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David CAPES

Pourquoi et comment connaître ensemble ?

Quelles valeurs heuristique, méthodologique et organisationnelle des


communautés scientifiques multidisciplinaires peuvent-elles trouver dans la
participation à une épistémologie social-pragmatiste appliquée aux situations de
gestion environnementale ?

Dans la deuxième édition corrigée, parue en avril 1999, de son ouvrage Les
épistémologies constructivistes, 1 Jean-Louis Le Moigne insiste sur le fait que les
sciences portant sur des objets complexes sont “rarement soucieuses de justifier leur
statut épistémologique, et en appellent volontiers à la modélisation systémique qu’elles
prétendent mettre en œuvre pour justifier pragmatiquement de la scientificité des
énoncés enseignables qu’elles produisent”2. Sollicitant parmi d’autres, la théorie de
“l’action intelligente”3 de John Dewey [1859-1952], il montre : pourquoi ces sciences
devraient, et indique comment, dans une certaine mesure, elles pourraient : “assurer le
statut et l’organisation épistémologique des connaissances qu’elles produisent.”4
S’éloignant de la conception traditionnelle de l’épistémologie comme étude a posteriori
des sciences, 5 on peut prolonger l’approche de John Dewey, inscrite dans la lignée du
pragmaticisme de Peirce et du pragmatisme de William James, pour proposer une
épistémologie appliquée, entendue comme une réflexion associée à la production de
connaissances, réflexion qui vise à formaliser et contrôler les conditions qui permettent
d’obtenir une “assertibilité garantie”6 par application d’une méthode scientifique.
Une telle épistémologie qui prolonge la démarche philosophique de John Dewey
devrait plutôt être qualifiée de social-pragmatiste. Au risque de se confronter au
principe selon lequel la pratique philosophique est d’autant plus spécifiquement
philosophique (tout autre pensée riquant de ne pas « mériter » d’être qualifiée de
philosophique) qu’elle se préserve des injonctions qui s’imposent aux acteurs sociaux
d’une époque donnée, l’épistémologie est envisagée comme « une analyse du processus
de connaissance » dont la valeur peut être déterminée de façon intégrée à la pratique
scientifique, pratique scientifique elle-même intégrée à un contexte social et historique.7

Dans son ouvrage Logique, la théorie de l’enquête8 John Dewey définit trois
conditions logiques qui accompagnent la méthode scientifique : “(a) le statut des
conceptions théoriques comme hypothèses qui (b) ont une fonction dans le contrôle de
l’observation et de la transformation pratique ultime des phénomènes antécédents, et qui
(c) sont éprouvées et continuellement révisées à partir des conséquences qu’elles
produisent dans l’application existentielle” (op. cit. p 609).

Nous appuyant sur de telles approches, nous avons expérimenté durant plus de 10
ans dans un contexte d’exercice professionnel, en qualité de consultant-formateur un
ensemble de conceptions opératoires de l’ingénierie de communication appliquée à des
actions que l’on peut désigner comme relevant de la planification participative de
développement : professionnel, organisationnel, territorial. Ces conceptions se
traduisent par des modalités de gestion d’interactions produisant des représentations
utiles pour guider l’action :
- pour assurer une valorisation de ressources humaines dans un contexte de recherche
d’emploi ou en situation d’activité professionnelle personnelle,
- pour établir ou redéfinir des modes d’organisation d’activité d’entreprises ou
d’organismes,
- pour améliorer les activités économiques, sociales et les conditions d’existence sur
un territoire donné.
Ce faisant, nous avons suivi la proposition de Gérard Deledalle qui écrit dans son
introduction à la Logique de Dewey : “Il (John Dewey) offre une hypothèse. Il
appartiendra aux chercheurs - à tous les chercheurs et pas seulement aux logiciens - aux
chercheurs engagés dans l’enquête anthropologique surtout, de l’expérimenter.”9

Dans le sixième chapitre du livre édité sous sa direction : Enquêtes de gestion, à la


recherche du signe dans l’entreprise,10 Philippe Lorino expérimente la pertinence de la
théorie de l’enquête selon John Dewey pour l’analyse des obstacles à l’apprentissage
organisationnel. Il montre comment la théorie appliquée de l’enquête proposée par
Dewey permet de cerner les difficultés rencontrées lorsque l’on souhaite évaluer et faire
évoluer : les systèmes de gestion et de contrôle de leurs résultats.11 Nous pensons – dans
une autre perspective - que dans le cadre de projets de recherche multidisciplinaires
visant à associer aux travaux des personnes concernées par les résultats de la recherche,
(spécialement dans la cadres des recherches environnementales portant sur des zones
ateliers telles que le CNRS les définit dans les programmes xxx ), il est pertinent de
chercher des voies de collaborations entre scientifiques de la nature et philosophes qui
testent la valeur d’une épistémologie appliquée social-pragmatiste. (ces « philosophes »
peuvent être appelés : sociologues, psychosociologues, anthropologues, le titre importe
moins que l’ambition de penser ensemble et de « faire penser » selon l’expression de
Montesquieu).

Quelles sont les valeurs heuristique, méthodologique et organisationnelle que peuvent


trouver les communautés scientifiques multidisciplinaires dans la participation à une
épistémologie social-pragmatiste appliquée ?

Le projet de connaissance multi-disciplinaire d’une « zone-atelier », qui peut être définit


comme une « intervention-recherche », cherche à atteindre deux objectifs :
- fournir aux savants des opportunités d’organiser des expérimentations utiles pour
l’évolution des savoirs dans leurs disciplines ou champs interdisciplinaires,
- établir avec les citoyens et les élus locaux, avec les acteurs économiques et
administratifs concernés par un territoire un contrat de participation à un projet de
connaissance qui aura une valeur d’aide à la décision, voire d’innovation dans la
résolution des problématiques vécues sur le territoire.

Cette « intervention-recherche » s’effectue dans le contexte d’une certaine “matrice bio-


physique et socio-culturelle”12, qui déterminent : 1/ des modalités d’appropriation
possible des résultats de la recherche, 2/ des formes d’interactions qui permettent de
produire ces résultats, 3/ des conséquences possibles d’actions découlant des résultats
de la recherche, ou encore, 4/ des appréciations de la valeur de ces conséquences, etc.13

Une réflexion épistémologique social-pragmatiste intégrée à ces travaux permet


d’aider à définir les modalités de production de savoirs “actionnables”14 tout en
questionnant les fondement épistémologiques historiquement contextualisés de ces
connaissances.15 Le point de départ de cet effort de réflexion doit être la reconnaissance
intersubjective de situations problématiques imposant une réflexion agissante, et
orientant vers la définition d’expériences, de recherches, et d’actions.

Ces procès peuvent être ainsi étudiés selon les critères d’une évaluation :
- épistémique16 et pragmatique (quelles sont les garanties de scientificité apportées
par les modalités de coproduction, de mise en forme et de diffusion d’informations ?
quelles sont les arrière-plans à partir desquels ces informations peuvent prétendre
représenter une “réalité”?),
- pragmatique et pédagogique (quelles sont les conséquences concrètes probables ou
constatables de l’appropriation et de l’utilisation de ces informations par les récepteurs
visés par la communication des résultats de l’intervention ?),
- éthique et axiologique (quels sont les buts d’intérêt public visés et les valeurs
humaines servies par la production et la diffusion des informations ?).

Nous pensons qu’il est opportun et possible que cette évaluation se réalise dans le
contexte même de la conception et de la mise en œuvre de projets de recherche
multidisciplinaire et appliquée. Dans la perspective des problématiques actuelles, une
approche social-pragmatiste peut-être rapprochée des objectifs de “valorisation des
ressources humaines ou environnementales”, que l’on peut définir comme
l’investissement de moyens et/ou de ressources naturelles (plus ou moins artificialisées),
qui, en retour, d’une part permettent d’améliorer les conditions de vie de citoyens-
contribuables17 et/ou de clients-consommateurs18, et d’autre part génèrent en retour des
moyens nouveaux de transformation de ressources qui puissent être mobilisés par les
agents de transformation. Ces cycles de transformation doivent être « contrôlés
démocratiquement »19 (à l’échelle internationale et locale) de manière à garantir les
possibilités de renouvellement des ressources et la valorisation optimale de leur
potentiel. Le livre de José A Prades, R Tessier et J-G Vaillancourt Environnement et
développement. Questions éthiques et problèmes socio-économiques20 précise les
tenants et aboutissants et justifie la pertinence d’une telle définition, y compris du point
de vue de l’analyse économique.

Laissant pour un instant les références à John Dewey, nous devons mentionner que
le projet de philosophie pragmatique d’Emmanuel Kant [1724-1804] préfigure une
épistémologie appliquée social-pragmatiste. Spécialement, dans L’anthropologie du
point de vue pragmatique21 Kant expose :
- le fait que : “La connaissance physiologique de l’homme vise l’exploration de ce
que la nature fait de l’homme, la connaissance pragmatique celle de ce que l’homme,
comme être agissant par liberté, fait ou peut et doit faire de lui-même”22 (ibid, p41) ;
- le principe selon lequel : “Le contentement est le sentiment que quelque chose
favorise le déploiement de la vie” 23 (Ibid, p 189) mais pour un être humain “la
satisfaction n’est jamais pure et complète” (Ibid, p 193)
- la nécessité d’établir cette réflexion dans une perspective socio-politique : “Une
telle anthropologie (…) ne sera proprement pragmatique que si elle contient une
connaissance de l’homme qu’en tant que citoyen du monde” (Ibid, p 42), ce qui suppose
que l’on cherche à connaître et construire l’espèce humaine comme “une espèce d’êtres
raisonnables s’efforçant de s’élever du mal vers le bien à la faveur d’une constante
progression au milieu des obstacles : en ce sens, sa volonté en général est bonne, mais
l’accomplissement est rendu difficile par la manière dont l’accès au but ne peut être
attendu du libre accord des individus, mais uniquement de l’organisation progressive
des citoyens de cette terre au sein d’une espèce et en vue de la constitution de celle-ci
comme un système dont le lien est cosmopolitique.” (Ibid, pp 324-325).

Kant insiste bien dans son début de “traité des caractères” présenté dans la traduction
d’Alain Renaut sur le fait que l’héritage historique et les caractéristiques
psychosociologiques, géographiques, sociales et politiques, sont des composantes à
prendre en compte dans ce projet. Ainsi défini, le projet socio-politique “moderne” est
le résultat d’un héritage de la formation des systèmes d’économie politique, héritage qui
aboutit à une situation présente dans le cadre de laquelle, il s’agit non pas de mettre en
place à l’échelle de la planète un éventail de choix préétablis de formes d’organisation
de la vie humaine en substitution des formes existantes.

