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(1987) de Per Kirkeby occupe une place per- manente au jardin du musée. Dans un genre esthétique néobreughelien, si ’on peut dire, et intemporel a la fois, je voulais donner forme & trois paraboles : d’abord, dans la galerie princi- pale, la confusion des états d’ame, le vivant appel au désir créateur de "homme, mélé a la souffrance et & la mort; dans la deuxiéme salle, le silence merveilleux du vide et du monochromatisme ; enfin, dans la troisi¢me, la sacralisation de ce qui est soi-disant profane Par exemple, & cOté de Grand se trouve La Tour de Babel de Brueghel ; en face, les portraits d'une société idéale peinte par Ercole dé Roberti (Pietro Cenni), Titien (Jeune gargon aux chiens), Véronése (Jeune gargon), Jan van Score! (Ecolier), Rembrandt (Titus), Rubens (Suzanne), Degas (Danseuse) et, pour la dimension de la souffrance, Rubens (Trois Croix) et Patenier (L'Incendie de Sodome et Gomorrhe). Beuys, avec ses piles de cuivre qui font face & des meubles de bureau modernes, interpellant la force créa- tive des activités quotidiennes, met en valeur la présence de sidges, de meubles profession- nels et de pidces d’ébénisterie de lage artisanal qui précéde celui de la machine (une chaise gothique, une tapisserie, un coffre de Ceylan, diverses chaises, des tables et méme un bureau viennois 1900). Mais sortira-t-il quelque chose du rapprochement d’un plateau de verre gravé Je vais faire une étude rapide de approche qu’ont certains artistes contemporains du musée comme sujet méme de leur ceuvre. Je serai obligée d’exclure, par manque de temps, ANDREA MILLER-KELLER avec le Portrait d'une femme de Rembrandt, dans un tel contexte ? Cela reste & voir, quand les ceuvres seront en place. Peut-on étendre indéfiniment la « société idéale » des portraits de Bol, Luca van Leyden, du Maitre des Portraits royaux, de Pietro Longhi, Van der Helst et, bien stir, de Picasso, Dali et Bacon ? Peut-étre, Javais des projets semblables pour la salle qui abrite la sculpture de Bruce Nau- man, avec des ceuvres de Bosch (Vieille Femme et Le Fils prodigue), de Seghers, Saerendam, de Witte, Mondrian, Rothko et Schoonhoven ; et dans la salle od se trouve le Buffet de Imi Knoebel j/avais le projet de placer des ceuvres du Maitre de l’Annonciation d’Aix, de Geert- gen tot Sit Jans avec des ceuvres comme La Vierge en gloire, Le Pélican et Urne de 1918, et dautres encore plus récentes de Kees van Dongen, Morandi, Broodthaers, Polke et van Elk. Et, quelque part au milieu de tout cela, Lyrique de Kandinsky. Je prends grand plaisir & cette profusion et, cependant, il reste tant dincertitudes... Comment les ceuvres vont- elles coexister? Est-ce que la hauteur moyenne du regard, que je préfére, a 155m, est suffisante ? Combien de kilométres faut parcourir avant que tout soit juste et que les résonances a-historiques apparaissent, tout au moins & mes sens ? Traduit de Vanglais par Gilles Courtois LE MUSEE COMME G2UVRE ET ARTEFACT ANDREA MILLER-KELLER aussi remarquables précédents que ceux que Yon trouve dans les annales de Dada, du surréalisme, de Fluxus, de l'art conceptuel. Je mettrai Vaccent sur les oeuvres créées ANDREA MILLER-KELLER dans et pour les musées américains pendant les douze deniéres années. Qu’est-ce que je veux dire par « artefact » ? « Artefact » suggére V'idée d'un objet fait par Vhomme, chargé de signification culturelle, et qui peut, si on I’étudie soigneusement, nous fournir des renseignements sur la société dans laquelle il a été créé. Il fournit des indices sur une situation culturelle plus vaste, et ne pré- sente un intérét que si nous pouvons le «lire ». « Artefact » a aussi pour connotation Yappartenance un ensemble plus vaste. En termes de temps, il suggére une chose qui est passée, et méme peut-étre inadaptée au moment présent. (Lorsque Picasso dit & Ger- trude Stein qu’ilallait avoir une exposition au Musée d’Art moderne, elle répondit : « Aucun musée ne peut étre moderne. ») Et un artefact se référe généralement a un objet relativement petit. Ce qui peut paraitre ironique. Les musées sont encore avec nous et semblent faire partie de notre futur. Du point de vue de leurs dimensions, les musées constituent de trés grands artefacts, aussi bien en termes d’archi- tecture que d’influence et d’autorité. Si Yon fait un déchiffrage attentif du monde des musées, on s‘apergoit qu'il offrent des clés pour la connaissance de notre société, au point que les systémes de valeurs qu’ils incarnent pourraient étre pergus comme inap- propriés, anachroniques ou, en termes encore plus subjectifs, « faux intellectuellement », et que «le musée comme artefact » est devenu tun sujet d’intérét réel pour certains artistes contemporains, un sujet suffisamment attrayant pour étre, par moments, un sujet essentiel de leur ceuvre. Cependant, lorsqu’un visiteur moyen entre dans un musée, il ignore presque tout de Vinstitution. I existe peu d’éléments de réflexion sur les schémas de fonctionnement d’un musée, sur ses sources de financement et les procédés de décision grace auxquels les priorités et les programmes culturels sont établis pour le public. La plupart des artistes auxquels je vais f référence cherchent, avec plus ou moins de franchise et de clarté, & transmettre au visiteur de musée une meilleure connaissance des complexités de cette institution, qui est si rarement mise en question ou analysée de fagon publique. Marcel Broodthaers, qui a, mieux que tout autre et avec plus de sens poétique, exploré ce domaine, a cherché & «situer la pensée dans un cadre de référence