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Par A/Aziz BERKAI

Maître assistant chargé de cours au département de langue et culture amazighes, faculté des lettres et
sciences humaines, Université de Béjaïa (Algérie).

Intitulé de la communication :

Quels critères d’acceptabilité des néonymes et quels modes lexico et terminogéniques : le cas du
tamazight (berbère), confronté à celui du français

Introduction

On peut définir le concept de néologie en le renvoyant 1 à trois démarches relevant de trois


domaines différents :
- Création d’unités lexicales nouvelles par le recours, conscient ou inconscient, aux mécanismes
habituels de créativité linguistique d’une langue, ce qui relève du domaine public ;
- Etude théorique et appliquée de la créativité lexicale : procédés de formation des mots, critères de
reconnaissance, d’acceptabilité et de diffusion des néologismes ; ce qui relève du domaine
scientifique ;
- Activité institutionnelle, organisée systématiquement afin de recenser, de créer, de consigner, de
diffuser et d’implanter les néologismes dans le cadre d’une politique de la langue ; ce qui relève de la
politique linguistique d’un Etat.

En terminologie, on distingue deux types de création du lexique : la néologie qui consiste à créer
en langue commune et la néonymie qui concerne la création lexicale dans les langues de spécialité.
Cette dichotomie tient sa pertinence surtout dans le fait que la néologie est spontanée, ce qui n’est pas
le cas de la néonymie qui répond à un besoin de communication bien exprimé.
Le tableau ci-dessous illustre les principales différences entre les deux types :

Néologie Néonymie
- La création est spontanée ; - La création répond toujours à un besoin de
- Le néologisme appartient à la langue communication bien exprimé ;
commune (L.C) ; - Le néonyme appartient à une langue de spécialité
- La durée de son état néologique est longue (L.S) ;
avant de passer dans l’usage ou de - La durée de son état néonymique est en générale
disparaître ; réduite avant de passer dans l’usage ;
- Sa datation est le plus souvent hypothétique… - Sa datation est souvent très précise…

L’élaboration d’un néonyme répond à des critères bien identifiés par les disciplines qui
s’occupent de l’aménagement de la langue ; des critères dont l’importance varie en fonction de la
situation sociolinguistique de la langue en question. J.-A. Fishman les résume presque – mais à sa
manière de sociolinguiste bien avisé – en écrivant qu’ « il importe peu que les mots soient nouveaux
(et parfois aussi l’écriture, de même qu’une partie du système morphosyntaxique et la majeure partie
du système sémantique), ce qui importe, c’est qu’ils sonnent juste, qu’ils donnent l’impression d’être
justes de par leurs éléments, leurs accents et leurs connotations traditionnelles ; il faut que la
nouveauté donne l’impression d’être familière, authentique, de nous appartenir, particulièrement dans
un contexte où « les autres » se sont moqués de nous, nous ont exploités, aliénés et assimilés »2. C’est
une analyse d’autant plus juste que le critère de « motivation », considéré souvent comme important
en terminologie, semble n’avoir aucune importance dans le cas de tamazight. Des termes comme azul
(salut), amazigh (berbère), par exemple, qui ne sont pas du tout motivés en kabyle, se sont pourtant
très vite imposés dans l’usage, grâce à leur euphonie et à leur caractère hautement communicatif.

1
voir à ce propos J.-C. Boulanger, 1989, L’évolution du concept de néologie, in actes du colloque organisé à
Bruxelles les 25-26 mars 1988. Centre de terminologie de Bruxelles, p. 199.
2
Fishman (J.-A.), 1983, Aménagement et norme linguistique en milieux linguistiques récemment conscientisés,
in la norme linguistique, textes colligés et présentés par E. Bédard et J. Maurais, p. 387.
2

Achab3 constate dans sa thèse ce fait, « paradoxal » pour lui, qu’en néologie berbère ce sont plutôt les
néologismes non motivés (idles culture, adlis livre, tasertit politique, tilelli liberté, etc.) qui sont
consacrés par l’usage, alors que ceux qui sont motivés sont relativement peu nombreux à l’être.

Voici les critères auxquels doit satisfaire un néonyme et qui nous semblent pertinents pour son
acceptabilité4 :

L’unité notionnelle : le néonyme doit satisfaire au principe fondamental en terminologie (comme


discipline scientifique) de la bi-univocité entre dénomination et notion. C’est-à-dire qu’à une notion il
ne doit théoriquement correspondre qu’une dénomination et une seule. Ce qui exclue la synonymie, la
polysémie et l’homonymie qui sont des facteurs de confusion en terminologie. La langue technique ou
scientifique ne doit pas chercher la variété mais la vérité. Etant bien entendu que ce critère n’a de sens
qu’à l’intérieur d’un domaine de la science ou de la connaissance bien déterminé. Le terme eau, par
exemple, est « un liquide incolore et inodore, transparent et indispensable à la survie », pour le
commun des mortels, « une substance composée d’hydrogène et d’oxygène », pour un chimiste, « un
liquide dont le point de congélation est 0°c et le point d’ébullition 100°c », pour un physicien, etc.
Donc un terme n’a de vrai sens que dans un domaine de science ou de connaissance bien précis. Ainsi,
les termes comme arbib (adjectif, en grammaire et beau-fils, excroissance, appendice, en langue
commune), tiγri (voyelle, en phonétique et cri, appel, en langue commune), afeggag (radical, en
grammaire et chevron de charpente, en langue commune), etc., ne posent aucun problème, ni de
polysémie ni d’homonymie en grammaire, bien au contraire, ils présentent l’avantage d’être motivés,
ce qui peut faciliter leur implantation, et a posteriori elle l’est manifestement bien.

La conformité aux règles de la langue : c’est ce que Fishman, cité plus haut, appelle
sociolinguistiquement « sonner juste » et que les linguistes traduisent par grammaticalité, c’est-à-dire
le caractère morpho-phonologique qui permet à un terme de s’intégrer dans la langue sans qu’il soit
perçu comme un « corps étranger », donc susceptible d’être rejeté. C’est comme la greffe en chirurgie
où l’implant doit être génétiquement compatible avec l’organe sur lequel il doit être implanté pour
qu’il ait plus de chance de prendre. C’est par ce critère que des termes comme micro (ordinateur) ou
portable se sont intégrés dans la langue kabyle (variété algérienne du berbère), après s’être
transformés morphologiquement en amik o et apo tabl. La voyelle [o] est une variante combinatoire
de [u], apparaissant dans des environnements emphatiques : [aγ om] (le pain, la galette), [a o] (le
vent), etc. ; et la consonne [p] est une variante expressive ou sociolinguistique, apparaissant dans le
langage féminin et dans certains emprunts au français : Reppwi (Rebbi, Dieu), yeppwa (yebbwa,
yewwa, il est cuit), tapwalt (le poêle), etc.

La dérivabilité : c’est la capacité qu’a un terme de se laisser transformer d’une catégorie


grammaticale à une autre par les procédés de dérivation morphosyntaxiques. Un terme dont le
signifiant est court présente une plus grande dérivabilité. En arabe, par exemple, on a d’abord traduit
microscope par midjlat al-daqqaq, mais lorsqu’on a voulu traduire unité microscopique, alwihda
almidjlawiya al-ddaqqaqeya était lourd et un peu compliqué comme équivalent, on l’a donc simplifié
en alwihda almidjlawiya ; par la suite, pour régler franchement le problème, on a proposé un autre
équivalent plus court, à savoir almidjher.

L’euphonie : un néonyme ne doit pas présenter de grandes difficultés de prononciation, pour qu’il soit
accepté. Bien au contraire, il doit permettre une grande facilité de prononciation, donc d’usage. Les
termes azul (salut), anzi (proverbe), par exemple, qui ne sont plus des néologismes, parce que bien
intégrés dans la langue, étaient des adaptations fautives à partir de ahul et anhi touaregs : on a
remplacé le h touareg par le z des parlers du nord, comme si dans chacune de ces deux régions une
seulement de ces deux consonnes était attestée. Mais une faute heureuse puisque les consonances de

3
Achab (R.), 1996, La néologie lexicale berbère (1945–1995), PEETERS, Paris, p. 308.
4
voir à ce propos la grille ayant inspiré la notre, proposée par G. Rondeau, 1984, Introduction à la terminologie,
gaëtan morin éditeur, pp. 134-135.
3

azul et anzi sont clairement plus agréables que celles de leurs étymons touaregs, et leur succès l’a bien
montré.

La correspondance à un besoin : un néonyme répond toujours à un besoin de communication


clairement exprimé. Cette communication se charge de l’intégrer dans l’usage et de lui faire perdre,
par conséquent, son caractère néonymique. Ce besoin peut être celui de dénommer une nouvelle
notion ou réalité, comme il peut être celui de dénommer autrement, dans sa langue propre, une notion
déjà existante, en remplaçant, par exemple, un emprunt fait à une langue « dominante » qui est en
situation de diglossie avec la première. L’exemple de néologismes comme azul (salut), tanemmirt
(merci), tilelli (liberté), et tant d’autres en kabyle, illustre bien ce besoin de communiquer autrement
dans une langue maternelle débarrassée de « signes » de « moquerie », d’ « aliénation » et
d’ « assimilation », pour reprendre les termes de Fishman. Ce besoin de communiquer autrement est
très important et explique en partie le succès de ces néologismes et le fait qu’une langue n’est pas
simplement un « outil » ou un « ustensile » de communication, mais « un lieu d’investissements
symboliques » et de concentration d’émotions diverses. Si la langue était simplement un moyen de
communication, les hébreux n’auraient pas un instant pensé à dépenser tant de temps et d’énergie à
ressusciter leur langue, qui était morte depuis le deuxième siècle, alors qu’ils possédaient
majoritairement le même outil de communication qui était le yiddish. Cette définition de la langue
comme « un simple outil de communication » nous semble être celle des partisans de l’idéologie
diglossique, version Ferguson, qui vise à substituer les langues « dominantes » aux langues
« dominées », minorées ou minoritaires, comme l’explique si bien la sociolinguistique catalane, en
incitant implicitement leurs locuteurs à utiliser le meilleur « outil ». Le besoin donc de communiquer
autrement ou de communiquer tout court est important pour qu’un néologisme s’implante.
A ces critères on peut ajouter deux autres de moindre importance :

La motivation : caractère qui permet à un terme d’être facilement reconnu. C’est une sorte de
« reconnaissabilité » qui facilite la compréhension. C’est donc un critère souhaitable dans la mesure où
il peut être satisfait.