Après Kant et avant John Dewey, John Stuart Mill [1806-1873], présenté par
William James comme le précurseur du pragmatisme,24 héritier de Saint-Simon, a su
élaborer une pensée qui tout en prenant en compte les principes évolutionnistes et les
idéaux socialistes, a suéviter toute dépendance vis-à-vis des totalitarismes scientistes ou
communistes, de manière à ouvrir un espace pour une pensée libre accompagnant la
connaissance produite sur les groupes sociaux et leurs environnements. Sa conception
de l’accomplissement d’un projet socio-politique par et pour le développement humain
est explicite, spécialement dans De la liberté.25 Plusieurs des principes méthodologiques
découlant d’une participation à des projets de recherche environnementaux
multidisciplinaires et appliqués par exemple d’animation de prises de décision d’intérêt
collectif s’appuyant sur la prise en compte des “modèles” des personnes concernées sont
sous-jacents dans cette œuvre, complétés plus tard par Walter Lippmann26 et John
Dewey. On lit par exemple (op. cit., pp. 164-165) : “il n’y a pas de raison pour que toute
existence humaine doive se construire sur un modèle unique ou sur un petit nombre de
modèles. Il suffit d’avoir une dose suffisante de sens commun et d’expérience pour
tracer le plan de vie le meilleur, non pas parce qu’il est le meilleur en soi, mais parce
qu’il est le meilleur”.

John Stuart Mill cite en exergue de De la liberté, le “grand principe directeur de


Wilhelm von Humboldt : l’importance absolue et essentielle du développement humain
dans sa plus riche diversité”, dans le texte il cite des extraits de De la sphère et des
devoirs du Gouvernement dudit Baron Humboldt : “La fin de l’homme (…) est le
développement le plus large et le plus harmonieux de toutes ses facultés en un tout
complet et cohérent” ; de sorte que l’objet “vers lequel doit tendre constamment tout
être humain, et en particulier ceux qui ont l’ambition d’influencer leurs semblables, est
l’individualité de la puissance et du développement.” Il y a pour cela deux conditions à
remplir : “la liberté et la variété des situations”, de l’union desquelles naissent “la
vigueur individuelle et la diversité”, lesquelles fusionnent dans “l’originalité” (op. cit. p.
148).

L’ouvrage s’achève sur la mise en évidence des limites de la pertinence et des


justifications de l’intervention de l’État qui ferait à la place du citoyen mais pour aboutir
à un plaidoyer pour une forme de “gouvernement animateur” qui apparaît aujourd’hui
comme particulièrement moderne : “Un gouvernement ne saurait se priver de cette sorte
d’activité qui n’empêche pas, mais aide et stimule au contraire les efforts et le
développement individuels.” (op. cit., p 241). Les interventions de l’État doivent inciter
et favoriser le citoyen, et spécialement le citoyen-entrepreneur pour l’exercice d’une
liberté de pensée et d’action augmentant sa capacité à assumer une responsabilité socio-
économique et une participation aux décisions politico-administratives. L’influence
saint-simonienne est évidente ici. Les orientations de pensée et d’action de John Stuart
Mill justifiant le bien fondé d’une intervention publique visant à favoriser le potentiel de
“liberté positive”27 d’action des citoyens sur les situations socio-politiques sont des
références majeurs pour plusieurs courants contemporains dans lesquels s’inscrivent
notre expérience. Alban Bouvier dans Philosophie des sciences sociales,28 qui aborde
surtout des enjeux épistémologiques relatifs à la sociologie, et à la socio-économie,
prend appui sur John Stuart Mill, pour montrer qu’un nouvel empirisme
“argumentativiste” peut fonder une démarche d’analyse socio-économique qui donne
toute sa place à la part que les personnes concernées prennent dans la construction de la
réalité sociale en produisant des raisons, des arguments qui motivent et justifient leurs
croyances et leurs actions.

Liberalism and Social Action, (Prometheus Books, New York, 1991/1935, 93p)
John Dewey met en évidence la manière dont le projet socio-politique américain est un
prolongement des trois valeurs clefs de la première école libérale européenne : 1/ la
liberté, 2/ le développement des capacités des individus, 3/ le rôle central de
l’intelligence s’exerçant librement dans l’expression, 4/ l’enquête, 5/ la discussion (op.
cit. p 40). Pour John Dewey, les philosophes libéraux français et anglais ont été les
premiers à désigner un objectif à l’humanité : lever les limitations imposées à la
réalisation des potentialités humaines au travers de “l’action intelligente volontaire” (
“the voluntary intelligent action”, op. cit. p 34). Pour John Dewey, après avoir proposé
de chercher à atteindre cette fin pertinente, les libéraux se sont fourvoyés lorsqu’ils ont
envisagé que cette fin ne pourrait être atteinte que “par un seul et unique moyen” (“in
but one way”, op. cit. p 42) : “ le moyen de l’entreprise économique privée, non dirigée
socialement, basée sur - et produisant des résultats pour - la propriété privée ; c’est à
dire la liberté de tout contrôle social.” Ce culte aveugle et exclusif de l’initiative
économique individuelle a produit un nouvel esclavage des multitudes, de sorte que
dans les années 30 durant lesquelles Dewey écrit ce texte la priorité apparaît dans de
nouveaux moyens pour atteindre la même fin d’accomplissement libre des potentialités
humaines : “la libération de l’insécurité matérielle et des coercitions et répressions qui
empêchent les multitudes d’accéder aux vastes ressources socio-culturelles qui peuvent
être mises à leur portée”. L’approche social-pragmatiste n’est pas qu’une philosophie
socio-politique, elle conduit aussi John Dewey, spécialement dans Le Public et ses
problèmes à proposer une épistémologie appliquée intégrée à la mise en œuvre des
enquêtes scientifiques et sociales.

John Dewey montre dans ce livre que pour garantir l’organisation d’un “public
effectivement démocratique”, il faut prendre appui sur des conceptions du réel partagées
et des méthodes de connaissance associées à des habitudes individuelles et sociales,
mais il est absolument nécessaire de nous doter de “conceptions” (c’est le mot
qu’emploie Dewey) qui sont “des outils pour diriger nos enquêtes et qui doivent être
testées, modifiées, développées en étant effectivement utilisées” (p168). A l’image de la
fertilisation croisée qui s’opère entre les sciences de la nature, les sciences de la société
doivent être sollicitées sans craindre des “constantes et systématiques interactions
fructueuses” (p 171) . Dewey en appelle à une pratique de recherche multidisciplinaire,
orientée vers l’amélioration des situations vécues par les êtres humains, qui ne distingue
pas la recherche fondamentale de la recherche appliquée (p174) et qui vise à produire un
savoir qui est autant vecteur de communication (et donc de constitution de communauté
d’intérêt et d’action) que moyen de compréhension (et donc d’évaluation des situations
et de définition de moyens d’amélioration, p176). Si Dewey, dans The Public and its
Problems propose une pratique de l’enquête qui correspond à celle qu’il expose dans
Logique, la théorie de l’enquête, il y ajoute la définition de la communication comme
instrument de formation démocratique d’une opinion publique qui résulte du
discernement méthodique des conséquences résultant des réseaux complexes
d’interactions (p177). Pour que les citoyens restent durablement associés à cette
formation de l’opinion publique, il faut nécessairement que soient produits et
communiqués les résultats d’une “enquête continue, continue au sens où elle reste
connectée et obstinée” (p178), les politiques publiques devant être “informées par la
connaissance” et spécialement les connaissances issue des “sciences sociales”, ces
dernières devant être diffusées dans la presse (pp179-180). C’est l’ensemble des acteurs
de la société qui doivent contribuer à produire et communiquer des connaissances qui
permettent la constitution d’un Public élargi, et spécialement les artistes qui peuvent
produire des informations associant “émotion, perception, et appréciation” (p184). Cette
dynamique permettra à la démocratie de s’actualiser comme “vie de communion libre et
enrichissante”, dont Walt Whitman est le prophète, cet accomplissement résultant du
“mariage indissoluble” de “l’enquête sociale libre” et de “l’art entier et changeant de la
communication” (p184).

Le premier principe méthodologique énoncé par John Dewey est celui de l’approche
globale des situations socio-politiques. Il faut appréhender une situation comme un tout
complexe constitué d’éléments en interaction, ce tout étant une autre réalité que leur
simple addition. Dès lors, le problème authentique est celui de l’ajustement des groupes
et des individus dans une société qui “assure une libération régulière des pouvoirs de
tous les individus membres de tous les groupes constitués” (p 192). Les individus
doivent bénéficier d’une éducation, qui ne leur impose pas un modèle de comportement
pré-établi mais qui leur permette d’acquérir des aptitudes à gérer leurs transactions avec
les autres en prenant en compte les conséquences de leurs actes sur la société. Ni
l’individualisme, ni le collectivisme, qui sont des “programmes déterminés” (p 202) ne
peuvent inspirer la “personne” (Dewey écrit : “person”) qui, cherchant le bien social,
devrait abandonner la pensée et les croyances absolues pour adopter la “méthode
scientifique” appliquée à l’action socio-politique qui doit se traduire par (pp 202-210) :
1/ des conceptions qui constituent un ensemble d’outils d’enquête, qui organisent de
façon systématique la production d’une connaissance appliquée,
2/ des politiques publiques et des propositions d’action sociales qui doivent être
envisagées comme des hypothèses à tester et non des programmes à appliquer
strictement,
3/ l’organisation de formes de collaboration entre les experts et les citoyens qui
aboutissent à “libérer et perfectionner les procès d’enquête et de diffusion de leurs
conclusions”.
S’accordant sur ce point avec Walter Lippmann, Dewey insiste ensuite sur la
nécessité d’organiser localement et territorialement la dynamique des “publics”, car “le
local est l’universel ultime”29 qui doit être protégé des “organismes publics
inconscients” (p 215). Le public ne pourra se retrouver sans une restauration de “la vie
commune locale” qui ne doit pas être isolée, mais connectée par la généralisation
permise par “l’âge technologique” d’une “expérience communiquée et partagée”,
accomplissant la vision d’Emerson d’une humanité qui réside “dans le giron d’une
immense intelligence” (pp 216-217-219). Cette vision qui évoque certains discours
enjoués de la fin du XXe siècle pour la “société technologique de l’information”, est
confirmée et élargie, par Dewey dans la postface écrite en 1946, dans laquelle John
Dewey réaffirme la nécessité d’effectuer un “effort ferme et systématique pour
développer cette intelligence effective appelée méthode scientifique en l’appliquant aux
transactions humaines” (p 229) et en l’élargissant aux relations entre les États du
monde, après les horreurs constatées de la Seconde guerre mondiale.

