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l'extinction
la disparition
LA TRANSFORMATION
individuel, on
",,.y,a...,,, considérer que
d'une langue qui disparaît avec eux est celle d'une commu
est donc nauté linguistique.
balbutiaient encore, second lieu, locuteurs de naissance à
qui la parlait, partir desquels s'amorce le D[()CeSSlIS
âges. L'extinction s'achève en substitution lorsque, ainsi se trouver dans deux
qu'il fréquemment, les l'espace d'origine, est parlée comme
A'-''"''MU......
est
considérée un
96 • HALTE À LA M 0 R T DES LAN GUE S
LES SENTI ERS DE L' E X TIN C Tl 0 N • 97
sion et de déshérence.
L'absence d'enfants parmi les locuteurs d'une langue
comme signe annonciateur de sa mort
LE DÉFAUT DE TRANSMISSION NORMALE
Une langue que parlent uniquement les adultes d'une
co �munauté, tandis que les enfants n'en connaissent
Manque total ou partiel d'éducation qu une autre ou d'autres étrangères à cette communauté
dans la langue autochtone n'est pas condamnée à mort d'une manière immédiate ni
certaine. Entre eux, les adultes les plus jeunes s'en servi
Le fait qu'une langue cesse d'être transmise aux enfants
comme elle l'est dans ses conditions naturelles de vie est
�
r nt encore, en principe, jusqu'à la fin de leur vie. Et
d autre part, la fondation d'écoles où puissent l'apprendre
l'indice d'une précarisation importante. Dans de nombreux
les enfants à qui elle n'est pas transmise dans leur milieu
cas, les parents, pour des raisons qui seront examinées
familial reste toujours possible. Dans la plupart des cas
plus bas, ne sont pas spontanément portés à enseigner à
connus, néanmoins, cette absence de jeunes locuteurs est à
leurs enfants, par un moyen aussi simple que de la parler
considérer comme un pronostic sombre pour la survie de la
avec eux à l'exclusion de toute autre, la langue de la com
langue (cf. p. 202, où elle est utilisée comme discriminant).
munauté. Cela ne signifie pas qu'ils renoncent entièrement
à l'utiliser dans le cadre de l'éducation. Certains néan
moins sont bien dans ce cas, et l'on peut parler alors d'un
défaut radical de transmission. Dans d'autres familles, le
défaut de transmission n'est que partiel. Mais d'une part
les éléments qu'enseignent les parents sont insuffisants,
d'autre part, en n'assurant pas une transmission commen
çant dès le plus jeune âge comme il est courant pour toute
f
98 .. H A L T E A L A M 0 R T D E S L A N GUE S L E S S EN Tl E R S D E L' E X TIN C Tl 0 N .. 99
100 • HAL TE À LAM 0 R T DES LAN GUE S LES SENT/ERS DE L'EXTI N C TION . 1 01
Les productions de ces locuteurs seront étudiées plus bas, Sur le plan phonologique, le quetchua des campagnes
et permettront de préciser le contenu de la notion de sous possède deux voyelles i et u, mais pas de e ni de a sinon
usagers. Qu'il soit simplement précisé dès à présent que les comme prononciations possibles des mots: i peut quelque
sous-usagers se distinguent des sujets doués d'une compé fois être prononcé e, auquel il ressemble, et de même pour
tence passive. Ces derniers ne produisent certes pas, le u par rapport à a ; cela signifie qu'il n'existe, en quetchua
plus souvent, de discours suivi et n'utilisent pas la langue moins influencé par l'espagnol, aucune paire de mots dont
comme peuvent le faire ceux qui possèdent une pleine les membres, identiques en tout, s'opposent uniquement,
compétence; mais ils n'ont pas perdu la connaissance du l'un à l'autre, par la présence de i dans l'un et de e dans
système et peuvent, du moins en principe, en reconnaître l'autre, ou par celle de u dans l'un et de 0 dans l'autre. Au
tous les traits en tant qu'auditeurs, ce qui n'est pas le cas contraire, en quetchua de la ville, qui fait maints emprunts
des sous-usagers. à l'espagnol, les voyelles e et 0 sont des phonèmes
(ensembles de traits sonores servant à distinguer les mots)
de plein droit. En effet, ces sons s'introduisent dans le
L'ALTÉRATION DE LA LANGUE DOMINÉE quetchua urbain en même temps que les mots espagnols
ET LE DÉNI DE LÉGITIMITÉ qui les comportent. Ainsi, les systèmes phonologiques du
quetchua urbain et du quetchua rural de la région de
Le type de langue que parlent les sous-usagers dans Cochabamba sont assez différents pour que l'on puisse
les situations d'obsolescence initiale peut être illustré par parler de deux langues distinctes.
bien des exemples. On en retiendra deux ci-dessous. Les faits ne s'arrêtent pas là. On vient de voir que la
contamination du système phonologique du quetchua
citadin par l'espagnol était corollaire de J'afflux
Le quetchua en Bolivie face à l'espagnol
d'emprunts, qui est un phénomène lexical. Mais la gram
Le premier exemple est celui du quetchua de la ville maire est atteinte elle aussi. Sur le plan grammatical, le
et de la vallée de Cochabamba en Bolivie (cf. Calvet 1 987). quetchua plus conservateur des paysans possède des
Le quetchua est l'état moderne de la langue que l'on par caractéristiques très différentes de celles de l'espagnol. Le
lait dans l'empire inca à l'arrivée des conquérants espa verbe, notamment, est en position finale dans la plupart
gnols. L'hispanisation culturelle et linguistique ne l'a pas des phrases, lesquelles sont le plus souvent courtes. En
réduit à une situation aussi fragile que celles de nom espagnol, le verbe n'est pas plus en position finale qu'il ne
breuses autres langues indiennes d'Amérique. Le quet l'est en français, où il n'est pas d'usage de dire ils ont leur
chua est parlé par près de la moitié des cinq millions et maïs au marché vendu. Dès lors, c'est sous l'influence
demi d'habitants de la Bolivie. Mais il est, évidemment, omniprésente de l'espagnol que l'ordre des mots du quet
soumis à la pression de l'espagnol. En milieu urbain (ville chua de Cochabamba-ville devient un ordre à verbe en
de Cochabamba et alentours immédiats), les commer position non finale dans la plus grande partie des phrases.
çants, ainsi que l'administration et les médias, laissent Dans un environnement de guerre des langues où
une place indéniable au quetchua, mais la forme qu'ils uti l'inégalité est forte, la langue légitime est celle des {( élites»
lisent est assez différente de celle dont se servent les pay économiques. Or ces élites, à Cochabamba, sont précisé
sans (vallée de Cochabamba). ment les communautés d'usagers d'un quetchua de plus en
+
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plus hispanisé, en disparaître en tant que quetchua pays, et dont Ul<UO;:;I..,U.,,") sont utilisés par de
lorsque le processus d'absorption phonologique, cents millions Indiens de Trinité ont donc
ticale et lexicale par aura atteint son tenne. pour langue locale du bhojpuri, ou
Ainsi, ces loin d'être bhojpuri de
déclassés, lors même d'origine est Cependant, certains
est celui d'une """1;;;"'" éprouver le du bhojpuri à Trinité, on
À""'THnU'À se trouve récusée. constate une nette entre les locuteurs
est à son tour le statut même de 75 ans nés en à 75 ans nés à
locuteurs. On légitimation de la ceux qui, également ont au-dessous de ans.
menaçante et le de la langue menacée Une expérience sur ces locuteurs (cf. Mohan et
partie, solidairement, processus d'affinnation.
Zador 1 986) établit connaissance du bhojpuri
Mais il existe une autre catégorie,
décroît très premier au deuxième
abondante, de locuteurs, appartenant
puis du deuxième au si l'on utilise pour
aux classes société bolivienne, qui
minant l'emploi correct et fréquent de certains
lent le quetchua véritable, se servent
qui sont propres à cette telle qu'elle est
aussi d'un « mauvais » eSlJag;n dit « espagnol andin »,
Inde, et qui sont comme en
qui est stigmatisé. d'ascension sociale
Il s'agit des : pronoms personnels
conduit à imiter le plus en plus hispanisé
rifiques, verbes redoublés à sens
sous-usagers la
distributif, l-rn-rnr,,,,
nombre des S01us-·usag(�rs
second reprend avec un premier x,
l'autre,
avec pour résultat « x et autres choses ce
du quetchua
genre »).
Si l'on ajoute à la rapidité d'élocution
La situation en milieu créolophone dans les Caraibes nettement aussi du au deuxième puis de
au troisième qu'au contraire le taux
L'autre exemple concerne une des langues de l'île
antillaise de Trinité-et-Tobago, située à proximité des emprunts à considérablement
orientales du est la langue officielle même direction, on que par OpposJtlon aux
cet État membre du La langue plus âgés, qui ne transmettent qu'imparfaitement
la majorité de est un créole à base compétence, sont devenus des �UU::;-'U�d�'t:l::;
comme à la îles des de la langue Il est
Mais la moitié également une autre cet égard,
langue. Ce sont en des travailleurs
en 1838,
sucre; ils qu'il de « mauvais propre expres
du centre-est de où se parle le d'autodérision. bhojpuri à Trinidad
bhojpuri. apparenté dominante ce plus très éloignée.
104 • HAL TE A LA M 0 R T DES LAN GUES '
LES SEN T J ERS DEL E X TIN C Tl 0 N • 105
lexicaux,
originel, processus peut
seule-
•
emprunts et l'offensive en masse
peuvent pour
une langue est souvent conduite par
de l'emprunt, qu'il contribué à
kusaien, langue en désignations
l'archipel est en situation plus est
108 • H 1\ L TE À L A M 0 R T DES LA N G U E S
en particulier, que le
• 109
science même de ses ins D'autres caractéristiques font apparaltre des dlfferences
uffisances
qui donne à son expres
sion une forme quasi cat importantes entre les pidgins et les l�gues m ?ribonde�.
aleptique;
et précisément, par un
effet de retoUI� cette sus Ainsi, le procédé d'expolition, qu'on a Illustre, cI-de�sus a
entre la parole et le sile pension
nce est, pour la langue à propos de l'irlandais (cf. p. 113-114), se trou.ve aUSSI dans
étape de son agonie, un la der nière
signe de la mort. certains styles écrits de pidgins, comme celUI de Nouvelle
Guinée (appelé tok pisin), qui, récemment encore, da
.
colonnes des journaux de Port-Moresby, �dme:t�lt, a;t
Comparaison avec le cas
des pidgin s milieu d'une phrase, l'insertion de mots anglaIS, maIS Imme
Certains des traits des lan diatement suivis d'une traduction (cf. Hagège 1993, 30.).
gues en déshérence par
sent accroître la transp
arence, en réduisant les
ais �
Cependant, ici, contraireme�t au cas de� la�gu s en vo�e
rités et le nombre des for irrégula d'extinction, il ne s'agit pas d une contamInatIon . I e pIdgm ,
mes. La transparence éta .
une caractéristique des nt aussi est bien vivant, et les usagers qui lisent cette pr�sse Ignorent
pidgins (cf. p. 352-357),
posé de comparer ces dern on a pro souvent l'anglais, d'où la nécessité de tradUIre les mots
iers aux langues moribond
fait, quelques propliété es. De d'emprunt que l'on emploie ici ou là.
s sont communes aux
tions : tendances à l'invar deu x situa
iabilité, à l'anal)1icité, à
traits universellement réc l'em plo i de
urrents dans les langues,
de traits récessifs. Un aut plu tôt que
re trait commun aux lan
gues en
r
LE S S E N TI E R S D E L 1 N e TIO N • 1 19
118 • HA L T E À LA M O R T D E S L A N G U E S
parlait
canadien angl ophone). Le gaélique écossais, que des
des
encore, au début du xxe siècle, un grand nombre
Rythme de l'érosion et conscience des locuteurs partir des
cendants d'Écossais vivant sur cette île, a subi, à
e, un proc essu s d'élimi
Les changements que subit une langue en voie de des années quarante de ce même siècl
sfor mé en uni
truction sont beaucoup plus rapides que ceux, tout à fait nation au profit du seul anglais, qui a tran ment
enne
cour�n�s, qui caractérisent la vie des langues non exposées lingues les membres de cette com munauté anci
au dechn. Les sous-usagers ne sont pas toujours conscients bilingue.
de
du ryth�� auquel leur langue se disloque, même lorsqu'il Cependant, la langue n'a pas totalement disparu
, sous form e
est vertIgmeux. Ils sont souvent convaincus qu'ils parlent l'usage. On peut entendre le gaélique employé s
locu teur
encore une langue normale, alors qu'elle est moribonde. d'interjections ou de phrases courtes, par des
ns. Il s'agit
Les formes qui donnent l'illusion d'une continuité sont n'appartenant pas aux plus récentes génératio
s d'ordre
d�jà, le plus souvent, celles d'un autre système, en cours d'adresses lancées à l'interlocuteur, ou de réfle xion
émo tion, ou
d mstallation, et qui est le prélude à l'extinction totale. général, ou encore de paroles exprimant une
oristique,
un vigoureux assentiment, ou une réaction hum
bribes de
ou enfin, de salutatio ns, d'obscénités ou de
sses ont pou r cible
L'ILLUSION DE VIE vieilles légendes. Certaines de ces adre peut ,
ue
le locuteur lui-m ême . Cet emploi en monolog
ue avec
Les recherches en divers lieux où les langues sont cert es, déno ter une relation intim e encore entreten ent
appor ter d'ar gum
entrées dans un processus de délabrement peuvent révéler la langue. Néa nmo ins, il ne peut
puis que les locu
des phénomènes qui paraissent démentir les pronostics sérieux en faveur d'un maintien véritable, ent
s se serv
d'extinction, mais qui, à être examinés de près, les confir teurs qui ont été entendus dans ces situation
lais dans les autr es circons-
ment. Trois phénomènes de ce type sont présentés ci presque uniquement de l'ang
dessous. tances de leur vie.
langue
On peut en dire autant de l'usage comme
ers, que
secrète entre vieux, et quelquefois jeunes, usag
allogènes.
Les adresses de connivence relie ainsi une complicité d'initiés excluant les
d'un fant ôme de
Plusieurs cas ont été rapportés dans lesquels la langue Cette fonction intégrative de l'emploi
un groupe
vernaculaire, chez des communautés qui sont en train de langue comme marque de l'appartenance à
ingues en
passer massivement à une autre, peut être entendue dans s'observe aussi dans certaines communautés unil
Mexico
l� �isco�rs de certains suj �ts. Ces derniers souhaitent par espagnol , aussi bien à Lim a pour le quetchua qu'à
lang ues sont
. de conmvence avec les partenaires sus
la etabhr un hen pour le nahuatl (aztèque) , alors que ces deux gues ,
s bilin
ceptibles de comprendre. Ainsi, une étude (Mertz 1989) bien vivantes dans la plup art des com munauté
rurales, qui
mentionne le cas de locuteurs anglophones de l'île du Cap et, bien ente ndu chez celles, hab itan t les zone s
sont unilingues dans l'une d'entre elles .
Breto�, qui fait partie de la Nouvelle-Écosse, province
atlantique du Canada (où habitaient autrefois beaucoup de
fra�co�hones, qui ne sont plus aujourd'hui que 5 %, par
extmctlOn croissante du français dans cet environnement
r
L E S S E N TIER S DE L'E X T I N C TION • 1 21
1 20 • HAL T E À LA M OR T D E S L A N G U E S
délabrement, ceux
taine, Ainsi, au
qui ont d' e :� :: � gue est
ratIq e la plus in cer
� .
en état de
�
règle au champ étroit, ou par prorogation artificielle d'un
usage ancien disparu dans la langue moderne. Ainsi, dans
Mexique ' le n ua l reslste�
certaines parties et
mo � �� d s d au�s les
bien dans deux langues peut-être connues encore de quelques vieil
semi-locuteurs des dial
fixent une norme exi
ectes a u :� :� ���� le d
:
derniers
obsolescence
lards . mais plus probablement éteintes aujourd'hui, le xinca
(au sud-est du Guatemala), et le pipil (au Salvador, et
geante (cf. Hill
pa r exemple aux au ). Ds reprochent, appartenant à la famille aztèque), des enquêtes réalisées
" tres d'utilIse ' r une structure es
pour 1 expression de pagno1e entre 1 975 et 1 985 relevaient que les locuteurs employaient
la possession ' ainsi
la dernière syllabe qu: d'accentuer sur dans tous les contextes quelques consonnes d'articulation
les mo ts empruntes , me
me quand il se
trouve que cette ac
prescrivant la fidéli
centuation estrl a no
té à l'accentu.� IOn
'
� e en espagnol ;
complexe dont l'apparition, dans la norme, était strictement
limitée à certains contextes. Les hypercorrections sont loin
na ua tl, qui frappe d'être inconnues dans les langues en bonne santé. Ainsi,
ravant-dernière syllab
pa r exemple, ciû ad �
e, l'}S reqUIerent qu
({ ville ») et !ûgar ({
)
e l' n prononce, c'est une hypercorrection que de dire en français contempo
lieu » , rain, par restauration de l'usage classique, j'y pense (où y
Or ce ux qUI presc
rivent ce tte norme
mê me s do nt la lan ' sont ceux-là réfère à un humain) ou je n 'ai pu m 'empêcher de le vous
on t depuis 10ngtem
:�� � �: :�:;�:� �:� � e n
e dést cturation.
� � s déclarer. Mais les hypercorrections, dans le cours nonnal de
e I
r
tYPique dU nahuatl
. �
x, ({ Je VIande-mange
, tels��� �: �: f�����
l
r
l'évolution, ne prennent pas la fréquence qu'on les voit
prendre dans les cas comme celui qui est cité ici.