La « licence néologique » : nous avons calqué ici le concept en littérature de licence poétique qui
permet à son détenteur d’avoir une certaine liberté d’usage de sa langue. Un néologisme a en effet plus
de chance de survivre s’il est créé par un personnage auquel on reconnaît une certaine maîtrise de la
langue, un grand écrivain par exemple, que lorsque le créateur est un personnage anonyme, même s’il
a par ailleurs une grande maîtrise de la même langue. le mot « négritude » a survécu sans doute parce
que son concepteur est un certain Sedar Senghor. Beaucoup de néologismes en tamazight sont passés
dans l’usage grâce, en partie, à la notoriété et respect dont jouissait leur créateur auprès des
berbérophones, en l’occurrence l’écrivain et grand militant de la cause berbère M. Mammeri.

Ces critères énoncés, c’est au final l’usage qui confère et qui ôte le caractère néologique ou
néonymique à un terme. « Il ne suffit pas qu’un mot soit relevé comme emploi inédit pour que du
même coup il mérite d’être qualifié néologisme. Un néologisme n’existe réellement que s’il entre dans
un certain usage », écrit L. Guilbert 5 dans sa créativité lexicale. Il ajoute plus loin que c’est la
répétition de l’acte de création qui installe le néologisme « individuel » dans « la société du lexique » ;
le néologisme ainsi lexicalisé perd, du coup, sa qualité de néologisme pour devenir un mot
« socialement établi ».

2. Typologie des néologismes

De nombreuses typologies sont proposées par des linguistes et autres néologues ou


terminologues, mais rares sont celles qui prétendent à l’exhaustivité. La plupart rangent les différents
procédés dans trois grands « moules », souvent sans souci de détail : la néologie de forme qui consiste
à créer un nouveau terme (ou mot) sur la base d’une nouvelle dénomination, la néologie de sens qui
est la création d’un nouveau terme sur la base d’une nouvelle notion en rapport avec une dénomination

5
Guilbert (L.), 1975, La créativité lexicale, Paris, Larousse, p. 44.
4

déjà existante, et la néologie par emprunt qui consiste dans le transfert d’un terme d’une langue dans
une autre langue. Mais la difficulté réside dans le classement de certains néologismes dont la
formation peut relever à la fois des différents procédés, ou d’autres néologismes qui sont tout
simplement difficiles à classer dans tel ou tel type. Où peut-on ranger, par exemple, un néologisme
obtenu par changement de catégorie grammaticale ? Les linguistes sont partagés à ce propos entre
ceux qui considèrent qu’il s’agit de la néologie sémantique puisqu’elle n’entraîne pas de changement
au niveau dénominatif 6 , et ceux qui parlent de néologie syntaxique, puisqu’il y a changement de
catégorie grammaticale, c’est le cas par exemple de M. Verdelhan-Bourgade (1990), cité par
Sablayrolles7. S’agit-il de néologie sémantique ou d’emprunt dans le cas de la création en français du
verbe « réaliser » au sens de « comprendre » sous l’influence de l’anglais ? Sablayrolles répond qu’il
s’agit des deux à la fois. Quand on crée en français gratte-ciel, ou en kabyle xbec-genni (A.
Mezdad(*)), par référence à skyscraper, fait-on un calque morphologique à l’anglais ou crée-t-on un
mot composé ou les deux à la fois ? Pour Sablayrolles, ce sont encore les deux à la fois, mais
néanmoins dans sa typologie « les procédés ne seront inclus que dans une seule classe », puisqu’il
s’agit « dans un premier temps d’un simple récapitulatif ordonné et non encore de l’établissement
raisonné d’une typologie » (p. 211). Sa typologie est élaborée dans le cadre d’une thèse de doctorat
entièrement consacrée à la néologie : la néologie en français contemporain, soutenue en 1996 et
publiée en 2000 avec des corrections et des apports nouveaux. Nous nous sommes inspirés de cette
typologie pour l’élaboration de la nôtre, adaptée au berbère. Un sérieux problème se pose pour le
berbère et pour d’autres langues ne relevant pas de la famille indo-européenne, qui ne bénéficient pas
directement d’énormes travaux sur la néologie, et plus généralement sur la terminologie, élaborés en
Occident au prix d’efforts humains et matériels colossaux (colloques, tables rondes, création
d’organismes de normalisation nationaux et internationaux comme l’ISO, etc.). Maria Teresa Cabré
écrit à ce propos que « dans les pays de famille indo-européenne, où l’on encourage des politiques
d’adaptation terminologiques dans le cadre d’un processus de planification néologique, on trouve des
références concrètes dans les langues technologiquement dominantes (...). En contrepartie, les langues
d’autres familles linguistiques (basque, hébreu, japonais, etc.), plus éloignés de ce modèle, doivent
proposer leurs propres modèles de formation et prendre une décision : soit elles favorisent les vraies
solutions, et s’écartent alors des solutions plus internationales ; soit elles optent pour le rapprochement
en adoptant les solutions d’autres langues dominantes (...) »8. Nous pensons pour notre part que ni une
transposition pure et simple des modèles élaborés ailleurs et ni une évolution en vase clos ne
conviennent à notre langue. Une solution éclectique est possible. C’est cette solution que nous
préconiserons ici dans l’élaboration de notre typologie qui s’articule autour de quatre grands procédés
qui sont les suivants :
- Le phonétique/graphique ;
- Le sémantique ;
- L’emprunt ;
- Le morphosyntaxique.

a. La néologie phonétique/graphique

a. 1. La création ex nihilo

C’est une combinaison inédite et arbitraire de sons conforme aux contraintes morpho-
phonologiques d’une structure linguistique. Ce procédé est très peu utilisé dans la néologie, et son
caractère arbitraire fait que certains linguistes lui opposent une fin de non recevoir, à l’exemple d’A.

6
Gaudin et Guespin, op. cit., p. 314.
7
Sablayrolles (J.-F.), 2000, La néologie en français contemporain : examen du concept et analyse des
productions néologiques récentes, Paris, Honoré Champion, p. 210.
(*)
Romancier berbérophone ayant fait cette proposition oralement dans l’un de ses cours de Notation (1993/94)
avec la deuxième promotion des étudiants de magister de langue et culture amazighes de l’Université de Béjaïa.
8
Cabré (Maria Teresa), 1998, La terminologie : théorie, méthode et applications, Paris, Armand Colin, p. 265.
5

Goosse 9 qui « ne trouve aucune séduction à ce procédé, qui est le triomphe de l’arbitraire »,
contrairement à d’autres linguistes comme A. Sauvageot et J.-C. Boulanger « qui regrettent qu’on ne
crée pas de mots ainsi »10. L’exemple qui revient souvent en français pour illustrer ce procédé est celui
du terme « gaz » auquel Guilbert 11 propose l’étymon grec khaos. En arabe, Osman Muhammad
Ussama12 relève aussi une seule attestation de ce type : il s’agit du terme yaha (quinzaine) mis au point
par le Professeur Lakhdar-Ghazal « à partir de l’alphabet arabe et sémitique ancien qui s’articule
abgad, hawzin, la valeur numérique de ya dans cet alphabet est de 10, celle de ha est 5 ; d’où 5 + 10 =
15 ». En berbère aussi ce procédé n’est pas exploité, et « le seul néologisme qui pourrait rentrer dans
cette catégorie serait le terme warem (vingt), créé « arbitrairement » à partir de mraw (dix) par
inversion de l’ordre phonématique de ce dernier »13. Ces deux derniers auteurs, Achab et Osman, sont
favorables à l’usage de ce procédé pour l’enrichissement du lexique dans les deux langues.
Ce procédé est plutôt utilisé pour la dénomination de certains produits ou marques déposées : kodak,
bic, etc.

a. 2. La création onomatopéique

Elle consiste à imiter un bruit, un son ou un cri de la réalité extralinguistique. La forme


acoustique ainsi produite est moulée dans le système phonologique d’accueil. Ce qui donne pour le
même son naturel des réalisations onomatopéiques différentes selon les langues : ququεu ou qiqiεi
(kabyle), cocorico (français), kikiriki (allemand), etc.
Ce procédé aussi est très peu exploité en synchronie, mais bien représenté en diachronie. A la
différence de la création ex nihilo, l’onomatopée est motivée par le fait qu’elle reproduit un aspect
important de l’objet qu’elle dénomme :
fferfer « s’envoler » est une imitation du bruit produit par l’action du vol ;
Taper est l’imitation du son ("tap") produit par l’action de "taper" ; etc.
Achab14 affirme dans sa thèse que ce procédé n’est pas utilisé dans la néologie berbère à cause du
caractère technique et abstrait des termes créés « mais aussi à cause d’une certaine exclusion de tout le
langage expressif consciemment ou inconsciemment écarté comme non valorisant pour un travail de
modernisation du lexique ».
Les créations onomatopéiques sont bien représentées dans la bande dessinée et plus généralement dans
le langage des enfants.

a. 3. Création par manipulation ou altération phonétique

Il s’agit de la déformation d’un signifiant par mauvaise articulation, par ironie ou par jeu : il est
une heure moins le Ricard (Coluche) ; C’est le célèbre physicien et non V. Hugo qui a écrit l’art d’être
Ampère (P. Dac), etc. En berbère ce procédé est utilisé par Muhend U Yehia auquel Achab15 attribue
l’exclusivité de l’usage de ce procédé :
Si Pertuf (Monsieur Pertouf) « qui associe (malicieusement) la marque Si de respectabilité,
normalement réservée aux clercs, au segment argotique prtf (fouiner, traficoter, flirter), l’ensemble
présentant de surcroît l’avantage de la proximité phonique avec le nom propre français de départ » ;
Σli n Dellu (< Alain Delon), etc. Ce procédé est aussi utilisé par Fellag : zik yella d amessahi, tura
yuγal d amasihi ; Berbèrgerac (Bergerac) ; etc. Même Matoub il l’a déjà utilisé : Leqmayel (<
Leqbayel, les Kabyles), Buledyen (< Bumedyen, Boumediene).

