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L’émergence de l’architecture

moderne : 1850-1914

Henri Labrouste, magasins de la


Bibliothèque nationale, Paris 1854-1875.

Walter Gropius, l’usine d’embauchoirs Fagus,


1911, Altfeld an der Leine, près de Hanovre
Intro

Comment se fait le passage à l’architecture moderne ?

Peut-on résumer ce passage à la traditionnelle « querelle entre des


anciens et des modernes » ?

Réponse autour de trois axes :

- Ruptures et continuités : une périodisation difficile


- Architectes, écoles, courants
- Que signifie finalement « moderne » en architecture ?
I. Ruptures et continuités dans l’architecture 1850-1914
• Tout au long du XIXe siècle règne en Europe l’historicisme et l’éclectisme :
la référence à l’histoire est la règle : Renaissance, classicisme, baroque et
gothique, jamais abandonné en France.
Ici le néo-classicisme grec en Allemagne : Karl Friedrich Schinkel, Altes Museum, Berlin, 1823-1830

Schinkel (1781-1841)
Historicisme et l’éclectisme ( pastiche de styles historiques) dans la
métropole européenne du XIXe siècle,lieu de prédilection de cette
architecture d'apparat.

• L’éclectisme est une réponse qui se veut « moderne » car le style de l’édifice (qu’on
recherche dans l’histoire des styles) doit être adapté à sa fonction :
- Le gothique est choisi pour les édifices religieux (apogée de la chrétienté)
- Le flamboyant (Flandres du XVe apogée des villes marchandes) pour les hôtels de
ville.

Dans toutes les capitales on pratique cet « éclectisme simultané ».


Exemple : les « grands boulevards » comme le Ring de Vienne.
Le Ring viennois : un modèle d’éclectisme tracé par l'architecte Ludwig Forster en
1857

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EN 1857 l’empereur François-Joseph décide de supprimer les anciennes fortifications et


Les remplacer par un boulevard circulaire en bordure duquel des bâtiments publics solennels
ou utilitaires coexistent avec des immeubles « bourgeois » « néo-… ».

• Parlement de genre néo-grec, hôtel de ville flamboyant, théâtre néo-italien,


université style Louis XIV, basilique votive gothique, opéra néo-classique.
• Les espaces verts laissent apparaître les sommets des édifices souvent
ornés de statues.
Voir aussi exposé de Morgane sur l’Opéra
de Charles Garnier, (1860-1875) à Paris.
C’est de la rupture avec l’héritage classique et avec
l’éclectisme que naît a modernité
En France Eugène Viollet le Duc (1814-1879) s’élève contre l’éclectisme
EN architecture, il y a si je puis dire deux façons d’être vrai…selon le programme, selon les
procédés de construction.. Etre vrai selon le programme, c’est remplir exactement,
scrupuleusement, les conditions imposées par un besoin. Etre vrai selon les procédés de
construction, c’est employer les matériaux suivant leurs qualités et leurs propriétés. Ce
que l’on considère comme des questions purement d’art, savoir : la symétrie, la forme
apparente, ne sont que des conditions secondaires en présence des principes
dominants… Nos devanciers de Moyen Age…veulent une architecture où toute force est
apparente, où tout moyen de structure devient origine d’une forme ; ils adoptent le
principe des résistances actives ; ils introduisent l’équilibre dans la structure : de fait ils
sont déjà poussés par le génie moderne qui veut que chaque individu comme chaque
produit, ou chaque objet, ait une fonction à remplir distincte tout en tendant à une fin
commune… »
Xe entretien 1863.
En rupture avec les Beaux arts, il prône contact direct avec les
monuments, il produit des milliers de dessins, sa carrière de
« sauveteur » d’églises commence ave la Madeleine de Vezelay en 1840.

En recherchant la préservation du passé il pose un premier jalon


théorique vers la modernité dans ses nombreux ouvrages :
Dictionnaire raisonné de l’architecture française (XIe XVe) 1854,
Entretiens sur l’Archiitecture 1872, il fonde une Gazette des architectes
et du bâtiment en 1863.
Tous les grands architectes européens (Gaudi) et américains
(Sullivan) du tournant du XIXe l’ont lu et apprécié.
« Viollet-le-Duc », architecte favori de l’impératrice Eugénie, mais aussi d’Antoni Gaudi…

• Dans son Dictionnaire…Viollet le Duc s’efforce de


découvrir les lois de l’architecture de l’avenir en étudiant
les règles de celle du passé (médiéval) Michel Ragon.

