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Ph.N. — Vous aver d’abord été historien de Ia philosophie, ou analyste des autres philoso- phes, puisque vous avez publié des articles et des ouvrages sur Husser! et Heidegger. Mais le premier livre dans lequel vous exprimez votre propre pensée est un petit ouvrage intitulé De existence 4 l'existant. Vous l’'avez écrit pendant la guerre, dites-vous dans votre préface. dans le stalag. Quel en est le sujet ? E.L. — Ily est question de ce que j'appelle '« ily a ». Je ne savais pas qu’Apollinaire avait écrit une ceuvre intitulée II a. Mais l'expres- sion, chez lui, signifie la joie de ce qui existe, Vabondance, un peu comme le « es gibt » heideg- gerien. Au contraire « il y a» pour mo’ est le phénomene de I’étre impersonnel : « il ». sta ré- flexion sur ce sujet part de souvenirs d’e::"ance. On dort seul, les grandes personnes cont nuent 37 Ja vie ; enfant ressent le silence de sa cham- bre & coucher comme « bruissant ». Ph. N. — Un silence bruissant ? E. L. — Quelque chose qui ressemble & ce que V'on entend quand on approche un coquil- lage vide de l'oreille, comme si le vide était plein, comme sie silence était un bruit. Quel que chose quon peut ressentir aussi quand on Pense que méme s'il n'y avait rien, le fit qu’e il y a» nest pas niable. Non qu’il y ait ceci ou cela ; mais la scene méme de 'étre est ouverte : ily a, Dans le vide absolu, qu'on peut imaginer, d’avant la création — il y Ph. N. — Vous avez évoqué a l'instant le « es gibt» le « ily a » allemand, et Vanalyse que Hei- degger en a faite comme générosité, puis que dans ce « es gibt » il y a le verbe geben qui signi fie donner. Pour vous, en revanche, il n'y a pas de générosité dans le « il ya»? E. L. — J’insiste en effet sur l'impersonna- té de I's ily a»; ¢ ily a», comme « il pleut » ou « il fait nuit», Et il n'y a ni joie abon- dance :c’est un bruit revenant aprés toute néga- tion de ce bruit. Ni néant, ni étre. S‘emploie par- fois Vexpression le tiers exclu. On ne peut dire de cet « il ya » qui persiste que c’est un événe- 38 rent d’étre. On ne peut dire non plus que c'est le néant, bien qu'il n'y ait rien. De lexisience 4 Lexistant essaie de décrire cette chose horrible, ¢t diailleurs la décrit comme horreur et affe, lement. Ph. N. — enfant qui sur son lit ser. durer la nuit fait une experience de l'horrec: E. L. — ... Qui cependant n’est pas une an- goisse. Le livre est paru avec une bande oh Javais fait inscrire : « Ou il n'est pas question d’angoisse ». On commencait a parler beaucoup dangoisse a Paris, en 1947, Diautres expérien- “es, toutes proches de I’e il y a » sont décrites dans ce livre, notamment celle de linsommne Pans l'insomnie, on peut et on ne peut die qui aun « je » qui n’arrive pas 4 dormir. L sibilité de sortir de la veil d'« objectif », d'indépendant de mon initiatiee Fete impersonnalité absorbe ma conscience; la conscience est dépersonnalisée, Je ne veilla Pas : « ¢a » veille. Peut-étre la mort est-elle une negation absolue ot « la musique est finic »(on n’en sait rien, d'ailleurs). Mais dans l'af? lace « expérience » de I’« ily a», ona | ‘impression d'une impossibilité totale d’en sortir et «san, réter la musique », Crest la un theme que j’ai retrouvé chez Mau. 39

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