La mobilité sociale est un concept relativement récent qui concerne uniquement les sociétés modernes qui sont des sociétés fluides, où
le statut social est acquis et non donné à la naissance.
Remarque 1 : la mobilité sociale est un thème qui intéresse autant les profanes que les sociologues :
• les profanes : le désir de réussir, de grimper dans l’échelle sociale est un des thèmes favoris de la mythologie populaire.
• les sociologues : la mobilité sociale remet en cause l’idée d’un strict déterminisme qui pèserait sur les destinées individuelles.
Mais cette mobilité est-elle réelle ?
Remarque 2 : La mobilité sociale est une idée moderne : C.Bouglé oppose deux modèles de sociétés :
• dans le premier, l’identité est assignée à la naissance, comme dans les anciennes civilisations de castes et d’ordre.
• Dans le second, l’identité est acquise et modifiable comme dans les sociétés modernes.
Remarque 3 : Pour les sociétés traditionnelles on peut distinguer deux types dominants :
• les castes présentent un système hiérarchique rigide ( les différents groupes sont inégaux en droit ), clos (chaque groupe est
replié sur lui-même: homogamie stricte); le statut social est héréditaire (il se transmet de génération en génération.
• Le système d’ordres est de même nature mais il y a une différence de degré : il peut y avoir mobilité sociale, limitée et
contrôlée par l’Etat (anoblissement, achat de charge).
• Ce sont donc des sociétés rigides dans lesquels la mobilité sociale est soit inexistante soit marginale. Le statut social est assigné
à l’individu par la société.
1
On distingue deux types de mobilité
Cette distinction est importante pour l’évaluation qu’on peut faire des flux de mobilité :
• En effet, si la distribution sociale des positions ne changeait pas, il n’y aurait pas de mobilité
structurelle ; toute la mobilité observée serait nette. Dans ce cas et seulement dans ce cas,
une immobilité totale est possible.
• La mobilité nette suppose que les flux s’équilibrent : si quelqu’un connaît une mobilité
sociale ascendante, un autre connaît une mobilité sociale descendante
• Tandis que, si la distribution des catégories a changé, il est nécessaire qu’une quantité
minimale de mobilité, dite structurelle, se soit produite.
• Dans la mobilité structurelle, il n’ y a pas forcément de compensation : tous peuvent avoir
une mobilité sociale ascendante ou descendante .
Cette idée qu’il existerait 2 types de mobilité est contestable . Une nouvelle distinction a donc
été établie qui considère que les phénomènes de mobilité sociale doivent être étudiés selon 2
points de vue différents et complémentaires :
- celui des taux absolus de mobilité, encore appelés mobilité observée consiste à analyser la
mobilité telle qu’elle est affectée par l’évolution de la distribution socioprofessionnelle des
fils comparativement à celle des pères
- celui de la fluidité sociale ou taux relatif de mobilité vise à étudier la force du lien entre
l’origine et la position sociale indépendamment de l’évolution de la distribution
socioprofessionnelle des fils comparativement à celle des pères . Afin de mesurer la fluidité
sociale , les sociologues calculent le rapport des chances relatives ( ou odds ratios) :
supposons que sur 100 fils de cadres , 80 deviennent cadres et 20 ouvriers , que sur 100 fils
d’ouvriers , 75 deviennent ouvriers et 25 deviennent cadres , alors :
2
Cela signifie que les fils de cadres ont 12 fois plus de chances de devenir cadres qu’ouvriers que
les fils d’ouvriers.
• mobilité individuelle/collective
Les changements sociaux qui affectent les effectifs des groupes, interfèrent nécessairement
avec la mobilité des individus et ont aussi des effets sur le classement social des groupes :
• D’une période à l’autre, la signification sociale de l’appartenance à une catégorie sociale
donnée peut varier sensiblement.
• Ex : les instituteurs étaient des notables sous la III° République. Avec la généralisation de
l’enseignement secondaire et la forte croissance des autres professions supposant un
niveau de diplôme équivalent au leur, ces groupes professionnels ont vu décliner leur
prestige et leur place relative dans l’espace social.
• Dès lors, on doit se demander si, dans l’analyse de la mobilité individuelle , il convient de
tenir pour immobile , par exemple , un professeur fils de professeur , ou pour mobile
ascendant un professeur fils ou petit-fils d’instituteur .
- La plupart du temps, les tables de mobilité sont des tables intergénérationnelles, concernant uniquement les hommes
actifs
de 40 à 59 ans. Ce choix s’explique par plusieurs raisons :
• Les hommes sont plus souvent actifs que les femmes
• Entre 40 et 59 ans, leur statut social est maximum
- A chaque intersection d’une ligne et d’une colonne, on obtient le nombre d’individus appartenant à une CSP x dont le
père appartenait à une CSP y
Pour opérer des comparaisons pertinentes, on va passer des nombres aux pourcentages
- A la fin de chaque ligne, on a alors le nombre d’individus de la génération des fils appartenant à chaque CSP
- En divisant chaque ligne par le total, on obtient le pourcentage d’individus d’une CSP dont le père avait telle ou telle
CSP
- C’est la table de recrutement qui donne l’origine sociale des individus de chaque CSP
- A la fin de chaque colonne, on a le nombre de fils pour chaque CSP des pères
- En divisant chaque colonne, par le total, on obtient le pourcentage d’individus dont le père appartenait à une CSP et
qui appartiennent à telle ou telle CSP
- C’est la table de destinée qui indique ce que sont devenus les fils de chaque CSP
-
3
• elles ne comprennent que les hommes, or la moitié de la population est composée de femmes. Cela se justifiait certes par le
passé quand la majorité des femmes était inactive, cela l’est beaucoup moins aujourd’hui. Pour tenir compte de cette évolution,
les statisticiens ont établi des tables de mobilité comparant la CSP des filles à celle de leur père, mesure imparfaite car la
structure des emplois féminins est différente de celle des emplois masculins, mais seule mesure dont in puisse disposer
aujourd’hui, en raison du faible taux d’activité des mères
• on ne retient que les individus de 45 à 59 ans, car on considère que le statut social est à cet âge définitif. C’est, en réalité, trop
simpliste, en particulier dans une société dans laquelle, contrairement à celle des années 50, les qualifications et les professions
évoluent rapidement, et le taux de chômage élevé.
• nominativement les CSP ne changent pas, mais qualitativement, l’image voire le prestige social des CSP évoluent. Ainsi, un
fils d’instituteur devenu professeur connaît, d’après les tables, une mobilité ascendante, passant des professions intermédiaires
aux professions intellectuelles supérieures. Qu’en est-il en réalité ?
• les tables sont établies à partir d’enquêtes au cours desquelles on interroge les fils sur la profession de leur père au même âge,
mais certains métiers ont disparu, certains enfants ne peuvent définir avec précision la profession de leur père, d’où un flou peu
compatible avec la rigueur statistique
• les tables de mobilité peuvent être établies à des niveaux de décomposition différents : on peut ainsi soit retenir les 6 CSP
traditionnelles, soit opérer une comparaison à 3 niveaux : classes populaires, moyennes, supérieures. Dans le premier cas, un
fils d’agriculteur devenant ouvrier ou employé est mobile ; dans le second, il ne l’est pas.
4
Partie 1 – Constat
Conclusion : La mobilité sociale est non négligeable, néanmoins la viscosité sociale demeure réelle.
Constat : (7 et 8 p 128)
• Si on compare les tables de 2003 avec celles de 70, on se rend compte que la mobilité sociale .a globalement augmenté, puisque
les chiffres qui mesurent l’immobilité sociale (ceux de la diagonale) ont diminué.
• On peut aussi étudier l’évolution de la mobilité sur une plus grande période. On peut construire un tableau différent des
autres, composée seulement de 3 catégories : au lieu des 6 CSP, on divise la population étudiée en 3 classes : supérieures,
moyennes et populaires . On peut alors étudier l’évolution de la mobilité entre 53 à 77 : la mobilité sociale a faiblement
augmenté, les chiffres les plus forts sont toujours sur la diagonale, même s’ils diminuent faiblement pour les classes supérieures
: En 53, 51% des fils appartenant à la classe dirigeante restent dans cette classe ; en 77, 51%. Pour les classes moyennes, le
pourcentage d’individus restant dans sa classe d’origine passe de 56% à 45 %.
Pour voir les données statistiques :
Champ : Hommes et Femmes actifs, ayant un emploi, de 35 à 59 ans dans un découpage en huit catégories.
Le bilan est moins favorable depuis une dizaine d’années (on ne dispose pas encore des données concernant les femmes) :
Champ : Hommes actifs ayant un emploi, ou anciens actifs ayant un emploi, de 40 à 59 ans dans un découpage en six catégories.
La mobilité observée a cessé de progresser durant les dix dernières années, elle a même légèrement régressé mais de manière non
significative.
5
en % 1977 1993 2003
Taux de
57 65,3 64,7
mobilité
dont
mobilité
20 22 25
structurelle
(en points)
dont
mobilité
37 43 40
nette (en
points)
Champ : hommes actifs ayant un emploi ou anciens actifs ayant eu un emploi, âgés de 40 à 59 ans en 1977, 1993 et 2003.
On remarque que la mobilité nette a diminué depuis 1977. A quoi cela peut-il être dû ? Stéphanie Dupays ("En un quart de siècle, la
mobilité sociale a peu évolué", dans Données Sociales, 2006) explique cette évolution par une diminution de la mobilité
professionnelle (intragénérationelle). Par exemple, 40% des employés interrogés en 2003 sont dans la même position professionnelle
que lorsqu’ils ont débuté (contre 30% en 1993). Cette moindre mobilité professionnelle est due à un contexte économique moins
favorable.
C’est alors toute la question du verre à moitié vide ou à moitié plein qui est posé :
• selon certains, comme L.A.Vallet : « on détecte pour la société française une érosion lente et statistiquement très significative
du niveau général de l’inégalité des chances sociales . Cette évolution paraît si régulière qu’elle peut même être résumée par un
paramètre unique qui décrit alors une tendance linéaire . Cela conduit à dire que le niveau général de la fluidité sociale s’est
accru au rythme de 0,5 % par an durant 40 ans . ( … ) Parmi les quelques 12 millions de français âgés de 35 à 59 ans et qui ont
un emploi en 93 , près d’un demi-million , c’est-à-dire à peu près 4 % occupent des positions sociales qui n’auraient pas été les
leurs en l’absence de cette augmentation de la fluidité sociale en 40 ans » . On peut aussi constater qu’en 1953 les chances
relatives de devenir cadre supérieur qu’ouvrier sont 1333 fois plus fortes chez les fils de cadres que chez les fils d’ouvriers . La
dernière enquêtre de 1993 montre que les chances relatives ne sont plus que 20,7 fois plus grandes chez les fils de cadres que
chez les fils d’ouvriers . L’inégalité des destins sociaux mesurée par cet indicateur reste importante , mais fait apparaître une
diminution marquée .
• Mais, comme le note D.Merllié « globalement , au rythme constaté sur 40 ans , il faudrait 2 siècles pour qu’on arrive à une
société où les destins sociaux ne dépendraient plus des origines » .Pour une société démocratique basée sur l’égalité des
chances , cela est surprenant .Les chances d’arriver à ce résultat sont d’ailleurs d’autant moins certaines que depuis la crise ,
l’ascenseur social semble en panne .
La plus faible mobilité mesurée par une classification à trois catégories s’explique par le fait q’une partie de la mobilité mesurée avec
une table à 6 catégories n’ y apparaît pas :
• ainsi un fils d’agriculteur devenant ouvrier connaît une mobilité sociale dans la table à 6 catégories
• mais est immobile dans la classification à 3 catégories : il reste dans la classe populaire.
• Il a changé de position sociale sans modifier sa place dans la hiérarchie sociale.
Constat : La différence des résultats entre table de destinée et de recrutement trouve son origine dans le fait que la mobilité sociale est
avant tout structurelle .
Exemple de compréhension :
- Les agriculteurs en sont un bon exemple:
• 22 % des fils d’agriculteurs sont devenus agriculteurs (destinée)
• mais 88 % des agriculteurs ont un père agriculteur (recrutement ) .
• Les fils d’agriculteurs sont obligés de quitter la terre du fait des changements économiques c'est-à-dire de l’évolution
sectorielle de la population active (cf chapitre 1 : hausse de la productivité et ralentissement de la demande) . Cette évolution
rend le métier d’agriculteur peu attirant d’autant plus qu’il faut déjà posséder les moyens de production, c’est-à-dire avoir un
père agriculteur.
- La mobilité structurelle explique aussi les différences de résultats pour les cadres :
6
• 52 % des fils de cadres sont devenus cadres (destinée)
• et 24 % des cadres sont fils de cadres.
• L’augmentation du nombre de postes de cadres (en particulier pendant les 30 glorieuses) a donc permis à la fois aux fils de
cadres de devenir cadres mais a aussi créé un appel d’offre pour d’autres catégories.
Conséquence : Ce qui explique donc d’abord la mobilité sociale, c’est principalement la transformation de la nature des emplois qui
résulte de 4 effets
il y a eu une translation vers le haut de la structure des emplois : une baisse de la part des agriculteurs et des ouvriers et une
augmentation de la part des cadres, employés, professions intermédiaires. Les fils ne peuvent donc plus occuper la même position
sociale que leur père ; et les emplois offerts sont à un niveau hiérarchique supérieur, ce qui permet une mobilité sociale ascendante
.Selon L.Chauvel : « au cours de la période de très forte croissance économique des 30 Glorieuses, il s’est produit une véritable
révolution de la structure sociale. D’où un appel d’air extraordinaire pour les enfants nés dans les années 40 (…) Pour ces
générations, l’escalator social a connu une prodigieuse accélération. Mais pour les suivantes, il s’est arrêté, voire inversé. C’est cette
panne qu’ont connu dans les années 80, les jeunes nés entre 1955 et 1965. Résultat, on commence à voir des accidents de parcours
chez les enfants de cadres et de plus en plus de jeunes en situation plus difficile que leurs parents »
2 - la fécondité différentielle
le développement de l’emploi féminin a permis la mobilité masculine .En occupant massivement des postes d’employés, les femmes
laissent aux hommes la possibilité d’avoir des postes plus élevés dans la hiérarchie sociale.
Mais, à terme, en raison de l’égalisation des conditions féminines et masculines, on peut envisager (et on doit souhaiter) une
ouverture de l’éventail des professions féminines , qui se rapprocheraient de celles des hommes . Mais alors, les femmes
concurrenceraient les hommes dont la mobilité sociale serait forcément plus réduite.
4 - l’apport de l’immigration
La mobilité sociale des jeunes français a été d’autant plus facilité pendant les trente glorieuses que les immigrés prenaient la place
(laissée libre par des jeunes qui s’élevaient dans la société) en occupant les emplois les plus mal payés et les moins valorisants
Mais depuis les années 70 , pour lutter contre le chômage , la France a fermé ses frontières à l’immigration . Dès lors , il faut bien que
quelqu’un occupe les emplois que ne peuvent plus prendre les immigrés , d’où une mobilité descendante pour une partie des jeunes
français .