9
Goosse (André), 1975, La néologie française aujourd’hui, Paris, C.I.L.F, p. 49.
10
cités par Sablarolles, op. cit., p. 212.
11
Guilbert (L.), op. cit., p. 61.
12
Osman Muhammed (Ussama), 1998, Recherche méthodologique de la création terminologique en langues de
spécialité, vocabulaire de l’informatique en arabe, Thèse de doctorat nouveau régime, sous la dir. de Mme Odette
Petit, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris III, p. 255.
13
Achab (R.), op. cit., p. 318.
14
Idem, p. 319.
15
Idem, p. 321.
6

Ce procédé est aussi utilisé par des anonymes en Algérie, en particulier dans la manipulation des
noms propres dans certains milieux :
Takfarinas > tekfer–nnas ou keffar-nnas « celui qui dévoie les gens », manipulation utilisée dans les
milieux islamistes ;
Butefliqa (le président Bouteflika) > Butesriqa « le corrompu » ;
Butefriqa « le diviseur (des rangs) » ; etc.
F.L.N > flan "un tel" ;
Canal + (Plus) > canal Blis "la chaîne du diable", utilisée dans les milieux islamistes. Les deux sons
[p] et [u] qui ne sont pas attestés en arabe dialectal sont adaptés en [b] et [i], ce qui donne un "bon
produit de commercialisation".

a. 4. La fausse coupe

La fausse coupe consiste à ne pas respecter, involontairement ou par jeu, les frontières
habituelles entre morphèmes. Il existe des cas où la fausse coupe s’est lexicalisée et n’est plus perçue
comme telle, comme l’exemple de "lendemain" en français.
Muhend U Yehia et Fellag utilisent ce procédé en kabyle :
Lalla Mjilet (< la lame Gillette), Mme Mjilet (Cheikh Noreddine et Slimane Azem) ;
Si Nistri (< sinistré), M. Nistri, etc. (Muhend U Yehia) ;
Lalla Bama (< l’Alabama) ; Cheb Roti (< ccabruti, chevrotine), que Fellag a créé en répondant à une
question sur le l’auteur de l’assassinat de Cheb Hasni ; etc.
Il est aussi utilisé en Kabylie par les enfants comme jeu de mots qui consiste à combiner un composant
phonique avec des chiffres en commençant par 1 jusqu’à ce qu’on trouve un mot :
abex un, abex deux, abex trois, abex quatre, abex cinq, abexsis (figue) ;
agen un, agen deux... agendouz (veau) ; etc.

a. 5. Le verlan ou l’inversion

Il consiste à créer un nouveau terme ou mot, par inversion de l’ordre des sons d’une
dénomination qui peut s’accompagner par un ajout et une modification de certains sons. C’est un
procédé bien représenté en français à travers le "verlan", déformation de « à l’envers » : femme >
meuf, sœur > reusse, arabe > beur(e), etc.
Dans la néologie berbère, l’exemple unique relevé par Achab, cité plus haut, relève de ce procédé :
mraw (dix) > warem (vingt).

a.6. Les réductions

Ce sont des créations phonético-graphiques, parfois plus phonétiques que graphiques comme
l’apocope, parfois plutôt graphiques que phonétiques comme la siglaison.

a.6.a. L’aphérèse

C’est une troncation à l’initial, d’une ou plusieurs syllabes, d’une dénomination qui maintient
souvent inchangé la notion : bus (< autobus), bus (< omnibus (anglais)), pitaine (< capitaine), etc.
C’est un procédé très peu utilisé, parce qu’il n’est pas facile d’identifier un mot par sa partie
postérieur16. Même en anglais, très perméable aux réductions, il n’existe que peu d’exemples : varsity
(< university), gator (< alligator), etc.

a.6.b. L’apocope

C’est une troncation de la partie finale, une ou plusieurs syllabes, d’un signifiant qui laisse
inchangé le signifié qui peut toutefois subir de petits changements dans sa «valeur ». Ce procédé est
relativement bien représenté, en particulier dans les langues européennes :

16
Tournier (J.), 1988, Précis de lexicologie anglaise, Paris, NATHAN, p. 141.
7

Cinéma < cinématographie ;


Métro < métropolitain (< train métropolitain) ;
Zoo < zoological garden, jardin zoologique ; etc.
En arabe, ce procédé est utilisé dans l’abréviation de certains préfixes :
Faw (< fawqa, "sur") : fawtabiεi, " surnaturel " ;
Qeb (< qebla, "avant") : qebtarixi, "préhistorique", etc.
Il est attesté en kabyle dans certaines abréviations hypocoristiques de noms propres : Muh (<
Muhemmed), Ssa (< Ssaεid), Massi (< Massinisa), etc.

a. 6. c. La syncope

Elle consiste dans la troncation d’un élément central d’un signifiant dont le signifié reste
inchangé sauf sa « valeur ». Ce procédé est très rarement utilisé, il est surtout combiné avec les autres
types de réductions :
amatol : ammonium nitrate + trinitoluène (apocope + syncope)17 ;
tahasina (arabe), "les disciples de Taha Husayn"18, syncope de la syllabe "hu", etc.

a. 6. d. La siglaison

Elle consiste à réduire une séquence de mots à ses éléments initiaux. C’est un procédé qui s’est
considérablement développé au cours des cinquante dernières années, reflétant la société
contemporaine caractérisée par une multiplication à la fois de découvertes scientifiques et techniques
et d’organismes de toutes sortes19.
Martinez de Sousa, cité par Abreu20, distingue deux types de sigles : propres et impropres. Le sigle est
propre quand il ne contient pas d’initiales d’éléments grammaticaux comme la préposition, et il est
impropre dans le cas contraire. Son absence en berbère s’explique par sa nature essentiellement
graphique : on abrège d’abord à l’écrit.
Le sigle est un phénomène des langues européennes, en particulier de l’anglais, même s’il semble
aujourd’hui envahir toutes les langues écrites, grâce au principe du moindre effort auquel il satisfait :
A.D.N (D.N.A, anglais) Acide DéoxyriboNucléique ;
T.V.A : Taxe sur la Valeur Ajoutée ;
H.L.M : Habitation à Loyer Modéré ; etc.
La prolifération du sigle devient tellement "sauvage" qu’I.B.M, dans la préface de son recueil de plus
de cent pages qui regroupe tous sigles de la compagnie, a mis en garde le lecteur contre l’usage abusif
de ce moyen :
« il (le recueil) ne doit en aucune façon être considéré comme un plaidoyer en faveur de l’utilisation
abusive des sigles, mais comme un document de travail devant aider à la compréhension des textes de
la compagnie »21.

a.6.e. L’acronyme

C’est un sigle qui est prononcé, non lettre par lettre, mais comme un mot. Jean Tournier, parle
d’une véritable « acronymanie » qui s’est développée depuis la seconde guerre mondiale. Les
acronymes fréquents finissent même par s’écrire en minuscules et être ainsi totalement assimilés à des
mots, dont on perd rapidement la motivation :
laser : light amplificator by stimulated emission of radiations ;
radar : radio detection and ranging ;
smig : salaire minimum interprofessionnel garanti ; etc.

17
Class (A.), 1985, Composés lourds et créations brachygraphiques, in la Banque des mots n°30, p. 142.
18
Osman, op. cit., p. 307.
19
Tournier, 1988, op. cit., p. 142.
20
Abreu (J.-M.), 1994, L’abréviation dans le langage technique, la Banque des mots n° 47, p. 108.
21
Osman, op. cit., p. 319.
8

Les acronymes et certains sigles, peuvent constituer des bases de dérivation pour d’autres termes :
ONU > onusien, smig > smigard, etc. Ce procédé est très ancien en arabe, il remonte à l’époque de
l’avènement de l’islam, mais cantonné dans quelques rares formules coraniques qui reviennent tout le
temps dans la bouche des croyants22:
Basmala : bismi llah (rrehman rrahim), "au nom de Dieu" ;
Hellala : la ilaha illa llaha, « il n’y a de dieux que Dieu » ; un acronyme particulier qui ne respecte
pas l’ordre et la position des lettres propres au type dominant d’acronymes.

a. 7. La néologie graphique

Elle consiste à modifier l’orthographe d’un mot sans modifier nécessairement sa prononciation,
en suggérant d’autres sens 23 . C’est un procédé qui est particulièrement exploité dans les milieux
journalistiques et publicitaires, mais aussi ailleurs : je père-sévère (Lacan) ; œuf course (< of course) ;
conseillé pédagogique (un conseiller pédagogique officiel auquel sa stagiaire donnait des conseils),
cache–flot (< cash flow), etc. C’est un procédé qui peut - s’il ne l’est pas déjà - être exploité en berbère
avec l’usage massif de l’écrit.

b. La néologie sémantique

La création consiste ici à établir un rapport entre une notion nouvelle et une dénomination déjà
existante, ce qui donne un rapport nouveau notion/dénomination, donc un nouveau terme ou mot.

L’évolution sémantique des mots peut être ramenée, comme l’écrit Haddadou 24 en citant E.
Benveniste, à quatre causes principales : historique, sociale, linguistique et psychologique.

Les mots changent en fonction du changement de leurs référents : le mot cabriolet ne renvoie
pas chez Guy de Maupassant aux mêmes référents que ceux que nous désignons ainsi aujourd’hui : les
cabriolets ne sont plus tirés par les chevaux. En kabyle, amusnaw désigne aujourd’hui le savant ou
l’homme des sciences modernes, alors qu’il désignait autrefois le sage.

Le changement de l’organisation sociale, politique et culturelle ; des modes de production et de


consommation économiques, engendre de nouvelles notions qui trouvent parfois « refuge » dans les
dénominations déjà existantes, par polysémisation ou par monosémisation, extension ou restriction de
sens : aqrab qui signifiait jadis en kabyle « sacoche, gibecière », signifie aujourd’hui « cartable » ;
a ru qui signifiait « pierre », signifie aujourd’hui en plus « pile » ; etc.

La cause linguistique est à l’origine du changement de catégorie grammaticale des unités


lexicales par le passage de la situation de lexème (verbe, nom) à celle de grammème. « Ce passage
s’explique par l’utilisation fréquente de ces mots dans des contextes précis » 25 . L’ancien lexème
français "pas" qui acquiert la valeur de morphème privatif en supplantant le "ne" dans la langue parlée,
est un exemple de ce phénomène. La préposition berbère deg (dans) des parlers du Nord est sans doute
une évolution à partir d’un lexème. En tamaheq (parler touareg) ideg, qui relève de la même racine, est
un lexème qui signifie "lieu", et la préposition deg n’est pas attestée dans ce parler, ce qui renforce
cette hypothèse.

Des raisons psychologiques peuvent aussi être à l’origine de la création du sens et sont
caractéristiques d’une « vision du monde » propre. Certains noms d’organes qui prennent souvent des
sens figurés dénotent ce mécanisme psychologique de génération du sens : le "cœur" prend en kabyle

22
Idem, p. 321.
23
Sablayrolles, op. cit., p. 215.
24
Haddadou (M.A.), 1985, Structures lexicales et signification en berbère (kabyle), Thèse de III cycle de
linguistique, Université de Provence, pp. 185 et suiv.
25
Idem, p. 186.
9

plusieurs sens, selon le contexte : nnig wul (envie), yeqqur wul-is (sentiment), seg wul (franchise), etc.
L’euphémisme et le tabou qui expliquent certains changements sont aussi à ranger dans ce registre.

