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P
RESENTATION
 
Le
Livre du Signe
est un traité visionnaire et autobiographique dans lequel Abraham Aboulafia, sous le nom onirique de
Zékarihou
(voir note 49 en page 47), se retrouve missionné par
Yhwh,
lui-même, pour rédiger un livre dont les idées se démarqueront de celles des sages d'Israël (voir page 53). Aboulafia, alors en exil, y affirme ainsi sa dissidence. Ce livre fait partie d'une série d'ouvrages prophétiques et visionnaires qu'Abraham Aboulafia commença d'écrire vers dont le premier s'intitule
Séfer haYashar.
Ces écrits sont perdus pour la plupart, toutefois, le
Livre du Signe,
écrit entre 1285 et 1288, en représente une synthèse. Il marque, pour l'auteur, la fin de quinze années de tourments intérieurs et le commencement d'une grande délivrance spirituelle. Ce livre témoigne de l'aboutissement par lequel le maître réussit à transmuter son imagination, en un état de conscience. Aboulafia s'attribue, dans ce livre, le nom de
Zékarihou
, dans d'autres il se nomme
Raziel 
, noms ayant tous deux la valeur numérique 248, valeur identique à celle d'Abraham. Il emploie également, de façon assez large, le système de la
notarika
(utilisation des acrostiches) et du
Tsérouf
(combinaisons des lettres). Pour Abraham Aboulafia le Nom
Yhwh
est scellé dans l'âme humaine, et c'est par le biais des combinaisons
(tséroufim)
des lettres du Nom, qui possèdent un pouvoir d'illumination, que s'ouvrira la porte des mystères des noms divins. En se fondant sur des pratiques mystiques particulières, Aboulafia aspire aux plus hautes expériences et au statut de prophète, accédant ainsi à la plus haute perception, détentrice du privilège de pénétrer intuitivement dans la nature explicite de la divinité. Il nommera son système kabbalistique, la "Kabbale prophétique", se distinguant ainsi de ses prédécesseurs. Le but de son enseignement est d'offrir aux humains un certain degré de communion avec Dieu. Pour cela, il utilise une approche particulière des noms de Dieu, surtout en ce qui concerne le Tétragramme, la guématria, les combinaisons et les vocalisations des lettres, les permutations de mots. L'AUTEUR Abraham ben Samuel Aboulafia est l'une des plus grandes figures de la Kabbale mystique extatique et prophétique. Il né en 1240 à Saragosse, en Aragon, et meurt aux environs de 1291
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, en un lieu inconnu. Bien que très controversé en son temps, il n'en est pas moins l'un des plus importants kabbalistes de toute l'histoire de la Kabbale. Il influença toutes les générations suivantes de kabbalistes et son enseignement est encore très vivant et influant de nos jours. C'est à Tudèle (Tudela), où s'installèrent ses parents, qu'il reçut un enseignement poussé de la Bible et du Talmud. À l'âge de vingt ans, deux ans après la mort de son père, il commença sa vie d'errance. Abraham Aboulafia possédait un charisme particulier et savait fort bien communiquer. Il commença par rédiger des travaux philosophiques, grammaticaux et kabbalistiques, et s'entoura de disciples. Parmi les hauts faits connus d'Abraham Aboulafia, nous savons qu'en 1280, sous l'influence d'une voix intérieure, il se rendit à Rome, pour intercéder auprès du Pape Nicolas III
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 et l'amener à soulager le sort des Juifs vivant un peu partout en Europe. En dépit du fait qu'une condamnation l'attendait pour le conduire au bûcher, il pénétra par une porte secondaire et entendit que le Pape était mort dans la nuit à Suriano, où il se trouvait alors. Cette information est confirmée par les minutes du Vatican de cette année, où l'on trouve inscrit : « Le Pape est mort subitement dans la nuit, d'une crise d'apoplexie ». Il fut
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 C'est en 1291, année où il écrivit son dernier, et important, traité, Imré Shéfer que l'on perd définitivement sa trace, il n'y a, à ce jour, aucun témoignage sur la mort d'Abraham Aboulafia, si ce n'est des laudateurs, qui n'ayant plus de ses nouvelles, le supposent mort. J'avais eu, en 1998, un échange à ce sujet avec Moshé Idél, et nous avions émis l'hypothèse qu'Abraham Aboulafia s'était discrètement enfui de son île d'exil en 1288, et qu'il s'était rendu en Grèce (peut-être Corfou). Il se rendit sans doute en Grèce en passant par la Sicile, où il avait des soutiens, pour rejoindre son épouse, avec qui il s'était marié aux environs de 1262. Mais aucune trace de cette période n'a encore  jamais été découverte.
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 Nicolas III (Giovanni Gaetano Orsini, Pape de 1277 à 1280) fut élu sans conclave.
 