)} po ur signifier qu
es t un mangeur de via
tions subordonnées
nde) �;�: l c �nst ctI.On de
� s Pr
e l'on
oposi
Le trait dominant de ces phénomènes est, en fait,
l'instabilité. Il n'y a pas de limite observable aux hyper
Le P defensIf des zélate
nah uatl est ici l'indi � , .
e de l'erOSIOn d e l eu .
urs du corrections, ni de règle qui en organise la répartition. Il n'y
Certes, le purisme pe rs c onnalssances. a pas davantage de délimitation précise. et encore moins
ut fort b len' etr recommandé pa concertée, des domaines auxquels devront s'appliquer des
A
bons, et même de � r de
M ais
for t o
il s 'agît alors d 'autr
s; �������:' �:�: �� 1 s d �a l ngue.
le as qUI nous
�
prescriptions puristes. Tout au contraire, i l manque cruel
lement aux semi-Iocuteurs une vue cohérente de ce que
OCcupe, cette attitu
de est typique d
comme si les sem i-lo e l '0 soj escence, pourrait être une défense de la norme. Les pulsions
cuteurs il u phase préterminale, puristes, quand elles existent, ne se déploient qu'à contre
v ulaient, pa r le ma
?
s opposant à l'im ag
e de la VIe
fi
int ien arti ciel ;une
. , se
� norme ngo .
ureu se courant, comme on l'a vu pour certains dialectes nahuatl,
d onner J'il lus ion de et non pour appliquer un dessein général de défense.
ple ine compétence la
.
CHAPITRE VII
•
r
1 28 • H A L TE À L A M 0 R T D E S L A N G U E S L B B A T A I L L O N D B S C A U S E S . 1 29
avoir encore été détruites, sous la menace des glissements S'il ne s'agit pas de massacres , il peut aussi s'agir
de sols et tremblements de terre particulièrement fré d'épidémie s, qui ne laissent aucun survivant, ou de guerres
quents dans cette région (cf. Dixon 1 99 1 ). de destruction ayant le même effet. Mais les causes sont
Le phénomène de mort des langues peut aussi coïn rarement simples et uniques. Le Mexique de la seconde
. moiti é du XVIe siècle offre un exemple dramatique de ce
CIder avec un ethnocide, c'est-à-dire l'élimination d'une
culture et d'une langue, sans qu'il y ait massacre de ses por que peut produire leur conjugaison : bactéries et agents
teurs. Mais il peut aussi s'agir d'un génocide. Ainsi, en 1 226 pathogènes de toutes sortes, au pouvoir exterminateur
les Mongols de Gengis Khan anéantissent les Xixia (o � considérable, comme on peut l'imaginer, sur des popula
Tangut), peuple tibéto-birman de l'ouest de la Chine (région tions totalement dépourvues de défenses immunitaires et
actuelle du Gansu), qui avait développé une culture floris non armées d'anticorps, firent maints ravages dès le
sante et inventé une écriture idéographique Oliginale ; leur contact avec les Européens ; mais il s'y ajouta d'autres fac
langue est broyée en même temps qu'eux. En 1 62 1 , les teurs à la nocivité très sûre : changements radicaux dans
Hollandais dépeuplèrent l'archipel des îlots Banda, au les relations avec l'agriculture, déplaceme nts, sur des
centre de l'ensemble insulaire des Moluques, en massacrant terres à peu près stériles, de paysans chassés de leurs
ses habitants. De même, nous n'avons plus aucune trace de champs fertiles p ar les Espagnols qui s'en saisissent.
la ou des langues qui se parlaient en Tasmanie, car les occu Déposséd és de leurs traditions , de leurs biens et de
pants aborigènes de l'île ont été annihilés. leur civilisatio n, habités du sentiment d'être abandonnés
Un massacre(gran matanza dans la mémoire popu de leurs dieux, beaucoup d'Indiens en venaient à perdre la
laire) eut lieu au Salvador en 1 932, dont furent victimes saveur de vivre. De là l'abstinence sexuelle, les avortements
plus de 25 000 Indiens. Avec eux moururent totalement et les suicides, qui expliquent la disparition d'un grand
�eux langues le cacaopera et le lenca. Les Andoké, popula nombre de langues tribales. C'est à tous ces facteurs que se
:
tIon amaZOnIenne du sud-est de la Colombie et du nord sont ajoutés les massacre s, pour faire de la mort des
ouest du Brésil, furent décimés par une série d'atrocités hommes une cause essentiell e et effrayante de la mort des
que perpétrèrent les compagnies exploitant le caoutchouc langues. Et ce qui est vrai des ethnies d'Indiens du
sauvage au cours du xxe siècle (cf. Landaburu 1 979). En Mexique l'est à peu près des aborigèn es d'Australi e,
Colombie encore, des massacres d'Indiens ont eu lieu au ravagés par la syphilis, la variole, la grippe, et décimés par
xxe siècle. Les guerres frontalières de 1 982 et 1 995 entre le la violence des Blancs (qui défendai ent ainsi les terri
Pérou et l'Équateur ont conduit au bord de l'extinction de toires de chasse où se réintroduisaient ceux qu'ils en
nombreuses tribus indiennes des deux pays, e t de même, avaient exclus).
pe�dant la de�ière décennie, les violences de l'organi Enfin, une langue peut disparaître par suite du départ
. de ses locuteurs sur d'autres terres que les leurs. Souvent,
satIon dIte SentIer lumineux sur les hauts plateaux andins
au Pérou. La destruction programmée des Juifs d'Europe il s'agit de communautés dont l'activité traditionnelle est
de 1 933 à 1 945 par la machine hitlérienne a eu raison du en déclin, et qui cherchent ailleurs des emplois pour vivre.
y �diche �t d � djudezmo (cf. p . 2 1 7-2 1 8). Un programme Elles adoptent alors la langue du lieu d'immigration. Ce
d �xtermI �atlOn comparable a également privé les parlers processus peut être lent. Il peut aussi être rapide, comme
tZiganes d une grande partie de leurs locuteurs. dans le cas des habitants de petites îles s'installant sur le
r
1 30 • HAL TE À L A MORT D E S LANGUES
L E B A TA I L L O N DES C A US E S . 131
de statut social
s?cial est assez bas. Ils subissent donc une très forte pres leur mode de subsistance et en changeant
rts de clien
SIOn du modèle pastoral, qui leur permet à la fois moins de du fait des mariages intertribaux et des rappo
les activités
pauvreté et un meilleur statut. tèle et de protection, ils abandonnent aussi
liées à l'usag e de leur
Il s'ensuit que les sociétés de chasseurs-cueilleurs sont culturel1es et les traditions qui sont
les conduire
poussées, par des raisons économiques et sociales, à aban langue ; ces deux abandons se cumulent pour
lors, le maintien
donner leurs langues en faveur de celles du groupe auquel à sacrifier cette langue elle-même. Dès
est fortement
elles souhaitent s'intégrer. Les exemples de cette situation d'une véritable identité distincte, même s'il
en est de mêm e
sont assez nombreux. On n'en retiendra que deux ici. Les souhaité, devient largement illusoire. Il
urs. Pour n e
Kwegu du sud-ouest de l'Ethiopie, en partie sédentarisés dans d'autres socié tés, comm e celles de pêche
Elmo lo. anciens
dans de pauvres villages le long de la rivière Omo, prati prendre qu'un exemple i c i aussi , les
ana, au Kénya,
q�ent une culture immergée, assez réduite, du maïs, mais pêcheurs des rives méridionales du lac Turk
la famill e couchi
VIvent surtout de la chasse à l'hippopotame et de l'apicul ont quasiment perdu leur langue (de
le nilotique
ture, vendant leur hydrof!J.el, dont le pouvoir enivrant est tique), en passant à celle des Samburu, peup
nt et cultu-
apprécié sur les hauts plateaux éthiopiens, mais gardant auquel ils se sont assimilés écon omiqueme
pour leur consommation la viande ; car leurs voisins, les rellement.
Mursl. et les Bodi, considèrent comme taboue la chair de
nombreux animaux.
Déclin de la vie rurale
Les Kwegu entretiennent des relations de clientèle
avec ces voisins, qui veillent à leurs intérêts, et dont ils gar De même que les chasseurs-cueilleurs et les pêcheurs
dent les troupeaux avec l'espoir de devenir propriétaires de s'assimilent aux agriculteurs et éleveurs dont ils veulent
têtes de bétail ; ils épousent souvent les filles de leurs pro acquérir le statut supérieur, de même les paysans sont sou
tecteurs. Les couples ainsi formés seront d'autant moins vent attirés par la vie urbaine, où ils espèrent trouver une
incités à transmettre le kwegu que les mères ne le parlent meilleure situation économique. La conséquence linguis
pas, et le considèrent comme difficile alors qu'il a beau tique, à plus ou moins brève échéance, est, ici aussi,
�
coup e points communs avec le mursi et le bodi, qui l'extinction. C'est là ce qui pourrait advenir, au moins dans
appartIennent comme lui à la famille linguistique nilo les villes, au nubien, langue de la famille nilo-saharienne,
saharienne ; et surtout, le bilinguisme d'inégalité qui se en principe parlée encore par 200 000 personnes en Egypte
généralise ne profite pas au kwegu, langue sans valeur et au Soudan. En Egypte, les Nubiens les plus jeunes,
socio-économique. Un autre exemple, également africain, attirés par les meilleures perspectives d'emploi qu'offre à
est celui des Dahalo, chasseurs-cueilleurs au nombre de leurs yeux la ville, sont nombreux à se rendre au Caire ou à
quelques centaines, qui vivent dans la province côtière du
Alexandrie. La présence de ]' électricité, et donc de la radio
Kénya, e n face de l'île Lamu, et dont on a vu (p. 1 1 0) que la
et de la télévision, fait beaucoup pour promouvoir parmi
langue s ,est fortement érodée sous la pression du swahili,
eux l'arabe, dont les hommes deviennent ainsi des vec
parlé par la majorité de la population dans les villes.
teurs. Car ils sont plus présents dans les foyers, du fait de
Les chasseurs-cueilleurs qui tendent à devenir éle
la proximité de leurs lieux de travail par rapport aux vil
veurs et agriculteurs gardent quelque temps la conscience
lages, et tendent à parler en arabe à leurs enfants. Seul le
d'appartenir à une certaine ethnie. Mais en abandonnant
L E B A TA I L LON D E S C A US E S • 1 39
138 • H A L T E A L A M OR T D E S L A NGUES
1 42 • HA L T E À L A M O R T D E S L A N G U E S
�'être l e vecteur des transactions commerciales à vaste l'apprentissage est d'addition, comme il est naturel, et non
echelle, et donc aussi celui des idéologies politiques et cul de substitution. En revanche, pour les autres, c'est bien
turelles. d'une substitution qu'il s'agit, car tout est fait pour les per
suader que le bilinguisme est un luxe coûteux, et que seule
• La promotion de l'unilinguisme et de la mentalité unilingue la langue dominante vaut l'investissement d'apprentissage,
puisque seule elle apporte un résultat gratifiant et rémuné
Une conséquence de cet état de fait est la suprématie rateur. Encore cette pression explicite n'a-t-elle pas tou
de ce�x qui ne parlent qu'un e langue, et la faveur que jours été nécessaire : le bilinguisme inégalitaire, chez la
recueIlI � leur attachement à cette seule langue. Une telle plupart des peuples dominés, dévalorise de lui-même, et
p �omotI n �e l'unili guism e et de la menta lité unilingue se finit par condamner, la langue autochtone, puisqu'elle est
� �
faIt �� benefice de 1 anglais. La compétence des individ us confrontée à un modèle économique et social que tout fait
multIlmgue , au lieu d'être appréciée pour ce qu'elle est, à apparaître comme plus prestigieux.
. �
s �volr u?e chesse, se trouve dévalorisée comm e un han
�.
dIcap . L un lmgUls . me au profit de l'angla
. : is est vu comm e • récole anglophone en Amérique du Nord, machinerie de mort
g�rantIe, SInon comm e condit ion nécessaire, du moder
pour les langues indiennes
msm� et du progrès, alors que le multil inguis me est
as�ocIe, au sous-développement et à l'arriération écono On vient de voir que les États sont capables de
. prendre des mesures scolaires visant à l'éradication pure et
n:lqU �, socIale t politique, ou considéré comm e une étape,
�
simple d'une ou de plusieurs langues. Les mesures expli
�egatI�e et breve, sur le chemi n qui doit condu ire à
1 ang!als seul . Le locuteurs se trouvent implic itemen cites d'abolition ou de promotion ne sont qu'un des aspects
t
consIg nes , dans 1�étroite cellule d'un du rôle de l'école dans la mort des langues. L'école est, de
choix : ou bien
conserver sa langue maternelle, minoritaire, ou politiq ue surcroît, le lieu et l'instlllment d'une agression de longue
ment sans poids même quand elle est majoritaire, et dès haleine.
lors ne pas apprendre correc tement l'anglais ou bien La politique des gouvernements fédéraux, au Canada
' comme aux États-Unis, fut, dès la fin du XIXe siècle, d'inté
apprendre 1'a glais et donc ne pas conserver sa langue
n.
matern elle. DIvers travaux (cf., notamment, Lambert grer par l'école anglophone les communautés indiennes. Il
1 967) montrent que ce choix est bien celui où l'on enferme était explicitement dit (cf. Zepeda et Hill 1 99 1 ) que le seul
de nombreuses communautés, par exemp le celles d'imm i moyen de « civiliser » les enfants indiens était de les sous
gres , �ans l s p ovinces canadi traire à l'influence {( barbare » de leurs milieux de nais
� : ennes autres que le Québec.
La �evalonsa;lOn du bilingu isme va donc jusqu'à faire sance, en les transférant dans des pensionnats éloignés de
oublIe r que I on peut apprendre une langue sans pour leurs villages. Cette opération d'arrachement fut parfois
autan � renoncer à celle que l'on parlai t précédemme nt. réalisée par la force. Les familles étaient trop démunies
BIen entendu, dans cette situati on foncièrement iné pour être en mesure de faire revenir leurs enfants, même
gale, les anglophones de naissance ne perdent rien. Car durant les vacances d'été. Dans toutes les écoles, qu'elles
pour eux, au contraire, l'acqui sition d'une autre langue est fussent fédérales, paroissiales, ou qu'il s'agît d'établisse
co �çue comme possib le sans qu'elle impliq ue le moindre ments secondaires à l'échelon local d'une agglomération,
cout pour leur langue d'origine, ce qui signifi e que l'utilisation des langues amérindiennes était absolument
D E S CA U S E S
1 47
L E B A TA I L L O N
•
1 46 HA L TE À L A M a R T D E S L A N G U E S
� ���
•
dévastat �
politique eut de: eff et�
interdite, et toute infraction était punie d'une manière leurs enfants, cet te de 1 Alaska, q
tait plus, au sud-est
aussi sévère qu'humiliante, même quand les enfants e n 1 97 9 ' il ne res ch eux, parle
'
l an gu e a tha pa ske, le kutchin (ou lou
étaient encore très jeunes. Dans certaines zones, ce sys seu 1e oyen du
Mackenzie et d� co urs �
lor s le lon g du ba s " n �
� qUi eu sse
tème existait encore au début des années 1 970.
communauté aleoute, .
Ailleurs, il n'avait pas été nécessaire de le maintenir, ukon) et une seu le mo, qu�nt a
' ants ; les langues e.skl
neore de s locuteurs enf ,
: t en vO le de
tant avaient été err: caces les brimades corporelles et morales
pik et l'inupiaq, etaIen
infligées aux enfants indiens qui osaient se servir encore de Ue s c'est-à-dire le yu te con rment �
quêtes les plu s récen �
leur langue maternelle. Des vieillards des ethnies tlingit et dé si tégration ; les en
� agome .1
les conduit au bord de
haida, dont les langues, jadis parlées au sud-est de l'Alaska, que leur détérioration
sont aujourd'hui moribondes, assurent qu'ils fIissonnent à
mes succès en Australie
ce souvenir, lorsqu'il leur anive de parler encore entre eux la • Mêmes comportements et mê
� iennes
langue de leur communauté ; une savante mise en scèn:e,
avec figurations grimaçantes et personnages effrayants,
Ce qu i précède concern
vic tim es de l'école an
e les lan,gues . amé nd
glophone, ma is s apph
que e gale e � :�
l gues l-
était utilisée à l'école américaine, afin d'extirper tout atta , mêmes termes, aux an
et a peu p rès dans les origènes d'A us
chement aux cultures indiennes, de faire apparaître les monde cel les de s Ab
tou t au tre parti e du larpression de
langues comme des créations diaboliques, et de chasser par
tralie elles au ssi con
duites a agome Par
" 1' . .
