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Compte-rendu d’Arthur DEVRIENDT

Arthur DEVRIENDT
Master 2 recherche Aménagement & Urbanisme
« Economie et Territoires », Mr Beckouche

Le Maghreb dans l’économie numérique


Mezouaghi M. (dir.), Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, Maisonneuve & Larose, 2007

Le Maghreb dans l’économie numérique a été publié en 2007 chez l’éditeur Maisonneuve &
Larose, sous l’impulsion de l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain ; ce dernier étant
l’un des 27 Institut Français de Recherche à l’Etranger (IFRE - établissement sous tutelle du
Ministère français des Affaires étrangères, du Ministère de l’Education nationale, du Ministère de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du CNRS).

Placé sous la direction de Mihoub Mezouaghi, économiste actuellement en poste à l’Agence


Française de Développement (AFD), Le Maghreb dans l’économie numérique est un ouvrage
collectif : 16 contributeurs y ont ainsi participé, pour un total de 14 articles (introduction - « La
diversité des trajectoires d’insertion dans l’économie numérique. Une approche socio-économique »
- incluse). Ces contributeurs appartiennent à des disciplines différentes à savoir notamment
l’économie, le droit et la géographie (avec l’article d’Annie Chéneau-Loquay, “la” géographe
spécialiste des NTIC sur le continent africain).

Que vise cet ouvrage ?

Selon Mihoub Mezouaghi, le Maghreb serait, à l’échelle mondiale, marginalisé dans les réseaux
globaux de l’information et la communication. Pour autant, cela ne doit pas occulter le fait que des
« logiques spécifiques d’insertion [...] dans l’économie numérique » sont à l’oeuvre au sein de cette
région. Les auteurs nous proposent d’approcher ces logiques sous trois angles, qui dessinent le plan
de l’ouvrage : « l’appropriation technologique », « la formation de nouveaux modes de régulation »
et « l’émergence d’un tissu productif dans le secteur des TIC. » Comme nous le verrons, à chacun
de ces niveaux, des « contraintes » s’exercent et limitent l’intégration du Maghreb dans l’économie
numérique.

La contrainte d’appropriation technologique

Cette contrainte est abordée par les articles de Pascal Renaud (« Internet au Maghreb et au
Machrek. De la “Recherche et Développement” à l’appropriation sociale »), d’Hocine Khelfaoui
(« Stratégies individuelles et collectives d’intégration des TIC en Algérie ») de Marie Coris (« Des
logiciels libres pour le Maghreb ? Des opportunités théoriques aux réalités empiriques ») et de Jamil
Chaabouni et de Riadh Zghal (« Introduction et utilisation des TIC dans les PME tunisiennes. Biens
de consommation ou outils de création de la valeur ? »).

Pascal Renaud montre que la Tunisie et l’Egypte se sont insérés très tôt à l’Internet des chercheurs.
En 1991, la Tunisie est le seul pays africain a être pleinement connecté à Internet. En 1993, ces
deux pays créent leur réseau national pour la recherche, soit « la même année que la France et avant
bien d’autres pays européens. » Toutefois cette « insertion précoce dans l’Internet des chercheurs »
n’a été que d’un faible apport quand l’on voit aujourd’hui que ces deux pays occupent « une
position relativement médiocre dans l’Internet sociétal ». Il n’y a pas eu dans ces pays diffusion de
l’Internet à l’ensemble des acteurs socio-économiques. Pourquoi ? P. Renaud évoque quelques
pistes à savoir, entre autres, le fait que les utilisateurs de base n’ait pas été assez associé au
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développement de l’Internet ou encore, même s’il ne le juge pas fondamental, le fait que le
monopole ait été maintenu sur certains services de télécommunication...