Ainsi, l’épistémologie peut ne pas être considérée comme séparée des enjeux et des
objectifs : d’utilité pragmatique, de validation éthique et de qualité pédagogique des
résultats d’une production scientifique qui cherche, concomitamment, à respecter des
critères d’objectivité. L’ouvrage sous la direction de José A. Prades, Jean-Guy
Vaillancourt et Robert Tessier Environnement et développement, questions éthiques et
problèmes socio-politiques,30 illustre en partie l’effort d’intégration de ses différents
aspects, les auteurs visant à coordonner :
- une mise en perspective historique,
- une éthique de l’environnement,
- une approche empirique de recherche appliquée mobilisant les sciences et
techniques opératoires.

Cependant, nous nous distinguons de leur approche en ce qui concerne leur


présupposé d’une “perspective normative” (op. cit. pp 23-26 et 273-293) qui devrait
guider la démarche d’ensemble. Prolongeant l’éthique de participation démocratique
pragmatiste de John Dewey, nous considérons que chaque intervention doit produire
une perspective normative spécifique, ce qui n’empêche pas les intervenants de
développer leur propre perspective éthique et normative, qui, selon nous, doit être
renégocié dans le contexte de chaque nouvelle intervention avec les orientations des
personnes concernées.

Avant de préciser quelles sont, selon nous, les valeurs associées à une activité de co-
production de connaissance actionnable telle que nous en avons donnés des exemples,
nous voudrions qualifier l'usage et la portée des termes de valeur et valorisation. Notons
tout d'abord que la racine latine val qui a servi a forgé le mot valeur”exprime d'abord
l'idée de vigueur et de santé puis celle de valeur” (in Trésors des racines latines, Jean
Bouffartigue, Anne-Marie Delrieu, Librairie Belin, Paris, 1981, p 77). Avec cette idée
de santé et de vigueur, on retrouve l'analogie de l'organisme déjà associée au terme
développement. Le verbe valoriser attesté dans la langue française en 1933 selon Le
Robert, désigne l'action d'augmenter ou de faire prendre de la valeur à quelque chose ou
quelqu'un. Les verbes valoriser et développer peuvent être considérés dans certains
contexte comme des synonymes dès lors que le second est entendu en tant que verbe
transitif désignant le fait de faire croître , donner de l'ampleur. Cependant, si le verbe
développer fait référence à une extension supposée objective, le verbe valoriser fait
intervenir un facteur de subjectivité ou d'intersubjectivité puisque la valeur n'existe que
par le jugement d'une ou plusieurs personnes. En effet la valeur c'est ce qui est jugé
digne d'estime. Dans le cas de l'expression déjà utilisé de”valorisation des ressources
humaines", il s'agira non seulement de valoriser économiquement les qualités et
compétences des individus et groupes investissant temps et énergie dans un travail de
production ou de service mais aussi de faciliter l'expression et rendre socialement
visible ces qualités et compétences qui -en tant que telles- méritent reconnaissance.

Si nous rapportons ces éléments de définition à des pratiques d’activation de


développement qui selon les cas s'appliquent : soit à la valorisation de compétences en
vue d'une insertion, soit à la valorisation des ressources humaines dans le cadre d'un
projet de réorganisation, ou encore à la valorisation des ressources locales et
environnementales, l’activité de l’intervenant devra nécessairement s'accompagner
d'une mise en évidence de valeurs partagées ou majoritairement reconnues comme
importantes par les membres du système-appropriant concernés. Une telle démarche de
valorisation s'apparente à un programme d'énonciation de normes éthiques dynamiques
qui s'appliquent déjà, ou : doivent être redéfinies, ou mieux s'appliquer, en vue de
favoriser une actualisation de potentiels de développement.31

Dans la mesure où l’activation de développement concerne des enjeux d’intervention


qui porte sur des valeurs socio-politiques, un travail plus approfondi serait à réaliser
sous la forme d’une étude et d’une analyse de l’héritage culturel et socio-politique des
“valeurs” à partir desquelles une intervention agit sur et dans une situation. L’ouvrage
de Louis Lavelle Traité des valeurs32 constitue une base essentielle pour ce travail.
Spécialement, le chapitre III du premier tome intitulé “Valeur et participation” décrit
comme l’activation de développement est une production de valeur par une participation
vers l’action, la communication assurant la médiation de ce mouvement.

Louis Lavelle écrit : “au niveau de la condition humaine, il y a un écart entre la


valeur pure et l’emploi que nous en faisons. Mais nul ne peut pourtant la rendre sienne
qu’à condition de la mettre en œuvre, de la communiquer et de la rendre efficace dans
un monde commun à tous. Participer à la valeur, c’est l’actualiser, et en en l’actualisant,
y faire participer autrui. Ainsi, le réel nous sépare de la valeur, mais il nous ouvre le
chemin qui nous permet d’y accéder. C’est pour cela que nous appliquons notre volonté
à modifier le monde, comme si nous pensions que nous réussirons un jour à saisir en lui
la valeur elle-même. C’est là une illusion toujours renaissante qui explique tous les
progrès de l’individu et de l’humanité.” Contrairement aux approches sceptiques, pour
Louis Lavelle, cette “fiction” est, ainsi que nous l’avons également proposé, non
seulement nécessaire mais aussi “opératoire”, et spirituellement justifiée puisque : “le
propre de la valeur, c’est de se découvrir à nous par le rapport vivant que nous avons
avec elle, par l’usage que nous sommes capable d’en faire en tant qu’elle est
l’expression du jeu même de notre activité spirituelle.” (op. cit. p 330).

Cette approche générale de la communication d’activation du développement comme


“production de valeurs” peut aussi s’exprimer par une définition globale recherchée
d’un objectif cohérent et multidimensionnel de “valorisation”, que vise un effort de
production, et de contrôle de résultats obtenus, sous les formes :
- d’une valeur épistémique (comment est-il garanti que les représentations qui ont été
produites résultent d’un effort d’application de “méthode scientifique” ?),
- d’une valeur pragmatique et d’utilité sociale (quelles sont les conséquences
concrètes - actuelles ou potentielles - de l’appropriation et de l’application des
connaissances descriptives et prescriptives qui ont été produites ?),
- d’une valeur éthique (comment les visées ultimes et les critères de décision des
personnes concernées par les connaissances produites ont été pris en compte,
éventuellement arbitrés ou encore incités à “évoluer” ?),
- d’une valeur pédagogique (comment les personnes concernées peuvent-elles
bénéficier des résultats de l’intervention pour améliorer leur connaissance et leur
compréhension des situations qu’elles vivent et des décisions qui ont été ou peuvent être
prises sur ces situations ?).

Cette démarche d’ensemble peut être décrite d’un point de vue héritant de la pratique
philosophique comme une “axiologie participative appliquée”, ou encore dans le cadre
des sciences de l’information et de la communication ou des sciences de gestion comme
un “management de la production de valeurs”. Avant de proposer une formalisation de
la démarche, nous souhaitons exposer les différentes dimensions des valeurs porduites :
épistémiques, pragmatiques, éthiques, pédagogiques qui sont en jeu dans le procès
d’activation de développement.

Dans La connaissance objective, 33 Karl Popper, dans la tradition d’une réflexion


philosophique qui s’oppose à une théorie subjectiviste de la connaissance, propose “une
épistémologie sans sujet connaissant” qui s’appuie sur la distinction entre trois mondes :
- le monde 1 des objets et forces physiques,
- le monde 2 des états mentaux, et
- le monde 3 des productions culturelles objectivées.

Pour mettre en valeur l’intérêt d’un effort de connaissance34 de cette “connaissance


objective” qui relève de ce troisième monde, Karl Popper formule trois thèses (op. cit.
pp 191-192) :
- cet effort nous permet de procéder à “une distinction entre les problèmes liés à nos
contributions personnelles à la production de la connaissance scientifique d’une part, et
les problèmes liés à la structure des divers produits comme les théories scientifiques ou
les arguments scientifiques, de l’autre”,
- “l’étude des produits est de beaucoup plus importante que l’étude de la production,
même pour la compréhension de la production et ses méthodes”,
- “nous pouvons en apprendre davantage sur l’heuristique, la méthodologie, et même
la psychologie de la recherche en étudiant les théories et les arguments présentées pour
et contre elles, que par n’importe quelle approche directe behavioriste, psychologique
ou sociologique”.

Cet effort d’ “objectivation” de la connaissance conduit Karl Popper à procéder à une


sélection des termes plus ou moins “recommandables”, 35 spécialement les mots
“expression” et “communication” parce qu’ils “sont, essentiellement, des termes
subjectivistes, et leurs connotations subjectivistes ou personnelles sont dangereuses
dans un domaine où la tentation est si forte d’interpréter les contenus de pensée du
troisième monde comme s’il s’agissait de processus de pensée du second.” (op. cit. p
251).

Les “recommandations” méthodologiques qui précèdent relèvent de la tradition


d’une épistémologie qui associe “garanties d’une valeur épistémique” et effort
d’abolition des influences subjectives ou personnelles sur la production de
“connaissance”. Tant que le but de l’épistémologie est de produire une connaissance du
“monde 3” selon Popper, la démarche épistémologique peut être reconnue comme
“valable”. Mais, lorsque l’objectif d’une intervention produisant une connaissance
actionnable est de coordonner les trois mondes, il devient nécessaire de se confronter à
la réalité des subjectivités et des personnes. Considérant la démarche commune de
“quête de la certitude” selon John Dewey comme des “inventions de philosophes
optimistes” (op. cit., p 123), Karl Popper, estime que sa théorie personnelle est
supérieure parce qu’elle oblige à renoncer à la fiction d’une “immédiateté”, d’une
“fiabilité “ou d’une “vérité” associée à l’expérience commune. Karl Popper, s’oppose
cependant au réalisme logique de Russel et prolonge en quelque sorte John Dewey qui
considère que la valeur de la connaissance se réduit à une “assertibilité garantie”, mais il
abandonne le projet pragmatiste pour considérer que la stratégie épistémologique de
production de connaissance par isolement d’un “monde 3” réussira à nous faire mieux
connaître la manière dont il nous conditionne.

La situation d’intervention ne permet pas d’adopter exclusivement cette approche.