Sa vitalité en kabyle s’explique d’après Haddadou26 par le figement du processus de dérivation :


cette langue qui "n’est plus en mesure" de former des unités nouvelles pour répondre aux besoins des
locuteurs « est obligée d’augmenter les signifiés des unités déjà existantes ». Et pourtant dans la
néologie berbère moderne « sa contribution globale est relativement
faible »27.

b. 1. La métaphore

C’est l’affectation d’une nouvelle notion à une dénomination qui existe déjà et dont le référent
est en rapport de ressemblance ou de similitude avec le référent de la nouvelle notion. C’est une des
sources vivantes de la création du lexique autant en langue commune qu’en langue de spécialité.

La néologie berbère offre beaucoup d’exemples de ce type :


Amumed, "petit rat ou souris" (Kb : 485) > amumed : souris (de l’ordinateur) (L.I : 103) : il y a
beaucoup de similitudes entre les deux référents : la forme, la taille, la queue, la couleur, le
mouvement. C’est une métaphore faite d’abord en anglais et calquée par les autres langues : souris
(français), fa’ra (arabe), etc. ;
A ebsi, "assiette" > disque : le sème commun le plus évident est "être rond et plat" ;
Arbib, "beau-fils, appendice, excroissance" > arbib : adjectif (grammaire) : le trait commun est "être
au second plan, en plus" ; etc.

En langue commune, la lexicalisation des métaphores engendre une polysémisation des mots. Le
vocabulaire des parties du corps en kabyle est particulièrement investi par ce procédé28 :
Tawenza, "mèche frontale, front" > tawenza : "destin, prédestination" : le rapport est établi d’après une
croyance selon laquelle le destin des gens est inscrit sur leur front ;
Affud, "genou" (Tz : 102) > "vigueur, force physique" ;
Tamgert, "cou" > "vie humaine" ; etc.

Le problème de la lexicalisation de la métaphore étant « de déterminer à partir de quel moment


on peut considérer qu’on a affaire à un nouveau signifié »29, et dans certains cas c’est l’étymologie
elle-même du mot polysémique qui est difficile à établir : quel est le sens premier et quels sont les sens
secondaires ?

b. 2. La métonymie

C’est l’affectation d’une nouvelle notion à une dénomination qui existe déjà et dont le référent
est en rapport de contiguïté avec celui de la nouvelle notion. Cette contiguïté peut être spatiale :
prendre le contenant pour le contenu, par exemple : aimer la bouteille (contenant) pour aimer le vin
(contenu), ou temporelle : métonymie de l’antécédent pour le conséquent ou de l’effet pour la cause :
"refroidir" pour "tuer" en argot30 ; Yewwe leεfu r-Rebbi ("il est sous la protection divine") pour
yemmut (il est mort).

A la différence de la métaphore, la métonymie repose sur un lien clair et objectif entre deux
référents, fondé sur une contiguïté spatio-temporelle. Il existe, selon le type de rapport établi entre les
deux référents, plusieurs types de métonymies :
- expression du concret par l’abstrait et inversement :

26
Id., p. 187.
27
Achab, op. cit., p. 322.
28
v. Haddadou, op. cit., pp. 202-203.
29
Gaudin et Guespin, op. cit., p. 303.
30
Gardes-Tamine (Joëlle), 1997, La stylistique, Paris, Armand Colin, p. 19.
10

tasγart, "bâtonnet" > tasγart, "tirage au sort" : le rapport de contiguïté repose sur le fait qu’à l’origine
on se servait d’un bâtonnet pour tirer au sort.
- l’antécédent pour le conséquent et inversement :
Yewwed leεfu r-Rebbi (« il est sous la misérecorde divine », conséquent) pour yemmut (« il est mort »,
antécédent). « Elle a vécue » pour « elle est morte ».
- la matière pour l’objet :
yekkat uzzal, « il manie le fer » pour yekkat asekkin, ddreε, « il manipule l’épée, il est imposant ».
Même phénomène pour l’expression « croiser le fer » du français.
- le contenant pour le contenu : manger une assiette, boire un verre, etc., pour manger le contenu d’une
assiette, boire le contenu d’un verre. Ces métonymies existent sous la même forme en kabyle.
- la désignation de l’objet par le lieu ou par l’adjectif relationnel d’un lieu : afilali, cuir rouge
d’origine marocaine (Tafilalet) ; ajenwi, « couteau de boucherie », originaire de la ville de Gênes,
d’après Boulifa, cité par Haddadou (sus-cité, p. 205).
Haddadou qui donne ces deux exemples ne parle pas d’adjectif relationnel duquel dérive pourtant ces
deux formes : il n’y a pas de rapport métonymique entre afilali et Tafilalet, mais entre le premier et
l’adjectif relationnel afilali ; qui diffère morphologiquement du nom de lieu par la suffixation du
schème -i de nnisba (relationnel) arabe. Sinon, ce serait simplement une dérivation morphologique. En
français, par contre, la dérivation métonymique s’établit directement entre le produit et son lieu
d’origine : du madras pour le tissu fait à Madras 31 . Haddadou semble donc avoir transposé
directement ce modèle français sur le berbère.
- de l’effet pour la cause et inversement :
yeqqur, « il est inerte » pour yemmut « il est mort » ;
yessusem, « il s'est tu » pour yemmut « il est mort » ;
« refroidir », pour « tuer », en argot ; etc.

b. 3. La synecdoque

Les linguistes sont partagés entre ceux qui considèrent ce trope comme une figure
métonymique, comme R. Jacobson, et ceux, comme J. Gardes-Tamine, qui lui reconnaissent une
autonomie par rapport à la métonymie. Elle se distingue en effet de cette dernière en ce que les deux
référents sont en relation de dépendance et non indépendants comme dans le cas de la
métonymie : « leur définition est toujours liée, qu’il s’agisse de la définition par le genre, qui fonde la
synecdoque de l’espèce pour le genre : « la saison des lilas » pour « la saison des fleurs », ou de la
définition par énumération des parties, qui fonde la synecdoque de la partie pour le tout : cent voiles
pour cent vaisseaux »32.
Les types de synecdoques les plus connus sont celles de la partie pour le tout et du général pour le
particulier et inversement :
ixfawen, "les têtes" pour "les moutons, les bœufs" ;
lqahwa, "le café" pour "le petit déjeuner" ;
aγrum, "le pain" pour "le repas" ; etc.

b. 4. L’antonomase

Ce procédé consiste à utiliser un nom propre au lieu d’un nom commun. Le nom propre peut
être un anthroponyme aussi bien qu’un toponyme : un sandwich, du nom de lord Sandwich, qui se
faisait servir ce mets à sa table de jeu ; Le rugby, du nom de Rugby, ville de Grande-Bretagne où
naquit ce sport en 1823 ; etc.
En kabyle, certains noms propres sont associés à certaines valeurs ou qualités et sont utilisés comme
des noms communs :
d Bumedyen, "c’est (un) Boumedienne" pour "il est autoritaire" ;
d Fellag, "c’est (un) Fellag" pour "il est très amusant" ; etc.

31
Idem, p. 19.
32
Ibid.
11

b. 5. La litote

Le désir de ne pas choquer et de ne pas utiliser certains mots tabous conduit à contourner
l’usage des termes propres et l’emploie d’ « expressions amoindries qui, petit à petit, peuvent perdre
leur valeur atténuée »33. En français, le verbe "décéder" signifie étymologiquement « s’en aller », était
moins brutal que "mourir", mais avec la lexicalisation de la figure, sa valeur euphémistique s’est
considérablement estompée. On utilise pour le même signifié en kabyle diverses expressions
euphémistiques comme isuhel "il est parti", yessusem "il s’est tu", yewwed leεfu r-Rebbi, etc. Il existe
beaucoup d’autres exemples en kabyle :
aman n tasa irqaqen "l’eau fine du foie" pour ibeccicen/ibeccan, "l’urine" ;
aman n tasa izuranen, "l’eau grosse du foie" pour i an "excréments" ; etc.

b. 6. L’antiphrase

C’est un procédé ironique qui consiste à dire le contraire de ce que l’on pense. Des néologismes
sont ainsi crées : une "respectueuse" pour "prostituée", en français. C’est un procédé dont les figures
se lexicalisent très rarement. Il est attesté en kabyle, mais nous ne savons pas s’il existe ou non
d’antiphrases lexicalisées : ufhim, "idiot" < fhem : "être lucide, clairvoyant" ; umεin, "maladroit" <
umεin : "sensé, utile" ; etc.

b. 7. Oxymore ou oxymoron

Ce procédé consiste à associer deux termes qui normalement s’excluent. On l’appelle aussi
"alliance de mots" : un chaud-froid, un vrai-faux interne, une soupe aigre-douce, etc. On relève dans la
presse algérienne des constructions de ce type comme "vrai-faux barrage", qui suggère l’existence de
"faux-faux barrages", c’est-à-dire des barrages qui ne sont pas le fait des terroristes islamistes. Le titre
du dernier roman de Amar Mezdad, tagrest urγu "hiver dans la chaleur" ou "hiver et chaleur" est un
cas d’oxymoron non encore lexicalisé.

b. 8. La recatégorisation

La recatégorisation, reconversion, transfert de classe, dérivation impropre désignent le même


phénomène qui consiste à changer la catégorie grammaticale d’une unité lexicale sans changer sa
dénomination. C’est un procédé bien représenté dans les langues européennes comme le français et
l’anglais :
- Adjectif → nom : voiture automobile (adj.) > automobile (n.) ;
café crème (adj.) > crème (n.) ;
green (adj.) vegetables > greens (n.) (anglais), etc.
C’est une conversion qui passe souvent par le stade de l’ellipse.
- Nom → adjectif : clé (n.) > moment clé (adj.).
Ce procédé est surtout utilisé à l’oral en français : « il est rock », « moi, je serais plutôt montagne »,
etc.
- Verbe → nom : boire, manger, connaître, etc. donnent le boire, le manger, le penser, le connaître.
- Adjectif → adverbe : cette conversion concurrence la dérivation en
-ment en français : filer doux, rouler tranquille, écrire simple, acheter français, etc. au lieu de
doucement, tranquillement, etc.
- Nom propre → nom commun : frigidaire (nom propre, marque) > frigidaire (nom commun) ;
Paparazzi qui est le pluriel de paparazzo serait le nom d’un camarade de classe insolent et agressif de
« Fellini qui, agacé par des photographes importuns qui suivaient Anita Ekberg en 1959 durant le
tournage de la
Dolce vita, aurait utilisé pour les désigner [le nom de ce camarade de classe] »34.

