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Alice Killy
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J’aime mon petit studio, niché dans une rue paumée du treizième
arrondissement de Paris. Il est près de ma fac. Oui je suis
étudiante. Mais comme j’y passe peu de temps je pense plus à
me reconvertir en critique assidue de la société, métier utile
selon moi. Je vis seule, et jusqu’au plus profond recoin de ma
mémoire je ne me souviens pas que cette situation ait changée.
J’ai des parents ne vous en faites pas. Je suis loin d'être la
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Cosette abandonnée de tous et chacun. En fait mes parents, c'est
eux qui payent tout, ils sont convaincus d’avoir donné naissance
à un génie, enfin c’est ce qu’ils disent aux voisins pour les faire
ruminer encore un peu plus. « Nous savions qu’en la nommant
Cassiopée nous donnions naissance à une étoile. ». Mais bien
sur...
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je me suis mise dans un coin, dans l’espoir de pouvoir
tranquillement faire semblant de m’occuper. C’est alors qu’elle
m’aborda avec ses couettes et ses bracelets rose fluo :
- Je ne trouve pas mon chemin, je suis perdue, tu peux
m’aider ?
- Pourquoi ?
- Ah toi aussi tu es perdue ? C’est génial, on y va
ensemble !
Elle me prit le bras, enfin pas tellement, elle m’arracha le bras -
et mon esprit arrêta son vagabondage – elle m’entraîna à travers
les couloirs à la recherche de je ne sais quelle salle. Pendant
qu’on cherchait cette salle mystérieuse elle me raconta une
histoire que je ne me souviens absolument pas mais qui semblait
importante pour elle. Je n’écoutais pas vraiment parce que je me
disais que si j’avais répondit « non » elle ne m’aurait pas arraché
le bras et j’aurais certainement continué à faire semblant.
***
On descend les escaliers en silence, enfin pendant quelques
instants car Margot ne reste jamais muette plus de trente
secondes :
- Tu te souviens de Julien ?
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- Oh tient la fac, je dois aller en TD, à la prochaine.
- Mais attends ! Un oui ou un non me suffirait !
Margot ne se nourrit jamais que d’un oui ou d’un non, ou alors
elle commence un régime. Je la laisse sur place mais elle a
l’habitude. De toute façon elle n’a pas besoin de savoir ce qui
s’est passé avant notre rencontre.
Je cours, et vite même, je sais qu’elle n’est pas derrière moi mais
on ne sait jamais, avec elle on peut s’attendre à tout. Enfin
aujourd’hui je ne serais pas en retard pour mon TD.
J’arrive au pied de l’escalier, encore deux pénibles étages à
monter avant d’arriver. Mon café, ma cigarette. Et il est déjà loin
le lundi soir où je m’en grillais une, devant la télé à m’empiffrer
de petits gâteaux apéritifs histoire d’avoir quelque chose dans le
ventre. Le deuxième étage s’ouvre à moi, et à quelque pas
seulement la salle. J’entre et je vois un petit nombre d’étudiants
caractéristiques : les habituels stressés qui arrivent trois quarts
d’heures en avance ; les glandeurs qui ont rien révisé ; les
« couchent tard » qui rattrapent leurs heures de sommeil ; et les
gens comme moi qui se retrouvent malgré eux en avance alors
qu’ils étaient partis pour être pile à l’heure. Je me mets en quête
d’une place, mais attention pas n’importe quelle place. Ni trop
devant, ni trop derrière. La place qui disait : « j’ai l’air de suivre
ton cours, mais je ne veux pas que tu me vois parce que je fais
autre chose que noter ton cours. ». J’opte donc pour une place au
troisième rang, vers la gauche de la salle afin d’être assez
éloigné de mes « camarades ».
Avec un peu de chance tout le monde allait se ruer sur les places
du premier et deuxième rang, et toujours avec un peu de chance
un grand gaillard viendrait se planter à la place juste devant moi,
et aucun à coté, de quoi être caché et tranquille. Je m’installe à
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peine que le prof rentre dans la salle, pas tant en avance que cela
finalement. Il fait l’appel, et ma constatation était juste, le grand
gaillard devant et mon voisin imaginaire à ma droite, tout est
absolument parfait. Je peux enfin m’évader le temps de trois
heures, faire semblant d’être une jeune étudiante modèle,
dessiner des choses qui ne ressemblent à rien sur mes feuilles et
sans oublier le plus important : pas de Margot à l’horizon.
