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POUR UNE APPROCHE GLOBALE

D'UN THEATRE
© Janusz PRZYCHODZEN & L’Harmattan

Présenter et analyser l’ensemble des discours d’un théâtre implique avant tout le
décloisonnement du texte et de la représentation dramatiques de barrières et de
contraintes multiples. Tout en tenant compte des liens qui existent entre le texte et les
autres composantes du spectacle, on voudra cependant orienter la recherche actuelle
dans une direction encore plus générale, et réfléchir sur l’ensemble des discours articulés
dans une société, québécoise en l’occurrence, autour de ce que l’on appelle
communément le théâtre. Il est à noter néanmoins que cette grande ouverture ne
compte nullement lire le tout cacophonique et redondant que constitue le théâtre
québécois, mais chercher plutôt son système régulateur global, tel qu’il a été formé par
son contexte politique, culturel et historique.

Cette vision du discours théâtral repose avant tout sur la théorie du discours social,
élaborée par Marc Angenot à partir de plusieurs thèses relatives aux globalités
discursives. Parmi ces recherches, ce sont surtout les travaux de Robert Fossaert qui
attirent notre attention, car elles démontrent l’unité implicite de la parole sociale à travers
l’intertextualité généralisée des discours et au travers leurs instances sociales, politiques
et économiques. Fossaert a décidé de pousser toutefois son modèle jusqu’à totaliser
presque complètement le sens du discours social, ce qui a rendu l’usage de l’expression
quasi inopératoire: il y a vu “non seulement les discours mais aussi les monuments, les
images, les objets plastiques [et] les spectacles”1. Beaucoup plus proche de
l’anthropologie culturelle que de l’analyse sociocritique des textes, cette approche a
provoqué chez Angenot une volonté de resserrer le cadre de la discursivité sociale vers
le sens propre de l’expression, tel qu’il était entendu entre autres par Claude Duchet:
“un ensemble de voix brouillées, anonymes, une sorte de fond sonore - ce que Michel
Foucault nomme l’arrière-fable -, où se mêlent les clichés, les fameuses idées reçues,
les stéréotypes socioculturels, les idiolectes caractérisants, les traces d’un savoir
institutionnalisé ou ritualisé, des noyaux ou fragments d’idéologie dominante” 2. Par
contre, les extensions proposées par Fossaert, exception faite de leurs tendances
totalisantes, représentent de notre point de vue, qui est nota bene celui d’un analyste
du phénomène théâtral, une certaine utilité heuristique, dans la mesure où elles
indiquent le lien entre la paraula (dit) et le gestus (acte) dans un contexte marqué d’une
large mise en scène sociale.

Plusieurs textes de Mikhaïl Bakhtine, Antonio Gramsci, Jean-Pierre Faye, Timothy J.


Reiss et Pierre Bourdieu, relativement bien connus de la majorité des chercheurs en
sciences humaines, ont également exercé une influence importante sur l’appréhension
de la doxa sociale par Angenot. En intégrant toutes ces approches dans une imposante
étude portant sur la chose imprimée en France au cours de l’année 1889, il a esquissé
les traits constitutifs de l’ensemble du discours social comme suit:

Le discours social: tout ce qui se dit et s’écrit dans un état de société; tout ce qui s’imprime, tout ce
qui se parle publiquement ou se représente aujourd’hui dans les médias électroniques. Tout ce qui
narre et argumente, si l’on pose que narrer et argumenter sont les deux grands modes de mise en
discours. Ou plutôt, appelons discours social non pas ce tout empirique, cacophonique à la fois et
redondant, mais les systèmes génériques, les répertoires topiques, les règles d’enchaînement
d’énoncés qui, dans une société donnée, organisent le dicible - le narrable et l’opinable - et assurent
la division du travail discursif. Il s’agit alors de faire apparaître un système régulateur global dont la
nature n’est pas donnée d’emblée à l’observation, des règles de production et de circulation, autant
qu’un tableau des produits 3.

Cette large définition a été nuancée par la suite à travers une coupe diachronique
précise, qui par la mise en valeur des instances de la production, de l’institutionnalisation
et de la structuration de la parole sociale, fait voir l’ensemble hégémonique de la
discursivité sous la forme d’une équation résultante de l’enchevêtrement de trois
composantes: DS = Échantillon ±1889 ⇒ Discours de l’État nation + Discours de la

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classe dominante + Discours de la langue nationale. Angenot a attiré par la suite
l’attention sur une série d’axiomes que l’on pourrait qualifier de méta-structurantes:
responsables de la production globale du sens et du non-sens, de la mobilisation et de la
stigmatisation du dicible, ceux-ci apparaissent enfin comme des particularités inhérentes
à chaque discours

Là, Angenot pense surtout à la présence permanente de l’idéologie dans chaque


discours, à l’interdépendance étroite entre les formes et les contenus discursifs, à
l’interaction et à l’interlisibilité (allégorèse) généralisées entre les discours. Selon lui, la
dynamique de la représentation globale qui en résulte a beaucoup à voir avec
l’hégémonie. Cette dernière, en tant que concept, désigne une structure cognitive
dominante composée essentiellement de la langue légitime, officielle et littéraire, du
topique et du gnoséologique faisant partie du vraisemblable social, des fétiches et des
tabous agissant comme des éléments sacrés des discours, de l’égocentrisme et de
l’ethnocentrisme constitutifs des identités sociales, ainsi que des thématiques et des
visions du monde, qui, en prennant la forme des axiomes explicatifs et déterminants,
s’enchaînent souvent dans leurs effets sur des dominantes de pathos. Structuré de
cette manière, tout travail discursif, propre à la production sociale générale de la
représentation, est soumis également à un système topologique de division et de
régionalisation.