33
Sablayrolles, op. cit., p. 229.
34
Gaudin et Guespin, op. cit., p. 316.
12

En berbère, ce type de conversion est rare, on relève surtout le type :


- Adjectif → nom : tamellalt (blanche) > tamellalt (œuf) ;
taberkant (noire) > taberkant (café) ;
azeggaγ (rouge) > azeggaγ (vin), etc.
Ce type comme le fait remarquer Achab, concerne surtout les adjectifs désignant les couleurs.
On peut relever un autre type dans la néologie moderne :
- Nom → adjectif : tasarut (clé) > awal tasarut (mot clé) (L.I : 79).
C’est un calque fait à l’anglais keyword. Même en arabe on reproduit cette recatégorisation par
calque :
kalima miftah, "mot clé" ; kalima ala, "mot-machine" ; elqana ’ccaca, "tube-écran"35 ; etc.

c. La néologie par emprunt

C’est un procédé qui consiste en un transfert d’un signe linguistique entier ou d’une partie de ce
signe d’une langue dans une autre langue.

L’emprunt est un phénomène universel dont aucune langue ne peut se passer. L’anglais qui a
emprunté des mots à au moins 130 langues36 est un bon exemple d’ouverture des langues.

La proportion des emprunts est fonction des rapports socio-économiques, culturels et politiques
établis entre les différentes communautés linguistiques en contact. Il est particulièrement investi par
l’idéologie et les sentiments : « la valeur attribuée au mot emprunté est une question sociale et
nationale ; selon que l’idiome et le peuple auxquels on fait des emprunts sont regardés inférieurs ou
supérieurs, ces emprunts descendent ou montent en dignité » (Nyrop), cité par Maurais37. Selon R.
Lafont, cité par Maurais dans la même page, l’importation de lexèmes français a, dans certains cas
réduit les lexèmes occitans à des emplois « bas ». Dans ce cas on parle de mélioration des emprunts.
Inversement, Michel Masson38 expliquant le rôle de l’idéologie dans le passage des mots d’ une langue
à une autre, écrit à propos de l’hébreu que les emprunts faits à l’arabe ont subi une dévalorisation
parce que l’arabe symbolise aux yeux des hébréophones "le contraire même du prestige". C’est par ce
phénomène appelé par Masson l’ « anti-prestige » que s’explique l’emprunt de la plupart des gros
mots à l’arabe dialectal dans l’hébreu moderne.

La plus ou moins imperméabilité de certaines langues aux emprunts peut s’expliquer, par delà
l’aspect idéologique, par « des raisons purement structurales (par exemple le système consonantique
réduit du finnois l’empêche souvent d’accepter des emprunts (...) il peut signifier aussi le rejet de
l’opacité au profit de la transparence obtenue par la formation de lexèmes indigènes motivés grâce aux
procédés néologiques habituels »39. En arabe, par exemple, « la structure consonantique du mot à base
de racines bilitères, trilitères ou quadrilitères en plus du système de dérivation, créent des seuils de
tolérance au-delà desquels on ne peut introduire des termes étrangers »40. Pour cet auteur, un mot qui
comprendrait plus de 6 consonnes en arabe est "obligatoirement" un emprunt. Plusieurs facteurs
peuvent jouer en faveur de l’emprunt : la disponibilité ; le snobisme, qui sert à marquer la différence
entre celui qui est initié à une autre langue et une autre civilisation et celui qui ne l’est pas ;
l’exotisme : "les mots étrangers ayant un petit quelque chose de mystérieux, de fascinant" ; mais aussi
la paresse qui dispense de l’effort de création.
On distingue entre deux grands types d’emprunts :

c. 1. L’emprunt interne

35
v. Osman, op. cit., p. 425.
36
v. Tournier, 1988, op. cit., p. 148.
37
Maurais, 1987, op. cit., p. 34.
38
Masson (Michel), 1986, Langue et idéologie : Les mots étrangers en hébreu moderne, Paris.
39
Maurais, op. cit., p. 35.
40
Osman, op. cit., p. 354.
13

C’est un emprunt fait à l’intérieur d’un système linguistique. La langue prêteuse est soit un état
ancien de la langue emprunteuse, c’est le cas par exemple pour les emprunts savants des langues
romanes au latin ; soit une langue génétiquement apparentée à la langue d’accueil ou un des dialectes
d’une langue. Beaucoup d’emprunts de ce type sont totalement intégrés par le kabyle : amazigh,
emprunt fait par I. Ait Amrane41 aux parlers marocains et attesté dans son célèbre chant kker a mmi-s
umaziγ (lève-toi, fils de Berbère) (janvier 1945), tilelli (liberté) fait au touareg ; adlis 42 (livre)
emprunté au parler de Gourara ; etc.

c. 2. L’emprunt externe

C’est un emprunt à une langue qui, à des degrés fort variables, est étrangère par rapport à la
langue d’accueil. On distingue ici divers types.

c. 2. a. Le xénisme

C’est un emprunt perçu par l’usager comme un élément étranger. Il s’agit d’un emprunt qui
n’est pas encore intégré par le système linguistique d’accueil : Big bang, look, etc. faits par le français
à l’anglais, ou pissoir fait par l’anglais au français. En kabyle, des mots comme aparabol (la
parabole), lpost (poste-radio), amicro (micro-ordinateur), relèvent de ce type.

c. 2. b. L’emprunt intégré

C’est un emprunt où la forme empruntée est moulée dans la structure linguistique d’accueil de
sorte que l’aspect étranger est complètement gommé : redingote (< riding coat), paquebot (< packet
boat), fioul (< fuel), etc.
En Kabyle, des mots comme : tamezgida (mosquée) (< masğid), ta allit (la prière) (< alat), u um
(jeuner) (< ama), etc. empruntés à l’arabe, ou abidun (< bidon), truzi (< être naturalisé), ssikis (<
séquestre), etc. empruntés au français, relèvent de ce type.

c. 2. c. L’emprunt hybride

Il est formé à partir d’une base (ou affixe) d’une langue avec une base ou affixe d’une autre
langue. C’est un phénomène courant en langues européennes qui adoptent des bases ou affixes pris au
grec et au latin. C’est aussi un phénomène que connaît l’arabe et l’hébreu modernes. Osman
Muhammad est favorable à l’usage de ce procédé en arabe et affirme que « la pauvreté du système
morphologique arabe en affixes représente un handicap sérieux que l’arabe doit surmonter pour
pouvoir maîtriser l’afflux de termes techniques et scientifiques » (sus-cité, p. 357). Cette hybridation
en arabe a commencé dans le vocabulaire de la chimie :
hadidique : ferrique ;
kibritite : sulfite ;
xallun : acétone, etc.

En hébreu moderne quelques schèmes comme -ist, -nik, etc. sont empruntés aux langues
européennes et associés à des bases hébraiques : balaganist (homme désordonné) < balagan
(désordre) + -ist .

Achab est favorable à ce procédé qu’on pourrait utiliser selon lui pour enrichir le berbère,
surtout quand il s’agit d’affixes très connus au niveau international comme le suffixe -isme, par
exemple.

41
v. Achab, op. cit., p. 72.
42
Il semble que ce soit un mot-fantôme à l’origine, c-à-d une erreur graphique qui au lieu de traduire a lis, du
parler de Gourara, par « lèvre », on a traduit adlis par « livre ».
14

c. 2. d. Emprunt partiel ou calque sémantique

L’emprunt ne concerne ici que le signifié du terme étranger qui est mis en rapport avec une
dénomination déjà disponible en langue emprunteuse ou à créer dans cette langue. L. Guilbert43 écrit à
propos de ce procédé auquel il est favorable que même s’il « attire les foudres des puristes, représente
en définitive un enrichissement de la langue, sans porter atteinte à son intégrité phonologique ».
L’acception « comprendre » que prend le verbe « réaliser » sous l’influence de l’anglais, est l’exemple
le plus cité pour ce type d’emprunt en français. Le verbe ebbeq connaît le même phénomène en
kabyle : ayant habituellement le sens de « ranger », il est employé depuis quelque temps, sous
l’influence de l’arabe, au sens d’« appliquer ». Mais le calque sémantique le plus répandu est celui, en
langues de spécialité, de création de termes monosémiques avec emprunt de leurs signifiés. Et là les
exemples sont très nombreux dans toutes les langues qui possèdent des lexiques spécialisés, où les
termes sont souvent calqués sur ceux de la langue-source : mouse (anglais), souris (français), amumed
(tamazight), fa’ra (arabe), etc.

c. 2. e. Le calque morphologique ou littéral

Il s’agit de la création d’un nouveau signifiant dont la structure est calquée sur celle d’un
signifiant étranger dont on emprunte le signifié. C’est un procédé également très répandu dans les
différentes langues : gratte-ciel est calqué sur skyscraper que Mezdad (cité ci-dessus) a calqué sur le
français en xbec-genni ; point de vue (français), point of view (anglais), neqtati nazer (nader) (arabe)44
; etc.

c. 2. f. L’emprunt-calembour

Il consiste à remplacer des emprunts directs par des termes aussi proches que possible
formellement de ces emprunts « même au prix d’approximations ou d’acrobaties sémantiques » 45 :
okul (turc) « école », sur oku « lire » ; soysal (turc) « social », sur soy « race » ; ilit (hébreu) « élite »,
sur ili « supérieur » ; elem (hongrois) « élément », sur elö « ce qui est en avant » ; Taferka46 (berbère)
« Afrique », à partir de taferka « terre, propriété foncière » ; etc.

d. La néologie morpho-syntaxique

C’est un procédé qui consiste à combiner des morphèmes et des lexèmes pour former de
nouvelles unités lexicales simples ou complexes. C’est le procédé le plus productif dans les langues
que nous connaissons, en particulier en berbère où Achab relève sa prépondérance dans la néologie
moderne.
On distingue deux grands procédés morpho-syntaxiques : la dérivation qui combine un lexème
et un morphème grammatical, et la composition qui combine deux lexèmes.

d. 1. La dérivation

43
Guilbert (Louis), 1972, Théorie du néologisme, Communication au XXIVe congrès de l’association, le 24
Juillet 1972, pp. 48-49.
44
Bazin (Louis), 1983, La réforme linguistique en Turquie, in La réforme des langues, Vol. 1, Hambourg (sous
la dir. de I. Fodor et C. Hagège), p. 171.
45
Hagège (Claude), 1983, Voies et destins de l’action humaine sur les langues, in la réforme des langues, vol.1,
Hambourg, pp. 11–69 (dirigé par I. Fodor et C. Hagège), p. 57.
46
Etant entendu que l’hypothèse la plus plausible concernant l’étymologie du mot Afrique est celle qui lui
attribue un étymon d’origine berbère, à savoir afri/ifri (grotte) auquel les Romains ont ajouté le suffixe latin –ca
pour donner Africa (Nova) qui désigna d’abord le Nord de la Tunisie, où habitaient à l’époque les afris (les
habitants de la grotte pour les Romains), avant de désigner l’Afrique du Nord et par la suite l’ensemble du
continent. Voir à ce propos F. Decret et M. Fantar, 1981, L’Afrique du Nord dans l’antiquité. Des origines au Ve
siècle, Payot, Paris.
15

Nous distinguerons ici, à la suite de Achab (p. 339-41), entre trois type de dérivation :
grammaticale, affixale moderne et expressive, auxquelles nous ajoutons la dérivation flexionnelle et la
dérivation par analogie.

d. 1. a. La dérivation grammaticale : elle consiste à combiner des morphèmes grammaticaux, en


nombre très réduit et en liste fermée, avec des lexèmes.