' '
P�rtlcu ler a l'école
la terreur toute velléité de les utiliser. Était-il possible d'en
l' angl is dans tou
� s les domaine s, �t en
conserver encore quelque désir, alors qu'on entendait les ,
" � av oir éte enleves de foree a
e 1 ur�
y furent envoyes, apre
,
" , . 4 30 % des
d e 1 8 1
maîtres affirmer que Dieu, auquel on apprenait à obéir en d un Slecle a partIr
familles pendant près es de
'
ml· lr 1er s)
tout, n'aimait pas les langues indiennes ? soi t plusieurs dizain
enfants autochtones, de s
On peut, pour ne retenir qu'un exemple, mentionner illes blanches, dans
l'
�� ��
plaçait dans des fam
� �
ement an de s i
7�;:�: 1: :��
les écoles dirigées, en Alaska, par des missionnaires
he ats, ou tou.t siu:pl t
1
jésuites, moraves (ordre d'inspiration hussite, né en bIe n enten, u, orme ,
carcéral, où il étaIt, . est qu'à la fin
Moravie) et orthodoxes. Jusqu'aux premières années du tres qu e 1 anglaIS. Ce n
d'utiliser les langues au e le ouvel l1e
,
xxe siècle (cf. Krauss 1 992), ces écoles utilisaient, pour la
an né es 1 96 0, qu an d il était trop tard, qu . �
d
formation des enfants indiens dans leurs propres idiomes
vernaculaires, des matériaux en aléoute, yupik central,
r::nt australien a révisé
sa politique d'éradica
ènes .
tlon com-
sé
effet, les él tes et la clas se pos
�
gagnées par la tenta tion de l'unilinguisme au profit d 'une langue s rég ion ales . En o
naître bIen les lan gue s eur
langue européenne. dante sont seu les à con
nt atta ché� s à le� rs idio mes
Mais en putre, d'autres langues que l'anglais, élevées pée nne s. Les mas ses dem�ure
traI re, la promotion d une lan gue
par certains Etats au statut de langues officielles, exercent vern aculaires. Au con
le pouvoir c �mm e u� act�
sur les langues ethniques une pression redoutable. afri cain e, éta nt envisagée par
en pérU les idIO mes mmon
L'Afrique offre des illustrations claires de cette situation. d'affirmation nat ion ale, me t
état de rivalise r . avec elle ,
Contrairement à ce que l'on croit parfois, le péril, pour les taires, qui ne sont pas en
des mesures scolaires et des
langues régionales et tribales d'Afrique, ne vient plus, puisqu'elle reç oit le renfort
sen t massivement à la langue
aujourd'hui, des langues européennes, alors que tel est méd ias. Si leu rs locuteurs pas
i�es s� trouvent men acé s.
bien le cas en Asie septentrionale ( russe), en Amérique promue, les idio mes n;in�rita
n pou r bea uco up de
centrale et du Sud (espagnol), en Amérique du Nord Tell e est aujourd hm la sItu atIO
s une certaine mes ure au
(anglais), en Australie (anglais). En Afrique, si les langues lana ues en Tanzan ie, et dan
éfic iair e dan s les deu x cas .
européennes ont pu exercer une pression à l'époque colo Ké ya, le swa hili en étan t le bén
�
on com parable en fave ur de
niale, leur emploi est présentement limité à la société favo On peu t prévoir une évo luti
une ma sse de locu teurs : le
risée, ce qui les rend compatibles avec le maintien des deu x autres lan gue s parlées par
tou s les pay s �'Afrique ce�
identités ethniques et des petites langues . Le vélitable péril peul, répandu dan s presque
et à la Répubhq�e ce�t�afri
provient plutôt des langues africaines de grande diffusion traIe, du Sénégal au Tchad Icul e
me le peu l, serv I de veh
et à vocation fédératri ce, dont la promotion coïncide avec cain e, et le hao uss a, qui a, com
es ; la pression du peu l sur les
celle des structures de l 'État. Tel est le cas du swahili en de l'isl am dan s de vas tes zon
eme nt sen sibl e dan s le �ord
Tanzanie. L'importance du swahili en tant que langue offi aut res lan gue s est par ticu lièr
e locale ou foulfoulde du
cielle promue comme ciment de l'unité nationale en fait du Cameroun (sous sa variant
tout autant dan s le nord
une source d'emprunts, au point que même des langues Dia maré) ; celle du haoussa l'est
x lang u�s d�ns l�urs pa�s
appartenant au même groupe généalogique que lui au sein du Nigéria. L'aven ir de ces deu
t que celm qm p �raIt promIS
de la famille bantoue puisent en swahili de nombreux respectifs sera-t-il aus si bril lan
suc cès de ce dern Ier annonce
néologismes, alors qu'elles pourraient aisément s'en cons au swa hili ? En Tanzan ie, le
s lui-même. On notera, par
truire, puisqu'elles possèdent des propriétés dérivation un sort incertain pou r l'anglai
trai n de s'emparer, . se on �n
�
nelIes identiques aux siennes. aille urs , que le ling ala est en
pos itio ns du fT�nça I� a Km
Un paradoxe peut être décelé ici. Dans les années qui pro ces sus com par able , des du
du nord de l a rep ubh que
ont suivi l'accession à l'indépendance des anciennes colo sha sa et dan s une partie
essa irem ent favorab le aux
nies britanniques et françaises d'Afrique, la politique Con go, ce qui n'es t pas néc
d'exoglossie des premiers gouvernements, c'est-à-dire pet ites lan gue s de ce pay s.
l'adoption de l'anglais ou du français en tant que langues
officielles, était présentée comme le moyen de préserver
Les substitutions multiples
l'unîté nationale en évitant de promouvoir l'hétérogénéité
linguistique qui caractérise l'Afrique, et de favoriser par là La conséquence l a plus commune des agressions de
les tentations séparatistes. Or en réalité, dans l'environne toutes sortes que subit une langue dépourvue de moyens
ment africain, le choix d'une langue exogène favorise les efficaces pour se défendre est qu'elle est supplantée par
T
CA USES 151
L E B A TA I L L O N D E S
•
1 50 • H A L TE A L A M 0 R T D E S L A N G U E S
C'est assez
me a u sei� d e c e pays.
une autre langue, qui finit par se substituer complètement dehors d u Sénégal com
on du basan,
à elle. Mais il peut même arriver qu'elle soit assiégée non pour prévoir l'extincti
par une seule langue, mais par plusieurs. Dans ce cas, c'est
à différents niveaux à la fois que la langue assaillie doit Les envahisseurs envahis
sous a
faire face, et qu'elle est souvent contrainte de s'effacer. Un
exemple de cette situation peut être pris en Afrique de Le schéma courant de
,
disparition des langues
érieure, souvent cel e
i
PreSSIOn pol't' I IqUe d'une force sup ,,
" ' S 1e s
l'Ouest. Le basari, dont la plupart des locuteurs occupent .
seu rs qU I cre e nt che z ceux qu Ils ont valllCU
d'envahIs exc ep-
la région frontalière entre le Sénégal et la Guinée, est , apparentes
structures d un E ' tat, souffre quelques
' que les
exposé, au Sénégal, à trois pressions conjuguées, aux d "exammer, 0 n saIt
niveaux local, régional, et national. Localement, il est le
f
��:��
qu'il est intéressant
r langue au�� ����:�� � llo -
voisin du peul, dont les locuteurs sont en constantes rela
s n'i mp osèrent pas leu
qu'ils avai�nt ,vaincus,
et que r: � :��;;�" �:
e M
, ol S
formation
tions commerciales avec lui, sans compter que les femmes Gaul e t e
au x Carol mg len s, la . ' 11 '
basari épousent souvent des Foulbé (Peuls), les enfants e, le fut ur frança Is, qUI, bIe n qu e e aIt
d'une nouvelle lan gu ,
s son l :xique des �ralts .
de ces unions devenant des Foulbé de statut et de langue. germa-
sa ph on éti qu e et dan
dans -la tm e.
À l'échelle régionale, le basari est désavantagé par rapport , t est essentIellement neo
mques dus à ce contac ' llo n),
chef danois Rohlf (Ro
au malinké, qui a statut officiel au sud-est du Sénégal et
qui, de ce fait, est activement promu comme langue écrite
Qu ant aux guemers du
'
du !Xe et le déb ut du x
e .,
SIe Cl e,
V'kl'n s qui entre la fin <? pa:
d'éducation, s'utilise dans les médias et s'enseigne dans les
écoles. À l'échelle nationale, un Sénégalais qui souhaite
�:: � �
ie�t l ngte ps effrayé
les populations de
nt, certes , de Charles le
�
au le
Im ple , rOI
leurs ravage s, ils reçure eur no m
développer d'autres activités que traditionnelles a intérêt à ce qui porte e �c�re
des Francs, l a provin
connaître le ouolof et le français, le premier parce qu'il est Q« hom me s d u N or d }} (No rm an ds) ' ,ma lS Ils ado pte, rent,
et r.ne' e a :e �
les coutumes du �ays
pratiqué dans toutes les zones urbaines du pays et connu en s'y sédentarisant,
rmande du françaiS en
VOI e
,
f r�
de la majorité des Sénégalais, ce qui en fait la véritable langue (la variante no gu e, m me �m
langue nationale du pays, le second parce qu'il est omni ma tio n), sans parvenir
ni à im planter leur lan
d'effo:ts com me ceux
du fils d �
présent dans l'enseignement supérieur et dans les allées du à l a sauvegarder, en dépit , �t son fils
Longue Ep ee, envoya
pouvoir. Rollon, Guillaume 1er ur Y
e école scandmave, po
Néanmoins, hors du Sénégal, en Guinée, où dominent Bayeux, ou , s"e tal't maintenue un . Ses
par l aI' en t
de vieux-nOD'O lS qu e
également le peul et le malinké, le basari bénéficia d'une appre nd re le dia lec te , ent
certaine promotion sous le régime de Sékou Touré, qui '
ancêtres (c f, H agege 1 996
b) . Ain si " les Vikings se
an dIe , tou t
fon
com
dlf
n:e., I1s
hui la No rm
dans ce qui est aujourù'
favorisa les langues indigènes. Mais après la mort de
Sékou Touré en 1 984, le régime militaire qui lui succéda, adoptèrent la l angue
<
�!:'�:;� ;�:: �
des maux du pays dans les domaines de l'éducation et de a
ssi e kiévie nne ; Hs se
t l v , embryon de la Ru
. Il y � d autfe�
·'
J'économie, l'abrogea complètement. Ainsi, le basari se
�
1
nt et linguistiquement ,
. lavisèrent culturelleme
1
trouve exposé à la concurrence redoutable de langues ple mlotlque qU I,
cas comparabl es , U . l ont celui des Tu tsis , peu
beaucoup plus armées que lui pour s'imposer, et cela en
r
152 • H A L T E À LA M O R T D E S L A N G U E S L E B A TA I L L O N D E S C A U S E S • 153
appuyé sur la force que lui conférait son écono mie pasto plus, ni Mongols, ni Mandchous, des dynasties ?urement
. le pouvoir aux dépen
ral� , pnt s de ses hôtes les Hutus, et chinoises des Han, des Tang, des Song et des Mmg. Alors
qUI, pourta ?t, a�opta, en se sédentarisant, leurs langues que le mandchou était encore langue de la diplomatie et des
bantoues, �lrundl et kinyanvanda (cL Mufwene 1 998) . notes officielles en 1 644, date où est chass é de Pékin le der
, L� pUIssance politique et militaire de ces envahisseurs nier empereur Ming , la fascination qu'exerce sur les nou
n, au�aIt-�lle pas dû, pourtant, constituer un facteur veaux venus la civilisation chinoise et le respect qu'ils res
à
d extl�ctIOn pour les langues des peuples qu'ils sentent pour le chino is mandarin finira par les conduire
soum lre�� ? �eux raisons, toutes deux nécessaires, expli remplacer par ce dernier leur langue ancestrale ; aujour
e
quent qu Il n en aIt . pas été ainsi. La prem
ière est que les d'hui, le mandchou est virtuellement mort parmi les quatr
Francs, le� N�rmands et les Varègues n'étaient pas nom millions de Chinois d'origine mandchoue qui viven t en
,
breux, et 1 etaIe nt, en tout état de cause , beaucoup moin s Chine, et qui portent depuis longtemps des noms chinois.
que les populations investies par eux. Mais cela ne suffit Si la langue des Arabes n'a pas subi le mêm e sort, c'est
pa�, c�r c�m �ent expliquer que l'intrusion du castillan se que, comme les Espagnols, ils étaient les soldats d'une
soit reve, �ee SI meu�rière pour une grande quantité de idéologie religieuse sûre d'elle-mêm e et conquérante, qui
l��g�es mdl. nnes d Amérique, alors que les Espagnols les a conduits, quasiment e n un éclair, à porter l'islam
�
n eta�ent, mem e farouches et surarmés, qu'une troupe jusqu'à la côte atlantique du Maroc à l'ouest, et à l'est
, te de guerriers,
redUI occasionnellement augmentée des jusqu'au Caucase et au Sind , étant parvenus à dominer
populatIO . ns locales avec lesqu
elles ils contractaient notamment, sous les trois premiers califes puis sous les
al�Ia�ce ? �'est qu'en fait, les Espagnols, escortés de leurs Omeyyad es, l'Espagne, l'Afrique du Nord, la Syrie ,
la
e, en atten �
m�SSIOnnaIreS, n'étaient pas simpl emen t des visiteurs Mésopotamie, la Perse, l'Égypte, la Transoxian
aVIdes e � faméliq es a x anières brutales. Ils étaient por dant qu'à la fin du xe siècle les Turcs eusse nt soin
de
:: � � il
teurs d une altiere Ideologie civile et religieuse, et
. répandre l'isla m plus loin encore, et qu'au débu t du XIV"
convamcus de sa supériorité sur toute autre. péné trât jusqu'en Malaisie.
On �eut en déduire que pour qu'un idiome d'envahis Pourquoi, dès lors, l'arab e, porteur d'une civilisa!ion
�eurs ,?msse .en v�nir à dominer la langue du peup le vaincu qui fut une des plus brillantes du mond e au Moyen Age,
J�squ � la faIre dlspa�aître, il faut qu'il reflèt e une civilisa n'a-t-il pas dominé jusqu 'à leur extin ction les langu es des
tlO� tr�s conSCIente . d elle-même . Faute de cela, la destinée pays conquis ? La raison en est simp le : la plupart possé
ordmaIre des minorités noma des, qui surgissent parmi daient une vieille culture, et l'islamisation a été une fécon
une com�unau�é sédentaire et la défont par les armes, est dation réciproque, sans que les langu es qui expri maie nt
d� se sedentanser comme elle, de s'absorber en elle, ces cultures y aient perdu leur éclat . Pour ne prendre qu'un
d adopter m �� me sa langue, comme il advint aussi beau exemple parmi beaucouP d'autres de cette symbiose cultu
co� p plus lom, en Orient extrê me, des envahisseurs de la relle, les grands grammairiens dont les analyses péné
�hm � , le� Yuan (Mongols). Et plus tard, tout comm e elle trantes de l'arabe constituent, entre le VIII" et le XIe siècle
,
1 �aIt faIt des �o gols, la puiss ance d'abs un des chapitres les plus remarquables de l'hist oire de la
� � orption de la Et
VIeIlle �ulture chmOlse engloutit en une totale sinisation la réflexion linguistique, étaient en fait arabo-persans.
dyn�stle des � mg . (Mandchous), qui
dura jusqu'à la mort dans les pays chrétiens, comm e l'Esp agne, l'atta chem ent à
, sa supér io-
de I lmpe ratnce Tseu-Hi en 1 9 1 1 ; rien ne les distinguait la religion et la conviction entretenue quant à
L E B A TA I L L O N D E S C A U S E S • 155
1 54 • HA L T E A L A M 0 R T D E S L A N G U E S
rit� avaient pour effet, le plus souvent, le refus de l'islami plexes de structures évolutives qui jouent un rôle essentiel
s�tlOn, et donc de l'arabe qui en était le vecteur. Une situa dans le développement cognitif des individus, et qui sont,
� on semblable, plus tard, est celle que rencontra le turc d'autre part, utilisés par eux dans la communication. Il n'y
ans les �alkans conquis, face au grec, au bulgare et au a rien en soi, dans la phonologie, la morphologie, la syn
serbe, qUl IUl. firent des emprunts de vocabulaire, mais aux taxe ou le lexique d'une langue, qui soit porteur de pres
quels 11. ne se substitua pas . tige. Le prestige, c'est-à-dire la réputation de valeur et
d'éminence, ne peut, étant donné les implications de ces
notions, ne s'attacher qu'à des humains. Quand donc on
dit qu'une langue est prestigieuse, il s'agit, en réalité, de
La perte de prestige et la mort des langues ceux qui la parlent ou des livres qui l'utilisent. Par un pro
cessus de transfert, qui est courant dans la relation au
monde et aux valeurs dont on le charge, le respect ou
La �erte de prestige ne semble pas avoir de rôle l'admiration qu'inspire une collectivité ou ses réalisations
causal dIrect. Des langues sans renom partI'cul 1er ' se se trouve reporté sur ses attributs. Or la langue est un des
. . . attributs principaux de toute communauté humaine.
mamtlen�ent aI� ément, dès lors que n'agissent pas les
fa�teurs e ?on?mlques, sociaux et politiques, dont le pou
.
VOIr � st declslf. La perte de prestige est, en fait, une des • Extinction du gaulois
cons �quences l�s pl�s communes de ces facteurs. Le Le prestige dépend évidemment des
circonstances et
pr�stIge, quand Il est mégalement réparti entre les popu ut de l'ère chrétienne
des lieux. Le gaulois disparut au déb
lat�ons, confrontées, apparaît comme une sorte de mon société se romanisè
parce que les classes supérieures de la
nal� d �, change s �r l� b �urse des valeurs linguistiques. de leur culture, ain si
rent, s'écartant de leur langue comme
Lo� squ au c.o �t�aIre Il n est pas inégalement réparti et que l'atteste l'histoire du druidis me ,
religion florissante au
.
qu une . nvahte s établit entre les groupes, dont chacun le dan s l'im age avilie
tem ps de César, qui bascule plus tard
revendlque, le ?restige est capable de réduire les effets fond des campagnes
, d'une pratique de sorciers relégués au
devastateurs qu une pression massive exerce sur la vie des n submergera vers le
isolées (cf. Vendryes 193 4). Le lati
langues. me sièc le les derniers
îlots linguistiques gau lois , qui survi
ers du centre du pays.
vaient encore dans les massifs foresti
CA U S E S 1 57
L E BA TA I L L O N D ES
•
1 56 • H A L T E A L A J'vi 0 R T D E S L A N G U E S
Ainsi, le prestige des langues n'est autre, à l'origine, dans le village autrichien d'O
-orité �ongro�se asSOCIe l alle
que celui de leurs locuteurs, lequel se fonde, lui-même, sur grois (cf. p. 1 20- 1 2 1). La �i? r e , la
ue, 1 edu c �tlO n n:ode r:
des facteurs économiques, sociaux et politiques. Mais il mand avec l e pouvoir polItIq
des professl� ns �meux remu
mo bili té qui facilite l'ac cès à
celles de 1 agnculture. �ur
devient, par son transfert sur les langues, une sorte de
moyen de paiement, à l'aune duquel chacune s'apprécie. nérées et moins pénibles que le
est jug é �étro�rade, ce qu;
Les langues les plus prestigieuses sont les plus demandées, tous ces poi nts , le hongrois ara ltre
et le fmt meme app
comme le sont en Bourse les valeurs les plus rémunéra dépouille de tout prestige,
trices. Les langues les moins prestigieuses apparaissent comme inutile.
comme moins profitables, et suscitent une demande
émigrés qui font retour
moindre. C'est ainsi que leurs propres locuteurs en vien • La pulsion mimétique à l'égard des
nent à se détacher d'elles, et à juger peu rentable leur t une vie traditionnen�
Dans les communautés menan
transmission aux générations suivantes. Ainsi, le prestige, sont partis à la ville ou a
mais dont certains membres
monnaie d'échange sur le marché des valeurs linguis pulsion d'imitation des �ou
l'étranger puis font retour, la
tiques, en vient à décider, en apparence, du sort des c etLx est très f��e parmI .les
langues. veautés qu'ils rapportent ave , mt. ICI en fonctlOn
stige se defi
plu s jeunes générations. Le pre
achement par rapport aux
des modèles innovants et du dét
L E B A TA I L L O N D E S CA U S E S • 1 59
158 • HA L TE A L A M O R T D E S L A N G U E S
dominées : loin de l'empêcher de jouer ce rôle, l'espagnol lui Calder6n, et, chez Molière, dans la célèbre turquerie d'une
en donna les moyens, comme on le verra plus bas. des scènes du Bourgeois gentilhomme .
