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C’est aujourd’hui la dernière causerie. Il n’y a pas de fin aux paroles, aux explications, aux discussions. Mais les explications, les arguments, le bavardage, ne conduisent à aucune action directe parce que celle-ci exige de nous un changement radical et fondamental. Pour cela il n’est pas besoin d’argumentation. Aucune formule, aucune influence venant d’autrui, aucun discours persuasif, ne nous permettra de nous changer fondamentalement dans le sens profond du mot. Le changement est nécessaire, mais quand il se produit il n’est pas conforme à une idée, une formule ou un concept, parce que dès l’instant où une action est orientée par une idée, elle cesse. Entre l’action et l’idée il s’écoule un intervalle de temps, il y a un hiatus, et pendant cet intervalle surgit ou bien une résistance, un conformisme, ou une imitation de cette idée, de cette formule ; il y a un effort pour les mettre en action. C’est là ce que nous faisons tout le temps. Nous savons qu’il nous faut changer, non seulement extérieurement, mais encore profondément et psychologiquement.Les changements extérieurs sont nombreux. Par eux, nous nous voyons contraints de nous conformer à un certain modèle d’activité. Mais pour aborder les défis que nous apporte l’existence quotidienne, il faut une révolution profonde. La plupart d’entre nous ont une idée, un concept de ce que nous devrions être ou, au contraire, de ce que nous devrions ne pas être, mais nous ne changeons jamais fondamentalement. Ces idées, ces concepts, ne nous modifient pas du tout. Nous ne changeons que quand cela devient absolument impératif, et nous n’en voyons jamais directement la nécessité. Si parfois nous voulons vraiment chan
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ger, il se produit des états de conflits violents, de résistances, entraînant une grande déperdition d’énergie dans ces résistances, dans ces barrières que nous créons.Acquérir des connaissances, absorber des quantités d’idées, écouter de nombreuses causeries, n’ont jamais donné la sagesse. Ce qui la fait naître est l’observation de soi, l’examen de nous-même. Mais pour que cet examen soit possible, nous devons être libérés du censeur, de cette entité qui, à chaque instant, pèse, juge, adapte. Alors seulement sommes-nous capables d’examiner et de regarder. La véritable action ne se produit qu’à partir d’une telle observation, et sans qu’intervienne aucune idée ; l’action est alors directe. L’homme, semble-t-il, a vécu pendant plus de deux millions d’années durant lesquelles il y a eu quinze mille guerres — à ce que nous dit l’histoire — une moyenne de deux guerres et demie par année. Nous sommes sans cesse en conflit les uns avec les autres, intérieurement et extérieurement. Nos vies sont un champ de bataille, et nous semblons absolument incapables de résoudre nos problèmes. Ou bien nous les remettons au lendemain, nous les évitons, ou bien nous leur cherchons une solution, solution conforme à nos concepts, nos idées, nos préjugés, nos conclusions. Nous pourrons continuer à vivre ainsi pendant deux millions d’années encore, superficiellement ; peut-être un peu mieux alimentés, mieux vêtus, mieux logés, mais intérieurement toujours en querelle avec nous-mêmes, avec autrui, avec nos voisins ; tel a été le tracé de nos vies.Pour que puisse naître une société bénéfique, les êtres humains doivent changer. Vous et moi devons découvrir l’énergie, l’élan, la vitalité, qui rendront possible cette transformation radicale de l’esprit. Et ceci ne peut se produire tant que notre énergie est insuffisante. Il nous en faut beaucoup pour provoquer un changement en nous-mêmes, mais nous la gaspillons dans nos conflits, nos résistances, notre conformisme, nos acceptations, notre obéissance. C’est gas piller de l’énergie que de faire des efforts pour se conformer à un modèle. Pour la conserver, il nous faut être conscients de nous-mêmes, de comment nous la perdons. C’est là un problème ancien, parce que la plupart des êtres humains sont indolents. De préférence ils acceptent, ils obéissent, ils suivent. Si nous prenons conscience de cette
CINQUIÈME ENTRETIEN67
indolence, de cette paresse profondément enracinée, et que nous fassions des efforts pour revivifier l’esprit et le cœur, l’intensité même de cet effort engendre un conflit, qui est encore une déperdition d’énergie. Notre problème, un de nos nombreux problèmes, est de sentir comment conserver l’énergie requise pour que se produise une explosion dans la conscience. Une explosion qui ne soit pas calculée d’avance, que la pensée n’a pas préfigurée, mais qui se produit naturellement dès qu’il n’y a plus déperdition d’énergie. Or, tout conflit sous aucune forme, à n’importe quel niveau, à n’importe quelle profondeur de notre être, entraîne une telle déperdition. Nous le savons, mais nous avons accepté le conflit comme faisant naturellement partie de la vie. Pour saisir la nature et la structure du conflit, il nous faut avoir compris la question de la contradiction. La plus grande partie de notre vie quotidienne devient source de conflit. Si nous voulons bien observer le déroulement de notre existence, de notre vie, nous voyons toute l’étendue de nos conflits, ce que nous sommes, ce que nous devrions être, nos désirs, nos plaisirs contradictoires, les influences diverses, les pressions, les tensions, les résistances engendrées par nos tendances, par nos appétits. Tout cela nous l’acceptons comme faisant nécessairement partie de notre existence. Mais pourquoi vivre dans le conflit ? Et est-il possible, tout en étant dans ce monde moderne, menant la vie que nous menons, est-il possible d’exister sans conflit, autrement dit sans contradiction ?Ayant posé une question de cette sorte, ou bien nous attendons une réponse, une explication, ou bien chacun d’entre nous prend conscience de la nature de ses contradictions, de ses conflits. Par là, j’entends : observer, examiner, sans juger, sans choisir ;
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nos vies, nos vies quotidiennes lesquelles sont faites de conflits. Simplement en être conscients. Nous commencerons alors à comprendre la nature intime de la contradiction. La plupart d’entre nous savons bien que nous vivons tiraillés en sens contraires ; alors, ou bien nous supprimons une des tendances pour suivre l’autre, l’opposé, ou bien nous tournons carrément le dos à la contradiction et vivons superficiellement dans un monde d’évasion. Si nous en prenons vraiment cons-
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