Appliqué à l’ensemble de la culture dramatique québécoise, un tel modèle théorique


devrait permettre, selon nous, de faire dégager un système régulateur de la doxa à
partir d’un segment du discours social: de tout ce qui se dit, s’écrit et se joue dans la
société théâtrale artistique. Le projet se justifie tout d’abord par la nature
particulièrement emblématique, hétérogène et transdiscursive du théâtre, qui en soi
peut déjà être considéré comme une représentation exemplaire et symbolique d’une
vision collective du monde. La mise en relief des règles théâtrales de l’organisation de la
parole se présenterait dans cette perspective comme une lecture en mineur de
l’ensemble du discours social ambiant, un peu comme l’analyse du théâtre qui
apparaissait à Jean-Paul Sartre comme le lieu privilégié d’une réflexion sur la nature de
l’être.

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Il semble donc tout à fait justifié d’appliquer les principes de la théorie du discours social
à un échantillonnage d’énoncés plus spécifique, à condition que ce dernier conserve
encore son caractère social global et que son étendue dépasse les limites imposées par
les hiérarchies et les contraintes des ségrégations discursives. Évidemment, pour rester
opératoire, l’analyse d’un tel socio-discours, (il s’agit ici d’une nouvelle appellation) doit
tenir compte d’une certaine spécificité et d’une certaine autonomie des paroles du
champ culturel déterminé, sans toutefois se laisser récupérer en même temps par la
magie fétiche de ce dernier. Ceci devrait non seulement favoriser un développement de
la recherche sur les globalités discursives, mais offrir aussi une occasion d’explorer et
d’approfondir les rapports concernant les manières et les stratégies de la représentation
du discours sur la scène sociale.

Car, à bien y regarder, surtout à l’époque dite du spectacle et du simulacre, on peut


voir, à la manière de Shakespeare, l’ensemble de la vie sociale comme une large mise
en scène. Plusieurs études ont déjà été proposées dans ce sens. Nicolas Evreinov
cherchait à attribuer un fondement théâtral à chaque manifestation sociale, Georges
Balandier parlait de la théâtrocratie: le régime théâtral permanent qui s’impose aux
systèmes politiques divers, révocables et successifs, Erving Goffman et Eric Bentley
s’intéressaient à leur tour à la mise en scène de la vie quotidienne et à la théâtralité
sociale du regard, tous voulant établir d’une façon ou d’une autre un lien étroit entre la
scène théâtrale et la scène sociale. Dans le même sens sont allées d’ailleurs la sociologie
du théâtre de Jean Duvignaud et la théorie sociale du rôle de J.S.R. Goodlad.

Toutefois, malgré les similitudes certaines établies par Émile Durkheim entre le rite
théâtral et le rite socio-religieux, une différence fondamentale marque ces deux formes
majeures du spectacle et c’est Nietzsche qui l’avait démontré le premier dans La
naissance de la tragédie en établissant la distinction capitale entre l’essence inesthétique
du rite et l’essence esthétique de la tragédie. Claude Karnoouh, en reprenant les idées
du philosophe allemand, a préféré expliquer cet écart en terme de rupture:

Tout spectacle est illusion, aussi bien celui du théâtre que celui du rite, toutefois, cette similitude
n’induit qu’une analogie phénoménale. Là des situations sont exposées, des décors plantés, des

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paroles énoncées, par des acteurs devant des spectateurs passifs; ici, des choses sont montrées,
des nourritures ingérées, des vêtements, des parures, des masques, des statues, des maquillages
sont portés, magnifiés, et des hommes agissent pour les exposer et s’exposer eux-mêmes en un jeu
où acteurs et spectateurs ne se différencient guère, même si certains rôles sont attribués pour la vie
à certains officiants. [...] Rupture commencée avec Eschyle, poursuivie par Sophocle et parachevée
par Euripide dont l’œuvre servit de modèle jusqu’au classicisme allemand4.

Notre étude se situera à la frontière entre ces deux univers, en rapport avec l’idéologie
même du jeu et du vécu dont la logique ambivalente semble d’une part vouloir évacuer
complètement le théâtral de la vie sociale, c.-à-d. “c’est du théâtre, c’est pas vrai !”
mais, sur un autre plan, désirer y soumettre toute la dimension du réel, c.-à-d. “jouer
comme si c’était vrai!”, en faisant apparaître le spectacle comme un continuum présent
absent de toute la socia lité. Dans cette perspective, on peut décrire le rôle du théâtre
comme celui d’une machine à double emploi: échappatoire en tant qu’espace régulateur
des passions aristotéliciennes, et socialisant - un lieu véritablement pédagogique dans
son projet utopique de mimer la nature du monde.

Positionnée de la sorte, l’analyse du discours théâtral global propose donc une approche
qui va au-delà de la dramaturgie - étude de la structure narrative du spectacle, de la
théâtrologie - approche de tous les codes spécif iques ou de la sémiologie théâtrale,
analyse des procès dramatiques de signification. Vu le caractère spécifique de son objet
de recherche, l’analyse tiendra compte des acquis majeurs provenant de toutes ces
méthodes, mais son objectif principal sera, comme on l’a déjà dit, de proposer une
vision holistique qui, chercherait à prendre en compte une totalité artistique et à la
considérer comme un élément exemplaire, quoique spécifique d’une socialité globale puis
à montrer comment, c’est-à-dire par le biais de quels stratégies et truchements et, une
telle convention discursive exerce son pouvoir fétichiste et réussit à imposer son
exclusivité de représentation.

