Université Paris 7
M2 Géographie des pays émergents et en développement
Cours Mondialisation et intégration des territoires
Année 2008 - 2009
Les nouveaux médias dans l’espace arabe : entre contrôle et libéralisation. Une insertion
inégale dans la mondialisation
Cette diversité n’est pas sans en rappeler une autre, celle du monde arabe, dont
l’appellation, si elle suggère une définition unitaire, regroupe néanmoins une multiplicité de
cadres sociaux-culturels. Ce jeu entre unité et diversité se retrouve également lorsque l’on
s’intéresse à la question de la mondialisation et des nouveaux médias dans le monde arabe. En
effet, si le monde arabe présente plusieurs spécificités communes, telles qu’un déficit de
démocratie, des obligations liées à la charia, et un contrôle fort de l’information, l’insertion
des différents Etats dans la mondialisation apparaît cependant inégale, dépendant de leur
niveau de développement ainsi que du degré d’ouverture des régimes en place. Cette
différenciation se traduit alors par des règlementations juridiques et des stratégies des régimes
politiques fortement variées en ce qui concerne le développement des médias. Ainsi, si le
Qatar, les Emirats Arabes Unis ou encore le Liban ont fait le choix de la libéralisation, le
contrôle étatique reste très étroit en Arabie Saoudite, en Syrie ou en Irak. En effet, dans ce
dernier pays, les sites Internet gouvernementaux font l’objet d’un discours de propagande
omniprésent et Internet ne représente alors qu’un nouveau moyen de communication pour
assurer la diffusion du même contenu que celui de la radio et de la télévision officielles. En
revanche, les Emirats ou même l’Egypte n’hésitent plus à faire évoluer leur droit national afin
de multiplier les espaces dérogatoires échappant aux lois de la censure, et favorisant ainsi les
investissements économiques, notamment dans le domaine des médias. La cité des médias
créée à Dubaï, rassemblant tous les grands groupes de l’information et de la communication, a
ainsi été érigée en zone franche en 1999, de même que la cité de production médiatique
établie en Egypte en 2000, convertie en zone franche afin d’attirer les investissements.
Les situations sont néanmoins multiples entre ces deux extrêmes, comme l’atteste la
« modernisation autoritaire » menée dans le cas tunisien. La politique volontariste de
diffusion d’Internet liée à une volonté d’intégration dans l’espace mondialisé et
d’appropriation des opportunités offertes par les nouvelles technologies s’est en effet
accompagnée d’une réglementation et d’un contrôle stricts, rendus possible par l’architecture
très centralisée de l’organisation technique et administrative d’Internet en Tunisie. L’Agence
tunisienne d’Internet, créée par décision présidentielle en mars 1996 contrôle ainsi l’ensemble
des fournisseurs de services Internet : elle seule est habilitée à fournir les autorisations
nécessaires à leur exercice, et les fournisseurs ont l’obligation de faire valider leur projet de
tarification par l’Agence et de lui soumettre la liste de leurs abonnés. Tout courrier
électronique passant obligatoirement par les serveurs de ces fournisseurs de services Internet
depuis la fermeture des accès à des serveurs extérieurs pourvoyeurs d’adresses électroniques
(type wanadoo ou hotmail), cette structure permet alors à l’Agence d’effectuer un contrôle sur
les contenus.
Les médias dans l’espace arabe : un révélateur des débats nationaux relatifs à
l’insertion dans l’espace mondialisé
Cette tentative de conciliation entre ouverture technologique et économique et
impératifs politiques (légitimité du pouvoir, maintien des valeurs nationales) apparaît
cependant délicate à gérer sur le long terme. En effet, l’imposition des tarifs et le contrôle
strict effectués par l’Agence tunisienne d’Internet, qui se traduisent par une cherté des coûts
d’abonnement et de connexion et par une rapidité limitée, apparaissent peu compatibles avec
les besoins de l’économie, expliquant le choix fait par les trois quarts des créateurs de sites
« tunisiens » d’héberger leur site à l’étranger. Ce constat a alors amené le gouvernement
tunisien à assouplir partiellement sa position, illustrant les hésitations de ce dernier entre
insertion dans la mondialisation économique et conservation des valeurs nationales et d’un
contrôle de la population. La question de l’insertion de la Tunisie dans la mondialisation n’est
cependant pas exclusive du gouvernement, mais est au contraire appropriée par différents
groupes en présence, internes ou externes, suscitant des rapports de force entre détracteurs et
partisans de l’insertion dans la mondialisation, dont les stratégies de contournement du
contrôle et de la censure du gouvernement par les internautes tunisiens sont une bonne
illustration : connexion à des sites hébergés à l’étranger, contournement par métaphore en
évitant les mots déclenchant le filtrage, sites vagabonds changeant régulièrement d’adresse IP,
ou sites intermédiaires servant de cache entre l’internaute et le site qu’il souhaite utiliser.