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CONNAÎTRE LA NATURE: SIMPLE ET VAINE


CURIOSITÉ ? 1

Une alternative décisive

Comme dans tout ce qu’il entreprend de sa propre initiative, l’homme a


entre les mains, au vingtième siècle du moins, tous les moyens matériels et
techniques pour se faire plaisir à lui-même ; et se faire plaisir par la
connaissance de l’œuvre de Dieu !

La science a bien montré, au cours de ce siècle, que la nature est


constituée de différents niveaux de « réalité » physique.

Ainsi la description mathématique des diverses structures atomiques et


moléculaires est difficilement comparable a celle qui correspondrait au
comportement social d’un groupe animal ou encore à celle d’une galaxie.

À l’heure actuelle, la physique théorique essaie de concentrer dans une


théorie unificatrice les traits universels concentrant tout le cosmos et son
devenir. La physique est par conséquent confrontée aux grandes questions qui
touchent véritablement les limites de la connaissance rationnelle.

Les développements de cette théorie poussent actuellement l’homme de


science à prendre une décision fondamentale : ou bien il envisage du dehors le
cosmos comme un tout infini mais fermé et complet, ou bien il « vit » un
univers fini et ouvert et se reconnais pris lui-même dans son devenir.

Ce pari présenté par la raison à l’homme de science est parallèle à celui


qui doit accepter l’homme qui se réclame de Dieu.

Ce choix est donc en fin de compte comparable à celui que l’homme doit
faire face au Christ en croix : ainsi les deux larrons ont dû faire le leur. C’est bien
là que tout se décide. Comme le dit saint François de Sales, « la frontière entre
les royaumes du bien et du mal passe par mon cœur ».

L’homme, point névralgique de l’Univers

Nous envisagerons ici le mal comme l’obstruction résultant de


l’interaction défectueuse entre les niveaux de réalité, compte tenu de ce que
toutes les lignes de la rationalité et de l’ordre dans l’univers, tout le plan de la
création et son accomplissement convergent vers l’être humain comme homme
de Dieu et homme de science, et dépendent ainsi de sa destinée.

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Article paru dans « Résurrection », Louvain-la-Neuve, Périodique bimestriel, 15e année, mai-juin,
1985-1986, № 5.
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Si l’homme occupe une telle place par rapport à l’ordre de l’univers,


c’occupera-t-il aussi une position-clé par rapport au désordre qui apparaît dans
le monde ?

L’homme est le « couronnement de la création ». C’est en entrant en


interaction avec Dieu créateur (devenant ainsi l’homme qu’il doit être) qu’il peut
le mieux communiquer avec les différents niveaux d’existence qui lui sont
subordonnés et agir sur l’interaction qui les relie pour encourager leur
développement.

Puisque chaque niveau physique a été conçu dans l’œuvre de Dieu pour
se reproduire lui-même, l’homme devient alors l’ingrédient spirituel dont
l’activité intellectuelle découvre cet ordre et l’organise rationnellement.

Telle est la fonction, tel est le rôle de l’homme de foi et de science, lequel
constitue ainsi une pièce-clé dans le cosmos. Voilà la raison dernière pour
laquelle le mal s’attaque bien plus à l’homme lui-même qu’au reste de la nature.

La tentation de la démesure

Dès lors, cet homme pourra être le producteur et d’une pratique


scientifique pertinente et d’une technologie « malveillante ». Malveillante parce
qu’elle prétend outrepasser de manière imprévisible les réalités qu’elle
investigue et parce qu’elle est tentée d’imposer son système de description et
d’interprétation, alors qu’elle n’est que partiellement adéquate ; tentation de
totalisation, d’autosuffisance, bref d’orgueil. C’est alors que la technologie se
convertit en instrument de désordre.

Voilà la grande faute de l’homme de science et de foi, ce que Maxwell


appela les « explications partielles », qui sont artificiellement corruptrices et
déforment l’intelligence du monde jusqu’à la mettre en conflit avec la cohérence
naturelle de l’ordre cosmique.

C’est ce type de mal subtil qu’on trouve fréquemment dans les domaines
technologique et moral, lorsqu’une pseudo-explication ou une pseudo-vérité,
parée du prestige scientifique, cause un désordre profond.

L’ordre extérieur, ainsi que la régularité du cosmos, ne peuvent être


reconnus que lorsque l’homme a mis de l’ordre dans son propre chaos intérieur
et, inversement, cet ordre intérieur ne peut s’établir que par l’expérience de
l’ordre extérieur du monde.

C’est pourquoi l’homme lui-même a besoin d’être accordé avec Dieu et


avec la création si l’on veut une concordance adéquate et fructueuse entre son
ordre intérieur et l’ordre extérieur ; sinon, sa façon d’ordonner les choses de la
nature aura les effets du désordre latent en lui.
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La nécessité d’un salut

Mais l’homme a besoin d’être sauvé, et surtout sauvé de son repli maladif
sur lui-même, lequel a des effets aliénants sur son rapport au reste de la
création. Comment remplirait-il autrement une fonction rédemptrice sur la
nature en tant que médiateur portant en soi la signification et l’harmonie voulue
par le Créateur ?

