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Notions du référentiel : lien social, socialisation, solidarité

Chapitre changement et
mécanique/organique, risques sociaux, Etat-Providence, assistance,
solidarités sociales
redistribution

Fiche1 – Les instances d’intégration et de socialisation


(repris en partie du manuel en ligne Brises)

En première a été étudié ce que les sociologues appellent les instances de socialisation, c’est-à-dire les institutions ou groupes qui
transmettent la culture d’une société, ses normes et ses valeurs. Nous allons reprendre l’étude de ces instances, mais sous un angle
un peu différent, pour voir non pas tant comment elles construisent l’individu en le socialisant, mais comment cette construction
produit de la solidarité entre les individus d’une même société. Il y a bien sûr une multitude d’instances d’intégration, mais nous
allons nous concentrer sur les principales : le travail, la famille, l’école et la citoyenneté.

Pour voir les critères de classification des groupes :


Les critères de classification des groupes sont nombreux, celui de la taille semble le plus important, on distingue alors

• le groupe primaire (ou restreint) qui selon CH Cooley comme une association relativement
permanente, et non spécialisée d’un nombre restreint d’individu unis par des relations
directes et intimes, la famille en est le prototype
• le groupe intermédiaire contribue à former le tissu social : collectivités locales (villages,
quartiers urbains, relations de voisinage), groupements économiques (collectivité de
travail, associations professionnelles), groupement volontaire (syndicats, partis
politiques )
• les groupes de grande envergure sont des groupements à distance dans lesquels les
relations sont indirectes, médiatisées par des institutions: l’appellation groupes sociaux
leur est réservée, ils forment l’armature principale de la structure sociale et sont le
produit de la stratification sociale (classes, castes, élites) ou de la différenciation
socioculturelle(groupe ethnique et religieux)

mais on peut aussi distinguer les groupes en fonction de leur degré de mobilisation, on opposera alors :

• les groupes nominaux généralement de grande taille qui correspondent à un agrégat


d’individus présentant des caractéristiques similaires mais sans véritable lien.
• les groupes mobilisés, réels ou organisés dont les membres ont pris conscience de
l’intérêt commun qui les lie (ex le syndicat ou le groupe de pression).

Partie 1- Le travail , parce qu’il donne une identité professionnelle, un revenu et des droits sociaux,
est le pilier essentiel de l’intégration

Le travail comme activité centrale dans la société, comme activité donnant statut et rôle à l’individu, n’apparaît en tant que tel qu’au
18è siècle, selon certains philosophes comme D.Méda. Sa place sociale s’est considérablement accrue depuis cette époque et le
travail est « le » moyen pour l’individu de se construire une identité professionnelle et sociale, de s’assurer un revenu, et d’obtenir
des droits sociaux.

I. Le travail crée une complémentarité entre les individus : l’analyse de Durkheim

Le rejet de l’analyse libérale de la division du travail


Postulat expliquant selon les libéraux l’apparition de la division du travail : Selon les économistes, la
division du travail peut être analysée comme la réponse à un problème auquel sont confrontés les
individus. La division du travail doit donc être vue comme un construit humain : les individus ayant
intérêt à se partager les tâches afin d’accroître le rendement de la collectivité, ou plus exactement d’être
plus productif que leurs concurrents et de gagner des parts de marché ( les deux visions n’étant pas
contradictoires mais complémentaires, vu les bienfaits de la concurrence ) . Les économistes libéraux
basent donc leur analyse sur l’utilitarisme et l’individualisme méthodologique. Ils partent d’un individu
représentatif, l’homo oeconomicus qui est égoïste et rationnel (comportement naturel à l’homme ). Ils
étudient les actions de cet individu : en recherchant son intérêt personnel, il a intérêt à diviser le travail.
Puis ils agrègent ces comportements individuels afin de faire apparaître la société qui en est le résultat.
Durkheim s’oppose à cette conception en la réfutant sur plusieurs points :
• « il ne croit guère au rôle joué par le calcul rationnel dans la vie sociale ». Il rejette donc le
postulat de l’homo oeconomicus : « La division du travail ne met pas en présence des individus
mais des fonctions sociales. » ( Durkheim ).
• il remet en cause l’idée que la société est seulement le résultat des comportements individuels
des individus sans véritable lien, ne recherchant dans le contact avec les autres que leur intérêt
personnel. « Si la division du travail produit la solidarité, ce n’est pas seulement parce qu’elle fait
de chaque individu un échangiste, comme le disent les économistes ; c’est qu’elle crée entre les
hommes tout un système de droits et de devoirs qui les lient les uns aux autres d’une manière
durable. »( Durkheim). La division du travail n’affecte donc pas que des intérêts individuels et
temporaires.
• les économistes croient que la division du travail est le résultat conscient de la rationalité
individuelle. Elle serait donc « un construit humain au sens économique du terme, c’est-à-dire
une élaboration volontaire imaginée par des innovateurs et consacrée par le marché » ( D.Clerc ).
Durkheim considère au contraire que la division du travail est le produit largement inconscient de
la société. En effet, comme l’indique R.Nisbet : « Dire que les hommes se sont partagés le travail
et ont attribué à chacun un métier propre afin d’augmenter l’efficacité du rendement collectif,
c’est supposer les individus différents les uns des autres et conscients de leurs différences avant
la différenciation sociale. En fait, la conscience de l’individualité ne pouvait pas exister avant la
solidarité organique et la division du travail. La recherche rationnelle d’un rendement accru ne
peut expliquer la différenciation sociale, car cette recherche suppose justement la différenciation
sociale ». Durkheim reproche donc aux économistes libéraux de faire de la conséquence la cause.
On se rend compte que ce sont deux analyses de la société qui s’opposent ; chez les libéraux, la
société est un produit de la volonté humaine, résultat d’une démarche intentionnelle ; au
contraire, chez Durkheim : « La société s’autoproduit sans intention initiale. » ( D.Clerc ) : « Les
hommes marchent parce qu’il faut marcher et ce qui détermine la vitesse de cette marche, c’est
la pression plus ou moins forte qu’ils exercent les uns sur les autres. (... ) La civilisation se
développe parce qu’elle ne peut pas se développer ; une fois qu’il est effectué, ce développement
se trouve généralement être utile ou, tout au moins il est utilisé ; il répond à des besoins qui se
sont formés en même temps, parce qu’ils dépendent des même causes, mais c’est un ajustement
après coup. » ( Durkheim ).
• les économistes néo-classiques considèrent donc que la destruction des liens sociaux traditionnels
qui étouffent les individus et les empêchent donc de révéler leur rationalité est un pré-recquis à la
division du travail. Une fois que celle-ci se sera imposée, il ne subsistera entre les individus qu’un
lien social marchand qui présentera l’avantage d’assurer l’autonomie des individus, tout en les
rendants interdépendants et en leur apportant le bien être matériel. Durkheim, au contraire,
considère que : « le laisser-faire tend à produire les crises sociales contemporaines qui font
craindre une guerre entre les possédants et les autres. » Le principale reproche qu’émet Durkheim
à l’encontre des libéraux sur ce point est de sacrifier la solidarité, le lien social à la liberté
individuelle, en considérant que l’autorégulation du marché résoudra tous les problèmes. Cette
analyse est selon Durkheim beaucoup trop optimiste.
Durkheim est très sévère vis-à-vis de la conception libérale de la division du travail. Il ne faut pas pour
autant en conclure que Durkheim sous-estime les effets de la division du travail. Au contraire, il lui
accorde une place essentielle, mais il en donne une vision très différente de celles des économistes

A. Les deux formes de solidarité ( 7 et 8 p 388)

Durkheim, comme de nombreux sociologues de son temps, va être frappé par la disparition de l’ordre
social traditionnel qui s’opère sous ses yeux et va se demander par quoi le remplacer.
Il va pour cela s’appuyer sur une analyse développée par F Tonnies qui oppose deux types de solidarité
qui se succèdent : la communauté ou gemeinschaft et la société ou gesellsachft.

Pour l’analyse de Tonnies :


On peut résumer l’analyse de Tonnies par le tableau suivant :

COMMUNAUTE SOCIETE
EXEMPLE DE SOCIETE OU DE La société européenne au Moyen- Les sociétés capitalistes.
COMMUNAUTE Age : les corporations, le
compagnonnage
TAILLE DES GROUPEMENTS La taille est réduite car la La taille est importante, les
communauté nécessite une individus sont étrangers et
proximité affective, sociale et séparés les uns des autres.
spatiale.
TYPES DE LIENS Trois types prédominent : lien marchand.
-les liens du sang: la famille
-Les liens de voisinage: le village
- La communauté spirituelle : la
paroisse;
NATURE DES LIENS trois types : Chaque individu agit en fonction
-lien organique: la parenté de son intérêt, le calcul,
-lien affectif : l’amitié qui lie aux l’abstraction l’emportent : c’est la
voisins lutte de tous contre tous
- lien spirituel qui lie à la
communauté religieuse
PLACE ET ROLE DE L’INDIVIDU Le rôle et le statut de l’individu lui Le rôle et le statut sont acquis par
sont prescrits par la l’individu qui est plus sensible à
communauté. L’individu agit en ce qui le différencie des autres
fonction de son appartenance à la qu’à ce qui le rattache à la
collectivité, il ne recherche pas communauté, les parties étant
son intérêt personnel, l’intérêt donné avant le tout,
collectif étant considéré comme l’individualisme domine, l’Etat
premier. doit intervenir pour relier les
individus les uns aux autres

Durkheim va reprendre et développer l’analyse de Tonnies , en insistant plus particulièrement sur les
progrès de la division de travail qui témoigne du passage des sociétés à solidarité mécanique aux
sociétés à solidarité organique , dont on peut résumer les caractéristiques par le tableau suivant .

SOLIDARITE MECANIQUE SOLIDARITE ORGANIQUE


OU PAR SIMILITUDE
TYPE DE SOCIETE Sociétés primitives ou archaïques sociétés modernes

TAILLE DE LA COMMUNAUTE restreinte densité forte


PLACE ET ROLE DE l’individualisme est totalement La conscience collective est
L’INDIVIDU inconnu, largement dépassée par les
-l’individu est soumis à la consciences individuelles
communauté - les individus se sont émancipés
-les individus sont semblables des contraintes imposés par la
collectivité:les individus sont
libres
- les individus sont différents et
complémentaires il doivent
prendre conscience de cela pour
concourir au bon fonctionnement
de la société.
PLACE ET ROLE DE LA la communauté préexiste à L’individu préexiste à la
COMMUNAUTE l’individu, en fonction de la communauté, le consensus qui va
tradition, la communauté établit générer la communauté résulte
des valeurs, des règles , un sacré de la différence de
auxquels l’individu doit se l’hétérogénéité de la
conformer complémentarité des individus
TYPE DE DROIT subordination des individus à la le droit perd son caractère
conscience collectif, le droit est répressif, devient un droit
répressif en cas de violation des restitutif qui ne recoure plus
règles édictées par la essentiellement à la punition mais
communauté, car elle se sent à la réparation: droit commercial,
attaquée dans ce qu’elle a de droit civil
plus fondamental : droit pénal;

La question est alors de savoir quelles sont les raisons qui expliquent le passage de la solidarité
mécanique à la solidarité organique.

Pour l’origine de la division du travail (10 à 13 p 389-390):


Loi mise en évidence par Durkheim : M.Lallement écrit : « Pour le Durkheim de « La division du
travail social » , il existe une sorte de loi de gravitation du monde social qui conduit la solidarité
mécanique à se raréfier au profit d’une solidarité organique toujours croissante »

Fondements de la loi :
- Durkheim rejette les explications fournies par les économistes qui considèrent que la division du
travail s’explique par la recherche du bonheur passant par davantage de richesses .
- Or , rétorque Durkheim : « Les métamorphoses que provoque la division du travail coûtent trop
longtemps et rapportent peu immédiatement . Il n’est donc pas intéressant pour une génération de se
sacrifier ainsi . » ( M.Lallement )

Durkheim va alors chercher les explications qui sont à l’origine de la division du travail . Il en
avance 3 , 2 accessoires et 1 essentielle :
• la moindre prégnance de la conscience commune qui donnerait davantage de liberté d’actions
aux individus .
• la diminution de l’hérédité .
• la troisième explication est l’explication fondamentale : l’augmentation de la densité morale et
matérielle

Justification de l’augmentation de la densité matérielle et morale :


• Il constate que la solidarité mécanique est caractéristique des communautés de taille
réduite qui entretiennent peu de relations entre elles (à la limite qui vivent en autarcie) et
qu’au contraire la solidarité organique se retrouve dans les sociétés denses : aussi bien
d’un point de vue démographique , que du point de vue des relations sociales existant
entre les individus et les groupes sociaux.
• En effet , plus la taille de la population augmente , plus les relations entre les individus se
développent , plus la lutte pour la survie va devenir délicate .
• Dès lors , deux solutions ( pas forcément conscientes ) peuvent être envisagées
- soit l’élimination des plus faibles , seuls les plus forts pouvant survivre dans un
environnement n’ayant pas su évoluer,
- soit la spécialisation des individus qui leur permet en s’adonnant à des tâches
différentes de ne plus entrer en concurrence ,de produire plus, de faire évoluer leur environnement donc
de ne plus avoir à lutter pour le vie , mais au contraire d’être complémentaires . Cette spécialisation se
remarque certes essentiellement dans la vie économique mais elle concerne selon Durkheim tous les
aspects de la vie sociale : « Les fonctions politiques , administratives , judiciaires se spécialisent de plus
en plus . Il en est de même des fonctions artistiques et scientifiques . »

R.Boudon synthétise la pensée de Durkheim en une loi : la croissance de la densité morale et


matérielle donne naissance à la division du travail , celle-ci par un effet de rétroaction positif renforce la
densité morale et matérielle . On observe donc un processus autoentretenu , assurant le passage
progressif de la solidarité mécanique à la solidarité organique

L’étude de la division du travail est représentative de la méthode sociologique de Durkheim .


En effet , pour expliquer le développement de la division du travail , 2 types d’analyse pourraient être
suivies :
• partir des individus et des motivations qui les ont conduit à se spécialiser . Cette solution ,
selon Durkheim n’est pas la bonne : l’introspection (une analyse subjectiviste) ne mène à
rien car la division du travail est un processus largement inconscient , dont l’origine ne se
trouve pas dans l’action individuelle mais au niveau social .
• il faut alors mener une étude objective des phénomènes sociaux au niveau macro-
sociologique , c’est-à-dire traiter les faits sociaux comme des choses(cf. cours de première
sur le suicide), car selon les propres mots de Durkheim : « Ils consistent en des manière
d’agir , de penser et de sentir extérieurs à l’individu et qui sont doués d’un pouvoir de
coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui. »

Conséquence positive de la division du travail selon Durkheim : « Le plus remarquable effet de la


division du travail n’est pas qu’elle augmente le rendement des fonctions divisées mais qu’elle les rend
solidaires ( .. .) Nous sommes ainsi conduits à nous demander si la division du travail n’aurait pas
fonction d’intégrer le corps social , d’en assurer l’unité » .La principale fonction de la division du travail
serait donc d’ordre moral : produire de la solidarité entre les membres de la société .

Effet pervers de la division du travail selon Boudon :Mais alors se pose un problème clairement
explicité par Boudon : « Le processus évolutif entraîne en même temps un développement constant de
l’individualisme et de l’égoïsme , conséquence du développement de la solidarité organique ,
l’individualisme exerce un effet dissolvant sur la solidarité elle-même » et donc finalement sur la société .
Pour l’analyse de Durkheim des défauts d’intégration :

A- LES PATHOLOGIES DES SOCIETES MODERNES (14 à 19 p 390-391).

Durkheim constate que le développement de la division du travail n’est pas sans poser de problèmes
même si ceux-ci ne doivent être que transitoires puisqu’ils sont caractéristiques du passage de la
solidarité mécanique à la solidarité organique . En particulier , Durkheim constate , à la fin du XIX° , un
développement de tendances anomiques . Toute la difficulté est que dans l’œuvre durkheimienne , on
constate 2 définitions différentes de l’anomie :
• la première se trouve dans son livre « La division du travail social » : l’anomie y
caractérise une situation où : « la division du travail ne produit pas la solidarité car les
relations des organes ne sont pas réglementées , c’est-à-dire que les organes entre
lesquels le travail est divisé ne sont pas suffisamment en contact ou bien que ce contact
n’est pas suffisamment prolongé pour produire les relations nécessaires au bon
fonctionnement des sociétés différenciées » ( Durkheim ) . On se rend compte ici que
Durkheim s’interroge sur les effets pervers engendrés par la division du travail , en
particulier sur la montée de l’individualisme .
• la seconde, dans son livre « Le suicide » , l’anomie renvoie toujours aux défauts de
règle sociale mais l’accent est désormais placé sur le fait que les passions issues du
processus d’individuation ne sont plus contenues par les règles morales et que les
individus en pâtissent . L’individu souffre alors du mal de l’infini que l’anomie apporte
partout avec elle .En effet , Durkheim constate que les passions individuelles sont illimitées
, qu ’elles ne connaissent pas de bornes . L’individu risque donc d’émettre des désirs
irréalisables , qu’il ne pourra satisfaire . Ceci engendrera un sentiment d’insatisfaction ,
une déception que Durkheim compare à un abîme sans fond que rien ne saurait combler .
Ce sentiment est le signe de l’affaiblissement des capacités de régulation de la société qui
se produit à des époques où le système moral en vigueur depuis des siècles est ébranlé ,
ne répond plus aux conditions nouvelles de l’existence humaine , sans qu’un nouveau
système se soit encore formé pour remplacer celui qui est condamné . C’est ce qui
caractérise l’époque à laquelle vit Durkheim et en particulier la sphère dans laquelle se
développe la division du travail . Durkheim écrit ainsi : « il y a une sphère de la vie sociale
où l’anomie est actuellement à l’état chronique ,c’est le monde du commerce et de
l’industrie »
L’augmentation des suicides est d’autant plus important à la fin du XIX° siècle que la division du travail
développe des tendances individualistes , favorisant ainsi le suicide égoïste : l’homme est d’autant plus
exposé à se tuer qu’il est plus détaché de toute collectivité , qu’il vit davantage en égoïste . L’homme
tient d’autant moins à lui qu’il ne tient qu’à lui . Inversement , selon Durkheim , l’homme se tue d’autant
moins qu’il a plus à penser à autre chose qu’à lui-même , c’est-à-dire aux autres .Durkheim peut donc
établir une relation entre le taux de suicide et le repli sur soi de l’individu c’est-à-dire le défaut
d’intégration sociale .

B -LE DEFAUT D’INTEGRATION SOCIALE ET DE REGLES COLLECTIVES .

R.Nisbet considère que l’objet du livre de la DTS est de démontrer que la division du travail favorise
l’intégration de l’individu à la société , sans que le corps social ait besoin de recourir à la contrainte ,
comme cela était le cas dans les sociétés caractérisées par la solidarité mécanique .
Une fois explicitées les conséquences bénéfiques de la division du travail , Durkheim se demande
comment établir les bases de la cohésion sociale afin que l’individualisme résultant de la division du
travail n’entraîne pas l’éclatement du corps social . La réponse se trouve dans la capacité que la
collectivité possède d’imposer des règles collectives qui sont à l’origine de la cohésion sociale . Mais
encore faut-il que ces règles reposent sur un consensus Ceci conduit , une fois de plus , Durkheim à
s’opposer aux économistes libéraux quand il se penche sur la question de l’autorité , de la
réglementation et de la liberté .
• selon les libéraux , il faut mettre au premier plan la liberté et limiter au maximum les
règles collectives qui entraveraient l’action , le libre arbitre des individus .
• Durkheim , au contraire , considère que le laisser-faire conduirait à imposer la loi du plus
fort . En effet , contrairement à ce qu’affirment les libéraux , la liberté n’est pas naturelle :
« elle est elle-même le produit d’une réglementation . » Pour imposer cette
réglementation , il est nécessaire qu’une puissance morale respectable soit capable de
l’édicter aux individus . Or , « la seule personne morale qui soit au-dessus des
personnalités particulières est celle que forme la collectivité . » Durkheim peut donc en
conclure que l’absence de solidarité entre les individus ne résulte pas de l’imposition d’un
trop grand nombre de règles mais au contraire d’une absence ou d’une insuffisance de
réglementations qui peut déboucher sur un état d’anomie .
Toute la difficulté est alors de forger des règles qui repose sur le consensus social . Dès lors que ce n’est
plus le cas , les règles peuvent faire plus de mal que de bien et même : « parfois ce sont ces règles
même qui sont la cause du mal » . Durkheim prend en particulier l’exemple de l’opposition existant entre
les classes sociales : l’organisation de la société en classes est réglementée , mais ce n’est pas
consensuel ; les classes inférieures considérant qu’elles sont injustement maintenues en bas de la
hiérarchie sociale , elles aspirent à s’élever mais pour y arriver , elles doivent remettre en cause le « rôle
qui leur est dévolu par la coutume ou par la loi » . Ceci donne lieu à la lutte des classes qui selon
Durkheim est une forme pathologique .

C - LES REMEDES PRECONISEES PAR DURKHEIM .

Durkheim envisage 2 types de remèdes principaux :

1- la solution corporative (19 p 391)

P.Steiner écrit : « Si les anciennes institutions ( Etat , religion , famille ) ne peuvent plus jouer pleinement
leur rôle socialisateur dans la société à solidarité organique , il faut résolument se tourner vers la création
de nouvelles formes sociales . Dans cette perspective et à un moment où l’organisation du monde
industriel et ouvrier n’en est qu’à ses premiers balbutiements , Durkheim propose de créer des
groupements professionnels ou corporations , ces groupes réunissant ouvriers et patrons dans les
différents branches du commerce et de l’industrie . » Selon Durkheim, ces corporations présenteraient de
nombreux avantages :
- Elles sont adaptées à l’état de la société de la fin du XIX° qui voit s’accroître considérablement la place
tenue par l’activité économique, alors que cette sphère d’activité se situe en dehors du cadre
d’intervention de l’Etat , de la religion et de la famille .
- Le groupement professionnel peut jouer un rôle intégrateur , car presque toute la vie de l’individu est
occupée par l’activité professionnelle . L’action corporatiste se fait ainsi sentir sur tout le détail des
occupations des individus qui grâce à elle sont orientées dans un sens collectif .
- le groupement professionnel , en organisant la vie économique , permettra de faire émerger un accord
sur la répartition des richesses et donc de faire apparaître : « cette loi de justice distributive si urgente »
qui rendra légitime la nouvelle structure hiérarchique qui s’est mise progressivement en place au cours
du XIX° . On mesure ici à quel point la problématique durkheimienne est éloignée de celle de Marx . En
effet , Marx considère que , structurellement , ce qui caractérise la société capitaliste , c’est
l’antagonisme de classes , qui ne disparaîtra qu’avec la révolution et l’instauration d’un régime socialiste
. Dès lors , selon les marxistes , un régime corporatiste ne résout aucun problème . Au contraire ,
Durkheim , pensant que l’opposition de classes résultant d’un défaut de coopération peut préconiser
comme solution le développement de corporations professionnelles instituant des règles . Il faut
néanmoins être prudent et ne pas assimiler les corporations préconisées par Durkheim avec celles
développées par les Etats fascistes en Europe au XX° ( Italie de Mussolini , Allemagne nazie, ... )

2 - le culte de l’individu , nouveau sacré ?