Conclusion :
En résumé on peut dire que la mobilité sociale a certes progressé mais que cette mobilité :
• s’effectue par trajets courts,
• qu’elle est horizontale
• mais qu’elle résulte essentiellement des changements de structure plutôt que d’une plus grande fluidité de la population et
d’une réduction des inégalités,
• que cette mobilité structurelle dépend énormément du contexte économique et social, et que depuis 20 ans , elle est beaucoup
moins forte qu’elle ne l’était par le passé
7
Pour en savoir plus : un article de D.Merllié dans les cahiers français :
Mobilité sociale
Sommaire
La mobilité sociale désigne un changement de position sociale pour un individu ou un groupe d'individus. Sa mesure, et donc son
analyse, reposent sur la connaissance des groupes sociaux et de leurs évolutions au cours des ans. Les nombreuses études de la
mobilité sociale en France mettent en évidence une diminution du nombre de personnes " immobiles ", c'est-à-dire qu'un nombre
croissant de personnes ne sont pas classées dans la même catégorie que leur père. Ce constat ne suffit pas cependant à diagnostiquer
une réduction des inégalités dans les destins sociaux car les évolutions structurelles de la société (diminution du nombre
d'agriculteurs, augmentation du nombre de cadres supérieurs par exemple) pourraient expliquer à elles seules une certaine mobilité.
Des travaux récents, présentés ici par Dominique Merllié, montrent néanmoins une certaine progression de la fluidité sociale depuis
quelques décennies. Mais n'est-ce pas plutôt la réduction de la distance sociale entre les différents groupes qui explique ce résultat ?
" Le progrès technique et la division du travail, la croissance des villes et l'industrialisation ont provoqué une intense mobilité dans
les sociétés occidentales modernes ", écrivait Alain Girard dans un article sur " la mobilité sociale en France ", paru dans un ancien
numéro des Cahiers français (Girard, 1957). Qu'en est-il après plus de quarante ans d'autres changements sociaux importants ?
Toutes les sociétés comportent des groupes sociaux différenciés et inégalement valorisés. L'étude de la " stratification sociale " porte
sur les différenciations et hiérarchisations de ces groupes et débouche sur le constat d'inégalités sociales plus ou moins marquées.
Comment les individus sont-ils affectés à ces groupes sociaux ? Le sont-ils de manière stable et définitive, selon des mécanismes
rigides qui leur échappent, ou peuvent-ils en changer et ont-ils des moyens d'agir en ce sens ? Telle est la question qui préside à
l'étude de la " mobilité sociale ". Dans une société qui valorise la démocratie et la liberté individuelle, elle conduit à dissocier la
question de l'inégalité des conditions et celle de l'inégalité des chances (d'accès à ces conditions), la première pouvant paraître plus
admissible si les individus se voient offrir les moyens de changer de condition ou d'entrer dans une compétition équitable pour l'accès
aux différentes conditions.
Les enquêtes sur la mobilité sociale, qui visent à déterminer l'importance et la forme de la relation entre les origines sociales et les
destinées sociales (d'où viennent les individus des différents groupes ? Où vont ceux qui en sont issus ?), peuvent donc apparaître
comme des moyens de mesurer l'ouverture de la société et des différents groupes qui la composent. Une faible mobilité sociale
caractériserait une société rigide, peu favorable au libre épanouissement de l'individu ; une mobilité importante, traduisant une faible
détermination des destinées par les origines, impliquerait une société ouverte, capable de récompenser les efforts ou les qualités des
individus, selon un modèle qu'on qualifie parfois de " méritocratique ".
A cette aune, deux siècles après la Révolution qui a aboli les privilèges de droit (les ordres et les corporations de la société d'ancien
régime) et placé la liberté, l'égalité et la fraternité aux frontons de la République, un siècle après l'instauration de l'obligation et de la
gratuité scolaires, la société française a-t-elle effectivement évolué dans ce sens ? La mobilité sociale a-t-elle changé de forme et
d'importance ? Les enquêtes réalisées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (et depuis 1953 par l'INSEE) pour en prendre la
mesure (Merllié, 1994) doivent permettre de répondre à ces questions. Elles font apparaître une diminution sensible de la proportion
des individus que leur profession classe dans le même groupe socioprofessionnel que leur père (Vallet, 1999). Mais quelle
signification sociologique faut-il donner à ce constat ?
8
Qu'en est-il pour les hommes des principaux groupes socioprofessionnels (idem, chap. 3) ? Les agriculteurs se recrutent presque
exclusivement parmi les enfants d'agriculteur (tableau 1) ; mais ce n'est qu'une minorité de ceux-ci qui sont agriculteurs : leur destin
social les conduit plus souvent dans d'autres métiers et surtout dans les emplois ouvriers. Ce groupe illustre ainsi plusieurs traits
récurrents des tableaux de mobilité sociale : l'impression de stabilité ou de mobilité peut varier fortement selon qu'on s'interroge sur
les recrutements ou sur les destinées (c'est-à-dire selon le sens des pourcentages utilisés) ; la stabilité est assez importante et les flux
de mobilité n'associent pas n'importe quels groupes, mais plutôt des groupes socialement voisins, comme ici agriculteurs et ouvriers.
Les ouvriers se recrutent rarement à partir de groupes socialement supérieurs, surtout à partir d'eux-mêmes ou des agriculteurs et le
destin de leurs enfants, lorsqu'il les fait changer de groupe, ne les conduit pas souvent dans des positions sociales très éloignées (et
plutôt chez les employés ou les professions intermédiaires).
Les employés (beaucoup moins nombreux chez les hommes que chez les femmes, et souvent dans des métiers différents de celles-ci)
apparaissent comme le groupe socioprofessionnel le moins stable ou le plus " ouvert ", avec un recrutement assez diversifié comme les
destinées correspondantes. Leur position " moyenne " et ambiguë dans la structure sociale les ouvre à la fois aux flux ascendants et
descendants de mobilité sociale (Chenu, 1994).
Les indépendants autres que les agriculteurs (artisans, commerçants et chefs d'entreprise) manifestent une moindre stabilité du statut
social que les agriculteurs puisque leur statut d'indépendant est moins massivement " hérité ". L'hétérogénéité sociale de ce groupe se
marque dans des destinées qui conduisent leurs enfants aussi bien chez les ouvriers que chez les cadres.
Les membres des " professions intermédiaires " font apparaître une structure assez intermédiaire, justement, entre celles qui
correspondent aux employés et aux cadres. Ceux-ci, en haut de l'échelle sociale de ces groupes et comme au bout de la chaîne que
tendent à dessiner entre eux les flux de mobilité sociale, offrent un profil assez inverse de celui des agriculteurs : beaucoup de leurs
enfants restent dans le même groupe, qui, parce qu'il est en expansion, recrute assez largement à l'extérieur, mais surtout dans les
groupes les plus proches (et d'abord celui, adjacent, des " professions intermédiaires ").
Ce croquis trop sommaire serait à préciser en considérant des catégories plus spécifiques et plus homogènes(2). Il suffit cependant
pour remarquer que la structure des échanges qu'il manifeste entre les générations n'est pas fondamentalement différente de celle
qu'on observait dans des enquêtes plus anciennes, ni d'ailleurs de celle qu'on peut constater dans les changements éventuels de
profession en cours de carrière ou encore dans les milieux sociaux que rapprochent la formation des couples (Girard, 1964 ; Bozon,
1991) ou les amitiés (Pan Ké Shon, 1998). Ce qui est le plus spécifique aux flux de mobilité sociale entre les générations masculines
et à leurs évolutions est d'être polarisés par les changements rapides de la structure socioprofessionnelle : de moins en moins
d'agriculteurs, une proportion croissante, jusque vers 1975, puis déclinante, d'ouvriers, de plus en plus d'emplois de salariés non
manuels. Ces changements se traduisent en effet par des différences entre la structure des origines et celle des destinées qui orientent
nécessairement certains au moins des flux de mobilité.
La mobilité féminine
Ce qui vient d'être dit des hommes s'applique-t-il aux femmes (Vallet, 1992 ; Merllié, Prévot, 1997) ? Très largement si on étudie,
selon une pratique traditionnelle, le passage des femmes mariées ou vivant en couple du milieu où les classait leur père à celui où les
classe leur conjoint (Girard, 1964) : on peut dire que " les hommes ressemblent un peu moins à leur beau-père qu'à leur père
" (Gollac, Laulhé, 1987). Largement encore, si on étudie la relation entre la profession des femmes actives et celle de leur père
(tableau 2), mais avec la nécessité de tenir compte non seulement des changements qui affectent les générations mais aussi des fortes
différences entre la structure socioprofessionnelle des femmes et celle des hommes(3), qui impliquent des taux d'" immobilité " moins
élevés et font apparaître plus de mobilité " descendante " que pour les hommes, sans que le lien statistique entre origines et destinées
soit nécessairement moindre. Lorsque la mère était active, enfin, la profession de celle-ci paraît plus déterminante pour celle des
femmes que des hommes (Vallet, 1992).
Ainsi, le statut social, mesuré par la profession, est de moins en moins souvent " hérité " ou transmis d'une génération à l'autre. De
plus en plus d'individus font l'expérience d'un statut différent de celui de leurs parents. L'augmentation ou l'accélération des échanges
entre les groupes sociaux que traduisent ces résultats ont sans doute des effets à la fois sur le " vécu " des membres des différents
groupes, qui ont connu des histoires sociales plus diversifiées(6), et sur les groupes sociaux eux-mêmes, qui peuvent devenir à la fois
moins homogènes et socialement moins différenciés.
Ce premier résultat est donc important pour l'analyse sociologique de la société actuelle qu'il invite à comprendre à partir de son
histoire sociale (les bouleversements socio-économiques des dernières décennies). Il peut cependant laisser place à une autre question
qui reste entière. En effet, cet accroissement de la mobilité sociale observée s'explique d'abord par celui de l'évolution des structures
sociales. Ainsi, le tableau de mobilité de 1993 ne fait pas seulement apparaître moins d'individus sur la diagonale que celui de 1953,
9
mais aussi une plus grande différence entre les deux marges des tableaux, c'est-à-dire entre la structure des destinées (groupes des
enquêtés) et celle des origines (groupes de leurs pères)(7).
La question se pose donc de savoir si le progrès de la mobilité ne traduit que l'effet de ces changements structurels et dans quelle
mesure il peut signifier aussi un progrès de l'égalité des chances en tant que telle, c'est-à-dire une réduction des inégalités relatives
dans les conditions de l'accès aux différents statuts sociaux. Par exemple, les enfants d'ouvriers sont devenus plus souvent cadres en
fin qu'en début de période. Mais c'est au moins en partie l'effet de l'accroissement numérique du groupe des cadres (et il en va de
même pour les enfants de tous les groupes). Peut-on donc dire que les destins sociaux se sont assouplis dans un sens qui leur soit
favorable, qu'ils aient relativement plus " gagné " que d'autres groupes dans le jeu de l'évolution de la mobilité ?
C'est la même question que celle de la " démocratisation " de l'accès à un bien quelconque, par exemple l'enseignement. Le fait que de
plus en plus d'enfants en général, et de plus en plus d'enfants de tous les groupes sociaux en particulier, accèdent à un niveau scolaire
donné (comme le baccalauréat ou les études supérieures) implique des effets sociaux importants (pour le fonctionnement des
établissements, pour l'expérience sociale des élèves ou étudiants, pour la valeur sociale des diplômes et la transformation de la
structure des diplômes, etc.), mais on ne peut véritablement affirmer qu'il y a démocratisation si, à travers ces changements, les
inégalités sociales tendent à se maintenir au même niveau(8). On peut se demander de même si, à travers l'augmentation des
échanges entre les groupes sociaux que montrent les tableaux de mobilité sociale, c'est à une " démocratisation " des différentes
destinées sociales que l'on assiste.
Dans le vocabulaire qui s'est imposé dans les recherches sur la mobilité sociale (notamment avec les travaux de John Goldthorpe),
cela consiste à se demander si, au-delà (ou, en quelque sorte, au-dessous) des évolutions de la mobilité " absolue ", ou " observée ", la
mobilité " relative ", ou " fluidité sociale " a elle-même évolué (cf. par exemple Goldthorpe, 1995).
Pendant longtemps les réponses à cette question ont été plutôt négatives ou fondées sur des résultats qui pouvaient paraître
statistiquement fragiles. C'est le cas par exemple dans l'ouvrage classique de Claude Thélot, qui estime qu'une faible part de
l'évolution constatée entre 1953 et 1977 pourrait être attribuée à un assouplissement du lien entre origines et destinées (Thélot, 1982).
L'étude récente de Louis-André Vallet permet de répondre maintenant de manière précise que, de 1953 à 1993, on peut mettre en
évidence un progrès, sans doute faible mais statistiquement assuré, de la fluidité sociale, à un rythme moyen qui conduirait, s'il était
maintenu de manière durable, à une " fluidité " totale (absence de lien statistique entre origines et destinées) au bout de deux siècles,
puisque " l'association statistique [...] entre origine et position sociales a diminué au rythme régulier de 0,5 % par an durant quarante
ans ". En reconstruisant les tableaux statistiques qu'auraient donnés les marges observées en 1993 si la " fluidité " était restée
constante depuis 1953, il peut chiffrer à 460 000 les hommes et femmes de 35 à 59 ans ayant un emploi en 1993 (sur douze millions)
dont la position sociale aurait été différente en l'absence de cette réduction des inégalités sociales (Vallet, 1999).
Si les méthodes statistiques nécessaires pour aboutir à ces résultats ne sont pas d'un abord immédiat, il est possible de les illustrer par
des calculs assez simples à mettre en oeuvre. L'inégalité dans les destins sociaux peut se mesurer en comparant le rapport entre les
chances d'accès à une catégorie plutôt qu'à une autre des enfants de deux catégories différentes. Par exemple, en 1953, ce sont 43 %
des fils de " cadre supérieur " qui accèdent à cette même catégorie, pour 1 % qui deviennent " ouvriers ". Ils sont donc 43 fois plus
souvent cadres supérieurs qu'ouvriers. Chez les fils d'ouvriers, ces proportions sont 2 % et 62 %. Ils sont donc 31 fois moins souvent
cadres supérieurs qu'ouvriers. Les " chances relatives " de devenir cadre supérieur plutôt qu'ouvrier sont ainsi dans un rapport de 43 à
1/31, soit 43 x 31 = 1 333 fois plus grandes chez les fils de cadre supérieur que chez les fils d'ouvrier(9). Quarante ans plus tard, les
fils de cadre supérieur ont vu augmenter leur probabilité de devenir ouvriers et les fils d'ouvrier celle de devenir cadres supérieurs. Le
même calcul opéré sur les proportions constatées (avec des catégories définies de manière aussi proche que possible) dans l'enquête de
1993 donne alors les fils de cadre supérieur 4,5 fois plus souvent cadres supérieurs qu'ouvriers et les fils d'ouvrier 4,6 fois plus
souvent ouvriers que cadres supérieurs. Les " chances relatives " de devenir cadre supérieur plutôt qu'ouvrier sont alors de 4,5 à 1/4,6,
soit 4,5 x 4,6 = 20,7 fois plus grandes chez les fils de cadre que chez les fils d'ouvrier. L'inégalité des destins sociaux mesurée par cet
indicateur reste importante mais fait apparaître une diminution marquée(10).
L'interprétation sociologique de ces résultats peut cependant rester problématique. On a besoin, pour les établir, de disposer d'un
système de catégories stable, ce qui pose à la fois un problème technique (la définition statistique des catégories a changé, il faut donc
constituer des sous-ensembles aussi stables que possible pour la comparaison) et un problème de fond : peut-on analyser dans les
mêmes catégories la société française sur une longue durée (celle qui sépare ici les pères des enquêtés de 59 ans en 1953 des enquêtés
de 35 ans en 1993) ?
10
La logique de la comparaison des tableaux de mobilité sociale conduit à tenir les catégories comme stables au moins dans leurs
rapports et à interpréter par exemple les progrès de la mobilité comme impliquant un accroissement des distances sociales franchies.