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Le discours théâtral

Faire une lecture transversale du discours théâtral québécois signifiera autant aborder le
grand théâtre, celui qui est le plus sacré et institutionnalisé, que récupérer ses formes
marginalisées et marginales comme le théâtre d’avant-garde, le théâtre expérimental et
le théâtre pour enfant et jeunes, sans perdre de vue ni les dérives contemporaines du
spectacle comme le téléthéâtre et le radiothéâtre, ni ses manifestations plus éloignées,
telles que le théâtre musical, le café-concert, le spectacle multimédia et le monologue.
En même temps, notre regard portera sur le discours critique, journalistique et
universitaire, sur les discours théoriques ainsi que sur tous les autres discours, soit des
textes des assemblées plénières des congrès de théâtre, des textes des commissions
et des enquêtes, des textes des films documentaires, des émissions de radio, etc.,
bref, de toutes ces parties intégrales de la nébuleuse formée autour de ce qui se
désigne comme le théâtre québécois.

Une grande distinction est implicite dans cette description lapidaire, celle entre la parole
qui fait du théâtre, c.-à-d. le discours proprement théâtral, celui des pièces de théâtre,
et la parole qui interroge le théâtre, c.-à-d. le discours critique et théorique. Toutefois, la
frontière ne sera pas toujours aussi hermétique, surtout en ce qui concerne le texte
dramatique, car un certain type de didascalies, tout comme le phénomène du théâtre
dans le théâtre dans l’intérieur de certaines pièces, accomplissent aussi une fonction
méta-théâtrale. Sur un plan plus approfondi, les deux champs restent liés de manière
inextricable et forment évidemment un réseau complet de signification, mais à la
surface ils produisent également le sens selon les logiques qui appartiennent à leurs
propres traditions - traditions que l’on pourrait nommer autonymiques c.-à-d. se
désignant elles-mêmes comme signifiantes.

Le discours artistique

Comme axe de signification, le discours artistique occupe une position centrale dans le
socio-discours théâtral. Sa principale partie peut facilement se limiter à la forme narrative

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la plus commune au théâtre, le dialogue et, en cas de l’absence de ce dernier, à la
couche non-verbale du spectacle. À cause de son grand potentiel régénérateur,
structuré sur le littéraire: l’ambivalence, la valeur de “presque rien” (Jankélévitch), le
discours théâtral, que l’on pourrait définir également comme le grand discours, doit être
considéré naturellement comme un élément fondateur du socio-discours théâtral. Dans
notre analyse de ce discours, les recherches se multiplieront le plus souvent sur les
interactions entre diverses méthodes d’approche du texte dramatique appartenant,
dans leur grande majorité, au domaine propre des études théâtrales.

Il n’est pas question, bien sûr, de faire ici l’état présent des études théoriques et
critiques sur le théâtre, mais d’essayer plutôt de découper, dans ce que nous propose
l’actualité de la recherche, des manières d’aborder le fait théâtral qui ne risquent pas de
perdre trop d’efficacité dans le contexte méthodologique qui est le nôtre. Mentionnons
par ailleurs qu’une mise au point assez exhaustive des études théâtrales a déjà été
proposée par Patrice Pavis qui, après avoir testé “tous les questionnements et les
domaines [en matière de théâtre] à partir des objets fondamentaux de la création
théâtrale: le texte et la représentation dans une mise en scène donnée”, a établi le
schéma suivant:

Texte Représentation

1.1 Lien à la littérature: études 1.1 Lien interartistique: lien aux


des sources, des influences, arts, plastiques visuels, audio-
du style, des thèmes, etc. visuels, etc.
1.2 théâtre comme modélisation 1.2 analyse et genèse des
du monde (rapport du texte et composantes;
de la réalité) - énumération,
1.3 lien à la poétique; genre et - collectif d’énonciation
statut du texte 1.3 statut du texte “émis” en scène
1.4 question de la spécificité 1.4 statut de la théâtralité

2. Inscription dans la culture 2. Inscription dans la culture


2.1 conditions de jeu lors de 2.1 état de la pratique et de la
l’écriture théorie de la mise en scène
2.2 réception historique du texte 2.2 spectateur, public; instances
(quel public, dans quelles de la réception actuelle
conditions) 2.3 statut fictionnel; théories

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2.3 rapport à la réalité relationnelles
psychologique, historique,
politique, etc.
Production du vraisemblable
3. Dramaturgie (esthétique, 3. Système de la mise en scène
structure du texte) (texte spectaculaire)
3.1 analyse textuelle
3.1 - ∅
3.1.1 analyse des didascalies
3.1.2 indications spatio-
temporelles
3.2 fable scénique
3.2 analyse du récit et de la fable
3.2.1 analyse des conflits et des
situations
3.3 événement scénique
3.2.2 segmentation des épisodes
3.3.1 action scénique et verbale
3.3 analyse dramaturgique
3.3.2 scénographie (types
3.3.1 modèle actantiel (modes
d’espace; rapport
d’action, type de
scène/salle)
personnages)
3.4 acteur
3.3.2 espace
3.4.1 moyens physiques et
3.3.3 temps
performance scénique
3.4.2 rapport à la fiction, à la
3.4 - ∅
fable

Ou:

1 - Lien de l’œuvre (textuelle ou scénique) à un ensemble plus large, la littérature ou les


arts plastiques et visuels.
2 - Inscription/infiltration de l’œuvre dans et par la culture ambiante.
3 - Systèmes structuraux de la dramaturgie et de la mise en scène.