Durkheim constate que plus les sociétés deviennent volumineuses , moins les traditions prescrivent les
modalités de l’action humaine . « On s’achemine ainsi peu à peu vers un état qui est presque atteint dès
maintenant et où les membres d’un même groupe social n’auront plus rien de commun entre eux que
leur qualité d’hommes , que les attributs constitutifs de la personne humaine en général . ( ... ) . Dès lors
, la communion des esprits ne peut plus se faire sur des rites et des préjugés définis , puisque rites et
préjugés sont emportés par le cours des choses , par suite il ne reste plus rien que les hommes puissent
aimer et honorer en commun , si ce n’est l’homme lui-même . Voilà comment l’homme est devenu un
Dieu pour l’homme et pourquoi il ne peut plus sans se mentir à soi-même se faire d’autres dieux . Et
comme chacun de nous incarne quelque chose de l’humanité , chaque conscience individuelle a en elle
quelque chose de divin et se trouve ainsi marquée d’un caractère qui la rend sacré et inviolable aux
autres . Tout l’individualisme est là et c’est là ce qui en fait la doctrine nécessaire . ( ... ) Ainsi ,
l’individualiste qui défend les droits de l’individu , défend du même coup les intérêts vitaux de la société ,
car il empêche qu’on appauvrisse criminellement cette dernière réserve d’idées et de sentiments
collectifs qui sont l’âme même de la nation . » ( Durkheim , « La science sociale et l’action » )

Conclusion : Durkheim considère donc que dans les sociétés caractérisées par la société organique le
seul dénominateur commun qui demeure , qui lie les hommes est la qualité d’homme . Dès lors la
personne humaine devient sacrée ( on éprouve moins le besoin de recourir à la religion ) car faire
disparaître un homme c’est appauvrir l’ensemble de la collectivité ( les sanctions les plus lourdes
frappent désormais non plus les blasphèmes à l’encontre de la religion comme au Moyen-Age , les
atteintes au droit de la propriété mais les atteintes à la personne humaine ) .

CONCLUSION :
L’étude de la division du travail nous montre qu’un même sujet peut être appréhendé de manière très
différente par des auteurs qui peuvent arriver à des conclusions contradictoires :
• les économistes libéraux ont une vision strictement économique de la division du travail
dont les effets idylliques permettent de justifier l’absence de toute intervention sur la
société.
• Marx, tout en étant d’accord avec les classiques sur les bienfaits de la division du travail du
point de vue de l’efficacité économique, remet en cause son application dans le cadre d’un
système capitaliste qu’il considère comme fondamentalement injuste et donc condamné à
terme.
• Durkheim occupe une position intermédiaire, il constate les effets bénéfiques de la division
du travail en ne se limitant pas à la sphère matérielle mais en en montrant toute la
complexité sociale. En revanche, il se refuse à tout optimisme béat (les libéraux ) ou à tout
pessimisme hors de propos ( les marxistes ) pour préconiser une politique de réforme
sociale renforçant la solidarité .

II. Le travail permet de se construire une identité professionnelle

Nous avons vu au chapitre précédent que la division du travail permet à chacun de se rattacher à un collectif intermédiaire entre la
société et l’individu : le « métier », la profession, la catégorie sociale. Par le travail on peut d’une part se reconnaître des semblables,
qui partagent notre profession ou notre situation économique et sociale, et d’autre part se distinguer d’autres personnes, qui exercent
un métier différent, et ont donc d’autres valeurs, d’autres référence, avec qui on peut même être en conflit. Cela peut paraître
paradoxal, mais un individu a besoin de ce double mouvement de différenciation et d’assimilation pour s’intégrer. L’identification à
autrui nous rattache à la société, fait exister le collectif, et la différenciation nous donne une place dans ce collectif. Dans le travail,
cette « place » va se caractériser par un statut social – en quelque sorte le rang du travailleur dans les différentes hiérarchies sociales
(prestige, pouvoir, mais aussi richesse) – et un rôle social – c’est-à-dire l’utilité du travailleur dans l’entreprise et au-delà dans la
société, ce à quoi « il sert ».

III. Le travail assure un revenu et la participation à la société de consommation.

Travailler, plus précisément être actif, s’est s’assurer un revenu, qui est déjà une reconnaissance de l’utilité sociale de ce que l’on
fait. En ce premier sens, déjà, le travail est intégrateur. Mais le revenu permet aussi à l’individu de consommer les biens valorisés par
la société, et donc de s’y faire reconnaître. Si nous consommons tous à peu près les mêmes choses (voitures, logement, loisirs,
vêtements, etc.) ce n’est pas seulement parce que ces biens sont objectivement utiles ou nécessaires, mais aussi parce qu’ils nous
donnent un certain statut social. Pensez à ce que cela peut représenter en termes d’autonomie et d’identité personnelle d’acheter sa
première voiture.

IV. Le travail assure des droits sociaux.

Les droits sociaux sont les prestations sociales constitutives de l’Etat providence dont on reparlera à la deuxième section de ce
chapitre. C’est, par exemple, la possibilité d’une indemnisation pour les salariés qui se retrouvent au chômage. Ces droits sociaux
matérialisent la solidarité entre les individus, et plus encore l’appartenance à la société : c’est bien parce qu’on travaille en France
que l’on bénéficie d’une panoplie de droits et de prestations, qui diffèrent d’un pays à l’autre, chaque société organisant sa sphère de
solidarité.

Conclusion :

Le travail, parce qu’il permet à l’individu d’acquérir un statut social, de disposer de revenus et d’accéder à des droits et des
garanties sociales, est donc devenu un pilier de l’intégration sociale. La nécessité impérieuse (pas seulement matériellement
mais aussi socialement) d’avoir un emploi, la volonté très marquée dans les enquêtes d’opinion de s’épanouir dans son
travail, montrent bien que le travail n’est pas seulement une activité parmi d’autres. Le travail est plus que cela, il est
fortement chargé symboliquement, autrement dit il fait partie du registre des valeurs.

Pour plus de développement :

LE TRAVAIL ASSURE L’INTEGRATION DES INDIVIDUS A LA SOCIETE .

A - LE TRAVAIL EST LA SOURCE ESSENTIELLE DU LIEN SOCIAL

1 - LE LIEN SOCIAL DANS LES SOCIETES TRADITIONNELLES .

Dans les sociétés traditionnelles, le lien social repose sur la contrainte. En effet, comme l’indique Durkheim dans les sociétés
caractérisées par la solidarité mécanique, les individus sont semblables, dès lors rien n’assure leur interdépendance. Ceci risque de
mettre en danger la viabilité de la société qui, pour se protéger et obliger les individus à être solidaires, va développer un droit
répressif.
2 - LE LIEN SOCIAL DANS LES SOCIETES MODERNES

En revanche , d’après Durkheim, dans les société modernes se développe une autre forme de lien social : la solidarité organique . En
effet , les sociétés modernes sont caractérisées par un individualisme très fort ; ce qui va être à la source du lien est alors la division
du travail : les individus sont différents et donc complémentaires . Mais l’origine de la division du travail ne tient pas , d’après
Durkheim , à des éléments de nature économique , ce qui le différencie de Smith .
Selon les auteurs libéraux , en particulier Smith, le lien dans les sociétés modernes rompt avec celui des sociétés traditionnelles sur
de nombreux points. On peut même dire qu’il en prend le contre-pied :
- Le lien social est basé sur un contrat signé librement par des individus responsables et autonomes qui sont des homo economicus
égoïstes et rationnels (« donnez moi ce dont j’ai besoin et vous aurez ce dont vous avez besoin vous même ». Le lien social n’est
donc plus imposé par la société à des individus qui sont obligés de se conformer à ses diktats, ce sont au contraire les individus par le
contrat qui créent la société : conception individualiste de la société qui s’oppose à la conception holiste qui dominait jusqu’alors . .
- Le lien social ne repose plus sur un lien communautaire de nature religieuse, mais est basé sur l’économie : comme l’écrit P
Rosanvallon : « Smith pense l’économie comme fondement de la société et le marché comme opérateur de l’ordre social », ce qui
signifie (D Meda) que le lien social est « l’échange marchand et matériel ».
- Dés lors et c’est une nouvelle rupture par rapport au lien traditionnel : le lien social «consiste essentiellement en une
coexistence pacifique imposée ». Qu’est ce à dire ? Smith nous apporte la réponse : « sans l’aide et le concours de milliers de
personnes, le plus petit particulier, dans un pays civilisé, ne pourrait être vêtu et meublé ». La division du travail « n’est donc pas
simplement une économie de temps et de travail. Elle construit la société jusqu’à sa finalité ultime: celle de l’autonomie réalisée
dans la dépendance généralisée » (Rosanvallon ). « Le travail est (donc) le lien social, car il met les individus obligatoirement en
rapport; les oblige à coopérer et les enserre dans un filet de dépendance mutuelle (...). Ce lien social n’est ni voulu, ni aimé, il est
sans parole et sans débat, les actes sociaux s’y font automatiquement » (D Méda).
- Ce lien obligatoire mais non contraignant reposant sur l’interdépendance des individus ne nécessite plus l’intervention d’un
agent de régulation assurant sa perpétuation, en effet le lien marchand s’autorégule par le phénomène de la main invisible, « l’Etat
n’a donc pour seule fonction que de permettre une fluidité toujours plus grande des échanges économiques afin de prescrire les
tensions sociales ». Son rôle est donc très limité.
On vient donc de voir que le lien social basé sur le travail et l’échange marchand est le lien fondateur de la société moderne.
Aujourd’hui, dans nos sociétés de marché nous nous définissons avant tout par le travail que nous exerçons.

3 - DANS LA SOCIETE DE MARCHE L’INDIVIDU EST AVANT TOUT UN TRAVAILLEUR.

Comme l’indique D Méda on est passé « au long du 19 ème siècle d’une intégration communautaire fondée sur la proximité
(familiale, domestique au sens large, géographique) à de nouveaux regroupements organisés autour de lieux artificiels ( la fabrique,
le magasin , le bureau, l’entreprise, bref le lieu de travail, totalement distinct des autres lieux) et comment de ce fait une partie des
fonctions d’apprentissage, de socialisation et de constitution des identités ont été peu à peu pris en charge par la sphère du travail. »
D Méda poursuit : « le travail s’est constitué, au 19 ème siècle, en champ d’intégration à un triple niveau, ou en faisant participer les
individus à trois types de système de coappartenance : l’entreprise, le syndicat, le salariat ».
- l’entreprise : avec le 19 ème siècle apparaît un nouveau mode d’organisation du travail et de la main d’oeuvre qui n’a plus de lien
direct avec la communauté familiale. L’individu par son appartenance à l’entreprise va donc dès lors devenir le membre d’un
nouveau collectif, établir de nouvelles relations sociales qui débordent celles qu’ils auraient eu dans le cadre familial, recevoir une
identité, un statut en fonction de la place qu’il occupe dans l’entreprise, et donc s’adapter à un rôle, accepter les normes et les valeurs
qui s’y réfèrent.
- Mais l’entreprise n’est pas seulement un lieu de convivialité, c’est aussi un lieu de pouvoir, inégalement distribué, ce qui génère
obligatoirement des conflits. Dès lors, les collectifs de travail, en particulier les ouvriers, vont peu à peu prendre conscience de ce
qui les rassemble, et de ce qui les oppose au chef d’entreprise puis plus largement au patronat. On va alors assister au développement
du syndicalisme .Celui ci, en France en particulier, va développer chez ses adhérents un fort sentiment d’appartenance, une identité
de syndiqués qui tout en s’opposant à ceux développés dans l’entreprise en sont complémentaires. On comprend mieux alors ce que
voulait dire Méda quand elle écrivait : « ce qui est tout à fait curieux et paradoxal, c’est que le système idéal imaginé par Marx n’est
pas très éloigné de ces conceptions ». Marxistes et libéraux, chefs d’entreprises et syndiqués, dans leurs oppositions, partagent un
certain nombre de valeurs communes, en particulier ils accordent au travail une place centrale dans les rapports sociaux.
- Les rapports sociaux vont évoluer tout au long du 19ème siècle. Aux rapports ponctuels, limités au contrat, vont peu à peu se
substituer de nouveaux rapports, qui vont donner naissance au 20 ème siècle à une troisième dimension génératrice d’identification :
la participation au salariat qui est de plus en plus recherchée par les individus à mesure que le temps passe. La part des salariés dans
la population active passe ainsi de 66 % en 1955 à 85 % en 1994. Comment expliquer cette évolution ? Le document 1 nous fournit
une partie de la réponse : « Si les enfants de paysans ont déserté les campagnes et si les femmes revendiquent le droit de travailler ,
c’est que le travail salarié, si contraignant et déplaisant qu’il puisse être par ailleurs, libère de l’enfermement dans une communauté
restreinte dans laquelle les rapports individuels sont des rapports privés, fortement personnalisés, régis par un rapport de force
mouvant, des chantages affectifs, des obligations impossibles à formaliser. Les prestations que les membres de la communauté
échangent n’ont pas de valeur sociale publiquement reconnue et ne leur confèrent pas de statut social ». C’est en particulier vrai pour
les femmes au foyer qui, bien qu’elles fournissent un travail domestique, sont considérées comme inactives , n’ont dès lors pas de
statut social , si ce n’est celui qu’elles reçoivent de leur mari . Le salariat sera donc pour (ces catégories) une émancipation : la
prestation de travail y a un prix et un statut public, le rapport avec l’employeur est régi par des règles de droit universelles, destinées
à mettre à l’abri le salarié de l’arbitraire et des demandes personnelles du patron. Le travail fourni a donc un statut de travail en
général qualifiant son prestataire comme individu social en général capable de remplir une fonction sociale déterminée, de s’y rendre
généralement utile au système social. ». En effet comme l’indique D Méda: « le 20 ème siècle a bien été le siècle de l’emploi: dès
que l’individu en a un, une place lui est assignée tant dans l’entreprise que dans un ample système de droits, de garanties collectives,
de protections de statuts, mais également dans la fonction générale qui incombe à la nation : la production de biens et services. (...) L
a production a pris dans la vie sociale une place prépondérante, apparaissant quasiment comme l’acte majeur par lequel la société se
survit à elle même. Plein-emploi et prédominance de l’acte de production consommation convergent pour faire de l’intégration par le
travail le modèle de l’intégration sociale. » . Ainsi durant la période des trente glorieuses le travail a donné un statut à l’individu :
celui de salarié, mais aussi celui de consommateur. Il lui a fourni les valeurs et les rôles qui s’y rattachent : le salarié doit consommer
et rentrer ainsi dans le modèle de l’américan way of life qui permet aux entreprises d’écouler la production croissante résultant des
gains de productivité qui améliorent le bien être des salariés(on pourrait développer ici le schéma du cercle vertueux des 30
glorieuses). La boucle est bouclée. Ne peut on en conclure alors avec R Sainsaulieu que l’entreprise est une petite société politique ?
Comme l’écrit D Méda , dans son livre , le travail une valeur en voie de disparition : « peu à peu l’idée s’est fait jour d’une
entreprise qui assurerait , en plus de la fonction de production, d’autres fonctions de nature sociale, permettant l’expression , la
cohésion, la sociabilité des salariés: l’entreprise , société en miniature , serait devenue un haut lieu de la vie sociale. » Mais alors si
l’entrée dans l’entreprise est considérée comme étant l’initiation à la vie sociale: en être tenue écarté équivaut à l’exclusion sociale.

Partie 2 – La famille a un rôle fondateur dans l’intégration

C’est dans la famille que se passe une bonne partie de la socialisation primaire des individus. C’est là d’abord que sont transmises
les normes et les valeurs en vigueur dans la société. Mais la famille est aussi un réseau d’entraide et de solidarité qui contribue à la
cohésion sociale.

I. La famille transmet les normes et les valeurs en vigueur dans la société.

Ce mécanisme de la socialisation familiale a été abordé en classe de première : la famille transmet le langage, les mœurs, les rôles
sociaux (à commencer par ceux de parents et d’enfants !). Nous n’allons pas analyser ce processus ici, mais simplement rappeler son
importance pour bien s’intégrer à la société L’exemple de la langue est le plus parlant (si on peut dire !) : comment ne pas se sentir
étranger dans une société si on n'en parle pas la langue ? Comment interagir avec les autres si on ne peut se comprendre ?

II. La famille est le lieu d’activités communes.

C’est vrai évidemment pour les activités quotidiennes, comme les repas par exemple. Ces activités donnent lieu à un partage des
tâches à l’intérieur de la famille, un peu comme le travail est divisé dans l’entreprise, qui organise des rôles familiaux (qui prépare le
repas, qui s’occupe des tâches ménagères, des courses, des démarches administratives, etc.). Les loisirs pris en famille permettent
aussi de tisser des liens de socialisation . Enfin, la famille peut aussi être un lieu d’activité économique, comme dans les familles
d’agriculteurs traditionnelles ou chez les ouvriers du textile au début du 19ème siècle (les « canuts » lyonnais par exemple).

III. La famille constitue un réseau de solidarité.

Il est évident que la famille implique un ensemble d’obligations et de droits réciproques permanents entre ses membres, tant sur le
plan légal que sur le plan affectif. C’est notamment la relation entre parents et enfants, bien plus durable que la relation de couple par
exemple, ou encore la relation entre grands-parents et petits-enfants, avec ce qu’elle implique souvent en termes d’échange de
services ou de transferts financiers. Mais quel est l’impact de ces liens sur l’intégration ? Comme le travail, la famille est un
« échelon intermédiaire » entre la société et l’individu, où celui-ci peut prendre place, donner du sens à sa présence parce qu’elle
s’insère dans un tissu de relations de proximité. La famille est en fait un « lieu », un espace de partage où la solidarité prend une
dimension concrète. La famille est souvent, pour l'individu, le premier recours en cas de « pépin », mais aussi un recours pour
organiser au mieux sa vie matérielle (par exemple, la garde des enfants par les grands-parents, occasionnellement ou régulièrement).

Partie 3- Le rôle de l’école

Avec la famille, l’école joue un rôle important dans la socialisation des futurs citoyens. Elle contribue donc à l’intégration sociale
des membres de la société, en transmettant des normes et des valeurs, mais aussi en favorisant l’épanouissement individuel et en
préparant l’entrée dans la vie active.

I. Le rôle traditionnel de l’école : la transmission d’une culture commune.

L’ « école républicaine », celle qui s’est construite au cours de la 3è République, en particulier avec les lois de Jules Ferry rendant la
scolarité obligatoire, est d’abord celle qui a comme objectif de « fabriquer des bons français ». Elle a imposé la langue française au
détriment des langues régionales de manière très systématique (et vous savez depuis la classe de première combien la langue est un
élément essentiel de la culture d’une société). Elle a valorisé la science et la raison, et à travers elles, l’idée d’une culture universelle
dépassant les particularismes religieux. Elle a diffusé tout un ensemble de valeurs patriotiques (les grandes dates de l’histoire de
France, les « grands hommes », le drapeau français, la Révolution française, etc) qui ont contribué à construire réellement la Nation
française : les enfants, une fois passés par l’école, avaient à la fois une langue, des références culturelles et des racines historiques
communes, quelle que soit leur origine sociale, régionale, religieuse ou ethnique. On mesure à quel point ce fonctionnement était en
effet intégrateur.

II. La préparation à la vie active.

L’école prépare à l’entrée dans le monde du travail en dispensant des qualifications et en les validant par des diplômes. On retrouve
dans cette fonction utilitaire de l’école un peu la même fonction intégratrice que la division du travail : donner une place à chacun en
lui donnant une identité professionnelle. Le diplôme, c’est la reconnaissance de capacités et donc d’une sorte « d’utilité sociale »,
mais c’est aussi le début de l’appartenance à un monde professionnel.

III. La construction des individus.

L’école doit permettre à l’enfant de développer sa personnalité, de s’épanouir, donc de construire son identité personnelle, par
définition différente de celle des autres enfants. Cela peut paraître paradoxal de dire que la construction de l’identité individuelle
concourt à l’intégration sociale, mais le paradoxe n’est qu’apparent. Emile Durkheim avait déjà souligné que l’individu était
nécessairement une construction sociale : ce n’est que dans un cadre social, par opposition avec les autres et plus généralement dans
l’interaction avec les autres que l’on peut affirmer une personnalité propre.

Conclusion :

L’école rencontre aujourd’hui des difficultés dans sa mission intégratrice, mais ces difficultés, largement évoquées dans les médias,
ne doit pas conduire à sous-estimer le rôle de l’école dans la cohésion sociale. Le développement de la scolarité obligatoire jusqu’à
16 ans, le prolongement et la démocratisation des études font que le poids de l’école dans le processus d’intégration s’est
considérablement renforcé au cours du 20ème siècle.

Partie 4 – Le rôle de la citoyenneté

I. Qu’est-ce que la citoyenneté ?

La citoyenneté est d’abord politique. On peut dire que c’est la capacité à être membre d’une communauté politique et, à ce titre, à
participer à la prise des décisions. Ces décisions sont celles qui concernent la vie en société et en particulier la façon de régler les
conflits surgissant entre les membres de la société. La citoyenneté s’exerce au travers d’un certain nombre de droits (égalité
juridique des citoyens, droit de vote, etc…) et de devoirs (défense du pays, financement des dépenses collectives, etc).

