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Annales françaises d’anesthésie et de réanimation 21 (2002) 812–815

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Cas clinique

Complication inattendue après chirurgie de hanche sous rachianesthésie


Unusual complication after hip surgery under spinal anaesthesia
R.G. Patrigeon a,*, E. Combourieu a, S. Guérard b, B. Fontaine a, E. Burckard a, J. Escarment a
a
Département urgences anesthésie-réanimation, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, 69003 Lyon, France
b
Service de cardiologie, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, 69003 Lyon, France
Reçu le 28 janvier 2002; accepté le 12 juillet 2002

Résumé

La survenue d’une détresse respiratoire postopératoire d’une chirurgie de la hanche chez le sujet âgé évoque en premier lieu une
complication thromboembolique. Il faut cependant garder à l’esprit l’existence de complications rares qui peuvent passer inaperçues du fait
d’anomalies du comportement qui se manifestent quel que soit le type d’anesthésie utilisé. Un syndrome confusionnel, après une chirurgie
orthopédique sous rachianesthésie, a occulté un syndrome de pénétration lié à l’inhalation accidentelle d’une couronne dentaire. Un poumon
pathologique a favorisé l’expression clinique bruyante. Une anesthésie locorégionale a été retenue compte tenu des antécédents respiratoires
et de l’âge de la patiente. Une fibroscopie puis une bronchoscopie sous anesthésie générale en ventilation spontanée ont permis de traiter
cet accident. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The development of an acute respiratory distress syndrome following hip surgery in elderly patients is suggestive of thromboembolism
in most instances. However, we must keep in mind the possibility of rarer complications, which can remain undiagnosed because they are
hidden by prominent abnormal behaviours, which can develop following any type of anaesthesia. We report the case of a patient who
developed a confusion following an orthopaedic surgery under spinal anaesthesia; this confusion concealed a penetration syndrome resulting
from accidental inhalation of a dental crown. Because this patient was old and had previously developed chronic lung disorders, we selected
a spinal anaesthesia for performing the surgery; these underlying respiratory disorders worsened the clinical consequences of the inhalation.
The dental crown was removed under general anaesthesia with spontaneous ventilation using a bronchoscope after an unsuccessful attempt
with a fibrescope due to the size of the foreign body. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved.
Mots clés: Détresse respiratoire; Corps étranger intrabronchique; Troubles du comportement postopératoire

Keywords: Respiratory distress; Intrabronchial foreign body; Postoperative confusion

L’anesthésie des patients âgés est en constante augmen- cognitives et les effets hémodynamiques prévisibles. Nous
tation en particulier en orthopédie, où le traitement chirur- rapportons un cas d’atteinte cognitive postopératoire aux
gical d’une fracture du col fémoral est devenu banal. Bien conséquences dramatiques.
qu’elle n’ait pas d’avantage formellement démontré par
rapport à l’anesthésie générale, l’anesthésie locorégionale
est souvent préférée lorsqu’elle est réalisable, en raison d’un
moindre retentissement sur les fonctions respiratoire et 1. Observation

* Auteur correspondant. Une patiente âgée de 94 ans a été hospitalisée dans le


Adresse e-mail : RGFatF1@aol.com (R.G. Patrigeon). service de chirurgie orthopédique après fracture pertrochan-
© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
PII: S 0 7 5 0 - 7 6 5 8 ( 0 2 ) 0 0 7 9 8 - 0
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Fig. 1. Radiographie pulmonaire montrant l’obstruction de la bronche souche gauche (a) et restauration de la fonction pulmonaire (b).