♦ Dérivation verbale sur base verbale : elle permet l’expression principalement des formes
factitive, passive et réciproque qui s’obtiennent par préfixation.

La forme factitive : elle est obtenue par préfixation du morphème factitif ou actif-transitivant s-,
réalisé ss- quand il précède une voyelle, y compris la voyelle d’appui e : sselkem (introduire, régir) <
lkem (suivre) (Mwj : 9-11) ;
Ssemres (employer) < mres (s’employer) (tajerrumt) ; etc.

La forme passive : elle est obtenue par préfixation des morphèmes :


ttwa- (sur radical court), ttu-, tt- (sur radical long), mm- , nn- , n- :
ttwaleγ (être formé) < aleγ (former) (Amawal) ;
mmag (être fait) < eg (faire) (utilisé à Bgayet (Béjaïa) et ses environs) ;
nnefk (être donné) < efk (donner) ; etc.

La forme réciproque : elle est obtenue par préfixation des morphèmes :


my- (devant verbe à radical court), m- (devant verbe à radical long), ms- : myagi (être incompatible) <
agi (refuser) (lexique des mathématiques) ;
msemter (se conseiller réciproquement) < ssemter (conseiller)47 ; etc.

La forme complexe : les morphèmes dérivationnels des différents types de dérivés peuvent être
combinés pour donner des dérivés complexes : ttwasudder (être ressuscité) < dder (être vivant) [ttwa-
+ s-]48.

♦ Dérivation verbale sur base nominale

C’est un procédé très peu productif. Le seul exemple cité en langue commune est : ssiwel
(parler, raconter, appeler) < awal (parole, langue, mot).
En néologie, K. Nait-Zerrad (1998) a créé sept verbes ainsi :
zref (juger) < azerf /izerf (droit coutumier), par exemple.

♦ Dérivation nominale sur base verbale

On forme ainsi le nom d’action verbale (n.a.v), le nom déverbatif concret (n.d.c), le nom d’agent
et d’instrument et l’adjectif.

Le nom d’action verbale et le nom déverbatif concret : ils sont obtenus en associant à la racine
verbale des schèmes vocaliques : a-, a-a-, a-u, etc. :
asiwel (le fait d’appeler, de parler) < ssiwel (parler, appeler) ;
arway (le fait de remuer) < rwey (remuer) ;
asu u (le fait de souffler) < su (souffler) ; etc.
Mais aussi d’autres schèmes comme ta-a, ti-t, alternance vocalique + tension consonantique, etc. :
tarewla (le fait de fuir) < rwel (fuir) ;
tidderγelt (le fait d’être aveugle, cécité) < dderγel (être aveugle) ;
affug (le vol) < afeg (voler) [alternance vocalique + tension consonantique], etc.

47
Nait-Zerrad (Kamal), 1998, Lexique religieux berbère et néologie : un essai de traduction partielle du coran,
Centro Studi Camito-Semitici, Milano, p. 88.
48
Ibid.
16

Le nom d’action verbale (n.a.v) et le nom déverbatif concret (n.d.c) ne se distinguent souvent
que sémantiquement : tira (le fait d’écrire et écriture) < aru (écrire), etc. même si des jeux vocaliques
ou consonantiques peuvent les distinguer49 :

- alternance vocalique :
acercer (fait de couler)
cercer (couler)
acercur (source, robinet) ;

aberbek (action d’éclater)


bberbek (éclater)
aberbuk (obus), etc.

- alternance de genre : le n.a.v. est masculin, le n.d.c. est féminin :


adari (le fait de s’abriter)
ddari (s’abriter)
tadarit (abri, paravent) ;

arzaf (le fait d’aller en visite)


rzef (aller en visite)
tarzeft (cadeau de visite) ;
azdam (le fait de ramasser
zdem (ramasser du bois de chauffage) du bois de chauffage)
tazdemt (fagot de bois) ;
- alternance de nombre : le singulier est n.a.v, le pluriel est n.d.c :

abeccec (action d’uriner)


becc (uriner)
ibeccicen (urines) ;

argam (le fait de blasphémer)


rgem (blasphémer)
rregmat (blasphèmes), etc.

- opposition morphologique : Le n.a.v. est de morphologie berbère, le n.d.c. est de morphologie


arabe :
a emmel (le fait d’aimer)
emmel (aimer)
le mala (amour) ;

adhac (le fait de s’étonner)


dhec (être étonné, s’étonner)
ddehca (étonnement, surprise), etc.

Le nom d’agent et d’instrument : ils sont obtenus par préfixation de certains schèmes combinés à
des alternances vocaliques. Le nom d’agent ou de patient s’obtient en général par préfixation de am-
[avec ses variantes : an-, si le radical verbal contient une labiale, ou im- [in-] si ce radical contient la
voyelle /i/] :
anasfal (tentateur) < sfel (pousser, tenter)50 ;
amaray (secrétaire) < aru (écrire) (Amawal), etc.

49
v. Haddadou, op. cit., pp. 94–95.
50
Nait-Zerrad, 1998, op. cit., p. 90.
17

Le nom d’instrument est obtenu surtout par préfixation du morphème instrumental s-, mais aussi de
am-, avec alternance vocalique. La voyelle initiale devient i- en présence de cette voyelle dans le
radical verbal :
isiqqes (dard) < qqes (piquer) ;
asergel (bouchon) < rgel (obstruer) ;
amaddaz (pilon) < ddez (piler), etc.
En néologie :
asafag (avion) < afeg (voler) (Amawal) ;
isirew (matrice) < arew (procréer, engendrer) (lexique des mathématiques) ; etc.

L’adjectif : il est obtenu par combinaison de schèmes vocaliques ou/et consonantiques avec un radical
verbal : a-a-, a-an, u-i-, tension sur la consonne médiane + alternance vocalique, etc., en plus des
schèmes du nom d’agent (v. ci-dessus) qui sont aussi utilisés pour la formation d’adjectifs :
aberkan (noir) < ibrik (être noir) ;
ucmit (laid, vilain) < cmet (être laid, vilain), etc.
En néologie :
uddis (composé) < ddes (combiner) (Amawal , lexique des mathématiques) ;
ameskan (démonstratif) < sken (montrer) (Tajerrumt) ; etc.

♦ Dérivation nominale sur base nominale

Les dérivés sont obtenus par l’association des schèmes ams-, ans- et am- à des bases nominales :
amsedrar (montagnard) < adrar (montagne) ;
amzaγar (habitant de plaine) < azaγar (plaine). Les formations de ce type sont très rares en langue
commune. Cela n’a pas empêché ce procédé d’être exploité en néologie :
amesfara (progressiste) < afara (progrès) (Amawal) ;
amawal (lexique) < awal (mot, langage) (Amawal, Tajerrumt) ;
amsekrar (chimiste) < akarur (sorcellerie) (Amawal), etc.

Remarque

Contrairement à la formation traditionnelle en langue commune des adjectifs et des autres noms
dérivés presque exclusivement à partir de bases verbales, en terminologie moderne ils le sont y
compris à partir de bases nominales :
udmawan (personnel) < udem (personne grammaticale) (Tajerrumt) ;
amiran (actuel) < imir (instant, moment) (Amawal), etc.

d. 1. b. La dérivation expressive ou à motivation phonique

Les morphèmes de dérivation expressive sont très peu productifs et relèvent pour la plupart de la
diachronie, à l’exception de rares morphèmes comme le diminutif -c. C’est en cela, et par le
sémantisme de ses produits, souvent à connotation péjorative, qu’elle diffère de la dérivation
grammaticale. On distingue morphologiquement deux procédés de dérivation expressive :

♦ Par redoublement

Le redoublement peut concerner la base entière ou une consonne avec souvent enchâssement d’une
voyelle.

Redoublement de la base : en kabyle, seules les bases bilitères sont


concernées :
gelgel (être boueux , fangeux) < gel (stagner) ;
ferfer (voleter, s’envoler) < *fer (base onomatopéique).
La répétition de la base peut s’accompagner par un enchâssement d’une voyelle :
18

klukel (aller à petits pas, se blottir, lambiner) < kel (séjourner).


En touareg, le redoublement concerne même les bases trilitères :
klefklef (s’embrouiller dans ses paroles (involontairement)) (F. II : 791) <
k l u f i ( f a i t d e s e m ê l e r d e c e q u ’ o n n e s a i t p a s , d e c e q u i n e r e g a r d e p a s ) (F. II : 789) ;
erran erran (fait de tourner sans cesse (fait d’être changeant)) (F. I : 287) < ren (tourner
(changer de direction)) (F. I : 285), etc.

Redoublement d’une consonne : Chaker relève plusieurs types dans sa thèse, selon que la base est bi,
tri ou quadrilitère et selon la position de la consonne dans la base. Le type le plus abondant est le
redoublement de la consonne médiane avec enchâssement de la voyelle /u/ au milieu :
zlulef (être échaudé) < zlef (griller) ;
fsusi (être défait, s’effilocher) < fsi (défaire, se défaire) ;
ftutes (être émietté) < ftes (émietter), etc.