L’épistémologie de Karl Popper peut permettre de mieux connaître quelles sont les
“productions culturelles” qui définissent un “monde 3” conditionnant les situations sur
lesquelles nous intervenons. D’un certain point de vue, notre effort pour nous référer à
des auteurs historiquement contextualisés, est en accord avec cette démarche. De la
même manière, nous reconnaissons l’utilité pragmatique et la pertinence intellectuelle
des principes de garanties de valeur épistémiques héritières de la tradition positiviste qui
sont utilisés par les scientifiques et experts associés à la production d’une connaissance
du “monde 1”. Mais l’intervention socio-politique sur l’objet-situation impose de se
confronté à une exigence d’intégration et d’association à un “monde 2” qui est le vécu
des personnes concernées par la situation. Dès lors, selon l’expression de Jean-Louis Le
Moigne, il s’agit de développer une épistémologie qui doit être complété par “l’exposé
intègre du nouveau contrat social relatif au statut de la connaissance” qui doit être
proposé par les Chercheurs-Savants comme une alternative, à la fois “à leurs
concitoyens et à leurs pairs”.36 Dans le domaine d’étude et d’activité que nous avons
choisi, axiologie et épistémologie interfèrent de sorte que l’assignation de finalité
axiologique à la production de connaissances n’est pas incompatible avec la définition
de conditions qui garantissent une validité épistémologique à des sciences de
l’information et de la communication ou à des sciences de gestion appliquées à des
interventions d’appui au développement.37

Ce n’est plus “la connaissance objective” qui devient l’enjeu de l’effort de mise en
perspective épistémologique mais la connaissance s’objectivant. Jean-Marc Ferry, dans
Philosophie de la communication,38 (op. cit. p 20), montre que Rorty, prolongeant John
Dewey propose une théorie qui “admet l’insertion des intérêts sensibles dans le
processus cognitif”, intérêts “toujours situés historiquement et déterminés
socialement”, puis cite Dewey lui-même pour qui la question instrumentaliste n’est pas
de “venir à bout de la réalité ultime” mais de “clarifier les idées des hommes en relation
avec les conflits sociaux et moraux de leur époque”. Plus proche des caractéristiques
spécifiques de l’épistémologie appliquée de l’intervention-recherche, Jacques Girin
dans le Chapitre 4 du livre Épistémologies et sciences de gestion,39 propose de
reconnaître le caractère de “technologie sociale fragmentaire”40 de l’intervention sur des
situations de gestion, cette activité associant approches quantitative et qualitative,
“communication relationnelle” et “communication fonctionnelle” pour élaborer des
hypothèses sous la forme de mesures pratiques dont l’efficacité pourra être mise à
l’épreuve.

Cette conception n’est pas un relativisme généralisé dans la mesure où les


conséquences pragmatiques des sciences et techniques constituent des garanties
épistémiques de la valeur de la connaissance produite. La réalité ultime n’est jamais
atteinte par la connaissance scientifique, mais la réalité concrète expérimentée et
expériencée est le critère majeur de détermination de valeur “d’assertibilité garantie”. Et
parce que dans le contexte situationnel axiologique qui est celui de l’intervention socio-
politique, les connaissances produites sont intégrées à un procès réflexif de validation
inter-subjective, c’est une démarche globale d’enquête active qui doit réussir à
s’appliquer en prenant en compte :
- non seulement, les méthodes scientifiques et les conséquences pragmatiques des
intervenants scientifiques et techniques,
- mais aussi les valeurs et les approches cognitives de l’ensemble des personnes
concernées par la situation objet d’intervention.

Déjà mis en œuvre par le pionnier de l’intervention psychosociologique E. Jaques, il


découle du principe d'une “approche collaborative”41 que nous appliquons, une éthique
appliquée de la communication au contact de personnes s’appropriant les résultats de
l’intervention. Cette activité de communication vise à créer des conditions favorables à
l'élaboration d'une connaissance opérationnelle et/ou réflexive, reconnue et
expérimentée comme utile pour l’actualisation de potentialités de développement
associées aux vécus et représentations des personnes membres d’un “système-
appropriant”.

A un niveau réflexif42 qui n’est que rarement explicite, un questionnement


accompagne le procès d’intervention, l’intervenant cherchant, de façon continue, des
réponses43 à un ensemble de questions :
- de quelle manière des conditions sont-elles réunies pour que les valeurs propres
des membres du système-appropriant puissent s’exprimer ?
- dans quelles mesure les valeurs propres aux intervenants s’imposent-elles,
s'adaptent-elles, ou négocient-elles avec : les valeurs des membres du système-
appropriant ?
- comment les responsables de l’intervention gèrent-ils le procès de négociation
interne aux systèmes de valeurs en confrontation ; (spécialement comment le(s)
financeur(s) est-il l'arbitre ou le pilote de cette négociation ?
- comment la sélection de la production de connaissances opérationnelles durant
l’intervention permet-elle de favoriser un élargissement optimum des représentations
communes de la situation et des actions à opérer sur elle ?
- comment les membres du système-appropriant peuvent-ils manifester leur intérêt
pour le fait de retirer des enseignements de l’interaction, spécialement dans un contexte
de transmission de”compétences relationnelles” ?
- dans quelle mesure la gestion du procès d’intervention peut-elle génèrer des
opportunités d'identification, de mesure et d'évaluation de la connaissance, des attitudes
et des compétences co-produites par l’intervention ?

Tout en relevant d’un questionnement éthique, pour répondre à ces questions, les
intervenants peuvent solliciter les théories appliquées psychologiques et
psychanalytiques de la relation d'aide ou transférentielle, les approches éducatives, ou
encore les théories autopoïétiques de la connaissance, telles que développées par
F.Varela.44 Un des points les plus délicats est celui du caractère plus ou moins explicite
que peut prendre ce questionnement dans un contexte professionnel de mise en scène
interlocutoire, où l’expression d’une fonction réflexive et éthique perturberait un
contrat de communication sous-jacent qui n’intègre pas habituellement ces questions.
Dans le contexte socio-culturel dominant, l’intervenant professionnel est mis en scène
en tant qu’Expert, et l’on attend du procès d’intervention qu’il conforte l’image du fait
que chacun sait ce qu'il a à dire et à faire.45 Un autre enjeu associé à la question du
questionnement éthique est celui de l’éventuelle “dérive activiste” de l’intervention à
visée scientifique “d’activation”.

Nous avions intitulé le travail réalisé dans le cadre du troisième cycle pour
l’obtention d’une Diplôme d’Études Approfondies :”Engager la communication au
service du développement". Comme l'explique P. Foulquié, (op cit, p 211),”aujourd'hui
(écrit en 196246) s'est répandue, dans le domaine religieux et surtout politico-social , une
mystique de l'engagement, lequel peut se caractériser comme l'action : 1° non pas de
s'engager à quelque chose de déterminé, mais de mettre ses forces et sa pensée au
service d'une cause; 2° de prendre une très nette conscience réfléchie de la situation, en
particulier de la situation dans laquelle on se trouve engagé et d'en assumer intérêts et
obligations; 3° d'aller de l'avant comme si l'on était certain de la valeur absolue de son
choix, tout en sachant que l'on court le risque de se tromper.” Le regard critique porté
aujourd'hui sur l'engagement, regard encouragé par une mode du”désenchantement”
s'est trouvé renforcé après la mort de Jean-Paul Sartre dont on a répété jusqu'à saturation
que sa philosophie politique de l'engagement s'était accompagné le plus souvent
d'erreurs stratégiques et de choix erronés.

Cet a priori critique étant posé, nous persistons cependant dans notre utilisation du
verbe”engager” signalant qu'en formulant notre intention nous établissons une
distinction entre”engager la communication” et”s'engager dans la communication".
Cette distinction, qui répète la question du mode de relation s'établissant entre la
personne de l’intervenant visant activation de développement et le système-appropriant
avec lequel il travaille, suppose que l’on ne s’engage pas pour prendre en charge une
activation mais que l’on propose au système-appropriant de valider une reconnaissance
de potentiel et/ou un projet d’actualisation. Engager la communication au service du
développement c'est en fait favoriser l'expression des personnes intégrées dans un
système-appropriant en donnant les moyens d'une prise de conscience des tenants et
aboutissants de la situation de liberté de représentation et d'action sur ce système. Il
s'agit en fait de dévier de leur usage habituel les pratiques contemporaines en matière
d'usage des moyens de communication pour produire un résultat en termes d’influence
réussie.

Cette ambition rejoint les analyses de Paul-Henri Chombard de Lauwe47 qui


remarque que : “Nous avons vu à plusieurs reprises que le développement des moyens
de communication de masse va souvent de pair avec la diminution de la communication
de personne à personne. La publicité dans le domaine commercial, la propagande dans
le domaine politique contribuent à augmenter les sollicitations qui empêchent l'individu
de se faire une idée par lui-même. Il devient de plus en plus difficile de résister à toutes
ces tentations et de se prendre réellement en charge. Il semble que l'excès de choix
laisse l'individu à la merci de ceux qui utiliseront les meilleures techniques
psychologiques pour orienter sa conduite. Mais il se rendra compte un jour ou l'autre du
décalage de plus en plus grand qui existe entre ses aspirations profondes et son
comportement de fait. Il en résulte alors une forme de découragement qui s'ajoute aux
autres". (Op. cit., p153).

Gérer l’information et la communication pour activer des potentiels de


développement humain durable serait nager à contre courant. Compte tenu des risques
d’épuisement48 découlant de ce type de situation, il nous semble important d'insister sur
cette nécessaire dissociation de l'action en faveur du développement et de
l'investissement personnel. Ph. Chombart de Lauwe, à la suite de l'extrait précédemment
cité nous dit la chose suivante :”C'est pourquoi l'adhésion à une idéologie, à une
croyance, à un parti politique, à une foi religieuses, etc, permet parfois à l'individu de
réagir contre cette dispersion et cette dépersonnalisation. Dans ce cas, la représentation
de la fatigue joue un rôle moins important, mais la fatigue réelle et la perception de la
fatigue ne sont pas moins perturbantes, car la vie du”militant” suppose un effort
constant et une tension nerveuses qui se répercutent sur toute sa vie quotidienne.” (Opus
cité, p153) Relativisant l'adhésion irréfléchie à une mystique de l'engagement personnel,
E. Mounier écrit dans Traité du caractère49 : “Il n'y a pas de spiritualité de l'engagement
qui ne doive s'équilibrer par une spiritualité du dégagement”. C'est ce travail de
dégagement, on pourrait aussi parler de détachement que nous intégrons dans notre
approche théorique et pratique de l’intervention d’activation du développement.

