буря мглою небо кроеть,


Tourbillonne en flocons blancs, Вихри снежные крутя ;
Vient hurler comme une bête, То, как зверь она завоет,
Ou gémit comme un enfant, То заплачет как дитя,
Et soufflant soudain pénètre То по кровле обвешалой
Dans le vieux chaume avec bruit, Вдруг соломой зашумит,
Elle frappe à la fenêtre, То, как путник запоздалый,
Voyageur pris par la nuit. К нам в окошко постучит.

La chaumière est triste et sombre, Наша ветхая лачужка


Chère vieille, qu'as-tu donc И печальна и темна.
A rester dans la pénombre, Что же ты, моя старушка,
Sans plus dire ta chanson ? Приумолкла у окна ?
C'est la bise qui résonne Или бури завыванием
Et, hurlant, t'abasourdit ? Ты мой друг утомлена,
Ou la ronde monotone Или дремлешь под жужанием
Du fuseau qui t'assoupit ? Своего веретена ?

Mais buvons, compagne chère Выпьем, добрая подружка


D'une enfance de malheur ! Бедной юности моей,
Noyons tout chagrin ! qu'un verre Выпьем с горя ; где же
Mette de la joie au cœur ! кружка ?
Chante comme l'hirondelle, Сердцу будет веселей.
Doucement vivait au loin ; Спой мне песню, как синица
Chante-moi comme la belle Тихо за морем жила ;
Puisait l'eau chaque matin. Спой мне песню, как девица
За водой поутру шла.
Ciel de brume ; la tempête
Tourbillonne en flocons blancs, Буря мглою небо кроеть,
Vient hurler comme une bête Вихри снежные крутя ;
Ou gémit comme un enfant. То, как зверь она завоет,
Mais buvons, compagne chère То заплачет как дитя.
D'une enfance de malheur ! Выпьем, добрая подружка
Noyons tout chagrin ! qu'un verre Бедной юности моей,
Mette de la joie au cœur ! Выпьем с горя ; где же
кружка ?
Pouchkine 1825 Сердцу будет веселей.

Пушкин 1825
L’Hiver en Russie

SOIR D’HIVER À YALTA

Visage maigre et sec de levantin,


grêlé et décoré de côtelettes.
Quand ses doigts cherchent une cigarette
dans le paquet, l’anneau terni soudain
reflète deux cents watts et, son éclat
éblouissant mon cristallin, je fronce
sans doute les sourcils, car il prononce,
avalant sa fumée : « Excusez-moi.»

Janvier dans la Crimée. Sur le rivage


de la mer Noire, on dirait que par jeu
tombe l’hiver, car la neige ne peut
se maintenir au tranchant des agaves.
Les cafés sont déserts. On voit fumer
en rade, de crasseux ichtyosaures.
Partout, l’arôme des lauriers fanés.
« Breuvage infect ! Je vous en verse encore ? »

Sourire donc, crépuscule, flacon.


Dans le lointain le garçon, les mains jointes,
semble un jeune dauphin traçant des ronds
autour d’une felouque au ventre plein.
Carré d’une fenêtre. Fleurs en pot.
Flocons de neige qui nous font la nique.
Instant, arrête-toi ! Car tu es beau,
mais moins peut-être que tu es unique.

Janvier 1969
Joseph Brodsky
(traduit du russe par Michel Aucouturier)

SANS TITRE

Gelée sur le terreau, forêts prises de calvitie,


cel couleur tôle ondulée des toitures de par ici.
Dehors un jour impair d’octobre, on se dispute
etre l’imper qui gagne (implosion de « pute »).
Tu n’es pas un oiseau pour t’envoler l’hiver
comme à chercher la belle tu t’es fait l’univers
delong en large, quelle autre page
reste-t-il à tourner encore dans tout l’espace ?
Hibernons donc ici, aux côté de ce cahier noir
que transperce dehors le froid, et dedans le regard :
que la plume fende les mots en lettres,
L’Hiver en Russie

car les mots, c’est des bûches, ça pourrait l’être.

Joseph Brodsky

(traduit du russe par André Markowicz)

UNE FLEUR CEUILLIE PAR MEPHISTO

Quand le gel de l’hiver sur le mode


Amoncellera son poids glacé
Et liera toute chose animée
Avec les chaînes de mille agonies

Lorsque minuit rayonnera


Sur la steppe arrêtée
Et quand la terre devant les cieux prosternée
Contemplera leur splendeur

Dans cette vallée de mort et de silence


Sous ces rayons éclatants et froids,
Une fleur paraîtra au milieu des neiges Frémissant imperceptiblement…

Tissu tirant leur vie d’impérissables charmes,


Ses feuilles faites de cristal
Sont gonflées de feux d’une aurore boréale
Qui, comme un suc, les colore.

Merveille que son écarlate pourpre !


On y voit le sortilège de la mort, la séduction du mal…
Cette fleur est la négation de la vie dans le monde,
La négation de toute chaleur

Nul ne la voit, nul ne la cueille.


Cette fleur que l’hiver engendre,
Seul celui qui meurt de froid
Croit dans sa torpeur parfois la reconnaître.

Elle est baignée par les larmes de la mort.


Des sons la remplissent, une mélodie…
Il est le seul que cette fleur ait jamais comblé,
Celui qui, engourdi, expire.
L’Hiver en Russie

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