Pavis précise que: ce schéma, conçu pour suggérer le parallélisme et la différence des
questionnements dans le texte et dans la représentation, n’est toutefois opérationnel que si on
ménage d’innombrables passerelles entre les sous-ensembles. Les grandes questions de 1 et 2 (et,
pour représentation, de 1 et 2) se réinvestissent constamment en 3 (et 3) dont les domaines ne se
définissent que les uns par rapport aux autres. Entre les deux colonnes formées par le texte et la
représentation, il faudrait enfin imaginer un lieu d’interrogation qui permettrait de rapprocher les
études sur le texte et celles sur la représentation et de réduire la fracture qui les tient écartées 5.

Compte tenu du caractère de notre étude, il nous faudra cependant exclure de la grille
de Pavis, dès le départ, certains aspects incompatibles avec notre approche, tels les

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procédés propres à une histoire de la littérature dramatique (1.1), l’analyse du texte
(spectacle) théâtral en fonction de la poétique stricto sensu (1.3), la dimension
psychologique de la réception (éléments 2.2 et 2.3), la problématique du corps physique
ou matériel (et non symbolique ou idéologique) de l’acteur en scène (3.4) et même un
certain universalisme appauvrissant, implicite dans le modèle actantiel (3.3.1).

Nous éviterons également de faire certaines enquêtes sur la théâtralité proposées par
les branches classiques de la dramaturgie, comme l’analyse thématique, scénique
considérant le récit comme un ensemble appartenant à l’univers particulier (seulement)
d’une oeuvre et d’un auteur. Notre usage de certains concepts dramaturgiques, v.g.
fable scénique, spatio-temporalité externe et interne, effet de personne, prendra des
dimensions sociodiscursives, puisqu’il résultera d’une série d’observations dérivées de la
réflexion sur l’ensemble des pièces produites et reçues au Québec (1.2, 1.4 et 2.2.) et
participantes - de notre point de vue - à une isotopie globale d’un spectacle social qui,
dans sa dynamique et sa logique (3.1 et 3.2 mais pris au sens général), se situe au-
delà des divisions génériques et typologiques des représentations scéniques (3).

La cohérence structurelle concernant les éléments sélectionnés et/ou redéfinis du


schéma sera établie par le biais de moyens méthodologiques et théoriques que nous
offrent surtout des sciences véritablement interdisciplinaires: la sémiotique comparative,
en rapport souvent à la sociologie de la connaissance; la sémiotique textuelle et
théâtrale, qui cherche à englober et à confronter la spécificité des représentations
esthétiques - télévisés, scéniques et populaires -cirque, burlesque, spectacle de la rue,
sans oublier les spectacles proprement sociaux - manifestation, festival, fête, carnaval;
la sociolinguistique, qui puise à une grande diversité de disciplines comme la sociologie de
Goffman, la linguistique de Labov, l’anthropologie de Gumperz et la philosophie du
langage de Grice. On tentera finalement de mettre à profit certaines recherches en
pragmatique linguistique, théories des actes de langage, les acquis des analyses de la
conversation, la théorie de l’énonciation, l’étude de la rhétorique et bien sûr les
investigations globales du discours théâtral. En ce qui concerne ce dernier domaine, la
définition du genre littéraire (artistique), telle qu’elle a été proposée par Angenot eu
égard aux structures narratives sera très utile à nos analyses du théâtre:

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Un genre/discours est un ensemble organisé de règles et un répertoire produisant des textes, une
configuration stable et spécifique de procédés compositionnels, de thèmes et de formes avec une
certaine dominante. Un discours sera identifié si un faisceau de traits récurrents semble rendre
raison de différentes stratégies qui se déploient dans un corpus de textes concrets. Un discours est
donc un idéaltype défini notamment par l’extrapolation de noyaux minimaux qu’on peut appeler
micro-récits, canevas, sociodrames, idéologèmes nucléaires. [...] Chaque complexe discursif se
donne un objet mais cet objet [...] est immanent au discours, engendré par lui sous la régulation de
l’hégémonie générale. [...] Il n’est pas de Gattungspoetik qui puisse s’isoler d’une sociologie des
discours6.

Nos investigations vont aussi renvoyer le lecteur aux synthèses théoriques sur le
théâtre explicitées dans de nombreux travaux (impossible de les nommer tous) de
chercheurs chevronnés et reconnus tels que Anne Ubersfeld (discours théâtral textuel
et de la représentation), André Helbo (rhétorique dramatique et spectacle non-théâtral),
Patrice Pavis (discours de la scène: gestus et mise en scène), Tadeusz Kowzan (codes
théâtraux minimaux et leur typologie) ou Isaac Issacharoff (aspects proprement
discursifs du langage théâtral). Il est à noter qu’en se réclamant d’une large tradition
sémiotique, tous ces chercheurs prennent des distances raisonnables à l’égard des
pères fondateurs de cette science, A. Greimas, L.T. Hjelmslev, Ch. Peirce, et
proposent, par le biais de modifications essentielles du schéma actantiel, du concept de
sujet, de nouvelles avenues, mieux adaptées à la spécificité du phénomène théâtral
mais, en ces moments, ils sont, néanmoins, curieusement proches des grands
penseurs classiques sur le théâtre comme A. Szondi et B. Brecht.

