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« La mort de l'Occident »

Interview d'Alexandre Del Valle (28/03/2003)

Source : Kountrass

Q : Comment comprenez-vous ce qui se passe en Europe ?

R : Je pense fondamentalement la même chose que Bat Yé’Or, qui m’a beaucoup influencé,
dans ce qu’elle écrit sur les dhimmis. Suite au phénomène de décolonisation, l’Europe est
rentrée dans une phase du syndrome de Stockholm 1 généralisé, de doute de soi entretenu
par toute l’extrême-gauche depuis des années ; du coup, le monde islamique anciennement
colonisé a repris du poil de la bête et veut se venger. L’ancienne victime veut sa revanche,
pendant que l’ancien colonisateur bat sa coulpe, et rentre dans une démarche de honte
d’être soi-même, européen, occidental, judéo-chrétien, et comme l’origine de son monde est
juif, c’est dans l’anti-sionisme que tout ceci se retrouve.

Le dhimmi est le cas de la personne qui veut plaire au majoritaire islamique, en tapant sur
l’autre dhimmi pour y parvenir.

On a tellement peur de ce monde arabo-islamique, qui est en train d’assimiler l’Europe sur le
plan sociologique, que l’on donne dans une surenchère d’anti-sionisme permanent, en
croyant que cela va nous épargner la fureur du monde islamique, dont on a
fondamentalement peur.

On est rentré dans la même situation que le Chrétien d’Orient, qui, pour se faire bien voir du
musulman, frappait sur le Juif.

En conclusion, l’Europe est rentrée dans une démarche de pré-dhimmitude volontaire


généralisée, se conduisant comme si nous étions déjà conquis par le monde arabe.

Q : Pourquoi est-ce maintenant que tout cela se réveille ?

R : Cela date de trente-quarante ans, mais souvent de tels phénomènes passent par une
période d’incubation, ce à quoi s’ajoute de nos jours l’accentuation du phénomène
migratoire en provenance du monde islamique. Les dirigeants de la France ont noté le fait
que toute cette population s’est ajoutée aux personnes qui vivent dans ce pays, remarquable
par leur anti-sionisme, par leur islamisme – on a avalisé récemment en France un organisme
tel que les Frères musulmans… On prend acte de plus en plus de cette islamisation de
l’Europe, et si ce phénomène remonte à plusieurs décennies – les rapports entre le
palestinisme et l’extrême-gauche ne sont pas récents –, c’étaient jadis des minoritaires qui
se regroupaient alors que le phénomène se joue à présent sur un plan majoritaire : des villes
entières sont déjà totalement arabo-islamiques sur le plan démographique. C’est donc
devenu un phénomène social majeur.

C’est pourquoi des mouvements d’extrême-gauche anti-mondialisation, pro-palestiniens,


anti-américains, relèvent la tête. Le raisonnement est le suivant : les Européens n’ont plus
d’enfants, ils sont en période de déclin, et les islamistes finiront par prendre le pouvoir à
moyen ou long terme. On retrouve le raisonnement des collabos du temps des Nazis qui se
disaient très cyniquement : l’Axe est en train de gagner, donc collaborons… Certes, ces
mêmes personnes n’adhéraient pas forcément toutes aux principes nazis et elles étaient
même parfois issues de milieux idéologiques germanophobes comme l’Action Française ou
l’extrême-gauche, mais leur calcul était pragmatique, tout comme celui des antisionistes
radicaux rouges-bruns-verts qui parient sur le triomphe proche des arabo-islamistes.

Il faut dire que cette occupation arabo-islamique que les islamistes appellent de leurs vœux
et tentent d’orchestrer via la prise en main des minorités musulmanes qu’ils escomptent
réislamiser et empêcher de s’intégrer, est à certains égards encore plus inévitable que celle
des Allemands jadis, qui n’était que militaire, donc illégitime – j’ose croire qu’il y aurait eu
une révolte tôt ou tard. La nouveauté géopolitique et stratégique de la situation actuelle
réside dans le fait que le projet de conquête-islamisation souhaité par les islamistes pour
l’Europe et l’Occident (Etats-Unis compris) n’est pas militaire, apparemment pas violent,
excepté les cas isolés de terrorisme. Elle est en effet essentiellement naturelle, sociologique,
démographique, religieuse (prosélytisme, conversions, etc.).