Hocine Khelfaoui s’intéresse au cas algérien, où, dans les années 70 et 80, de grandes politiques
d’industrialisation ont été menées, sous la férule d’un Etat « centraliste et dirigiste ». Aujourd’hui,
les grands discours médiatiques s’enchaînent à propos des TIC ; toutefois ce n’est plus l’Etat qui est
au centre du jeu. On a affaire désormais à des « acteurs locaux et individuels » qui développent
« des initiatives foisonnantes et multiformes [mais qui] sont confrontées à l’absence d’une politique
de régulation et de vision globale venant de l’Etat, ainsi qu’à l’insuffisance d’une infrastructure de
base nécessaire [à l’utilisation des TIC]. »

L’article de Marie Coris insiste également sur le rôle de la politique publique vis-à-vis de
l’appropriation des nouvelles technologies. L’auteur s’intéresse notamment aux logiciels libres, et
ce en Tunisie et au Maghreb. A priori la situation semble bien différente entre les deux pays : d’un
côté la Tunisie où l’on a une volonté politique forte d’encourager l’utilisation des logiciels libres
mais volonté qui « semble contrariée par la lenteur de la concrétisation de cette politique et par le
manque de relais au niveau micro-économique » et de l’autre le Maroc où l’on note « une absence
de volonté politique » mais une très forte dynamique individuelle. Toutefois dans les deux cas on
retrouve les mêmes facteurs de blocage à une utilisation poussée des logiciels libres : pour l’auteur,
il est nécessaire d’avoir une politique publique forte, qui ne se contente cependant pas de suggérer
mais qui prenne des « mesures concrètes sur le système de formation et sur le système productif ».

Enfin, l’article de Jamil Chaabouni et de Riadh Zghal aborde la question de l’appropriation non plus
au niveau des politiques publiques mais au niveau des petites et moyennes entreprises (tunisiennes
dans le cas présent) où le taux de pénétration des TIC « est faible ». Pour les auteurs, cela est dû à la
fois à une faiblesse des facteurs pull (qui orientent les usages des TIC) et des facteurs push (qui
poussent à l’adoption des TIC). Du côté des facteurs pull, les TIC y sont « perçues comme un
produit de consommation utilitaire pour la réduction des coûts, plutôt que comme un véritable
instrument de développement, de gestion, de changement organisationnel et de production de valeur
ajoutée. » Du côté des facteurs push, on s’aperçoit que la contrainte émanant des partenaires
extérieurs pour que les PME algériennes s’équipent est faible et les personnels n’exercent pas de
pression particulière auprès de leur direction pour introduire les TIC.

La contrainte de régulation

Comme le rappellent Yamina Mathlouthi et Mohamed Bouhani (dans l’article « Déréglementation


des télécommunications et performances des opérateurs dans les pays en développement »), « la
plupart des pays en développement ont opté, volontairement ou sous des pressions extérieures, pour
des réorganisations structurelles et réglementaires du secteur. » Selon ces auteurs, à partir des 29
pays africains, sud-américains et asiatiques qu’ils ont étudié, « globalement, la privatisation et la
concurrence se traduisent toutes deux par une accélération notable des performances ».

Toutefois, l’article de Jean-Pierre Bras (« Internet au Maroc et en Tunisie. Entre réglementation et


régulation ») vient nuancer ces propos. Son article traite du cadre juridique mis en place en Tunisie
et au Maroc à propos d’Internet. Dans le cas marocain, c’est le modèle de la régulation qui s’est
imposé (ou autrement dit, celui de la sous-réglementation), caractérisé par une concurrence entre les
opérateurs du secteur, par une production normative faible et par un déploiement institutionnel
minimal. Dans le cas tunisien, c’est le modèle de la réglementation (ou plutôt de la sur-
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réglementation) qui s’est imposé : l’Etat y est ainsi l’acteur premier de la diffusion d’Internet,
l’activité des acteurs économiques est encadrée étroitement, l’appareil administratif est sophistiqué
et le degré d’interventionnisme économique est fort... Les résultats des investigations de Jean-
Philippe Bras ne viennent pas féliciter un modèle juridique au détriment d’un autre : les deux ont
des résultats contrastés. Toutefois, avec les changements à venir, le modèle marocain semble mieux
placer.