Rendre compte de l’hégémonie dans le discours théâtral à l’aide de tout ce dispositif


signifiera tout d’abord chercher à reconstruire à partir de la totalité des pièces choisies,
une sorte de pièce-modèle, un drame commun, fondés sur une série de tangences
appartenant cependant moins à la tradition dramaturgique comme telle mais plutôt à
une large identité sociale. Dans ce sens, l’étude relèvera de ce que l’on pourrait appeler
l’ethnothéâtrologie ou encore mieux de la sociothéâtralogie. Ici, le personnage, saisi
dans sa dimension socio -théâtrale, se révélera comme une entité analogique
appartenant non seulement au lieu théâtral fictionnel, mais aussi au contexte pleinement

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social, c’est-à-dire un sujet immergé dans les dynamiques ethniques, linguistiques,
nationales, culturelles, politiques et économiques d’un théâtre réel. De même, le conflit
dramatique qui en tant que dialogue théâtral global sera, pour nous, marqué des forces
antagonistes d’un drame social, de la confrontation des visions du monde et d’une mise
en scène des attitudes opposées mais nourries au fond des mêmes présupposés
idéologiques.

Le discours critique

Le deuxième grand champ du socio -discours théâtral, discours critique, pris au sens
large, est composé, comme nous l’avons déjà mentionné, de textes critiques,
théoriques, analytiques, de rapports, de procès-verbaux, et de tous les autres textes
de nature juridique, publicitaire, pédagogique, etc. qui participent à la structure globale
d’un théâtre et déterminent son évolution. Cet ensemble se prête très facilement à de
multiples classifications, qui dans leur diversité totale, tissent à la surface des discours,
au niveau du dit, de multiples distinctions.

Dans une vaste réflexion sur le discours critique théâtral proprement dit, Patrice Pavis
fait remarquer que ce type de doxa constitue pour un chercheur soucieux d’une
approche solide, véridique et homogène du théâtre, un véritable casse-tête témoignant
d’abord d’une incohérence étonnante de problématiques et de méthodes:

Le discours critique varie [...] de l’information journalistique sur le lieu et la date d’une
représentation à l’étude savante d’un aspect de l’activité théâtrale dans une revue spécialisée [...]
Qu’il y ait des paroles sur le théâtre, qui pourrait en douter ? Mais rien ne dit a priori qu’on puisse
organiser ces paroles en un système critique ou en un discours cohérent.[...] Diverses techniques
«artisanales» ont de tout temps été utilisées pour faire un relevé d’une mise en scène, depuis le
cahier de régie (schémas de la position des acteurs, commentaire de leur jeu psychologique, etc.)
jusqu’à la réflexion de diverses approches sémiologiques; elles ne donnent jamais vraiment
satisfaction, d’une part parce qu’elles appauvrissent l’objet décrit, et d’autre part parce qu’elles sont
impuissantes à fournir une réflexion épistémologique sur leur propre système de notation et, encore

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moins, sur les rapports dialectiques entre tous les systèmes et la production du sens global qui en
résulte 7.

À part le réseau d’infinies, cacophoniques et redondantes divisions topiques, Pavis relève


aussi avec beaucoup de justesse une variété considérable de fonctions de la parole
critique qui, prenant tantôt la forme d’une police esthétique, tantôt celle d’une machine
publicitaire8, ou encore celle d’une instance méditante sur le théâtre, instaure, selon le
contexte, des postures critiques dont les modes d’expression se situent entre les deux
extrêmes formant la description objective ou l’autosuffisance subjective. On doit noter à
un certain niveau, que les manières objectivante et subjectivisée de saisie du
phénomène théâtral se produisent et se légitiment également par des procédés plus ou
moins subtils de dénégation réciproque.

Ainsi, selon la logique sérieuse et scientifique, bâtie entre autres sous l’influence de la
psychologie, la psychanalyse, la sociologie, l’anthropologie et du post/structuralisme, le
discours journalistique serait considéré comme une “explication superficielle” - proche
dangereusement des produits de la consommation, à laquelle échapperaient
habituellement les profondes conditions humaines, sociales et politiques de la pratique
dramatique, tandis que dans la perspective inverse, ce serait “l’écriture journalistique à la
petite semaine” qui, en refusant le plus souvent de succomber à la tentation de
révolutions coperniciennes dans l’histoire du théâtre et de jugements catégoriques,
absolus et universels sur “quelques signes isolés”, proposerait consciemment au
spectateur un discours allusif, métaphorique et imagé, en prise directe sur “le côté
artistique” du spectacle.

L’approche proposée ici ne se traduira cependant ni par la tentative de présenter, au


travers d’un alliage de tous les points de vue un super discours explicatif, ni par la
volonté de suivre les émergences, évolutions, disparitions et continuités des distinctions
et des classements établis par les critiques. Son objectif n’est pas de “formaliser un
métalangage totalisant de la critique théâtrale” ni de “trouver une grille descriptive et
interprétative supérieure appropriée aux diverses composantes de la représentation”
mais de prélever à partir de tout cet ensemble hétéroclite de textes, un échantillon qui

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permettrait de rendre compte de l’enracinement profond d’une parole critique dans une
évolution sociale et culturelle.