, andre le
.u
Cependant, s co mm en
cèrent, en mê me tem ps,
à
d'autres langues. Le mouvement s'est prolongé au
xxe siècle : les Zaparos des basses terres occidentales de
rep cas tIll an , afin qu 'il se sub
na � �atI. Ma is, bien q�'ils sti tuâ t un jou r au l'Équateur sont alors passés massivement au quetchua. Les
fussent soutenus par le
pouvoir évangélisateurs parvinrent même à implanter le quetchua
�oh tlq�e en Espagne, Ils se heurtèrent à la vo lon
SIOnnaIres francisc ain s, qu té des m is dans des zones que n'avait pas atteintes la conquête inca,
i voyaient dans leu r mi ssi
œuvre de conversion de on une comme la province, aujourd'hui argentine, de Santiago del
s Indiens au ch ris tia nis me
de cas till a isa tio n. Il et non Estero, ou les régions du haut Caqueta et du haut Putu
�
Charles Qu mt recom ma nd
fal lut qu 'en 1 55 0, un
ât l'em
dé � ret de mayo au sud-ouest de la Colombie actuelle.
�n �l, non s eu e en t dans l'évangéploi généra lisé de l'espa
� Une autre langue des Andes fut, elle aussi, promue par
. md � lisa tio n et l'éd uc ati on de les missionnaires comme instrument de catéchèse :
1 an sto cra tIe Ien ne
' 1l' .
, co mm e cel a av ait co mm en ce' a, se
�er, n;als po ur tou s les Ind ien s. Néan mo
rea l'aymara, que parlent au Pérou et en Bolivie plus d'un mil
�
�
MeXIq ue , 1 a on tem en t ins , au ,
lion et demi de locuteurs, chiffre probablement plus eleve
se poursuivit encore lon
�ntre ceu� qUI, pour servir la do mi na tio n colon
gte mp s que celui du début du XVIe siècle, car de cette époque nos �
Im poser J espagno l, et ceu iale , vo ulaient jours, de nombreuses communautés indiennes perdIrent
x qui sou ha ita ien t promo
q�elq ue s a de l ngue uvoir leur langue pour adopter l'aymara.
�� � � � s ind ien ne s ; cet antagon
pnt fin qu � 1 rn ism e ne En Amérique du Sud encore, mais cette fois dans la
� vee de s Jés uit es, qU Î, cer tes , ad mi rai en t région qu'occupent aujourd'hui le Brésil méridional et le
be�ucoup l azt eq ue , ma is
qu i, contraire me nt aux Fra
cam s avant eux, évangéli ncis Paraguay, les missionnaires utilisèrent à grande échelle
sai en t en cas till an : il s'a
gis sai t deux l angues apparentées, et déjà importantes, car elles
ft.
1 70 • HA LTE À L A M O R T D E S L A N G U E S L E B A TA I L L O N DE S C A U S E S • 171
étaient parlées par un grand nombre d'Indiens, le tupi et le OU même seconde langue maternelle » . Dans un empire
«
guarani. Les Jésuites, qui gouvernèrent et évangélisèrent le où se parlaient plus de cent trente langues, ce statut parais
Paraguay jusqu'à leur expulsion en 1 768, firent beaucoup sait quasiment répondre à une nécessité naturelle. Une
pour la diffusion du guarani (cf. p. 249-252). C'est au importante réforme scolaire de 1 958, qui laissait aux
jésuite A.R. de Montoya qu'est due la plus célèbre descrip parents le choix de la langue d'éducation avait pour inten
tion du guarani, encore utilisable aujourd'hui en dépit du tion, et eut pour effet, une forte promotion du russe,
caractère désuet de ses analyses latinisantes. Et au Brésil, langue de prestige, car elle était non seulement celle du
durant la période coloniale, le tupi côtier fut, sous le nom socialisme, mais aussi celle des métiers de l'industrie et du
de lfngua geral «( langue générale »), l'idiome de communi progrès scientifique et économ ique (cf. Hagège 1994, 220-
cation dans les pays de la basse Amazone et dans le Sud 238 et 255-264).
Est. Comme dans les exemples précédemment cités, ce La plupart des républiques autres que celle de Russie
statut choisi de langue véhiculaire fut un des facteurs de édictèrent des lois linguistiques dès 1 988, c'est-à-dire à une
l'extinction de langues tribales variées, qui ne résistèrent époque où l'Union soviétique ne s'était pas encore dislo
pas à la pression d'idiomes que favorisait, déjà, leur diffu quée, mais commençait à subir de plus en plus de fractures
sion naturelle et le poids démographique de leurs usagers. graves. Ces lois reconnaissaient le statut véhiculaire du
Tout ce qui précède ne saurait faire oublier que les russe, explicitement désigné comme langue des relations
«
véritables bénéficiaires de la politique coloniale en Amé entre nationalités », mais elles défendaient aussi les autres
rique latine furent, en dernier ressort, les langues langues, dont beaucoup étaient fragilisées par l'impor
européennes : espagnol et portugais. Certains s'émerveille tance des taux d'emprunt au russe dans toutes les zones du
ront, notamment, de l'étonnante histoire de l'espagnol, qui vocabulaire qui reflètent la vie moderne. Si l'on ajoute à
se répandit sur de si vastes territoires, et dans une telle cela que dans beaucoup de républiques autonomes,
quantité de pays, aujourd'hui culturellement unifiés par régions autonomes ou districts nationaux, la population
lui. Soit. Mais la rançon de ce succès, ce fut la mort de très russophone était importante et souvent majoritaire, et que
nombreuses langues indiennes. par ailleurs une forte fragmentation dialectale caractéri
sait nombre de langues d'llRSS, on peut comprendre que
• Le russe, langue véhiculaire en Union soviétique le statut d'une langue de prestige servant d'instrument de
relation ordinaire entre tant de peuples ait joué un rôle
Contrairement au régime tsariste, qui n'eut pas de
dans l'effacement de parlers ouraliens, turcs, mongols,
véritable politique linguistique, l'Union soviétique accorda
toungouses, sibériens qui, sauf dans des cas fort rares,
une place importante aux langues des nombreuses ethnies
n'avaient guère de moyens d'opposer de résistance.
éparpillées sur son immense territoire, en tant que pièces
maîtresses de la définition des entités nationales. Jusqu'au
• Les implications et les conséquences du choix de l'anglais
début des années trente du XX" siècle, elles connurent, avec
la multiplication des dictionnaires et des manuels, une La perte de prestige de nombreux idiomes confrontés
période évidemment faste. Néanmoins, il est révélateur à une langue véhiculaire et à ce qu'elle représente d'effica
que dans la terminologie officielle d'alors, le russe ait été cité pour la communication à vaste échelle est, dans le
appelé langue commune », ou langue internationale »,
« « monde contemporain, encore plus redoutable pour la
1 72 • HA LTE À LA M O R T D E S L A N G U E S L E B A TA IL L O N D E S CA U S E S • 1 73
survie lorsque l a langue en question est l'anglo-américain. ils continuent de croire au prestige de leur langue d'origine
En effet, il ne s'agit plus alors d'un simple moyen et aux valeurs culturelles qu'elle porte, en sorte que cette
d'échange linguistique qui possède quelque réputation, et langue sort indemne de la confrontation. Le premier cas
dont la sélection, ayant d'abord paru répondre à un est celui des emprunts massifs balancés par une conscience
consensus, accroît encore le prestige. Car toutes les nationale aiguë. Le second est celui des élites bilingues.
langues de ce type n'ont de diffusion que régionale. Le
russe lui-même a certes exercé en Union soviétique,
Quand les emprunts massifs
comme on vient de le voir, une forte pression, mais si vaste
n 'entraînent pas l'absorption
que fût le pays, le phénomène demeurait régional.
litaire,
Au contraire, adopter l'anglais pour langue véhiculaire Quand il n'y a pas de biling uisme inéga
ire, sans
ne signifie pas seulement faciliter les relations en milieu l'emprunt massif de vocabulaire peut se produ
de la langue
plurilingue. Cela signifie s'intégrer à un espace linguistique annoncer aucunement une disparition
se. Trois
auquel se trouvent appartenir, comme locuteurs de nais emprunteuse par absorption dans la langue prêteu
AngletelTe,
sance, les citoyens de pays parmi les plus puissants du cas mérit ent d'être retenus ici. L'un se situe en
er en Asie de
monde, dans les domaines économique, politique, scienti un autre dans l'Orient musu lman , le derni
fique et c ulturel. JI est probable que ces considérations l'Est et du Sud-Est.
n'ont pas joué de rôle décisif dans l'esprit des locuteurs de
tant de langues amérindiennes ou australiennes engagées • L'anglo-normand et la ténacité de l'anglais
dans un processus d'extinction, ou déjà éteintes. Ces locu
Les linguistes appellent anglo-normand la forme que
teurs adoptaient « simplement )} la langue de la société
prit en Angleterre, après la conquête de ce pays, en 1 066,
dominante, présente dans leurs lieux de travail et dans
par Guillaume, duc de Normandie, le normand, mêlé de
leurs environnements, et permettant d'abattre les barrières
picard, que parlaient les conquérants, et qui reçut au
que semble dresser le foisonnement des langues tribales.
XIIe siècle, avec l 'arrivée de nombreux marchands, un
Mais le choix de l'anglo-américain ne saurait être innocent
important contingent angevin, relayé plus tard par des
étant donné les circonstances dans le monde depuis le
apports d'Ïle-de-France. L'influence française s'accrüt
milieu du XIXC siècle. Une langue véhiculaire qui est aussi,
encore du fait que les usagers de ce dialecte néo-latin de
partout, celle de la puissance et de l'argent n'est pas un
France occidentale revendiquaient le modèle du français
moyen neutre de communiquer.
littéraire en voie de formation et d'unification autour de la
cour de France, avec laquelle certains étaient en relation
LES RIVALITÉS DE PRESTIGE, permanente. Mais ces usagers étaient en fait une minorité.
ET LEURS EFFETS SUR LE SORT Seuls la cour, l'aristocratie féodale, les riches marchands,
DES LANGUES les évêques, les abbés et d'autres privilégiés parlaient cette
variante normande du français en gestation.
Les locuteurs que vient investir une autre langue La masse de la population, quant à elle, ne parlait que
apparemment bien armée pour s'assurer une domination l'anglais (cf. Hagège 1 996 b, 32-36). Néanmoins, elle
ne cèdent pas toujours à l'intruse. Dans deux cas au moins, absorba les emprunts massifs qui furent faits, selon les
il
, ,
L E B A TA I L L O N D E S C A U S E S . 1 75
1 74 • H A L TE À L A M O R T D E S L A N G U E S
époques, à diverses formes du français, e t qui donnent à C'est ainsi qu'en 1 362, pour la première fois, le chan
l'anglais, aux yeux d'un francophone, cette physionomie si cel ier, au parlement de Londres, prononce son discours en
particulière de langue germanique latinisée. Encore ne anglais. À la fin du xwe siècle, le français a perdu sa place
privilégiée dans renseignement. Les écrivains, dont
s'agit-il que de la nouvelle étape d'une latinisation qui avait
co n: m �ncé dès la christianisation du pays au VIe siècle, peu Chaucer, ne composent plus qu'en anglais. L'avènement
d'Henri IV en 1 399 sera celui du premier monarque de
a res 1 m �allation des Jutes, des Angles et des Saxons, pre
� � langue maternelle anglaise. Ainsi, l'aristocratie normande
mlers utIlIsateurs, refoulant à l'ouest les Cehes autoch
en Angleterre retrouvait en s ymétrie le destin de ses
tones, de la langue germanique d'où l'anglais naîtra. Ainsi
ancêtres en France au xe siècle. Ils s'étaient francisés, elle
l'apport considérable de mots anglo-normands est-il la
s'anglicisa. Loin de franciser définitivement l'Angleterre,
suite naturelle d'une hybridation latinisante amorcée
les descendants des barons normands étaient finalement
bea� coup plus tôt. Parmi ces faits bien connus, je rappel
devenus anglophones au bout de trois siècles, pour avoir
leraI seulement la conservation du sens ancien de mots
perdu leurs bases en Normandie, pour avoir conclu avec
anglo-normands empruntés qui ont aujourd'hui perdu ce
des femmes de l'aristocratie locale, faute de femmes nor
sens en France, l'altération du sens d'autres mots (<< faux
mandes en nombre suffisant, des mariages qui avaient en
amis » : cf. ici p. 63), et le maintien en anglais de mots
outre l'avantage de donner quelque légitimité à un pouvoir
médiévaux que le français moderne a perdus, comme to
d'abord obtenu par l'invasion violente, et surtout pour
remember « se rappeler », mischief « dégâts » ou random
s'être heurtés à une population attachée à sa langue.
« hasard » , etc. (cf. Hagège 1 994, 36).
La domination du français en Angleterre est donc loin
Cette forme d'indépendance dans la manière d'assi
d'avoir nui à l'anglais, et moins encore de l'avoir conduit
miler une langue de conquérants donne la mesure et
sur la voie de l'étiolement. Les structures de la société féo
l'explication de la résistance de l'anglais. l'annexion de la
dale ont empêché la variante normande du français de
Normandie par Philippe Auguste en 1 204 avait isolé
s'imposer au-delà des minorités privilégiées. Dès lors la
l'Angleterre du continent, et contribué à l'apparition d'une
classe commerçante autochtone et anglophone issue des
conscience nationale anglaise, qui exercera une pression
masses a pu s'affirmer, et assimiler les emprunts, malgré
ationaliste, notam ment à travers la critique de la poli
� , leur nombre énorme, en façonnant le premier visage de
tIque d ouverture aux étrangers sous le règne du fils de
l'anglais moderne. N'ayant, en dépit du prestige initial de
Jean sans Terre, Henri III. Dès la fin du XIW siècle il se l'anglo-normand, aucune raison de regarder leur langue
forme une bourgeoisie qui s'affirmera de plus en plus comme dépouillée de tout prestige, les Anglais du Moyen
au XIV". Or cette bourgeoisie anglophone n'a aucune atti Âge ont fort bien digéré le choc du français.
tude d'humilité face à la variante de français dont se
servent les milieux dirigeants. Cette langue étrangère de
• Le persan et le turc à l'épreuve de l'arabe
descendants d'envahisseurs est pour elle symbole d'un
�
g
sservisse lent, et suscite donc dans ses ran s une impa
�
On connaît la conquête et l'islamisation de la Perse
tIence croIssante. Cette bourgeoisie entend imposer l'usage sous le règne du deuxième calife, Omar, entre 634 et 644, et
de l'anglais, et faire savoir qu'il n'est plus à considérer plus tard, l'islamisation progressive des Turcs par les Ira
comme l'idiome de masses peu scolarisées. niens musulmans avec lesquels ils commercent ; quant à
L E B A T A I L L O N D E S CA U S E S . 177
176 • H A L TE À L t1 i\;1 0 R T D E S L A N G U E S
une époque aussi lointaine, cette entreprise était immense. en 1 949, et en Corée du Sud, après une série de mesures
Elle durerait encore, dit-on, aujourd'hui . . . contradictoires, un arrêté de 1 974 a limité à 1 800 le
Ainsi, en dépit d e l a profondeur et d e l a durée de l'isla nombre de « caractères de base » appris dans l'enseigne
misation, ni le persan, ni le turc n'ont disparu par fusion ment secondaire. Le japonais, quant à lui , continue,
au sein de l'arabe. À quoi attribuer cette préservation, lors depuis plus de quinze siècles, à s'écrire pour l'essentiel en
même que la Perse c : l'Empire ottoman ont longtemps caractères chinois, combinés, il est vrai, avec des sylla
incarné, surtout le second, le pouvoir musulman lui baires autochtones.
même, sinon au maintien d'une conscience tenace de leurs La question de l'écriture est fondamentale. Tout
cultures, y compris chez les Turcs, pourtant descendants comme l'élimination de l'alphabet arabe en Turquie, étant
de nomades ? celle des mots arabes qui s'écrivaient par ce moyen,
D'autres langues encore, pour les mêmes raisons liées conduisait logiquement à leur remplacement par des mots
à l'islamisation de leurs locuteurs, ont été exposées à un turcs, de même l'abandon des caractères chinois en
afflux de mots arabes, sans pour autant se dissoudre dans Annam visait le chinois lui-même. Lannamite avait été
cette aventure. Mais il est vTai que les emprunts n'y ont pas particulièrement exposé à son influence, puisque l'Annam,
été aussi nombreux qu'en turc et en persan. On sait que l e conquis par la Chine deux siècles avant l'ère chrétienne, ne
malais comporte une strate arabe, e n provenance, surtout, devint indépendant qu'au xe siècle. Même après cette date,
de l'Hadramaout, et que l'hindustani (pour revenir à ce pourtant, le pays resta très imprégné par la morale confu
terme qui ne désigne ni l'hindi sanskritisé, ni l'ourdou per céenne, qui servait l'intérêt des rois annamites par sa
sanisé, mais le fonds de langue qui leur est commun) com conception de la société comme système hiérarchique où
porte une certaine quantité de termes arabo-persans qu'il a chacun se voit assigner une place. Le chinois demeura
bien assimilés, et qui continuent de s'employer très cou donc la langue des fameux concours de recrutement des
ramment dans la langue parlée, en dépit d'un important mandarins-fonctionnaires, qui ne furent abolis qu'en 1 9 1 9.