Du point de vue du projet de conquête des islamistes, qui ambitionnent d’utiliser les
immigrés musulmans pour réaliser leur Fatah (ouverture, conquête), d’où l’extrême
nécessité de réussir l’intégration républicaine des fils d’immigrés, l’avantage est que tous
ceux qui, en Occident, dénoncent la soif de conquête islamiste peuvent tôt ou tard être
disqualifiés comme « islamophobes », « anti-immigrés », voire « fascistes », racistes »,
« xénophobes », ou autres noms d’oiseaux, alors que combattre l’islamisme n’a rien à voir
avec cela. D’ailleurs, le seul mot d’immigration est en lui-même devenu un tabou, ainsi que
l’a justement rappelé notre ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy en dénonçant récemment
les deux extrêmes qui empêchent le débat sur l’immigration : le Front National qui prône
une impossible « immigration zéro », et les minorités d’extrême gauche qui veulent
empêcher la France de contrôler ses flux migratoires et de lutter contre la subversion
islamiste qui passe par l’immigration clandestine.

Du point de vue de l’histoire de la stratégie, les islamistes sont en train de mener une guerre
extraordinaire, car ils ont réussi à trouver une rhétorique « progressiste », pro-immigrée et
tiers-mondiste qui empêche les démocraties occidentales prises d’assaut de réagir à un
projet de conquête et même, de plus en plus, à une véritable agression contre nos valeurs
républicaines et notre sécurité publique. Or, en géopolitique, dès lors que l’on ne peut plus
nommer les choses, on est en situation de faiblesse et de défaite à terme, puisque la menace
ne peut même pas être identifiée, donc combattue. A l’aire des médias audiovisuels et des
guerres non militaires (guerre de l’Information – Info-war), on est bel et bien entré dans une
guerre sémantique, ce que j’ai appelé une « guerre de représentation » dans mon livre.
Le processus se déroule comme suit : si vous êtes pour votre société judéo-chrétienne, pour
l’Occident, si vous voulez parler des lignes migratoires en provenance de l’Est, ou de
l’Amérique latine, plutôt qu’en provenance du monde islamique, si vous osez poser la
question de l’immigration extra-communautaire ou de l’identité de l’Europe, vous vous faites
immédiatement traiter de « fasciste », « lepéniste », les islamistes étant considérés de plus
en plus par l’extrême-gauche et les milieux « politiquement corrects » comme des victimes,
de même que les Palestiniens se présentent comme les « nouveaux Juifs », ce qui conduit
certains à parler de « nouvelle Shoa »…
Bref, tout est inversé, les Juifs n’apparaissent plus comme des victimes historiques
essentielles, tandis que les arabo-musulmans et surtout ceux qui incarnent la « douleur
palestinienne », donc les plus anti-sionistes, sont perçus comme les nouveaux martyrs du
nouveau nazisme, du nouvel impérialisme raciste « américano-sioniste », ennemi de l’islam
et des Arabes. En guerre de l’information, pareille inversion est extrêmement intéressante :
le vrai « nouveau Juif », victime a priori, c’est l’Arabe-musulman, à travers la victime absolue
qui est le Palestinien, et le nouveau champ du fascisme-nazisme et du Mal englobe l’Occident
tout entier, avec l’Amérique et Israël en son cœur et l’Europe, l’Australie en sa périphérie.
Donc si vous êtes contre la « libération islamique », si vous vous opposez au prosélytisme
islamiste au nom de la République et des démocraties occidentales, donc au nom de
l’humanisme et des droits de l’Homme, ou tout simplement si vous défendez les valeurs de
l’Occident face à ses ennemis déclarés décidés à « venger » la double humiliation coloniale et
sioniste ou même si vous voulez tout simplement intégrer les Musulmans et donc les
protéger de l’embrigadement islamiste, donc si vous pensez que notre système de valeurs
républicain-laïque français est meilleur pour eux que la théocratie et le communautarisme
islamistes, vous prenez le risque d’être taxé « d’islamophobe », de « raciste », de « néo-
colonialiste », donc finalement de « nazi », puisque l’arabo-islamiste en général est devenu le
« nouveau vrai Juif » « persécuté » par le fascisme américano-sioniste.
Car c’est bien au nom du « droit à la différence » et en subvertissant les valeurs tolérantes de
l’Occident que le propagandiste islamiste anti-occidental entend instaurer un certain
nombre de lois issues de la Sharia. Aussi, si vous déclarez être contre ce « droit à la
différence », vous ne pouvez être qu’un « fasciste », « intolérant », « raciste », etc. D’où le fait
que les islamistes n’hésitent pas, lorsqu’ils défilent, au nom de la Palestine, de l’Irak ou du
foulard islamique, à utiliser une rhétorique « anti-fasciste » et à comparer leur sort à celui
des Juifs du ghetto de Varsovie… Je donne de nombreux exemples très précis de ce type
d’instrumentalisation dans mon dernier livre.

