Les majorettes, elles, savert parler d'amour
chambre telle une tornade, Christiane se heurta violemment
Bernard qui sortait tout aussi précipitamment des toilettes, la
barbe encore ébouriffée.
~ Mais tu n’as rien entendu ? luilanca-t-elle au passage.
-J’étais aux toilettes...
Christiane s'immobilisa dans sa course.
- Quel rapport?
~Je vexplique. 61)
- Ne mexplique rien tu dis n'importe quoi. Arrange ta barbe
et viens avec moi, si c'est ta soeur jene veux pas avoir a l'affronter
toute seule.
A pas de loup, Christiane s'approcha de la porte d’entrée, et fit
glisser le judas d’une main experte
- Cava, c'est Paul-Marie.
- Le contraire m'aurait étonné. Quand on lui dit une heure, cet
homme-la, cest a la minute précise, comme un valet.
- Eh bien... de l'agressivité maintenant..., dit Christiane en se
tournant vers Bernard.
~ Pas du tour, c'est une remarque.
- Tues jaloux.
- Mais non!
Cette fois, il en aurait le caeur net. Si d'ici trente secandes
personne ne venait, cela voulait dire qu’ils n’étaient pas la.
Ou qu’ils ne voulaient pas le voir, ce qui revenait au méme.
Peut-étre sonner encore une fois, au cas o&, Non. Quand les{e2
Franepis Seabouski
gens vous repoussent, il ne faut pas s'accrocher, est une
question d’honneur.
- Parce que tu es gras du bide ?
- Pardon?
- Crest parce que tu es gres du bide que tu es jaloux de Paul-
Marie ? répéta Christiane.
Elle ouvrit la porte sans lui laisser le temps de répondre. Le
visage de Paul-Marie s'illumina,
- Chére Christiane ! Comment vous portez-vous ? demanda
Paul-Marie, radieux. Que vous étes belle... Je suis peut-étre un
peu en avance sur I’horaire, veuillez me pardonner si cest le cas.
Jiespére que je n’ai pas interrompu vos préparatifs..., ajouta-t-il,
hésitant, en inclinant légérement la téte sur le cété, ainsi qu'il
avait I'habitude de le faire avec ses patients.
~Pas du tout, pas du tout, résondit Bernard ala place de sa femme,
tandis que celle-ci enlacait chaleureusement Paul-Marie. Christiane
était dans les toilettes, c'est pour ¢a quielle a mis tant de temps & ré-
pondre. Vous étes parfaitement a I’heure, comme toujours.
~ Bernard |..., quest-ce que tu dis ? s’écria Christiane, outrée.
Er, se radoucissant aussitor, elle s'approcha de Paul-Marie et
lui susurra a l’oreille, délicatement, comme on avoue une gour-
mandise :
= Thment. Je crois que cest parce qu'il est un pen jalonx de vous.
- Ah ah ! Quel incorrigible farceur vous faites, Bernard ! s'ex-
clama Paul-Marie dans un grand rire jovial, en serrant de deux
mains bienveillantes celle que lui tendait Bernard. Mais vousLes majorettes, elles, savert parler d'amour
avez raison de plaisanter ! ‘ai toujours pensé que I’humour était
ce qu'il y avait de plus important dans un couple... Sans humour,
tout s‘affaisse. humour dans un couple est un fluide vital qui
parcourant l'amour en raffermit les tissus. C'est un tonifiant
indispensable, dont beaucoup trop de couples se dispensent. A
tort! conclut-il en tendant le doigt, I'ceil complice.
~ Quelle langue vous avez, Paul-Marie ! Je vois que vous étes en
forme ! s'émerveilla Christiane, en l'aidant a 6ter son manteau.
- Toujours, toujours. Mais appelez-moi Paul, Christiane, je
vous en conjure... Depuis le temps... Vous voulez donc me facher ?
- Oh oui, excusez-moi, Paul, j'wais oublié... Je suis désolée,
cst Bernard qui m’a troublee, avec toutes ses bétises..
= Oui, vous avez raison, la forme, cest l'essentiel, cest pour
cela qu'il faut se battre... Et je ne vous dis pas ¢a parce que je
suis médecin !, je ne parle méme pes de santé — méme si c'est lié,
bien sir —, je parle de moral, de bonne humeur. C’est de ca que
manque notre époque, cette jovialité qu'avaient nos anciens, sou-
venez-vous ! Aujourd’hui tout le monde se plaint, tout le monde
geint, grogne, insatisfaite humanité ! Et je peux vous dire qu’en
tant que médecin, je suis bien placé pour le savoit
Christiane sourit.
- Je me souviens encore de mon grand-pere, quand nous al-
lions lui rendre visite, a la fin de ses jours...
Bernard enfoncait profondément son doigt dans sa barbe.
Depnis I’épaque oti, encore prérendant, Paul-Marie était venu la
premiére fois a la maison, rien nfavait changé. Au contraire, avec
les années, sa faconde insatiable avait pris un volume envahis-
sant et proprement insoutenable qui, malheureusement, mettait
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