♦ Par affixation

Il existe un nombre important d’ « éléments idéophoniques », la plupart des préfixes, mais qui
sont peu productifs. Un élément idéophonique implique une association motivée d’une image
acoustique à une notion, crée en 1935 par C. M. Doke par analogie avec idéogramme qui est une
association motivée d’une image visuelle ou graphique à une notion. Jean Tournier 51 propose
d’appeler onomatopéiques, les éléments correspondant à un signifié appartenant au champ notionnel
des sons, et idéophonique ceux qui correspondent à un signifié n’appartenant pas au champ notionnel
des sons. Le même auteur dans son analyse des éléments idéophoniques de l’anglais et dans un texte
intitulé « éléments idéophoniques et parenté linguistique » 52 , il s’est contenté de donner un seul
exemple, mais très intéressant, où un élément idéophonique, il s’agit du « groupe initial » /ker/, est
commun à beaucoup de langues indo-européennes. Cet élément est analysé au même temps comme
onomatopéique suggérant un bruit de craquement, de raclement, des sons discordants en général, et
comme élément idéophonique correspondant à la notion générale de « non-rectiligne » :
Français : cran, créneaux, crépu, etc.
Espagnol : crespo (frisé), cresta (crête), cruce (croisement), etc.
Latin : cratis (treillis), crispare (onduler), crispus (frisé), crusc (gibet), etc.
Néerlandais : kreuken (plisser), kroes (frisé), krom (courbé), kruis (croix), etc.
Allemand : krumm (courbe), kragen (col), kraus (crépu), creis (cercle), krollen (enrouler), krone
(couronne), etc.
Breton : kromm (courbe), kriza (rider), etc.
Russe : krivaja (courbe), krivit’ (tordre), krivoj (tordu), etc.
Anglais : crabbed (tordu, mal formé), crumple (froisser), crease (pli), etc.
Cet élément auquel Tournier53 fait correspondre « la notion générale de
« non-rectiligne », c’est-à-dire de ligne courbe ou sinusoïdale, brisé ou en zigzag, et même de lignes
croisées ou entrelacées » existe en berbère et correspond exactement à la même réalité. Chaker54 écrit
à propos de cette séquence que « Kr/Kwr paraissent noter l’idée de « repli sur soi, enroulé, serré ». Ce
préfixe est sans doute apparenté à la racine kr (→ skur « mettre en pelote », takurt, « pelote ») ». Nous
pouvons donc rajouter le berbère à la liste ci-dessus, même s’il n’est pas une langue indo-européenne :
kkerfe (être écrasé, froissé), kkerčečči (être frisé, crépu), kkernenni (être en boule, être rond), kres
(nouer, froncer, rider), kref (être natté, tressé), kkerfef (être ébouriffé), ker (être en boule, enroulé), etc.
Il paraît même, au vue de ces exemples tirés du dictionnaire kabyle-français de J.-M. Dallet, mieux
couvrir que les langues indo-européennes citées ci-dessus la réalité que lui attribue Jean Tournier.

Nous citerons ci-après quelque uns des éléments idéophoniques les plus fréquents en kabyle :

51
Tournier (J.), 1985, Introduction descriptive à la lexicogénétique de l’anglais contemporain, Champion-
Slatkine, Paris-Genève, p. 141.
52
Idem, pp. 151-152.
53
Ibid., p. 151.
54
Chaker (Salem), 1983, Un parler berbère d’Algérie (Kabylie) : syntaxe, Université de Provence, p. 482.
19

- bb-/b- : bberwi (être sens dessus dessous) < rwey (être remué) ;
bbu el (s’étendre négligemment) < el (s’étendre).
- bber-/ber- : bberzeγzef (être démesurément long) < zγzf < iγzif (être long) ;
bberzegzew (être verdâtre) < zegzew (être vert) ;
aberjeγlal (grosse coquille) < ajeγlal (coquille), etc.
Ces préfixes expriment « l’ampleur, la démesure avec une nuance péjorative »55.
- c- : cemlel (être blanchâtre) < imlul (être blanc) ;
cuff (être enflé, enfler) < uff (être enflé).
Ce préfixe exprime l’imperfection du procès ou de la qualité.
- -c : aεeqquc (perle, grain de collier) < aεeqqa (grain) ;
taγedduct (cardon, tige très tendre) < aγeddu (tige, cardon) ;
akantuc (brassée d’herbes) < akantu (botte d’herbes) ;
taniγmuct (petite figue tendre) < iniγem (petite figue), etc.
Cet élément idéophonique à valeur de diminutif est l’un des rares à être productif.
- f- : funzer (saigner du nez) <*nzer > anzaren (nez) ;
fuγmes (grignoter) < *γms > tuγmest (dent).
- j- : jeεleq (être étiré, allongé) < εelleq (pendre) ;
jfel (partir au galop) < ffel (partir, franchir).
Pour plus de détails à propos de ce mode lexicogénique, on peut se reporter à la thèse de Chaker (p.
47-483) et à celle de Haddadou (p. 145-180), citées ci-dessus.

d. 1. c. La dérivation affixale moderne

Les affixes sont ici néologiques et conçus comme équivalents de ceux de la langue-source qui
est le français. Ces affixes sont introduits par Tajerrumt n tmaziγt et enrichis par les travaux
terminologiques ultérieurs, constituant « un apport qualitatif au dispositif berbère de production
lexical »56. On distingue trois types :

♦ La préfixation

Elle consiste à créer un nouveau terme par l’ajout d’un affixe devant une base. Le préfixe ar- à
valeur de privatif ou de négatif, créé par Mammeri (Tajerrumt) à partir de war (sans) par aphérèse, est
l’un des plus réussis :
arusrid (indirect) < usrid (direct) (Tajerrumt n tmaziγt) ;
armeskil (invariable) < ameskil (variable) (Tajerrumt), etc.
D’autres préfixes comme (t)asn- (-logie), créé aussi par Mammeri (Tajerrumt), a eu aussi beaucoup de
succès :
tasnilsit (linguistique) < tasn- + iles (langue, langage) ;
tasnakta (idéologie) < tasn- + takti (idée) (Amawal), etc.

♦ La suffixation

Elle consiste à créer une nouvelle dénomination par l’ajout d’un affixe à la droite d’une base
lexicale. Les suffixes sont largement moins nombreux que les préfixes. Les plus connus sont les
suffixes -man (auto-) et - ri, -isme) créés par l’Amawal et repris par les travaux terminologiques
ultérieurs :
agucelman (auto-détermination) < aguccel (détermination) + -man (Amawal) ;
tange ri (matérialisme) < tanga ( matière ) + ri (Amawal), etc.

55
Idem, p. 481.
56
Achab, op. cit., p. 341.
20

♦ L’affixation complexe

Elle consiste à ajouter deux affixes ou plus à une base lexicale pour créer un nouveau terme :
tadzunallust (hypocycloïde) < adu- (hypo-) + zun- (oïde) + tallust (cycle) (lexique des
mathématiques), etc.

d. 1. d. La dérivation flexionnelle

Elle consiste à créer de nouveaux termes en combinant les désinences du genre et du nombre
avec une base lexicale. La modalité discontinue du féminin t–t et son absence avec leurs différentes
valeurs sont une source de création de nouvelles unités lexicales :
• Le diminutif :
taqabact (petite pioche) est un diminutif de aqabac (pioche).
• L’unité d’un groupe ou la partie d’un tout :
taxxamt (pièce) ~ axxam (maison).
• le normal qui s’oppose à l’anormal :
tame ut (femme) ~ ame u (hommasse).
• le concret qui s’oppose à l’abstrait :
tadarit (abri) ~ adari (le fait de se mettre à l’abri), etc.
le néologisme adyan (histoire) est crée ainsi à partir du lexème tadyant (événement, histoire) seul
attesté en kabyle57.
En français, la féminisation des titres et fonctions relève de ce type : doctoresse (femme docteur) ;
écrivaine (femme écrivain) ; etc.

d. 1. e. La dérivation par analogie

Elle consiste à créer un nouveau signifiant par calque de la morphologie d’un signifiant déjà
existant, selon le principe de la quatrième proportionnelle :
sélection : sélectionner : : restriction : restrictionner ;
nègre : nègritude : : arabe : arabitude, etc.
Sablayrolles qui donne ces exemples, note que « les résultats de cette dérivation ne passent pas
toujours bien et sont parfois presque unanimement rejetés par les membres de la communauté
linguistique comme frêlesse, frêleur, frélité ou frélitude (...) » dont la construction est pourtant
régulière.

En tamazight on peut exploiter ce procédé pour concevoir des familles morpho-sémantiques de


termes à partir d’une forme nominale isolée, par analogie avec un autre nom de même morphologie
entrant dans une famille morpho-sémantique large. Nous avons, par exemple, proposé ici à partir du
terme isolé tajerrumt (grammaire), par analogie avec taεeggunt (idiote, stupide, muette), les termes
grammaticaliser, grammaticalisation et grammaticalité :
jjurrem : tajerrumt : : εεuggen : taεeggunt ;
jjurrem : ajurrem : : εεuggen : aεuggen ;
jjurrem : tijurremt : : εεuggen : tiεuggent.

d. 2. La composition

Elle consiste à créer une nouvelle unité lexicale par combinaison de deux lexèmes ou plus. C’est
un procédé qui n’est pas aussi productif que la dérivation grammaticale, mais il a néanmoins le mérite
d’être bien attesté dans la formation du lexique en berbère, contrairement aux langues sémitiques où il
est quasiment inexistant. C’est un procédé qui caractérise par contre bien les langues européennes dont
une partie importante de la terminologie est conçue ainsi. Selon le type de combinaison des deux
lexèmes, on distingue plusieurs types de composés.

57
Idem, p. 39.
21

d. 2. a. Les composés juxtaposés

Ils sont formés par le rapprochement ou la fusion de deux ou plusieurs lexèmes. Ceux-là
peuvent être reliés par un trait d’union ou soudés l’un à l’autre. Il existe selon la catégorie
grammaticale des deux composants, plusieurs types de composés :
• Nom + nom : asγersif (aulne) < asγar (bois) + asif (rivière) ;
fare mellal (petite quantité de nourriture) < afare (jaune d’œuf) + tamellalt (œuf).
• Verbe + nom : magri ij (tournesol) < mmager (aller à la rencontre) + i ij (soleil) ; meččulac (pop-
corn, amuse-gueule) < mmečč (être mangé) + ulac (rien).
• Verbe + verbe : bbi-yerwel (perce-oreille) < bbi (pincer) + rwel (se sauver).
En néologie :
arusfus (manuscrit) < aru (écrire) + s (avec) + afus (main) ;
adriraw (bibliographie) < ader (citer) + tirawt (écrit), etc.

Ce procédé qui est quasiment inconnu des langues sémitiques, est sollicité dans la néologie
moderne. Michel Barbot58 explique, pour le cas de l’arabe, l’usage de ce procédé peu orthodoxe que
« c’est pour endiguer, puis repousser aussi loin que possible, l’invasion croissante des emprunts que
ces moyens à peine tolérés ont été mis en œuvre, faute de trouver assez de ressources dans les
éléments en place de la pure « εarabiyya » ». Ainsi, nonobstant la nature de la structure consonantique
réduite du mot arabe, de nouveaux termes sont créés selon ce modèle, sous l’influence des langues
européennes :
Barma’ iy (amphibie) < barr (terre ferme) + ma’iy (aquatique) ;
εilmitiqni (scientifico-technique) < εilmi (scientifique) + tiqni (technique), etc.