C’est dans cette perspective qu’une dimension pragmatiste (le savoir produit est
fonction de la reconnaissance par les personnes concernées d’une transformation
physique, organique et/ou socio-politique de la situation initiale [reconnaissance
s’appuyant sur des données d’observation et si possible de mesure “objective”50]) et
personnaliste (le savoir produit est orienté et enrichie des représentations et valeurs que
chaque personne ayant collaboré à la production de connaissance évaluative, opératoire,
réflexive, reconnaît comme améliorant d’un point de vue personnel sa relation à la
situation étudié et modifiée) permet de partager les niveaux de responsabilité afférents
aux objectifs d’activation des potentiels.

José A. Prades dans L’éthique de l’environnement et du développement,51 propose


une “éthique de la connaissance” qui met en évidence la manière dont la production de
valeurs éthiques et pédagogiques associée à une intervention “qui vise avant tout l’étude
d’un enjeu ou d’une situation dans le but de trouver une issue qui puisse être considérée
valable sur le plan moral” est une forme d’épistémologie générale et appliquée, qui,
bien que ne cherchant pas à s’imposer à toute forme de connaissance, constitue une
réflexion globale sur la production de connaissances. Cette éthique épistémologique
appliquée possède, selon José A. Prades, un ensemble de caractéristiques, qui
rejoignent, pour l’essentiel, notre analyse d’un ensemble d’auteurs de référence et la
pratique professionnelle que nous avons exposée :
- elle cherche à favoriser “le développement intégral de la personne humaine”, aux
plans “local, national et international”, prenant en compte les “prochaines générations”,
- elle vise une “connaissance collaborative” qui réunit et confronte les “savoirs des
différents acteurs qui constituent les sociétés humaines”,
- elle cherche à produire une “connaissance sociétale” qui puisse miser sur “les
savoirs et les intérêts de la société dans son ensemble”,
- elle s’efforce de “traiter en détail des questions globales” pour déboucher sur “des
politiques publiques”,
- elle s’appuie sur le développement de connaissances spécialisées, qui peuvent être
restreintes à des domaines précis mais réintégrées à une “perspective rationnelle,
universaliste et soutenable”,52
- elle oriente vers des solutions concrètes qui répondent à des besoins concrets,
- elle vise une “connaissance opérative” qui puisse définir des conditions favorables
à des changements de mentalités, structures et institutions,
- elle propose des solutions qui favorise la reconnaissance d’intérêt réciproque,
- elle n’enferme pas les perspectives d’évolution dans la défense des acquis mais
mettent en avant les opportunités de “progrès et prospérité” qui résultent de la
“collaboration démocratique et la maîtrise de la science et de la technologie”. (op. cit.
pp 60 à 62).

Pour atteindre ces différents objectifs, il est nécessaire de maîtriser un ensemble de


savoir-faire de gestion de l’information et de la communication dont nous voulons
proposer une formulation synthétique sous l’expression de : “management socio-
politique participatif et concourant”.

Les étymons du verbe “appliquer” tels que le Dictionnaire historique de la langue


française les rappellent (DicoRobert, Paris, 1992, T1, p 94), permettent de préciser ce
que nous entendons par “intégré/associé”. Le latin applicare peut signifier “aborder,
aller vers”, “appuyer”, “employer son esprit à”, le verbe est construit à partir du verbe
plicare qui sert à désigner ce qui se tresse, s’entrelace, d’où le “complexe”, le
“perplexe”, mais aussi ce que l’on “explique”. Mais ce qui “s’applique” possède une
signification spécifique qui est le “mouvement vers”.

Dans le titre de notre thèse “Gestion de l’information et de la communication


appliquée à l’activation de développement professionnel, organisationnel et territorial”
l’expression “appliquée à” peut être explicitée comme suit :
- il s’agit de repérer quels sont les éléments entrelacés dans les situations sur
lesquelles portent l’activité de gestion de l’information et de la communication,
- pour définir et orienter un “mouvement vers”
- l’activation de potentiels de développement (potentialisation et actualisation de
potentialités).
Le signe “&” utilisé en bas de chaque page de notre texte est équivalent à “appliquée
à” entendu dans le sens précédent.

De la même manière, dans le titre de cette dernière partie, nous utilisons la forme
d’expression “management socio-politique participatif intégré/associé à une ingénierie
concourante de projet” pour insister sur le fait que l’actualisation d’une fonction
“d’application à” implique53 :
- soit un effort d’intégration à des pratiques d’ingénierie de projets publics, assurée
par les responsables administratifs et politique d’une management socio-politique
participatif,
- soit une association de ces pratiques d’ingénierie à une démarche de management
participatif, qui, dès lors, assure la conduite du mouvement, mais ne peut garantir
d’aboutir à des résultats effectifs et durables qu’en réussissant à s’insérer dans cet
agencement.

Encore faut-il que l’ingénierie de projet socio-politique soit concourant. Ce terme est
emprunté aux méthodes actuelles de management de projet développé dans l’industrie
dans le prolongement des logiques de management par projet apparues dans les années
1950.54 Selon les principes les plus récents du management de projet exposés après
enquête par Jean-Marie Hazebroucq et Olivier Badot,55 les fonctions de directions
n’existent plus que pour aider les équipes de terrain à se concentrer sur leur activité, en
tant que cette activité est au service de bénéficiaires dont les besoins, les attentes et les
aspirations évoluent de plus en plus rapidement. Ces équipes de terrain relèvent du
“front-office” (traduisible par “guichet” mais qui peut être exprimé par “front
d’activité”). Dés lors c’est aux équipes de terrain sur le front d’activité à déterminer
quelle doit être la valeur ajoutée des activités des membres du “back-office” (“l’arrière-
boutique”, que l’on peut considéré comme “l’organisation d’appui”). Des approches
moins radicales reconnaissent au “back-office”, à l’organisation d’appui : l’autorité de
direction, d’évaluation et de contrôle, au “front-office”, au front d’activité le pouvoir
de faire, de définir l’appui aux activités, d’identifier les risques et opportunités
d’évolution des valeurs produites par l’activité.

Selon C. Navarre56 le “back-office” joue quatre rôles :


- celui de facilitateur financier,
- celui de facilitateur d’adaptation aux contraintes légales,
- celui de facilitateur sociétal, permettant de mieux comprendre le monde et ses
tendances dévolution,
- celui de réservoir de connaissances et compétences, accumulant, organisant, et
diffusant de l’expérience mondiale comme source complémentaire de savoir dans la
trilogie : compréhension des tendances sociétales <=> expériences partagées <=> essais
réels.
(cf Jean-Marie Hazebroucq et Olivier Badot, Le management de projet, PUF Que-
sais-je N°3059, Paris, 1996, p 66).

Les cinq MétaRègles proposées par C. Navarre et F. Jolivet (adapté au contexte de


management de projet de développement territorial participatif) pour assumer une
gestion d’activité par projets concourants :
MtR 1- la priorité est donnée aux “terrains” des interactions entre organisation et
bénéficiaires des activités, comme espace-temps de co-production des valeurs,

MtR 2- les managers de projets de terrain et leurs équipes accroissent leur degré
d’autonomie en développant des pratiques de coopération extra- et supra-locale.

MtR 3- l’activité est programmée selon des phases et des langages dynamiques le
plus proches possibles de la pensée opérationnelle naturelle des acteurs, la créativité est
“orientée solutions”.

MtR 4- les managers de projets de terrain et leurs équipes diffusent les informations
afférentes aux états d’avancement des projets et procèdent à des interpellations
constructives des niveaux extra- et supra-locaux de décision et d’allocation de
ressources pour l’action.

MtR 5- les objectifs, politiques, règles d’organisation et de gestion sont


communiqués en anticipant sur les besoins des acteurs de terrain. L’interactivité est de
règle dans les actions de communication développées.57

Ces métarègles expriment une synthèse des principes de l’ingénierie concourante. Le


terme “concourant” - auquel est quelquefois substitué l’adjectif “simultané” - indique
que les différents acteurs (personnels ou institutionnels) qui concourent à la
performance d’une activité doivent être associés à toutes les phases de sa conception et
de sa mise en œuvre. Hazebroucq et Badot rappellent que les études les plus récentes
montrent ce sont des “compétences collectives” qui doivent être développées pour
garantir un ensemble de “facteurs de succès” qui confirme “la prépondérance du rôle
des communications, de l’autonomie des décisions, de la flexibilité, de la souplesse”,
aboutissant au fait qu’il faut “communiquer plus et planifier moins…”58

Marie-José Avenier dans le chapitre 10 de La stratégie “chemin faisant”,59 propose


une démarche d’ensemble de “co-pilotage de projets co-conçus” qui, appliquée au
secteur de la construction favorise une forme d’ingénierie de projet simultanée
finalement réductrice (nous tenons de l’auteur elle-même la conclusion retirée de cette
expérience qui relativiserait les valeurs de cogestion qui la sous-tendent). Nathalie
Couix, Ingénieur agronome chargée de recherche montre que l’application d’une telle
démarche à un contexte de gestion de l’espace en milieu rural (Chapitre 11 du même
ouvrage)60 produit des résultats plus probants à condition de considérer les effets de
l’application d’une telle démarche en termes d’apprentissage organisationnel par des
acteurs qui, par ailleurs, ont une certaine pratique de coopération. C’est cette dimension
d’apprentissage organisationnel et d’intervention externe visant à le favoriser - qui
rejoint l’objet de notre thèse - que Marie-José Avenier décrit dans le chapitre
“Intermédiation et catalyse”61 du livre publié sous la direction de Philippe Lorino
Enquête de gestion, à la recherche du signe dans l’entreprise.62 Dans ce chapitre, Marie-
José Avenier entend par “intermédiation” ce que nous avons décrit comme une
intervention mobilisant des compétences de gestion de l’information et de la
communication : “l’introduction délibérée, au sein d’un processus collectif d’un tiers
(…) destiné à faciliter le rapprochement des différents points de vue des différents
participants à partir d’éclairages apportés par chacun d’eux.” (op. cit. p 173) Cette
fonction d’intermédiation est assurée pour la mise en œuvre d’une “ingénierie
concourante” telles que Pascale Bossard la définit dans Ingénierie concourante, de la
technique au social63 : “l’ingénierie concourante est davantage une construction sociale
qu’une construction technique et procédurale” qui se caractérise par une direction
globale de management de projet et “une nouvelle forme de coordination qui favorise
l’expression des différents points de vue, la négociation entre les différentes expertises
tout au long du processus de conception”. (op. cit. p 28). Françoise Darses, dans le
même ouvrage,64 insiste sur la recherche d’une meilleure adéquation de cette démarche
avec les processus cognitifs de conception, lorsque les différents acteurs sont associés
pour mieux définir la “situation-problème”,65 objet de la conception. Dans tous les cas,
l’ingénierie concourante exige une prise en compte des “variables structurantes” que P.
Leclair,66définit au nombre de quatre :
1- La situation du projet dans le temps et son déroulement.
2- La place relative du développement et de l’exploitation.
3- Le poids du contrôle externe dans le pilotage.
4- Le rapport projets/métiers.”