apport contemporain de mots anglais. Durant la Seconde Guerre mondiale, les Japonais s'étaient
substitués aux Français, lesquels avaient eux-mêmes tenté,
dans la logique coloniale qui était alors la leur, de mettre l e
• L'affirmation du japonais, du coréen et du vietnamien face
français en état de supplanter le chinois. Mais rien n e
à la pression du chinois, matrice culturelle de l'Asie orientale
réduisit vraiment l'importance d e ce dernier, malgré la pro
Une part considérable du vocabulaire du japonais, motion du vietnamien comme langue de l'enseignement en
du coréen et du vietnamien est constituée d'emprunts 1 945, et les emprunts au chinois continuèrent de foi
chinois. Leur importance est telle que les composantes lexi sonner, surtout dans la langue officielle et j ournalistique au
cales qu'ils forment sont appelées, respectivement, sino Vietnam du Sud, et dans la phraséologie politique marxiste
japonais, sino-coréen et sino-vietnamien. Elles se sont au Nord. Néanmoins, une conscience nationale aiguë a
échafaudées dans le sillage de l'emprunt des idéogrammes toujours permis aux Vietnamiens de garder confiance dans
de l'écriture chinoise, qui n'ont été abandonnés en Annam leur langue, et cette dernière n'a jamais perdu son prestige.
qu'en 1 65 1 , date du premier dictionnaire écrit selon l a À partir de l'invention par le roi Sejong, en 1 446, d'un
notation e n alphabet latin du père j ésuite A . d e Rhodes. alphabet coréen, toujours en usage, on cessa d'écrire en
En Corée du Nord, ils sont officiellement interdits idéogrammes les mots sino-coréens. Mais leur proportion
1 80 • HA L TE A LA M O R T DE S L A N G U E S L E B A TA I L L O N D E S C A U S E S . 181
c'est-à-dire littéralement « que (le) dé le sort) ait été D'où venait cette situation ? On connaît le mot
jeté ! » . La traduction latine qui fait autorité, et dont l'équi d'Horace : Graecia capta ferum victorem cepit ({ La Grèce
valent français le sort en est jeté s'emploie lorsque l'on soumise a soumis son grossier vainqueur » . De fait, la
prend une audacieuse décision, est encore plus inexacte découverte de l'éclatante civilisation grecque, depuis qu'en
que la précédente, car àveppÎ<p9ro est en grec ancien un - 1 46 Rome avait vaincu la Grèce et en avait fait une pro
impératif parfait passif ; il s'agit donc d'un ordre rétro vince mise sous son autorité, produisit parmi les élites
actif indiquant le résultat d'une action, et il conviendrait romaines un sentiment d'infériorité, encore très vif à
d'adopter, pour la traduction latine de ce proverbe grec l'époque de Cicéron. Assez vite, l'apprentissage du grec
bien connu, la correction d'Érasme jacta alea esta, sans leur appalUt comme celui du raffinement et de la seule
compter qu'alea jacta est signifie, en fait, {( le sort en a été vraie culture, et son ignorance comme le fait d'un lUstre,
jeté » , ce qui est bizarre, l e parfait latin référant au passé, ou, chez un représentant des classes supérieures, comme
et non, comme le parfait grec, au résultat toujours actuel une anomalie. Le grammairien Varron défendit même la
d'un acte que l'on vient d'accomplir. théorie échevelée de l'origine grecque du latin, bien
entendu sans aucun argument qui puisse nous convaincre
• Le grec, langue première des patriciens romains aujourd'hui, ni sans doute qui le persuadât lui-même,
Pourquoi César a-t-il parlé en grec en deux circons puisqu'il s'agissait surtout de rehausser le prestige du latin
tances où son émotion était forte, d'une part quand il fait (cf. Dubuisson 1 9 8 1 ) . L'hellénisation de l'aristocratie
un choix très hardi, d'autre part quand il sent qu'il romaine possédait des aspects plus cachés. La connais
s'enfonce dans la mort ? Précisément parce que le grec sance du grec parmi les classes dirigeantes devint un enjeu
était la langue apprise depuis l'enfance, celle, donc, qui politique, dans la mesure où la pratique de la rhétorique
resurgit quand le trouble est à son comble, et à son degré le athénienne, en améliorant l'art oratoire, leur fournissait
plus bas le contrôle de soi-même. une arme efficace de conquête, et de conservation, du
Sur le statut du grec dans l'éducation des enfants pouvoir ; des mesures furent même prises dès la fin du
appartenant aux familles privilégiées d e Rome, tous les ne siècle avant J.-C. pour empêcher la formation d'écoles
textes sont parfaitement clairs. Un des plus célèbres est de rhéteurs latins.
celui du l ivre 1 de l 'Institution oratoire , où Quintilien
peut encore écrire, plus d'un siècle après la mort de • Les ambiguïtés du bilinguisme à Rome (fin de la République et
Cicéron : début de l'Empire)
({ Je préfère que l'enfant commence par le grec, parce que À la fin du leI siècle, le poète Juvénal s'en prend, dans
le latin étant davantage utilisé, nous nous en imprégnerons une de ses Sa tires, à l'usage que feraient du grec certaines
de toute façon [ . . . ]. Je ne voudrais pas, cependant, [ . . . ] que femmes romaines (des classes aisées) jusque dans les dou
l'enfant ne parlât ou n'apprît pendant trop l ongtemps que le ceurs privées. Cette pénétration, si l'on ose ainsi dire, du
grec, ce qui est le cas pour la plupart. Cette habitude grec dans la vie intime d es riches n'est peut-être pas sans
entraîne un grand nombre de défauts de prononciation, liens avec l'idée, répandue chez beaucoup de lettrés, de
[ . ] ainsi que d'incorrections de langage.
. . "
l'infériorité du latin par rapport au grec. Lucrèce, écrivant ,
au lér siècle avant l'ère chrétienne, son De natllra rerum , se
184 • H A L TE À L A M 0 R T D E S L A N G U E S L E B A TA I L L O N D E S CA U S E S . 185
plaint de la pattii sennonis egestas «( indigence de notre qui en faisaient profession. Valère Maxime, en outre, se
langue paternelle }») pour exposer la doctIine d'Épicure. réfère implicitement aux Romains qui défendaient le latin
Cicéron, comme bien d'autres intellectuels bilingues, contre le grec, notamment Caton, lequel, en - 1 9 1 , venu à
adopte en public une attitude nationaliste et antigrecque, Athènes en qualité de tribun militaire, avait pris le parti de
refusant de ratifier le mot de Lucrèce, assurant intrépide parler en latin à la foule, en s'aidant d'un interprète, alors
ment que le latin est plus riche que le grec, créditant, avant que les patriciens tels que lui étaient capables, à cette
Sénèque et Quintilien, le latin de force et de séIieux dans époque déjà, de s'exprimer en grec. Ce que demande donc
l'éloquence par opposition à la délicatesse et à la subtilité Valère Maxime, ce sont de véritables mesures de protec
du grec, mais sa correspondance recourt tout naturelle tion contre un bilinguisme qui donne au grec une place
ment au grec chaque fois qu'il ne trouve pas en latin la for excessive à ses yeux.
mulation adéquate. Que les modèles anciens dont il se réclame ne soient
Le bilinguisme des élites, et la forte présence du grec, plus suivis un siècle plus tard, c'est ce que montre, entre
qui affectait même la vie officielle romaine, n'étaient pas bien d'autres exemples, le choix que fait Cicéron, non sans
sans entraîner des réactions assez vives. Un texte célèbre indigner ses ennemis, de parler en grec, en -70, au sénat de
de Valère Maxime, contemporain de Tibère, regrette le Syracuse. L'empereur Tibère avait été élevé en grec, et le
temps où les Romains défendaient davantage leur langue : parlait parfaitement (il l'utilisait même quand il écrivait
des poèmes), mais il refusait de s'adresser dans cette
« [ . .]
. les magistrats d'autrefois veillaient à préserver [ ]
. . . langue au sénat, fût-ce pour dire quelques mots, et mon
leur propre dignité et celle du peuple romain [ ].
. . . On peut trait un purisme sourcilleux face aux hellénismes des
citer [ ]
. . . leur souci constant de ne jamais accorder de Romains cultivés et à l'excès apparent d'emprunts grecs en
réponse aux Grecs qu'en latin. Bien plus, on éliminait l a latin. Il en fut de même de l'empereur Claude.
faconde qui fait leur avantage e n l e s forçant à se servir d'un
Ainsi, le bilinguisme à Rome dans les derniers siècles
interprète, et cela non seulement à Rome, mais même en
de la République et le premier de l'Empire, est à la fois
Grèce et en Asie, afin, bien entendu, de rendre plus respec
général en privé et souvent condamné en public par les
table et de répandre dans tous les peuples l'honneur de l a
personnages officiels. Il est intéressant de noter qu'en latin
langue latine. Ces hommes ne manquaient pourtant pas d e
culture ; mais ils pensaient que le manteau grec devait être classique, l'adjectif bilinguis est une qualification péjora
subordonné à l a toge : c'était une indignité, selon eux, que tive du mélange des langues, et que, dans un autre de ses
d'offrir aux attraits et au charme des lettres le poids et sens, il réfère, comme si celui qui a deux langues ne pou
l'autorité du pouvoir. " vait être qu'un fourbe, à la duplicité, que récuse l'exigence
romaine de droiture, et même à la médisance et au men
Suit un éloge de Marius, chaudement approuvé de songe, tout comme son héritier en fTançais médiéval. C'est
n'avoir pas « accablé la curie d'interventions en grec )}, et assez dire la méfiance qu'inspirait, à côté de la fascination
dont on sait que, bien qu'il connût fort bien le grec, il qu'elle exerçait, cette langue grecque que l'on apprenait
jugeait ridicule (contrairement à son adversaire Svlla, très tôt . Si Auguste encouragea Virgile et Tite-Live à écrire
d'origine sociale plus élevée) d'apprendre la littérature leurs ouvrages fondateurs, ce fut surtout parce qu'il voulait
d'un peuple que les Romains avaient réduit en esclavage, que la poésie et l'histoire eussent à Rome leurs lettres de
puisque ce raffinement n'avait pas servi la liberté de ceux noblesse, afin de balancer l'influence des grandes œuvres
1 86 • HAL TE À L A M O R T D E S L A N G UES L E B A TA I L L O N D E S C A U S E S . 1 87
l'affrontement avec l'espagnol. O n a vu au chapitre VI que impression de honte, et ne mérite pas d'être plus long
c'est là un des signes de l'obsolescence des langues. Ces temps préservé !
garants du bon usage, qui, par l'insistance artificielle sur La généralisation de ces attitudes est de nature à accé
une norme exigeante, cherchent à se convaincre de leur lérer la disparition de la langue ancestrale, alors que juste
propre compétence sans vouloir admettre qu'elle s'étiole, ment, dans les communautés aztèques où le nahuatl se
sont parfois vilipendés par ceux qui jugent que le purisme porte bien, les locuteurs ont assimilé les emprunts espa
est ennemi de la langue. gnols, et ne se font pas grief de les utiliser quand la chose
est nécessaire.
• Le refus d'emprunt et son effet pervers : l'abandon
Mais une autre forme de purisme exerce une action La déroute des codes non normalisés
pernicieuse. C'est }'attitude des locuteurs qui refusent
d'emprunter des mots étrangers pour référer à des réalités Une étonnante contradiction s'observe ici. Les mêmes
du monde et de la technique modernes, sous prétexte que qui préfèrent renoncer à une langue où il leur faudrait
ces emprunts dénaturent la langue. On ne saurait introduire trop d'emprunts ne se soucient pas de faire ce
demander aux locuteurs d'être linguistes professionnels, qui, précisément, permettrait de réduire le nombre de ces
évidemment. Mais ce rejet systématique d'un phénomène derniers. Cette entreprise dont ils méconnaissent la néces
comme l'emprunt, naturel et assez peu nuisible dès lors sité est celle qui a contribué à façonner le vocabulaire de
qu'il est contenu dans certaines limites, dénote une igno maintes langues, dont le français, ou encore, pour citer des
rance de ce qui fait la vie des langues. Cette ignorance exemples plus exotiques, le hongrois, le finnois, le turc,
devient délétère quand elle produit l'effet que l'on a noté l'estonien et bien d'autres (cf. Fodor et Hagège 1 983-1 994).
dans d'autres communautés nahuatl : faute de disposer des Il s'agit de la normalisation, ou action consciente que des
termes nécessaires, car la langue ne les a pas créés, les experts, cautionnés, sinon sollicités, par l'autorité
puristes, ici, jugeant que l'emprunt des termes espagnols publique, accomplissent sur le vocabulaire d'une langue,
n'est pas admissible au sein d'un discours en nahuatl, pour l'adapter à l'évolution des techniques, des connais
renoncent purement et simplement à parler leur langue et sances et des habitudes. Le réglage des langues à diverses
passent à l'espagnol ! époques de leur histoire a souvent été un facteur efficace
de leur adaptation aux changements, comme le montre
• Les circularités de la revendication puriste
clairement, entre autres, l'étude de celles que je viens de
mentionner. Dans le domaine du vocabulaire, les réforma
On observe enfin, parfois, une étrange circularité. Les teurs ont souvent préféré les solutions nationales (mots
locuteurs commencent par multiplier les emprunts à la dérivés du fonds ancien, donc en principe motivés) aux
langue de prestige, après quoi ils déclarent impure la solutions internationales (emprunts directs, donc opaques,
langue dont ils ont eux-mêmes provoqué l'implosion ! même sous un revêtement local).
Selon un témoignage recueilli il y a vingt-trois ans (Hill et Cela dit, quand le défaut de normalisation a longue
Hill 1 977), les locuteurs chez qui le taux d'emprunt à ment érodé les forces d'une langue, il peut arriver qu'il soit
l'espagnol était le plus élevé étaient aussi ceux qui affir trop tard pour intervenir. L'exemple des langues celtiques
maient qu'un nahuatl à ce point contaminé produit une le montre. Le gouvernement irlandais a promu à partir de
1 90 • H A L TE À L A M O R T DES L A N G UES L E B A TA I L L O N D E S CA U S E S . 191
1 958 une forme écrite, fondée sur certaines variantes ou sibériennes de Russie, qui déjà, dans l e s enclaves où
modernes, et à laquelle il s'est efforcé de donner une auto elles existent encore, sont cernées de vastes terres domi
rité réelle en organisant son enseignement à tous les nées par le russe ? Leur isolement et l'absence d'un vouloir
niveaux du système d'éducation, et en l'utilisant dans culturel s'exprimant dans une politique scolaire et édito
l'administration et dans les documents officiels chaque fois riale découragent tout essai de dégager u ne norme unifiée
qu'une version irlandaise est recommandée à côté de la à partir des forts contrastes dialectaux qui les dynamitent.
version en anglais. Mais il ne semble pas que cette entre C'est ainsi que, sauf heureux retournement dont on n'aper
prise ait ralenti le déclin que subit l'irlandais depuis plus çoit pas les signes, paraissent voués à une extinction
d'un siècle et demi face à la concurrence de l'anglais. Car la proche l'énets (péninsule de Taimyr), le yukaghir
minorité de ceux qui, dans les comtés de l'Ouest, ont (Yakoutie), le nivkh (île de Sakhaline) et beaucoup
encore un maniement naturel de cette langue, se sert des d'autres. Mais il faut redire que l'absence de normalisation
variantes dialectales, dont l'existence vivante a plus de réa n'est pas en soi une cause suffisante, et qu'elle ne fait
lité que des créations artificielles. qu'aggraver la situation en s'ajoutant aux autres causes.
Cela est encore plus vrai pour le breton. Du moins
l'irlandais profite-t-il de son statut officiel dans la constitu
tion du pays, qui rend moins illusoire la promotion d'une L'ABSENCE n'ÉCRITURE
norme. Mais quand la langue supradialectale que l'on
entend promouvoir n'a de statut que régional, alors les L'absence d'écriture n'est pas non plus en soi une
usagers des variantes locales ont plus de raisons encore de cause directe d'extinction d'une langue. Si important que
la juger artificielle, et de ne pas souhaiter s'en servir. Le soit le rôle joué par l'écriture dans l'histoire des langues de
breton unifié que l'on tente de favoriser a le mérite civilisation, il s'agit d'une invention tardive, et d'un revête
d'exister et devrait, évidemment, pennettre une renais ment extérieur, qu'on ne saurait compter parmi les pro
sance de la langue. Mais les usagers des parlers restent priétés inhérentes. L'existence d'une écriture n'a pas
souvent méfiants à l'égard d'un breton construit, qui n'est empêché des langues qui furent autrefois prestigieuses et
pas la langue maternelle de quelqu'un. Il convient, au répandues de s'éteindre, et inversement, il existe dans le
demeurant, de ne pas s'exagérer la dispersion dialectale du monde d'aujourd'hui, en Afrique et en Océanie notam
breton. L'expérience prouve que tous les Bretons se com ment, de nombreux pidgins qui ne s'écrivent pas, et qui,
prennent quand ils utilisent leur parler local. Le problème néanmoins, rendent assez de services à ceux qui peuvent
d'un breton unifié se pose, certes, mais le déclin du breton par ce biais entrer en communication, pour se porter fort
s'explique aussi par d'autres causes que l'absence de cette bien et ne pas paraître exposés à disparaître dans un bref
norme fédératrice. délai.