II. En quoi la citoyenneté est-elle intégratrice dans une société démocratique ?

Chaque citoyen, au-delà de toutes les différences qu’il peut avoir avec les autres citoyens, est dépositaires d’une parcelle de
légitimité. A ce titre, il dispose des mêmes droits et devoirs que les autres, et il est appelé à les exercer concrètement. C’est cette
égalité entre les individus et l’implication dans le gouvernement de la société qui est intégrateur. La Nation se veut intégratrice de ses
membres au-delà de leurs différences religieuses, ethniques, ou de genre (homme/femme). Elle transcende donc tous les
particularismes au nom des valeurs universelles (égalité, démocratie, liberté). Enfin, pour conclure, on peut remarquer que si
l’exercice traditionnel de la citoyenneté politique semble aujourd’hui en déclin, il y a sans doute des formes nouvelles d’exercice de
cette citoyenneté : quand on voit le nombre d’associations s’accroître, le nombre de gens qui s’impliquent bénévolement, par
exemple, dans les Restos du Cœur, on peut penser qu’il y a là de nouvelles formes de participation, qui sont essentiellement
politiques

Partie 5- Le rôle de la protection sociale

Le développement de la protection sociale et des solidarités collectives est caractéristique du 20 ème siècle, surtout dans sa deuxième
moitié, dans les pays développés. C’est l’Etat qui en a été l’artisan, d’où son appellation, Etat providence, pour signifier que l’Etat,
donc la solidarité nationale, allait prendre en charge les individus, un peu comme auparavant, on se confiait à la providence divine
et à l’église.
I. Le développement de l’Etat-Providence

Il faut comprendre d’abord pourquoi l’Etat providence s’est créé, en réponse à quels besoins. Nous pourrons voir ensuite quelles
sont les grandes logiques qui président au développement des Etats providence et quelle typologie on peut faire, dans la mesure où
les formes qu’ont prises les solidarités collectives sont variées.

A. L’Etat-Providence est un système de redistribution des revenus visant à protéger les individus contre les risques
sociaux
Pour mieux comprendre cette définition de l’Etat providence, il est nécessaire d’abord de clarifier la notion de risque social. Ensuite,
nous pourrons voir en quoi consiste concrètement la « protection sociale » avant d’examiner les mécanismes de redistribution des
revenus qu’elle implique.

1. Définition des risques sociaux

Les risques sociaux peuvent être définis comme des évènements incontrôlables provoquant soit des dépenses importantes pour
l’individu (la maladie ou l’accident, par exemple), soit une diminution sensible de ses revenus habituels (chômage, cessation
d’activité, par exemple). Ces risques ont bien sûr toujours existé : la vieillesse ne date pas d’aujourd’hui (même si beaucoup plus de
gens l’atteignent aujourd’hui qu’avant) ! Mais dans une société traditionnelle, c’est essentiellement la famille, dans une moindre
mesure la paroisse (c'est-à-dire l’Eglise), qui assurent cette prise en charge des individus subissant des risques sociaux. Les liens de
dépendance sont alors très forts, en particulier entre les enfants et les parents. La révolution industrielle et les transformations de la
société qui l’ont accompagnée ont bouleversé ces solidarités traditionnelles : l’urbanisation et la faiblesse des rémunérations des
travailleurs imposent la réduction de la taille des familles, la taille des logements rend impossible la prise en charge de parents âgés,
etc Parallèlement, les individus, se différenciant de plus en plus, revendiquent une autonomie personnelle grandissante : ils préfèrent
pouvoir s’adresser à une entité abstraite, l’Etat providence, expression de la solidarité collective, plutôt que de dépendre de leur
famille, par exemple.

2. Définition de la protection sociale

La protection sociale est donc un système qui offre aux individus une protection collective, déshumanisée (car administrative) contre
les risques sociaux. Cette protection sociale a aussi comme avantage d’être (ou du moins c’est son objectif) universelle, c’est-à-dire
de concerner l’ensemble des personnes vivant sur le territoire national. Concrètement, la solidarité s’exprime à travers le
financement de la protection sociale : tous les citoyens sont appelés à financer les dépenses de protection sociale, indépendamment
de leur situation personnelle face aux divers risques sociaux. Ainsi, un salarié sans enfant paie des cotisations pour financer les
allocations familiales, et un travailleur peu exposé au chômage ou à la pauvreté contribue néanmoins au financement de l’UNEDIC
ou du RMI. Mais tous en profitent selon leurs besoins le moment venu, quand ils sont malades, au chômage ou trop vieux pour
continuer à travailler.

3. La redistribution des revenus

La protection sociale se traduit par une importante redistribution des revenus. Cette redistribution est d’abord horizontale, c’est-à-
dire indépendante du revenu des personnes. C’est le cas des remboursements maladie, par exemple : les personnes en bonne santé,
qu’elles soient riches ou pauvres, financent par leurs cotisations les dépenses des personnes malades, qu’elles soient riches ou
pauvres. Mais elle peut aussi être verticale, c’est-à-dire redistribuer l’argent des plus riches vers les plus pauvres. C’est le cas
notamment du RMI qui est financé par les impôts payés par l’ensemble des Français, et notamment les plus riches, mais dont les
prestations sont réservées aux ménages les plus modestes.

B. Deux types de solidarité mis en œuvre par l’Etat-Providence

On distingue en général deux sortes d’Etats providence, en fonction de la logique qui préside au système de protection sociale mis en
place. Après avoir présenté les deux logiques possibles, et pour les illustrer, nous essaierons de caractériser le système français en
fonction de ces deux logiques.

1. La logique de l’assurance

Chaque actif cotise proportionnellement à son revenu et il reçoit des prestations proportionnelles à ses cotisations. Pour les
personnes qui ne travaillent pas, il faut envisager un système d’aide sociale particulier. Ici, il n’y a donc pas a priori de volonté de
réduire les inégalités, la redistribution s’effectuant entre actifs en bonne santé et malades, entre actifs et retraités, entre actifs sans
enfant et actifs ayant des enfants, etc. Le versement des prestations est « sous condition de cotisation », c’est-à-dire qu’il faut avoir
cotisé pour en bénéficier. On parle parfois de « système bismarkien », du nom du Chancelier Bismark, qui mit en place le système
d’assurances sociales en Allemagne à la fin du 19ème siècle.
2. La logique de l’assistance

La protection sociale est un système redistributif visant à assurer une plus grande égalité entre tous en couvrant les besoins
considérés comme « de base ». Dans ce type de système, tous les individus sont couverts quelle que soit leur situation
professionnelle (c’est le principe d’universalité) ; les prestations dépendent des besoins et non du montant des cotisations, elles sont
même parfois « sous condition de ressources », c’est-à-dire que la prestation décroît avec le niveau de revenu, ce qui accroît l’effet
redistributif du système (les plus riches cotisent plus et perçoivent moins). Le système est géré par le service public et financé par
l’impôt : la participation au système doit être obligatoire pour qu’il y ait redistribution des revenus, sinon les plus riches, qui sont en
quelque sorte les « perdants » dans cette logique, refuseraient d’y participer. On parle parfois de système beveridgien, du nom de
Lord Beveridge qui publia pendant la seconde guerre mondiale à Londres un rapport célèbre sur le « Welfare State » (Etat
providence), et qui inspira notamment le système de protection sociale britannique d’après guerre. ( 4 p 203 )

3. Le système français

En France, comme dans d’assez nombreux pays, le système mis en place aujourd’hui tient un peu des deux logiques, assurance et
assistance.

• La protection sociale est en principe liée aux cotisations sociales versées : pour bénéficier de prestations, il faut avoir cotisé,
c’est-à-dire avoir travaillé. C’est l’activité qui est à la source de la protection sociale. On cotise pour chacun des « risques »
(vieillesse, maladie, maternité-famille, chômage, accidents du travail). Tout assuré social a droit aux prestations sociales,
c’est-à-dire à des revenus versés quand les conditions requises sont remplies (allocations familiales, remboursement de frais
de maladie, etc…).On retrouve donc ici la logique de l’assurance.
• Mais depuis peu, grâce à la C.M.U. (Couverture Maladie Universelle), des personnes non assurées sociales peuvent
bénéficier d’une couverture sociale en cas de maladie, ce qui n’était pas le cas auparavant. La protection sociale est donc
maintenant en principe « universelle », ce qui la rapproche de la logique d’assistance. De même, le système assure aussi une
fonction redistributrice : les prestations ne dépendent souvent pas des cotisations. Ainsi, un père de famille assure le droit
aux prestations à son épouse si elle est inactive et à tous ses enfants mineurs. Un célibataire ayant le même salaire que ce
père de famille paiera la même cotisation mais disposera de beaucoup moins de prestations (pas d’allocations familiales,
beaucoup moins de remboursements de frais de maladie, etc). La redistribution se fait surtout des célibataires vers les
familles et des actifs vers les personnes retraitées. Enfin, depuis le début des années 1970, se sont développées des
prestations sous condition de ressources, comme par exemple les « bourses de rentrée scolaire». On est ici tout à fait dans
une logique d’assistance.
• Par ailleurs, le système français se caractérise aussi par ce qu’on appelle le paritarisme : les institutions qui gèrent la
protection sociale sont distinctes de l’Etat (La Sécurité sociale pour la maladie, la vieillesse et la famille, l’UNEDIC pour le
chômage). Leur budget est supérieur, en montant, à celui de l’Etat. Elles reçoivent les cotisations et versent les prestations.
La Sécurité sociale et l’UNEDIC sont gérées par les partenaires sociaux : cela signifie que leurs conseils d’administration
sont composés, en principe, pour un tiers de représentants des employeurs, pour un tiers de représentants des salariés et
pour le dernier tiers par des représentants de l’Etat. Autrement dit, la Sécurité sociale, l’UNEDIC, ce n’est pas la même
chose que l’Etat. Ce sont des Administrations publiques au même titre que l’Etat et les Collectivités territoriales.

Pour les différences de système entre pays (p214) :

Chaque pays a construit son propre système de protection sociale, en fonction de ses valeurs, de son histoire, de ses ressources, etc
On peut cependant observer qu’il y a des grands types d’Etats providence et essayer de les regrouper en fonction de leur étendue,
c’est-à-dire du degré de solidarité qu’ils impliquent entre les personnes. C’est ce qu’a fait le Danois G. Esping-Andersen en
proposant de distinguer trois types principaux d’Etats providence :

• Le modèle universaliste, d’inspiration bévéridgienne : son objectif est de permettre un accès universel (c’est-à-dire de tous
les citoyens) à un niveau élevé de prestations et de services. Ces services sont offerts gratuitement et sont donc financés par
l’impôt. La protection sociale ne découle pas du travail, elle est garantie à tous les citoyens. Ce système repose sur un Etat
fortement interventionniste et sur la volonté d’assurer la plus grande égalité possible entre tous les citoyens. On parle
également de système social-démocrate. On retrouve ce système essentiellement dans les pays de l’Europe du Nord,
spécialement en Suède.
• Le modèle corporatiste : le système repose pour l’essentiel sur les cotisations des actifs. C’est donc l’activité (le travail) qui
ouvre les droits. Ces droits sont souvent proportionnels aux cotisations, selon la logique assurantielle. Les assurés sociaux
peuvent compléter leur protection personnelle en souscrivant des assurances privées ou en adhérant à des mutuelles. Le
système français est un système corporatiste, comme celui de l’Allemagne.
• Le modèle résiduel (ou libéral) : la protection sociale doit être assurée par les cotisations personnelles, volontaires des
individus. Il n’y a donc pas de système de protection sociale à proprement parler, mais des assurances privées auxquelles
chacun cotise en fonction de ses moyens et de ses choix personnels. On a ici un Etat providence très réduit qui se contente
d’instaurer un minimum de protection sociale pour les plus démunis ne pouvant absolument pas payer une assurance
personnelle. L’aide publique sera donc réservée aux plus pauvres et n’assurera que les prestations essentielles. L’exemple le
plus connu de ce type de système est celui des Etats-Unis (si vous regardez la série télévisée « Urgences », vous savez à quel
point la question de l’assurance des patients arrivant à l’hôpital est cruciale).
Notions du référentiel :lien social, intégration,
universalisme/ communautarisme
Chapitre changement et solidarités individualisme,
sociales universalisme/communautarisme/corporatisme

Fiche 2 – La cohésion sociale en crise ?

Comme à la fin du 19ème siècle, quand Durkheim écrit la « division du travail social »notre société est confrontée à la question de la
cohésion sociale. Après avoir présenté l’analyse du précurseur Durkheim, et ses principaux apports, nous nous intéresserons à la
crise du lien social aujourd’hui. Les institutions traditionnellement créatrices de lien social
(famille, religion, syndicat) comme les outils (le travail) connaissent actuellement de profonds bouleversements dans la société
française (et plus largement dans l’ensemble des sociétés industrielles). Ces mutations ne mettent-elles pas en péril la cohésion
sociale en affaiblissant voire en brisant les liens qui unissent les membres d’une société.

Partie 1 – Le travail condition nécessaire et suffisante pour créer du lien social ?

I. Le développement du chômage peut créer une perte de lien social

A. Le chômage crée l’exclusion

A Gorz écrit : « le travail désigne aujourd’hui cette activité fonctionnellement spécialisée et rémunérée en raison de son utilité au
système social. Aussi longtemps que le fonctionnement du système social, sa production et reproduction exigeront du travail humain,
le travail, si réduit que soit le temps qu’il occupe dans la vie de chacun, sera indispensable à la pleine citoyenneté » .Les individus
qui sont privés d’emploi ne peuvent participer à la production de la société et par cette participation ne peuvent « acquérir sur la
société des droits et des pouvoirs ».
En effet, comme le dit D.Schnapper , nos sociétés sont fondées sur la production et la consommation . Or la production nécessite du
travail, nos sociétés sont donc basées sur le travail. Ceci va générer un cercle vicieux qui va renforcer l’exclusion du chômeur.

B. Le cercle vicieux du chômage

« si le pire survient et que l’on connaît une longue période de chômage, alors se manifeste la crise du sens dans toute son ampleur:
le chômeur, déjà exclu du cercle professionnel, s’exclut progressivement de ces autres sphères de sens que sont les relations
amicales, les projets, les loisirs, et ne peut même plus s’évader dans la consommation. Surtout plus le temps passe, et plus il perd à
ses yeux sa valeur personnelle, plus se brouille la direction de sa propre vie »; l’individu perd ses relations sociales et le risque
s’accroît que l’individu tombe dans ce que R Castel a appelé : « la zone de désafilliation (qui) conjugue l’absence de travail et
l’isolement social » .Il est donc nécessaire face à ce risque d’essayer de réinsérer les individus dans la société , en leur donnant les
moyens financiers qui leur permettront de ne pas tomber dans le dénuement , mais aussi en leur proposant des stages de réinsertion
qui faciliteront le retour sur le marché du travail . C’était tout l’objectif du RMI.

Pour plus d’informations :

C - D’AILLEURS LES POLITIQUES DE REINSERTION SOCIALE SANS REINSERTION SUR LE MARCHE


DU TRAVAIL ONT ETE DES ECHECS.
1 - L’EXEMPLE DES POLITIQUES VISANT A DEVELOPPER LE LIEN SOCIAL DANS LES BANLIEUES

Bien souvent le terme exclusion est mal maîtrisé . En effet : « ce que l’on entend aujourd’hui par exclusion ne désigne ni
l’isolement, ni la non appartenance à une communauté ou à un groupe » On a ainsi pu constater que : « les jeunes chômeurs des
banlieues s’auto-organisent en communauté (en bandes) où la solidarité, l’entraide, la coopération les lient et les intègrent plus
fortement que les membres d’organisation publiquement reconnues » . Pourtant ces jeunes demeurent exclus car il leur manque ce
qui insère réellement l’individu dans la société c’est à dire la possession d’un travail . Dès lors , tout le travail social qui est
actuellement mené dans les banlieues qui sont considérées comme des zones prioritaires ne débouchera sur aucun résultat concret
tant que l’on ne créera pas d’emplois en nombre suffisant pour faire des jeunes de véritables salariés avec tous les droits y afférents .

2 - L’EXEMPLE DU RMI

a - Une bonne mesure.

Le RMI créé en 1988 est une mesure qui visait deux objectifs ainsi que l’indique son nom : le premier était d’assurer à tous les
adultes de plus de 25 ans un revenu minimum qui devait leur permettre d’éviter de tomber dans la grande pauvreté ( on retient ici la
définition de la pauvreté absolue , non celle de la pauvreté relative). Le second objectif était de permettre à tous les individus de
bénéficier de stage de formation , de réinsertion afin d’accroître leur chance d’obtenir un emploi .
Le premier objectif a bien été atteint: « la perception du revenu minimum a permis aux allocataires de couvrir un certains nombre
de besoins essentiels, de connaître moins de difficultés pour régler des charges fixes, voire pour certains d’engager un processus de
désendettement. La sécurité matérielle des allocataires a été complétée par l’amélioration importante de la couverture maladie qui
bénéficie désormais à 97 % d’entre eux ». On note aussi une amélioration de l’insertion au sens de « insertion dans une sociabilité
socio-familiale »: « Les études du CERC ont montré que le RMI a joué un rôle positif dans les relations avec l’entourage. La
prestation semble avoir renforcé la solidarité familiale plutôt que de l’avoir remplacé ».

b - Mais insuffisante.

« pourtant au vu des principaux indicateurs disponibles, la dynamique d’insertion reste encore insuffisante. A la mi 91, près de 30 %
des bénéficiaires qui avaient perçu l’allocation RMI au cours du premier trimestre 1990 ont un emploi ou suivent une formation. Cet
accès à une activité n’a pas entraîné forcément une sortie immédiate du RMI, loin de là .»

c - Qui risque de générer des effets pervers .

Le RMI a eu deux effets pervers auxquels ne s’attendaient pas ses promoteurs :


- Le RMI est devenu un stigmate pour ses bénéficiaires qui ont l’impression (pas toujours à tort) d’être considérés par la
population ayant un emploi comme des fainéants qui ne font aucun effort pour s’en sortir. On retrouve ici le problème de la
responsabilité personnelle de la pauvreté si chère aux libéraux qui les amènent à conclure que ce sont les aides qui créent les pauvres
et donc qu’il faut les supprimer. Or « ce fait est d’autant plus injuste qu’il s’est agi pour beaucoup d’un dernier recours qu’ils ont
accepté à défaut de trouver un emploi ». On constate d’ailleurs que : « les deux tiers des allocataires du RMI demandent en priorité
un emploi, et les jeunes se détournent des stages lorsqu’ils ont compris qu’ils ne débouchent pas sur un vrai travail ».
- « la garantie d’un revenu suffisant n’y changera rien. Ce revenu sera seulement un revenu octroyé qui place ses bénéficiaires
dans la dépendance vis à vis de l’Etat sans leur donner aucune prise ni aucun droit sur lui ». Mais plus grave encore :
« l’inconditionnalité du revenu signifie au contraire que la société se passera fort bien du concours de ceux qui préfèrent rester à
l’écart : elle leur signifie qu’elle n’a pas besoin d’eux ». On risque alors de voir une partie croissante de la population (le taux de
rmistes ne cessant de progresser) être durablement exclue de la société.
Pour éviter ces risques, la seule solution réellement efficace est de réinsérer les individus par le travail .

D - IL FAUT DONC RETISSER DU LIEN SOCIAL EN MENANT DES POLITIQUES QUI REINSERENT SUR
LE MARCHE DU TRAVAIL.

1 - DES EXEMPLES DE POLITIQUES DE REINSERTION PAR LE TRAVAIL.

L’exemple de chômeurs qui « font partie des quelques 70 000 mille personnes en situation d’exclusion employées régulièrement
dans le cadre de ces dispositifs dits d’insertion par l’économique. (...) . L’idée était à la fois de satisfaire, selon une formule souvent
citée, les demandes sociales laissées sans réponse du fait de leur non rentabilité et d’offrir à la masse croissante des exclus un moyen
d’insertion plus efficace et formateur que les stages parkings. En effet, les bénéficiaires de ces dispositifs sont employés en milieu
professionnel normal avec un statut de salarié « qui leur permet de compter de nouveau parmi les actifs de la société parmi ses
citoyens ». La grande force de tous ces dispositifs « est d’avoir compris que la réinsertion passe nécessairement par la remise au
travail. Redonner un emploi est le premier point d’ancrage de la lutte contre l’exclusion ». En effet le retour à l’emploi présente deux
avantages essentiels :
- il répond à la demande des chômeurs
- Il redonne aux populations en difficulté des repères de temps et d’espace qui facilitent leur réinsertion.
D’ailleurs, « partout on constate que cette démarche de remise au travail apporte le plus de résultats : 50 à 70 % d’insertion ou de
réinsertion à la sortie d’une entreprise d’insertion en France, 70 % de retour à l’emploi pour les jeunes issus des écoles de
production danoise, 90 % de réussite pour le programme Polo.

2 - IL FAUT REVALORISER LA PLACE DU TRAVAIL DANS LA SOCIETE


les véritables causes de la crise du lien social dans la société française d’aujourd’hui sont selon le rapport du plan: « ce n’est pas le
travail qui manque », ce qui peut sembler paradoxal quand on dénombre 3 millions de chômeurs. A cela les auteurs de la France
malade du travail ajoutent : « ce n’est pas du chômage que souffre la société française. La France est malade parce que le travail a
perdu la centralité qui devait être la sienne ». Dès lors , on peut penser que , pour sortir véritablement de la crise du lien social dans
laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, les politiques de création d’emplois , en particulier celles passant par la réduction du temps
de travail , ne sont pas suffisantes, elles peuvent même favoriser l’idée que le travail doit occuper de moins en moins de place dans
la vie des actifs. Or comme l’écrit C Dejours « l’identité ne peut pas se construire uniquement sur l’espace privé ». B Perret critique
les analyses de ceux qui annoncent « sinon la fin du travail, du moins la réduction de son rôle social. Or « même si son importance
quantitative dans l’existence humaine a fortement diminué, même si le lien entre revenu et travail est devenu plus flou, l’emploi
reste au coeur des processus d’émancipation individuelle, d’intégration et de partage du pouvoir social. Et le fait qu’il faille toujours
moins de travail pour fabriquer un pantalon ou une voiture n’y change pas grand chose. » Dès lors, ne sommes nous pas condamnés,
que l’on le veuille ou non , à revaloriser le rôle et la place du travail dans nos sociétés ?