Toute la difficulté réside dans la transposition aux activités concernant directement


les citoyens d’une ingénierie concourante pertinente dans des secteurs industriels qui
s’organisent en fonction de la satisfaction du client et de la maîtrise des “process”
(terme courrament utilisé sous la forme anglaise, pour désigner les opérations qui
produisent les résultats attendus) par les entreprises qui occupent les marchés. Pourtant
la logique participative même de l’ingénierie concourante devrait être considérée
comme particulièrement adaptée à des secteurs d’activité où les citoyens bénéficiaires
des services publics, devraient pouvoir s’approprier les politiques publiques qui les
concernent en priorité. Nous retrouvons ici explicitement les propositions
méthodologiques de John Dewey dans The Public and Its Problems.

Nous reformulons et complétons ces propositions en proposant un “management


socio-politique participatif”, associé/intégré à une ingénierie concourante de projet
d’intérêt public. Il s’agit de construire des modalités d’intervention qui agisse sur les
“variables structurantes”, ou encore les génère lorsqu’elles ne sont pas données. Les
différentes variables deviennent des axes concomitants de management :
-1 La représentation de la situation socio-politique, du point de vue des différentes
personnes concernées par son existence actuelle, son évolution probable et les
possibilités d’action sur elle, la définition dans le temps et selon des modalités de
contrôle de son déroulement d’un projet d’activation de potentialités d’intervention sur
la situation.
-2 La prise en compte des modalités existantes ou à créer qui peuvent assurer une
concrétisation des actions potentielles, les conditions à réunir pour garantir une
chronologie lissant les phases de : conception générale, stratégie validée, conception
détaillée, évaluation/appropriation, tests, ajustements, réalisation, évaluation continue,
re-conception...67
-3 Les garanties de légitimité, d’autorité de management, de liberté d’application
d’une démarche participative et de capacité de contrôle dans la gestion du déroulement
de l’intervention.
-4 La cohérence entre les objectifs visés par la conception et la programmation du
projet socio-politique, et les moyens humains et les compétences mobilisables pour le
mener à bien, l’efficience mesurée par la rapport : investissements de moyens / retours
sur investissements.

Cette volonté d’adapter des modalités de “management privé” à “l’administration


publique” peut entraîner des critiques concernant un éventuel “abus caractérisé de
managérialiseme généralisé”. Mais, en fait, comme nous l’avons montré en prenant
appui sur les travaux de John Dewey, les principes de gestion de la communication
appliquée à l’activation de potentialités de développement, ne sont pas a priori marqués
par leur domaine d’application qu’il soit privé ou public. Herbert A. Simon et Donald
A. Schön, (deux auteurs qui ont pris appui sur les travaux de John Dewey pour
développer leurs théories actionnables), ont été sollicités par les gestionnaires de
l’industrie pour définir l’ingénierie concourante. Dans Sciences des systèmes, sciences
de l’artificiel,68 Herbert A. Simon préparait la formalisation de cette approche
d’ingénierie concourante, en proposant une configuration des projets centrés sur le
“client”,69 ce mot désignant en anglais, le bénéficiaire d’une activité, d’un produit ou
d’un service. L’architecture de la “conception” de projet doit être structuré par un
contrôle continu de la qualité et de la production de valeur de la relation “client <=>
professionnel”. La société dans son ensemble doit être envisagé par les acteurs publics
et privés comme un “client”, la gestion publique, “socio-politique” dirions-nous, devant
“concevoir sans objectifs définitivement atteints”70 des systèmes humains évolutifs.

Donald A . Schön, dans un texte intitulé “La métaphore générative”71 prend appui sur
la logique de l’enquête de John Dewey pour proposer une approche intégré de la
conception coopérative de gestion de projet qu’il applique : d’une part à l’innovation
technologique pour créer un nouveau type de pinceau industriel, d’autre part à
l’élaboration d’une politique publique d’intervention dans les quartiers connaissant des
problèmes découlant de la présence de squatters. Pour reprendre l’expression utilisée
par Marie-José Avenier, il propose de favoriser une “intermédiation” entre les
“processus de nommer et cadrer”72 les situations-problèmes pour favoriser l’émergence
d’une ou plusieurs métaphores potentiellement résolutives, envisagées comme autant
d’hypothèses créatives à tester. Pour éclaircir le problème de l’inter-compréhension des
savoirs dans l’ingénierie concourante, Pierre Leclair et Frédéric Luzi,73 utilisent eux-
aussi la conception de Donald A. Schön dans The reflexive practicioner74 d’une pratique
courante de “conversation avec la situation”, se traduisant, selon G. Garel et C. Midler75
par le fait que : “La conception est une heuristique ouverte qui met aux prises, d’une
part, des individus tendus vers des finalités, projetant des valeurs et des représentations,
et, d’autre part, un contexte physique et social, transformé par l’intervention, mais qui
“répond”, “surprend” et transforme en retour la trajectoire du concepteur”.

Ces perspectives peuvent être envisagées comme des prolongements de la conception


de “communauté d’enquête” (“community of inquiry”) qui a été développée par les
pragmatistes Charles Sanders Peirce, John Dewey et Jane Addams. Patricia Shields,
dans un article non encore publié “The Community of Inquiry : Classical Pragmatism
and Public Adminsitration” montre que cette conception présente une valeur opératoire
pour l’administration publique, spécialement lorsqu’elle est envisagée dans une
perspective de management public participatif. Après que Charles Sanders Peirce a
formulé la conception de “communauté d’enquête” appliquée à la pratique scientifique,
la transposition de la conception par John Dewey et Jane Addams à l’activation de
potentialités d’amélioration des situations socio-politiques, l’a structuré autour de trois
idées-clefs complémentaires : la situation problématique, l’attitude scientifique et la
participation démocratique. Comme nous l’avons montré, Patricia Shields indiquent que
plusieurs techniques de gestion publique et privée mettent l’accent sur un ou deux de
ces aspects, citant plusieurs techniques comme : le management scientifique, la
rationalisation des choix, la réinvention gouvernementale…

La communauté d’enquête participative démocratique permet de garantir un


élargissement de la pratique scientifique qui ne s’enferme pas dans l’isolement
positiviste ou les certitudes utilitaristes. Patricia Shields cite un extrait de “La
démocratie créative” pour montrer que John Dewey intégrait une visée éthique aux
activités des communautés d’enquête, visée que nous avons décrit comme personnaliste,
et qui est celle des économistes du développement humain : “la conviction que chaque
être humain, indépendamment de la quantité ou de la gamme de ses dons personnels, a
droit à autant de chances que tout autre de les faire fructifier”.76

À partir d’une réflexion sur cette conception de “communauté d’enquête”, nous


avons discuté avec Patricia Shields les possibilités d’un élargissement de la
communauté entendue, selon Dewey, comme un groupe démocratique et scientifique de
résolution d’une situation problématique en une situation unifiée, à une dynamique
intergroupes de production de valeur d’actualisation de potentialités de développement.
John Dewey intitula le cinquième chapitre de The Public and Its Problems : “Search for
the Great Community” que l’on peut traduire par “À la recherche de la Communauté
élargie”. Notre démarche consiste à rechercher la possibilité d’une “communauté
d’enquête élargie” : “Great Community of Inquiry”. Il s’agit d’une démarche
systématique et flexible d’évaluation dynamique, de contrôle continu de la production
de valeurs multidimensionnelles, associés à la mise en œuvre d’enquêtes participatives,
ces enquêtes proposant d’intégrer, selon leurs volontés et possibilités : les personnes qui
pourront s’approprier - ou bénéficier de - ses résultats.
Patricia Shields illustre la conception d’une “communauté d’enquête” par l’exemple
des communications caractéristiques entre les détectives des romans de Phyllis D.
James,77 la perspective d’enquêtes partagées constituant la communauté élargie
supposerait l’intégration d’autres participants :
- les victimes des crimes objets des enquêtes et leurs proches,
- les membres de la société à laquelle les victimes appartiennent,
- les experts qui peuvent assister les enquêteurs dans l’élaboration et le test de leurs
hypothèses,
- les professionnels des médias dont les actions de communication peuvent interférer
avec le procès et les résultats des enquêtes,
- les forces publiques qui peuvent concrétiser les conclusions des enquêtes,
- les professionnels de la justice et les personnes membres des jurys populaires qui
vont actualiser les conséquences des assertions garanties de culpabilité,
- les responsables des politiques publiques qui peuvent prévenir les crimes ayant fait
l’objet d’enquêtes,
- les possibles futures victimes de crimes similaires (et leurs proches) qui peuvent
tirer profit des enseignements découlant des enquêtes qui ont été menées.
Il s’agit moins d’isoler “une communauté d’enquête” mais plutôt de considérer des
personnes (administrateurs, élus politiques, associatifs ou professionnels, techniciens,
savants ou citoyens…) comme des personnes humaines engagées dans des “enquêtes
partagées” qui ne produisent pas nécessairement des “communautés” mais qui
participent d’un effort de développement d’une “Communauté élargie”, “The Great
Community” selon John Dewey.

C’est par un management socio-politique participatif qu’il est possible d’orienter


l’effort en vue de définir et de chercher à atteindre des objectifs d’intérêt commun,
objectifs qui peuvent être temporairement reconnus comme tels, parce qu’en adéquation
avec les valeurs de ceux qui prennent part à l’enquête ou sont concernés par ses
résultats. C’est un “idéal régulateur” d’une société démocratique scientifique et
personnaliste, qui guide la gestion des déroulements d’enquêtes, l’effort d’actualisation
négocié de cet idéal étant envisagé comme possédant une valeur en soi.