Cette rhétorique fallacieusement anti-fasciste et faussement judéophile est très forte et


efficace en termes de communication : toutes les postures des islamistes, des pro-
palestiniens et même des révisionnistes et de certains groupes pro-palestiniens d’extrême-
droite comme d’extrême gauche ont pour centre de représentation ce « détournement de
mémoire », cette obscène instrumentalisation de la mémoire et de la douleur juive à leurs
profits. Ils peuvent d’autant mieux jouer contre la mémoire juive qu’ils se disent eux-mêmes
les seuls dépositaires légitimes de la terre des Juifs. On a donc affaire à une représentation
qui est encore plus meurtrière que les bombes. Vous ne pouvez rien faire contre une
rhétorique progressiste qui prétend, elle, être anti-fasciste et qui vous diabolise et vous
disqualifie dès lors que vous n’êtes pas opposés aux thèmes frappés d’illégitimité que sont la
défense de la sécurité, de l’Amérique, de l’Occident, des frontières ou tout simplement de
l’Etat d’Israël. C’est ce que j’appelle une « rhétorique victorieuse » et subversive.

Q : Mais est-ce que ces phénomènes sont originaux et nouveaux, jamais vus dans
l’Histoire, ou pensez-vous qu’en vérité chaque mutation dans la société, chaque
révolution profonde du monde a en réalité fait l’objet de bouleversements du même
ordre ?

R : Ce qui me semble innovant dans cette occurrence est la présence de ce phénomène


unique qu’est la Shoa : dès lors que la Shoa a été instrumentalisée, dès lors que les douleurs
de la Seconde Guerre mondiale et de l’Histoire récente ont subi un tel sort de la part de ses
différents acteurs, on se trouve dans quelque chose de nouveau. Car pour culpabiliser
l’Homme européen et l’Homme occidental jusqu’à nous, en passant par Sharon, Bush et
Sarkozy – pour quelqu’un qui est d’extrême-gauche, c’est la même chose, ce sont des gens
qui luttent pour un Etat national –, pour délégitimer ad vitam aeternam l’idée même de
défense de soi, les gauchistes, très intelligemment, ont réussi à systématiquement détourner
la douleur de la Seconde Guerre mondiale et ce que signifie la Shoa.
Le syllogisme assassin mais tellement efficace est le suivant : l’Etat nazi est un Etat avec
uniforme, donc dès que vous êtes pour un Etat avec un uniforme, une armée et de la
répression, vous êtes déjà dans quelque chose qui est de la même nature que le nazisme,
donc vous pouvez produire quelque chose qui est de même nature que la Shoa… Dès lors, la
seule issue non « nazimorphe » consiste à être radicalement opposé à la nation, aux
frontières, à l’Etat, mais aussi à toute forme d’ordre social, moral et familial : bref, rejoindre
le programme des gauchistes soixante-huitards ou autres trotskystes adeptes de la
révolution et de la déstabilisation permanente.

A partir de là, se développe un phénomène rhétorique de « guerre de représentation »


au service de l’extrême-gauche qui est d’une redoutable et inépuisable efficacité. Et, en
partie à juste titre, car il est bien évidemment légitime de ressentir la culpabilité
européenne, occidentale vis–à-vis de la Shoa, à commencer par la culpabilité allemande,
mais également vichyste. Le problème réside toutefois dans le fait que, bien qu’ayant été
définie, encadrée, et même conservée en Israël (Yad Vachem), la mémoire de la Shoa ne
cesse d’être instrumentalisée – paradoxe incroyable mais si vrai – par les ennemis mêmes de
l’Etat d’Israël et plus généralement des Juifs. Cette instrumentalisation de la Shoa fonctionne
à merveille parce que les ennemis de Sion (Gauchistes, islamistes, extrême-droite,
révisionnistes, terroristes palestiniens, etc.) ont su habilement récolter tout le champ de
culpabilité au départ fort légitime et sain mais détourné au détriment des victimes elles-
mêmes de la Shoa.