D Méda s’efforce de critiquer cette conception quand elle écrit : « la philosophie de nos sociétés modernes - en effet malades du
travail , mais dans un autre sens que celui que donnent les auteurs précédemment cités à cette expression - tient toute entière dans ce
syllogisme : le lien social est en crise , or le travail est le coeur du lien social, donc il faut plus de travail. » C’est toute une
conception que rejette un nombre croissant de penseurs qui considèrent que le travail n’a jamais eu pour objectif essentiel de créer
du lien social , qu’il sera d’autant moins à même d’occuper ce rôle dans le futur que l’on ne voit pas comment l’on pourrait créer
suffisamment d’emplois pour que le chômage ne soit plus d’actualité . Dès lors ne faut-il pas envisager de nouvelles sources de lien
social assurant l’intégration des individus?

II. Mais ce n’est pas automatique

A. Le travail n’a pour objectif de créer du lien social

Le travail n’a pas été inventé dans le but de voir des individus rassemblés réaliser une oeuvre commune. Dès lors, le travail est,
certes, un moyen d’apprendre la vie en société, de se rencontrer, de se sociabiliser, voire d’être socialement utile, mais il l’est de
manière dérivée ». En effet le but du travail, en particulier dans l’analyse libérale, est de satisfaire ses besoins matériels, non pas de
générer une relation sociale.

B. Le travail peut ne pas créer du lien social

On voit bien que le travail n’est pas capable d’assurer du lien social, puisque c’est la crise du travail qui est à l’origine de l’exclusion
comme le constate R Castel: « quel peut être le destin social d’un jeune homme ou d’une jeune femme - ces cas commencent à se
présenter - qui après quelques années de galère devient Rmiste à 25 ans ». La question est d’autant plus grave que les capacités
d’exclusion du marché du travail semblent se concentrer sur les populations défavorisées. On peut ici opposer deux modèles:
- durant les 30 glorieuses les populations non qualifiées issues de l’exode rural ou de l’immigration ont pu obtenir un emploi, car
dans le cadre du fordisme les entreprises avaient besoin de salariés solides physiquement pour travailler à la chaîne , c’était alors la
seule qualité qu’on leur demandait . Ces populations ont pu s’intégrer au mode de vie dominant par les augmentations de salaire qui
leur ont permis d’acquérir les biens typiques de l’american way of life , ce qui leur a permis de fournir des débouchés aux entreprises
qui ont pu embaucher. On avait alors un cercle vertueux de l’intégration par le travail.
- Au contraire aujourd’hui les qualités requises par les entreprises ont beaucoup évolué « connaissances et savoir-faire
spécialisé sont, certes, plus que jamais nécessaires pour occuper certains emplois, mais en règle générale, cela ne suffit plus: la
valorisation de la compétence technique suppose une capacité de mise en situation , des compétences sociales telles que le langage,
la flexibilité comportementale, l’intuition stratégique , tout ce qui permet d’agir au sein d’un système social différencié, de participer
à des activités collectives nécessitant des formes élaborées de coopération . (...) Or les compétences sociales sont, par nature, plus
difficiles à identifier et à évaluer et pratiquement impossibles à formaliser dans des diplômes ou des qualification reconnues ».
Dès lors, le marché du travail devient beaucoup plus sélectif, et les populations défavorisées qui présentent mal, qui ont un langage
moins recherché, risque d’être exclues du marché du travail , ce qui renforcera le risque d’exclusion sociale . On assiste alors à un
cercle vicieux : plus l’individu est intégré à la société, appartient à une catégorie favorisée plus ses chances d’obtenir un emploi
seront élevées, et inversement. Quand le marché du travail devient demandeur, la file d’attente pour trouver du travail s’allonge, et
les entreprises sélectionnent les individus qui sont les plus conformes à leur souhait. Si les catégories défavorisées ont une telle
probabilité d’être au chômage c’est que la file d’attente est longue, et que leur espoir de retrouver un emploi demeure réduit tant que
ceux qui sont devant dans la file d’attente n’ont pas retrouvé un emploi.
Pour plus de développement :

3 - SEMBLE ETRE UNE TENDANCE LOURDE.

B Perret écrit que « l’opinion constate que l’industrie supprime inexorablement des emplois sous l’effet de l’automatisation et de la
concurrence des pays à bas coût de main-d’oeuvre, et que rien dans les innovations récentes ne semble en mesure de prendre le relais
de l’automobile, du réfrigérateur et de la télévision comme moteur de l’expansion ». Pour lutter contre le risque de chômage les
individus poursuivent des études de plus en plus longues. Le taux d’activité des 15 -25 ans ne cesse de diminuer, passant de 57 à 38
%. A l’autre extrémité de la vie, toujours pour lutter contre le chômage on multiplie les préretraites, le taux d’activité des 55 - 65
diminue lui aussi de 57 à 38 %. On constate donc que le nombre d’individus ayant un emploi ne cesse de diminuer, que cette
tendance semble être une tendance de long terme contre laquelle il sera difficile de lutter. La solution mise en avant pour réduire le
chômage étant le partage du travail par sa réduction, on voit donc bien que le travail occupera une part de plus en plus faible de la
vie des individus, qui disposeront alors de temps libre pour faire d’autres activités. Le travail perdra donc sa centralité.

Plus de développement :

2 - LES TRENTE GLORIEUSES : UNE PARENTHESE ?

Durant tout le 19ème siècle , les sociétés ne sont pas véritablement arrivées à sortir des contradiction issues du développement du
modèle libéral : l’enrichissement des uns conduisait à la détérioration du bien être de la majorité et à la destruction du lien social .
Mais deux évolutions vont conduire à la remise en cause de ce modèle :
- La première est qu’à partir de la fin du 19 ème siècle les entreprises vont peu à peu se rendre compte qu’elles ont besoin de
stabiliser leur main d’oeuvre, elles vont donc s’efforcer de retenir leurs salariés en développant le patronage, qui à terme se
généralisera sous la forme de l’Etat providence.
- La seconde, qui est bien exprimée par la crise de 29, montre que les entreprises vont observer qu’elles ont besoin de débouchés
pour absorber une production qui ne cesse d’augmenter . Elles vont alors se résoudre à accepter une augmentation des salaires ,
l’instauration de l’Etat Providence, qui doivent permettre aux salariés de consommer et d’être les premiers clients de leurs
entreprises (Ford).
Toute la question est alors de savoir si le développement de la régulation fordiste durant les trente glorieuses qui a permis
l’instauration du salariat et de tous les droits y afférents permet d’assurer un lien social durable. Ou si au contraire on ne doit pas
considérer que la période des trente glorieuses n’a été qu’une parenthèse durant laquelle les objectifs recherchés par le travail et
l’échange marchands et ceux du travail en tant que lien social ont été provisoirement complémentaires . Mais que structurellement le
travail n’est pas capable à lui tout seul de prendre en charge le lien social ; car ce n’est pas l’objectif qu’il vise .

3 - LE TRAVAIL ET L’ECHANGE MARCHAND NE SONT PAS STRUCTURELLEMENT CREATEURS DE


LIEN SOCIAL.

Nous avons vu dans la première partie que le travail assurait l’intégration des individus et le lien social car il permettait tout à la fois
:
- l’apprentissage de la vie sociale : il nous apprend les contraintes de la vie avec les autres ;
- il est la mesure des échanges sociaux: il est la norme sociale et la clé de contribution-rétribution sur quoi repose le lien social;
- il permet à chacun d’avoir une utilité sociale : chacun contribue à la vie sociale en adaptant ses capacités aux besoins sociaux;
- il est enfin un lieu de rencontres et de coopération , opposé aux lieux non publics que sont le couple ou la famille.
Il faut maintenant que nous nous demandions si le travail a réellement pour objectif de prendre en charge ces différentes missions.

4 - LE TRAVAIL GENERATEUR DE LIEN SOCIAL « PAR ACCIDENT »

D Méda pose la question suivante : « tentons de comprendre si c’est le travail en soi qui est générateur de lien social ou s’il n’exerce
aujourd’hui ces fonctions particulières que par accident . ». Elle poursuit : « réglons d’un mot la question de la norme : dans une
société régie par le travail , où celui ci est non seulement le moyen d’acquérir un revenu, mais constitue également l’occupation de la
majeur partie du temps socialisé, il est évident que les individus qui en sont tenus à l’écart en souffrent. Les enquêtes réalisées chez
les chômeurs ou les Rrmistes et qui montrent que ceux ci ne veulent pas seulement d’un revenu mais aussi du travail, ne doivent pas
être mal interprétées. Elles mettent certainement moins en évidence la volonté de ces personnes d’exercer un travail que le désir de
vouloir être comme les autres, d’être utiles à la société , de ne pas être assistés. On ne peut pas en déduire un appétit naturel pour le
travail et faire comme si nous disposions là d’une population test qui nous permettrait de savoir ce qu’il en est, en vérité du besoin
de travail. Mais nonobstant la question de la norme, le travail est-il le seul moyen d’établir et de maintenir le lien social, et le
permet-il réellement lui même? Cette question mérite d’être posée car c’est au nom d’un tel raisonnement que toutes les mesures
conservatoires du travail sont prises: lui seul permettrait le lien social, il n’y aurait pas de solution de rechange. Or , que constatons
nous ? Que l’on attend du médium (moyen) qu’est le travail la constitution d’un espace social permettant l’apprentissage de la vie
avec les autres, la coopération et la collaboration des individus, la possibilité pour chacun d’eux de prouver son utilité sociale et de
s’attirer ainsi la reconnaissance. Le travail permet-il cela ? Ce n’est pas certain, car là n’est pas son but : il n’a pas été inventé dans
le but de voir des individus rassemblés réaliser une oeuvre commune. Dès lors, le travail est, certes, un moyen d’apprendre la vie en
société, de se rencontrer, de se sociabiliser, voire d’être socialement utile, mais il l’est de manière dérivée ». En effet le but du
travail, en particulier dans l’analyse libérale, est de satisfaire ses besoins matériels, non pas de générer une relation sociale. Un bon
exemple nous en est fourni par un thème aujourd’hui à la mode : l’entreprise citoyenne. Qu’est ce qu’une entreprise citoyenne ?
C’est selon les discours dominants : un haut lieu de socialisation, celui où s’épanouirait le collectif de travail, ou s’acquerraient les
identités, où se développerait une solidarité objective. Donc en plus des ses fonctions de production, l’entreprise assurerait d’autres
fonctions de nature sociale, permettant l’expression, la cohésion , la sociabilité des salariés. L’entreprise société en miniature serait
devenue un haut lieu de la vie sociale. Or qu’en est-il en réalité ? L’entreprise a pour vocation de combiner différents facteurs de
production pour aboutir à un produit en réalisant un profit. D’où 2 conséquences immédiates :
- d’abord la réalisation d’une communauté de travail ne fait pas partie de ses objectifs et n’appartient pas à son concept.
- Ensuite et c’est le point essentiel l’entreprise est tout simplement l’antithèse d’une société démocratique, pour reprendre la
substance de l’expression entreprise citoyenne. Ceci ne veut pas dire que l’entreprise soit un lieu antidémocratique, mais simplement
que cette catégorie ne peut lui être appliquée. Le lien de citoyenneté concerne en effet des égaux qui, par le suffrage, selon le
principe un individu=une voix décident collectivement des fins à rechercher. L’entreprise est exactement le contraire : le contrat de
travail salarié est un lien de subordination qui est l’inverse du lien de citoyenneté. Dès lors, le lien social généré par l’entreprise s’il
existe, ne peut-être tenu comme représentatif du lien social existant dans nos sociétés démocratiques. Dans le cadre de la production
fordiste, le surplus de revenu et de bien être accordé au salarié l’est au prix d’une subordination dans le cadre de l’entreprise :
l’ouvrier fordien subissant les directives des bureaux, le rythme de travail imposé par les machines . La tendance actuelle qui se
caractérise par une forte augmentation des licenciements met en évidence le lien purement conjoncturel qui attache les salariés aux
entreprises. Ceux ci n’appartiennent pas substantiellement à l’entreprise, puisque son identité n’est pas affectée par leur départ. On
se rend donc bien compte que « lorsqu’elle se dissout sous les chocs externes , elle montre que sa nature réelle est d’être un
ensemble d’individus dont ni la présence, ni la coopération ne sont nécessaires. Ses fins ne sont ni celles d’un lieu démocratique, ni
celles d’une communauté réalisée en vue du bien de ses membres. »C’est ce que constate D Méda dans le doc 14 quand elle
considère que le lien politique est plus fondateur que le lien issu du travail . Elle écrit : « le lien social , c’est ce qui fonde la
coappartenance des individus à un même espace social, ce qui fait qu’ils sont tous membres d’une même société, donc que tous à la
fois ils acquiescent à l’ensemble des règles qui régissent celles la et qu’ils agissent perpétuellement - et telle est la fonction du
citoyen - pour adapter ce lien conformément au type de société qu’ils voudraient . Autrement dit, le lien social , c’est d’abord et
avant tout le lien politique, à travers lequel les individus sont déjà tenus et à travers lequel ils décident ensemble des règles
fondamentales qui déterminent la vie en société, c’est à dire de la constitution des lois, des institutions politiques, des modes de
fonctionnement démocratiques. La vraie figure du lien social, c’est à dire ce qui fait que nous, français, sommes 58 millions
d’individus à former une société particulière, déterminée, spécifique, c’est le lien social ». La crise actuelle semble être un bon
révélateur de l’incapacité du travail et de l’échange marchands à assurer un lien social durable .

b - D’OU LA NECESSITE DE REINSERER LES INDIVIDUS DANS LA SOCIETE EN REINVENTANT DE


NOUVELLES SOURCES DE LIEN SOCIAL.

1 - LES NOUVELLES VOIES A EXPERIMENTER .

Les propositions qui sont faites pour renouveler le lien social sont très diverses . Certains auteurs sont favorables au retour à un lien
social plus communautaire . Ils considèrent que pendant 30 ans l’Etat Providence s’est développé et a permis de libérer les individus
des contraintes communautaires qui pesaient sur eux : les personnes âgées grâce à la généralisation du système de retraite , à la
multiplication des maisons de retraite ne sont plus à la charge de leurs enfants . De même , grâce à l’instauration des assurances
maladies et chômage la prise en charge des risques sociaux est désormais assurée par une assurance sociétale qui donne davantage
de liberté aux individus. R Castel écrit ainsi : « en établissant des régulations générales et en fondant des droits objectifs, l’Etat
social creuse encore la distance par rapport aux groupes d’appartenance qui , à la limite n’ont plus de raison d’être ». Or l’entrée en
crise a montré les limites de l’intervention de l’Etat Providence (qui semble lui même en crise) . Comme l’écrivent JB DE Foucauld
et D Piveteau : « On ne peut se passer de l’Etat providence pour lutter contre la détresse et l’isolement,, mais on ne peut pas non
plus se reposer uniquement sur lui. Or plus la société est individualiste, et plus l’Etat Providence peut donner l’illusion qu’il peut
assumer seul les tâches de solidarité. Alors même que se délite le tissu de relations personnelles sans lesquelles les outils de l’Etat
Providence sont sourds, aveugles et manchots, on tend au contraire à se reposer , à se décharger davantage sur lui. Le voila ainsi
pressé de monter au front pour des missions dont il n’est pas capable. Ce qui alimente la déception, et nourrit une critique injuste et
excessive de son action. » . Les auteurs en sont alors conduits à ne plus laisser l’individu seul face à l’Etat . Ils proposent de
renouveler les formes traditionnelles de solidarité : familiale , de voisinage , etc. Toute la difficulté est que celles ci sont souvent en
crise (cf la crise de la famille). Il serait alors nécessaire d’en inventer de nouvelles qui s’appuieraient sur la remise en cause du
travail comme source du lien social . Comme l’écrivent JB DE Foucauld et D Piveteau : « le chômeur de longue durée qui est à la
fois exclu de l’emploi du lien social et du sens, représente, sans le vouloir ni le savoir, une sorte de tragique avant-garde. Il est la
pointe avancée des nouvelles contradictions et des nouvelles impasses de notre société, celles qui doivent nous conduire à formuler
un projet politique qui porte à la fois sur le sens, sur le lien social et sur l’emploi. Il faut bien sur faire en sorte qu’il y ait du travail
pour ceux qui en attendent. Mais il faut, en parallèle, diversifier les sources du sens et de l’identité. Oui à une croissance plus riche
en emplois, mais à condition de ne pas se contenter, et d’amorcer une diversification de notre mode de développement » . Méda ne
dit pas autre chose quand elle écrit : « un surcroît de parole et d’activité politique c’est aujourd’hui la réponse la plus intelligente,
la plus digne et la plus susceptible de servir de modèle à des sociétés mondialisées, dont les membres sont de plus en plus mis à
l’écart. Dès lors la force du lien social -d’abord lien politique- constituerait bien la ressource majeure à mobiliser en cette époque
troublée. Le comprendre impliquerait d’opérer une double redistribution : celle de l’activité politique d’abord, celle du travail ensuite
,redevenu un des modes du lien social mais non son seul support ». Parmi les nouvelles formes de participation à la société qui sont
envisageables Gorz , Foucauld et Piveteau insistent en particulier sur les protocoles de temps choisi comme par exemple « le
bénévolat associatif, lorsqu’il est exercé avec la quasi régularité d’un travail ». D’autre auteurs insistent sur le développement des
loisirs dont la possibilité résulte de la réduction du temps de travail ou de l’inactivité forcée résultant du chômage . Tout le problème
est que ces activités ne se développeront pas tant qu’elles ne seront pas légitimées par l’Etat et la société .

2 - UN TRAVAIL DE LEGITIMATION DES NOUVELLES SOURCES D’IDENTITE S’AVERE


NECESSAIRE.

En effet JB de Foucauld et D Piveteau écrivent : « lorsque pour reprendre l’expression de P Boulte , les sources de l’identité se
raréfient, le travail rémunéré apparaît comme une bouée de sauvetage, particulièrement s’il repose sur des relations juridiques
claires. Alors qu’au contraire , le bénévolat , les activités domestiques , l’éducation des enfants ou l’investissement dans les loisirs
culturels ou artistiques qui constituent des positions sociales moins encadrées et moins charpentées , ne pèsent apparemment pas du
même poids. » R Castel surenchérit : « la vie sociale ne fonctionne pas seulement au travail, et il est toujours bon d’avoir plusieurs
cordes à son arc, loisirs culture, participation à d’autres activités valorisantes .... Mais, sauf pour les minorités de privilégiés ou de
petits groupes qui acceptent de subir l’opprobre social ( cf les jeunes des banlieues), ce qui permet de tendre l’arc et de faire partir
les flèches dans plusieurs directions, c’est une force tirée du travail » (doc 3). Dés lors : « le projet personnel et le projet
professionnel deviennent des vases communicants, et si le niveau reflue dans l’un , il refluera aussi dans l’autre. Alors très
logiquement on se cramponne à son métier et on y investit . (...) C’est la spirale de la fragilité : pour conjurer le risque où l’on est de
se retrouver dépourvu de tout, on orchestre soi même son propre appauvrissement » Pour que les individus s’investissent réellement
dans des activités qui ne relèvent pas du travail salarié , il faut donc que celles ci soient légitimées : « tout un potentiel d’initiatives
reste en jachère faute de pouvoir s’inscrire dans des cadres qui fixent un peu leur ossature, et leur donnent de la respectabilité. En
aidant à ce que d’autres activités inspirent la même considération que le contrat de travail ou le statut de fonctionnaire, l’Etat
favoriserait un nouveau dynamisme de la société, contribuerait à élargir les sources de l’identité, et oeuvrerait à un nouvel équilibre
de notre mode de développement » Toute la question est de savoir si l’Etat peut et veut le faire , et si son intervention serait
suffisante pour remettre en cause deux siècles de domination du lien social par le travail ?

Partie 2- La famille : un groupe régulateur en crise ou en adaptation continuelle ?

Pour un texte de Martine Segalen , spécialiste de la famille

Martine Segalen introduit son livre sociologie de la famille ainsi :


• Les a priori de nos jugements concernent la famille contemporaine, référée à une famille mythique, plus « sentie » que
véritablement analysée ou connue. La presse, la télévision répercutent les mêmes clichés : « famille en miettes », «
dépérissement de la famille », « famille assistée », « ébranlement contemporain de la famille » etc... qui accentuent
l'association entre « famille » et « crise ».
• Résumons ici les principales formulations de ce thème qui seront analysées au long les divers chapitres. La famille
contemporaine s'est rètrècie, repliée sur le couple. cessant d'être lieu de production, elle n'est plus que lieu de consommation.
Elle l'assure plus les fonctions d'assistance dont elle se chargeait autrefois : le soin aux vieillards, la garde des malades ou
l'hébergement des fous etc... Les fonctions qu'elle conserve, comme la socialisation des enfants, sont partagées avec d'autres
institutions. En outre, cette famille « insulaire » n'entretient plus guère de relations avec les autres cellules familiales. Celles-
ci se sont « appauvries », et en disant cela, on se réfère implicitement à une époque passée où elles étaient « riches ». Dans
cette représentation, la cellule familiale, objet de manipulation de la part des institutions sociales, apparaît faible.
• Un autre discours lui reconnaît au contraire une formidable puissance dans la mesure où elle se fait refuge, lieu privilégié de
l'affectivité. Le couple, et secondairement les enfants, y investiraient tous les sentiments qui ne peuvent s'exprimer dans une
société déshumanisée. Toute la chaleur des relations sociales, qui, autrefois enveloppait de nombreux parents, voisins et
amis, serait désormais concentrée sur le foyer conjugal et , les proches parents.
• La contradiction entre les deux discours est patente : famille en crise d'une part, famille détentrice d'un pouvoir exorbitant
d'autre part : celui de détenir toute la puissance affective dans une société qui en est chiche. Selon un mot relevé par une
sociologue enquêtant auprès de familles parisiennes : « La famille va mal, mais ma famille va bien ».
• Y a-t-il véritablement « crise » de la famille? Ces discours ne manquent-ils pas leur objet, ne maquillent-ils pas une crise de
la société ?
• Une façon de démystifier ce discours est de reconnaître dans un premier temps qu'il n'est pas nouveau. Tout au long du XIXe
siècle, ce thème est récurrent. L'industrialisation attirait dans les villes des masses d'ouvriers dèculturés et prolétarisés; le
nombre d'abandons d'enfants, de naissances illégitimes va alors s'accroître ainsi que la délinquance des jeunes. L'instabilité
familiale des classes prolétariennes inquiète les classes dominantes qui souhaitent réaffirmer le pouvoir de la famille,
restaurer l'autorité patriarcale comme l'autorité monarchique, faire de la famille un agent de moralisation de la classe
ouvrière.
SOURCE : M Segalen, sociologie de la famille, A Colin, 1981.