qui puisse aider Vindividu & se protéger contre les images et les textes communiqués par les ‘mass media et par la publicité, et qui fagonnent nos codes de conduite et notre idéologie »!, En tant que conservateur de musée, et avec un signe de connivence & Broodthaers, j'ai classé mes exemples en trois catégories. Le premier groupe est constitué d’ceuvres qui se présentent sous forme d’objets discrets, portatifs, encadrés de fagon ostensiblement conventionnelle. Le second groupe est constitué d’installa- tions « site-spécifiques », qui prennent en considération les caractéristiques du site ot elles se trouvent. Alors que « site-spécifique » suggére habituellement une implication avec les caractéristiques architecturales et les limita- tions d’un lieu donné, nous allons analyser la maniére dont certains artistes sont impliqués cessentiellement dans les dessous complexes, économiques et sociologiques, plus quarchi- tecturaux, du musée lui-méme. ‘Le troisidme groupe d’ceuvres est plus diff cile a illustrer et plus difficile & lire. 11 s'agi actions non autorisées, non sanctionnées, et quelquefois illégales, qui ont prétention a étre des ceuvres dart. Elles peuvent aussi nous intéresser dans la mesure oi elles sont un commentaire du « musée comme artefact ». OBJETS DISCRETS, PORTATIFS, (OSTENSIBLEMENT CONVENTIONNELS Les ceuvres d'art jouent sur la croyance selon laquelle leur valeur et leur signification aug- mentent avec le temps. C’est bien dans tout cela que les musées sont impliqués. Ils ont avec les donateurs et les artistes un contrat implicite qui veut qu’ils existent encore dans un lointain avenir. Il est entendu que c'est la qu’ils sont utiles & notre société. Leur mission consiste & conserver et a stocker les aeuvres. Ces aspects de « I'Art », qui suggérent une certaine immortalité, nourrissent les aspira- tions de bien des personnes qui servent l'idée de musée : les administrateurs, les conserva- teurs et le reste du personnel, les donateurs et les artistes. Hans Haacke Récemment, Hans Haacke a exploré les rela- tions compliquées qu’entretiennent les musées avec les sources de financement collectif, et avec les administrateurs et les collectionneurs. Son ceuvre Metromobilitan (1985) est axée sur les principaux biens nigériens de la Mobil Oil et sur son réle de fournisseur de la police et de Yarmée sud-africaines. La Mobil est un des investisseurs les plus importants de l'Afrique du Sud. Haacke affirme que le soutien finan- Gier qu’a apporté la Mobil & l'exposition du ‘Metropolitan Museum de New York, « Trea- sures of Ancient Nigeria », mettant en valeur Yart nigérien traditionnel, fut avant tout une opération de relations publiques pour promou- voir la réputation de la Mobil dans le secteur. Lartiste évoque la volonté apparente du Metropolitan de jouer un réle dans les efforts déployés par la Mobil pour légitimer ses prati- ques commerciales en Afrique. Le texte écrit en blanc sur fond bleu montre les slogans par lesquels la Mobil Oil cherche a justifier ses ventes a la police et a V'armée sud-africaines. Derriére le drapeau familier Metropolitan se trouve la photographie d’une procession funé- raire organisée en honneur des Noirs tués par la police a Crossroads le 16 mars 1985. Dans la partie supérieure, sur une reproduction en fibre de verre du fronton du Metropolitan Museum, se trouve un texte extrait d'une brochure du musée, que Haacke cite De nombreuses occasions dopérations de relations publiques s‘offrent 2 travers le financement privé (sponsoring) des programmes, des expositions spé- Giales et des services. Elles fournissent souvent une réponse créatrice et rentable & un objectf spécifique ANDREA MILLER-KELLER de marché, en particulier dans les cas oi les relations internationales, gouvernementales ou commerciales sont délicates Barbara Kruger, Sherrie Levine Dans son ceuvre Untitled (« You invest in the divinity ofthe masterpiece »), 1982, Barbara Kru- ger a Vaudace d’utiliser comme toile de fond de ce message une reproduction tramée en noir et blanc du plafond de la chapelle Sixtine de Michel-Ange. Elle invoque la confusion large- ment répandue dans la culture populaire entre Ja religion et l'art, dont les attributs se renfor- cent les uns les autres pour améliorer sa propre relation avec le public. Le terme invest suggere que le probléme de fond, que ce soit la «religion » ou I’« art », la « cathédrale » ou le « musée », appartient habituellement au regis- tre économique, Lceuvre de Sherrie Levine, After Walker Evans, 1981, fait partie de celles ott elle a utilisé une photographie de reproductions d’ceuvres de célébres photographes masculins. Dans cette ceuvre comme dans d’autres de la méme Epoque, Levine pose la question de savoir pourquoi les attributs de l'art — Voriginalité et Yauthenticité — ont une valeur dans notre société et en quoi consiste notre intérét pour une ceuvre dart: pour ce qu’on appelle la forme et le contenu ou pour son statut maté- riel d’objet rare ? Leuvre de Chris Burden Tower of Power évoque le méme probléme en mettant dans une exposition de musée un million de dollars en lingots dor. LES INSTALLATIONS « SITE-SPECIFIQUES » Sol Lewitt Sol Lewitt a fait le premier de ses Wall- Drawings en 1968 ; en général, ils investissent directement Varchitecture d'un site, Il est & noter dans le cadre de notre débat que tout Wall-Drawing peut étre effacé et redessiné dans m’importe quel site approprié, de dimensions ou de caractére trés différents. Cela a repré- senté une coupure radicale avec le concept

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