térienne du fémur droit, consécutive à une chute par cyanose. Un transfert en urgence dans le service de réani-
maladresse. mation était décidé, La SpO2 était alors à 70 % sous
Elle était parfaitement consciente et orientée, vivait seule 15 l min–1 d’oxygène délivré au masque à haute concentra-
à son domicile et rapportait seulement une hypoacousie tion. Sur le plan neurologique, le score de Glasgow était
importante non appareillée. Ses antécédents médicaux noté à 11 avec alternance de phases d’agitation et de
étaient représentés par une tuberculose pulmonaire de l’en- somnolence. Il existait une tachycardie et une hypertension
fance traitée par pneumothorax et talcage de la plèvre du artérielle. L’examen respiratoire montrait une polypnée
poumon droit rendu non fonctionnel. La patiente était superficielle à une fréquence de 30 c min–1. Il existait une
classée ASA III. L’anesthésie choisie associait un bloc cyanose en pélerine, une distension thoracique. L’ausculta-
ilio-fascial avec injection de 20 ml de lidocaïne 2 % adré- tion objectivait une abolition du murmure vésiculaire du
nalinée pour contrôler la douleur, avant de pratiquer la côté gauche, sans réel tympanisme ni matité. Ce dernier
rachianesthésie en décubitus latéral droit, sans prémédica- était présent mais diminué à droite, avec ronchi sans
tion en injectant 10 mg (2 ml) de bupivacaïne à 5 %. crépitants. La gazométrie artérielle prélevée sous oxygène
L’anesthésie était fixée au niveau de la dixième côte droite. au masque à 15 l min–1 montrait une acidose respiratoire
L’intervention débutait dix heures après la chute. avec un pH à 7,19, une PaCO2 à 79 mmHg, un taux de
La chirurgie en décubitus dorsal sur table orthopédique bicarbonates à 30 mmol l–1, et une hypoxie profonde avec
d’une durée de 50 minutes s’est déroulée sans incident. Elle une PaO2 à 46 mmHg et une SaO2 à 78 %. À l’électrocar-
consistait après réduction à réaliser une ostéosynthèse par la diogramme, existaient un sous-décalage du segment ST et
mise en place d’un système vis plaque dynamique DHSt des ondes T négatives en territoire latéral ; une échographie
(dynamic hip system). cardiaque pratiquée en urgence ne montrait pas de signe en
On notait une agitation transitoire peropératoire isolée, faveur d’un cœur pulmonaire aigu. La radiographie pulmo-
en dehors de toute variation du pouls, de la pression naire pratiquée montrait une obstruction de la bronche
artérielle ou de la SpO2 et de résolution spontanée. Après souche gauche, donc du seul poumon fonctionnel, par un
deux heures en salle de surveillance postinterventionnelle, corps étranger qui ressemblait à une dent (Fig. 1a). Un
la patiente retournait dans le service de chirurgie orthopé- rapide examen de la cavité buccale confirmait la disparition
dique où la saturation périphérique en oxygène mesurée au d’une couronne dentaire.
doigt était à 94 % et correspondait à la valeur de base. Le L’arrêt cardiocirculatoire devenant imminent, on décidait
traitement postopératoire associait chlorhydrate de propacé- de réaliser une fibroscopie bronchique de sauvetage, la
tamol et héparine de bas poids moléculaire. Durant la situation excluant un transfert au bloc opératoire pour
première nuit postopératoire, une agitation, des gémisse- effectuer une bronchoscopie rigide. Une assistance ventila-
ments et une confusion étaient notés ; au moment du petit toire non invasive était réalisée par l’intermédiaire d’un
déjeuner survenait une fausse route avec toux et gêne masque pédiatrique placé sur la bouche, avec une aide
respiratoire d’amélioration progressive. Au deuxième jour inspiratoire de 15 cm H2O et une pression expiratoire posi-
postopératoire, après un nouvel effort de toux, survenait une tive (PEP) de 5 cm H2O. Après anesthésie locale, le fibros-
détresse respiratoire brutale avec troubles de conscience et cope était introduit dans une des deux narines, la seconde
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étant obstruée par le doigt servant de guide à l’appareil. La modique, asymétrie à l’auscultation, wheezing localisé, ou
préhension de la couronne était réalisée grâce à une pince à silence auscultatoire unilatéral, qui sont pratiquement patho-
biopsie. Le franchissement rétrograde des cordes vocales gnomoniques [1,4]. La radiographie montre souvent un
s’avérant impossible à deux reprises, on se résignait à aspect normal, parfois une distension unilatérale, voire une
relâcher la couronne dans la bronche souche droite, du côté atélectasie, et peut montrer un CE radio-opaque [5].
du poumon non fonctionnel. Cette manœuvre permettait une La deuxième originalité de ce cas concerne le diagnostic
restauration immédiate de l’oxygénation et l’amélioration initial de la détresse respiratoire, puisque la survenue d’une
clinique (Fig. 1b). La patiente était alors transportée au bloc dyspnée aiguë avec désaturation postopératoire d’une frac-
opératoire pour extraction du corps étranger sous bronchos- ture de hanche évoque en premier lieu une embolie pulmo-
copie rigide. Une anesthésie était réalisée au propofol naire (EP). Il peut s’agir d’une classique EP fibrinocruori-
délivré par un dispositif à objectif de concentration, associé que survenant après ostéosynthèse d’une fracture du col