On peut inverser cette lecture et penser que l'accroissement des flux entre deux groupes signifie non pas que la même distance est
franchie par un nombre croissant d'individus mais que cette distance s'est réduite. Dans cette perspective, la " distance sociale " qui
sépare les groupes sociaux n'est pas supposée connue et stable ; ce sont les flux de mobilité qu'on peut interpréter comme un
indicateur de ces distances, soit que la proportion de mobiles augmente parce que la distance se réduit, soit, aussi bien, que la distance
ne se réduise du fait même de ces échanges. Ainsi, le fait qu'augmentent non seulement la proportion de fils d'ouvrier qui deviennent
cadres (ce qui est conforme aux évolutions structurelles) mais aussi et surtout celle des fils de cadre qui deviennent ouvriers (ce qui ne
l'est pas) peut être interprété comme signifiant que les évolutions de ces groupes sociaux se traduisent par une réduction de la
différence (ou " distance ") sociale qui les sépare(12).
- 2 agents, essentiellement, interviennent dans le processus de la mobilité sociale : la famille et l’école, dans les sociétés qui ont
généralisé un système de formation extérieur à la famille.
- On remarque que le diplôme influence la position sociale :
• les diplômés de l’enseignement supérieurs sont massivement cadres supérieurs,
• ceux qui n’ont aucun diplôme ouvriers ou agriculteurs.
• en effet nous nous trouvons dans une société où « l’école attribue des qualifications scolaires possédant une certaine
utilité sociale dans la mesure où certains emplois, positions ou statuts sont réservés aux diplômés »
Pour une analyse critique d’une théorie très controversée sur l’origine naturelle de l’intelligence :
11
En 1995, « The Bell Curve » signé par C.Murray et R.Herrenstein et publié aux USA a apporté une réponse concernant
l’origine des inégalités de revenu ou de prestige.
Postulat de base : La thèse centrale de leur livre est que, de plus en plus :
• l’accès au pouvoir financier, économique est déterminé par l’intelligence de l’individu donc par un facteur naturel, et de moins
en moins par des facteurs exogènes comme la classe sociale ou la fortune.
• Or , selon les auteurs , l’intelligence mesuré par le QI n’est pas seulement inégalement réparti suivant les groupes ethniques :
les noirs ont un QI moyen inférieur aux blancs , elle est aussi essentiellement héréditaire .
• La Critique de Nisbett : pour asseoir leur argumentation, Murray et Herrnstein se servent essentiellement de l'Enquête
nationale longitudinale de la jeunesse - , qui est un examen d'aptitude à l'entrée dans les forces armées, et non un test de QI
stricto sensu. Les résultats de cette enquête vont, de fait, dans leur sens. Mais Nisbett souligne qu'il existe sept études portant
spécifiquement sur les liens entre race et Q.1, quasiment ignorées par Murray et Herrnstein. Or, l'ensemble de ces études
amène à conclure que la contribution génétique à la différence d'intelligence entre Noirs et Blancs est égale à zéro. L'une
d'entre elles met même en évidence un léger avantage pour les Noirs. Dans cette étude, des enfants de quatre ou cinq ans,
élevés dans la même institution, avec un environnement favorisant l'éveil, ont obtenu les Q.I. suivants : Blancs, 103; Métis,
106; Noirs, 108
Cette analyse est très critique envers l’analyse déterministe et en particulier les théories développées par
Bourdieu qui considère que « l’acteur est une pâte molle sur laquelle viendraient s’inscrire les données de
son environnement, lesquelles lui dicteraient ensuite son comportement dans telle ou telle situation »
( ( R.Boudon ) :
• Selon Boudon les théoriciens culturalistes font de l’héritage culturel, inégalement réparti
dans la population, le facteur discriminant essentiel de la réussite scolaire.
12
• Mais cette analyse est très contestable, car selon Boudon et plus largement selon les
actionnalistes, le facteur primordial est la position social de l’individu qui exerce des effets
exponentiels
• L’erreur des culturalistes s’explique par le type d’analyse qu’ils mettent en œuvre : une
analyse synchronique qui conduit à surestimes le rôle de l’héritage. Alors qu’il faudrait
mettre en œuvre une analyse diachronique qui conduit à relativiser l’influence de l’héritage,
certes importante en début de cursus scolaire, mais dont les effets se dissipent au fur et à
mesure de la scolarité.
• La meilleure preuve en est, selon Boudon, que les réformes visant à éliminer l’influence de
l’héritage social ont échoué à réduire les inégalités de réussite scolaire.
Postulat de base : Ces théories ont pour point commun de s’appuyer sur une vision
individualiste : la société étant étudié comme le résultat de l’agrégation des comportements
individuels.
• Les actionnalistes ne reprennent pas toutes les hypothèses qui caractérisent l’homo
oeconomicus. En particulier ils contestent l’idée que l’individu soit un être parfaitement
rationnel qui ne subisse pas l’influence du contexte institutionnel et social dans lequel il vit.
• Par contre les actionnalistes rejettent le modèle de l’homo sociologicus passif tel qu’il est
défini (selon eux) par les théoriciens déterministes et culturalistes : c’est à dire un individu
hyper socialisé, qui agit sans comprendre les raisons qui le poussent à agir, qui lui sont
imposée par sa culture, son milieu social : en un mot une pate à modeler ne disposant
d’aucun libre arbitre.
• Les actionnalistes vont alors définir le modèle de l’homo sociologicus actif : un individu
dont la rationalité est réelle mais limitée qui va définir librement des objectifs à atteindre, en
fonction des contraintes qui pèsent sur lui en mobilisant les ressources dont il dispose
• Il est donc nécessaire, selon les actionnalistes , afin de comprendre quelles sont les raisons
qui ont motivé l’action de l’individu, de l’interroger, et non d’opérer une analyse objectiviste
visant à prendre en compte de pseudo structures sociales qui l’aurait déterminé.
Constat : Jusqu’à la fin du XIX° siècle , en Europe , l’éducation reproduisait fidèlement la stratification sociale :
• d’une part des écoles privées et payantes réservées aux classes supérieures,
• d’autre part des écoles publiques financées par l’Etat ou par les collectivités et destinées aux classes populaires.
• Il ne peut donc y avoir de mobilité sociale car au départ il y a inégalité des chances.
13
1. Les déterminants de l’orientation
Selon R.Boudon, le système éducatif peut se comparer à un réseau complexe de voies ferrées reliées par
des aiguillages A chaque bifurcation, un choix est effectué par l’élève et sa famille. 3 variables influencent
ce choix :
• la réussite scolaire qui dépend des dons, mérites et capacités de travail de l’individu.
• le risque, c’est-à-dire le coût de cette scolarité supplémentaire. Plus les coûts seront forts, plus
l’hésitation sera grande. Or les coûts ont toutes chances d’être plus lourds dans les milieux
défavorisés. Il existe donc une première raison pour qu’un individu de classe sociale défavorisée ait
un parcours scolaire moins long qu’un individu de classe supérieure.
• les bénéfices attendus : or ces bénéfices seront différents selon le milieu social. Suivant la théorie
des groupes de référence, on peut faire l’hypothèse que lorsque la famille définit plus ou moins
confusément le statut qu’elle considère que le jeune peut légitiment chercher à obtenir, elle le définit
dans une large mesure par rapport à son propre statut .Un instituteur sera satisfait si son fils devient
professeur du secondaire , un professeur de faculté sera déçu .
14
• substituer à des choix irrémédiables (filière longue/courte) des choix qui engagent moins
l’avenir. Mais aucun choix n’est réellement doux : dès qu’ils prennent une valeur stratégique, ils
engagent beaucoup l’avenir.
• agir sur les coûts qui pèsent davantage sur les familles défavorisées que sur les autres : mettre en
oeuvre des systèmes de bourses.
• la plus efficace est de relier de manière plus stricte l’orientation aux résultats scolaires.
L’influence de la famille doit être réduite pour tenir compte de facteurs objectifs : les performances.
La démocratisation, comme l’indiquait A de Tocqueville résulte du fait que « les idéaux démocratiques dont était porteuse la
révolution de 1789 ne pouvaient s’arrêter à l’exercice formel d’une égalité politique (…) ainsi à l’égalité politique du citoyen devait
pouvoir correspondre une égalité sociale, non pas des situations elles-mêmes, mais des conditions de leur accès ».
B. Le paradoxe d’Anderson
Conséquences : Face à cette dévaluation des diplômes, le comportement des étudiants va être rationnel
;
15
• ils vont tenter de se protéger de la dévaluation. Arrêter ses études n’est pas rationnel puisque,
comme le dit L.Levy-Garboua « avec le diplôme on n’a presque rien, mais sans diplôme rien du
tout » .
• Ils vont donc continuer leurs études pour arriver à des niveaux de diplôme encore non touchés par la
dévaluation
• Mais comme tous les étudiants agissent de la même manière, il y a une augmentation du nombre
d’individus à ce niveau de diplôme et donc dévalorisation de ce niveau de diplôme.
Conclusion : L’inflation des diplômes est donc un effet pervers de l’action rationnelle des individus :
• il est rationnel pour les individus de continuer leurs études ;
• mais de ce fait, ils réduisent la valeur de leur diplôme.
• on observe un effet d’agrégation des comportements individuels qui génère un résultat non
attendu et non souhaité de la part d’individus pourtant rationnels : on parle alors d’effets pervers
ou contra-productifs.
DOCUMENT 1 :
Selon J.G. Padioleau.« le schéma de l'action met en relief les éléments suivants
— des acteurs, individus ou groupes,
— engagés dans une situation dont les caractéristiques sont plus ou moins contraignantes,
— poursuivent des buts et, pour ce faire,
— manipulent des ressources qui se traduisent en des
— comportements significatifs. » (J.G. Padioleau, 1986, 47)
L'atome logique de l'analyse sociologique est donc l'acteur individuel. Bien entendu cet acteur n'agit pas dans un vide institutionnel
et social. Mais le fait que son action se déroule dans un contexte de contraintes, c'est-à-dire d'éléments qu'il doit accepter comme des
données qui s'imposent à lui ne signifie pas qu'on puisse faire de son comportement la conséquence exclusive de ces contraintes. Les
contraintes ne sont qu'un des éléments permettant de comprendre l'action individuelle. Plusieurs des analyses (déjà réalisées)
suggèrent que la compréhension des relations de causalité que le sociologue décèle entre les propriétés des systèmes d'interaction et le
comportement des individus n'est généralement possible que si ces comportements sont conçus comme des actions dotées de finalité.
L'individualisme méthodologique se dresse avec vigueur contre tous les courants sociologiques qui font, selon lui, la place trop belle
aux contraintes et aux normes sociales et accuse ceux-ci de déterminisme sociologique. La critique porte autant sur le « despotisme
des structures sociales » que sur l'intériorisation des normes, qualifiée de « conception hypersocialisée de l'homme » : « l'acteur social
est souvent conçu comme une pâte molle sur laquelle viendraient s'inscrire les données de son environnement, lesquelles lui
dicteraient ensuite son comportement dans telle ou telle situation » (R. Boudon, 1986 a, 57). Padioleau fustige à son tour l'homme
unidimensionne! d'H. Marcuse ou « l'individu apparaît sous le visage d'un automate et d'une décalcomanie de la « société »,
carapaçonné et manipulé par le « système ». (Padioleau, 1986, 37).
En résumé, dans les limites autorisées par les contraintes, l'individu est un être agissant (Padioleau) dont l'action possède une finalité,
ou plus précisément une rationalité (Boudon). Expliquer le comportement rationnel d'un acteur, « c'est mettre en évidence les bonnes
raisons qui l'ont poussé à adopter ce comportement, tout en reconnaissant que ces raisons peuvent, selon les cas, être de type utilitaire
ou téléologique, mais aussi bien appartenir à d'autres types » (R. Boudon, 1986 b, 25). Parmi ces bonnes raisons, R. Boudon privilégie
très nettement le paradigme ulitariste hérité de Bencham selon lequel tout comportement obéit à un calcul des plaisirs et des peines;
dans la recherche par l'individu, de ses intérêts les plus immédiats.
• Les actionnalistes ne reprennent pas toutes les hypothèses qui caractérisent l’homo
oeconomicus. En particulier ils contestent l’idée que l’individu soit un être parfaitement
rationnel qui ne subisse pas l’influence du contexte institutionnel et social dans lequel il vit.
• Par contre les actionnalistes rejettent le modèle de l’homo sociologicus passif tel qu’il est
défini (selon eux) par les théoriciens déterministes et culturalistes : c’est à dire un individu
hyper socialisé, qui agit sans comprendre les raisons qui le poussent à agir, qui lui sont
imposée par sa culture, son milieu social : en un mot une pate à modeler ne disposant
d’aucun libre arbitre.
16
•Les actionnalistes vont alors définir le modèle de l’homo sociologicus actif : un individu
dont la rationalité est réelle mais limitée qui va définir librement des objectifs à atteindre ,
en fonction des contraintes qui pèsent sur lui en mobilisant les ressources dont il dispose
• Il est donc nécessaire , selon les actionnalistes , afin de comprendre quelles sont les raisons
qui ont motivé l’action de l’individu, de l’interroger, et non d’opérer une analyse objectiviste
visant à prendre en compte de pseudo structures sociales qui l’aurait déterminé.
DOCUMENT 2 : 9 p 537.
QUESTIONS :
- Quel est selon Boudon le facteur déterminant de la réussite scolaire ?
- Comment explique t’il l’erreur des théoriciens culturalistes ?
• Selon Boudon les théoriciens culturalistes font de l’héritage culturel , inégalement réparti
dans la polpulation, le facteur discriminant essentiel de la réussite scolaire.
• Mais cette analyse est très contestable , car selon Boudon et plus largement selon les
actionnalistes, le facteur primordial est la position social de l’individu qui exerce des effets
exponentiels (cf. supra)
• L’erreur des culturalistes s’explique par le type d’analyse qu’ils mettent en œuvre : une
analyse synchronique qui conduit à surestimes le rôle de l’héritage. Alors qu’il faudrait
mettre en œuvre une analyse diachronique qui conduit à relativiser l’influence de l’héritage,
certes importante en début de cursus scolaire , mais dont les effets se dissipent au fur et à
mesure de la scolarité.
• La meilleure preuve en est, selon Boudon, que les réformes visant à éliminer l’influence de
l’héritage social ont échoué à réduire les inégalités de réussite scolaire.
DOCUMENT 3 :
A : 10 p 538..
B:
D'où proviennent donc ces effets inexplicables par les handicaps culturels et cognitifs des classes défavorisées ? La réponse la plus
simple à cette question, celle qui permet de retrouver ces effets dans leur complexité et notamment de comprendre les effets
d'interaction (i.e. le fait que l'influence de l'origine sur l'orientation soit plus ou moins intense selon la réussite ou selon l'âge), peut
être commodément présentée à l'aide de l'exemple suivant.
Supposons que l'on numérote les statuts sociaux du plus bas au plus élevé comme s'ils formaient un conitinuum. Le niveau social S 1
serait plus bas que le statut social S 2. Faisons de même pour les niveaux scolaires où le niveau N 1 représenterait un niveau plus bas
que N 2.
Considérons maintenant deux individus : l'un, I 1, est d'origine sociale S 1 et a atteint le même niveau scolaire N 1 ; l'autre, 1 2. est
d'origine sociale S 2 et a atteint le même niveau scolaire N 1. L'un et l'autre (eux-mêmes et/ou leur famille) sont confrontés au
problème de savoir s'ils doivent s'arrêter au niveau scolaire N 1 ou s'ils doivent au contraire chercher à atteindre le suivant, soit N 2.