La marginalité des parlers entre lesquels se d isperse Cela dit, entre deux langues que d'autres discrimi
une langue peut décourager l'effort de normalisation, sur nants désignent comme soumises aux mêmes risques
tout lorsque les communautés qui tentent cet effort ont en d'obsolescence, celle qui possède un système d'écriture
face d'elles une l angue à l a vaste diffusion régionale ou sera généralement plus armée que l'autre pour résister. Il
internationale et à la puissante capacité d'a bsorption. Que ne s'agit pas ici de facteurs de maintien ni de moyens de
peuvent, par exemple, les langues ouraliennes, altaïques lutte, mais bien du prestige supérieur que confère, dans la
1 92 • H A L T E A L A M O R T D E S L A N G U E S L E B A T A I L L O N D E S C A U S E S . 1 93
plupart des sociétés (non dans toutes), l a notation gra theravada sont, avec la conscience nationale, les piliers de
phique, et de l'appoint essentiel qu'elle constitue, de par le l'identité thaï (cf. Bradley 1 989). Il s'ensuit qu'en dépit de
pouvoir qu'elle donne à une langue de diffuser la parole en la reconnaissance dont elles bénéficient officiellement. les
la reproduisant au-delà des situations concrètes de son minorités non thaïs, descendantes de populations jadis
échange. L'existence d'une écriture permet quatre autres conquises ou demeurées périphériques. sont regardé�s en
entreprises qui font beaucoup, aussi, pour l'affermisse Thaïlande avec hostilité, du fait de leur statut même de
ment des langues : la littérature écrite, qui facilite la groupuscules isolés. Pour échapper à leur isolement, cer
conservation sur support matériel et ne fait pas, comme taines tentent de s'assimiler par mariage. Tel est le cas des
l'orale, appel à la seule mémoire, l'éducation scolaire, la Ugong. La conséquence est la menace d'extinction de leur
diffusion d'imprimés, et la normalisation. À propos de langue.
cette dernière, on rappellera un point important : c'est
faute de posséder une écriture que tant de langues sont Le sentiment d'identité
appelées par les masses des dialectes et ce terme, qui
« »,
réduisant les effets du petit nombre
n'évoque pas, pour la majorité, la réalité purement tech
nique qu'y voient les linguistes (cf. p. 1 95), mais un mode Même quand elles vivent à l'écart des grands courants
d'expression dévalué sinon méprisé, agit en retour sur les commerciaux qui laminent les individualités, il est difficile
locuteurs eux-mêmes. et accentue l'absence d'estime qu'ils aux petites tribus de rester elles-mêmes culturellement et
peuvent avoir pour leur propre langue. linguistiquement. Cela est encore plus vrai quand elles
sont exposées à la rapacité meurtrière des prospecteurs et
des marchands, comme il est arrivé aux Andoké de l'Ama
'
L ÉTAT DE NATION MINORITAIRE zonie colombienne (cf. p. 1 28). Pourtant, le petit nombre
peut être compensé par un puissant sentiment d'identité,
Le statut des minorités et dès lors ne plus être un des facteurs de la précarité d'une
parmi les nations homogènes langue. Ai}lsi, le bayso, langue couchitique orientale du
Dans certaines sociétés, les minorités sont stigmati sud de l'Ethiopie, a résisté durant un millénaire à la
sées, et le fait même, pour une langue, d'être parlée par un concurrence des langues plus répandues qui l'environnent,
petit nombre de locuteurs peut contribuer, en venant alors que le nombre de ses locuteurs (500 en 1 990) a tou
renforcer d'autres facteurs, à la mettre en situation de fra jours été faible.
gilité. C'est surtout le cas quand l'environnement est De même, on voit s'opposer d'une manière significa
constitué par une communauté homogène et très cons tive le hinoukh (nord-est du Caucase) et le négidal (langue
ciente de son identité. Les Thaïs sont une illustration de ce toungouse de la région de Khabarovsk). Ils n'ont, l'un et
genre de communauté. Leur orgueil national a été forgé l'autre, que deux cents locuteurs environ. Mais le premier
par cinq cents ans d'unité fondée sur la domination préa s'appuie sur une forte conscience d'identité. ce qui n'est
lable de groupes importants, comme les Mons et les pas le cas du second. Les Hinoukh apportent même la
Khmers. Les Thaïs (du moins ceux du Siam) n'ont jamais preuve qu'un sentiment identitaire puissant a le pouvoir de
été colonisés, ni par un peuple asiatique. ni par un pays neutraliser les effets des unions allogènes. Les hommes
européen. Le système monarchique et le bouddhisme hinoukh se marient avec des femmes du village voisin, où
1 94 • H A L TE A L A M OR T D ES L A N G U ES
Définitions et critères
230 • HA L TE À L A M 0 R T D E S L A NG U ES
peuvent exercer d'effet durable, car i l s'agit d'une activité politiques, encore une fois définies sur le critère des
saisonnière, les habitants demeurant entre eux durant les langues dominantes dans les agglomérations : États du
autres parties de l'année, et dans un certain état d isole ' Manipur, du Meghalaya et du Nagaland, Territoires du
ment. Il n'est pas exclu que ces facteurs aient agi en faveur Mizoram et de l'Arunachal Pradesh. Dans ces lieux se par
du renforcement des parlers ladins, que l'on observe lent des langues des familles tibéto-birmane (notamment
depuis quelque temps. garo et manipuri), ou mon-khmer (khasi, entre autres) ; le
nombre des locuteurs est variable, allant pour certaines
• Les grandes langues de l'UnÎon indienne, les moins grandes, jusqu'à quelques centaines de milliers, mais toutes sont
et le rôle des villes fragiles ; et cette promotion officielle les renforce contre la
puissance des langues qui les entourent : bengali, birman,
Il se trouve qu'en Inde, c'est l'urbanisation, et non
assamais. Quant aux langues tribales du reste de l'Inde,
l'exaltation de la vie à la campagne, qui a servi beaucoup
parlées par des minorités parfois assez démunies sinon
de langues. Le rôle joué par Calcutta au XIXe siècle dans le
misérables, leur mode de vie rural, bien qu'il contribue
développement du bengali, et celui qu'a joué Delhi dans la
peut-être à les maintenir, n'est pas, dans le contexte indien
promotion du hindi ont souvent été soulignés (cf. Maha
d'aujourd'hui, un facteur favorable à leur promotion.
patra 1 99 1 , 1 85· 1 86). C'est aux langues parlées sur un ter
ritoire où se trouve au moins une grande ville que l'État
accorde une reconnaissance, et ce cas, même si l'argument
n'est pas évoqué, est bien celui des 1 8 mentionnées dans le LA COHÉSION FAMILIALE
fameux article VIII de la Constitution de l'Union indienne ; ET RELIGIEUSE
pour certaines, comme le telugu, le gujrati, le marati,
La cohésion familiale et la cohésion religieuse, qui
l'assamais, le pendjabi, cela signifiait la création d'un
nouvel État doté de pouvoirs politiques, donc possédant sont souvent solidaires, jouent certainement un rôle en
un centre urbain important. Et c'est à partir de tels centres tant que facteurs de maintien des langues. Lune et l'autre
qu'ont été conduites contre le gouvernement fédéral, des ont beaucoup fait pour la permanence du norvégien aux
années 1 950 au début des années 1 970, des luttes parfois États-Unis pendant une longue période jusqu'à ce qu'il soit
violentes pour la reconnaissance. évincé par l'omniprésence grandissante de l'anglais (cf.
Ainsi, le pays est passé, des 1 4 États et 6 territoires de p. 2 1 4-2 1 5). Les relations entre ces facteurs sont logiques :
1 956, tous définis, on le notera, sur des bases l inguistiques, la cohésion religieuse donne plus de force aux traditions,
à 22 États et 9 territoires. La situation fut longtemps très et une de ces dernières est le respect des personnes âgées,
tendue dans l'extrême nord-est, autour de l'Assam, sur les lesquelles sont elles-mêmes les plus sûrs garants des
hauts plateaux et la chaîne de l'Arakan. Dans cette zone, langues ancestrales qu'elles ont transmises. De plus, la
qui borde, du sud au nord, divers pays et provinces égale cohésion religieuse, au XIX" siècle, conduisait les Norvé
ment plurilingues : Bangladesh, Birmanie, Tibet, et qui giens des États-Unis à fesselTer leurs rangs autour de leur
rejoint, à l'ouest, la frange orientale de l'Himalaya, cer Église luthérienne, en opposition hautaine à la dispersion
taines régions ont finalement obtenu la reconnaissance de des nombreuses obédiences protestantes anglophones,
New Delhi. Elles constituent donc de nouvelles entités rivales entre elles.
238 • H A L TE À L A M O R T D E S L A N G U E S F A C TE U R S D E M A I N T I E N E T L U T T E • . • • 239
L e rôle joué par la religion s'observe ailleurs aux nubien est absent de toutes ces activités. Il y a plus : il en
États-Unis, mine d'exemples pertinents, dans la mesure où est la victime, à brève échéance.
seules des langues pUÎssamment défendues sont capables
de résister, même sans s'en affranchir complètement, au
poids de l'anglais. Il existe au centre et au sud-est de la
Pennsylvanie, ainsi que, plus sporadiquement, en Ohio,
Illinois, Indiana et Virginies du Nord et du Sud, des com Dans certains environnements culturels, le fait, pour
munautés allemandes, descendant de celles qui s'y instal une langue, de s'écrire est un instrument de promotion
lèrent aux temps colonÎaux. Chez tous ces locuteurs, important. Ce cas est bien illustré par l'Inde. Déjà, dans le
l'allemand présente des traces d'érosion importantes, passé, la notation des prükrits par une variante ou une
notamment la confusion entre les cas de déclinaison, que autre de l'écriture brahml, puis de la devanagarï, a cons
)'on trouve aussi dans divers dialectes rhénans et autres en titué pour eux le moyen de conquérir une réelle dignité
Allemagne, mais à un moindre degré d'avancement. Or on nationale dans chacune des régions où ils se sont formés.
constate que ces délabrements sont moins accentués chez Mais en outre, à l'heure actuelle, les langues que la Consti
les Germano-Américains qui appartiennent à une des deux tution reconnaît et qui sont assurées de se maintenir sont
sectes des Mennonites et des Amish, de stricte observance celles qui s'écrivent, par opposition à celles de petites
religieuse, surtout la seconde. On peut en déduire, bien ethnies, que l'absence d'écriture fragilise.
qu'il existe des contre-exemples surprenants (cf. Huffines Cependant, ici comme dans d'autres cas, les situations
1 989), que la religion a le pouvoir de contribuer au main ne sont pas simples. L'écriture peut se muer en instrument
tien d'une langue. Il est même probable que si l'allemand d'oppression, pour peu que sa forme soit imposée d'en
était destiné à disparaître en Pennsylvanie dans l'emploi haut, et ne soit pas celle que les populations avaient
quotidien, il se conserverait dans l'usage confessionneL choisie. C'est ce qui s'est produit en Union Soviétique
Cependant, en certaines circonstances, l'effet de la lorsque le pouvoir, après avoir promu l'écriture latine
religion peut jouer dans le sens opposé. Les Nubiens de durant les années 1 920, en est venu, durant les années
Haute Égypte, par exemple, dont on vient de voir qu'ils 1 930, à généraliser l'écriture cyrillique. On sait que der
préservent ce qu'ils peuvent de leur langue dans les villages rière cette décision, l'intention réelle était la russification
isolés où ils continuent de vivre, sont, paradoxalement, des langues et des ethnies. Cela fut bien perçu par les intel
plis au piège du renouveau islamiste, qui se manifeste en lectuels russes, comme le linguiste Polivanov, ou ceux des
Égypte comme dans d'autres pays musulmans. En effet, la républiques turques, de l'Ouzbékistan au Kirghizstan, qui
langue dans laquelle s'exprime cette foi revigorée, à travers prirent le risque de s'opposer à cette politique d'apparence
une fréquentation accrue des mosquées, est et ne peut être anodine.
que l'arabe. sermons se font en arabe classique ; les
enfants nubiens qui récitent convenablement les versets du
Coran sont récompensés ; les femmes nubiennes, qui ne L'UNILINGUISME
ainsi que de Russes et de quelques Eskimos et Kamtcha� radical verbal fish, emprunté, est suivi de deux mor
daIs (habitants du Kamtchatka) . Or le fait frappant est phèmes aléoutes, iza, qui indique un présent d'habitude et
xx, qui est la désinence verbale de Je personne du Singulier.
qu'il se développa en ce lieu une langue mixte. Pour
mesurer son intérêt, il faut comparer la situation linguis�
242 • H A L TE À LA M OR T DES L A N G UES FA C TE U R S D E M A I N TI E N E T L U T T E . . . • 243
O n pourrait se demander comment il se fait que la métis d'Indiens Cri et de Français venus du Québec au
langue de l'île du Cuivre ne soit pas un pidgin du russe, début du xxe siècle ; cette langue hybride associe des
c'est-à-dire une langue à vocabulaire russe et morphologie racines cri (algonquines) et une grammaire française.
réduite. La raison semble en être qu'ici les rapports ne Il ne s'agit pas, dans tous ces exemples, du péril résul
sont pas d'inégalité, comme ils l'étaient entre les esclaves tant d'une situation de contact intense, qui fait perdre à
déportés sur les plantations des t�araïbes et leurs maîtres une langue certains de ses traits, comme dans le cas du
(cf. p. 350-352). Sur l'île du Cuivre, les Russes et les dahalo abandonnant, sous le poids du swahili, son opposi
Aléoutes étaient des travailleurs de même statut, et tion entre les genres et ses marques diversifiées de pluriel.
l'imprégnation linguistique était réciproque. Selon les Je ne crois pas non plus, contrairement à d'autres auteurs
enquêteurs qui ont étudié cette langue mixte, les habitants (cf., par exemple, Myers-Scotton 1 992), que l'emprunt
sont persuadés qu'ils parlent en russe. Et de plus, cette d'une morphologie étrangère soit le signe d'un état mori
langue est très vivante et ne paraît pas, malgré le petit bond, et moins encore l'emprunt d'un lexique étranger que
nombre de ses locuteurs, être menacée d'extinction. On l'on associe avec une base grammaticale autochtone. Bien
peut en déduire que l'aléoute est ici le bénéficiaire d'un entendu, l'hybridité dérange. Les langues très composites
étrange salut par l'hybridation. Pour une langue amérin comme celles qui viennent d'être citées paraissent, aux
dienne du grand nord sibérien et canadien qui risquait de yeux de certains, n'être pas des langues normales Mais
« ».
disparaître, l'étroite symbiose avec le russe, réalisée à tra c'est la myopie du contemporain qui fausse le jugement.
vers celle de deux communautés, russe et aléoute, apparaît L'histoire des langues contient bien des cas d'emprunts sur
comme un facteur de maintien inattendu, mais efficace. une vaste échelle . La mixité peut être le résultat d'une lutte
pour s'adapter. Loin d'être une étape conduisant vers la
mort, elle apparaît, dans les cas cités ici, comme l'image de
Autres cas d'hybridation
la vie, c'est-à-dire d'un ajournement de la mort.
Il existe d'autres cas d'hybridation profonde. Le ma?a,
ou mbugu, en est un exemple. Parlé en Tanzanie du nord
est, le mbugu est une langue de la famille couchitique, qui
a emprunté aux langues bantoues voisines un grand La lutte contre le désastre
nombre de particularités de sa morphologie et de sa syn
taxe, tout en conservant un vocabulaire couchitique pour
l'essentiel. Un autre exemple est celui de la langue d'un Il n'existe pas seulement des facteurs de maintien des
groupe tzigane de Grande-Bretagne, qui associe une gram langues, contribuant à empêcher qu'elles ne disparaissent.
maire anglaise avec un lexique romani. Un autre encore Il existe aussi des initiatives concrètes que prennent les
est celui de la media lengua parlée en Équateur, qui
« »,
sociétés pour retenir, au bord du désastre, les langues que
possède une grammaire quetchua et un lexique espagnol. les ancêtres ont construites. l'étudierai successivement
Un autre enfin est celui du mitchif, langue mixte parlée dans cette section l'école, l'officialisation, l'implication des
dans une réserve indienne près de la localité de Lac La locuteurs, et le rôle des linguistes.
Biche et du lac du même nom, à 220 km au nord-est
d'Edmonton (Alberta, Canada), par une communauté de
244 • H A L TE À L A M 0 R T D E S L A N G UE S F A e TE U R S D E M A I N T I E N E T L U T T E . . . • 24 5
teur d'extinction. Plus généralement, il n'est pas paradoxal 6 000 enfants, environ, apprenaient le maori. Ce pro
d'affirmer que dans tout pays où domine une langue, gramme est donc, en quelque mesure, un succès. Certaines
l'absence, en certains lieux isolés, d'écoles où elle circonstances sont favorables. D'une part, le maori est
s'enseigne est une chance pour la langue dominée, sinon aujourd'hui la seule langue indigène de Nouvelle-Zélande,
même un élément, négatif, de sauvegarde. Cela apparaît, et sa promotion n'entre donc pas en concurrence avec
par exemple, dans les régions de Thaïlande où des langues d'autres entreprises. D'autre part, il existe une volonté
de minorités résistent à l'influence du thaï. Inversement, la affinnée des Maori de ranimer leur langue et de ne pas la
création d'écoles enseignant la langue dominée peut avoir laisser disparaître, dans la mesure où elle exprime des
un effet décisif pour la sauver, même lorsqu'elle est sur le valeurs qu'a perdues, selon eux, la société blanche, et aux
point de disparaître. C'est ce qu'attestent l'histoire du quelles ils sont attachés, notamment la tolérance et la
maori et celle du hawaïen. Le succès est moins évident solidarité.
dans le cas de l'irlandais et des langues de Sibérie.
La lutte pour le hawaïen
La renaissance du maori
Il s'agit ici encore d'une entreprise très récente.