Ici Projet d’une salle voûtée Gaudi (1852-1926),


(probabblement pour des concerts), Sagrada familia,
Bibliothèque Nationale.
1880-…2026 (?)
Antoni Gaudi était nourri des réflexions de Viollet-le-Duc
En Angleterre, John Ruskin, écrivain, peintre, critique d’art (1819-1900) pose
les mêmes questions

• Dans The Seven Lamps of Architecture (1849) il dénonce les


mensonges architecturaux :
« la peinture des surfaces dans le but de figurer d’autres matériaux que
ceux dont elles consistent réellement (marbrures sur bois)…L’emploi
d’ornements de toutes sortes moulés ou faites par la machine…
L’édifice le plus noble, sera lui où pour l’œil intelligent, se révéleront les
grands secrets de l’infrastructure, comme se révélerait une forme
animale…

• Dans l’Eloge du gothique (1853) :


« La première condition que l’on est en droit de réclamer d’un édifice est
qu’il réponde complétement et pour toujours à sa destination,
moyennant une dépense la plus faible possible. Chaque édifice doit
trouver la forme qui covient à sa fonction, un logement doit être conçu
autrement qu’un bureau ou qu’une église… »
Ruskin initie un mouvement appelé « Gothic revival » en
architecture et préraphalisme en peinture.

• Il s’élève certes contre l’académisme mais aussi


contre la machine, en ce sens il n’est donc pas tout à
fait moderne.
• « Chaque architecte doit être à la fois peintre et
sculpteur » disait-il, mais ses modèles il doit les
chercher « dans la nature, dans les montagnes » où il
verra « ce qu’est un arc boutant ».
• En réalité, comme Viollet-le-Duc ou comme Labrouste
en France, comme William Morris en Angleterre il
s’inspire du gothique mais contrairement à ces derniers
il reste dans un passéisme que dépasseront ses
succeseurs.
Les rationalismes : pour une architecture du XIXe siècle

• D’une réaction qui cherche à revenir au passé médiéval (et national) on


passera à une autre réaction qui vise à utiliser les matériaux industriels pour
créer une véritable « architecture du XIXe siècle (donc moderne…)

• S’inspirant de Ruskin, cette fois on dénonce le mensonge des façades


éclectiques qui masquent la structure et surtout la misère des appartements.

• S’intéresser à la structure, c’est s’intéresser à l’intérieur de l’édifice, au


maniement de la technique et des nouveaux matériaux.

Victor Baltard entre 1854-66, marché, selon un projet de


Hector Horeau. (Il a été primé d’une médaille au
concours de l’exposition universelle de Londres, Paxton
l’aurait plagié…).

Que pensait-il de l’Opéra Garnier ?


« Puisque assainir une ville vaut mieux, pour sa
splendeur, que la décorer de beaux monuments, une
bonnee ligne d’égouts, avec canaux assainisseurs, eût
été de beaucoup préférable au nouvel opéra, qui n’est
qu’un tas de pierres dispendieusement amoncelé,
mouluré, modillonné… »
Lire Ragon p. 202-212
William Morris (1834-1896) élève de Ruskin dépasse son maître
et fait un pas supplémentaire vers la modernité

Panneau brodé 1890,


William Morris & Company

• Dans sa « Red house » (1859-1861) avec Philip Web il pose les fondements de la nouvelle
architecture :
L’architecture alliée à l’artisanat doit devenir un instrument d’élévation sociale et culturelle
comme au temps des cathédrales. Nous sommes là aux sources du mouvement « Domestic
Revival » et surtout Arts & Crafts. Mais sa vocation sociale a-t-elle été respectée ?
Les Expositions universelles remplacent les chantiers de fouilles, Londres 1850

Version remontée et agrandie de dux nefs


Détruit en 1936 (incendie)

• Joseph Paxton et le Crystal Palace. Jardinier, il se convertit à l’architecture préfabriquée (principe


ancien = brique) et éphémère : Poteaux avec racords en bas, chassis, 3300 piliers de fer, 2224
poutrelles, 300 000 carraux de verre, 205 000 cadre de bois pour les vitres. Le tout démontable.
« Monstre de verre ! » ou merveille de l’industrie ?
Henri Labrouste, (1801-1875),