tout de même jeté en prison par l'Ordre inquisiteur des Dominicains, mais relâché quatre semaines plus tard. On retrouve ensuite sa trace en Sicile, où il apparaît en tant que prophète et messie, provoquant une vive réaction de la communauté de Palerme, qui condamna son comportement. Abraham Aboulafia a donné une tournure visionnaire à la Kabbale, ce que nombre d'écoles lui reprocheront, exaspérées par sa façon de jongler avec les noms de Dieu et des anges, d'utiliser la guématria dans ses formes les plus diverses. Les religieux lui reprocheront aussi d'avoir été le premier kabbaliste à permettre à l'idée chrétienne de la Trinité de s'intégrer à la Kabbale, ouvrant ainsi la voie de la Kabbale dite « chrétienne ». Il s'attribue lui-même vingt-six ouvrages, dont vingt-deux sont prophétiques.
L'EXIL ET LE LIVRE DU SIGNE
Entre 1281 et 1282, Abraham Aboulafia, le prophète, se présente en tant que Messie en Sicile. La réaction des communautés le forcera à retourner en Espagne, où il subira la persécution du rabbin Salomon ben Adret. Suite à cela, Aboulafia devra s'exiler sur la petite île de Comino, près de Malte, entre 1285 et 1288, où il rédigera le livre qui nous intéresse ici, le Séfer haOth (le Livre du Signe). Comino, qu'il nomme Qoumtina, est une très petite île de nos jours désertique, située entre Malte et Gozo, les deux autres îles de l'archipel maltais. Elle se situe à 90 kilomètres au sud de la Sicile. LE SIGNE Ici le terme haoth, le signe, ne doit pas être pris dans le sens de « la lettre ». Le premier signe qui apparaît dans la Bible se trouve dans l'histoire de Caïn : « Et Yhwh mit un signe (oth) sur Caïn, afin que quiconque le trouve ne le tue pas » (Genèse 4:15). Le « signe sur » laisse supposer qu'il s'agit du front de Caïn. Dans le livre d'Isaïe, le signe est le Messie lui-même : « C'est pourquoi Adonaï, Lui, vous donnera un signe : Voici, la jeune fille concevra et elle enfantera un fils, et criera son nom : Emmanuel » (Isaïe 7:14). Dans le Talmud, Shabbath 55a, il est fait mention du Signe, de l'encre et du sang, dont parle le Séfer haoth d'Abraham Aboulafia : « Le Saint, béni soit-Il, dit à Gabriel : Va inscrire sur le front des justes un signe d'encre pour que les démons ne les dominent pas, et sur le front des méchants, tu mettras un signe de sang pour que les démons s'emparent d'eux. » Assurément, Abraham Aboulafia connaissait bien ce texte, dont il utilise le fond, dans son Séfer haMélits : « Le Signe 'tu vivras' est un signe d'encre et le Signe 'tu mouras' est un signe de sang ». Durant son enfance, en 1250, parut en Catalogne le Séfer haTemounah, d'un auteur inconnu. Il s'agit d'un traité kabbalistique exploitant la théorie de haoth, le signe. Ce livre est une interprétation mystique de la forme des vingt-deux lettres, basée sur une réinterprétation des préceptes bibliques du Shabbath, de la Shemitah, et du Jubilé. Écrit dans un style énigmatique parfois difficile à saisir, ce livre est paradoxal car il semble avoir été écrit en deux temps. On peut supposer que sa première rédaction influença Abraham Aboulafia, alors que la seconde fut, en partie, influencée par ce dernier. Le Séfer haTemounah développe l'idée que la nature des Séfiroth, en tant que puissance cachée de Dieu, s'exprime dans l'histoire du monde à travers ses shemitoth, ses cycles. Mais ce qui nous intéresse particulièrement ici, c'est que ce livre représente un courant de kabbalistes prétendant qu'une lettre de la Torah manque dans notre cycle (shemitah) actuel. Il s'agit de haOth, le Signe. D'après le Séfer haTemounah, ce n'est pas une lettre supplémentaire, mais plutôt une lettre incomplète et défectueuse, alors qu'elle était complète dans la shemitah précédente et le sera dans la prochaine (Shemitah de Hesséd, de Bonté). L'absence de ce signe est la cause de l'extrême rigueur (Guevourah) qui règne dans notre cycle, ce qui a pour conséquence de nuire à la révélation des lumières divines les plus cachées. Le manque du Signe perturbe la qualité de réception de l'abondance divine, tel un vase percé, et donne aux humains la sensation que leur vie leur échappe. Ces notions se retrouveront dans les pages qui suivent du Livre du Signe d'Abraham Aboulafia.

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