***
Le cours avait commencé depuis dix bonnes minutes, je ne suis
déjà plus là, j’étais partie si loin sur mes œuvres d’art que je ne
pourrais pas vous dire si je suis certaine qu’il s’agissait bien de
dix minutes ou de dix secondes. Mais dans tous les cas le cours
commence, j’entends tout autour de moi, mais je ne vois rien ou
plutôt j’ai envie de ne rien voir. Le bruit de la porte. Quelques
pas dans l’allée. « Désolée du retard », encore un qui ne sait pas
se réveiller à l’heure. Des chaises qu’on bouscule. Il semblerait
qu’il déplace beaucoup de mondes pour si peu. Encore du bruit.
Il n’a pas trouvé de place ? Pourtant il y en a une vingtaine de
libres. Ce retardataire ne trouve pas qu’il s’est assez fait
remarquer comme ça : ne pas arriver à l’heure, et en plus faire du
bruit et choisir sa place. On peut dire qu’il ne manque pas
d’audace, ou alors que c’est un imbécile.
Je feins de ne rien entendre, je continue de griffonner un soleil
en haut de ma feuille en souvenir de celui qu’il n’y a pas dans le
ciel aujourd’hui. Puis la sensation d’être légèrement poussée par
l’épaule, un doigt ? Je lève la tête vers mon agresseur, le fameux
retardataire.
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- Il n’y a personne à cette place ? me dit-il avec un large
sourire.
Pas de doute c’est bien un idiot. Il n’y a rien sur la chaise ni sur
la table, sinon le vide. Je pense qu’il faut être vraiment simple
d’esprit pour poser une question aussi peu profonde. Je suis
tentée de lui répondre « oui elle est prise » car après tout il y a
quand même une vingtaine de places libres, et pourquoi
m’embête-t-il à vouloir s’asseoir au troisième rang à gauche
alors qu’il y a du vide parsemé un peu partout dans la salle et
beaucoup plus accessible. Finalement je ne lui dit rien, je le
regarde et je tourne la tête, c’est aussi une façon de dire « ça ne
m’intéresse pas d’avoir un voisin sans gènes et sans cervelles,
mais surtout d’avoir un voisin tout court. ». Je reprends mon
crayon, je me criais déjà intérieurement victoire, mais finalement
j’entends la chaise d’à coté se déplacer. J’y crois pas, il s’installe
tranquillement comme si finalement j’avais répondu « oui je
vous en pris, prenez vos aises, faites comme chez vous. ».
- Je suis occupée.
Rien de mieux pour mettre la première note de cette histoire :
« Non merci, je n’ai pas besoin d’un Margot au masculin. ». Par
ailleurs, je dois être poursuivi par les personnages historiques, la
Reine Margot et son massacre de la Saint Barthélémy,
maintenant Tristan et son Iseult. Tout paraît ridicule, je dois les
attirer comme des mouches pourtant il me restait quand même de
l’eau chaude ce matin pour prendre ma douche.
- Oh désolée, mais juste ton prénom, non ? finit-il par me
dire, mais plus encore avec un regard digne des chiots les
plus pleurnichards.
- Cassiopée.
- C’est joli, c’est…
- Aucun commentaire.
Il ne dit plus un mot. J’ai bien fait d’être aussi brutale à ce
moment-là. En tout cas cela m’a accordé un temps de sursis,
assez pour retourner à mes occupations plus que prenantes et
ayant plus d’intérêts pour moi qu’une conversation pseudo
gentillette avec un gars portant un prénom à la « Roméo et
Juliette ». Et puis, faut quand même se donner la peine de faire
semblant de suivre le cours. Ça ne serait peut-être pas une
mauvaise idée de le présenter à Margot, pour d’une part me
débarrasser d’elle et d’autre part me débarrasser de lui. Autant
faire d’une pierre deux coups comme on dit. Enfin je le ferais
s’il se tient tranquille durant les trois heures qui vont suivre.
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Le cours a été plus rapide que je ne le pensais. Certains diront
que griffonner sur sa feuille en attendant que le temps passe est
d’un ennui absolu, mais je n’ai pas vu les trois heures passées. Il
faut dire aussi que ma feuille est noir de crayon mais c’est
volontaire, je n’aime pas gaspiller le papier. Donc je dois
minimiser les pertes en ne gribouillant que sur une seule feuille
et vous pouvez me croire, en trois heures, on peut en crayonner
des choses. Et aussi certain que j’ai passé un temps fou à
chercher la moindre parcelle blanche sur le recto et le verso de
mon unique feuille, on peut alors comprendre aisément pourquoi
les trois heures sont passées si vite.