Ainsi, c’est indépendamment de leur réussite partielle ou des restrictions qui leur
sont imposées, que les “enquêtes partagées” contribue au développement d’une
communauté élargie. Fuyant la frustration inacceptable des anciens idéaux socio-
politiques associés au fantasme inatteignable du “citoyen omnipotent” (Walter
Lippmann), le citoyen du siècle qui vient, plus modestement et plus sûrement, semble
désormais s’orienter vers une visée d’actualisation de son potentiel en qualité de
participant à une grande chaîne de valeur78 mais qui est devenue à géo-temporalité
variable. Dans ces conditions, une gestion de l’information et la communication visant
à activer des potentiels de développement professionnel, organisationnel ou territorial,
doit abandonner les anciennes fictions d’un accomplissement socio-politique mais
plutôt se focaliser sur une qualité de la participation interpersonnelle et de ses
conséquences vécues.
BIBLIOGRAPHIE :
- Alban Bouvier, Philosophie des sciences sociales, PUF, Paris, 1999, 259p.
- Gérard Deledalle, La philosophie peut-elle être américaine ?, J. Brancher Editeur,
Paris 1995, 306p.
- Gérard Deledalle, La philosophie américaine, De Boeck Université, Bruxelles, 1987,
303p.
- John Dewey, Liberalism and social action, Prometheus Books, New York, 1935/1991,
93p.
- John Dewey, Logique, la théorie de l’enquête (1938), traduction Gérard Deledalle,
Presses Universitaires de France, Paris, 1993, 693p.
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Press, Athens, USA, 1987, 236 p.
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1950.
- William James, Le pragmatisme, Éditions Flammarion, Paris, 1968, 247p, 1ère
- Emmanuel Kant, L’anthropologie du point de vue pragmatique Flammarion, Paris,
1993, traduction Alain Renaut, 351p)
- James Kloppenberg, Uncertain Victory : Social Democracy and Progressivism in
European and American Thought, 1870-1920, New York, 1986, 546p.
- Louis Lavelle, Traité des valeurs, PUF, Paris ; Tome 1, 1951, 751p ; Tome 2, 1955,
560p.
- Jean-Louis Le Moigne, Le constructivisme, T1, ESF, Paris, 1995.
- Jean-Louis Le Moigne, Les épistémologies constructivistes, Presses Universitaires de
France, Paris, 1995/1999, 128p.
- Walter Lippmann, The Public Philosophy, Mentor Book, New York, 1ère édition 1955,
144p.
- Walter Lippmann, Public Opinion, Free Press, New York, 1922/1997, 272p.
- Walter Lippmann, The Phantom Public, Transaction Publishers, 1927/1999, New
Brunswick, USA, 195p.
- John Stuart Mill, De la liberté, Gallimard, Folio-Essais, Paris, 1990, 243p.