Aussi la délivrance de la corruption, pour l’ordre naturel, dépend-elle


finalement de la destinée de l’homme et de sa relation au Père (cf. Rm 8, 18-25).

C’est dans ce contexte que l’Incarnation prend tout son sens. Elle signifie
que Dieu lui-même s’est rendu présent dans sa création d’une manière
complètement nouvelle, puisque la Parole éternelle de Dieu, par qui l’univers fut
créé et en qui il reçut son ordre, est devenue elle-même homme en Jésus-Christ
selon un mode d’être et d’agir proprement personnels, de telle sorte que notre
existence de créature a été assumée par le Verbe de Dieu lui-même.

Or, pour opposer une résistance au mal, les créatures devraient répéter
l’acte de création, ce que Dieu seul peut faire. C’est justement ce que permet
l’Incarnation en introduisant au cœur du monde la Parole créatrice éternelle.

Ce mouvement d’amour divin présent en Notre Seigneur va se placer au


cœur du monde infecté par le mal et de son agonie, non pas pour nier le mal ni
le justifier, mais pour le remplir de sa présence et le vaincre de l’intérieur en
l’expurgeant des pseudo-vérités, par lesquelles il gagne son pouvoir.

Le mystère pascal, guérison de l’homme et du cosmos

C’est par la mort et la résurrection de Jésus que Dieu a donné la réponse


ultime à la question du mal dans la création, car il manifeste dans la rédemption
le pouvoir unique par lequel il a créé l’univers, et par lequel il a triomphé de
toutes les forces de désintégration et de désordre dans le cosmos.

Nous allons expliciter ce point en trois étapes :

a) Le fait que Dieu soit devenu homme, prenant notre existence contingente
pour sauver la création tout entière à partir de ses fondements
ontologiques, renforce la place unique de l’homme dans l’univers.
Néanmoins, c’est seulement au fur et à mesure que l’homme guérit à
l’intérieur de lui-même qu’il peut exercer son rôle vraiment intégrateur et
« ordonnateur » dans le monde qui l’entoure.

b) Les réalités matérielles et physiques font partie du plan divin. La croix du


Christ nous dit indubitablement que les maux physiques sont un outrage
à l’amour de Dieu et une contradiction du bon ordre de sa création. Par
« mal physique » nous ne visons pas seulement la souffrance, la maladie,
la corruption, la mort et aussi, bien sûr, la cruauté et le venin dans les
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comportements animal et humain, mais encore les calamités naturelles,


les dévastations, les monstruosités.

c) Par son Incarnation, le Verbe (en qui l’univers a reçu son être et son
ordre et par qui tout est maintenu) signifie que la relation ontologique
entre le cosmos (univers contingent) et le Créateur n’est sûrement ancrée
qu’en Dieu seul.

L’aliénation de l’homme est donc la conséquence imminente, dès que


celui-ci succombe à la tentation de considérer l’univers comme bouclant sur soi
et s’organisant et s’expliquant en soi, par soi et pour soi.

Par la Parole que Dieu nous adressa en son Fils Jésus, il nous rappelle
que le « nombre » (c’est-à-dire nos équations) n’est pas un mode rationnel
indépendant, mais qu’il va plutôt de pair avec cet autre mode primaire de notre
rationalité propre qu’est la « parole » (c’est-à-dire la raison limitée qui a écrit les
équations) et que ces deux modes sont l’un et l’autre des formes de l’ordre
contingent, qui trouvent leur source et leur aboutissement dans l’ordre non
contingent et autosuffisant de Dieu.

Nous pouvons donc dire vraiment que, sous l’impact créateur de la Parole
incarnée de Dieu, l’ordre contingent du cosmos constitue une sorte de caisse de
résonance qui fait écho au Verbe de Dieu d’une manière telle que l’univers loue
et glorifie son Créateur et son Rédempteur.

Ô Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ; toi qui as
établi ta gloire par-dessus tous les cieux, ta splendeur est chantée par la
bouche de tes créatures, des tous-petits. À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts,
la lune et les étoiles que tu fixas, enseigne-nous à reconnaître que tu prends
soin de nous et que tu nous as visités en nous voulant dépositaires des
œuvres de tes mains, en nous montrant la Sagesse de tes lois, et en nous
couronnant d’honneur et de gloire. Et en regardant plus haut que les cieux,
puissions-nous voir Jésus, devenu un peu moindre que les anges par la
souffrance de la mort, couronné de gloire et d’honneur, afin que, par la grâce
de Dieu, il goûtât la mort pour tous les hommes.

Ô Seigneur, accomplis ta promesse et mets toutes choses à ses pieds. Que le


péché disparaisse de la terre ; des méchants, qu’il n’y en ait jamais plus !
Bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits.

Alexandre de Pomposo,
docteur en physique.

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