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seule qui arrive à me faire parler, enfin dans le grand sens du
terme. Depuis que je suis toute petite Lou a toujours eu un très
grand pouvoir sur moi, plus que mes deux parents et mes frères
réunis. Elle sait tout, ou le devine, elle fait preuve d’un grand
esprit d’observation et de franchise. Pour ne pas ajouter que
quand elle a quelque chose à dire elle le dit. Elle m’appelle
Cosette, selon elle j’ai la tête d’une fille qui passe sa vie à
ruminer les chagrins. Tante Lou c’est la femme qui fait sa vie
comme elle l’entend. On peut dire de certaines personnes
qu’elles survivent à leurs vies, Lou elle ne survie pas, elle vit.
C’est peut-être cela qui la rend si impressionnante et que je lui
voue du respect. Hormis le fait qu’elle soit très énergique, et que
la première impression que donne Tante Lou c’est Margot en dix
fois pire, il faut attendre une bonne dizaine d’années pour
l’apprécier à sa juste valeur.
Mais aujourd’hui j’ai oublié qu’on est justement Mardi Midi. Le
Mardi Midi de Tante Lou, l’unique repas de la semaine où elle
s’incruste volontiers dans ma petite existence « histoire d’avoir
un œil sur ton avenir » qu’elle me dit. J’étais tellement dans
l’idée de m’offrir un bon petit café noir avec une cloque bien
fumante, que j’en avais oublié cette pauvre Tante Lou.
- Hé Cosette, me dis pas que tu m’as zappé ? Ça serait bien
la première fois !
- Oui j’avais légèrement laissé passer le fait qu’on était
déjà Mardi et qu’il était déjà Midi, lui dis-je avec le
regard vitreux d’une fille qui pourrait courir après un
paquet de cigarettes.
- Bon, bon, c’est des choses qui arrivent. Ça te dit un
japonais ? J’avais assez mal digéré le chinois la semaine
dernière, et puis les fast-foods ça va cinq minutes, tu vois
ce que j’veux dire ? me dit-elle avec un clin d’œil.
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- Avant de venir te chercher je me suis permis de fouiller
un peu les rues aux alentours de ta fac pour nous dégoter
un petit japonais. On peut dire que mes recherches furent
fluctueuses, y’en a deux, trois qui m’ont tapé dans l’œil !
- J’espère que tu sais qu’un repas signifie un repas, et qu’il
sera difficile pour mon estomac d’encaisser deux ou trois
restaurants.
- Ne sois pas bête Cosette, bien sûr que non on ne fera pas
trois restaurants, ce qui est bien dommage parce que les
deux autres me tentaient bien. Mais bon tant pis ça sera
pour les semaines suivantes, je ne m’en fais pas, me dit-
elle avec un large sourire.
Nous arrivons alors devant une enseigne rouge et noir appelé
« le palais de Tokyo ». Tante Lou m’arrête brutalement que je
faillis en perdre l’équilibre.
- Nous y voila ! Hume le doux parfum qui se dégage de
cette bâtisse plus que révélatrice, qu’elle me dit en
inspirant bruyamment.
- Euh ça sent le poisson.
- Et tu sais ce que ça signifie ?
- Qu’on va manger du poisson.
- Tu joues à la cynique maintenant ! Me cria-t-elle en me
tapant derrière la tête. Non, mais ce que je voulais dire
c’est qu’on va se régaler !
- Parce que ça sent le poisson ?
- C’est trop subtil pour toi, ton scepticisme brouille mes
ondes positives…
- A défaut de brouiller tes ondes, les miennes ondulent
vers la fumée qui s’est échappée de la cigarette du gars
qui vient de passer.
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- Une table pour deux s’il vous plaît.
- Près de l’aquarium cela vous convient-il ? nous demande
le serveur en montrant avec son bras un emplacement
dans la salle.
- Très bien merci.
Il partit chercher les menus. Nous avançons vers notre table en
silence, nous nous asseyons puis la discussion repart.
- Ça sera bientôt fini avec ton oncle encore quelques
papiers et je suis une femme libre.