• Destinée à la consultation, non à la


conservation.
Projet confié à Labrouste en 1838,
• Les travaux commencent en 1843
faute d’argent.
• Structure claire : magasins au rez-de-
chaussée, lecture à l’étage

• Véritable manifeste de la nouvelle


architecture : structure métaliique
calire et apparente au dehors : les
murs pleins à l’étage correspondent
aux rayons de livres conservés à
l’intérieur.

http://www.learn.columbia.edu/ha/html/19c.html
Mais le chef d’œuvre Henri Labrouste est la Bibliothèque Nationale
• Le projet est lancé en 1868 et
La salle de achevé en 1878 3 ans après
lecture sa mort.
construite
entre 1860 • Ici aussi il met en œuvre les
et 1866 principes de l’architecture
organique (cf. article de
l’Encyclopédia Universalis)

« L'architecture dans laquelle


l'espace socialement utilisé,
dynamique, vécu détermine la
configuration des pièces et
de l'enveloppe qui les
contient mérite la qualification
d'organique ; sera dite non
Fonctionnalisme, rationalisme, organique, au contraire, toute
les leçons de Labrouste sont au
cœur des démarches modernes.
architecture vouée
(cf. film sur le site de la BNF) essentiellement à l'élaboration
de la boîte de construction, du
contenant, et peu soucieuse de
faire porter ses efforts créateurs
Détail des voûtes sur les creux, les contenus. »
Bruno Zevi
http://www.bnf.fr/visiterichelieu/architecture/lab_ap.htm

http://www.bnf.fr/visiterichelieu/promenade/ps.htm
Le chef d’œuvre de Labrouste selon Siegfried Giedion, le grand magasin de la Bibliothèque
Nationale, 1865 « la chapelle Pazzi de l’architecture moderne »…

Le« grand magasin » de la Biblio
Nationale est un nouveau concept
qui crée un espace de type
« entrepôt » et vise à mettre ainsi en
contact un maximum de livres
(produits) avec un maximum de
lecteurs (« consommateurs ») sous
une lumière abondante.

Audace : le magasin est visible de la


salle de lecture !

Quatre niveaux avec un toit en verre, des caillebotis en fonte et à claire-


voie qui laisse passer la lumière et qui crée un jeu d’ombres et de lumière à
la manière de Frank Loyd Wright.

http://www.bnf.fr/visiterichelieu/promenade/mag_pp.htm
La grande salle de lecture ou salle ovale, réalisée par Jean-Louis
Pascal (selon les leçons d’Henri Labrouste) en 1875.

• De plan ovale avec un


grand axe de 43 mètres 70,
d'une hauteur de 18 mètres
sous une verrière centrale
délimitée par une grande
voussure percée de 16
œils-de-bœuf vitrés,
utilisés pour l'aération, La
salle peut accueillir environ
200 lecteurs.
• Utilisation de doubles
colonnes en fonte mais toit
en maçonnerie

La première salle de lecture de ce type est celle du British Museum (1857-):


http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b1/British_Museum_Reading_Room_Panorama_Feb_2006_edit1.jpg

http://www.bnf.fr/visiterichelieu/architecture/ova_ap.htm
http://www.bnf.fr/visiterichelieu/promenade/ova_pp.htm
James Bogardus (1800-1874) industriel et concepteur

Façades de style Renaissance ou


palais vénitien métalliques,
démontables, fabriquées en série et
vendues sur catalogue : arcs,
corniches, chapiteaux.
Façade entièrement en verre et
structure en fonte.
Sorte d’inventeur « fou » -> projet
Colisée en fonte de 360 m de haut
avec tour de 90m.

Pour l’exposition
universelle
de New York.

La maison d’édition Harper and Brothers, 1854


Jules Saulnier La chocolaterie Menier à Noisiel (Seine et Marne), en 1871.