à de petites doses d’alfentanil afin de préserver une venti- chez le sujet âgé avec une morbidité liée à la maladie
lation spontanée. À l’issue du geste, la patiente était intubée, thromboembolique qui est comprise entre 2,8 et 4,7 % [6].
et ventilée sous sédation par propofol pendant quelques Du fait de l’existence d’un délai entre le traumatisme et le
heures, puis extubée compte tenu d’une évolution rapide- traitement chirurgical, on doit évoquer également une em-
ment favorable. La patiente a quitté le service de soins bolie graisseuse bien qu’il n’y ait pas eu d’impactation
intensifs le troisième jour postopératoire et l’hôpital au endomédullaire de prothèse fémorale [7]. L’inhalation d’un
dixième jour. Des épisodes de confusion nocturne étaient corps étranger était d’autant moins évoquée qu’elle a été
constatés et se sont progressivement amendés. masquée par la survenue d’une altération de l’état de
conscience après une anesthésie locorégionale, qui avait été
choisie en particulier pour éviter ce phénomène. Chez les
grands vieillards, des troubles du comportement sont sou-
2. Discussion vent rapportés, qu’il s’agisse de dysfonctions cognitives, ou
de confusion, et ceci quel que soit le type d’anesthésie
choisi [8-10].
L’originalité de cette observation réside en deux aspects : Une détresse respiratoire postopératoire en chirurgie
le traitement adopté pour l’ablation de ce corps étranger orthopédique fait envisager en premier lieu l’embolie pul-
(CE), qui aurait dû être une bronchoscopie rigide, n’a pas monaire. Il faut cependant garder à l’esprit tous les diagnos-
été immédiatement possible à cause du seul poumon fonc- tics différentiels, en sachant que les sujets âgés, même s’ils
tionnel de cette patiente. Le CE était presque assimilable à ont un comportement tout à fait normal en période préopé-
un CE trachéal, mais la manœuvre de Heimlich, qui n’a pas ratoire, peuvent présenter des troubles postopératoires qui
été tentée, ne semblait pas indiquée. Une procédure de rendent l’interrogatoire impossible et ceci quelle que soit la
sauvetage a dû être réalisée en utilisant un fibroscope souple technique anesthésique utilisée.
sous ventilation non invasive afin de simplement déplacer la
couronne à l’aide de pinces à biopsie, le service de
réanimation ne disposant pas d’autre instrument. Références
Chez l’adulte, il existe une prédominance d’inhalation de
CE durant la septième décennie de la vie. Les corps [1] Couvreur J. Inhalation des corps étrangers. Encycl Med Chir
(Elsevier, Paris). Urgences 1992;24-310-D-10:4.
étrangers sont alors le plus souvent des aliments (cacahuè-
tes, fragments d’os, de viande), mais aussi des fragments de [2] Limper AH, Prakash UB. Tracheobronchial foreign bodies in adults.
prothèses dentaires, du matériel médical, ou d’autres objets Ann Intern Med 1990;112:604–9.
divers (punaises, épingles, comprimés). Chez le vieillard, on [3] Navez M, Rayet I, Molliex S, Prades JM. Les corps étrangers
doit rechercher un facteur favorisant (trouble neurologique trachéobronchiques de l’enfant. Stratégies de sauvetage. In: Sfar,
editor. Médecine d’urgence. 39e Congrès national d’anesthésie et de
avec atteinte bulbaire, abus de sédatifs) [1,2]. La localisa- réanimation. Paris: Elsevier; 1997. p. 87–98.
tion des corps étrangers chez l’adulte est le lobe inférieur
[4] Erminy M, Londero A, Biacabe B, Bonfils P. Urgences en oto-rhino-
droit dans 28 à 56 % des cas, et le lobe inférieur gauche
laryngologie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris). Urgences 2000;24-
dans 3 % des cas [1]. La clinique est marquée par le 162-A-10:13.
syndrome de pénétration, qui correspond au réflexe de
[5] Aytac A, Yurdakul Y, Ikizler C. Inhalation of foreign bodies in
défense de l’arbre respiratoire contre l’intrusion de ce CE children. Report of 500 cases. J. Thorac Cardiovasc Surg
avec spasme laryngé, difficultés à reprendre son souffle. La 1977;74:145–51.
gêne ventilatoire résiduelle est fonction du type de CE et de [6] Barré J, Lepousé C. Prophylaxie périopératoire de la thrombose. In:
sa localisation [3]. En cas de localisation bronchique, il Sfar, editor. Conférences d’actualisation. 41e Congrès national
existe surtout des phénomènes d’irritation avec toux spas- d’anesthésie et de réanimation. Paris: Elsevier; 1999. p. 89–104.
R.G. Patrigeon et al. / Annales françaises d’anesthésie et de réanimation 21 (2002) 812–815 815

[7] Mimoz O, Incagnoli P, Edouard A, Samii K. Le syndrome d’embolie [9] Dupré LJ. Anesthésie du sujet âgé. Quand choisir l’anesthésie
graisseuse. In: Sfar, editor. Conférences d’actualisation. 39e Congrès locorégionale ? In: Jepu, editor. Anesthésie du sujet âgé. Paris:
national d’anesthésie et de réanimation. Paris: Elsevier; 1997. Anesthésie-réanimation Pitié-Salpêtrière; 2000. p. 317–23.
p. 587–98.
[8] Juvin P, Plantefève G. Anesthésie du grand vieillard. In: Sfar, editor. [10] Paqueron X, Martinon C, De Castro V, Langeron O. Troubles
Conférences d’actualisation. 41e Congrès national d’anesthésie et de cognitifs postopératoires. In: Jepu, editor. Anesthésie du sujet âgé.
réanimation. Paris: Elsevier; 1999. p. 9–24. Paris: Anesthésie-réanimation Pitié-Salpêtrière; 2000. p. 239–49.

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