En 1 867, le gouvernement néo-zélandais lança un pro L'exemple du maori a inspiré les membres de la commu
gramme d'éducation dans lequel l'anglais était la seule nauté hawaïenne, décidés à tout tenter pour sauver leur
langue présente. Le succès de ce programme fut d'autant langue au bord du gouffre. Car Hawaï est un des 50 États
plus grand que les Maoris avaient été alphabétisés dès américains, et il est facile d'imaginer ce que cela signifie
1 835 par les missionnaires, et que dix ans plus tard, le pour une langue minoritaire, comme l'est le hawaïen dans
nombre d'exemplaires du Nouveau testament était égal à la son propre pays. Initialement, les établissements d'immer
moitié de la population maorie. L'alphabétisation avait eu sion pour enfants d'âge préscolaire étaient une initiative
un effet tout à fait néfaste sur le maori, méprisé, de sur privée, dirigée par un professeur d'université. En 1 987, les
croît, par la population blanche, et en voie d'être entière trois qui existaient furent reconnus par le ministère
ment chassé par l'anglais. Cependant, un sursaut national hawaïen de l'éducation, et reçurent un financement d'État
eut lieu dans les années 1 970, c'est-à-dire à une date qu'on (cf. Zepeda and Hill 1 99 1 ). Les promoteurs parvinrent
aurait pu croire trop tardive, tant le maori était alors même à obtenir une dispense quant aux diplômes pure
malade : sur les 300 000 membres de cette nation, un quart ment pédagogiques qui sont requis pour enseigner, car le
environ se servaient de leur langue, et les enfants ne pouvoir voulut bien convenir que l'urgence ne justifiait pas
l'apprenaient plus. Les Maoris réclamèrent officiellement une telle précaution, le recrutement de personnes tout sim
la création d'écoles enseignant exclusivement leur idiome plement capables de parler aux enfants et de les instruire à
246 • HA L TE A LA M0 R T DES L A NG UES F A C T E U R S D E M A I N TI E N E T L U T TE . . . • 247
travers ce dialogue n'allant déjà pas de soi pour une langue savoir quels résultats produira cette politique, appliquée à
moribonde. On s'efforce néanmoins de former des maîtres, des langues en fort mauvaise santé, parlées par des popula
afin que cet enseignement soit étendu aux grades supé tions dispersées, et depuis longtemps fortement russifiées.
rieurs, au moins jusqu'au collège. On se heurte, sur ce
point, à un obstacle qui apparaît de manière récurrente
pour les langues menacées d'extinction : face aux enfants, L'OFFICIALISATION
dont on s'évertue à former un nombre croissant, les seuls
locuteurs naturels du hawaïen sont les plus âgés, en
Langue officielle et langue nationale. Du luxembourgeois
nombre assez faible et disparaissant progressivement.
et du rhéto-romanche
Pour répondre à ce défi, on invite les parents à apprendre
la langue en même temps que leurs enfants, et à tenter de Une reconnaissance officielle par l'État signifie, en
la parler avec eux dans leurs foyers ; on leur offre des cours fait, l'inscription d'une langue dans la Constitution de cet
pour adultes. En 1 987, une quinzaine d'enfants entre deux État. On répute officielle une langue que la loi soutient,
et cinq ans parlaient le hawaïen. que l'État a le droit d'utiliser dans ses relations diploma
tiques, et dans laquelle tout citoyen est habilité à
demander toute prestation, judiciaire, de services, etc. Les
Les tribulations de l'irlandais
langues nationales ne sont pas nécessairement officielles,
Je n'insisterai pas ici sur ce point, déjà traité ailleurs bien qu'on leur accorde une reconnaissance de facto. Tel
(cf. Hagège 1 994, 242-245). Je rappellerai seulement l'exis est le cas, au Luxembourg, du luxembourgeois, dialecte
tence des gaeltachtai, c'est-à-dire les zones, toutes situées à moyen-allemand du groupe francique mosellan, qui est la
la périphérie dans les comtés de l'ouest (abris historiques langue de la famille, des affaires et des tribunaux, et
des Celtes), où les modes de vie traditionnels ont maintenu auquel sont attachés les habitants, comme à la marque
l'usage de l'irlandais, et où il est le vecteur de l'enseignement même de leur personnalité, sans avoir, pour autant, choisi
dans les écoles. Ce sont les seuls conservatoires vivants de de l'officialiser, attribuant ce statut au français, et assi
cette langue. Deux facteurs ont conjugué leurs effets pour gnant une place culturelle importante à l'allemand.
rendre très difficile une véritable restauration : la politique L'ensemble formé par les parlers rhéto-romanches des
britannique d'élimination de l'irlandais, conduite durant Grisons est aussi langue nationale en Suisse, mais non
plusieurs siècles à partir du xvne, et bien entendu le prestige langue officielle, ce qui implique simplement un soutien
universel de l'anglais dans le monde contemporain. financier du canton et de la Confédération (cf. Hagège
1 994, 1 54- 1 55 ) . Beaucoup de langues dominées, ne jouis
sant pas du statut de langue nationale, pour ne rien dire
Les langues de Sibérie de celui de langue officielle, ont mené un long combat
Plusieurs langues de Sibérie font l'objet, depuis pour la reconnaissance. J'ai souligné plus haut que dans
quelques années, d'un effort d'introduction à l'école élé l'Union Înùienne, ce combat a abouti, pour certaines, à la
mentaire parmi les matières d'enseignement, dans les reconnaissance d'un État ou d'un Territoire, organisé
régions où ces langues se parlent. Il s'agit du yukaghir, du autour d'un grand centre urbain.
nivkh, de l'ulch, du selkup, du két. Il est trop tôt pour
248 • HA L T E A LA M0R T D ES LA NG UES FA C TE U R S D E M A I l'Y T l E N E T L UT TE.. •
• 249
mais aussi sauvés de la servitude par les prêtres, qui, pour se le manque est préjudiciable : un travail de normalisation,
donner les moyens de les évangéliser, les isolent des exploi fixant une forme de la langue qui, parmi les variantes dia
teurs, c'est-à-dire d'une partie de la société espagnole. Ils lectales, sera celle qui fera autorité.
sont ({ invités » à cesser d'être nomades, païens, « pares I..: âge d'or prend fin avec le départ des Jésuites, et une
seux » . Ils sont d'abord dirigés, dès 1 575, par les Francis nouvelle période s'ouvre à la fin du XVIne siècle, qui aboutit,
cains, puis, à partir de 1 605, par les Jésuites. vers le milieu du XIXe, à une tout autre politique : le mercan
Il se trouve qu'au même moment, dans le débat qui tilisme libéral, soucieux d'ouvrir le Paraguay à la modernité
gagnait les cours européennes sur les langues à utiliser et aux modes de production du capitalisme européen,
pour christianiser, les Jésuites prenaient position en faveur s'empresse de bannir le guarani de l'école secondaire et de
des « vernacularistes » plutôt que des « latinistes » . Ils y promouvoir l'espagnol seul. Mais un nouveau paradoxe du
étaient encouragés par le roi Philippe II lui-même, qui, bel et dramatique destin du guarani fut sa renaissance à
plus tolérant sur ce point que son père, recommandait de partir de 1 870, en réaction à la terrible Guerre de la triple
ne pas contraindre les Indiens à abandonner leurs langues alliance, tentative de génocide de la population de ce pays
pour le castillan brutalement imposé. La consolidation des par ses voisins d'Argentine, du Brésil et d'Uruguay, inquiets
Réductions, l'étroite relation entre missionnaires et de ses progrès économiques et excités contre lui par la
Indiens, et les besoins de l'évangélisation se substituant Grande-Bretagne. À l'intention de génocide s'ajoutait celle
aux mauvais traitements sous le régime précédent, eurent de linguicide : un représentant des intérêts des États-Unis
pour effet de rendre indispensable la maîtrise du guarani, recommandait l'extermination des Guaranis et de leur
et conduisirent à une politique linguistique assez diffé « langue diabolique }) (Villagra-Batoux: 1 996, 276-277).
rente de celle que d'autres Jésuites adoptaient au Mexique. Durant la plus grande partie du xxe siècle, et notam
Le guarani occupa bientôt une place quasiment égale à ment sous la dictature militaire qui, succédant à d'autres,
celle de l'espagnol dans la vie civile. gouverna le pays de 1 954 à 1 989, le guarani fut loin de
Vu le contexte culturel de l'époque, marqué par le connaître, ni à l'école ni dans la vie publique, l 'éclat qu'il
passé et par l'histoire du latin, cela signifiait aussi l'accès à avait connu de 1 575 à 1 768. C'est pourquoi il convient de
l'écriture, situation d'autant plus étonnante que l'imposi considérer l'événement de 1 992 comme une révolution
tion du castillan était vécue comme celle d'une langue qui autant que comme un accomplissement : l'article 1 40 de
avait ravi au latin, mais en même temps hérité de lui, le la nouvelle Constitution déclare le guarani langue offi
prestige d'être écrite. Les Jésuites, s'éprenant véritable cielle du Paraguay à côté de l'espagnol, cependant que
ment du guarani, langue belle et subtile, lui donnèrent la l'article 77 stipule l'obligation de l'éducation bilingue.
dignité littéraire d'un idiome indien cultivé. Finalement, ce Deux ans plus tard, les travaux du Consejo Asesor de la
« guarani jesuitico » fut même promu par eux seule langue Refonna Educativa aboutissent à l'introduction de l'éduca
officielle dans toute la Province. Il demeura, sous leur tion bilingue dans la totalité des écoles du Paraguay, fai
régime, seule langue d'enseignement, pour toutes les sant de ce pays le seul d'Amérique latine, jusqu'à présent, à
matières scolaires. Conservant le système de transcription avoir donné un tel statut à une langue amérindienne.
graphique du frère dominicain Luis de Bolafios, ils firent Malgré le nombre de locuteurs, cette nouveauté est à
aussi pour le guarani ce qui assure à tant de langues euro considérer comme un facteur de lutte nécessaire, car
péennes un statut solide, et dont j'ai dit plus haut combien dans le contexte du monde moderne, toutes les langues
252 • H A L TE A L A M O R T D E S L A N G U E S F A C T E U R S D E M A I N TI E N E T L U TT E . . • • 253
amérindiennes, sans exception, sont exposées a u péril de elles. J'examinerai ici quelques exemples d'Amérique du
disparition. Nord et d'Amérique latine.
11 n'est pas indifférent d'ajouter que dans un pays peu
éloigné du Paraguay, les langues indiennes n'ont pas joui
États-Unis et Canada
du même privilège. L'Uruguay est un pays sans Indiens,
seul dans ce cas parmi tous ceux d'Amérique latine, car les • « US English )} et les réactions indiennes
populations d'origine y ont été exterminées, en particulier
les Cha1.11la s, que le général Rivera attira dans un guet En Amérique du Nord, un des continents où les
apens meurtrier en 1 83 1 . Pourtant, les traces de langues langues autres que l'anglais sont le plus menacées, la prise
indiennes y sont nombreuses, à commencer par celles qui de conscience des indigènes a été favorisée, en quelque
s'observent dans son nom même, qui est guarani (dans mesure, par un assez curieux phénomène. Les États-Unis,
cette langue, uruguâ signifie escargot )} et y « fleuve }}).
({
comme on sait, n'ont pas de langue(s) officielle(s) (tradi
On doute, aujourd'hui, que toutes les langues d'Uruguay tion de « pragmatisme anglo-saxon », comme aiment à
soient apparentées au guarani, dont la présence dans la dire les gourmands de lieux communs ?), et l'anglais n'y
toponymie pourrait être due à celle d'un grand nombre de possède un statut d'écrasante domination que selon la cou
Guaranis, qui quittèrent les Réductions des Jésuites après tume, et non selon la loi. Du moins jusqu'au milieu des
l'expulsion de ces derniers (cf. Pi Hugarte 1 998). Mais on années 1 980. En effet, depuis lors, un mouvement dit « US
English », initialement issu, en 1 983, d'une organisation
est sûr qu'il y eut de nombreuses tribus indiennes de chas
(raciste?) de parents hostiles à l'immigration, a commencé
seurs, dont les langues ont disparu avec leurs locuteurs,
d'agir.
qu'il s'agisse du Iule, du vilela, auxquels on rattache parfois Fort de nombreuses adhésions à travers tout le pays, ce
le cha1.11la ainsi qu'une langue également disparue, le mouvement pousse les États à légaliser l'anglais comme
chanâ, ou de toutes celles dont on n'a d'autres traces que langue officielle, en attendant qu'il obtienne ce statut au
de brefs vocabulaires établis par des missionnaires. niveau fédéraL Son dessein explicitement proclamé est
d'empêcher l'institutionnalisation des langues d'émigrés
({
amérindiennes, sans exception, sont exposées au péril de elles. J'examinerai ici quelques exemples d'Amérique du
disparition. Nord et d'Amérique latine.
Il n'est pas indifférent d'ajouter que dans un pays peu
éloigné du Paraguay, les langues indiennes n'ont pas joui
États-Unis et Canada
du même privilège. L'Uruguay est un pays sans Indiens,
seul dans ce cas parmi tous ceux d'Amérique latine, car les
• « US English » et les réactions indiennes
populations d'origine y ont été exterminées, en particulier
les Chamias, que le général Rivera attira dans un guet En Amérique du Nord, un des continents où les
apens meurtrier en 1 83 1 . Pourtant, les traces de langues langues autres que l'anglais sont le plus menacées, la prise
indiennes y sont nombreuses, à commencer par celles qui de conscience des indigènes a été favorisée, en quelque
s'observent dans son nom même, qui est guarani (dans mesure, par un assez curieux phénomène. Les États-Unis,
cette langue, urugud signifie « escargot » et y « fleuve »). comme on sait, n'ont pas de langue(s) officielle(s) (tradi
On doute, aujourd'hui, que toutes les langues d'Uruguay tion de « pragmatisme anglo-saxon », comme aiment à
soient apparentées au guarani, dont la présence dans la dire les gourmands de lieux communs ?), et l'anglais n'y
toponymie pourrait être due à celle d'un grand nombre de possède un statut d'écrasante domination que selon la cou
Guaranis, qui quittèrent les Réductions des Jésuites après tume, et non selon la loi. Du moins jusqu'au milieu des
années 1 980. En effet, depuis lors, un mouvement dit « US
l'expulsion de ces derniers (cf. Pi Hugarte 1 998). Mais on
English », initialement issu, en 1 983, d'une organisation
est sûr qu'il y eut de nombreuses tribus indiennes de chas
(raciste?) de parents hostiles à l'immigration, a commencé
seurs, dont les langues ont disparu avec leurs locuteurs, d'agir.
qu'il s'agisse du Iule, du vilela, auxquels on rattache parfois Fort de nombreuses adhésions à travers tout le pays, ce
le chamia ainsi qu'une langue également disparue, le mouvement pousse les États à légaliser l'anglais comme
chana, ou de toutes celles dont on n'a d'autres traces que langue officielle, en attendant qu'il obtienne ce statut au
de brefs vocabulaires établis par des missionnaires. niveau fédéral. Son dessein explicitement proclamé est
d'empêcher « l'institutionnalisation des langues d'émigrés
'
en concurrence avec l'anglais Il se trouve qu'un aspect du
» .
L IMPLICATION DES LOCUTEURS
programme d'US English présentait la préservation des
« langues américaines autochtones comme « une obliga
»
Par implication des locuteurs, il faut entendre aussi tion intellectuelle à l'égard de ces langues, qui « ne sont
»
bien la sensibilisation des locuteurs entreprise du dehors, parlées nulle part ailleurs au monde » (cf. Zepeda and Hill
que l'engagement spontané de la communauté en faveur 1 99 1 ). Or paradoxalement, cet aspect n'ayant, volontaire
de la promotion de sa langue menacée. C'est donc d'une ment ou non, reçu aucune publicité, les communautés
œuvre, nécessairement artificielle pour une part, de réani indiennes ne retinrent d'US English qu'un fait : en s'oppo
mation ou de revitalisation qu'il s'agit ici. sant au financement des programmes d'éducation bilingue,
Les programmes de réanimation de langues sont ce mouvement menaçait les langues amérindiennes.
nombreux de par le monde, à raison même de la prise de C'est ainsi qu'US English a été le moteur indirect
conscience des risques encounlS par beaucoup d'entre d'une floraison d'initiatives prises, en faveur de leurs
254 • H A L TE À L A M O R T D E S L A N G U E S FA C T E U R S D E M A I N T I E N E T L U T T E . • . • 255
langues, par les Indiens, que motivait la crainte de voir 1 972, les principaux représentants de la nation mohawk
l'anglais devenir, à travers un amendement de la Constitu qui vivaient au Québec organisèrent à Kahnawà:ke un
tion, langue officielle des États-Unis. Bien entendu, le système scolaire d'immersion, en utilisant des manuels
programme d'US English n'est pas la seule cause de cette confectionnés par les chercheurs (cf. ci-dessous {( Le rôle
floraison. Quoi qu'il en soit, en 1 990, les organes directeurs des linguistes »). Les adultes décidèrent de parler mohawk
des tribus sioux, chippewa, ute, yaqui, havasupai, apache entre eux. Bientôt les enfants s'habituèrent à voir dans
et navaho, se fondant sur leur statut légal de nations souve cette langue un bien propre à leur nation. La preuve fut
raines possédant, avec les États comme avec les autorités apportée que l'apprentissage du mohawk n'était pas un
fédérales américaines, des relations de gouvernement à obstacle à celui de l'anglais, ni à celui du français, néces
gouvernement, avaient adopté des mesures linguistiques, saire au Québec, le plus souvent, pour trouver du travail.
au terme desquelles la langue indienne est réputée langue Beaucoup reste à faire, il est vrai. Mais un seuil psycholo
officielle de la tribu, et l'anglais langue seconde. Après gique a été franchi, et la lutte pour sauver cette langue en
diverses péripéties, les Indiens parvinrent à faire voter par perdition est bien amorcée.
les deux chambres du Congrès un Native American Lan
guage Act, qui garantit la préservation, la protection et la • Le hualapai et l'expérience de Peach Springs
promotion des langues américaines autochtones (y com
Une autre langue d'Amérique du Nord, le hualapai,
pris celles de l'Alaska, et en y ajoutant celles de Hawaï et
appartenant au groupe yu ma de la grande famille hoka
des îles du Pacifique ( Micronésie) sous administration des
États-Unis), ainsi que le droit de les utiliser et d'en déve sioux, et parlé autrefois dans la basse vallée du Colorado, a
fait l'objet, à partir de 1 975, d'un programme d'éducation
lopper la pratique. Le gouvernement canadien avait pris
bilingue destiné à contenir une progression alarmante de
des mesures semblables précédemment.
l'érosion. Dans les années 1 980, l'expérience dite de Peach
Springs, du nom de la localité de l'Arizona septentrional,
• La réanimation du mohawk
sur la frange sud-ouest du Grand canyon, où elle a été ins
Les principes ainsi recommandés par un vote officiel tallée, était citée partout chez les Indiens des États-Unis.
relèvent de l'idéal. Ils devraient, certes, contribuer, s'ils Lorsque le programme fut lancé, près de 50 % des Hua
sont appliqués, à sauver ce qui peut l'être. Mais il est utile lapai avaient l'anglais pour langue première. La situation
d'examiner quelques cas pratiques d'implication des locu semble s'être améliorée, mais, en dépit des efforts prodi
teurs dans la défense de leur langue gravement menacée. gués, ainsi que du dévouement et de la compétence du
Je commencerai par une langue iroquoise, appartenant à personnel, la baisse régulière du financement fédéral
une tribu dont le contact avec les Blancs remonte au constitue un élément négatif (cf. Zepeda and Hill 1 99 1 , 1 46).