1
Jean-Louis Le Moigne, Les épistémologies constructivistes, Presses Universitaires de France, Paris,
128p, 1995, 2ème édition 1999.
2
Ibid, p80.
3
L’expression est de John Dewey lui-même, voir par exemple dans Logique, la théorie de l’enquête,
ère édition américaine en 1938, traduction française de Gérard Deledalle réédition Presses Universitaires
de France, Paris, 1993, p 596.
4
Ibid, p95.
5
Hervé Barreau, dans L’épistémologie, (PUF, Paris, 1990, 128p), organise de façon classique une
présentation de l’épistémologie : qui distingue la connaissance commune de la connaissance scientifique,
puis expose les différents domaines du savoir : logique et mathématiques, physiques, sciences de la vie et
médecine, histoire et sciences de l’homme et de la société. La perspective d’épistémologie appliquée que
nous exposons ici poursuit la théorie de l’enquête de John Dewey qui considère que l’être humain qu’il
soit savant ou non applique une même démarche de construction d’une connaissance opératoire en
perpétuelle évolution par évaluation des conséquences de son application.
6
L’expression est proposée par John Dewey de manière à ne pas faire dépendre l’activité scientifique
d’un projet d’atteinte d’une “vérité”. Voir p166 dans La philosophie américaine de Gérard Deledalle, (De
Boeck Université, Bruxelles, 1987, 300p). Tom Burke dans Dewey’s New Logic, a Reply to Russel,
(University of Chicago press, Chicago, 1994, 288p) montre que l’épistémologie de John Dewey anticipe
les approches cognitivistes contemporaines même si elle est rarement mentionné dans les ouvrages
d’épistémologie (Russel, justement y est pour quelque chose). Par exemple, Bas Van Fraassen est cité
comme “l’une des principales figures de la philosophie des sciences actuelle” par Anouk Barberousse,
Max Kistler et Pascal Ludwig dans La philosophie des sciences au XXe siècle, (Flammarion, Paris, 2000,
353p) parce qu’il “propose de remplacer la notion de théorie vraie par celle de théorie empirique
adéquate ” (p 320), mais cet ouvrage ne mentionne pas John Dewey.
7
C’est un des thèmes centraux de Reconstruction en philosophie, (publié dans les années 1920,
traduction française publiée par les Publications de l’Université de Pau / Farrago, Pau, 2003, 174 pages).
C’est dans cet ouvrage que John Dewey définiti l’épistémologie comme « une analyse du processus de
connaissance ».
8
Op. cit.
9
Op. cit. page 9.
10
Philippe Lorino, Enquêtes de gestion, à la recherche du signe dans l’entreprise, L’Harmattan, Paris,
2000, 366p.
11
Op. cit. pp 248-249.
12
Les chapitres II et III de Logique, la théorie de l’enquête décrivent en ces termes les conditions de
l’enquête scientifique en général et en sciences humaines en particulier (pp 81-119 in traduction française
de Gérard Deledalle rééditée aux Presses Universitaires de France, à Paris en 1993, 693p). Notre thèse
met en évidence l’adéquation forte entre les conceptions de Dewey et les démarches d’activation du
développement des ressources humaines et environnementales. Les processus vitaux sont, selon Dewey,
“produits par l’environnement aussi bien que par l‘organisme; car ils sont une intégration” (op. cit. p 83)
et ils exigent le “maintien d’un environnement unifié”, de sorte que le but de la recherche scientifique et
de l’action intelligente en général est “l’institution d’une relation intégrée” (pp 83-84-86). La matrice
culturelle, insérée elle même dans la matrice biologique (au sens environnemental du terme) est
caractérisée par les usages de signes et symboles comme des moyens de procéder à une symbolisation qui
caractérise les activités communes, des moyens d’évaluer les situations existentielles et de déterminer des
fins et moyens d’agir sur elles : “Les mots signifient ce qu’ils signifient en connexion avec les activités
communes qui produisent une conséquence commune à laquelle tous participent.” (op. cit. p114)
13
Considérer les conséquences de la recherche comme une partie intégrante de la production
scientifique découle d’un héritage utilitariste assumé pour mieux le maîtriser. John Dewey dans
Liberalism and social action, (Prometheus Books, New York, 1935/1991, 93p) insiste sur le rôle majeur
de la pensée de Jeremy Bentham,[1748-1832] qui, le premier a marqué la pensée libérale et progressiste
par le principe d’une évaluation de toute action organisée par ses conséquences sur la vie concrète des
individus (op. cit. p 26). Le premier utilitarisme qui fut très réducteur, constitua la base du second
utilitarisme de John-Stuart Mill,[1806-1870] qui, enrichi par les idéaux romantiques d’auteurs comme
Coleridge [1772-1834], la pensée de Saint-simon [1760-1825] et plusieurs aspects de la pensée socialiste,
fut à l’origine de nombre de conceptions progressistes et pragmatistes. Pour une présentation de Bentham,
on pourra lire de Christian Laval : Jeremy Bentham, le pouvoir des fictions, (Presses Universitaires de
France, Paris, 1994, 125p).
14
Cet adjectif est emprunté à Chris Argyris, qui l’utilise fréquemment, (voir par exemple Savoir pour
agir , InterEditions, Paris, 1995, 330p) l’adjectif “actionnable” a été utilisé pour la première fois en 1983
par D. Schön (Cf la préface de Jean-Louis Le Moigne au livre Ingénierie des pratiques collectives, (sous
la dir. de Marie-José Avenier, Éditions L’Harmattan, Paris, 2000, 462p).
15
L’adjectif “contextualisé” doit être entendu dans l’optique des usages du concept de “contexte” que
font plusieurs théoriciens de la “pragmatique” - entendue comme science des “usages de la langue” (la
“parole” chez Saussure). “Contextualiser” des conceptions exprimées (des représentations utilisées) par
des auteurs ou des acteurs, c’est considérer leur valeur de repères dans les processus “production de
sens”, leur “énonciation” dans un certain contexte historique produisant du sens par interaction avec le
contexte. Ainsi, ce ne sont pas les conceptions que nous considérons comme “fondamentales” mais le
procès (process) d’interaction entre acte de langage et situation socio-historique. Dans La pragmatique,
Françoise Armengaud montre que le concept de “contexte” adossé à celui de “monde possible” est central
chez des théoriciens comme Francis Jacques, dons les travaux prolongent le pragmatisme de Charles
Sanders Peirce [1839-1914] et l’interactionnisme de G.H.Mead [1863-1931]. (Cf. spécialement pp 60-63,
La pragmatique, Presses Universitaires de France, Paris 1985, 128p). En choisissant d’approfondir la
Logique de John Dewey, et de nous appuyer sur le concept central de situation, comme théorie
contextualisée dans l’Amérique de la fin du prestige de l’École de Chicago, nous cherchons à structurer
un arrière-plan conceptuel plus spécifiquement adapté à une problématique de l’intervention, la
pragmatique s’attachant pour l’essentiel aux usages ordinaires de la parole.
16
Nous réservons l’adjectif “épistémologique” pour désigner une démarche globale de réflexion
associée à l’activité scientifique. Par “épistémique” nous entendons la recherche restreinte de garanties de
scientificité.
17
L’expression “citoyens-contribuables” désigne des co-producteurs/bénéficiaires de biens et/ou de
services publics qui sont financés par des prélèvements obligatoires, directs ou indirects. L’enjeu réside
dans la capacité du contrôle démocratique du rapport coût / avantage du prélèvement imposé au citoyen.
Au plan national français, le manque de capacité d’influence (voire de détention d’informations) par les
Parlementaires sur les décisions prises par les hauts fonctionnaires du Ministère des finances montre
combien nous sommes éloignés en France d’une modalité de contrôle effectivement démocratique dans ce
domaine.
18
L’expression “clients-consommateurs” désigne une catégorie de bénéficiaires dont le statut
présuppose une liberté de la décision d’engagement d’une dépense financière en vue d’obtenir un bien ou
un service. Lorsque le coût d’une partie du bien ou du service est couvert par un prélèvement obligatoire,
le “contrôle démocratique” de la circulation de moyens de financement peut compléter la régulation
assurée par la liberté de l’acte d’achat.
19
Expression deweyenne.
20
José A Prades, R Tessier et J-G Vaillancourt Environnement et développement. Questions éthiques
et problèmes socio-économiques (Montréal, Fides, 1991, 374p,).
21
Emmanuel Kant, L’anthropologie du point de vue pragmatique (Flammarion, Paris, 1993,
traduction Alain Renaut, 351p)
22
Ces quelques propos mette en évidence en quoi le personnalisme contemporain, qu’il soit de
Charles Renouvier ou des auteurs réunis autour d’Emmanuel Mounier est un néo-kantisme.
23
Ici encore, cette conception précise est à rapprocher du kantisme tel que Samuel Coleridge l’a
reformulé et tel que les philosophes américains l’ont importé, ainsi que le montre Gérard Deledalle dans :
La philosophie peut-elle être américaine ?, J. Brancher Editeur, Paris 1995, 306p).
24
Dans son introduction du livre Le pragmatisme, Éditions Flammarion, Paris, 1968, 247p, 1ère édition
américaine en 1907.
25
John Stuart Mill, De la liberté, (Gallimard, Folio-Essais, Paris, 1990, 243p).
26
Walter Lippmann, Public Opinion, Free Press, New York, 1922/1997, 272p. Walter Lippmann, The
Phantom Public, Transaction Publishers, (1927/1999, New Brunswick, USA, 1995p).
27
La conception de “liberté positive“ comme opportunité effective de réalisation personnelle, opposée
à la “liberté négative“ comme absence d’interférence extérieure, a été définie par Isaiah Berlin, par
exemple dans Éloge de la liberté, Calman-Lévy, Paris, 1988. Des économistes du développement humain
comme Amartya Sen prenne appui sur ces conceptions pour structurer leurs propositions de
représentation et d’action sur les situations socio-économiques contemporaines. Voir par exemple :
L’économie est une science morale, La découverte, Paris, 1999, 126p, spécialement pp 47 à 51.
28
Alban Bouvier, Philosophie des sciences sociales, PUF, Paris, 1999, 259p.
29
Nous ne pouvons que penser au fameux mot du moraliste portugais Miguel Torga, rédigé dans les
années 30 de l’autre côté de l’Atlantique : “l’universel c’est le local moins les murs”.
30
Sous la direction de José A. Prades, Jean-Guy Vaillancourt et Robert Tessier, Environnement et
développement, questions éthiques et problèmes socio-politiques, Editions Fides, Québec, 1991, 371p.
31
Deux ouvrages, l'un plutôt orienté vers des applications pratiques, l'autre associant judicieusement
applications et sources théoriques doivent être cités ici. Le premier est Influencer avec intégrité (Génie
Laborde, Interéditions, Paris, 1987). Nous ne soustrayons pas à tous les présupposés majoritairement
comportementalistes des méthodes proposées par cet auteur, ainsi que la croyance en la valeur de
l'efficacité à court terme sur laquelle elles se fondent mais le chapitre “Echelle des valeurs et échelle des
critères”, (p 165 à 174) se rapproche de notre démarche. Le second ouvrage, beaucoup plus proche du
travail que nous présentons ici, spécialement pour tout ce qui a trait au développement organisationnel,
est l'ouvrage de Pierre Louart Succès de l'intervention en gestion des ressources humaines (Editions
Liaisons, Rueil-Malmaison, 1995), qui est une synthèse remarquable présentant une ensemble cohérent de
connaissances et des compétences qui peuvent être sollicitées pour mener à bien une intervention en
gestion des ressources humaines. Il montre ainsi que, par définition, épistémologie et axiologie sont
inséparables dans le cadre d'une méthodologie d'intervention en faveur d'une valorisation des ressources
humaines. (op. cit. p 47)
32
Louis Lavelle, Traité des valeurs, PUF, Paris ; Tome 1, 1951, 751p ; Tome 2, 1955, 560p.
33
Karl Popper, La connaissance objective, Champs-Flammarion, Paris, 1979 ; 578p.
34
L’épistémologie devient cette “connaissance de la connaissance objective”.
35
C’est Karl Popper qui utilise ce mot (op. cit. p 251).
36
Jean-Louis Le Moigne, p 10 in Les épistémologies constructivistes, PUF, Paris, 1995, 128p.
37
Pierre Louart dans son livre Succès de l’intervention en gestion des ressources humaines, montre
que le réel perçu et les valeurs assignées à ce réel étant inséparables, les conditions de production de
connaissances dans le contexte d’une intervention qui n’existe qu’en vue d’améliorer une situation
dépend de l’exercice d’orientations normatives au fur et à mesure du procès d’intervention (Editions
sociales, Rueil-Malmaison, 1995, 314p, voir spécialement le chapitre II)
38
Jean-Marc Ferry, Philosophie de la communication, Cerf, Paris, 1994, 123p.
39
Pp 141-182, in : Épistémologies et sciences de gestion , sous la direction d’Alain-Charles Martinet
(Éditions Économica, Paris, 251p).
40
Op. cit. p 177.
41
Voir : Eliott Jaques, Intervention et changement dans l'entreprise, (Dunod, Paris, 1972).
42
Niveau en arrière-plan mais qui constitue et rend effective l'éthique de communication associée à
l’épistémologie axiologique proposée.
43
Réponses apportées par lui, ses partenaires et/ou des membres du système-appropriant.
44
Voir par exemple : Francisco J. Varela, Connaître, les sciences cognitives, tendances et
perspectives, Seuil, Paris, 1989, 125p.
45
Patrick Richaudeau, dans un article intitulé “ Des conditions de la mise en scène du langage ”,
propose une conception d’arrière-plan utile pour alimenter cette réflexion dans une section du livre
collectif L'esprit de société, (sous la direction de Anne Decrosse, Pierre Mardaga_éditeur, Paris, 1993,
326p) .
46
Année de naissance de l’auteur de cette thèse.
47
Paul-Henri Chombard de Lauwe, Pour une sociologie des aspirations, (Ed Denoël Gonthier, Paris,
1971, 211p).
48
Il existe un champ clinique spécifique “d’épuisement professionnel “qui correspond aux risques
présentés ici. Il s’est surtout développé en s’appliquant aux activités des professionnels de la santé et de
l’action sociale.
49
Emmanuel Mounier, Traité du caractère, Seuil, Points, Paris, 1974, 383p.
50
Au sens positiviste réaliste traditionnel du terme, réévalué par l’analyse critique des conditions
socio-culturelles de production de ce savoir.
51
José A. Prades L’éthique de l’environnement et du développement, (PUF, Paris, 1995, 128p).
52
Sur ce point, nous ne partageons pas ni la visée de cette ambition, ni la prétention à universalité qui
résulte de la fiction de l’avoir atteinte.
53
Encore un verbe dérivé de l’étymon “plicare”.
54
Voir pp 30 à 42 dans Le management de projet de Jean-Marie Hazebroucq et Olivier Badot, PUF,
Paris, 1996, 128p). Pour une présentation plus détaillée de l’ingénierie concourante spécialement dans ses
liens avec la gestion de l’information et de la communication on peut se reporter à : L’ingénierie et la
gestion d’informations, de Patrick Bourdichon, Hermes, Paris, 1994, 249p.
55
Op. cit. Le management de projet, pp 79-80.
56
C. Navarre, in Pilotage de projets et entreprises, (Paris, ECOSIP/Economica, 1993)
57
Adaptation de la synthèse des métarègles de gestion concourante proposée par Jean-Marie
Hazebroucq et Olivier Badot, dans Le management de projet, (PUF Que-sais-je N°3059, Paris, 1996, p
94).
58
Op. cit. p 42.
59
Coordonné par Marie-José Avenier pp 269-297 La stratégie “chemin faisant, Economica, Paris,
1997, 393p.
60
Ibid.
61
Ce titre est très similaires à celui de notre thèse, le mot catalyse étant souvent un équivalent du
terme “activation” dans les sciences de la vie.
62
Sous la direction de Philippe Lorino, pp 153-201, Enquête de gestion, à la recherche du signe dans
l’entreprise, l’Harmattan, Paris, 2000, 366p.
63
Sous la direction de Pacale Brossard, Claude Chanchevrier, Pierre Leclair, Ingénierie concourante,
de la technique au social, Economica, Paris, 1997, 166p.
64
Op. cit. pp 39-55.
65
C’est une expression-clé de John Dewey dans Logique, la théorie de l’enquête, (op. cit.) Donald A.
Schön l’utilise pour construire une proposition de méthodologie de gestion collaborative des politiques
publiques sociales dans le texte “Generative Metaphor : A Perspective on Problem-Setting in Social
Policy”, paru dans Metaphor and Thought, 1979, New York, Cambridge University Press, pp 254-283.
Réédité dans le Tome 7 de Changement planifié et développement des organisations, Presses Université
du Québec, Québec, 1992, pp 311-344.
66
Op. cit. p 117.
67
Inspiré des pp 189-225 dans L’ingénierie et la gestion d’informations, de Patrick Bourdichon,
(Hermes, Paris, 1994, 249p).
68
Herbert A. Simon, Sciences des systèmes, sciences de l’artificiel, Dunod, Paris, 1974, 225p.
69
Op. cit., pp 154-155.
70
Op. cit. p 165.
71
Donald A. Schön , dans : “Generative Metaphor : A Perspective on Problem-Setting in Social
Policy”, paru dans Metaphor and Thought, 1979, New York, Cambridge University Press, pp 254-283.
Réédité dans le Tome 7 de Changement planifié et développement des organisations, Presses Université
du Québec, Québec, 1992, pp 311-344.
72
Donald A. Schön , article cité, p 324.
73
P 91 in : Ingénierie concourante, de la technique au social, sous la direction de Pacale Brossard,
Claude Chanchevrier, Pierre Leclair, (Economica, Paris, 1997, 166p).
74
Donald A. Schön, The reflexive practicioner, How professionals think in action, Harper Collins
Publishers, Basic Books, New York, 1983.
75
G. Garel et C. Midler dans l’article “Concourance, processus cognitifs et régulation
économique “paru dans la Revue Française de Gestion, en juin 1995. Extrait cité p 91 in : Ingénierie
concourante, de la technique au social, sous la direction de Pacale Brossard, Claude Chanchevrier, Pierre
Leclair, (Economica, Paris, 1997, 166p).
76
“Creative democracy : the task before us “In L. Hickman & T. Alexander”(Eds), The essentiel
Dewey : Volume 1, pragmatism, education, democracy, Bloomington, Indiana University Press, 1998.
77
Voir par exemple de Phyllis D. James : Une certaine justice, trad. de l'anglais par Denise Meunier,
LGF Le Livre de poche; 2000, 508 p.
78
Cette question de la “chaîne de la valeur “est centrale dans les nouvelles approches de gestion
publique ou privée. Philippe Lorino et Jean-Claude Peyrolle, en conclusion de Enquête de gestion, à la
recherche du signe dans l’entreprise, (L’Harmattan, Paris, 2000, 366p) insiste sur le fait que désormais
“des pans entiers de la chaîne de la valeur sont confiées à des organisations partenaires situées
quelquefois à l’autre bout du monde” (op. cit. p 329).

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