Car, selon les principes posés par la théorie du discours social, tous les champs du
discours critique et artistique, autant dans leurs terminologies que dans leurs
méthodologies, souvent floues, parce qu’empruntées, se construisent inévitablement
sur le fond des représentations idéologiques proprement sociales. Comme le note
Patrice Pavis - malheureusement, il s’arrête là - si on compare les points communs et
les divergences thématiques, les présupposés idéologiques et les manies stylistiques au
niveau du discours critique journalistique, on s’aperçoit que le critique, cet être hybride,
demi-artiste à moitié responsable, travaille et écrit toujours à partir d’un présupposé
esthétique capital qui définit vaguement ce que devrait être le (vrai) théâtre: référence
ambiguë, presque refoulée, jamais définie complètement, mais comment obligatoire.

Dans son ouvrage The National Stage. Theatre and Cultural Legitimation in England,
France, and America9, Loren Kruger a démontré que la production, la promotion et la
légitimation de l’identité théâtrale a beaucoup à voir à son niveau élémentaire du
développement avec la représentation scénique de la nation même, c’est-à-dire avec
l’importance que peuvent prendre dans certaines conditions les formes dramatiques du
théâtre populaire. Celles-ci tendent en effet à fournir à son public, à travers un dispositif
littéraire et linguistique spécifique, une représentation unifiée de la collectivité en
exploitant habilement les relations entre l’institution théâtrale et toute la sphère publique:

The intersection of political, economic, and aesthetic spheres in the institution of theatre as well as
the ambiguity of those relationships makes theatre an exemplary site for investigating the complex
and contradictory relationships among the discourses and practices sustaining cultural hegemony.
[...] At the same time as we acknowledge the extent to which the apparently autonomous
conventions of dramatic literature are penetrated by the economic, social, and political conditions of
emergence, we should nonetheless beware of reducing any particular dramatic text or genre to a
mere symptom of domination10.

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Il va de soi que dans l’autonomie impure du théâtre, le processus de la visualisation
scénique de l’identité nationale est déterminé encore plus significativement par une
méditation sociale focalisée directement sur le théâtre, à savoir le discours critique,
juridique et pédagogique, producteur d’identités professionnelles spécifiques. En se
concentrant sur l’évolution du vocable “théâtre (québécois )” à partir de ses premières
définitions, à travers ses multiples relectures et jusqu’à ses formes finales, connues
aujourd’hui, notre analyse prendra en compte particulièrement les arguments de rupture
et d’affirmation, les narrations sur les origines, la situation présente et le futur de cet
espace symbolique, ainsi que sur ses stratégies de survie, c.-à-d. singularisations,
diversifications, contre-légitimations, nouvelles représentations. Mais à l’étape finale de
cette partie de l’analyse, on mettra en rapport cet ensemble de la parole critique avec le
champ proprement artistique du théâtre pour transgresser la frontière primaire établie
auparavant entre les deux territoires et faire ressortir mieux les règles de production,
d’organisation et de régulation de la théâtralité québécoise globale, relative à l’identité de
sa collectivité ambiante.

Conclusion

Dès lors, notre tâche revient à produire à partir des deux ensembles constitutifs du
socio-discours théâtral une vision qui serait globale, non seulement dans la mesure où
elle témoignerait de la volonté de traduire l’essence d’un théâtral, soit tout ce que celle-ci
contient analytiquement de verbalité, mais aussi parce qu’elle serait l’exposition
redessinée en plusieurs perspectives, du caractère proprement identitaire de sa société
productrice. La nature de cette lecture va reposer sur la conversion multiple du regard.
Cependant, il s’agit ici non d’une suite de nouvelles lectures d’un obscur objet de
recherche, mais plutôt d’une relecture multiple d’un même, d’un toujours -là discursif.

Toutefois, pour se faire une idée plus complète et juste de ce qu’est le socio-discours
dramatique, il est nécessaire de nous livrer également - ne serait-ce que partiellement -
à la délimitation de sa base institutionnelle (J. Dubois): les organismes de production, les
systèmes de gestion, les réseaux d’édition, de diffusion et de réception; bref, tous les
éléments qui sont porteurs des marques para-discursives, mais pleinement participantes

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du processus de médiation sociale de la théâtralité. En réalité, la restitution du fond
institutionnel du socio-discours constituera un élément de départ qui facilitera
essentiellement la mise en marche de l’étude par l’établissement des points cardinaux de
la cartographie théâtrale. D’après Hans van Maanen, le schéma reproducteur des
forces fondatrices de la structure institutionnelle dramatique et des liens qui s’installent
entre elles, pourrait être présenté dans sa forme la plus rudimentaire comme suit:

The basis of each theatre system, in each country or culture, is the relationship between the
Theatre maker and the Spectator (S). A third element that, in a strict sense, is always present and
that, moreover, has a fundamental place in all theatre systems is Distribution (D), the domain in
which the artistic communication between TM ans S is organized. [...] The three domains of the
core triangle TM/D/S and the relationships between them are, usually, influenced by two types of
bodies, which I call Mediating Bodies (MB) and the Supporting Bodies (SB). The first one, MB,
influences one or more relationships between the domains. A clear example is the press, which will
influence all three relational lines between TM, D and S. [...] The bodies of the second kind, the
Supporting Bodies, have their relationships with the domains themselves. They can be the
government, regional or local authorities, funds or sponsors and are mostly thought of as direct
financial supporters, specially for the TM- and D- domains. But, in a more indirect way, theatre
schools and theatrical education, be it active or receptive, are other examples of Support, on behalf
of the TM domain and the S domain respectively 11.