Le discours sur la famille mêle sans toujours s’en rendre compte les paradoxes et les contradictions :
• d’un premier point de vue qui remonte au début de la révolution industrielle la famille est en crise, elle s’est coupée de
la communauté, elle a perdu la majorité de ses fonctions, elle s’est donc appauvrie. Dés lors cela peut déboucher sur deux
discours contradictoires :
- selon certains elle ne sert plus à rien, elle est condamnée à disparaître sous sa forme actuelle, il faut réinventer une
famille différente.
- Au contraire selon d’autres il faut revenir au modèle familial traditionnel (lequel ? ) car la famille est la cellule de
base de la société ; la crise de la famille équivaut alors à la crise de la société.

• d’un second point de vue la famille demeure aujourd’hui le seul point d’ancrage d’une société en crise. Les individus
investissent énormément dans la famille :

- Selon un sondage la croix la famille est la valeur la plus importante (58 % des personnes interrogées loin devant
l’argent (6 %) la réussite (5 %).
- Selon P Broussard (le monde du 25 09 1994) : « Les adolescents ces 6 millions de 13 - 20 ans dont on prétend
qu’ils ne croient plus en rien, considèrent bien la famille comme le plus sûr des refuges, contre les bourrasques de
l’époque. Par gros temps, elle demeure le seul point d’ancrage qui vaille, un îlot d’affection et de sécurité .

I. La famille en crise

A. Constat

Constat : Comme l’indique F Aballea Jusqu’aux années 70 un modèle caractérise les sociétés industrielles:
• jeune âge au mariage des conjoints (24,5 pour les hommes en 72)
• nombre d’enfants assurant le renouvellement des générations (supérieur à 2.1 enfants par femme)
• taux de divorces faibles.

Une remise en cause de la norme traditionnelle ? :

• Par rapport à ce modèle familial considéré comme la norme, la maternité solitaire, le concubinage, le divorce sont considérés
comme déviants. D’ailleurs les politiques d’aide aux familles au logement ont été conçues par rapport à ce modèle.
• Mais à partir des années 70 tous les pays européens quelque soit leur culture, leur tradition, leur religion connaissent une
rupture. Le modèle dominant semble alors entrer en crise:

Pour les chiffres :


• l’âge moyen au mariage augmente pour les deux sexes (passant de 24.5 à 30 ans pour les hommes en 2000)
• l’indice synthétique de fécondité s’effondre passant de 2.6 enfants par femme à moins de 1.7 aujourd’hui
• le taux de naissances hors-mariage passe de 6% en 67 à 40.7% en 2000
• le taux de nuptialité chute ( de 7,8 pour 1000 en 70 à 5.2 pour 1000 en 2000 )
• la part des couples qui cohabitent hors mariage passe de 3.6% en 1970 à 17.2% en 2000.
• le taux de divorce est multiplié par 3 en trente ans (de 11.8% en 1970 à 39% en 1999)
• le taux de célibat chez les 25-49 ans passe de16.8% à 40.7% en 2000 pour les hommes
• la part des ménages d’une personne s’accroît de 20 % en 68 à 30.8 % en 2000.
• La part des familles monoparentales passe de 9 % en 68 à 13 % en 90 et 20.2% en 1999

Conclusion : Le cercle des familles se rétrécit, et l’instabilité des couples atomise de plus en plus de foyers

B. Les déterminants

On peut donc selon de nombreux auteurs parler de crise de la famille, elle résulte de déterminants divers mais convergents :
• Cette crise de la famille semble s’inscrire dans un mouvement général de sécularisation et de privatisation de la vie
conjugale et de dénégation de la légitimité de toute autorité à légiférer en matière de rapports personnels.
• elle est en cohérence avec l’état d’une société caractérisée par le salariat, donc la perte de fonctions économiques et
patrimoniales de la famille (cf. la thèse de Talcott Parsons).
• Elle résulte aussi de la perte d’influence de la famille dans les processus de socialisation des enfants avec le
développement du système éducatif.
• Elle reflète enfin la montée de l’individualisme, l’exacerbation de l’autonomie des personnes et de l’égalité des sexes, la
contestation de l’autorité.

Mais cette crise de la famille n’est pas sans avoir des effets sur l’intégration des individus dans la société.

C. Les répercussions sur l’intégration des individus

1. L’analyse durkheimienne

On peut reprendre l’analyse de Durkheim dans laquelle la famille occupe une place essentielle dans le processus d’intégration des
individus dans la société.
Le concept d'intégration va servir de fil directeur à l'explication de ces résultais, et la famille va fournir à Durkheim le modèle réduit
de la société. La famille protège du suicide, puisque les gens mariés se suicident moins que les personnes seules, célibataires. veuves
ou divorcées. Mais le lien lui même entre un homme et une femme n’est pas l'essentiel. Tout tient à la taille de la famille, comme le
montre un dossier copieux de statistiques complémentaires. Famille nombreuse, famille solide, famille solidaire, famille cohérente,
voilà le noyau de l'intuition durkheimienne : la
famille relie fortement les uns aux autres les individus qui la composent. Elle les intègre, et, du même coup, les protège.
L'intégration est une fonction fondamentale, au sens biologique de ce terme. Une société, et il peut s'agir pour Durkheim aussi bien
d'une famille, d'une nation, d'une religion, d'un village, n'existe que dans la mesure où elle maintien: son unité contre les différences
.individuelles. Et une société protège d'autant plus du suicide qu’elle est plus cohérente
SOURCE : C Baudelot et R Establet, le suicide , l’évolution d’un fait social, économie et statistiques , 1984.

Pour étudier l’analyse durkheimienne :

Durkheim considère que


• la famille protège du suicide,
• que plus la taille de la famille croit, , plus la solidarité entre ses membres se développe.
• Les individus étant reliés les uns aux autres sont intégrés et du même coup protégé du suicide.

Conséquence :
• « Inquiet des conséquences sociales de l’individualisation croissante , Durkheim défendra l’idée
d’une institution forte et s’engagera contre le projet de loi sur le divorce par consentement mutuel.
Le sociologue estime que si l’institution matrimoniale est un contrat entre deux individus libres,
elle est aussi une institution qui échappe en partie aux décisions des conjoints. L’adoption du
projet de divorce par consentement mutuel mettrait en péril la stabilité de l’institution
matrimoniale et, au-delà, du lien social » (F de Singly)
• Dés lors , une lecture durkheimienne de la situation actuelle amène à penser que la
déstructuration que connaît l’institution familiale va entraîner une perte de lien social , qui
détermine un risque d’isolement des individus .

2. rupture du lien familial et exclusion .

Comme l’indique C Martin dans « l’exclusion : l’état des savoirs » : « la rupture familiale contribue au risque d’exclusion :
• non seulement du fait de l’appauvrissement qu’elle engendre,
• 0mais plus fondamentalement encore du fait de l’isolement, de la perte de sociabilité, de soutien et d’intégration qu’elle
provoque.
• Ne pas appartenir à un tissu de relations familiales, à un réseau de sociabilité et de solidarité privée est ainsi construit comme
un risque : un risque solitude en quelque sorte ».

Constat : Ce risque solitude s’accroît :


• avec l’âge,
• avec l’insuffisance des moyens matériels (un tiers des familles monoparentales font l’objet de mesures de revenu minimum,
elles représentent 8 % de la population mais 20 % des bénéficiaires du RMI, les personnes seules représentant quant à elles
60 % des bénéficiaires),
• avec la perte du réseau familial

Conclusion : il joue donc comme un cumul de handicaps.

II. Une crise à relativiser

La crise de la famille qui fait aujourd’hui les gros titres des journaux en particulier en raison de la démission des parents qui serait à
l’origine de la violence des jeunes doit être relativisée. En effet :
• le réseau d’entraide familial n’a jamais été aussi vivace,
• les processus de déstructuration des familles sont accompagnés de processus de recomposition,
• enfin le célibat, la famille monoparentale peut résulter d’un choix qui ne se traduit pas toujours par une perte du lien social.

A. Un réseau familial bien vivant

Contrairement à ce qu’affirmait Parsons en 1955 :


• l’évolution économique n’a pas fait disparaître la famille élargie en l’isolant de son réseau de parenté.
• Bien au contraire il semble que la solidarité familiale joue à plein en temps de crise :
- une personne de plus de 60 ans sur trois aide financièrement son entourage familial.
- Les grands-parents assurent ainsi une fonction redistributrice, et se substitue à la défaillance des mécanismes de
protection sociale.
- Les grands-parents se consacrent aussi à la garde des petits enfants (un tiers des enfants de moins de trois ans sont
gardées par les grands-parents) .
- Le réseau de parenté constitue donc un groupe intermédiaire qui a 2 fonctions essentielles :
une fonction de protection : la parenté protège l’individu contre les risques de la vie sociale, en
apportant une aide financière, une disponibilité en temps
une fonction d’insertion dans laquelle la parenté se mobilise en faisant jouer son capital relationnel afin
d’insérer l’individu dans l’environnement social en lui trouvant un travail, un logement
Pour plus de développement :
On assiste à :
• un développement de ces solidarités familiales depuis le début des années 80, avec la crise de l’Etat-Providence qui a
tendance aujourd’hui à désinvestir le social en se reposant sur les solidarités familiales.
• Mais cette évolution n’est pas sans risques :
- En effet, on constate que plus le niveau de vie est élevé, plus les aides à la parenté sont variées et fréquentes.
- On risque donc d’observer un accroissement des inégalités si l’Etat se désinvestit trop ; les familles les plus fragiles
(ouvriers , employés ) ayant la plus forte probabilité d’avoir un de leurs membres frappés par le chômage ou
l’exclusion et n’ayant pas les moyens financiers d’assumer cette charge .

B. La recomposition des familles

• Selon H Tincq : « les divorces sont trois fois plus nombreux aujourd’hui qu’au début des années 60. (Mais) après le
divorce on se remarie ou, le plus souvent, on cohabite. Cela donne les fameuses familles recomposées c’est à dire les
situations d’après divorce quand le couple est multiplié par deux et que les enfants ont deux foyers de référence.
• Comme l’explique M Segalen « plutôt que soustraction, il y a alors abondance de parents. L’enfant ne dispose plus d’un
père mais de deux pères, un père biologique et un père social » ».

Conséquences : On peut donc dire que la famille semble faire preuve d’une certaine capacité d’adaptation et d’inventions de
nouveaux modèles.

C. L’invention de nouvelles formes familiales

Au moment où on observe un développement des divorces, un effondrement de la fécondité ( d’ailleurs à relativiser d’après Le
Bras ) , on constate symétriquement l’invention de nouvelles formes familiales

1. la question de la filiation est aujourd’hui débattue

- jusqu’à une époque récente, les droits et les devoirs qui y étaient rattachés relevaient du mariage qui confondait le
lien biologique et le lien social.
- Les filiations sont aujourd’hui dissociées puisqu’on peut être élevé par le compagnon de sa mère ; certains pères
sociaux militent donc afin de voir reconnu dans la loi un lien avec les enfants qu’ils ont élevés.
- En même temps, le développement des techniques de la reproduction assistée et les progrès de la biologie ouvre des
débats sur la filiation qui ne sont pas véritablement tranchés

2. la question du couple évolue aussi

- l’impossibilité de former certains couples est vécue comme une injustice (cas des homosexuels ) ;
- les catégories touchées par cette exclusion ont donc revendiqué une reconnaissance de leur vie de couple par un
contrat auquel seraient associés des droits fiscaux, d’héritage , de responsabilité mutuelle .

3. Le PACS une solution ? :

Le PACS est moralement révolutionnaire et oppose 2 conceptions antinomiques de la famille :


• la première considère que :
- la famille est une structure à composition fixe qui joue un rôle essentiel de reproduction sociale et qui doit donc être
protégée contre la tendance des individus à vouloir s’émanciper de leurs devoirs
- Les partisans de ce courant considèrent que le PACS ne va faire qu’aggraver la crise de la famille et risque, à
terme, de mettre en danger la relation de filiation, si les familles pacsées obtiennent, comme certains le demandent ,
le droit à l’adoption conjointe et à l’assistance à la procréation
• le second courant considère :
- au contraire, que la désaffection à l’égard de la famille et les multiplications des formes familiales sont les
symptômes d’une crise de la famille que l’on doit prendre en compte et à laquelle on doit apporter des solutions
sous peine de voir la société déstabilisée.
- Pour les tenants de ce courant, le PACS n’est que la reconnaissance légale d’une situation de fait .

Conclusion :

Parler aujourd’hui de crise de la famille comme un fait accompli n’est pas aussi évident que l’on pouvait a priori le penser :
• Certes les indicateurs démographiques sont dans le rouge, certes les signes d’un trouble profond se multiplient. Mais la
famille apparaît plus que jamais comme la valeur de référence, au plan individuel comme au plan collectif. Nous assistons
aujourd’hui à la disparition d’un modèle (celui qui a domine durant les trente glorieuses)
• mais le nouveau modèle qui est en train de se construire n’a pas encore imposé sa cohérence. Ces flottements se traduisent
donc par la recherche de nouveaux équilibres .
• On retrouve alors le véritable sens du terme crise qui correspond pour reprendre les termes de Schumpeter un processus de
destruction créatrice :
- aujourd’hui nous vivons une période de remise en cause d’un modèle qui n’apparaît plus adapté aux évolutions de
la société,
- et les individus inventent, par un processus de tâtonnements comportant des essais et des erreurs de nouvelles
formes familiales qui se substitueront à celles qui existent .

Partie 3- La crise de l’Etat-Providence (p 204-206)

On parle aujourd’hui beaucoup de crise de l’Etat providence, mais qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord que le fonctionnement de
la protection sociale pose problème. Pendant les années de forte croissance, l’enrichissement de la société permettait de financer des
prestations sociales toujours plus grandes et l’on pouvait penser – naïvement, sans doute – que cela permettrait de réduire les
inégalités, de permettre à tous l’accès à la société de consommation et la protection contre les risques de la vie. Aujourd’hui, la crise
économique rend les ressources plus rares et l’on découvre les difficultés qu’a l’Etat providence à atteindre les objectifs qu’on lui
avait assignés.
Mais la crise de l’Etat providence signifie aussi que, face à ces difficultés de fonctionnement, celui-ci doit se transformer, et que la
nature de cette transformation, ce sur quoi elle doit déboucher, fait débat dans nos sociétés contemporaines. L’Etat providence
s’est construit sur un certain consensus : c’était aux pouvoirs publics de prendre en charge des fonctions de solidarité et de
distribution traditionnellement dévolues à d’autres (familles, Eglises, …), mais que ceux-ci ne pouvaient plus remplir compte tenu
de l’évolution de la société. Toutefois, on se demande aujourd’hui jusqu’où doit aller le rôle de l’Etat, et où commence la
responsabilité individuelle. Et nombreux sont ceux qui pensent qu’une protection collective trop étendue entraîne des effets
pervers.

I. La crise financière (2 p 204)

Il y a crise financière de l’Etat providence parce que le financement de la protection sociale est de plus en plus difficile, sous l’effet
conjugué de la hausse des dépenses et du ralentissement des recettes lié au ralentissement de la croissance.

A. La hausse des dépenses sociales

La hausse des dépenses de protection sociale est la conséquence du vieillissement de la population et de la montée du chômage :

- L’allongement de l’espérance de vie, qui est une bonne chose en soi, accroît toutefois la part des personnes âgées
dans la population. Il faut donc dépenser plus pour les retraites (voir aussi le paragraphe 24 de ce chapitre), mais
aussi plus pour la santé : on a généralement plus besoin de soins médicaux à 70 ans qu’à 20 ans ! De plus, ceux-ci
se sont renchéris avec le progrès technique et les découvertes médicales. Ainsi, la consommation médicale en
France (soins et médicaments) est-elle passée de 100 milliards d’euros en 1995 à 147,6 milliards en 2004 (Source :
France, portrait social 2005-2006, INSEE, 2005).
- Par ailleurs la montée du chômage accroît les besoins d’indemnisation, ainsi que les dépenses de solidarité avec les
plus pauvres (voir le paragraphe 23 de ce chapitre). On le voit, tout concourt à une hausse des dépenses de
protection sociale.

B. Les recettes augmentent peu

Les recettes de l’Etat providence, par contre, marquent le pas.

- C’est d’abord la conséquence du ralentissement économique : le taux de croissance annuel moyen du PIB a
pratiquement été divisé par deux depuis la fin des « Trente Glorieuses », et contrairement aux dépenses, les recettes
ne peuvent guère augmenter plus vite que la richesse nationale.
- les prélèvements obligatoires servant à financer les prestations sociales sont encore beaucoup calculées en fonction
des salaires (les fameuses « charges sociales »). Or, depuis les années 80, avec la montée du chômage et l’austérité
salariale, les salaires constituent la catégorie de revenu qui augmente le moins vite. C’est d’ailleurs pour cela qu’a
été instituée la CSG (Cotisation Sociale Généralisée) qui pèse non plus sur les seuls salaires mais sur l’ensemble
des revenus des ménages.

II. La crise d’efficacité (6 p 205)


Un deuxième élément de la crise de l’Etat providence est sa difficulté croissante à atteindre les objectifs qu’il s’était donnés.

A. Une faible réduction des inégalités

L’Etat providence actuel réduit peu ou mal les inégalités

• On s’aperçoit tout d’abord que le « filet » de la protection sociale « a des trous », c’est-à-dire qu’une partie de la population
ne bénéficie pas du système de protection et reste exposée aux risques sociaux. Le système français, bâti dans les années 50,
est adapté pour protéger les travailleurs stables et leurs familles.
• Mais les jeunes chômeurs, les chômeurs en fin de droits, les mères célibataires ne pouvant pas cotiser, ne bénéficiaient pas
des prestations. Il a fallu la création du RMI et de la CMU pour corriger un peu cette défaillance
• Mais le système de protection sociale redistribue parfois « à l’envers » de ce qui était prévu, et profite plus aux riches
qu’aux pauvres. C’est par exemple le cas des dépenses maladie. En effet, les personnes de milieu favorisé vivent plus
longtemps et surtout ont plus spontanément recours aux soins médicaux : ils profitent donc plus de la couverture maladie
que les plus pauvres

B. Un gaspillage d’argent public

Les dépenses de protection sociale sont mal régulées ce qui conduit à un gaspillage de l’argent public. Quand on dit que les dépenses
sont « mal régulées », cela signifie que l’on n’arrive pas à les contrôler, c’est-à-dire à sélectionner celles qui sont justifiées au regard
des objectifs que l’on poursuit. C’est tout particulièrement le cas des dépenses de santé. Comme l’assurance maladie les rembourse
aux patients, ceux-ci n’ont aucun intérêt à en limiter l’usage (elles ne leur coûtent rien, et de toute façon, les malades sont rarement
en position de juger de la pertinence des soins qu’ont leur propose). Mais les professions médicales n’ont pas non plus intérêt à
freiner les dépenses de santé qui constituent leur source de revenu. On a ainsi une envolée des dépenses, sans rapport forcément avec
l’efficacité médicale.

III. La crise de légitimité (5 p 205)

La crise de légitimité de l’Etat providence est une interrogation sur la justification morale et politique des systèmes de protection
sociale. Jusqu’où l’Etat doit-il prendre en charge les individus ? Doit-il se substituer aux mécanismes de solidarité traditionnels ?
Et à trop vouloir protéger les individus contre les risques de la vie, ne va-t-on pas les déresponsabiliser ? On a là une rediscussion
des objectifs de la protection sociale. Par ailleurs, et dans le même ordre d’idée, se pose aussi la question de la rationalité
économique des dépenses de protection sociale.

A. Le risque de déresponsabilisation individuelle

On reproche souvent à l’Etat providence de développer une culture de l’assistance, de faire perdre aux individus les sens de leur
responsabilité. Dès lors que la société procure une aide en cas de difficulté, on n’a plus à se soucier de risques que l’on court, on se
repose sur l’idée que la collectivité interviendra en cas de malheur. Par exemple, la gratuité des secours en haute montagne incite les
touristes à prendre de plus en plus de risques inconsidérés. De même, pourquoi un travailleur chercherait-il un emploi payé au SMIC
s’il peut bénéficier sans travailler d’allocations d’un montant voisin du SMIC. Au-delà de cet effet pervers sur le comportement des
individus, on peut dénoncer ici un recul du lien social dans la mesure où les individus ne pensent plus qu’à leurs droits sur la société
(et donc sur les autres) et oublient les devoirs qu’ils ont envers elle (et donc envers les autres). C’est en cela que l’on peut parler de
déresponsabilisation.

B. Un affaiblissement de la protection sociale

La protection sociale peut paradoxalement affaiblir le lien social. Il y a un risque, que certains dénoncent, d’affaiblissement du lien
social engendré par le système de protection sociale : l’Etat ayant pris en charge la protection des individus, ceux-ci se sont dégagés
des liens et des solidarités traditionnelles - notamment les solidarités familiales et de voisinage. C’est potentiellement une forme
d’individualisme triomphant qui se développe : dès lors que l’on a payé nos impôts, nous ne nous sentons plus responsable d’autrui
(pourquoi m’occuper de mon voisin puisque l’Etat a mis en place un système qui est précisément sensé pourvoir à ses besoins ?).
Cela peut expliquer en partie l’exclusion : ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne sont plus protégés par le système, ne
trouvent plus aucun secours dans la société, et sont renvoyés à leur responsabilité individuelle sur un mode très culpabilisant.

C. Des dépenses rationnelles ?

1. Une conception libérale

C’est une des questions cruciales qui est invoquée pour remettre en cause l’Etat providence. Toutes les ressources utilisées pour
financer les prestations sociales font défaut aux dépenses qui assurent la compétitivité de l’économie, sa capacité d’innovation et
donc de croissance. Une forte critique adressée par les économistes libéraux à l’Etat providence est que les sommes ainsi détournées
de l’investissement ralentissent la croissance économique et donc la capacité à financer la protection sociale. Nos sociétés modernes
vivraient « au-dessus de leurs moyens », plus soucieuses qu’elles sont de dépenser leurs richesses plutôt que de les produire.