Leur décision va d'abord dépendre des risques tels qu'ils les perçoivent. Si la chance de décrocher le niveau N 2 est faible, l'on
hésitera davantage que si elle est forte. L'hésitation sera par ailleurs d'autant plus grande que les coûts sont plus grands. Or. les coûts
ont toutes chances d'être plus lourds dans des milieux défavorisés.
Il existe donc une première raison, celle qu'indiquent les économistes, pour que 1 1 ait moins de chances de tenter d'aller en N" 2 que
1 2. même si ses chances sont égales.
Mais la théorie économique est impuissante à expliquer le détail des effets statistiques observés. Pour les retrouver, il est indispensable
de faire appel à une théorie sociologique classique, la théorie des groupes de référence. Suivant cette théorie, l'on peut faire
l'hypothèse que
lorsque la famille définit plus ou moins confusément . le statut qu'elle considère que le jeune peut légitimement chercher à obtenir,
elle se détermine dans une large mesure par référence à son propre statut. Il en va de même du jeune lui-même : pour un individu
donné, l'intérêt relatif de tel ou tel statut est normalement déterminé, dans une certaine mesure du moins, à partir du statut provisoire
que sa famille lui confère Un instituteur sera normalement satisfait si son Fils est professeur du secondaire ; un professeur de faculté
risque d'en être déçu.. De même, une fille d'instituteur aura facilement l'impression d'avoir réussi si elle devient elle-même professeur
dans le secondaire. Cela
ne sera pas le ça. pour le fils d'un professeur d'université. Ces analyses sont si évidentes qu’il est peu utile d’y insister : comme il
n’existe pas de façon objective de déterminer le staut de destination qu’il est bon de redhercher, le statut d’origine s’impose presque
de lui même comme un statut naturel.
Supposons maintenant que le niveau scolaire N 1 conduise avec une probabilité forte — par exemple 6, 7 ou 8 chances sur 10 — à
l'ensemble des statuts sociaux compris entre.S 1 et S 2 et que nos individus 1 1 et 1 2 aient une connaissance plus ou moins confuse
de ce fait. Dans ce cas, l'individu 1 1 (I 1 et/ou sa famille : plutôt sa famille au début du cursus, plutôt lui à la fin) risque de se tenir un
discours comme le suivant : « Avec le niveau scolaire N 1, j'ai une très fone chance d'avoir un statut social aussi enviable que celui de
ma famille. Donc, je ne continue que si les risques ne sont pas trop grands. Une manière de mesurer ces risques consiste à prendre
comme indicateur la réussite présente. Mon niveau présent de réussite étant bon, je prends des risques limités en continuant. Je tente
donc d'atteindre N 2. » « Mon niveau de réussite étant moyen et le pronostic incertain, mieux vaut peut-être s'arrêter », dira un autre 1
1. « Mon niveau actuel de
17
réussite étant mauvais et mon retard scolaire déjà important, arrêtons les frais », dira un troisième 1 1. En revanche, toutes choses
égales d'ailleurs, un 1 2 se dira : « Même si ma réussite présente n'est pas très bonne, de route façon les coûts sont supportables. D'un
autre côté (et ce point de l'argumentation que je prête à mon 1 2 est sans doute le plus important), le statut que j'ai des chances
d'obtenir en m'en tenant à N 1 a toutes chances d'être moins enviable que celui dont je bénéficie dans ma famille. Celle-ci risque de
m'en vouloir, de me regarder de haut. Je suis exposé à avoir un mode de vie moins intéressant que celui auquel i'ai été habitué, etc.
Donc, même si les risques ne sont pas négligeables, je continue. » Bien sûr, un autre 1 2, dont le niveau de réussite serait très
médiocre et qui serait très en retard, se dira peut-être que les risques sont trop grands et qu'en dépit de l'intérêt d'aller en N 2, il est
préférable de s'arrêter.
Ces analyses psychologiques sont bien sûr très élémentaires ec doivent: être prises comme des caricatures de processus de décision
concrets. J'utilise en recourant a ces simplifications une méthodologie traditionnelle : celle que recommande Max Weber et qui
consiste à se donner des acteurs sociaux idéal-typiques et à rechercher les raisons les plus plausibles qu'ils ont de se comporter comme
ils le font.
En tout cas, si l'on reprend à la théorie économique son hypothèse très acceptable d'une variation des cours en fonction de l'origine (je
suis. Je le confesse, plus sceptique sur la réalité de la variation de l'escompte du temps avec le milieu), si d'autre part on tire de la
théorie des groupes de référence les hypothèses que Je viens d'esquisser, l'on reconstitue sans difficulté la raison expliquant le fort
degré d’inégalité.
Pour résumer, ces études font apparaître deux mécanismes fondamentaux :
1) d'une part, le milieu social dans lequel est élevé le jeune produit des avantages/désavantages cognitifs et culturels qui se traduisent
par des distributions plus ou moins favorables en termes de réussite et de retard ;
2) d'autre part et indépendamment, la situation sociale des familles fait qu'elles apprécient différemment les risques, les coûts et les
avantages de l'investissement scolaire.
SOURCE : R Boudon, les causes de l’inégalité des chances scolaires, pbs économiques, n°2221.
QUESTIONS :
- A partir du doc A , indiquez quels sont les 3 paramètres à prendre en compte pour expliquer la réussite scolaire.
- Explicitez à partir du doc B la théorie des groupes de référence en différenciant les I1 et les I2.
- En utilisant le doc B indiquez à quels courants Boudon fait référence.
DOCUMENT 4 :
A:
L'on peut alors .se poser la question de savoir lequel des deux facteurs est le plus important : les inégalités scolaires reflètent-elles
surtout l'influence du fait que les élèves des milieux défavorisés sont — d'un point ce vue cognilif et culturel — moins préparés aux
exercices que leur propose l'école ? Ou bien sont-elles dues surtout à ce que les coûts et avantages de l'investissement scolaire sont
appréciés de façon variable selon les milieux sociaux ?
L'on peut répondre à cette question en se livrant à des expériences de simulation simples. Elles consistent dans leur principe à
supposer que par un coup de baguette magique l'on peut éliminer le premier de ces deux facteurs sans toucher au second, puis le
second sans toucher au premier et à se demander ensuite laquelle des deux hypothèses correspond à une réduction plus grande des
inégalités. Ainsi, l'on supposera que les différences dans la réussite et l'âge dues à l'origine sociale sont abolies et que, par exemple,
les fils d'ouvriers oni la même distribution en madère de réussite que les fils de cadres supérieurs.
Prenons un exemple arithmétique fictif pour faire apparaître la nature de ces simulations. Dans la réalté, lorsqu'on compare les
enfants d'ouvriers et de cadres supérieurs du point de vue de la réussite, on observe, selon l'enquête de l'INED, les distributions
vivantes :
Tableau 1. La réussite scolaire en fonction de l'origine et du milieu social d'origine
18
35% 35% 30 % 62% 28% 10 %
D'autre part, les fréquences de passage dans le secondaire long et court (première ligne du tableau suivant), et dans le seul secondaire
long (deuxième ligne) pour les élèves de chacun des niveaux de réussite sont grossièrement les suivantes (ces chiffres stylisent les
données de l'enquête de l'INED, respectant seulement les ordres de grandeur, mais non le détail numérique) :
Tableau 2. L'orientation en fonction de la réussite scolaire et de l'origine sociale (représentation stylisée de données tirées de l'enquête
INED)
Ouvriers
Cadres supérieurs
Secondaire Bons Moyens Faibles
Bons Moyens Faibles
En effectuant les calculs, on voit qu'en donnant aux ouvriers le niveau de réussite des cadres supérieurs, l'on fait passer le pourcentage
de ceux qui rentrent dans le secondaire (long ou court) de 48,5 % à 64,6 %, et le nourceniage de ceux qui rentrent au lycée de 18,1 %
à 25.8 %. Mais l'on peut aussi faire l'opération symétrique et supposer :
- que le niveau de réussite reste différent entre ouvriers et cadres supérieurs ;
2) que l'on a réussi à éliminer les différences entre classes sociales dans l'appréciation des risques, des coûts et des avantages de
l'investissement scolaire. Dans ce cas, le pourcentage des enfants d'ouvriers rentrant dans le secondaire passe de 48,5 % à 85,75% , le
pourcentage de ceux qui rentrent au lycée passant de son coté de 18,1% à 57,5 %.
On voit donc que le second mécanisme est beaucoup plus important que le premier.
Un mécanisme exponentiel
II y a plus. Il importe de voir que la différence d'importance entre les deux types de mécanismes est sensiblement plus marquée dans
le temps que dans l'instant : elle apparaît encore plus grande lorsqu'on considère, non comme je l'ai fait jusqu'ici, l'orientation à un
moment donné, mais la carrière scolaire d'un ensemble d'élèves.
Pourquoi ? Parce que, au fur et à mesure qu'on avance dans le cursus, la relation enire classe sociale et réussite tend à disparaître pour
une raison simple : par le jeu de la différence d'appréciation des coûts, des avantages et des risques, l'autosélection est d'autant plus
forte qu'on descend plus bas dans l'échelle des classes. Les différences de réussite en fonction du milieu ont donc tendance à s'atténuer
ei éventuellement à s'inverser à mesure qu'on considère des points plus avancés du cursus.
En revanche, l'autre mécanisme ne s'éteint pas dans le temps. A chaque fois que le système scolaire propose, à la fin de la cinquième
(comme il le faisait encore naguère), de la troisième, après le bac, après le D.È.U.G., etc., aux enfants puis aux adolescents de décider
s'ils veulent continuer ou arrêter, emprunter une voie longue ou une voie courte, une filière associée à de grandes ou à de petites
espérances, etc., la différence dans les appréciations des risques, des coûts et des avantages que l'enquête de l'INED observe au début
du secondaire réapparaît et exerce ses effets a tous ces points de bifurcation.
En France, un bel article de Marie Duru et Alain Mingat (« Facteurs institutionnels de la diversité des carrières scolaires », Revue
française de sociologie, XXVHI, 1987, 3-16) étudie le palier d'orientation" de la cinquième a la quatrième à partir d'un échantillon
important (2 500 élèves scolarisés observés en 82-83 dans le cadre d'une enquête longitudinale). Il montre bien que c'esi « dans le
moment de l'orientation que se produit l'essentiel des différences en fonction de l'origine sociale et que les inégalités de réussite n'ont
qu'un faible impact ».
SOURCE : op cité.
B : 12 p 539.
QUESTIONS :
- Comment Boudon procède t’il pour déterminer lequel des deux paramètres est le plus important ? Réexpliquez sa démarche .
- En utilisant le doc B expliquez ce qu’entend BOUDON Par : « un mécanisme exponentiel »(doc A)
- Quel est selon Boudon, des deux paramètres, celui qui influence le plus la réussite scolaire ?
- Boudon est donc conduit à différencier deux facteurs afin d’expliciter l’inégale réussite scolaire :
• un handicap cognitif et culturel résultant d’éducation familiale plus ou moins favorable selon
le milieu social
• un investissement inégal selon le milieu familial fonction d’une analyse coût-bénéfice.
• A partir d’un exemple , il réussit à montrer que le second facteur joue un rôle plus important
que le premier
- Les effets de ce second facteur joue de manière exponentielle :
• Boudon différencie deux facteurs :
19
° la sursélection : c’est à dire que le système scolaire par son enseignement ( les
références culturelles implicites auxquelles il fait appel) favorise les classes sociales les plus
aisées au détriment des classes populaires
° l’auto-sélection qui est le mécanisme par lequel les enfants de classes populaires
à partir de l’analyse de leur situation s’auto-éliminent consciemment du système scolaire en
décidant précocement de s’orienter vers des études courtes.
* Selon Boudon le premier mécanisme joue peu et seulement en début de cursus scolaire (il
conduit à l’élimination des enfants de classe populaire les plus faibles) . Par contre le second
mécanisme joue continuement et fait sentir ses effets de manière exponentielle car à chaque
stade d’orientation les enfants de classe populaire en fonction de leurs résultats scolaires et de
leur groupe de référence vont proportionnellement être beaucoup plus nombreux que les
enfants de classes supérieures à s’orienter vers des études courtes.
DOCUMENT 5 :
La structure des chances attachée à chaque niveau scolaire à une période donnée dépend de la structure sociale et de la distribution
des individus en fonction du niveau scolaire.
Toutes choses égales d'ailleurs, si la structure sociale (distribution des positions sociales disponibles) se déplace moins vite que la
structure scolaire (distribution des individus en fonction du niveau scolaire), la structure des chances attachée à chaque niveau
scolaire se modifie dans le temps. Or, lorsque la demande d'éducation est principalement déterminée par des facteurs endogènes on
doit s'attendre à un déplacement plus rapide de la structure scolaire. [...]
Il en résulte que les bénéfices tirés par les individus des classes moyennes et inférieures de la lente démocratisation de l'enseignement
sont, dans une certaine mesure, rendus illusoires par l'augmentation générale de la demande d'éducation.
De façon générale, l'augmentation considérable des taux de scolarisation et la démocratisation de l'enseignement n'impliquent ni que
la mobilité doive augmenter, ni que la structure soit modifiée dans le temps
• Le rendement d’un diplôme est élevé si celui ci est rare c’est à dire si son offre est inférieure
à sa demande ( et ce quelque soit le niveau du diplôme)
• En raison de la démocratisation du système scolaire (de sa massification ?) on a constaté
une augmentation du nombre de diplômés (la structure des diplômes s’est déformée vers le
haut) plus rapide que l’accroissement des postes requérant les qualifications obtenues. Ainsi
la rareté des diplômes a chuté. Ceux ci ne peuvent plus jouer leur rôle de filtre (cf. la théorie
de Spence in chapitre marché du travail)
• La conséquence est le résultat obtenus par Anderson (cf cours) : du fait de l’autosélection
qui les caractérise , les individus qui appartiennent aux classes populaires cessent plus
précocement leurs études que les élèves issus des classes supérieures : ils sont alors
proportionnellement plus victimes de la détérioration du pouvoir de mobilité du diplôme
résultant de l’inflation . Ainsi avec un diplôme supérieur à celui de leurs parents ils ont un
fort risque d’occuper une place inférieure.
• Contrairement aux espoirs soulevés , la démocratisation du système scolaire ne se traduit
pas mécaniquement par un accroissement de la mobilité sociale.
CONCLUSION : LES SOLUTIONS PRECONISEES PAR BOUDON AFIN DE REDUIRE LES INEGALITES
SCOLAIRES.
DOCUMENT 6 : 13 p 539.
QUESTIONS :
- Comment Boudon explique t’il l’inégalité scolaire dans ce passage ?
- Répondez à la question 2.
20
• Rendre les choix d’orientation moins précoces et moins définitifs, intégrer les filières
d’adaptation qui correspondent à des passerelles entre les voies professionnelles et
générales ou techniques.
• Distribuer des bourses afin d’agir sur les coûts et de limiter ainsi les risques de
l’autosélection .
• Mais surtout accroître la dépendance de l’orientation par rapport aux résultats scolaires des
élèves afin de limiter l’influence de la famille et de l’environnement social
Constat : Bernstein a mis en évidence 2 types de langage utilisés par deux catégories de population :
• le langage formel, utilisé par la classe bourgeoise : riche en qualifications personnelles et
individuelles ; sa forme implique des ensembles d’opérations logiques ; l’intensité et le ton sont
secondaires. Il y a une élaboration grammaticale complexe due à l’utilisation de subordonnées, de
conjonctions et de prépositions qui permet de traduire les relations logiques
• le langage public, propre à la classe populaire : l’accent est mis sur les termes émotifs ; il emploie
un symbolisme concret, descriptif, et visuel dont la nature tend à limiter l’expression verbale du
sentiment dans la mesure où l’expression de celui-ci est opérée par des moyens non verbaux :
gestes, expressions corporelles. Les phrases sont courtes, pauvres en adjectifs et en adverbes.