- Une femme libre ? Un peu vite parlé, vous n’étiez pas
encore juridiquement séparés que tu te trouvais déjà
quelqu’un d’autre.
- Oui mais avec cet homme-là pas question de mariage.
- Évidemment, il l’est déjà.
- Cosette, je t’ai connu plus ouverte, t’as passé une
mauvaise journée ? Y’a-t-il « Salaud » sous roche ?
- J’ai pas pris de café et j’ai plus de briquet, dis-je à tante
Lou en prenant ma tête entre les mains.
- C’est pas la mer à boire, on aura notre café à la fin du
repas, d’ici-là tu te contenteras des sushis.
Le serveur revient, nous présente les menus et nous propose un
apéritifs, Tante Lou commande un cocktail-maison, je ne prends
rien.
- C’est parce qu’il n’y a pas de caféine dans le cocktail que
tu le prends pas je parie !
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- Mais non, c’est juste que je veux pas d’alcool, sinon
j’vais être belle cette après-midi.
- Pour ce que tu feras de ton après-midi franchement,
prends-toi un coca, y’a de la caféine dedans.
- Mais ça va j’te dis, c’est pas une histoire de caféine.
- Tu disais le contraire tout à l’heure. Bon désolée ma
chérie mais les cocktails au goudron ça n’existe pas
encore. Mais si ça peut te soulager j’ai dégoté un second
briquet il y a quelques jours.
- Tu me sauverais la vie Lou !
- Tu oublies une chose.
- Quoi ?
- Tous les lieux publics sont non-fumeurs maintenant.
Je pousse un gémissement entre l’ennui et le dédain. Mais j’en ai
tellement envie. Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi maintenant ?
Parfois je pouvais rester des jours sans fumer. Bon d’accord, pas
plus de deux jours, et c’était pour pas dépenser de fric. Mais là.
Y’a rien à faire j’en veux une absolument, ou au moins une tasse
de café bien noir. Maintenant c’est moi la petite fille de cinq ans
qui réclame son caprice. Margot n’est plus rien comparée à moi
à cet instant-même, ou alors elle est une toute petite joueuse.
Le serveur revient, nous lui donnons notre commande, plateau
de poissons cru et brochettes pour tante Lou, que le poisson pour
moi. Tante Lou tripote ses baguettes, elle veut me dire quelque
chose je le sens. Elle lève la tête vers moi.
- Tu ne m’en parle pas alors ?
- De quoi ?
- Tu sais très bien de ce que je veux parler. Ça fait un mois
que tu ne dis plus rien à propos de lui. Je sais qu’il est
encore là ce Salaud.
- Si j’en parle pas c’est que c’est une bonne chose non ?
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mon mégot et l’écrase avec mon pied. Je monte en disant
« bonjour » au conducteur, je passe ma Navigo et vais me poser
où il y a de la place. Je trouve un siège dans le fond près de la
fenêtre. Je dois faire toute la ligne. Je sors mon lecteur MP3 dont
j’avais oublié la présence. Je mets la musique en boucle sur les
grands tubes de Police et j’attends en regardant défiler le
paysage. Pendant mon voyage il a commencé à pleuvoir. Je fais
de la buée sur la vitre. J’ai l’impression d’aller jusqu’au bout du
monde. Les gens montent et descendent. Je les entends mais je
ne les vois pas, en fait je m’en fiche. J’écoute encore ma
musique. Je me demande ce que je fais là. Quand est-ce que le
bus arrivera ? Peut-il s’arrêter avant la fin ? Je suis plus si sûre
de vouloir y aller. Je dois faire quoi pour demain ? Je ne devrais
pas être là je le sens. Je voudrais un café. Le bus s’arrête,
j’entends le conducteur : « Terminus, tout le monde descend ».
***
Je sors du bus. Il pleut encore. « Merde j’ai oublié mon
parapluie ». Le chauffeur me regarde : « c’est pas bien grave ma
p’tite mam’zelle, à la météo ils avaient dit qu’il y aurait du soleil
aujourd’hui ». Il referme les portes du bus. « A ouais merci pour
l’info » que je dis dans le vide. Je ne tente même d’allumer une
cigarette avec toute cette pluie qui risque de la mouiller. Je
continue mon chemin, dans la boue maintenant. J’avance à
grands pas, comme si j’étais pressée, mais personne ne m’attend
là-bas. J’arrive devant une grande bâtisse, l'horloge sur celle-ci
indique quinze heures. « J’ai encore une heure » que je me dis. Il
y a trois bancs bien mouillés devant moi, je m’assois sur le plus
proche. Le contact avec le bois mouillé fait frémir la peau de
mes fesses à travers mon jeans. Je lève la tête vers le ciel. Ces
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On t'as jamais appris la politesse dans ton collège pourri, en
règle générale on dit « comment vas-tu? » et je devrais
répondre « oui très bien et toi? », lui dis-je en bonne grande
soeur que je suis.