2. Qui peut être critiquable

On voit qu’on assiste à une remise en cause assez radicale de la solidarité collective. Que peut-on en penser ? Il y a
incontestablement des dérives de l’Etat providence, mais les résultats obtenus dans les pays en pointe pour le recul de la protection
sociale publique, comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, laissent sceptiques. Dans ces pays, en effet, des coupes claires ont été
opérées dans les budgets sociaux. Dans le même temps, les inégalités se sont fortement accrues, le nombre des gens sans protection
sociale s’est fortement accru, ce qui se traduit par un recours plus difficile au système de soins et par des conditions de vie de plus en
plus précaires pour une partie croissante de la population, y compris parfois celle ayant un emploi.

Pour la crise du lien social fondé sur la religion :

III - VERS UNE SECULARISATION DE LA SOCIETE ?

INTRODUCTION : UN VILLAGE BRETON EXEMPLAIRE

Exemple de compréhension : Y Lambert a étudié un village breton (Limerzel)qui est caractéristique de la civilisation paroissiale :
• le catholicisme y constitue un système totalisant d’attitudes et de certitudes à la fois religieuse morales , sociales et
politiques inculquées dés l’enfance dans la famille à l’église, à l’école . Comme le dit Y Lambert : « la paroisse a souvent
été une institution locale totale qui ne se contentait pas du soin des âmes mais qui encadrait toute la vie des individus dans
un lieu donné ».
• Le catholicisme y fournit les repères qui ordonnent toute la vie quotidienne, qui règlent les relations entre hommes et
femmes, entre dominants et dominés , et qui définissent le rapport au travail , à la vie , à la souffrance , à la mort.
• Le catholicisme y unifie la société villageoise, la met en ordre fait que chacun reste à sa place . C’est une religion de la
crainte et de la miséricorde accordée au pécheur repentant. L a fidélité religieuse est vécue sous le contrôle vigilant du clergé
à la fois comme la condition d’accès au salut après la mort, et comme le moyen de réussir sa vie , d’écarter les maux et
d’attirer les faveurs du ciel sur les récoltes , la famille , la santé.

Conclusion : On comprend dés lors que dans ce contexte la pratique religieuse soit très élevée ,avant 1930, chaque dimanche
l’église est pleine comme un oeuf . Mais en 1930 et 1958 cette civilisation paroissiale s’écroule.

A - UNE CRISE DU RELIGIEUX

Constat : Cette crise du religieux est observable à plusieurs niveaux :


• le taux de pratique religieuse s’est effondré: aujourd’hui seuls 10 % des hommes et 16 % des femmes ont une pratique
religieuse régulière, la pratique occasionnelle tourne autour de 2O % . La pratique est d’autant plus faible que l’âge diminue
: 21 % des 60 ans et plus ont une pratique régulière 8 % des 25-39 ans
• Les églises se vident donc , en un certain sens on pourrait dire heureusement car l’église doit faire face à une crise des
recrutements et n’aurait pu assumer la charge qu’elle supportait dans les années 30 .En effet le nombre d’ordination de
prêtre n’a cessé de chuter passant de 1000 par dans les années 50 à une centaine durant les années 80-90.

Conséquence : L’institution est donc en crise :


• la population n’accepte plus d’être encadrée par des prêtres qui déciderait à sa place quelle doit être la conduite à suivre dans
tous les domaines de la vie.
• Un nombre croissant de français considère que l’église ne doit pas se mêler comme elle le fait de questions qui relèvent de la
conscience individuelle .

Conclusion : Peut on dire pour autant que l’on assiste comme le pensait A Comte à une sécularisation de la société et que les prêtres
devenus inutiles vont être remplacés par des savants ?

B - OU UNE REDEFINITION DES CROYANCES ?

Il semble que la vision qui a été donnée plus haut doive être relativisée sur plusieurs points :
• Contrairement à l’exemple du village breton qui a été donnée dans l’introduction , de nombreuses régions françaises
n’ont jamais été christianisés en profondeur . :
- Ce sont les régions que le chanoine Boulard appelle pays de mission .
- Ces régions ont donc été les premières à perdre les signes d’appartenance religieuse dés que le pouvoir de
contrainte de l’église a été limitée .
- On ne donc peut véritablement pas parler de déchristianisation. Ceci relativise l’image traditionnelle uniforme de la
France fille aînée de l’église .
• On assiste à une situation paradoxale :
- Seuls 10 % des français sont pratiquants réguliers ,
- mais 67 % des français se déclarent catholiques, une majorité important est baptisée et est enterrée
religieusement.
- 23 % seulement se déclarent sans religion .
- Comme l’indique F Champion : « l’appartenance religieuse constitue un point d’attache historique et un héritage
familial à transmettre ».
• Les Français sont donc majoritairement croyants mais ils vivent différemment leur croyance :
- ils ne veulent plus d’une religion publique , ils vivent la croyance sur un mode privé sans les contrainte
imposées par l’institution .
- F Champion écrit « tout se passe comme si le christianisme avait cessé d’être un système globalisant et unifié, à
prendre en bloc, pour devenir un ensemble de pièces détachées, offert aux libres compositions personnelles, aux
adhésions sélectives à un nombre limité de croyances, de pratiques, de prescriptions. Ce système de religion à la
carte signifie le refus d’une institution régulatrice des pratiques et des croyances, le refus d’une orthodoxie, au
profit du principe de la souveraineté individuelle. »

Conclusion : On assiste non pas à une fin du religieux , mais bien au contraire à un développement des croyances parallèles
qui selon Y Lambert ont les caractéristiques suivantes :
• elles sont libres,
• individuelles ,
• diffuses,
• subjectivement articulées à la science (astrologie, télépathie, vie extraterrestre)
• plutôt immanentes,
• non culpabilisantes
• et d’orientation mondaine y compris dans leur rapport à l’au-delà ».

Conséquences : Face au développement de ces croyances la catholicisme a été obligé d’évoluer sous peine d’être marginalisé ( par
exemple l’église soutient le développement des mouvements charismatiques, avec tous les risques de dérapage qu’ils comportent )

Partie IV – Les raisons de cette évolution

I. La montée de l'individualisme rend plus difficile le fonctionnement des instances d'intégration sociale
(repris de brises)

Tout le monde semble s’entendre aujourd’hui pour dire que les sociétés modernes sont individualistes – on dit même parfois que la
civilisation occidentale a « inventé » l’individualisme. Mais la signification exacte de cette montée de l’individualisme n’est pas
toujours très claire. De même, on convient généralement de ce que cet individualisme menace la cohésion sociale, mais sans préciser
par quels mécanismes. C’est donc à ces questions que nous allons essayer de répondre maintenant. Nous montrerons aussi que
l’individualisme n’est pas forcément un phénomène négatif, même du point de vue de l’intégration sociale.

• Les liens familiaux fragilisés par l’individualisme. La réduction de la taille des familles, conséquence des divorces et du plus
petit nombre d’enfants, diminue de manière mécanique le nombre de personnes avec qui l’individu a des liens familiaux.
Cela signifie que la solidarité familiale sera limitée à un nombre réduit de personnes. La diminution du nombre de mariages
et la hausse des naissances hors mariage montrent aussi ce qu’on peut appeler une désinstitutionnalisation de la famille : elle
est de moins en moins une institution normée (toutes les familles ont les mêmes formes), et repose de plus en plus sur les
choix des individus. Rester ensemble ne va plus de soi, et le lien familial est plus fragile. La socialisation et le contrôle social
qu’exerçait la famille, c’est-à-dire transmettre des normes et des valeurs et veiller à leur respect, sont plus difficile à exercer,
parce que, dans une société individualiste, la tolérance et l’épanouissement personnel sont devenu primordiaux.
• L’école face aux comportements calculateurs. Nous avons vu plus haut le rôle de l’école dans la construction d’une culture
commune. Mais du fait de l’importance du diplôme dans l’accès à l’emploi, les familles développent des stratégies scolaires
vis-à-vis des diplômes : choisir la bonne filière, le bon lycée, la bonne option, la bonne université, etc. Le calcul l’emporte
de plus en plus sur le rapport gratuit à la culture : l’élève veut bien travailler, mais à condition que « ça rapporte ». Ces
comportements sont compréhensibles dans la mesure où l’accès à l’emploi est de plus en plus difficile, mais ils vont à
l’encontre de certains objectifs de l’école. L’égalité des chances, par exemple, est remise en cause par la différenciation
précoce des parcours scolaires. De même, la diffusion d’une culture commune est parfois sacrifiée au profit de l’acquisition
de compétences « utiles » pour le cursus scolaire et l’intégration professionnelle.
• L’engagement citoyen est confronté aux calculs d’intérêt. La crise de la citoyenneté politique, qui se manifeste surtout par le
développement de l’abstention, peut être analysée comme une conséquence de l’individualisme. Dans une société ou les
individus ont accès à un certain confort matériel, les citoyens sont moins intéressés par les affaires publiques, qui ne les
concernent pas directement. Déjà au 19ème siècle, Alexis de Tocqueville prédisait que la démocratie serait un jour
confrontée à l’indifférence des citoyens : est-on en train de vivre ce phénomène ? Il faut d’ailleurs le rapprocher du
comportement de « passager clandestin » qu’on a étudié dans le cas des conflits sociaux. Cependant, l’individualisme n’est
pas l’égoïsme, et il n’est pas forcément négatif. Dans le langage courant, on tend parfois à assimiler l’individualisme et
l’égoïsme, mais c’est abusif. Alors que l’égoïsme est le fait de faire passer avant tout son intérêt personnel, l’individualisme
consiste en un développement dans la société des droits et des responsabilités individuelles, favorisant l’initiative et
l ‘indépendance des individus. Mais on peut être individualiste et altruiste, si l’on se soucie des autres par une inclination de
sa propre volonté, pas au nom d’un devoir social. De plus, la montée de l’individualisme n’est sans doute pas aussi
dangereuse qu’on veut parfois le croire. Par exemple, les liens familiaux, s’ils se transforment, restent souvent extrêmement
vivaces : les liens intergénérationnels sont encore très forts, l’enfant devenant une valeur centrale de la famille. Ils se
développent même avec l’allongement de l’espérance de vie des grands-parents. De même, si la participation politique
décline, l’investissement citoyen reste fort mais sous des formes renouvelées, notamment dans des associations humanitaires
dont le caractère politique est évident.
• On le voit, si la montée de l’individualisme complique beaucoup la mécanique de l’intégration sociale, c’est sans doute
surtout parce qu’il l’oblige à s’adapter à une nouvelle mentalité, à de nouvelles valeurs.

II. Universalisme, communautarisme et cohésion sociale : de qui doit-on être solidaire ? (repris de Brises)

Un autre défi auquel doivent faire face les sociétés modernes est la montée du communautarisme : la nécessité du lien social ne
semble plus aller de soi aujourd’hui, et il y a une tendance à se replier sur la communauté ethnique ou religieuse, la région, ou même
sur la sphère privée (soi-même, la famille). Alexis de Tocqueville avait déjà envisagé ce repli des individus sur des appartenances
intermédiaires et le délitement du lien politique et social national dans les sociétés démocratiques modernes. Nous allons tenter
d’expliquer cette mutation et d’en montrer les dangers potentiels.

• Le modèle de l’individualisme universaliste. Le modèle de cohésion sociale qu’appliquent les sociétés modernes est
fondamentalement basé sur l’individualisme. En effet, il s’est construit sur la fin des solidarités intermédiaires (famille,
religion, ethnie, territoire, …), affaiblies par les mutations sociales comme l’urbanisation, la déchristianisation, la réduction
de la taille des familles. Le développement d’un lien politique national, d’une culture et d’une protection sociale nationales a
renforcé ce mouvement d’individualisation en même temps qu’il s’appuyait dessus. Tout se passe comme si aujourd’hui le
lien social se tissait directement entre l’individu et l’ensemble de la société représenté le plus souvent par l'Etat ou les
Adminsitrations publiques, ce qui permet d’un point de vue positif d’émanciper la personne des vieilles attaches issues de la
société traditionnelle. Il y a aussi une forme de rationalisation de la solidarité, dont on recherchera l’efficacité et dont on
discutera les buts. On est dans ce qu’on appelle un individualisme universaliste : « individualisme » parce qu’on met en
avant les droits individuels, « universaliste » parce que ces mêmes droits sont reconnus à tout le monde.
• Les limites d’un universalisme trop abstrait. L’inconvénient de ce modèle de solidarité est qu’il débouche sur une pratique
« froide » du lien social, parce qu’anonyme et administrative. Les prestations sociales, par exemple, ne s’accompagnent
certainement pas d’autant de chaleur humaine, de liens affectifs, que l’entraide familiale ou de voisinage. De même, quand
on paie ses cotisations sociales ou ses impôts, on fait un acte de solidarité, mais qui peut ne plus être perçu comme tel, ni par
soi, ni par ceux qui en profitent, parce qu’il passe par l’interface de la Sécurité Sociale ou de l’Etat. A la limite, cette
anonymisation du lien détruit le sentiment de solidarité parce que les individus se sentent dispenser personnellement du
devoir d’entraide dès lors qu’il est assumé collectivement. Ce mouvement est renforcé aujourd’hui par l’affaiblissement des
identités nationales dans un contexte de paix durable (les conflits aident à « souder » les communautés nationales !) et de
mondialisation économique et culturelle.
• Le communautarisme et la recherche d’un lien social moins abstrait. A l'opposé du mouvement d’universalisation et de
rationalisation du lien social que nous venons d’évoquer, on constate aussi une tendance inverse de reconstitution de liens
communautaires, basés sur l’appartenance, sur l’identification de l’individu à un groupe intermédiaire. On trouve ainsi, par
exemple, des médias de type communautaire (« Pink TV », « Filles TV »). Vous avez aussi entendu parler des revendications
régionalistes (Corse, Pays Basque, Lombardie, …) : utilisation de la langue régionale comme langue administrative ou
langue d’enseignement (ce qui discrimine évidemment ceux qui ne sont pas originaires de la région), autonomie financière
qui remet en cause la redistribution fiscale entre régions et donc la solidarité nationale. Le développement des signes
d’appartenance religieuses ostensibles (on pense bien sûr au voile, mais ce n’est pas le seul exemple) est également l’indice
d’une montée du communautarisme religieux. Ces mouvements peuvent être vus comme l’expression d’une forme
d’individualisme : les individus affichent leurs particularités pour marquer leur autonomie vis-à-vis de la société (c’est
surtout vrai pour les identités minoritaires). En ce sens on peut parler d’individualisme communautaire. Mais ce sont aussi
des formes de lien social moins abstraites, peut-être aussi plus spontanées, et qui tissent souvent des solidarités de proximité.
Il est par exemple plus facile de se fabriquer une identité en marquant son appartenance à un groupe clairement différencié
des autres. Et des mouvements de solidarité de voisinage (en cas de catastrophe naturelle par exemple) sont plus ressentis
comme des gestes personnalisés.
• Mais le communautarisme peut déboucher sur une remise en cause de la cohésion sociale. Le communautarisme menace le
lien politique, car si on cultive les différences entre les groupes constituant la société, on met forcément à mal l’idée de
citoyenneté qui se fonde justement sur les points communs et non les différences entre individus. Dans les cas extrêmes, on
peut arriver à ce que les groupes aient des représentations politiques distinctes. Un autre danger du communautarisme est
qu’il peut limiter l’ampleur de la solidarité en la réservant au groupe (un parti politique français demande par exemple des
systèmes de sécurité sociale séparés pour les immigrés et les Français).
Chapitre changement et solidarités Notions du référentiel : exclusion, pauvreté, anomie,
sociales déviance

Fiche 3 – L’exclusion, la question centrale du XXI° siècle

Introduction :

Comme l’indique S Paugam dans l’exclusion : l’état des savoirs : « En France l’exclusion est devenue au cours des dix dernières
années, une notion familière presque banale, tant il en est question dans les commentaires de l’actualité, dans les programmes
politiques et dans les actions menées sur le terrain (...). L’exclusion est désormais le paradigme à partir duquel notre société prend
conscience d’elle-même et de ses dysfonctionnements, et recherche, parfois dans l’urgence et la confusion des solutions aux maux
qui la tenaillent. La communauté scientifique peut ,à juste titre, relever le caractère équivoque de cette notion si diffuse qu’elle en
perd toute signification et souligne les incohérences du débat qu’elle suscite ». Il semble que cette citation résume en partie toutes les
difficultés à définir le terme exclusion :
• c’est un mot d’usage récent :
- il apparaît dans les année 60 pour caractériser la situation d’une population identifiée comme faisant partie du
quart-monde qui malgré la forte croissance économique des années 60 n’arrive pas à s’intégrer au modèle de
consommation qui se développe alors.
- Puis ce terme disparaît pour réapparaître au début des années 80 mais en prenant un sens différent : l’exclusion
résulte désormais de la dégradation du marché de l’emploi et d’affaiblissement des liens sociaux.
• C’est un terme équivoque, mal ou peu défini et dont en plus la définition évolue au cours du temps.
• C’est un terme qui est utilisé par des acteurs sociaux différents pour caractériser des réalités n’ayant que peu de
points communs ; et porter des jugements sur les populations concernées antinomiques ( des victimes de la société ou
des parasites sociaux)
• C’est un terme qui est assimilé à des mots décrivant des réalités différentes : les exclus contrairement à ce qui est
souvent affirmé ne sont pas des marginaux.

L a distinction exclu, marginal et déviant : comme l’indique D Schnapper :


• Le marginal vit en marge de la société mais il est dans la société , l’exclu lui se trouve en dehors .
L’exclu ne peut être non plus assimilé sans risque au déviant : on retrouve ici un jugement de valeur
considérant que les exclus les pauvres sont , comme l’écrivait Chevallier , des classes laborieuses donc
des classes dangereuses

Partie1 – Pauvreté, exclusion , déviance : des concepts différents

I. Définitions et mesures de l’exclusion .

Comme l’écrit P Rosanvallon dans la nouvelle question sociale tous les phénomènes d’exclusion comportent la même leçon : «
l’approche statistique classique est inadéquate à leur compréhension (...) :
• Cela n’a aucun sens d’essayer d’appréhender les exclus comme une catégorie, ce sont les processus d’exclusion qu’il
faut prendre en compte.
• La situation des individus concernés doit en effet être comprise à partir des ruptures des décalages et des pannes qu’ils ont
vécus
Conséquence : Il ne sert donc pas à grand chose de compter les exclus :
• Cela ne permet pas de les constituer en objet d’action sociale.
• L’important est d’abord de bien analyser la nature des trajectoires qui conduisent aux situations d’exclusion en tant qu’elles
sont chaque fois les résultantes d’un processus particulier ».
La méthode à utiliser : La compréhension de l’exclusion nécessite donc avant tout :
• de multiplier les analyses biographiques pour mieux saisir comment les exclus sont arrivés dans la situation dans laquelle ils
se trouvent.
• Il faut étudier précisément les trajectoires, les ruptures qui de la précarité ont pu à terme faire tomber l’individu dans
l’exclusion .
• On se rend alors compte qu’aujourd’hui l’exclusion résulte d’un faisceau de causes dont l’essentielle ( mais pas la seule : cf.
la solitude des personnes âgées qui se sentent abandonnés , cf. les paysans étudiés par P Bourdieu qui ont l’impression
d’avoir perdu leur vie quand leurs enfants ne veulent pas prendre leur suite ) semble bien être la perte de l’emploi.

Pour plus de précisions


En effet comme l’indique R Castel dans les métamorphoses de la question sociale :aujourd’hui la question sociale c’est la question
du salariat « parce que le salariat en est venu à structurer notre notre formation sociale presque toute entière :
• Le salariat a :
- longtemps campé aux marges de la société (sociétés féodales),
- il s’y est ensuite installé en demeurant subordonné (19 ème),
- il s’y est enfin diffuser jusqu’à l’envelopper de part en part pour imposer sa marque (trente glorieuses).
• Mais c’est :
- précisément au moment où les attributs attachés au travail pour caractériser le statut qui place et classe un individu
dans la société paraissaient s’être imposés définitivement au détriment des autres supports de l’identité, comme
l’appartenance familiale ou l’inscription dans une communauté,
- que cette centralité du travail est remise en question .(...) Le travail est plus que le travail et donc le non-travail est
plus que le chômage( les répercussions du chômage sur les liens familiaux).
• Aussi la caractéristique la plus troublante de la situation actuelle est elle sans doute la réapparition d’un profil de travailleurs
sans travail; lesquels occupe littéralement dans la société une place de surnuméraires, d’inutiles au monde » .
• En effet dans notre société :
- l’occupation d’un emploi procure valeur, reconnaissance, dignité et identité sociale.
- Le chômage apparaît ,en creux, sans valeur, négation de toute reconnaissance, frappé d’indignité, destructeur de
l’identité.
- Comme le dit A Gorz : « si les chômeurs sont exclus c’est parce que « le chômage leur interdit de participer à la
production de la société et, par cette participation, d’acquérir sur la société des droits et des pouvoirs. (...). Aussi
longtemps que le fonctionnement du système social, sa production et reproduction, exigeront du travail humain, le
travail si réduit que soit le temps qu’il occupe dans la vie de chacun, sera indispensable à la pleine citoyenneté. »

Conséquences : On peut donc penser que l’exclu :


• n’est pas seulement celui qui n’a pas un revenu suffisant pour s’intégrer au mode de vie moyen de la population,
• et donc que les mesures de traitement social de l’exclusion, telles que le RMI, aussi essentielles soient-elles ne permettront
pas à elles seules de réinsérer les individus dans la société.

II. La pauvreté

A. Définitions

1 – la pauvreté absolue
la pauvreté absolue désigne l’incapacité pour un individu de satisfaire ses besoins fondamentaux (se
nourrir, se loger, se vêtir, etc.) . Elle est définie de façon précise en France puisqu’en 2002 est définie
comme pauvre toute personne disposant de moins de 10 euros par jour.
Cette définition paraît pourtant insuffisante car elle ne prend pas en compte le contexte économique et
social dans lequel se situe l’individu.