Conclusion : Les enfants des classes populaires sont donc désavantagés car ils ne disposent pas du
langage utilisé par l’école (le langage formel) : pour réussir, il faut qu’ils en apprennent un nouveau
• le capital économique : outils de production mais aussi les placements de toute nature , les biens
d’usage , voire le revenu du père .
• le capital culturel : P.Bourdieu distingue le capital culturel incorporé : le diplôme du père ou de la
mère et non incorporé : les biens culturels : livres , oeuvres d’art .
• le capital social : ensemble des relations sociales dont dispose un individu.
• Selon P Bourdieu c’est le capital culturel qui explique principalement l’inégale réussite scolaire.
• P. Clerc a ainsi montré que, à diplôme égal, le revenu n’exerce aucune influence propre sur la réussite
scolaire. A revenu égal, la réussite dépend d’abord des diplômes du père et de la mère.
• Le capital culturel a donc un rôle plus important que le capital économique : c’est le niveau culturel
global de la famille qui est important.
21
• La culture « libre » (celle qui n’est pas apprise à l’école : musique, théâtre, ..) qui est la condition
implicite de réussite dans certaines carrières scolaires, est inégalement répartie.
La vision méritocratique et neutre de l’école fait que ceux qui réussissent scolairement le doivent à leurs
seuls mérites.
Conséquences : Il y a donc une grande légitimité accordée à ceux qui détiennent les postes clés : ils sont
seuls responsables de leurs résultats. Cette approche est partagée par toute la population : des exemples
de déchéance sociale ou au contraire d’ascension sociale sont toujours mis en exergue pour montrer la
neutralité de l’école.
Conclusion : Le rôle de l’école est donc de transformer selon P.Bourdieu « ceux qui héritent en ceux qui
méritent » : « les tires scolaires sont de nouveaux titres de noblesse ». Cela s’explique par la différence de
culture : l école développe la culture de la bourgeoisie.
22
• les enfants des classes supérieures disposent de la culture classique, celle qui est valorisée à l’école.
Il y a donc totale adaptation entre culture scolaire et culture d’origine. La culture scolaire renforce
donc la culture d’origine.
• En revanche, pour les enfants des classes populaires, le mode de pensée, les centres d’intérêt , le
type de langage sont différents de ceux valorisés à l’école : pour réussir , ils doivent donc
abandonner leur propre culture pour en adopter une autre ; c’est un processus d’acculturation (cf A
Ernaux).
L’influence du groupe familial sur l’individu est développée par P.Bourdieu à travers son concept d’habitus.
Définition :
• Il désigne un système de dispositions durables et transposables à beaucoup de situations
qui fonctionne comme une guide de perceptions, d’appréciations ou d’actions.
• L’habitus montre donc, que contrairement aux visions déterministes de type marxistes et
durkheimienne, l’individu n’est pas totalement passif, qu’il contribue par sa liberté d’action, à
la construction de son histoire ;
• Mais le rôle du milieu social et familial reste essentiel : l’habitus est en effet élaboré dans le
cadre de la famille et surtout lors de la prime enfance (socialisation primaire)
• Il est variable selon la classe d’appartenance (populaire, moyenne ou supérieure)
• et trouve sa source dans l’expérience passée des générations.
• L’individu agit mais il n’est pas libre de ses actions : elles sont influencées par son habitus
et par sa socialisation au sein d’une classe sociale qui sont largement intériorisés donc
inconscient
Bourdieu peur alors en conclure que l’individu n’est pas un acteur rationnel qui décide de la poursuite
d’études en fonction d’une analyse coût-bénéfice opérée sous contraintes. En effet, il écrit : « Les attitudes
à l’égard de l’école, de la culture scolaire et de l’avenir proposé par les études sont pour une grande part
l’expression du système de valeurs implicite ou explicite qu’ils doivent à leur appartenance sociale. En
fait, tout se passe comme si les attitudes des parents ( … ) étaient avant tout l’intériorisation du destin
objectivement assignée à l’ensemble de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent » .
• Les enfants des classes populaires ont donc des difficultés pour réussir leur scolarité : ils doivent
opérer une déculturation (abandonner leur culture d’origine) pour réussir leur acculturation
(apprentissage d’une autre culture). les familles ouvrières ont, selon Bourdieu, intériorisé même si
elles ne les connaissent pas, les forts risques d’échec de leurs enfants qui cherchent à accéder à
l’enseignement supérieur ( seulement 2 % réussissent ) . Les parents ne sont pas alors incités à
valoriser une poursuite longue d’études, craignant les déceptions futures.
• En revanche, pour les enfants des classes supérieures, la scolarité est facilitée par un processus
d’enculturation (renforcement de leur propre culture). Les enfants issus des classes moyennes ont
des probabilités d’accès aux études supérieures beaucoup plus importantes. Ils vont donc
développer un ethos de classe, basé sur l’ascension sociale et l’aspiration à la réussite à l’école par
l’école. Ils vont donc pousser leurs enfants à réussir leurs études.
• Sur le même principe , le groupe des pairs joue un rôle essentiel : les jeunes , du fait de
l’homogénéité sociale assez importante des collèges et lycées , ont une forte probabilité de se
retrouver avec des enfants issus de leur groupe social d’origine qui vont redoubler l’influence du
milieu familial , en incitant leurs membres à développer par rapport à l’école des espérances
raisonnables : « c’est-à-dire , bien souvent , au renoncement espéré » .
Remarque : Les enfants des classes populaires qui réussissent scolairement sont confrontés à une dualité
culturelle. Comme le dit R.Hoggart dans « La culture du pauvre », le boursier appartient à deux mondes à
la fois :
• il subit, plus que tout autre élève, l’influence de l’école et des valeurs scolaires,
• mais il n’en reste pas moins attaché à la vie du groupe familial et à ses valeurs.
23
Cette dualité culturelle aboutit souvent à des difficultés d’intégration dans un groupe social : il est
difficile de rester dans son milieu d’origine et l’insertion franche dans le milieu social d’accueil est à la
fois perçue comme impossible et délibérément refusée (cf. l’exemple d’A Ernaux)
Cette conception méritocratique débouche sur le racisme de l’intelligence, qui est critiqué par P.Bourdieu
Critiques :
- Bourdieu constate que les tests d’intelligence sont apparus au moment où les enfants de classes
populaires commençaient à poursuivre des études qui avaient une forte probabilité de déboucher sur
un échec. 2 solutions étaient alors applicables :
• soit l’école développe un enseignement qui n’est pas neutre et qui valorise la culture
bourgeoise ; elle doit alors se réformer afin d’assurer une réelle égalité des chances
• soit l’échec quasi systématique des enfants des classes populaires s’explique par une
insuffisance de capacités naturelles, c’est-à-dire d’intelligence
- selon Bourdieu, c’est le second choix qui a été opéré ; les tests d’intelligence ne peuvent être donc
considérés comme des outils neutres et objectifs, puisque : « l’intelligence c’est ce que mesurent les
tests d’intelligence, c’est-à-dire ce que mesure le système scolaire ».
- Bourdieu peut alors en conclure que les tests d’intelligence sont une forme de manipulation qui permet
aux privilégiés dont « le pouvoir repose, en partie, sur la possession de titres qui, comme les titres
scolaires, sont censés être des titres d’intelligence » de justifier leur position en se sentant d’une
naissance supérieure. On peut alors parler d’un racisme de classe : « le classement scolaire est un
classement social euphémisé , donc naturalisé , un classement social qui a déjà subi une censure ( … )
tendant à transformer les différences de classe en différences d’intelligence , de dons , c’est-à-dire en
différence de nature » .
- Ces tests ne mesurent donc pas l’intelligence mais la capacité d’adaptation à l’école. Or cette capacité
est différente selon l’origine sociale : forte pour les enfants des classes supérieures, faible pour les
enfants des classes populaires qui doivent opérer une acculturation. Cela expliquerait donc les
résultats du QI sans mettre en cause l’intelligence des classes populaires.
1. L’objet de la démocratisation
Pour démocratiser le système scolaire, les instruments employés sont la réduction des inégalités de
revenu : c’est le système de bourses qui permet de compenser la faiblesse des revenus des classes
populaires.
• Or selon P.Bourdieu, la réduction des inégalités économiques ne remet pas en cause la perpétuation
des inégalités scolaires, car l’origine n’est pas financière mais culturelle.
Au contraire, elle pourrait même renforcer les inégalités scolaires : les mécanismes qui assurent
l’élimination des enfants des classes inférieures (le handicap culturel) agiraient presque aussi
efficacement (et plus discrètement) dans le cas où une politique systématique de bourses rendrait
formellement égaux devant l’Ecole les sujets de toutes les classes sociales.
• On pourrait alors, avec plus de justifications que jamais, imputer à l’inégalité des dons ou à
l’aspiration inégale de la culture les résultats scolaires inégaux selon l’origine sociale.
24
c. Les solutions préconisées par P.Bourdieu
Constat : La dévaluation des diplômes ne touche pas uniformément tous les types de diplômes :
• les plus rares sont mieux protégés mais aussi les diplômes nouveaux, peu connus qui répondent à
une demande du marché du travail.
• Pour se protéger de cette dévaluation, il faut donc connaître parfaitement le système scolaire et ses
différentes orientations.
Conclusion :
- Les enfants des classes populaires sont donc désorientés face à cet univers brouillé de filières
multipliées :
• ils sont donc contraints à s’abandonner aux conseils de conseillers d'orientation professionnels ou
bénévoles qui ne font , le plus souvent , que renforcer leurs inclinations (socialement constituées) à
choisir les voies les plus sûres à leurs yeux , c’est-à-dire les plus courtes et les plus scolaires .
• Or ce choix ne les laisse pas à l’abri d’une dévaluation de leur diplôme pour un investissement
scolaire souvent fort
- En revanche, les enfants des classes La stratégie des enfants des classes supérieures est
différente car ils disposent d’une meilleure connaissance du système :
• soit ils disposent des compétences scolaires nécessaires pour faire des études « nobles » et donc
rares : on constate qu’entre 1981 et 1991 :
- les fils de cadres supérieurs et assimilés représntent80% des admis au concours externe (la
voie royale ) et seulement 16 % des jeunes.
- Les fils d’ouvriers au contraire représentent 38% des jeunes et seulement 1.5 % des reçus.
• soit ils vont contourner l’obstacle scolaire pour un résultat nettement plus efficace que celui des
enfants des classes moyennes et inférieures :
- Ils vont s’orienter vers les formations les moins autonomes et les moins contrôlés
scolairement de l’espace scolaire, c’est-à-dire vers les écoles refuges qui se sont multipliées
au cours des 20 dernières années, surtout dans le domaine de la gestion (où simultanément
la pression de la demande se faisait aussi sentir )
Pour en savoir plus sur les voies détournées et les écoles refuges :
constat : La naissance de ces écoles résulte de l’accroissement du nombre de diplômés, qui tend à
déterminer l’exclusion des non -diplômés et des autodidactes. Pour les enfants des classes supérieures en
échec scolaire, ces écoles sont la solution pour obtenir un diplôme et éviter la déchéance sociale.
conséquences:
• La caractéristique de ce type d’enseignement est d’être a-scolaire : il est bien adapté à la population
qui se présente dans ces écoles car ils sont en échec scolaire; on s’intéresse à la personnalité du
candidat et non à ses performances scolaires
• Les diplômés de ce type d’école vont être en concurrence avec les diplômés traditionnels (BTS , IUT )
.. Malgré des performances scolaires moins bonnes, ils sont mieux armés pour trouver un emploi et
éviter la dévaluation de leur diplôme : leur diplôme est rare et surtout ils disposent d’un capital social
important.
C. Les inégalités de réussite scolaire sont renforcées par le rôle du capital social
25
Constat : l’obtention d’un diplôme élevé est une condition nécessaire mais insuffisante pour participer à
l’élite : un fils d’instituteur qui accède à Polytechnique n’en tirera pas le même profit que le
polytechnicien, fils de pdg .
Conséquences :
• Ainsi, la démocratisation de l’enseignement a plus servi aux mauvais élèves des classes supérieures
( qui peuvent maintenant obtenir un diplôme et le convertir en position sociale grâce à leurs relations
)
• qu’aux bons élèves des classes moyennes et populaires (qui ont fait des investissements scolaires ,
qui ne se traduisent pas forcément par de la mobilité sociale ) .
DOCUMENT 7 :
En fait, les agents sociaux, élèves qui choisissent une filière ou une discipline, familles qui choisissent un établissement pour leurs
enfants, etc., ne sont pas des particules soumises à des forces mécaniques et agissant sous la contrainte de causes; ils ne sont pas
davantage des sujets conscients et connaissants obéissant à des raisons et agissant en pleine connaissance de cause, comme le croient
des défenseurs de la Rational Action Theory (Je pourrais montrer, si J'en avais le temps, que ces philosophies, en apparence
totalement opposées, se confondent en fait puisque, si la connaissance de l'ordre des choses et des causes est parfaite et si Je choix est
complètement logique, on ne voit pas en quoi il diffère de la soumission pure et simple aux forces du monde, et en quoi, par
conséquent, il reste un choix)
DOCUMENT 8 :
Si l'on accepte de se livrer à cet exercice de style consistant à comparer la sociologie de Boudon et la sociologie de Bourdieu [...1, on
doit souligner très fortement que, contrairement à ce que répète Boudon, les deux sociologies sont, l'une comme l'autre, déterministes,
holistes et constructivistes.
La sociologie des effets pervers est tout d'abord une sociologie déterministe et non une sociologie de la liberté. L'acteur rationnel de
Boudon n'est évidemment pas libre, puisque son comportement est conditionné par la logique de la situation : l'acteur est pris dans
une structure d'interaction qui lui laisse seulement l'illusion de la liberté. [...1 L'acteur apparaît d'ailleurs d'autant moins libre que le
résultat de sa décision - Boudon le démontre surabondamment - est, dans la plupart des cas, contraire à ce qu'il recherchait, par la
logique même de l'effet pervers. Quoique par des voies différentes, la sociologie de Boudon ne le cède donc en rien à celle de Bourdieu
quant au déterminisme.
Toutes les deux sont également holistes, puisqu'elles tiennent pour assuré que la structure de l'ensemble qu'elles considèrent a des
propriétés qui ne résident pas dans les éléments de l'ensemble, pris un à un. En ce sens, Boudon et Bourdieu pourraient être dits «
structuralistes » : tous deux pensent que l'agencement des éléments d'un système a des effets déterminants [...), tous deux admettent
que si un seul élément du système est modifié, l'ensemble du système l'est de ce seul fait.
26
Enfin, les deux sociologies sont - comme toute sociologie - constructivistes, dans la mesure où toutes deux vont - quoique là encore de
manière extrêmement différente - du rationnel au réel. Elles ne donnent pas la primauté à l'observation ou à l'enregistrement passif du
« réel » (ou de ce qui en apparaît...), mais elles s'imposent toutes deux de construire des systèmes de relations qui éclairent le
fonctionnement du réel social sans avoir la prétention d'en fournir une description exhaustive.
SOURCE : P Favre: nécessaire mais non suffisante, la sociologie des effets pervers de R Boudon,revue française de sciences
politiques, déc 1980.
QUESTIONS :
- Montrez que malgré les apparences les sociologies de Bourdieu et de Boudon ont des points communs .