Michel Masson écrit à propos de l’hébreu que « la formation par composition, en vogue
aujourd’hui, était absolument inconnue en classique »59. L’influence des langues européennes comme
l’allemand, le russe et le yidiche est ici évidente, puisque les aménageurs juifs, surtout les premiers,
sont très familiarisés avec ces langues :
kadursal (basket-ball) < kadur (ballon) + sal (panier) ;
kaduregel (football) < kadur (ballon) + regel (pied) ;
kolno’a (cinéma) < kol (voix) + no’a (mouvement) ; etc.

d. 2. b. Les composés synaptiques

Ce sont des syntagmes lexicalisés composés de lexèmes joints par des éléments grammaticaux.
La lexicalisation d’un syntagme, c’est-à-dire son caractère de lexie unique, se vérifie par les critères de
substitution et d’insécabilité, même s’il n’est pas toujours évident de le faire. Le turque a réglé ce
problème par une convention selon laquelle les syntagmes lexicalisés sont écrits d’un seul tenant60.
Ainsi, en turc güne bakan (celui qui regarde le soleil) s’oppose à günbakan (tournesol).

Ce type de composé a l’avantage d’être transparent, mais l’inconvénient de ne pas être


économique et ne pas se prêter facilement à la dérivation. Ce qui explique le fait qu’en hébreu
moderne, les composés juxtaposés ont pu être préférés dans beaucoup de cas aux composés
synaptiques61. C’est un procédé assez productif en berbère :
err a ar (reconnaître son erreur, ne pas récidiver) ;
efk tamger (se résigner, se rendre) ;
ti urin w-wuccen (b- buccen) (variété de raisin sauvage), etc.

58
Barbot (Michel), 1983, Réflexions sur les réformes modernes de l’arabe littéral, in La réforme des langues,
Vol. 1, Hambourg, sous la dir. de I. Fodor et C. Hagège, p. 152.
59
Masson (Michel), 1983, La renaissance de l’hébreu, in La réforme des langues, sous la dir. de Fodor (I.) et
Hagège (C.), Hambourg, Buske, Vol. II, p. 470.
60
v. Bazin (L.), op. cit., p. 173.
61
Masson (Michel), 1976, Les mots nouveaux en hébreu moderne, Paris, p. 155.
22

d. 2. c. Les composés télescopés ou mots-valises

Ce sont des composés soudés, ayant subi des troncations pour l’un de leurs composants ou les
deux à la fois pour faciliter leur jonction. Ce type offre l’avantage d’être simple et euphonique, mais
l’inconvénient d’être difficilement décodable. Mais le caractère arbitraire du signe linguistique et le
critère de besoin – très important en terminologie – réduisent considérablement cet inconvénient.

C’est un phénomène très répandu en langues européennes, en particulier en anglais, qui l’ont
exporté ailleurs :
ambucopter (véhicule qui est à la fois une ambulance et un hélicoptère) < ambulance + hélicoptère
[par apocope de l’élément -lance du premier composant et l’aphérèse de l’élément héli- du second
composant] ;
alphamerical (contenant à la fois des symboles alphabétiques et des symboles numériques) <
alphabétical + numérical [apocope du 1er et aphérèse du 2ème] ; etc.

En français, le terme informatique est formé selon ce procédé :


Infor[mation auto]matique, par apocope du 1er et aphérèse du 2ème.

En arabe, malgré son rejet par les conservateurs et les puristes, ce procédé est pourtant bien
exploité en terminologie :
kahruharari (électrothermique) < kahruba’i (électrique) + harari (thermique) [par apocope du 1er
composant] ;
naq ara (translittération) < naql (transfert) + uruf (lettres) [par apocope des deux composants] ;
kahrutisi (électro-magnétique) < kahruba’i (électrique) + maγnatisi (magnétique) [par apocope du 1er
et aphérèse du 2ème], etc.

En hébreu moderne :
midrexob (aire piétone) < midraka (trottoir) + rexob (chaussée) [par apocope du 1er composant] ;
madxom (thermomètre) < madad (mesurer) + xom (chaleur) [par apocope du 1er] ;
duwax (rapport) < din (jugement) + we (et) + xecbon (compte) [par apocope du 1er et apocope du
second], etc.

Conclusion

La quasi-absence de la néologie phonétique en berbère, comme les différents procédés de


réduction (l’apocope, le sigle, l’acronyme, le mot-valise, etc.) bien qu’ils soient exploités par des
langues pas nécessairement européennes comme l’arabe et l’hébreu, s’explique par le fait qu’ils
appartiennent avant tout au domaine de l’écrit puisqu’ils jouent sur une « matière visuelle et
graphique », et que le tamazight n’a pas encore suffisamment accès aux divers moyens de
communication écrite. Il est présent pour l’instant essentiellement dans quelques médias audiovisuels
et depuis peu de temps dans l’enseignement, comme langue enseignée et pas encore comme langue
d’enseignement.

Certains types d’emprunts aussi ne sont pas encore attestés en néologie amazighe, comme
l’emprunt hybride qui est un phénomène très courant dans les langues européennes qui puisent
essentiellement leurs affixes dans deux sources communes : le grec et le latin. Ce procédé est repris
aussi par l’hébreu et l’arabe modernes, mais non sans susciter de vives controverses, en particulier en
arabe où ces créations « sont qualifiées de barbares par les puristes »62. Dans ces deux langues, c’est
sans doute l’urgence de répondre à des besoins terminologiques énormes qui a ‘’acculé‘’ les

62
Osman Muhammed (Ussama), 1998, Recherche méthodologique de la création terminologique en langues de
spécialité, vocabulaire de l’informatique en arabe, Thèse de doctorat nouveau régime, sous la dir. de Mme Odette
Petit, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris III, p.358.
23

terminologues à user de tous les moyens, en particulier de l’emprunt hybride. Situation que n’a pas
encore connue la néologie berbère qui se présente d’avantage comme une ‘’démonstration de force’’
sur fond d’ ‘’affirmation identitaire’’ - donc tout sauf l’emprunt - qu’une nécessité impérieuse, bien
que la notion de nécessité est à relativiser ici, puisque rien ne peut se faire sans nécessité. Il se trouve
seulement que l’aspect matériel et concret de cette notion semble avoir damé le pion à sa dimension
symbolique et abstraite : même le besoin de s’identifier envers - et surtout contre - les autres peut
relever de la toute première nécessité pour une communauté qui vit mal avec ces « autres ».

Aussi, l’emprunt et son rejet sont deux attitudes qui se produisent dans toutes les langues à des
degrés divers et selon la situation de chaque communauté linguistique à un moment précis de son
histoire. A l’époque abbasside, à l’apogée de la civilisation musulmane, l’arabe empruntait beaucoup,
notamment des termes scientifiques, au grec et au persan et « en raison de la position de la langue
arabe dans le monde de l’époque (...) les emprunts ne se sont pas alors heurtés à une réaction de rejet.
Le discours puriste n’était plus de mise » ; mais dès lors que cette position sécurisante de la langue
n’est plus observée, c’est le retour à la méfiance à l’égard de l’emprunt qui se présente alors, non plus
comme un facteur d’enrichissement de la langue, mais bien au contraire, comme un facteur
d’appauvrissement, puisque ces emprunts sont sensés remplacer des termes déjà disponibles ou à créer
dans la langue. C’est exactement la même posture qui s’observe chez les francophones canadien qui
se méfient plus de l’emprunt à l’anglais que les français eux-même qui se sentent visiblement moins
menacés que les premiers par ce « danger » qui leur semble un peu loin, si tant est qu’il est senti
comme tel. Aussi, à l’emprunt direct ou intégral d’autrefois, les langues modernes préfèrent le
calque63.

Ce sont tous ces facteurs, c’est-à-dire : absence d’une urgence de dénomination, besoin de
s’identifier envers et contre l’autre et disponibilité de l’emprunt indirect (calque), qui semblent
déterminer le caractère puriste de la néologie berbère.

Les modes expressifs aussi sont marginalisés comme la dérivation expressive ou à motivation
phonique qui présente pourtant l’avantage, pour certains schèmes dérivationnels, d’être très vivante et
productive en langue commune. Cette marginalisation tient sans doute au fait que les produits de cette
dérivation soient perçus comme peu valorisants, donc impropre à exprimer les sciences et les
technique dont les terminologies sont regardées comme bien valorisantes.

Une étude portant sur l’implantation des différentes terminologies proposées jusqu’ici, ou du
moins les plus anciennes et connues, comme l’Amawal n tmaziγt tatrart (lexique de berbère moderne)
ou l’Amawal n tjerrumt (lexique de grammaire) de Mouloud Mammeri, est nécessaire afin d’établir
une critériologie appropriée de l’acceptabilité des néologismes, et de corriger le cas échéant celle
proposée ici qui n’est pas le résultat d’une telle étude. Aussi, nous constatons que la typologie générale
des modes de génération du lexique proposée ici, inspirée de celles élaborées pour les langues
européennes, le français en particulier, est globalement exploitable pour le tamazight et une grande
partie des procédés est déjà exploitée.

63
Deroy (L.), 1980, L’emprunt linguistique, Société d’Editions « les belles lettres », Paris, p.220.
24

Les abréviations utilisées

Ch : Destaing (E.), 1938, Vocabulaire Français-Berbère : Etude sur la Tachelhit du Sous, Paris :
Ernest-Leroux.
Db : Dubois (J.) et alii, 1973, Dictionnaire de linguistique, Paris : Larousse.
F.I, II, III, IV : Foucauld (Charles de), 1952, Dictionnaire Touareg-Français, dialecte de l’Ahaggar,
Imprimerie nationale de France (Tomes : I, II, III, IV).
Kb : Dallet (J.-M.), 1982, Dictionnaire Kabyle-Français : parler des At Mangellat. Algérie, Paris :
SELAF.
L.I : Lexique d’informatique français-anglais-berbère de Saâd-Bouzefrane.
L.M : Lexique de mathématiques. Amawal n tusnakt. Tafransist-Tamaziγt, 1984, Tizi Ouzou : Tafsut,
série scientifique et pédagogique : 1.
L.S : lexiques spécialisés amazighes.
Mw ou Amawal : Amawal n tmaziγt tatrart (lexique de berbère moderne), Bgayet : édition A ar,
1990.
Mws : Boudris (B.), 1993, tamawalt usegmi. Vocabulaire de l’éducation Français-Tamaziγt,
Casablanca : Imprimerie Najah el Jadida.
PB : panberbère.
Tg : Delheure (J.), 1987, Agraw n iwalen Teggargrent-Tarumit, Dictionnaire Ouargli-Français, Paris
: SELAF.
Tq : Cortade (J.M.), 1967, Lexique Français-Touareg, dialecte de l’Ahaggar, Paris : Arts et métiers
graphiques.
Tz : Dictionnaire tamazight-français de M. Taïfi.

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