2 – la pauvreté relative

L’union européenne définit comme pauvres : « les individus ou les familles dont les ressources
(matérielles, culturelles et sociales) sont si faibles qu’ils sont exclus des modes de vie minimaux
acceptables dans l’Etat membre dans lequel ils vivent »
A Sen écrit quant à lui « être relativement pauvre dans un pays riche constitue un grand handicap, du point
de vue des capacités, même lorsqu’on dispose d’un revenu élevé au regard des normes internationales. (…)
Pour participer à la vie d’une communauté, il faut parfois satisfaire à certaines exigences en matière
d’équipements techniques (télévision, voiture, etc.) »

B. Les indicateurs

Trois indicateurs principaux permettent alors de mesurer la pauvreté :

1. la pauvreté monétaire

• En France sont considérés comme pauvres, les personnes disposant de revenus inférieurs à 50% du
revenu médian de la population
• L’Europe quant à elle considère comme pauvres les ménages dont les revenus sont inférieurs à la
moitié de la moyenne des revenus de la population du pays membre dans lequel ils vivent.

2. la pauvreté existencielle

En France elle est mesurée par l’indicateur conditions de vie qui est calculé annuellement par l’INSEE, sont
retenues 28 dimensions de la vie quotidienne regroupées dans quatre domaines :
• contraintes budgétaires
• restrictions de consommation
• retards de paiement
• difficulté de logements
Sont considérés comme pauvres les individus cumulant les handicaps dans chacune des catégories
retenues

3. la pauvreté administrative

sont considérés comme pauvres les bénéficiaires des minima sociaux

Pour la pauvreté selon le PNUD :

le PNUD définit la pauvreté comme : « la négation des opportunités et des possibilités de choix
les plus essentielles – longévité , santé , créativité , mais aussi conditions de vie décentes ,
dignité , respect de soi-même et des autres , accès à tout ce qui donne de la valeur à la vie . »
Dans le cadre d’une théorie du développement , le PNU est alors amené à différencier 3
définitions de la pauvreté :

a- l’approche par les revenus

Elle définit un seuil de revenu à partir duquel on est considéré comme pauvre . Le PNUD
distingue alors la situation des PVD de celle des PDEM :
• pour les PVD , il retient une définition de la pauvreté absolue : sont pauvres tous ceux qui
ne disposent de revenus suffisants pour assurer la couverture des besoins fondamentaux
• pour les PDEM , le PNUD retient une définition relative de la pauvreté

b- l’approche par les besoins


Elle considère qu’il faut prendre en compte non seulement l’indicateur quantitatif , mais surtout
assurer les prestations élémentaires dans les domaines vitaux : santé , éducation , …

c- l’approche par les capacités

Est pauvre : celui qui connaît des carences sensibles dans les domaines essentiels qui
l’empêchent de participer à la vie sociale

CONCLUSION : le PNUD va opérer la synthèse de tous ces critères dans l’IPH ( cf chap croissance
et développement )

Pour un constat et une évolution de la pauvreté :

1 – CONSTAT ET EVOLUTION

En France , le taux de pauvreté a connu une évolution pour laquelle il faut distinguer 2 phases :
• le nombre de ménages pauvres a chuté de 2,538 millions en 70 à 1,5 millions en 84 ( passant de 15,7 à 7,5 % de la
population )
• de 84 à 97 , le nombre de pauvres a légèrement augmenté de 1,5 à 1,629 millions
La France occupe une position intermédiaire dans l’UE dont le taux de pauvreté moyen se situe à 17 % .Il faut distinguer :
• les pays ayant un taux de pauvreté inférieur ou égal à 14 % : le Danemark , les Pays-Bas , le Luxembourg , l’Autriche
• les pays ayant un taux compris entre 15 et 17 % : Allemagne , France , Belgique
• les pays ayant un taux compris entre 17 et 20 % : Irlande , RU , Espagne et Italie
• les pays ayant un taux supérieur à 20 % : Grèce et Portugal
Il ne faut pas oublier que la pauvreté nécessite une approche dynamique , c’est-à-dire qu’il faut mesurer le taux de pauvres qui reste
durablement dans une situation difficile . Ainsi , si l’on compare les EU aux Pays-Bas , on constate :
• aux EU , le taux de pauvreté relative est de 14 % , seuls 28 % de la population pauvre est sortie de la pauvreté dans la
période étudiée et que 52 % des pauvres sont restés au moins 5 ans en situation de pauvreté
• aux Pays-Bas , le taux de pauvreté est seulement de 6 % , 44 % des pauvres sont sortis de la pauvreté sur la période étudiée ,
seuls 29 % des pauvres sont restés au moins 5 ans en situation de pauvreté

2 – PROBLEMES DE MESURE

Selon l’indicateur retenu , le nombre de pauvres ou le taux de pauvreté se révèle très différent . Ainsi , si l’on retient :
• l’indicateur pauvreté relative en France , 1,7 million de ménages, c’est-à-dire 4,2 millions de personnes : 7 % de la
population vivent avec un revenu inférieur à la demi-médiane
• l’indicateur pauvreté existencielle , l’INSEE considère que 11,8 % de la population est pauvre
• l’indicateur pauvreté administrative dénombre quant à lui environ 5 millions de personnes
La pauvreté mesurée est donc très sensible à l’indicateur retenu : par exemple :
• si l’on passe d’un indicateur où sont considérés comme pauvres les personnes disposant de moins de 50 % du niveau de vie
médian ( 557 euros par mois par unité de consommation ) , on comptabilise 3,674 millions de pauvres , soit 6,4 % de la
population française
• si l’on passe à un indicateur où sont considérés comme pauvres les personnes disposant de moins de 60 % du revenu médian
( 669 euros par mois par unité de consommation ) , alors le nombre de pauvres est quasiment multiplié par 2 ( 7,076 millions
) soit 12,3 % de la population.

L’Union Européenne a bien mesuré l’importance du choix du critère quand on opère des comparaisons internationales . Ainsi , si
l’on retient la moyenne ou la médiane , on change profondément l’image de la pauvreté . Il est alors possible de montrer que la
pauvreté est 2 fois plus importante qu’au Royaume-Uni ou qu’elle est équivalente dans les 2 pays .

En Europe, la pauvreté recule, mais plus ou moins vite selon les pays : le Monde, 09-05-06 :

« A l'aune des critères retenus pour l'Europe, 16 % de la population européenne, soit 72 millions de personnes, vivaient en 2003 en
dessous des seuils de pauvreté monétaire." Telle est la conclusion d'une étude de Sarah Bouquerel et Pierre-Alain de Mallerey, deux
économistes maîtres de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris, que vient de publier la Fondation Robert-Schuman.
La tendance générale, à court terme et à long terme, est au recul général de la pauvreté, notent M me Bouquerel et M. de Mallerey. Il y
a moins de pauvres dans l'Union européenne qu'en 1970, même si la réalité perçue par l'opinion publique ne va pas nécessairement
dans ce sens."
Les deux experts soulignent d'abord les importants problèmes méthodologiques auxquels se heurte la mesure de la pauvreté. C'est
"un phénomène multiforme, difficile à cerner avec exactitude", estiment les deux économistes, en remarquant que "s'il ne fait aucun
doute qu'un ménage ne disposant pas des ressources nécessaires pour subvenir à ses besoins les plus élémentaires comme se nourrir,
se loger ou se chauffer est pauvre, (...) que dire d'un foyer qui ne peut partir en vacances, acquérir un lave-vaisselle ?"
La pauvreté est à la fois objective, liée aux revenus, et subjective, liée aux représentations sociales, "qui varient selon les contextes et
les pays." Le fait de ne pas posséder une voiture n'aura pas la même signification au Portugal ou au Danemark, observent les deux
économistes.
En 1984, un Conseil européen avait tenté de prendre en compte ces deux dimensions : "Des personnes vivent dans des situations de
pauvreté si leur revenu et leurs ressources matérielles, culturelles et sociales sont à ce point insuffisants qu'elles les empêchent
d'avoir des conditions acceptables dans le pays membre où elles vivent."
Parmi les critères envisageables de la pauvreté - "administrative", qui s'intéresse aux bénéficiaires de dispositifs sociaux ;
"conditions de vie", qui prend en compte les privations ; "subjective", établie à partir de questionnaires sur la situation financière -,
les Etats membres de l'Union européenne ont finalement décidé de retenir celui "de pauvreté monétaire relative".
Sont considérés comme pauvres les individus ne disposant pas d'un revenu égal à 60 % du revenu médian dans le pays concerné. "
La pauvreté ainsi définie est une notion strictement nationale et non européenne", soulignent Mme Bouquerel et M. de Mallerey.
En utilisant la méthode des standards de pouvoir d'achat (SPA), le seuil de pauvreté pour une personne vivant seule se situait ainsi en
2001 à 2 183 SPA en Estonie et à 14 376 SPA au Luxembourg.
"Un Allemand pauvre a un pouvoir d'achat environ deux fois supérieur à celui d'un Portugais pauvre, ce qui amène à relativiser la
notion de pauvreté, notent les deux économistes. S'il existe des pauvres en Estonie, au Portugal, en Italie, en France et même au
Luxembourg, le pauvre Européen, lui, l'Union européenne ne le connaît pas encore."
Les pays enregistrant les résultats les plus défavorables sont la Slovaquie, l'Irlande et la Grèce (21 % de la population en situation de
pauvreté), suivis du Portugal, de l'Italie, de l'Espagne (19 %), du Royaume-Uni et de l'Estonie (18 %). A l'autre extrémité, on trouve
la République tchèque (8 %), le Luxembourg, la Hongrie et la Slovénie (10 %), suivis de la Finlande et de la Suède (11 %), du
Danemark, de la France, des Pays-Bas (12 %) et de l'Autriche (13 %).
La performance de la République tchèque tient au fait que la notion de pauvreté monétaire relative est pour partie une mesure
d'inégalité. Ce biais statistique explique aussi que le pays d'Europe où la pauvreté a le plus baissé depuis dix ans est l'Allemagne,
malgré la faiblesse de sa croissance. Et celui où elle a le plus progressé est l'Irlande, qui a, au contraire, enregistré un boom
économique. »

III. La déviance

A. Un concept difficile à définir

Selon HS Becker la déviance a reçu plusieurs définitions qui sont plus contradictoires que complémentaires et qui contribuent à
entretenir le flou sur cette notion :
• une première approche de la déviance est statistique : est déviant tout ce qui s’écarte par trop de la
moyenne, cela n’explique ni comment est définie la déviance, ni de quoi elle résulte.
• Une deuxième approche définit la déviance comme quelque chose de pathologique révélant
l’existence d’un mal social. Cette conception n’est pas sans poser des problèmes : quel mal, quelle
origine. Cela conduit souvent à reprendre le jugement profane qui considère que la déviance ne vient
pas du corps social, mais de l’individu.
• une troisième approche , celle des fonctionnalistes , que seraient déviants, dysfonctionnels les
éléments qui remettent en cause la stabilité , l’équilibre d’une société . Cela suppose qu’il y a accord
de tous les membres de la société sur les fonctions qui assurent la stabilité, ce qui n’est pas
généralement le cas.
• Une quatrième approche serait de considérer comme déviants les individus qui ne respectent pas les
normes définies par le groupe. Ceci suppose qu’il existe un accord sur les normes.

• sel on Be cker : Est déviant celui que la société étiquette comme déviant parce qu’il ne correspond
pas aux normes que la société a édicté. Becker démontre que l’individu qui est désigné par la
société comme déviant n’a pas forcément transgressé les normes de la société, ce n’est pas lui qui
rejette la société, c’est la société qui le rejette.

B. L’analyse de Merton

Merton dans son analyse distingue deux éléments :


• La société définit des objectifs légitimes qui sont hiérarchisés en fonction de la valeur que la
société leur accorde, les individus cherchent donc à atteindre ces objectifs mais alors se pose le
problème des moyens que l’on peut utiliser pour y arriver
• Comme pour les objectifs Merton considère que la société définit des moyens légitimes pour
atteindre les buts valorisés, moyens qui ne remettent pas en cause l’équilibre de la société.

Se pose alors le problème de la congruence entre les objectifs légitimes et les moyens
légitimes dont disposent les individus
- soit les individus peuvent atteindre par des moyens légitimes les buts valorisés par la société et
l’équilibre est alors maintenu
- soit la société n’est pas capable d’assurer la congruence entre moyens et objectifs légitimes, alors
les individus qui peuvent atteindre les objectifs légitimes par les moyens légitimes vont adopter un
comportement qui les conduits à utiliser les moyens les plus efficaces pour atteindre leurs buts
même si cela doit se faire en dehors du cadre défini par la société . La société devient alors instable
et présente des phénomènes d’anomie (attention la définition de l’anomie au sens de Merton est
différente de celle de Durkheim ).

Certains individus adoptent alors un comportement : l’innovation : ceci correspond au comportement


déviant selon Merton :
- la société incitant les individus à valoriser plus les objectifs légitimes (la réussite sociale par
exemple) que les moyens légitimes pour les atteindre l’individu va utiliser les moyens qui lui
semblent les plus efficaces , seul le résultat final étant pris en compte .
- Ce comportement selon Merton est caractéristique de la société américaine qui valorise tellement
la réussite sociale qu’elle conduit les individus à contourner les normes qu’elle a pourtant définies.

Pour les 5 types d’adaptation des individus :

1 - le conformisme : la majorité des individu accepte les buts et les moyens légitimes, l’équilibre de
la société , sa continuité peuvent être maintenus , cela correspond au cas que l’on rencontre le plus
fréquemment .
2 - L’innovation : ceci correspond au comportement déviant selon Merton :
- la société incitant les individus à valoriser plus les objectifs légitimes ( la réussite sociale par
exemple) que les moyens légitimes pour les atteindre l’individu va utiliser les moyens qui lui
semblent les plus efficaces , seul le résultat final étant pris en compte .
- Ce comportement selon Merton est caractéristique de la société américaine qui valorise tellement
la réussite sociale qu’elle conduit les individus à contourner les normes qu’elle a pourtant définies.

3 - Le ritualisme : dans ce cas l’individu respecte les moyens légitimes fixés pour atteindre les
objectifs légitimes . Mais l’individu sait très bien qu’il n’est pas forcément capable de réussir, de s’élever
dans la société , il va donc réduire ses aspirations pour ne pas avoir à se remettre en cause en cas
d’échec .

4 - L’évasion. : les individus qui adoptent ce comportement sont dans la société , mais sont des
étrangers pour les membres de la société qui ne comprennent pas leurs motivations car ils rejettent aussi
bien les objectifs que les moyens légitimes. Cette attitude interpelle pourtant les membres de la société
qui se rendent compte que ce comportement trouve son origine dans la société, qu’il traduit souvent un
malaise social .
5 - La rébellion : ces individus comme les précédents rejettent les moyens comme les objectifs ,
mais :
- ils n’adoptent pas une attitude passive de fuite ,
- au contraire ils cherchent à transformer la société à définir de nouveaux objectifs auxquels
correspondront de nouveaux moyens légitimes qui seront moins arbitraires , plus conformes à la
justice.

Les limites : L’analyse de Merton a le mérite de proposer une typologie des modes d’adaptation des
individus aux normes imposées par la société. Mais elle n’explicite pas véritablement les raisons de la
remise en cause de ces normes, et donc l’origine de la déviance.

C. L’analyse interactionniste de la déviance

Pour une critique de l’analyse de Merton de la déviance :

Les critiques : Les interactionnistes reprochent à Durkheim et à Merton d’être


- trop fonctionnalistes c’est à dire de considérer que les individus lors de leur socialisation apprennent
des valeurs et des normes auxquelles ils vont se référer durant leur vie : les individus en ce sens
sont passifs , ils sont agis par la société.
- Les interactionnistes considèrent au contraire que, certes les individus se réfèrent aux normes et
aux valeurs qu’ils ont reçues mais qu’ils disposent de marges, d’espaces de liberté qui leurs
permettent de jouer avec les normes .

Les conséquences :
• En ce sens on ne peut a priori définir le comportement d’un individu dans telle ou telle situation,
l’individu est agissant, c’est par son action qu’il écrit son histoire .
• Les interactionnistes ne sont donc pas favorables, comme Durkheim ou Merton, aux concepts
généraux de la sociologie (l’anomie par exemple) , ils multiplient les analyses biographiques qui
leur permettent de mieux saisir le sens des actions des individus.

1. Une création de normes

Il paraît donc important de savoir comment et par qui sont créées les normes :
• Becker considère qu’elles sont le fait de véritables croisés qui veulent extirper le mal, le vice de la
société, qui considèrent que le mauvais fonctionnement de la société résulte de l’absence de
normes. Ils vont alors définir des normes qui correspondent à leur vision de la société qui semble à
Becker intransigeante.
• Une fois la norme fixée, il faut déterminer des individus, des populations qui se situent en dehors
de la norme et qui seront alors considérées comme déviantes, qui seront stigmatisées pour leur
non-conformité ou mis en dehors de la société .
• l faut donc faire respecter les normes,ce qui nécessite la création d’un corps de professionnels qui
font respecter les règles, qui par leur action déterminent une population déviante a priori.

2. Les répercussions du processus de stigmatisation : La théorie de l’étiquetage

On peut alors se demander à quel point le fait d’être défini comme déviant ne conduit pas l’individu à
adopter un comportement déviant ? C’est la théorie de l’étiquetage qui considère que :
• l’on devient délinquant quasiment par héritage social. Le criminel se trouve en présence de
systèmes de valeurs concurrents, et il va construire sa personnalité en prenant en compte les
opinions des autres à son égard.
• Le simple fait d’appartenir à un milieu social où règne la délinquance va lui permettre de se
construire une identité par réaction et en intégrant les attentes de ceux qui littéralement lui collent
une étiquette de mauvais garçon.
• Le déviant est ainsi celui qui est désigné comme tel par le reste de la société conformiste.

Pour un exemple de déviance : les bandes dans les banlieues (cf dossier 4 p 208-209)

Comment expliquer les comportements déviants qui semblent pour la majorité des français caractérisés aujourd’hui les
banlieues :les sociologues avancent une série de raisons complémentaires :
• Selon D Lapeyronnie le monde de la banlieue est un monde sans père, c’est à dire un monde dépourvu de repères. La
disparition de la figure paternelle comme pôle d’identification , comme modèle pour ses enfants, fait que les jeunes des
banlieues n’ont pas appris les normes qui leur permettraient de s’intégrer à la société. Quand le père n’est pas absent , son
échec dans la vie (une longue période de chômage par exemple) fait qu’il ne dispose d’aucune autorité, d’aucun prestige
pour socialiser ses enfants . Il délègue son pouvoir à sa femme, qui elle-même le délègue aux enfants .
• Les jeunes de la rue dans les représentations qu’on s’en fait prennent figure et acquièrent par les « gueules de loubs » qu’on
leur attribue une identité qui les conduit à adopter des comportements déviants . Selon JY Barreyre le premier signe de
déviance (et de défiance) qu’on leur attribue est l’errance c’est à dire le fait d’occuper le paysage, de ne rein faire, ce qui les
assimile à des voyous . Le deuxième indice de leur marginalité est leur regroupement en bandes qui sont considérées comme
potentiellement dangereuses.

La limite de ces visions : adoptées par les personnes du quartier qui se sentent agressées par la seule présence de ces jeunes , est que
le Même jeune qui dans le contexte de la bande est considéré comme étant un voyou, dés lors qu’il changera de contexte (une
mairie), qu’il sera seul , de loubard devient un fils , un citoyen , un élève .

Les répercussions : A Jazouli dans les années banlieues, considère que plus que la dérive ethnique ce qui est très inquiétant c’est «
le développement accéléré, au sein de la jeunesse exclue, d’un discours autonome et agressif justifiant la délinquance, le vol et la
violence par la situation sociale vécue. Ce discours où les jeunes qu’ils appartiennent ou non à des bandes affinitaires se présentent
et se mettent en scène comme des robins des bois modernes se banalise (...). L’envie de consommation est en permanence confrontée
à la modestie des revenus. (..). Les loyers et charges impayés, le non-remboursement fréquent des crédits à la consommation, la
recherche permanente des combines pour avoir des produits et des biens de toutes sortes à des prix imbattables créent un univers où
ces transgressions sont perçues comme autant de moyens légitimes pour se sortir de l’exclusion ».

Conclusion : A travers l’exemple des jeunes des banlieues l’on saisit mieux qu’elles sont les répercussions de l’exclusion , de
l’absence de perspectives d’avenir (ce qui n’est en rien une excuse) :
• Les jeunes qui n’ont pas de projet , qui se sentent rejetés par la société, qui sont a priori étiquetés comme délinquant (délit de
faciès) sont alors conduits à adopter des comportements déviants .
• Il faut désormais s’intéresser aux mesures à prendre pour lutter contre l’exclusion qui doivent être non seulement curatives
(traitement social de l’exclusion: ex le RMI), mais surtout préventives (afin d’éviter aux individus en situation de précarité
de tomber dans l’exclusion).
• Cela éviterait ainsi de répéter le constat réalisé par le groupe technique quantitatif sur la prospective de l’exclusion : « il
paraît de bon sens de penser que beaucoup de ceux qui ont affaire avec la justice ont aussi à voir avec l’exclusion. »

Partie 2 – Les solutions mises en œuvre en France

I. Le Revenu Minimum d’Insertion :une réponse utile mais limitée à l’exclusion

A. Présentation

Le 1er décembre 1988 la France se dotait d’une nouvelle loi sur le traitement de la pauvreté et de l’exclusion qui était l’expression
d’une volonté collective de renforcer la cohésion sociale. Cette loi reposait sur deux logiques complémentaires :
• assurer un revenu minimum aux plus démunis qui permet aux allocataires de couvrir leurs besoins fondamentaux, mais
dont en même temps les modalités d’application sont suffisamment restrictives pour ne pas être désincitatives au travail : le
RMI est ainsi nettement inférieur au salaire minimum (ceci relève de la logique méritocratique).
• Réinsérer les individus dans la société en leur donnant des moyens financiers leur permettant de restaurer leur image
sociale, mais surtout en leur donnant une formation qui devrait déboucher à terme sur un travail . L’allocataire est donc, de
ce point de vue obliger de faire des stages démontrant sa volonté de sortir de l’exclusion . On retrouve ici l’idée
traditionnelle selon laquelle les pauvres ont des efforts à faire.