Mais le premier édifice à ossature entièrement


métallique dans des murs de façade non porteurs
est bien français.
Ossature en métal remplie de briques.
Rôle à la fois structurel et décoratif du fer. Parements
en faïence polychrome

Siegfried Giedion oublie


de mentionner Jules
Saulnier.

http://pagesperso-orange.fr/pone.lateb/moulin%20saulnier.htm
Soucieux de vérité les rationalismes prônent aussi
l’utilisation des matériaux modernes

Du fer au béton armé François Hennebique, Anatole de Baudot,


Auguste Perret, la France en avance sur le plan
des matériaux de construction
François Hennebique Maison Hennebique 1901 - 1903

manifeste des possibilités du béton armé

Voir aussi l’immeuble de la rue Danton sur le, site Structurae

http://fr.structurae.de/structures/data/index.cfm?id=s0003486

1, avenue du Lycée-Lakanal, Bourg-la-Reine, Hauts-de-Seine (92), Ile de France


L’immeuble des bureaux de la société conçu par Hennebique et réalisé par
l’architecte Edouard Arnaud en 1898-1900

Premier immeuble en béton armé en France


Anatole de Baudot (1834-1915)

Eglise Saint Jean de Montmartre, 1894-1904

Scandale de la première église en ciment


armé avec l’église de Saint Jean de
Montmartre.

Lire texte de Baudot Tome 1 Michel Ragon Concours remporté pour des raisons de coût…
p.p. 249 et 252)

http://fr.structurae.de/structures/data/photos.cfm?ID=s0003220
Auguste Perret (1874-1954) : l’esthétique du béton ?

Premier utilisateur du béton


armé comme matériau à la
fois banal et noble

Garage de la Rue Ponthieu, Paris1906

http://fr.structurae.de/persons/data/index.cfm?id=d000807
Immeuble Rue Franklin, 1906
Le Théâtre des Champs Elysées, 13-15 avenue Montaigne Paris 1911-1913

Une œuvre d’art total : peintures nabies (Maurice Denis, sculptures d’Antoine Boourdelle en façade).
La salle principale est suspendue à 8 colonnes apparentes en béton armé.
La coupole
Tout l’appareillage électrique,
les décors, l’ameublement ont
été dessinés par l’architecte et
réalisés par des artistes en vogue.

Le théâtre met en valeur à la fois


l’usage des nouveaux matériaux et
une esthétique dans le style
Art Nouveau.
De l’autre côté de l’Atlantique…
Une brève parenthèse moderniste (1880-1895), promise à un grand avenir…l’Ecole deChicago.

Louis Sullivan: Carson, Pirie, Scott, Building, Chicago,


(1899 - avant 1903-4)
Burnham and Root, Reliance building, 1889, Chicago
En Europe les avant-gardes accélèrent et diversifient les ruptures avec
l’historicisme et l’éclectisme mais aussi par le refus d’abandonner
l’architecture - Art au profit d’une architecture fonctionnelle

Vers un « Art nouveau » ?


• Abandon des ordres
grecs. Dénonciation de
l’hypocrisie et du
mensonge des façades
malgré les attentes du
public (cf. pavillons de
l’Exposition de Paris
1900)
• Recherche de
nouveaux styles et de
nouvelles influences
(japonisme).
• Horta utilise pour la
première fois le fer pour
des motifs
Joseph Hoffmann, Palais Stoclet orientalisants.
(banquier), conçu en 1904 et
construit entre 1905 - 1911 • Fusion des arts
décoratifs et de
l’architecture
Victor Horta (1861-1947) ,
escalier de la maison Tassel, Bruxelles, 1893.
Une volonté de rupture que traduit la dénomination de ces courants et la
multiplicité des voies empruntées par les architectes d’avant-garde.

• Nieuwe kunst (PB)


• Stile liberty (ITA)
• Free Style (ANGL)
• Modern Style (BELG)
• Modernismo (ESP-CATA)
• Jugenstil (ALLEM)
• Sécession (AUTR)
• Art Nouveau (FR)

Charles Rennie Mackintosh, The Willow Rooms, aussi


connu comme Miss Cranston's Tea Rooms, 1903 à
1904. Façade et intérieur

Esthétisation du quotidien par l’invention


de nouveaux styles ou ou purisme fonctionnaliste
et réfus de toute idée d’Art ?

Adolf Loos, maison Steiner, Vienne 1910.


La modernité radicale
L’architecture - art prend aussi parfois des formes étranges…

• Ferdinand Cheval connu


comm « facteur Cheval »,
(1836,–1924)
• Il a passé 33 ans de sa vie
Façade ouest du Palais idéal, Hauterives (Drôme) 1879-1912). à édifier un « Palais idéal
» et huit années
supplémentaires à bâtir
son propre tombeau,
Ragon pp.288-292 chefs-d'œuvre de
l'architecture naïve.

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