- Quelle est le paradoxe de la sociologie de BoudoN ?
• Selon P Favre la sociologie de Boudon est au moins aussi déterministe que celle de Bourdieu
. En effet la sociologie de l’effet pervers est une sociologie déterministe puisque l’agrégation
de comportements individuels pourtant rationnels conduits à des effets non attendus et non
souhaités par des pseudos acteurs qui sont donc conditionnés par des structures sociales
qu’ils ne contrôlent pas.
DOCUMENT 9 :
Ayant dû réussir une entreprise d'acculturation pour satisfaire au minimum incompressible d'exigences scolaires en matière de
langage, les étudiants des classes populaires et moyennes qui accèdent à l'enseignement supérieur ont nécessairement subi une plus
forte sélection,
et selon le critère même de la compétence linguistique, les correcteurs étant le plus souvent contraints, à l'agrégation comme au
baccalauréat, de rabattre de leurs exigences en matière de savoirs et de savoir-faire pour s'en tenir aux exigences de forme.
Particulièrement manifeste dans les premières années de la scolarité où la compréhension et le maniement de la largue constituent le
point d'application principal du jugement des maîtres, l'influence du capital linguistique ne cesse jamais de s'exercer : le style reste
toujours pris en compte, implicitement ou explicitement, à tous les niveaux du cursus et, bien qu'à des degrés divers, dans toutes les
carrières universitaires, même scientifiques. Plus, la langue n'est pas seulement un instrument de communication, mais elle fournit,
outre un vocabulaire plus ou moins riche, un système de catégories plus ou moins complexe, en sorte que l'aptitude au déchiffrement
et à la manipulation de structures complexes, qu'elles soient logiques ou esthétiques, dépend pour une part de la complexité de la
langue transmise par la famille. II s'ensuit logiquement que la mortalité scolaire ne peut que croître à mesure que l'on va vers les
classes les plus éloignées de la langue scolaire, mais aussi que, dans une population qui est le produit de la sélection, l'inégalité de la
sélection tend à réduire progressivement et parfois à annuler les effets de l'inégalité devant la sélection : de fait, seule la sélection
différentielle selon l'origine sociale, et en particulier la sur-sélection des étudiants d'origine populaire, permettent d'expliquer
systématiquement toutes les variations de la compétence linguistique en fonction -de la classe sociale d'origine et, en particulier,
l'annulation ou l'inversion de la relation directe (observable à des niveaux moins élevés du cursus) entre la possession d'un capital
culturel (repéré à la profession du père) et le degré de réussite.
- Selon Bourdieu le langage représente un capital qui est influencé par le milieu familial et social (cf.
l’analyse vue en cours de Bernstein). Il détermine :
• les capacités de l’individu à déchiffrer des textes
• à manipluler des structures complexes (figures de styles par exemple)
• à s’exprimer dans un styles requis par le système scolaire.
- Tout ceci détermine une mortalité scolaire très inégale suivant la distance de la famille par rapport au
langage requis par l’école.
- On est donc confronté selon Bourdieu à un mécanisme de sursélection :
• la majorité des enfants de classes populaires qui manient une langue éloignée de celle
utilisée à l’école sont éliminés car ils ne correspondent pas aux attentes des enseignats
( par rapport au style, au vocabulaire, etc.)
• un minorité qui se sont acculturés obtiennent eux des résultats très bons , voire meilleures
que ceux des enfants issus des classes supérieures car ils ont subi une sélection beaucoup
plus sévère.
27
1 - UN VOLUME DE CAPITAL DIFFERENT SELON LA CLASSE SOCIALE.
DOCUMENT 10 :
Les différences primaires, celles qui distinguent les grandes classes de conditions d'existence, trouvent leur principe dans le volume
global du capital comme ensemble des ressources et des pouvoirs effectivement utilisables, capital économique, capital culturel, et
aussi capital social : les différentes classes (et fractions de classe) se distribuent ainsi depuis celles qui sont les mieux pourvues à la
fois en capital économique et en capital culturel jusqu'à celles qui sont les plus démunies sous ces deux rapports.
Les membres des professions libérales qui ont de hauts revenus et des diplômes élevés, qui sont issus très souvent (52,9 %) de la
classe dominante (professions libérales ou cadres supérieurs), qui reçoivent beaucoup et consomment beaucoup, tant des biens
matériels que des biens culturels, s'opposent à peu prés sous tous les rapports aux employés de bureau, peu diplômés, souvent issus des
classes populaires et moyennes, recevant peu, dépensant peu et consacrant une part importante de leur temps à l'entretien de leur
voiture et au bricolage et, plus nettement encore, aux ouvriers qualifiés ou spécialisés, et surtout aux manœuvres et salariés agricoles,
dotés des revenus les plus faibles, dépourvus de titres scolaires et issus en quasi-totalité (à raison de 90,5 % pour les salariés agricoles
et de 84,5 % pour les manœuvres) des classes populaires
- Bourdieu considère contrairement aux actionnalistes que tous les individus ne sont pas placés sur un
pied d’égalité au départ .En effet contrairement à la conception méritocratique qui fait dépendre
essentiellement de ses mérites et capacité, Bourdieu constate que :
• Les individus sont inégalement dotés en volume global de capital c’est à dire en «
l’ensemble des ressources et des pouvoirs effectivement utilisables.
• Il distingue trois types de capital :
+ le capital économique qui consiste en moyens matériels qui favorisent la réussite
scolaire par l’achat de livres , le recours aux cours particuliers aux voyages linguistiques , etc.
+ le capital culturel c’est à dire le capital linguistique, culturel accumulé par la famille
qui va être transmis continuement aux enfants au cours de la vie quotidienne, mais aussi par la
visite de musées, etc.
+ Enfin le capital social c’est à dire l’ensemble des relations sociales dont la famille
dispose et qui va lui permettre de favoriser l’insertion des enfants dans des écoles privées dont
le recrutement est basé sur la cooptation ou dans le milieu professionnel.
• Ces 3 types de capital sont corrélés selon Bourdieu qui oppose les professions libérales
ayant de hauts revenus et des diplômes élevés aux employés de bureaux peu diplômés
souvent issus des classes populaires.
DOCUMENT 11 :
La propension à investir en travaile et en zèle scolaires ne dépend pas exclusivementdu volume du capital scolaire possédé : les
fractions des classes moyennes les plus riches en capital culturel (les instituteurs) ont une-propension à investir sur le marché scolaire
imcomparablement plus forte que les fractions dominantes de la classe dominante, qui ne sont pourtant pas moins riches en capital
culturel. A,la différence des fils d'instituteurs qui tendent à concentrer tous leurs investissements sur le marché scolaire, les fils de
patrons de l'industrie et du commerce qui, ayant d'autres moyens et d'autres voies de réussite, ne dépendent pas au même degré de la
sanction scolaire, investissent moins d'intérêt et de travail , dans leurs études et n'obtiennent pas le même rendement scolaire (la
même réussite) de leur capital culturel.
C'est dire que la propension à l'investissement scolaire, : un des facteurs de la réussite scolaire (avec le capital culturel), dépend non
seulement de la réussite actuelle ou escomptée (i.e. des chances de réussite promises à la catégorie dans son ensemble étant donné son
capital culturel) mais aussi du degré auquel la reproduction de la position de cette classe d'agents dépend - dans le passé comme dans
l'avenir - du capital scolaire comme forme socialement certifiée et garantie du capital culturel. L'intérêt qu'un agent ou une classe
d'agents porte aux "études" dépend de sa réussite scolaire et du degré auquel la réussite scolaire est, dans son cas particulier, condition
nécessaire et suffisante de la réussite sociale. La propension à investir dans le système scolaire qui, avec le capital culturel dont elle
dépend partiellement, commande la réussite scolaire, dépend donc elle-même du degré où la réussite sociale dépend de la réussite
scolaire. Ainsi, étant donné d'une part qu'un groupe dépend d'autant moins complètement du capital scolaire pour sa reproduction
qu'il est plus riche en capital économique et d'autre part que le rendement économique et social du capital scolaire dépend du capital
économique et social qui peut être mis à son service, les stratégies scolaires (et plus généralement l'ensemble des stratégies éducatives,
même domestiques) dépendent non seulement du capital culturel possédé, un des facteurs déterminant de la réussite scolaire et par là
de la propension à l'investissement scolaire, mais du poids relatif du capital culturel dans la j structure du patrimoine, et ne peuvent
donc être isolées , de l'ensemble des stratégies conscientes ou inconscientes , par lesquelles les groupes essaient de maintenir ou d
'améliorer leur position dans la structure sociale.
28
QUESTIONS :
- Quel est le rôle qu’occupe la structure du capital dans la réussite scolaire inégale des enfants d’enseignants et de patrons,
explicitez votre raisonnement.
- Néanmoins selon Bourdieu l’étude du volume du capital doit être complété par une analyse de sa
structure :il oppose alors le comportement des fils d’instituteurs à celui des fils de patrons :
• les fils d’instituteurs qui sont seulement bien dotés en capital culturel se caractérisent par
une forte propension à investir sur le marché scolaire sur lequel ils concentrent tous leurs
efforts
• les fils de patrons sont bien dotés en capital culturel comme les fils d’instituteurs , mais ils
se distinguent de ces derniers par une forte dotation en capital économique. Ayant d’autres
voies de réussite que l’école ils ne vont pas concentrer tous leurs efforts dans la réussite
scolaire
• Bourdieu peut alors en conclure que : « ainsi étant donné d’une part qu’un groupe (…)
d’améliorer leur position dans la structure sociale »
3- LA RECONVERSION DU CAPITAL ECONOMIQUE EN CAPITAL CULTUREL .
DOCUMENT 12 : 6 p 536.
- Le texte précédent de Bourdieu date de 1974 . Hors au cours des 30 dernières années on a pu assister
à un mouvement de :
• crise du monde des indépendants avec la disparition de nombreuses PME de l’artisanat et
du commerce
• un mouvement de concentration des entreprises
• les fils de patrons de l’industrie et du commerce ne peuvent donc plus compter uniquement
sur la possession d’un capital économique afin de maintenir sa position sociale
• ils ont donc reconvertis , au moins en partie, leur capital économique en capital culturel :
grace aux diplômes acquis , ils peuvent espérer occuper des positions élevées voire
dirigeantes dans les grands groupes.
• Cette reconversion a un second avantage pointé par Bourdieu : ils peuvent ainsi « prélever
une part des bénéfices des entreprises sous forme de salaires , mode d’appropriation
mieux dissimulé,et sans doute plus sur que la rente » . La possession d’un diplôme
apparaît dans une société démocratique et égalitaire un mode de sélection plus juste que
l’héritage d’un capital économique »
DOCUMENT 12 :
Les attitudes des memores des différentes classes sociales, parents ou enfants, et, tout particulièrement les attitudes à l'égard de
l'École, de la culture scolaire et de l'avenir proposé par les études sont pour une grande part l'expression du système de valeurs
implicites ou explicites qu'ils doivent à leur appartenance sociale. (...) En fait, tout se passe comme si les attitudes des parents à
l'égard de l'éducation des enfants, attitudes qui se manifestent dans le choix d'envoyer les enfants dans un établissement
d'enseignement secondaire ou de les laisser dans une classe de fin d'études primaires, de les inscrire dans un lycée (ce qui implique le
projet d'études longues, au moins jusqu'au baccalauréat) ou dans un collège d'enseignement général1 (ce qui suppose que l'on se
résigne à des études courtes, jusqu'au brevet par exemple), étaient avant tout l'intériorisation du destin objectivement assigné (et
mesurable en termes de chances statistiques) à l'ensemble de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent. Ce destin leur est sans
cesse rappelé par l'expérience directe ou médiate et la statistique intuitive des échecs ou des demi-réussites des enfants de leur milieu.
(...)
Les ouvriers peuvent tout ignorer de la statistique objective qui établit qu'un fiis d'ouvrier a deux chances sur cent d'accéder à
l'enseignement supérieur, leur comportement se règle objectivement sur une estimation empirique de ces espérances objectives,
communes à tous les individus de leur catégorie. Aussi comprend-on que la petite bourgeoisie, classe de transition, adhère plus
fortement aux valeurs scolaires, puisque l'École lui offre des chances raisonnables de combler toutes ses attentes en confondant les
valeurs de la réussite sociale et celles du prestige culturel.
À la différence des enfants originaires des classes populaires, qui sont doublement désavantagés, sous le rapport de la facilité à
assimiler la culture et de la propension à l'acquérir, les enfants des classes moyennes doivent à leur famille non seulement des
encouragements et des exhortations à l'effort scolaire, mais un etbos de l'ascension sociale et de l'aspiration à la réussite à l'École et
par l'École. (...)
De façon générale, les enfants et leur famille se déterminent toujours en fonction des contraintes qui les déterminent. Lors même que
leurs choix leur paraissent obéir à l'inspiration irréductible du goût et de la vocation, leurs choix trahissent l'action transfigurée des
conditions objectives. (...)
Si l'on sait en outre "que les idéaux et les actes de l'individu dépendent du groupe auquel il appartient et des buts ou des attentes de ce
groupe' (Lewin), on voit que l'influence du groupe des pairs, qui tend toujours à être relativement homogène sous le rapport de
l'origine sociale - puisque, par exemple, la distribution des enfants entre les collèges d'enseignement général1, les collèges techniques
et les lycées, et, à l'intérieur de ceux-ci, entre les sections, est très étroitement fonction de la classe sociale des enfants - vient
redoubler le handicap des
29
plus défavorisés. Lorsqu'on prend en compte l'influence du groupe des pairs,,on oublie souvent d'en considérer la composition sociale.
Or on sait qu'un enfant a toutes les chances de-participer à des groupes composés d'enfants de son milieu puisque les enfants d'un-
même milieu ont les mêmes chances d'être dans un lycée ou un collège, d'être internes ou externes, de faire des études classiques ou
des études modernes et tout semble en outre suggérer que les groupes électifs se constituent toujours sur la base d'affinités de goûts et
de style de vie liées à l'origine commune : on voit que les influences de ces groupes ne peuvent que redoubler l'influence du milieu
d'origine.
Ainsi, tout concourt à rappeler ceux qui n'ont pas comme on dit, d'avenir, à des espérances "raisonnables", ou, comme- dit Lewin,
« réalistes », c'est-à-dire, bien-souvent, au renoncement à espérer.
- Selon Bourdieu , l’individu n’est pas un acteur rationnel qui décide de la poursuite d’études en fonction
d’une analyse coût-bénéfice opérée sous contraintes . En effet , il écrit : « Les attitudes à l’égard de
l’école , de la culture scolaire et de l’avenir proposé par les études sont pour une grande part
l’expression du système de valeurs implicite ou explicite qu’ils doivent à leur appartenance sociale . En
fait , tout se passe comme si les attitudes des parents ( … ) étaient avant tout l’intériorisation du destin
objectivement assignée à l’ensemble de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent » .
- Bourdieu oppose , sur ce point , les enfants d’ouvriers à ceux qui sont issus des classes moyennes :
• les familles ouvrières ont ,selon Bourdieu , intériorisé même si elles ne les connaissent pas ,
les forts risques d’échec de leurs enfants qui cherchent à accéder à l’enseignement
supérieur ( seulement 2 % réussissent ) . Les parents ne sont pas alors incités à valoriser
une poursuite longue d’études , craignant les déceptions futures .
• inversement , les enfants issus des classes moyennes ont des probabilités d’accès aux
études supérieures beaucoup plus importantes . Ils vont donc développer un ethos de classe
, basé sur l’ascension sociale et l’aspiration à la réussite à l’école par l’école . Ils vont donc
pousser leurs enfants à réussir leurs études .