Pour les publics touchés :


Créé par la loi du 1er décembre 1988, le revenu minimum d’insertion (RMI) constitue l’un des dix minima sociaux en France. Le
système des minima sociaux, fondé sur un principe de solidarité, permet le versement de prestations sociales non contributives visant
à garantir un revenu minimal à une personne et à sa famille. Le RMI représente, avec 1,3 million d’allocataires à la fin de l’année
2005, le dispositif le plus important des minima sociaux en vigueur qui concernent au total 3,5 millions d’allocataires. Il constitue un
dernier filet de sécurité pour les personnes démunies qui ne peuvent prétendre à aucun des autres minima sociaux, tous destinés à des
catégories spécifiques de la population (personnes âgées, invalides, handicapées, parents isolés, veufs, chômeurs en fin de droits…).
L’accès au RMI est de ce fait soumis aux seules conditions de ressources, de résidence légale sur le territoire et d’âge (avoir au
moins 25 ans ou au moins un enfant à charge pour les personnes plus jeunes). Les personnes bénéficiant du RMI doivent suivre des
actions d’insertion (le « I » de RMI) que la collectivité (le département depuis la décentralisation intervenue au 1er janvier 2004) est
chargée d’accompagner.
Source : La population des allocataires du RMI, études et résultats, avril 2007
On peut constater dans le graphique ci-dessous que depuis sa création fin 1988, le RMI a connu une forte croissance au cours de ses
premières années d’existence (+17, 4 % par an en moyenne entre 1989 et 1994), moins soutenue par la suite (de l’ordre de 4,7 % par
an), avec des fluctuations liées à la situation du marché du travail
Comme le démontre la graphique ci-dessus : « Dès la fin 1989, les hommes vivant seuls, et les familles monoparentales ont composé
la majorité des foyers allocataires3 du RMI payés par les caisses d’allocation familiale4 (respectivement 34 % et 22 % des foyers
allocataires) [graphique 2]. À cette même date, les femmes seules et les couples avec enfant(s) représentaient chacun 20 % des
foyers, les couples sans enfant étant très minoritaires (4 % des foyers). La part des hommes seuls et celle des familles
monoparentales se sont globalement renforcées depuis et représentent à la fin de l’année 2005 respectivement 38 % et 25 % des
foyers allocataires, soit 4 et 3 points de plus qu’en 1989. À l’inverse, la proportion de couples avec enfant(s) a reculé de 6 points,
s’établissant à 14 % à la fin 2005. Enfin, les proportions de femmes seules et de couples sans enfant sont restées quasi identiques
depuis la création du RMI. »
Source : op cité

Fin 2005, une quinzaine de départements concentraient la moitié des allocataires inscrits au RMI : les trois départements les plus
importants des DOM, quatre départements d’Île-de-France et plusieurs départements situés dans le nord de l’hexagone, ainsi que sur
le pourtour méditerranéen. En particulier, cinq départements rassemblaient le quart des allocataires : le Nord, la Réunion, les
Bouches-du-Rhône, Paris et la Seine-Saint-Denis, avec plus de 50 000 allocataires dans chacun d’entre eux

B. Un constat ambigu

1 - les effets positifs

La perception du revenu minimum a permis aux allocataires de couvrir un certain nombre de besoins essentiels :
• La sécurité matérielle a été complétée par l’amélioration importante de la couverture maladie qui bénéficie désormais à 97
% des Rmistes. La création de la CMU a permis de rendre universelle la prise en charge de la couverture maladie.
• L’ouverture des droits a, de surcroît, permis aux allocataires d’améliorer leurs conditions de logement.
• il semble aussi que le RMI ait renforcé la solidarité familiale.
• Mais surtout le RMI a permis aux allocataires, selon B Perret et G Roustang: « de disposer d’argent (ce qui) dans notre
société est une composante essentielle du statut personnel. Pouvoir payer, au lieu d’utiliser des bons alimentaires, change
l’image des Rmistes pour eux-mêmes et leur entourage.
• Grâce au RMI, certains peuvent posséder à nouveau ou pour la première fois un carnet de chèques, signe visible de
l’intégration économique sinon sociale. »
Remarque : en 1999 a été votée la loi créant la Couverture Maladie Universelle qui est destinée à favoriser l’accès aux soins des
plus démunis et donc à garantir une couverture aux 6 millions de personnes qui avaient renoncé à se soigner faute de ressources
suffisantes.

2 - les limites .

Néanmoins le RMI n’a pas véritablement atteint ses objectifs qui étaient de réinsérer par le retour à l’emploi l’individu dans la
société :
• En effet une majorité de Rmistes ne sont pas sortis du RMI, par exemple en 1991, seuls un tiers des allocataires inscrits un
an plus tôt ont un emploi ou suivent une formation
• Ceci entraîne une forte augmentation du nombre d’allocataires qui est passé de 335 000 en 1998 à près de un million
aujourd’hui.

Conclusion : On peut alors en conclure que le RMI qui devait correspondre à une période transitoire de la vie d’un individu est
entrain de s’inscrire dans la durée : quand on devient Rmiste on a une forte probabilité de le rester.

Les explications : Cette absence de perspective d’avenir pour les allocataires résulte de la faillite du système d’insertion qui est due
principalement à trois raisons :
• manque de mobilisation des acteurs locaux ( entreprise, collectivités locales , élus) en faveur de l’insertion qui s’est
parfois traduite par la non dépense des sommes affectées à l’insertion . Ainsi le taux d’insertion varie de 30 à 80% selon les
départements.
• paradoxalement on observe aussi une insuffisance des moyens affectées à la formation : la formation représente seulement
20 % de l’allocation elle devrait au minimum en représenter 60 % . Dés lors les stages sont des stages parkings qui n’offrent
pas véritablement de formation et qui ne débouchent pas sur un emploi.
• L’allocataire est aujourd’hui obligé de suivre des stages pour s’insérer mais en contrepartie l’Etat n’a aucune
obligation d’insertion de l’individu il y a de fait selon Perret et Roustang « une certaine inégalité entre les deux parties » .
L’insertion ne pouvant être réalisée tant qu’un nombre insuffisant d’emplois est créé.

Finalement on peut se demander avec Roustang et Perret si l’allocation n’avait pas pour but de freiner la dérive de l’illégalité comme
le dit un Rmiste « si on ne l’avait pas, on serait où, au bord de la révolution ? ».

II. Vers une activation du RMI : Le Revenu Social d’ Activité (RSA)

Pour une présentation du Revenu Minimum d’Activité proposé par le gouvernement Raffarin :

Une réforme a été proposée par le gouvernement Raffarin pour 2004 qui :
• s’appuie sur un certain nombre de rapports qui ont véhiculé l’idée qu’une partie non négligeable des Rmistes resteraient
volontairement sans travail (le RMI représenterait donc une trappe à l’inactivité)
• l’objectif est alors selon F Fillon « parmi ceux qui n’ont pas de travail, il faut donc distinguer les vrais exclus de ceux qui
cherchent à détourner le système »,
• pour cela le gouvernement préconise d’obliger les allocataires à prendre un travail d’utilité sociale afin selon F Filon « de
les mobiliser et de les responsabiliser »

Cette mesure paraît cependant discutable car :


• Toutes les études empiriques qui sont disponibles montrent que les rmistes recherchent avant tout un emploi, car l’emploi
procure un statut, même s’il ne s’accompagne pas de gain financier. Les enquêtes démontrent d’ailleurs que 75% des rmistes
occupent déjà un petit boulot ou recherchent activement un emploi.
• Le RMI assurait un équilibre entre l’engagement du bénéficiaire dans un contrat d’insertion et le devoir de la collectivité de
lui offrir une gamme d’insertion. P Concialdi constate : « avec le RMA, exit ce devoir d’insertion de la collectivité ». Dés
lors se pose la question de la capacité à améliorer les qualifications des chômeurs ?
• Finalement la réforme ne traduit-elle pas le passage souhaité par les libéraux du welfare au workfare (cf les modèles anglo-
saxons)

Conclusion : Finalement cette mesure a échoué à atteindre les objectifs qui étaient fixés

A. Le constat établi par M Hisrch pour justifier la création du RSA

M.Hirsch note :
• le nombre de Rmistes n’a pas diminué
• pour un Rmiste, il n’est pas toujours intéressant financièrement de reprendre un travail
Pour l’analyse de M.Hirsch :

« Il y a vingt ans, on pouvait vivre en France sans avoir droit au moindre revenu. La loi du 1er décembre 1988, en créant le RMI
(revenu minimum d’insertion), a mis fin à cette situation. Toute personne résidant régulièrement en France a désormais droit à un
revenu minimum, en mars 2008 de 447 euros par mois pour une personne seule.
Le RMI est l’un des 9 minima sociaux, avec notamment l’allocation adulte handicapé (AAH),le minimum vieillesse, l’allocation
parent isolé (API), l’allocation spécifique de solidarité (ASS). Six millions de personnes ont des ressources qui dépendent de ces
minima.Ces personnes vivent pour la plupart sous le seuil de pauvreté. Le seuil de pauvreté est calculé en prenant 60 % du revenu
médian de la population française, c’est-à-dire actuellement 817 euros par personne et par mois. On peut d’ailleurs être pauvre en
travaillant. C’est le cas d’une personne seule qui travaille à mi-temps, payée au SMIC, ou d’une mère isolée de deux enfants qui
travaille à plein-temps, toujours au SMIC. Les travailleurs pauvres sont les personnes qui, bien que travaillant, ont des revenus
totaux (c’est-à-dire le salaire et les prestations sociales) inférieurs au seuil de pauvreté. On estime qu’elles sont 1,5 million. Depuis
plusieurs années, la proportion de la population française qui vit sous le seuil de pauvreté ne diminue plus, et 7,1 millions de
personnes sont aujourd’hui dans cette situation. Le nombre de personnes vivant du RMI a augmenté très sensiblement, de même que
la part des travailleurs pauvres. De plus en plus souvent, il s’avère que la reprise du travail non seulement ne fait pas sortir de la
pauvreté, mais ne permet pas d’augmenter ses revenus. Il est des cas où la reprise du travail se traduit par une stagnation des
ressources. Les gains du travail sont annulés par la diminution des prestations sociales versées en l’absence d’emploi. Parfois, la
reprise du travail conduit à un appauvrissement : dépenses supplémentaires (transports, garde d’enfants) sans augmentation des
revenus. Cette situation n’est pas nouvelle. Mais les solutions apportées jusqu’à présent n’ont pas été suffisantes pour y remédier. En
1998, dix ans après la création du RMI, a été inventé un système d’intéressement, permettant aux allocataires du RMI de conserver
une partie de leurs allocations pendant la première année de retour au travail. Une loi de 2006 a transformé ce mécanisme en prime
forfaitaire. Parallèlement, pour inciter au retour au travail, a été créée en 2001 une prime pour l’emploi. Mais il a été montré que la
prime pour l’emploi (PPE) n’a pas eu l’effet incitatif attendu : son effet, dilué sur une très large population, est trop faible. Ces
différentes réformes, conjuguées avec les différentes aides locales, ont abouti à un système d’une complexité telle qu’il est difficile
de prédire les revenus d’une personne qui reprend un travail, augmente son activité ou tout simplement bénéficie d’une
augmentation de salaire.
Pendant cette période, l’écart entre le revenu minimum et le salaire minimum s’est accru. Le système n’est plus tenable. Avec les
règles actuelles, une augmentation du RMI accroît le nombre des situations dans lesquelles le retour au travail n’est pas
rémunérateur.
Les augmentations du SMIC, quant à elles, n’ont pas évité l’émergence de travailleurs pauvres, et une augmentation du coût du
travail peut avoir un effet d’éviction du marché du travail de personnes peu qualifiées.
C’est pour répondre à ces problèmes – retour au travail non rémunérateur, pauvreté au travail, soutien au pouvoir d’achat des
personnes à faible revenu, complexité du système d’aide – qu’a été conçu le revenu de Solidarité active (rSa). »

B. Qu’est ce que le RSA ?

Le RSA est une prestation qui se substitue et transforme le RMI, l’API et, le cas échéant, d’autres minima sociaux, les systèmes
d’intéressement des minima sociaux et la PPE. La substitution permet la simplification et la transformation permet l’efficacité.
Juridiquement, c’est une prestation sociale qui :
– remplace le RMI, l’API et, le cas échéant, d’autres minima sociaux, en l’absence de revenus d’activité ;
– complète les revenus d’activité en fonction de la composition de la famille quand un ou plusieurs membres de la famille
travaillent, en remplaçant la PPE.
Le RSA offre à ses bénéficiaires un complément de revenu qui s’ajoute aux revenus d’activité quand la famille en perçoit, pour leur
permettre d’atteindre un niveau de ressources qui dépend de la composition familiale et du montant des revenus du travail.
L’allocation perçue est égale à la différence entre ce revenu garanti et les ressources du foyer.
Contrairement au RMI qui est une allocation différentielle, le RSA est un dispositif dont le montant diminue chaque fois que les
revenus augmentent mais dans une proportion moindre que cette augmentation, garantissant ainsi une progression régulière des
ressources globales du ménage. Il s’agit en substance de permettre aux bénéficiaires de cumuler les revenus tirés du travail et une
fraction de prestation sociale en faisant en sorte que les revenus du travail soient le socle des ressources.

Pour en savoir plus :

Quatre paramètres déterminent le montant du rSa versé à un individu :


– la situation familiale : le montant du rSa varie selon la situation familiale, comme c’est le cas actuellement pour le RMI, selon une
échelle d’équivalence qui permet de valoriser l’impact sur les budgets de la taille des ménages.Des aménagements à cette règle
peuvent être néanmoins envisagés.
– le niveau du minimum garanti (ou « point d’entrée du barème») : ce revenu est déterminé en fonction du niveau actuel des minima
sociaux. La création du rSa ne doit pas conduire à une dégradation du niveau de revenu des personnes qui vivent des minima
sociaux. C’est dans cet état d’esprit que sont réalisés les travaux sur le barème du rSa et notamment son niveau en l’absence de
revenu d’activité. On peut le résumer de la façon suivante : le niveau du minimum garanti du rSa correspond au niveau actuel des
minima sociaux pour une configuration familiale donnée.
– le niveau des revenus d’activité professionnelle : ces revenus sont pour partie cumulables avec le revenu minimum garanti après
application d’un taux de cumul qui garantit une progression régulière des ressources globales du ménage
en fonction des revenus d’activité perçus.
– le taux de cumul du rSa détermine à la fois le revenu de sortie du rSa et le rythme de progression des revenus globaux chaque fois
que les revenus professionnels augmentent ; plus le taux est élevé, plus les gains à la reprise d’emploi sont élevés.
Tous ces paramètres déterminent de façon induite le nombre de bénéficiaires du rSa.

C. Les objectifs du RSA

Selon M Hirsch les objectifs du RSA sont :


 « Le RSA sera incitatif au retour à l’emploi
En savoir plus :
donnera de la visibilité aux personnes sans emploi sur l’évolution de leur revenu en cas de reprise d’emploi.La création du rSa doit
permettre, pour les personnes exerçant une activité faible ou nulle,quelle que soit la situation de départ, que le produit de chaque
nouvelle heure travaillée puisse améliorer le revenu final de la famille en supprimant les « effets de seuil ».Il s’agit de rendre le
retour à l’emploi ou l’augmentation du temps de travail financièrement intéressants, tout en les facilitant par un meilleur
accompagnement.
 Le RSA augmentera le soutien financier à destination des ménages pauvres qui travaillent à temps partiel ou de façon
intermittente et ne touchent pas aujourd’hui la PPE.
En savoir plus :
Pour les personnes avec une activité professionnelle à temps partiel ou discontinue, la prestation doit garantir que les ressources
globales permettent de franchir le seuil de pauvreté avec une quotité de travail plus faible qu’aujourd’hui tout en créant les
mécanismes d’accompagnement permettant d’accéder à des emplois de meilleure qualité.
Le rSa assurera un soutien financier à destination de tous les ménages à revenus modestes. Pour les personnes avec une activité
professionnelle à temps plein ou proche du temps plein, il permet d’assurer un complément de revenu significatif et adapté à la
configuration familiale.
 Le RSA rendra les systèmes de prestations sociales de soutien aux revenus plus compréhensibles par les citoyens. Pour
tous, la création du RSA permet de simplifier le système des aides et de rendre l’ensemble plus lisible pour les
bénéficiaires, les revenus plus prévisibles pour les familles, les transferts plus faciles à expliquer et à solliciter pour les
accompagnants sociaux. »
 Le RSA réduira le nombre d’interlocuteurs pour les familles en situation de pauvreté.
 Le RSA préviendra les ruptures dans les parcours d’insertion professionnelle en évitant l’entrée et la sortie dans des
prestations cloisonnées.
 Le RSA mettra fin à la stigmatisation des bénéficiaires de minima sociaux en les rendant bénéficiaires d’une prestation
large, plus universelle.
Pour tous, il accroîtra les incitations à sortir du secteur informel et luttera contre le travail dissimulé, au bénéfice des salariés
concernés. »

III. La nécessité d’une politique plus préventive .

Cette idée d'un continuum allant de l'intégration à l'exclusion et sur lequel peuvent se dessiner des zones de sécurité (maximale), de
fragilité et d'insécurité (maximale), avec des lignes de glissement et de rupture, a été approfondie récemment par R. Castel
Son hypothèse est que toutes les situations sociales aujourd'hui problématisées expriment un mode particulier de dissociation du lien
social, qu'il appelle la désaffiliation. La désaffiliation sociale est, dans l'hypothèse-de Castel, l'effet ou la résultante de la, conjonction
de deux processus : un processus de non-intégration par le travail (et dans le monde du travail) d'une part, et un processus de non-
insertion dans les réseaux proches de sociabilité familiale et sociale.
Le croisement de ces deux axes (Intégration-non-intégration par le travail et Insertion-non-insertion dans des réseaux de relations
sociales) permet alors de distinguer les diverses zones suivantes entre lesquelles les frontières sont poreuses et qui désignent
plusieurs types de statuts sociaux (voir schéma ci-dessus) :
- zone d'autonomie (intégration + insertion) : les "intégrés-insérés" (statut social le plus favorable)
- zone d'individualisme sans attaches (intégration sans insertion) : les "individualistes-autosuffisants"
- zone de vulnérabilité (intégration et insertion miniminales) ; les "vulnérables »
- zone d'assistance (non-intégration + insertion) : les "assistés"
- zone de désafiiliation maximale (non-intégration + non-insertion) : les "exclus" (statut social le plus défavorable).
En savoir plus :
Selon Castel, "une société ne devient duale que lorsqu'elle prend le chemin d'instituer une séparation entre ses zones d'intégration et
ses zones de désintégration. Autrement dit, une société commence à se résigner au dualisme lorsqu'elle accepte la précarité et la
vulnérabilité comme des états de fait (...) C'est en fonction de cette problématisation que j'ai voulu m'attacher à ces termes, précarité,
vulnérabilité, désatfiliation, plutôt qu'à d'autres qui en tiennent approximativement lieu comme pauvreté, marginalité, déviance,
exclusion. pour suggérer aue l'on est en présence de processus plutôt que d'états (...) L'incidence pratique de ces propos est ainsi de
donner à entendre qu'une double politique sociale serait possible (,.} .l'une, a dominante préventive, consisterait à contrôler la zone
de vulnerabilité par des mesures générales ; l’autre à dominante réparatrice, se proposerait de réduire la zone de désaffiliation par des
mesures concrêtes d’insertion ( comme par exemple la loi sur le RMI en France en 1988.
SOURCE : N Quecoz,où est passée la déviance dans la réflexion sociologique contemporaine, 1993.

A travers l’analyse de R Castel on se rend bien compte que les mesures telles que le RMI pour nécessaire qu’elles soient ne sont en
aucun cas suffisantes , elles devraient être couplées avec des mesures préventives qui auraient pour objectif de ne pas faire tomber
les individus dans l’exclusion (ou plus exactement dans la désaffiliation pour parler comme Castel).

Pour l’analyse de P.Rosanvallon :

Chômage de longue durée, nouvelle pauvreté, sans-abri : depuis une dizaine d'années, la montée de l'exclusion a constitué le fait
social majeur. La "question sociale" s'est du même coup déplacée : on est passé d'une analyse globale du système (en termes
d'exploitation, de répartition, etc.) à une approche focalisée sur le segment le plus vulnérable de la population. La lutte contre
l'exclusion a polarisé toute l'attention, mobilisé les énergies, ordonné la compassion. L'importance inédite prise par les organisations
caritatives constitue un des symptômes de ce basculement. Ces organisations ont puissamment contribué à remodeler l'imaginaire
social collectif, théâtralisant une grande coupure entre deux mondes implicitement considérés comme homogènes.
L'invitation à lutter contre l'exclusion a ainsi simplifié le social, certainement beaucoup trop. La dynamique sociale ne saurait en
effet être réduite à l'opposition entre ceux qui sont "dedans" et ceux qui sont "dehors". On peut même dire que notre compréhension
de la société est aujourd'hui biaisée par la polarisation de toutes les attentions sur les phénomènes d'exclusion. Même si l'on doit
considérer à juste titre que l'exclusion constitue le phénomène social majeur de notre temps, elle n'épuise pas la question sociale. La
juste dénonciation de la pauvreté et de la misère du monde ne doit pas dispenser d'une approche plus globale des tensions et des
contradictions qui traversent la société.
La fragilisation multiforme du salariat (précarité, flexibilité) modifie aussi en profondeur notre société. C'est ainsi en son centre, et
pas seulement dans ses marges, qu'il faut la considérer. Robert Castel n'hésite pas à dire à ce propos : "Le problème le plus grave
n'est peut-être pas celui du chômage. Je ne dis pas cela pour dédramatiser les trois millions de chômeurs, mais pour inviter à regarder
en amont du chômage, la dégradation de la condition travailleuse." Cette mise en garde provocante est d'autant plus appropriée que
c'est bien la fragilisation de cette masse centrale qui finit par alimenter la croissance du nombre des exclus. L'exclusion est le résultat
d'un processus, elle n'est pas un état social donné, il ne faut pas l'oublier.
SOURCE : P Rosanvallon, la nouvelle question sociale. Le seuil , 1995.

Comme l’indique Rosanvallon l’exclusion est la question sociale de la fin du siècle . Mais elle cache une question qui est encore
plus fondamentale : on oppose aujourd’hui ceux qui sont dans la société à ceux qui sont en dehors les exclus, les salariés ayant un
emploi étant responsables de la situation des exclus par leur mauvaise volonté à accepter plus de flexibilité, une remise en cause de
leurs avantages acquis. La question est ailleurs : la dégradation de la condition du salariat n’est pas la solution au problème de
l’exclusion mais au contraire semble nourrir l’exclusion

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