XVIIe siècle, l e mohawk. Les locuteurs de cette langue
étaient connus pour leur éloquence et leur goût de l'élé
Guatemala, Nicaragua
gance verbale. Cependant, le mohawk, comme tant
d'autres langues d'Amérique du Nord, ne s'entendait On a vu que sur la vingtaine actuelle de langues de la
presque plus en public au début des années 1 970, et seuls famill e maya, cinq seulement, le yucatec, le quiché, le
les anciens s'en servaient peut-être encore en privé. En qeqchi, le kakchiquel et le mam paraissent relativement
256 • H A L TE À L A M O R T D E S L A N G U E S
F A C T E U R S D E M A I N TI E N E T L U T T E . . . • 257
valides, avec un nombre de locuteurs variant entre 400 000 le rôle que les linguistes peuvent jouer dans la lutte contre
et 1 000 000. Pour les consolider et pour préserver toutes le désastre des extinctions de langues humaines en grand
les autres, dont la situation est beaucoup plus précaire, les nombre et partout n'est certainement pas négligeable. Ce
Mayas du Guatemala, après la guerre civile qui a ravagé ce rôle s'exerce sur les deux plans du travail linguistique pro
pays au début des années 1 980, ont établi une Académie prement dit et de l'action auprès des populations de locu
��s langues mayas, qui a été reconnue officiellement par teurs, comme on va le voir maintenant.
1 Etat en 1 99 1 . Un alphabet valable pour l'ensemble de la
famille a été élaboré et légalisé par décret présidentiel. Il
existe encore d'autres institutions, qui ont pour but de Les tâches ordinaires du linguiste professionnel
donner aux élites maya une formation linguistique, afin et le tribut au terrain
qu'elles puissent organiser la normalisation.
Un cas remarquable est, au Nicaragua, celui du rama, • Les travaux savants
langue de la famille chibcha, parlée au milieu des années
1 980 par 25 personnes environ, et victime d'une profonde Comme toute science, la linguistique propose des
dépréciation aux yeux mêmes de ses locuteurs, en corréla modèles théoriques. Mais elle doit aussi les mettre à
tion avec le passage à l'anglais sous l'influence des mission l'épreuve, sous peine de stérilité. Certains linguistes ali
naires moraves dans la seconde moitié du XlXe siècle (cf. mentent la théorie linguistique de sa propre substance
Craig 1 992) . La Révolution sandiniste, après avoir voulu indéfiniment déglutie. D'autres, eux aussi linguistes profes
promouvoir une éducation générale en espagnol, s'adapta sionnels et donc théoriciens, pratiquent et défendent une
aux demandes des populations de la côte atlantique, pour linguistique des langues, à la fois comme préalable et
lesquelles elle établit un statut d'autonomie. À ce facteur comme aboutissement d'une recherche des traits linguis
favorable mais insuffisant s'ajouta l'implication des locu tiques universels, ainsi que d'une linguistique du langage.
teurs, et en particulier d'une femme qui, s'étant éprise du Cela suppose un affrontement des réalités de beau
rama, avait engagé toute son énergie pour le préserver de coup de langues, notamment à travers des séjours sur le
la mort. Elle n'en était pourtant pas une locutrice de terrain. Et là comme dans le lieu où il se retire pour réflé
naissance ! chir et composer, les tâches ordinaires qui attendent le
linguiste sont multiples. Il doit, sur la base des éléments
appris auprès de ses informateurs, rédiger une phono
LE RÔLE DES LINGUISTES
logie, une grammaire, un dictionnaire, un recueil de
récits traditionnels ou plus généralement de littérature
Les linguistes, ou du moins les linguistes qui s'intéres� orale, qu'il transcrira, quand la langue n'a pas de système
sent aux langues concrètes à travers le monde, sont néces reconnu d'écriture, selon un mode de graphie qu'il lui
sairement parmi ceux que la mort des langues laisse le appartient de fixer lui-même, avec l'assistance des plus
moins indifférents. Ce phénomène les préoccupe assez motivés parmi ses informateurs. Cet aspect orthogra
pour être devenu une nouvelle thématique au sein des phique de sa tâche met en pleine lumière l'importance du
études linguistiques, et pour faire l'objet, déjà, d'un grand concours qu'il est censé apporter aux populations. Car
nombre de travaux et de réunions savantes. C'est pourquoi l'orthographe qu'il élabore et qui, en général, ayant un
258 • H A. L T E .4. L A M O R T D E S L A N G U E S F A C T E U R S D E M A IN TI E N E T L U T T E . . . • 259
but scientifique, ne notera que ce qui est distinctif parmi universités des Pays-Bas à l'époque où le pays était une
les sons et non chacun des détails de toute production colonie néerlandaise, 6 % seulement sont connues d'une
sonore, est souvent prise par les informateurs comme m anière satisfaisante. Mais à cette raison impérative d'agir
modèle pour répondre à leurs propres besoins de mise en en toute hâte s'en ajoute une autre : les travaux que laisse
écriture. le linguiste sont les seuls témoignages existants sur une
langue, dans les cas, nombreux, où elle n'a jamais été
• L'urgence du combat contre le temps décrite avant qu'il ne vienne sur place pour ]'étudier. Sans
les travaux du linguiste, une langue inconnue avant lui et
Le linguiste qui sait qu'une langue est menacée est en voie d'extinction s'engouffrerait dans l'oubli, et avec
plus particulièrement incité à en faire la description que si elle, toute la culture qu'elle exprime.
elle est parlée par des locuteurs très nombreux et de tous
âges. C'est une tâche douloureuse autant qu'exaltante que
• L'éminente vocation des témoignages et supports :
de recueillir sur les lèvres d'un vieillard les dernières
livres, enregistrements sonores, Internet
phrases qu'il peut encore produire d'une langue qu'il ne
consent pas facilement à parler, car il n'a plus d'interlocu C'est pourquoi le travail de linguiste revêt une si haute
teur naturel avec qui la partager. Et fréquemment, le signification. Il est le germe d'une résurrection possible.
linguiste sait que lors de son prochain séjour, le vieil infor En d'autres termes, s'il ne sauve pas de l'extinction une
mateur ne sera plus là pour lui transmettre ce dont il se langue qui en est gravement menacée, il procure les élé
souvenait encore. Plus une langue menacée est isolée sur le ments qui peuvent permettre de lui redonner un souffle, à
plan génétique (c'est-à-dire dépourvue de parentes au sein condition qu'un vouloir puissant se manifeste pour la res
d'une même famille linguistique), et en outre plus elle est taurer. On pourrait soutenir, évidemment, que les travaux
isolée sur le plan typologique (c'est-à-dire seule témoin du laissés par le linguiste confèrent à la langue éteinte un
type de structure, phonologique, grammaticale ou lexicale, profil de conservation qui est celui d'un objet de musée.
qu'elle illustre), plus il est urgent de la décrire avant qu'elle Mais il faut rappeler qu'en dehors des livTes qu'il écrit, tout
ne meure. linguiste, en principe, se sert aussi d'enregistrements
Mais la description qu'en fera le linguiste ne servira sonores. Certes, ces supports sont aussi matériels et peu
pas seulement la science. Ce serait déjà un motif bien suffi vent un jour se dégrader, mais leur durée de vie est, quoi
sant pour agir au plus vite, que la prise de conscience d'une qu'on dise, assez longue, et ils peuvent beaucoup pour
dramatique réalité : la linguistique pourrait bien, si les lin ceux qui seront déterminés à s'en servir. Leur nombre
guistes ne se hâtent pas d'aller explorer les très nom s'enrichit aujourd'hui d'un nouvel apport : les sites sur
breuses langues encore inconnues qui sont menacées de Internet, dont je parlerai en conclusion de ce livre.
mort, être la seule science qui aura tranquillement laissé
disparaître 50 % à 90 % du matériau sur lequel elle • La part prise à l'effort de standardisation
travaille ! Pour ne prendre qu'un exemple des tâches qui Les linguistes sont souvent sollicités par les respon
restent à accomplir, il suffit de dire que sur les quelque 670 sables de la politique des langues, en particulier dans les
langues d'Indonésie, en dépit des nombreux et bons tra pays plurilingues, pour donner leur opinion ou leurs sug
vaux qu'ont accomplis les linguistes de Leyde et d'autres gestions quant au travail, souvent nécessaire, de mise au
260 • HA L TE A LA /IiI 0 R T D E S L A N G UES
F A C TE U R S DE M A I N TI E N E T L U T TE . • . • 261
sorte de paradoxe, les meilleurs informateurs fournissent relIe de leur héritage, très soucieux de se faire entendre
la matière, et c'est le linguiste qui, formé pour l'interpréter des spécialistes, un groupe de Mayas organisa à Antigua
et la systématiser, la ressert comme terreau d'enseignement en 1 985 un Atelier, qui adressa trois sommations explicites
à la masse des autochtones en voie d'oublier leur langue ! aux linguistes étrangers : ne pas contribuer aux divisions
Souvent, les locuteurs qui n'ont pas les moyens de lancer un internes de chaque langue maya, ne pas isoler les locuteurs
programme de réanimation de leur langue en danger, appré lors du travail sur leur propre langue, ne pas monopoliser
cient que le linguiste laisse une description, destinée à la méthodologie linguistique et les connaissances sans les
empêcher qu'elle ne soit oubliée. Tel est le cas, par exemple, faire partager aux peuples mayas. Quatre ans plus tard,
des Yimas de Papouasie-Nouvelle-Guinée. dans un nouvel Atelier, ce même groupe affirme que faire
de la linguistique est un acte essentiellement politique, et
• Laide à la réanimation que le financement de telle recherche linguistique plutôt
que telle autre répond à des choix politiques. Le plus déter
Dans certains cas rares, mais attestés, l'action de lin miné des membres de ce groupe déclare ouvertement
guistes joue un rôle important, en contribuant à réanimer (Cojtf Cuxil 1 990, 1 9) que le règne ancien du colonialisme
une langue en déshérence. Lurat, langue papoue de la pro� espagnol au Guatemala a réduit les langues mayas à un
vince du Sepik oriental, en Nouvelle-Guinée, était en voie statut subordonné, et les condamne à mourir, en sorte que
d'être abandonné au bénéfice du tok pisin. Mais les lin les linguistes ne peuvent aucunement se vouloir neutres ou
guistes qui ont exercé leur activité dans cette région ont apolitiques, et sont confTOntés à une alternative : ou bien
tant fait pour revaloriser l'urat aux yeux des usagers, qu'il une complicité active avec l'ordre colonial, ou bien un
connaît une sorte de nouvelle floraison. Un autre cas est engagement en faveur d'un ordre linguistique nouveau, qui
celui de l'atacamefio, autrefois parlé dans la région déser respecte les droits de toutes les communautés.
tique du même nom, au nord du Chili. Sans parvenir à Un détail qui pourra surprendre concerne les
réintroduire dans l'usage quotidien cette langue, qui était exemples. Les Mayas de ce groupe n'apprécient guère que
moribonde dès la seconde moitié du XIX' siècle, les cher les verbes signifiant « tuer » ou « frapper » apparaissent
cheurs étrangers l'ont rendue de nouveau estimable à ses dans de très nombreux exemples, et jugent que le linguiste
propres usagers, qui l'abandonnaient pour l'espagnol, au qui donne ces exemples offre de leur peuple l'image fort
point qu'aujourd'hui, beaucoup d'indigènes peuvent pro négative d'un ensemble d'assassins et d'êtres violents. Les
duire des mots et expressions si on le leur demande Mayas qui ont reçu une formation linguistique savent
(cf. Adelaar 1 99 1 , 50). Tant il est vrai qu'une soHicitude pourtant bien que dans toute langue humaine où l'on
inattendue venue de l'extérieur a le pouvoir d'entretenir la étudie le phénomène de grammaire appelé transitivité, les
mémoire, par le plaisir qu'elle procure à ceux qui ne notions « tuer }) ou frapper » présentent un avantage
{(
croyaient plus en leur langue. important : ceux qui participent à ces actions peuvent être
indifféremment un « je un « tu un il », etc., et au sin
», », «
tuent) soumettent des patients (ceux qui sont frappés ou son complément éventuel. Et pourtant, il demeure vrai que
tués) à un processus conduit jusqu'à son terme, ce terme la demande des populations directement concernées par
étant même, dans un des deux cas, la suppression du son travail ne saurait être ignorée. Le mieux qu'il puisse
patient ! Ce sont bien les structures syntaxiquement révé faire est de leur fournir tous les instruments qu'elles récla
latrices comme celle-là qui sollicitent l'attention des spé ment, de leur montrer une grande attention et de faire, dans
cialistes des langues. Est-ce donc un égarement, que de leur intérêt, le travail le plus approfondi possible.
s'intéresser aux formes ? Les locuteurs n'admettent pas
aisément que ce soit la vocation même du linguiste. Car
pour eux, la langue est d'abord faite pour produire du sens LA VOLONTÉ, CHEZ LES LOCUTEURS,
grammaire.
Mais les Mayas ne sont pas seuls à le penser. Les lec Un solo dans une autre tonalité
teurs britanniques sont tout aussi sensibles sur ce point : à
la fin des années 1 970 (cf. Sampson 1 980, 66 n. 1 ), le direc Face au concert des voix qui avertissent des périls, une
teur d'une respectable maison d'édition retira de la vente autre opinion s'est exprimée, à peu près contraire, et qui
tous les exemplaires d'un ouvrage de linguistique à la veille n'est probablement pas si isolée. Selon cette opinion (cf.
de sa parution ; en effet, cet ouvrage illustrait, lui aussi, les Ladefoged 1 992), c'est du paternalisme que de vouloir faire
faits de transitivité à grand renfort d'exemples où des John, revenir à leurs langues ceux qui ont pris le parti de s'en
des Bill et des Mary n'avaient d'autre occupation que de écarter, et il n'appartient pas aux linguistes de contrecarrer
massacrer méthodiquement leur entourage ; l'éditeur crai les choix des locuteurs. En fait, à ma connaissance, aucun
gnit donc que les lecteurs qui portaient ces prénoms, tout à linguiste n'a jamais exercé de pression directe, physique
fait courants, n'eussent la tentation d'engager des pour par exemple, pour contraindre les locuteurs d'une langue
suites pour obtenir réparation de l'outrage qui leur attri en voie de disparition à la parler de nouveau ; et en tout
buait une conduite ignoble de tueurs en série. On peut état de cause, l'impossibilité d'une telle conduite est assez
comprendre que le linguiste soit embarrassé devant ces évidente pour en rendre risible l'évocation. J'ai analysé au
attitudes, si même des locuteurs de langues qui ne sont chapitre VII les causes de l'extinction des langues, et il doit
aucunement menacées s'opposent à l'image diabolique que apparaître clairement que ceux qui cessent de parler leur
donnerait d'eux, selon leur opinion, un traité de linguis langue n'agissent pas sous l'effet d'un caprice, qu'ils y
tique qui était fort éloigné d'avoir une telle intention. soient conduits par la pression des événements, ou qu'ils
On ne peut esquiver le problème que posent aux lin en fassent, ou croient en faire, librement le choix. S'il est
guistes des revendications comme celle des Mayas. Les lin vrai que pour leurs descendants, la pratique d'une langue
guistes sont formés à la rigueur scientifique, au souci d'un qui n'est pas celle des anciens a le caractère de l'évidence,
examen objectif » des faits, au bannissement de toute
« car ils y sont nés, et ne savent du monde où régnait l'autre
prise de position subjective ou normative, à la recherche des que ce qu'on leur en a conté, en revanche, une bonne part
modèles de phrases qui donnent le plus fidèlement possible de ceux qui vivent le changement le perçoivent comme un
l'image du fonctionnement d'une langue, notamment de la malheur. C'est ce qu'attestent un grand nombre de réac
relation qu'entretient le verbe avec son sujet, ainsi qu'avec tions positives au travail des linguistes.
266 • H A L TE À L A M 0R T D E S LA N G UES F A C TE U R S D E M A I N TI E N E T L U T TE . . . • 267
tiel est la volonté des locuteurs. Mais cette volonté est elle
La défense à motivations politiques ou économiques
même un résultat. Ce dont elle résulte, ce sont les causes
économiques et sociales analysées au chapitre VII, et qui,
J'ai entendu des adversaires des langues indiennes des elles, ne dépendent pas de la volonté de ceux qu'elles
États-Unis, que je ne puis citer nommément car il s'agissait conduisent à abandonner leurs langues.
d'anonymes rencontrés en voyage ou en mission, soutenir On peut certainement admettre que la mort des
que les tribus qui affectent de promouvoir ces langues, langues est un phénomène aussi naturel que celle des cul
dont elles ne se servent plus, obéissent à d'autres motiva tures. Mais on doit également comprendre qu'en perdant
tions que purement culturelles. L'exigence de restauration sa langue, une société perd beaucoup, et que ceux qui ont
linguistique ne serait pas sincère. Il s'agirait, en réalité, pour vocation de décrire les langues voient dans leur mort
d'un étendard noble, derrière lequel s'abriteraient des celle de témoignages précieux de la créativité des hommes.
revendications économiques, comme la possession d'un C'est assez pour qu'il ne soit pas illégitime de lutter contre
territoire dont le sous-sol recèle d'abondantes ressources. ce phénomène, tant qu'il est encore possible de le faire,
Ou bien la défense de la langue cacherait des visées poli sans aveuglement, certes, sans outrance artificielle, mais
tiques, comme l'autonomie administrative d'une région aussi sans faiblesse.
habitée par telle ou telle ethnie. Je n'ai pas les moyens de
vérifier le bien-fondé de ces déclarations. S'il devait
s'avérer qu'il en est bien ainsi dans les faits, on ne voit pas
en quoi la promotion linguistique pourrait souffrir d'avoir
été prise comme prétexte, pourvu qu'elle soit réalisée. En
outre, la mort des langues indiennes d'Amérique est étroi
tement liée à l'expulsion violente hors de leurs territoires
traditionnels, dont furent victimes les tribus autochtones
au cours du XIXe siècle. La revendication de ces territoires
ne peut que favoriser les langues indiennes.
La liberté du choix
1
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, T
3 70 • HA L T E À L A M O R T D E S L A N G U E S R É FÉR E N CE S . 371
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