Ouais je vais bien, comme d'habitude.
Je doute que ce soit pour parler de ton humeur que tu détruis
les précieuses minutes de ton forfait, qui plus est pour
appeler ta soeur plutôt que tes petites amies.
Hey attends t'es où? Parles moins fort, imagines y'en a une
qui passe à coté!
Comme si tes copines me connaissaient...
Bah on sait pas, enfin bref. Je t'appelle parce que c'est que ça
craint là à la maison. Et genre tu crois quand même pas que
j'vais t'attendre jusqu'à neuf heures!
Demande à Lucas, j'suis pas à ta disposition. Et j'te rappelle
au passage que j'habite plus à la maison depuis deux ans.
Non mais allez quoi, et puis tu sais bien que Lucas niveau
réconfort et conversation, et bah c'est franchement pas le top.
Et puis toi t'es une fille, tu pourrais comprendre.
T'as rêvé morveux. J'bouge pas de mon banc.
T'es lourde, bon t'façon j'raccroche j'ai presque plus de crédit
pour toi. Salut.
J'entends le bip. Il a enfin raccroché. C'est les parents qui vont
être content quand ils verront le hors-forfait monstre à la fin du
mois. Dans tous les cas je ne vois pas l'intérêt d'offrir à un gamin
de douze ans un téléphone portable. Encore une preuve de son
grand talent de manipulateur, qui, cette fois, a eu pour victime
notre propre mère.
Je commençais à me les geler sur mon banc mouillé. Finalement
je répondais à la requête du petit frère. Après tout moi aussi je
suis une victime de la manipulation.
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puis deux, puis cinq minutes, avant que l'autobus ne soit là. Le
temps que deux, trois personnes me rejoignent dans mon attente.
La machine, dont les pneus crissent sur le goudron humide,
s'avancent vers moi tel un monstre sortant de l'ombre. « C'est
juste un bus » que je me dis, pour me rassurer. Et pile devant
moi les portes s'ouvrent. Je passe ma carte. Je rentre. Je prends
une place assise. Et le trajet reprend. Un arrêt. Puis deux. Puis
quatre. Puis le huitième, le dernier. Je descends et je me dirige
vers l'entrée de la gare. Je passe les tourniquets et je patiente une
nouvelle fois, cette fois pour le train. Mon chemin reste banal,
c'est le même que des centaines, même des milliers de
travailleurs. Je ne sais s'ils le font pour rentrer ou partir de chez
eux, si c'est pour une journée ou seulement le reste de leur vie. A
vrai dire je me pose seulement ces questions pour passer le
temps. Il n'y a jamais beaucoup de monde à cette gare, en fait il
y a surtout moi, c'est le principal. C'est sans doute parce que je
ne prends pas soins de regarder autour de moi, que je ne
remarque pas les quais bondés et les wagons pleins. « Non, juste
moi. » Oui c'est cela le principal. Après tout vous n'êtes pas dans
la tête des autres, mais seulement dans la mienne, alors à quoi
bon savoir combien il y a de mondes sur le quai ? Ce que vous
devez simplement savoir c'est que j'y suis. Et puis c'était des
questions pour passer le temps, ne l'oublions pas.
Mais le train approche, les réponses ne peuvent attendre plus
longtemps. J'ai le temps, tout de même, d'apercevoir un nombre
incalculables de places libres à l'intérieur. En fait, y'en a juste
une de libre, ce qui est largement plus que suffisant pour y poser
mon postérieur. Je m'avance vers le bouton poussoir de la porte,
quand une « grosse vieille laide » me bouscule dans mon élan,
bouscule aussi en passant les gens qui tentent difficilement de
descendre, et se rue frénétiquement sur l'unique place libre. MA
PLACE! Cette truie d'au moins quatre-vingt siècles m'a piqué
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