À part son caractère ouvert qui permet d’inclure d’autres éléments potentiels, la
dynamique implicite dans ce modèle a l’avantage non seulement d’opérer de manière
mobile une série de distinctions qui sont vala bles pour chaque institution théâtrale, mais
également - et peut-être surtout - de mettre l’accent sur les rapports mutuels entre
toutes ces composantes de sorte que l’analyse d’un conflit ou d’un problème - ou
seulement du caractère spécifique d’une institution - nous demande dans ce contexte
de prendre conscience de toute la complexité de la structure institutionnelle.

Cela dit, malgré l’interdépendance généralisée invoquée comme un des principaux


éléments dynamogènes dans la description de ce schéma, les trois axes des rapports
triangulaires TM-S-D gardent une certaine autonomie, dans la mesure où leur fonction

15
est influencée par des données institutionnelles de différents types. Par exemple, si la
jonction entre TM et S subit dans sa réciprocité prédominante l’effet d’un MB type
Press, les jonctions entre TM-D et D-S seront différenciées respectivement par les
apparitions de MB du type Agency et de MB du type Cultural Touroperation. La qualité
distinctive de chaque élément capital de la figure TM-S-D repose de plus sur les
dynamiques résultant de sous-interactions propres à des micro-champs: S (School
Education), TM (Actor School), D (Authorities).

Hans van Maanen introduit par la suite des catégories de graduation qui provoquent la
diffraction de ladite série TM-S-D en trois niveaux parallèles, c.-à-d. macro-, micro- et
intermédiaire, dont le premier se rapporterait à l’organisation sociale supra-institutionnelle
du théâtre, le deuxième serait destiné à décrire le fonctionnement de l’institution comme
telle, tandis que le dernier, intra-institutionnel, servirait à l’examen du processus même
de la production, distribution et réception dramatique. Les questions les plus importantes
inscrites dans les neuf champs obtenus par l’interposition finale de ces six prédicats
pourraient se résumer ainsi:

1. Macro-Theatre Making: Nombre et types de compagnies; Principes de financement;


Organisations d’artistes, techniciens, etc.; Rapports avec le système d’enseignement;
2. Macro-Distribution: Nombre et types de théâtres; grandeurs et catégories de salles;
Objectifs de promotion; Étendue nationale et/ou régionale voire urbaine de la promotion; Sources
de financement; Organisation des employés; Relation avec le système éducatif et politique;
3. Macro-Spectating: Nombre et type(s) du public - âge, sexe, éducation, domicile, etc.;
Organisation du public; Influence du système éducationnel et politique; Goûts;
4. Meso-Theatre Making: Structure organisationnelle de l’institution; Communication avec
“D” et “S”; Production totale avec ses traits spécifiques; Objectifs; Ventes; Caractéristiques
générales du processus TM;
5. Meso-Distribution: Situation financière; Communication avec TM et S ; Achats et ventes ;
Objectifs; Rapports avec le pouvoir politique; Structure organisationnelle Ressources;
6. Meso-Spectating: Nombre et types du public visé; Besoins et motivations du public visé;
Obstacles hypothétiques à la décision d’aller au théâtre; Sorties organisées au théâtre;

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7. Micro-Theatre Making: Objectifs spécifiques; Fonctions de directeurs et d’acteurs, etc.;
Conditions de répétition; Manière de concevoir le processus théâtral et celui de la répétition;
8. Micro-Distribution: Choix du répertoire; Analyse et recherche du public; Offre;
9. Micro-Spectating: Perception globale du théâtre; Répertoire préféré; Processus de
réception, d’analyse et d’assimilation des spectacles.

À partir de ces nombreuses classifications, dans le but de démontrer la


dynamique du processus de la constitution institutionnelle du théâtre, Hans van Maanen
propose de recourir à un diagramme où toutes les parties prenantes seraient mises en
rapport de corrélation généralisé:

Conditions Conditions Conditions Conditions


de production de distribution de participation de réception
(1+4) (2+5) (3+6) (3+6)

↓ ↓ ↓ ↓
(P) Conception du
théâtre et (7) répétition ⇐ ↓ ↓

↓ ⇑ ↓

(C) Produit théâtral → (P) Programmation (8) ⇐
↓ ⇑ ↓ ↓
(C) Produit théâtral complet
(services inclus) → (P) Motivation
du public et fréquentation (9)

⇑ ↓
(C) Participation → (P) Réception (9)
↓ ↓
(C) Idéologie/ ← (C) Expérience
Discours social artistique

Où: (P) - Processus; (C) - Constituante

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Ainsi, la base du système théâtral, dont la description a été citée plus haut, et la division
de sa structure en trois piliers TM - S - D qui dans leur point de jonction enferment les
conditions fondamentales de l’existence sociale de “l’art théâtral”, se trouvent
reconstruites en un modèle fonctionnel - voir schéma - des correspondances
dynamiques, organisées essentiellement autour de l’axe “Processus” - “Constituantes”
et, verticalement (niveau macro, intermédiaire et micro), recoupées en trois sous -
champs: (1+4+7) (2+5+8) et (3"+6"+9"). C’est ce modèle, que l’on ne saurait
appliquer cependant de manière mécanique, que l’on devrait garder en mémoire lors de
la lecture (surtout) de la première partie de l’ouvrage consacrée à l’univers de l’institution
théâtrale au Québec.

Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier que l’objectif de ces trois premiers chapitres est de
présenter seulement l’ensemble des instances productrices et légitimantes du théâtre
pour en faire ensuite une porte d’entrée vers l’analyse proprement dite du socio-discours
dramatique. Par conséquent, on voudra bien ne pas chercher dans cette partie de
l’étude une analyse du fonctionnement institutionnel du théâtre québécois. Il s’agit là
plutôt d’une description référentielle et indicative des enjeux dont traitent de manière
plus détaillée les parties suivantes du livre. Notons d’autre part que la présentation de ce
champ n’est en fait qu’une présentation critique à partir de ce qui a déjà été écrit au
sujet de l’institution (mais souvent dans ce secteur les données factuelles sont très
lacunaires) en considérant déjà ces recherches comme des éléments participants - ne
fût-ce qu’à travers leurs focalisations de la problématique - de la représentation du
théâtre et non comme des expressions synonymiques d’un théâtre réel, c.-à-d. comme
tel, au Québec.

En ce qui concerne les interactions entre l’infrastructure institutionnelle et les codifications


idéologiques des paroles, elles seront dégagées par rapport à nombreux éléments
comme les établissements destinés à la formation théâtrale professionnelle, c.-à-d.
écoles professionnelles, enseignement universitaire, collégial, etc.; les organismes dont
les missions se résument à la promotion, al défense, la diffusion et le développement
des activités théâtrales au Québec et à l’étranger, c.-à-d. conseils, fédérations,
associations, société, centres; les intervenants du champ artistique, c.-à-d. auteurs,

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acteurs, metteurs en scène, compagnies et leurs lieux de production respectifs, ainsi
que le réseau des festivals et les systèmes de prix et de subventions. Le panorama
sera complété par une réflexion sur la réception professionnelle, c.-à-d. critique, et non-
professionnelle, c.-à-d. public, et par une exploration de l’aspect juridique, souvent si
controversé, de l’activité théâtrale.

Dans la perspective élargie, il nous faudrait cependant d’une part de mettre en valeur
des éléments non-explicites du schéma de Hans van Maanen et d’autre part de
dépasser certaines de ses limites: nous pensons surtout aux espaces extensifs du
champ de production théâtrale, tels que les manifestations d’un théâtre national à
l’étranger, v.g. tournées, traductions, réception, et inversement, la présence d’un
théâtre étranger à l’intérieur d’une sphère donnée dramatique nationale et
institutionnelle. Ces deux dimensions non seulement font partie intégrante de l’ensemble
du socio-discours théâtral, mais, par leur nature déjà transitoire, permettent aussi de
s’interroger sur la nature des rapports entre les socio-discours théâtraux, et de réfléchir
sur la valeur potentielle de la catégorie de théâtre mondial12. Particulièrement en ce qui
concerne les études théâtrales, cette nouvelle prise de conscience devrait se produire
surtout à travers les études convergeant vers une théorie globale de la culture. D’autre
part, en ce qui concerne le développement ultérieur de la recherche, une fois le
fonctionnement de la dynamique interne du socio-discours théâtral rendu lisible et
descriptible, on devrait se pencher directement sur les rapports multiples que ce vaste
champ entretient inévitablement avec la masse hégémonique du discours social
proprement dit.

NOTES

1. Marc Angenot, “Pour une théorie du discours social: problématique d’une recherche en cours”,
Littérature (Méditations du social. Recherches actuelles), nº 70, mai 1988, p. 97.

19
2. Claude Duchet, “Discours social et texte italique dans Madame Bovary”, Langages de Flaubert,
Paris, Minard, 1976, p. 145.

3. Marc Angenot, Mil huit cent quatre-vingt neuf. Un état du discours social, Montréal: Le
Préambule, 1989, pp. 13-14.

4. Claude Karnoouh, Adieu à la différence, Paris: Arcantère, 1994, p. 165.

5. Patrice Pavis, “Les études théâtrales”, in Théorie littéraire, sous la direction de Marc Angenot,
Paris: PUF, 1989, p. 99.

6. Marc Angenot, Mil huit cent quatre-vingt neuf. Un état du discours social, op. cit., p. 95.

7. Patrice Pavis, “Le discours de la critique dramatique”, Voix et images de la scène: vers une
sémiologie de la réception, Lille: Presses universitaires de Lille, 1985, pp. 135-144.

8. Bernard Dort, “Les deux critiques”, Théâtre réel, Paris: Seuil, p. 44.

9. Chicago: The University of Chicago Press, 1992.

10. Ibidem., pp. 13, 18-21. Nous soulignons.

11. Hans van Maanen, “Theatre as a social system, a methodological approach”, le12-ème Congrès
mondial de la Fédération Internationale pour la Recherche Théâtrale/Current Trends in Theatre
Research , 6-13 juin 1994, Moscou (Russie), pp. 3-4.

12. Voir à ce propos Dionyz Durisin, Communautés interlittéraires spécifiques, Institut de littérature
mondiale. Académie slovaque des sciences. Bratislava, 1993, et Patrice Pavis, Le théâtre au
croisement des cultures, Paris: José Corti, 1990.

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