- Sur le même principe , le groupe des pairs joue un rôle essentiel : les jeunes , du fait de l’homogénéité
sociale assez importante des collèges et lycées , ont une forte probabilité de se retrouver avec des
enfants issus de leur groupe social d’origine qui vont redoubler l’influence du milieu familial , en
incitant leurs membres à développer par rapport à l’école des espérances raisonnables : « c’est-à-dire ,
bien souvent , au renoncement espéré » .
CONCLUSION :
Bourdieu peut alors en conclure : « lors même que leurs choix paraissent obéir à l’inspiration irréductible
du goût et de la vocation , leurs choix trahissent l’action transfigurée des conditions objectives » .
DOCUMENT 13 :
A:
Si, pour éliminer les classes les plus éloignées de la culture scolaire, les systèmes d'enseignement recourent de plus en plus souvent
aujourd'hui à la « manière douce », pourtant plus coûteuse en temps et en moyens, c'est que, au titre d'institution de police
symbolique, vouée à décevoir chez certains les aspirations qu'elle encourage chez tous, le système d'enseignement doit se donner les
moyens d'obtenir la reconnaissance de la légitimité de ses sanctions et de leurs effets sociaux, en sorte que des instances et des
techniques de manipulation organisée et explicite ne peuvent manquer d'apparaître lorsque l'exclusion ne suffit plus par soi à imposer
l'intériorisation de la légitimité de l'exclusion.
Ne pouvant invoquer le droit du sang — que sa classe a historiquement refusé à l'aristocratie — ni les droits de la Nature — arme
autrefois dirigée contre les distinctions nobiliaires qui risquerait de se retourner contre la « distinction » bourgeoise — ni les vertus
ascétiques qui permettaient aux entrepreneurs de première génération de justifier leur succès par leur mérite, l'héritier des privilèges
bourgeois doit en appeler aujourd'hui à la certification scolaire qui atteste à la fois ses dons et ses mérites. L'idée contre nature d'une
culture de naissance suppose et produit la cécité aux fonctions de l'institution scolaire qui assure la rentabilité du capital culturel et en
légitime la transmission en dissimulant qu'elle remplit cette fonction. Ainsi, dans une société où l'obtention des privilèges sociaux
dépend de plus en plus étroitement de la possession de titres scolaires, l'Ecole n'a pas seulement pour fonction d'assurer la succession
discrète à des droits de bourgeoisie qui ne sauraient plus se transmettre d'une manière directe et déclarée. Instrument .privilégié de la
sociodicée bourgeoise qui confère aux privilégiés le privilège suprème de ne pas s’apparaître comme privilégiés, elle parvient d’autant
30
plus facilement à convaincre les déshérités qu’ils doivent leur destin scolaire et social àleurs défauts de dons ou de mérites qu’en
matière de culture la dépossession absolue exclut la conscience de la dépossession.
B :3 p 535
QUESTIONS :
- Peut-on dire que la reproduction a disparu dans les sociétés démocratiques ? Explicitez.
- Quel rôle occupe l’autonomie du système scolaire dans la légitimation de la réussite scolaire ?
B - LE RACISME DE L’INTELLIGENCE
DOCUMENT 14 :
Ce racisme est propre à une classe dominante dont la reproduction dépend, pour une part, de la transmission du capital culturel,
capital hérité qui a pour propriété d'être un capital incorporé, donc apparemment naturel, inné. Le racisme de l'intelligence est ce par
quoi les dominants visent à produire une «théodicée de leur propre privilège», comme dit Weber, c'est-à-dire une justification de
l'ordre social qu'ils dominent. Il est ce qui fait que les dominants se sentent justifiés d'exister comme dominants ; qu'ils se sentent
d'une essence supérieure. Tout racisme est un essentialisme et le racisme de l'intelligence est la forme de sociodicée caractéristique
d'une classe dominante dont le pouvoir repose en partie sur la possession de titres qui, comme les titres scolaires, sont censés être des
garanties d'intelligence et qui ont pris la place, dans beaucoup de sociétés, et pour l'accès même aux positions de pouvoir économique,
des titres anciens comme les titres de propriété et les titres de noblesse.
L'intelligence, c'est ce que mesurent les tests d'intelligence, c'est-à-dire ce que mesure le système scolaire. Voilà le premier et le
dernier mot du débat qui ne peut pas être tranché aussi longtemps que l'on reste sur le terrain de la psychologie, parce que la
psychologie elle-même (ou, du moins, les tests d'intelligence) est le produit des déterminations sociales qui sont au principe du
racisme de l'intelligence, racisme propre à des «élites» qui ont partie liée avec l'élection scolaire, à une classe dominante qui tire sa
légitimité des classements scolaires.
Le classement scolaire est un classement social euphémisé, donc naturalisé, absolutisé, un classement social qui a déjà subi une
censure, donc une alchimie,une transmutation tendant à transformer les différences de classe en différences d'«intelligence», de
«don», c'est-à-dire en différences de nature. Jamais les religions n'avaient fait /aussi bien. Le classement scolaire est une
discrimination ' sociale légitimée et qui reçoit la sanction de la science. C'est là que l'on retrouve la psychologie et le renfort qu'elle a
apporté depuis l'origine au fonctionnement du , système scolaire. L'apparition de tests d'intelligence comme le test de Binet-Simon est
liée à l'arrivée dans le système d'enseignement, avec la scolarisation obligatoire, d'élèves dont le système scolaire ne savait pas quoi
faire, parce qu'ils n'étaient pas «prédisposés», «doués», c'est-à-dire dotés par leur milieu familial des prédispositions que présuppose
le fonctionnement ordinaire du système scolaire : un capital culturel et une bonne volonté à l'égard des sanctions scolaires.- Des tests
qui mesurent la prédisposition sociale exigée par l'école -d'où leur valeur prédictive des succès scolaires- sont bien faits
pour légitimer à l'avance les verdicts scolaires qui les légitiment.
- Bourdieu constate que les tests d’intelligence sont apparus au moment où les enfants de classes
populaires commençaient à poursuivre des études qui avaient une forte probabilité de déboucher sur
un échec . 2 solutions étaient alors applicables :
31
• soit l’école développe un enseignement qui n’est pas neutre et qui valorise la culture
bourgeoise ; elle doit alors se réformer afin d’assurer une réelle égalité des chances
• soit l’échec quasi systématique des enfants des classes populaires s’explique par une
insuffisance de capacités naturelles , c’est-à-dire d’intelligence
- selon Bourdieu , c’est le second choix qui a été opéré ; les tests d’intelligence ne peuvent être donc
considérés comme des outils neutres et objectifs , puisque : « l’intelligence c’est ce que mesurent les
tests d’intelligence , c’est-à-dire ce que mesure le système scolaire » .
- Bourdieu peut alors en conclure que les tests d’intelligence sont une forme de manipulation qui permet
aux privilégiés dont « le pouvoir repose , en partie , sur la possession de titres qui , comme les titres
scolaires , sont censés être des titres d’intelligence » de justifier leur position en se sentant d’une
naissance supérieure . On peut alors parler d’un racisme de classe : « le classement scolaire est un
classement social euphémisé , donc naturalisé , un classement social qui a déjà subi une censure ( … )
tendant à transformer les différences de classe en différences d’intelligence , de dons , c’est-à-dire en
différence de nature » .
Les inégalités sociales à l'école : les théories sociologiques à l'épreuve des faits
Sommaire
La sociologie de l'éducation analyse les inégalités sociales observées dans les parcours scolaires à partir de deux grandes théories :
l'une met en avant l'héritage culturel familial plus ou moins adapté aux exigences de l'école, l'autre explique les choix en matière
d'options et d'orientations comme les résultats de calculs rationnels effectués par des " acteurs stratèges ".
La confrontation de ces thèses avec les principales données factuelles disponibles conduit Marie Duru-Bellat à ne pas accepter une
explication hégémonique des inégalités.
La sociologie de l'éducation française est riche à la fois de théories proposant une interprétation globale des inégalités sociales à
l'école et de travaux empiriques décrivant de plus en plus finement ces inégalités. Mais de fait, l'articulation entre perspectives
théoriques et empiriques reste en France relativement peu travaillée, à tel point que ce sont des sociologues étrangers qui ont cherché
les premiers à confronter la théorie de la reproduction aux inégalités sociales observées dans leur pays (Cf. par exemple Diego
Gambetta, 1987). Pourtant, il est clair que toute théorie est censée éclairer... quelque chose, et que réciproquement toute réalité
sociale, de même que toute régularité statistique demandent à être expliquées. Mais peut-être a-t-on dans notre pays une conception
trop " religieuse " des théories (où l'adhésion prime sur la vérification), conception qu'illustre la manière dont sont souvent opposées
les perspectives de Raymond Boudon, d'une part, de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, d'autre part.
Nous esquisserons ici une analyse de la manière dont les principales données factuelles concernant les inégalités sociales à l'école
peuvent être éclairées par ces deux grandes perspectives théoriques, sachant que cela conduit, réciproquement, à évaluer dans quelle
mesure les théories en question apparaissent confortées par la configuration actuelle des inégalités. Alors que la principale
controverse théorique porte sur la place respective des mécanismes relevant de l'héritage culturel d'un côté (Bourdieu, Passeron), de
mécanismes intentionnels de type choix rationnel de l'autre (Boudon), il n'y a pas de raison de poser a priori que les inégalités
sociales constatées s'interprètent nécessairement comme la résultante exclusive d'un seul de ces mécanismes ; en particulier, ils
peuvent très bien s'articuler et peser différemment au cours de la carrière scolaire.
Pour aborder cette question sur une base empirique, partons de quatre constats majeurs et stables :
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l'existence d'inégalités sociales de réussite, précoces et relativement continues, même si, par le jeu des orientations, elles tendent à
s'atténuer au fur et à mesure du déroulement du cursus ;
l'importance des inégalités sociales dans les choix d'options et d'orientation ;
l'influence du contexte de scolarisation (classe et école fréquentées notamment) dans la genèse des inégalités ;
la stabilité (ou la translation) des inégalités sociales face à l'école, malgré la forte élévation du niveau de formation.
La perspective sociologique consiste à rechercher comment la réussite scolaire, comportement social, se " fabrique " par des processus
sociaux, qui peuvent concerner soit la socialisation de l'enfant dans son milieu familial, soit le fonctionnement de l'école elle-même.
La socialisation familiale dote l'enfant d'attitudes et d'outils cognitifs diversifiés, inégalement adaptés aux exigences implicites ou
explicites de l'école. Les travaux de sociologues comme Basil Bernstein montrent par exemple que le langage parlé serait, selon les
milieux sociaux, non seulement plus ou moins proche de celui qui sert de norme à l'école, mais se prêterait plus ou moins bien aux
raisonnements abstraits et à l'expression personnelle, non sans incidences en termes de réussite scolaire. Cette notion d'" inégale
distance " entre milieux sociaux et exigences de la culture scolaire est au coeur des analyses de Bourdieu et Passeron.
Un certain nombre de constats s'interprètent aisément en regard de cette théorie. Quand on analyse la réussite, le poids spécifique du
niveau d'instruction des deux parents apparaît en général plus fort que celui de leurs professions, ce qui attesterait du poids dominant
de l'héritage culturel par rapport aux contraintes économiques. Dans le second degré, l'observation de biais sociaux marqués (plus
forts qu'en primaire) dans les progressions au collège, alors même que les programmes restent dans leur majorité hérités d'une époque
où seule une minorité d'enfants, très typée socialement, y accédait, est également convergence avec des analyses en termes d'héritage
culturel.
Par contre, on observe certaines inégalités précoces, manifestes dès la maternelle ou le primaire, dans des dimensions qui a priori sont
moins dépendantes de l'héritage culturel (repérage dans l'espace, géométrie, par exemple) ; ces inégalités s'éclaireraient sans doute
par des approches moins syncrétiques, comme celles menées par les psychologues piagétiens, centrées sur les effets cognitifs des
pratiques éducatives quotidiennes. De même, on comprend mal, si la dimension héritage culturel est importante, que les enfants
d'agriculteurs réussissent mieux que les enfants d'ouvriers (dont les parents sont pourtant un peu plus instruits), ou encore l'absence de
difficultés spécifiques des enfants étrangers ou issus de l'immigration (au-delà de leur appartenance à un milieu social défavorisé). En
l'occurrence, invoquer des attitudes de type mobilisation par rapport à l'école serait sans doute plus heuristique, mais cela requiert un
changement radical de perspective, puisque cela suppose des acteurs dotés de projets.
Bien que ce type de perspective se développe ces dernières années, incluant une vision également moins passive des élèves (avec des
concepts tels que le rapport au savoir ou l'expérience scolaire), l'analyse des inégalités de réussite reste encore très souvent conduite
dans une perspective déterministe, où la socialisation modèle l'enfant.
L'école reproductrice
Avec Les Héritiers et La Reproduction, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron analysent comment la classe dominante reproduit sa
domination à travers la définition et l'imposition par l'école d'une culture scolaire arbitraire (en ce qu'elle repose sur la définition d'un
groupe social), mais se présentant comme dotée d'une valeur universelle et d'une légitimité intrinsèque. Les élèves sont, de par leur
milieu familial, inégalement proches des valeurs et des exigences largement implicites de cette culture scolaire. L'école va pourtant
traiter tous les élèves, inégaux en fait, comme égaux ; " indifférente aux différences ", elle ne reconnaît comme vecteur possible
d'inégalités de réussite que les " dons ", et de fait, seuls les " héritiers ", que leur milieu familial dote des pré-requis implicites de
l'institution, vont pouvoir y réussir. L'école fait ainsi percevoir comme légitime (fondé sur les qualités personnelles) le classement
qu'elle opère, et les positions sociales auxquelles les diplômes permettront d'accéder. Les inégalités sociales et leur reproduction d'une
génération à l'autre apparaissent ainsi comme dotées d'un fondement méritocratique.
Si c'est bien la fonction même de l'école que de construire et de légitimer les inégalités sociales de réussite, les individus eux-mêmes
participent à cette reproduction, dans la mesure où ils développent par rapport à l'école des attentes ajustées à ce qu'il leur est permis
d'espérer. A côté des inégalités de capital culturel, il faut compter avec des habitus structurés par l'intériorisation de la réalité
objective ; en jugeant que l'accès à l'enseignement supérieur n'" est pas pour eux ", les jeunes des milieux qui en sont aujourd'hui
exclus participent à une " causalité du probable " rétive à tout changement, puisqu'on tend à " refuser le refusé et à vouloir l'inévitable
"... A partir des années 80 Bourdieu prévoit que l'habitus puisse engendrer, dans un contexte mouvant, des comportements impossibles
à prévoir avec précision, tel le bon joueur, qui est à la fois contraint par les règles du jeu qu'il a intériorisées, et libre, car capable sur
cette base d'inventer les stratégies qu'exige la partie. Cette évolution du concept d'habitus amène à donner plus de place au contexte de
l'action et aux capacités adaptatives d'un individu qui, par son " sens du placement ", n'est plus très éloigné du stratège, même si les
structures objectives restent, chez Bourdieu, déterminantes.
33
Même si la notion de stratégie est centrale chez Boudon, même s'il part lui aussi des régularités macro-sociales stables telles que les
inégalités de carrières scolaires, sa démarche n'en est pas moins radicalement différente : c'est l'individu et non le système qui est
premier, et il s'agit de dégager les " micro-fondations " des régularités sociales, qui ne sont que " la trace laissée au niveau statistique
par la juxtaposition d'une myriade de comportements individuels ", comme le pose l'individualisme méthodologique.