Enfin, toujours dans le chapitre “régulation”, nous avons l’article de Mustapha Ben Letaief (« Droit,
administration publique et TIC en Tunisie ») à propos de la mise en place d’un e-gouvernement en
Tunisie. L’auteur montre ainsi comment les autorités tunisiennes oscillent vis-à-vis des TIC entre
méfiance et attraction : d’un côté, les TIC et l’e-administration peuvent être un formidable moyen
de re-légitimer une administration en crise, mais, de l’autre, les pouvoirs publics se méfient que les
TIC « ne remettent en cause la stabilité et l’avenir des systèmes politiques et des modes de
gouvernance autoritaires ». Ainsi l’auteur note une « déconnexion entre un discours qui se veut
libéral et des usages qui s’avèrent, le plus souvent, inscrit dans un cadre restrictif ». Pour Mustapha
Ben Letaief, on assiste avec le développement du web tunisien, à une véritable « mise sous contrôle
de la société ».

La contrainte d’émergence d’une capacité productive

Dans leur article, Andrea Goldstein et Serge Perrin (« La stratégie internationale d’un groupe nord-
africain de télécommunications : le cas d’Orascom ») s’intéressent au groupe Orascom, véritable
“multinationale émergente” à la croissance rapide et au succès indéniable, en s’étendant sur
plusieurs pays de la rive sud de la Méditerranée et même au-delà, grâce notamment à son
comportement de prise de risque. L’ambition aujourd’hui ouvertement affichée de la famille Sawiris
(actionnaire majoritaire) est de faire d’Orascom l’opérateur GSM de référence dans le bassin
méditerranéen.

Toutefois, au-delà de cet exemple de réussite, l’article de Yamina Mathlouthi et de Mihoub


Mezouaghi (« L’émergence de SSII en Tunisie. Des contraintes de transition industrielle ») montre
que l’émergence d’un secteur TIC dans le contexte de transition industrielle qu’est celui de
« l’après-textile » ne se fait pas sans mal malgré les importants programmes d’investissements
publics. En effet, un certain nombre de contraintes (contrainte de marché, contrainte de
financement, contrainte de coordination, contrainte de régulation) aboutissent à plusieurs fragilités
sectorielles : faible internationalisation du secteur ; dépendance à l’égard de la demande publique
(qui a tendance à se tasser) ; concentration des capacités de production (ce qui a pour conséquence
un effet d’éviction des petites entreprises entrantes) ; et, faible spécialisation des entreprises du
secteur.

Par ailleurs, la plupart des pays du Maghreb se sont lancés, depuis la fin des années 90, dans la
réalisation de technopôles à savoir des « espaces à forte densité technologique susceptible de
permettre un ancrage territorial d’activités à forte valeur ajoutée, à travers une articulation localisée
des acteurs de la production, de la recherche et de la formation. »
C’est ainsi le cas de la Tunisie, avec la création de la cité technologique El - Ghazala. Toutefois,
comme le notent Mihoub Mezouaghi et Jacques Perrat (« Les territoires de l’innovation
technologique. Quelle pertinence du modèle technopolitain ? »), on y observe une dynamique assez
faible. Pourquoi ? La concentration des acteurs n’y est pas véritablement l’expression d’une logique
d’accès aux ressources locales mais plutôt d’une logique commerciale. Par ailleurs, la relation entre
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la performance des acteurs et leur localisation n’est pas évidente et, enfin, le volontarisme public
s’y est confondu en une démarche interventionniste forte.

Conclusion

Le Maghreb a encore un certain nombre de contraintes à dépasser avant de pouvoir se réclamer


entièrement de l’économie numérique.

Par rapport au livre en lui-même, trois critiques peuvent être énoncées :

Premièrement, à aucun moment ne nous est proposé une vision d’ensemble de la situation des TIC
au Maghreb. On a une compilation d’articles sur des aspects très précis ou très généraux mais re-
situer tout cela dans le contexte régional maghrébin n’est pas évident, a fortiori si l’on découvre
cette partie du monde sous l’angle des TIC.

Deuxièmement, les expressions à la mode d’économie numérique, d’économie de la connaissance,


de fracture numérique, de société de l’information voire même de technologies de l’information et
de la communication sont souvent reprises sans forcément être déconstruites et critiquées.

Enfin, l’on peut regretter une approche centrée uniquement sur les institutions et à aucun moment
sur les pratiques des acteurs élémentaires, à savoir les individus, les habitants, et aux incidences de
ces pratiques sur la vie sociale (rapports de pouvoir, rapports de genre, famille, pratiques
citoyennes).

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