Boudon récuse donc les théories assimilant les processus générateurs des inégalités à l'école à des mécanismes d'héritage, et invoquant
d'hypothétiques valeurs de classe. Il préfère partir du postulat d'acteurs rationnels, dont on peut élucider les " bonnes raisons " d'agir,
dans le contexte qui est le leur. Les inégalités résultent de l'agrégation de choix d'acteurs dotés de ressources inégales, évoluant dans
un milieu social qui constitue le " point de référence " à partir duquel sont évalués les avantages, les coûts et les risques attachés à tel
ou tel type d'orientation. La notion d'ambition ou de valeur donnée à tel objectif éducatif est donc fondamentalement relative à la
position qu'on occupe, et c'est la distance sociale à parcourir qui compte : même si tous les individus se fondent sur un calcul rationnel
du type coût/avantage, les choix restent socialement diversifiés, puisque tous les paramètres de la prise de décision sont affectés par la
situation sociale (sensibilité au risque ou au coût, enjeux de telle filière, en terme de stabilité ou de mobilité sociale...).
Dans cette perspective, le principal facteur d'inégalité est la différenciation des champs de décision en fonction de la position sociale.
L'école peut ainsi apparaître comme quelque peu " disculpée ", d'autant plus que Boudon s'intéresse peu aux inégalités de réussite ;
mais l'école peut choisir de laisser plus ou moins de prise aux stratégies familiales, ou organiser de telle ou telle manière ses
principaux points de bifurcation, qui constituent la structure d'opportunité, non neutre, au sein de laquelle se prennent les décisions.
Enfin, Boudon souligne qu'on ne saurait comprendre la reproduction des inégalités sociales en se fondant uniquement sur les
caractéristiques des individus ; les caractéristiques structurelles de la société (qu'il s'agisse des emplois ou de l'offre de formation)
affectent nécessairement les relations entre titres scolaires et positions sociales. Celles-ci supportent également des effets pervers, non
voulus mais engendrés par l'agrégation des comportements d'individus en situation d'interdépendance.
De nombreux travaux montrent comment toute différenciation scolaire est investie socialement, qu'il s'agisse des choix d'options ou a
fortiori des choix d'orientation qui jalonnent la carrière scolaire, sachant qu'à nouveau, le poids du niveau d'instruction des parents
s'avère plus fort que celui de leur niveau de ressources.
Comment interpréter ces inégalités sociales spécifiques à l'orientation (s'observant donc à réussite identique) ? Dans une perspective "
héritage culturel ", on soulignera que le niveau culturel des parents n'est pas sans lien avec leur capacité à faire des choix entre des
filières parfois subtilement différentes ; on interprétera d'ailleurs ainsi le fait que l'influence du niveau d'instruction des parents aurait
tendance à se renforcer, par rapport à celui de la profession, dans un système devenant de plus en plus complexe (Dominique Goux et
Éric Maurin, 1997). Dans la même perspective, on comprend que ces parents instruits aient davantage confiance dans les possibilités
de leur enfant, ou encore valorisent davantage cette éducation qu'ils ont eux-mêmes reçue.
Mais on peut aussi (en suivant Boudon) remarquer que la plupart des choix entre filières, non seulement ont des incidences
financières (coût des études, manque à gagner...), mais plus fondamentalement reposent sur une anticipation de l'avenir, par cette "
diffusion régressive des enjeux " dont parle Jean-Michel Berthelot (pour avoir un bon métier, il faut se placer dans telle filière, ce qui
requiert tel choix d'option x années auparavant...). Tant la prise en compte du coût qu'a fortiori l'anticipation de l'avenir supposent un
acteur doté d'intentions, capable d'élaborer des stratégies, au terme d'arbitrages coûts/avantages tenant particulièrement compte des
enjeux différentiels attachés aux diverses alternatives.
Mais pour comprendre un choix donné, ces deux modes opposés d'explication peuvent être mobilisés, des considérations de type
coût/avantage jouant à un premier niveau d'alternative (études courtes/longues), et des considérations de type préférences ou valeurs
intervenant au niveau plus fin du choix d'une spécialité. Cela dit, les mêmes constats restent souvent susceptibles d'interprétations
divergentes. Ainsi, l'orientation privilégiée des filles vers les métiers de l'enseignement peut refléter des valeurs spécifiques inculquées
pas la socialisation (l'amour des enfants) ; elle peut aussi résulter du calcul d'actrices rationnelles, anticipant à la fois un marché du
travail où l'enseignement constitue un des secteurs les moins discriminants et les plus rentables pour elles, et une répartition des
tâches dans la famille qui exigera d'elles de la souplesse dans la gestion de leur temps de travail. La clause du " tout se passe comme
si elles étaient rationnelles " peut être jugée préférable à celle qui alloue aux filles une mentalité spécifique, au demeurant peu testable
puisque déduite des observations empiriques que l'on cherche à expliquer...
Le modèle du stratège
Un certain nombre de constats confortent ce modèle du stratège, en particulier l'observation faite couramment aux paliers
d'orientation successifs, d'une auto-sélection socialement différenciée : alors que les demandes des jeunes sont pratiquement
identiques, quel que soit leur milieu social, quand ils sont de bon niveau scolaire, l'écart se creuse ensuite, dès lors que ce niveau n'est
que moyen, les jeunes de milieu populaire étant amenés alors à en rabattre. Or, si les élèves choisissaient leurs études en fonction de "
valeurs de classe " fondamentalement différentes, on devrait observer des écarts entre milieux sociaux quel que soit le niveau de
réussite. Serait plutôt à l'oeuvre une sensibilité inégale au risque et aux coûts encourus dans les études envisagées, risque plus fort
34
quand la situation est incertaine (élèves moyens ou faibles), avec à la clef un coût (le prix du temps ou d'une réorientation). Bourdieu
lui-même opposait d'ailleurs " stratégies de spéculateur " et " stratégies de rentier ". Boudon, qui ne contesterait pas ces étiquettes,
souligne en outre que ces inégalités de choix vont peser d'autant plus qu'on se situe à un stade avancé des cursus, ce que confirment
les études empiriques des carrières scolaires (Marie Duru-Bellat et al., 1993).
L'enjeu des études varie lui aussi selon les groupes sociaux
Au-delà de ses chances de succès, c'est sa trajectoire sociale future que l'acteur s'avère capable d'évaluer. Pour les familles de milieu
aisé, l'enjeu est d'assurer aux enfants au moins une reproduction des positions sociales parentales, ce qui requiert des études longues et
sélectives ; face à des coûts qui comptent peu, l'enjeu est tel qu'on poussera ses enfants dans des études de ce type, même si leur
niveau scolaire fait de ce choix un pari risqué. A l'inverse, les familles de milieu populaire peuvent assurer à leurs enfants une
mobilité sociale ascendante avec un niveau de diplôme et d'insertion moins exigeants, et, étant par ailleurs plus sensibles aux risques
encourus, elles ne les inciteront à poursuivre leurs études que si leur réussite paraît probable.
Plutôt que d'invoquer, là encore, des inégalités foncières d'ambition entre groupes sociaux, on considérera que la diversité des
orientations est sous-tendue par des stratégies de positionnement qui sont autant de comportements rationnels dans des contextes
sociaux différenciés. Ceci n'exclut pas l'existence d'inégalités sociales d'information qui viendraient les renforcer, ni de stratégies de
scolarisation de l'enfant dans un milieu où il côtoiera des condisciples du même milieu social, ni d'une quête de la distinction
renvoyant davantage aux thèses de Bourdieu.
Depuis les années 80, se sont développés des travaux qui refusent de considérer a priori l'école comme un système monolithique
fonctionnant partout de manière uniforme (Olivier Cousin, 1993). On " découvre " ainsi que les élèves peuvent progresser ou être
orientés différemment selon l'établissement fréquenté (Marie Duru-Bellat et Alain Mingat, 1988). On ne saurait donc réifier les
facteurs culturels et les explications déterministes afférentes, puisque les performances ou le niveau d'ambition des élèves peuvent
varier autant en fonction du contexte (de sa " tonalité sociale ", de son caractère mixte ou non...), qu'en fonction de l'appartenance
sociale ou de sexe. Tous les constats qui soulignent le caractère relatif des progressions ou des ambitions (relatif à ceux à qui l'on se
compare ou avec qui on interagit, dans tel ou tel contexte) bousculent donc quelque peu l'idée de compétence ou de valeur spécifiques
à tel ou tel groupe, en fonction des héritages culturels.
Les analyses concrètes du fonctionnement de l'école et des relations pédagogiques confortent cette perspective, qui montrent que la
réussite ou l'échec sont socialement fabriqués, sous l'influence de mécanismes sans rapport avec les caractéristiques des élèves, tels
que les contenus de formation, eux-mêmes relevant de processus sociaux variés, ou les modalités concrètes de fabrication de
l'excellence scolaire, ou encore les modes de groupement (les classes de niveau accentuant les écarts entre élèves). Cela dit, certains
modes de fonctionnement pédagogiques creuseraient les inégalités sociales précisément parce qu'ils supposent acquis de tous ce que
seuls certains possèdent ; ainsi, les analyses de Bernard Lahire sur la façon d'aborder en primaire l'étude de la langue, exigeant de fait
un rapport très distancié, ne sont pas si éloignées des thèses des Héritiers
De manière générale, l'ensemble des comportements participant à la genèse de la carrière scolaire prend place dans un contexte
institutionnel, qui requiert des " usagers " certaines compétences pour s'y repérer.
L'organigramme des formations délimite ainsi à chaque palier d'orientation un champ de décisions qui n'est pas neutre : il peut
opposer des filières de longueurs et de coûts inégales, avec présélection ou non, inégalement prestigieuses, engageant dans des
trajectoires plus ou moins irréversibles, etc. Enfin, le contexte, c'est aussi les relations entre formation et emploi, l'état du marché du
travail, qui ne sont pas sans affecter les trajectoires des jeunes ; les inégalités ne peuvent se réduire au seul jeu des facteurs
individuels, comme en attestent le chômage des diplômés ou les inégalités entre générations.
Plusieurs recherches récentes (notamment Goux et Maurin, 1997) ont mis en évidence, sur les générations antérieures à la fin des
années 60, la relative constance de l'inégalité des chances. En particulier, les enfants issus des milieux modestes salariés sont ceux qui
ont le moins profité de l'ouverture du système scolaire. Cela dit, les analyses, encore incomplètes, des scolarités des générations
entrées en 6e au début des années 80 laissent escompter une certaine démocratisation, au moins concernant la réalisation d'une
scolarité complète au collège ; mais on peut également s'attendre à ce que l'accès au lycée et surtout aux différentes séries de
baccalauréat reste marqué par de sensibles différenciations sociales. Si démocratisation il y a, elle serait donc très récente, en cours, et
n'excluerait pas des phénomènes de type translation et recomposition " qualitatives " des inégalités, du fait des stratégies des familles
notamment.
La thèse de l'acteur stratège et les interprétations en termes de capital social inégalement confortées
35
La stagnation de la démocratisation peut étonner, pour qui valorise les explications de type " héritage culturel ", alors même que le
capital scolaire des familles s'est beaucoup élevé en moyenne (ce sont de moins en moins des élèves de " première génération " qui
arrivent dans le secondaire). Ces phénomènes s'analysent plus aisément à l'aune du modèle de l'acteur stratège. En effet, avec la forte
hausse de la scolarisation, qui accroît la concurrence entre diplômés, il y a nécessité pour les familles de prolonger les études de leurs
enfants pour obtenir un bénéfice social constant. Mais si chaque individu est rationnel en poursuivant de plus en plus loin ses études,
on assiste au niveau agrégé à un effet pervers, en l'occurrence une " inflation des diplômes ", même si celle-ci reste encore discrète, et
ne concerne que la position sociale atteinte et non les chances d'obtenir un emploi.
D'autres résultats de recherche récents confortent également plutôt les thèses de Boudon. Ainsi les observations de Goux et Maurin
sur le poids relativement limité de la formation sur la position sociale atteinte, comparativement à celui de l'origine sociale ; ceci
refléterait l'absence d'évolution parallèle entre la structure des emplois et celle des flux de diplômés, mise en avant par Boudon dès
1973. Mais le constat de l'influence durable (au-delà de la scolarité réalisée) du milieu d'origine peut aussi renvoyer à des
interprétations en termes de capital social, plus proches de celles de Bourdieu. D'autres travaux peuvent s'avérer heuristiques à cet
égard, tels que ceux montrant que les jeunes filles britanniques originaires des Caraïbes réussissent relativement bien à l'école malgré
une socialisation scolaire à maints égards défavorable (puisqu'elles y sont doublement dominées, compte tenu de leur sexe et de leur
origine ethnique), et pourtant rencontrent des difficultés importantes sur le marché du travail. Il n'y aurait donc pas (au moins pas
toujours) de relation linéaire, mécanique, entre la socialisation scolaire, la réussite et les opportunités sociales, comme le posait le
schéma classique de la reproduction (Rob Moore, 1996). Les effets de la socialisation scolaire pourraient donc être relativement
faibles par rapport à l'influence de ce tout qui prend place hors de l'école (ces filles anticipant par exemple les exigences
particulièrement élevées du marché du travail à leur encontre).
La réduction des inégalités sociales plus efficace que les réformes éducatives
Les comparaisons internationales en matière d'inégalité des chances appuient d'ailleurs cette thèse. En effet, les seuls pays où une
certaine démocratisation des carrières scolaires a été observée (Pays-Bas ou Suède) sont ceux où se sont réduites les inégalités sociales
de niveau de vie et de sécurité économique. Constat compréhensible si on se réfère au modèle d'un acteur qui effectue ses choix en
fonction de paramètres variables selon sa position sociale (sachant que la sécurité économique pèse particulièrement sur la sensibilité
au risque). Plus que des réformes éducatives, la réduction des inégalités de vie entre des groupes sociaux qui utilisent l'école en
fonction de stratégies et sur la base de ressources différentes serait un vecteur efficace de démocratisation.
Conclusion
De l'analyse succincte proposée ici, il se dégage clairement qu'on ne saurait proposer une théorie hégémonique des inégalités. La
question du " choix " entre théories apparaît bien comme une question empirique, à laquelle la recherche apporte une réponse
inévitablement nuancée. Le problème est moins d'identifier les causes possibles des inégalités sociales (les pistes sont, on l'a vu,
nombreuses) que d'évaluer leurs poids respectifs et leur articulation, sans apriori posant par exemple qu'il ne saurait y avoir de place
pour des comportements intentionnels, ou au contraire que l'acteur est stratège à tous les coups.
Trois remarques pour finir. Tout d'abord, la confrontation entre théories et " données " factuelles peut être pipée par le fait que la
construction des faits eux-mêmes est orientée par une perspective théorique. En outre, au-delà des considérations empiriques, il n'est
pas exclu qu'interviennent, dans l'analyse des inégalités, les préférences idéologiques du chercheur, sachant qu'on peut bien sûr
défendre l'idée que tenter de s'en déprendre constitue une norme professionnelle. Par ailleurs, tant Boudon que Bourdieu et Passeron
partagent une vision macro-sociologique, relativement externe, et centrée sur les titres acquis, des inégalités sociales à l'école. Cette
perspective gagnerait à tenter d'intégrer les approches, qui se sont développées récemment (Cf. l'article de François Dubet), de la "
face subjective des inégalités ", dans leurs rapports avec leurs déterminants structurels, auquel cas, pourrait s'amorcer, au sein de la
sociologie de l'éducation (à cet égard relativement exemplaire), une articulation entre les niveaux d'analyse micro et
macrosociologique.
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