Certes, vous avez raison lorsque vous insinuez que le renversement d’une situation donnée
et l’instrumentalisation des mémoires ne sont pas des phénomènes nouveaux en soi. Cela a
toujours existé. Vous remarquerez toutefois que tous les pro-palestiniens, tous les
révisionnistes, les anti-américains, les islamistes, jusqu’aux « anti-mondialisation », sans
oublier même les fascistes aujourd’hui, s’expriment de plus en plus en termes
« d’antifascisme » galvaudé et utilisent systématiquement le « détournement de mémoire »,
au nom d’un pro-palestinisme qui masque de plus en plus mal une nouvelle vague de haine
anti-juive planétaire. Le comble est que ceux là même qui ont été pro-nazis (dont les
nationalistes palestiniens et les islamistes) pendant la guerre et qui pratiquent aujourd’hui
le négationnisme de la Shoa, traitent les autres de « nazis », en disant : attention,
« les Sionistes veulent faire comme les Allemands », puis parlent de la « Naqba »
palestinienne, la « Shoa des Arabes », celle qui effacerait en même temps qu’elle
dédouanerait celle commise par les nationaux-socialistes…

Q : Ce phénomène a-t-il, en France, tendance à s’élargir ?

R : Je pense qu’en France on est dans une situation de point de quasi non-retour. Parce que
l’instrumentalisation de la douleur dont nous avons parlé n’est qu’une partie du phénomène.
Il y a aussi l’aspect démographique, l’aspect sociologique, sans oublier le danger qu’est le
détournement et la subversion de la démocratie par ses ennemis. Le passé a démontré que
les dirigeants des démocraties fragilisées et déclinantes cherchent simplement à être réélus,
à faire de la démagogie, le sens de l’Etat ayant complètement disparu – ce qui est lié aussi à
la propagande de l’extrême-gauche, qui est contre l’Etat en tant que tel.
On est par ailleurs dans une situation où l’Europe vieillit. Celle-ci a honte du passé, d’avoir
colonisé des peuples exotiques, elle apprécie à présent l’islam, et rejette tout ce qui provient
du monde judéo-chrétien « colonialiste », « sioniste », et « impérialiste ». Tout concorde pour
dire que l’islam, par simple opposition à cet Occident qui se hait lui-même, est merveilleux.
On assiste à un phénomène de haine de soi collective, j’irai même plus loin : on en est à une
pulsion de mort généralisée. D’ailleurs, le refus de la vie est général est présent en Occident
où les thèmes chers aux nazis comme l’euthanasie, l’élimination ou le mépris des faibles, le
nihilisme, la violence barbare et le culte de l’éternelle jeunesse et du corps brut,
réapparaissent partout. On constate les effets conjoints de cette pulsion de mort collective et
de cet hédonisme « jeuniste » et foncièrement matérialiste au niveau des naissances et
notamment de la dépréciation de la place de famille et de la Mère. Car on ne veut plus
donner la vie. L’Européen est dans une philosophie de mort du point de vue démographique,
idéologique et philosophique.

L’Histoire, et ce n’est pas nouveau, a toujours connu des phases de cet ordre : des peuples
qui désiraient survivre, et d’autres qui ne désiraient plus vivre. Nous sommes dans une
Europe qui a voulu sortir de l’Histoire. Et si elle survit, c’est uniquement grâce au sursaut
américain, qui, justement, a échappé beaucoup plus efficacement à la propagande
culpabilisatrice de l’extrême-gauche, qui est entièrement fondée sur l’instrumentalisation de
l’horreur de la seconde guerre mondiale au profit de la pulsion de mort. Le syllogisme
européen que ne connaît pas l’Amérique, parce qu’elle a vaincu le nazisme, est le suivant :
« Europe, tu as collaboré ; en plus, tu as colonisé ; tu dois donc payer en disparaissant ».
Ce syllogisme ne fonctionne ni avec les Russes, ni avec les Américains, parce que eux ont
payé un prix très élevé pour combattre les nazis.

Du coup, toutes les valeurs honnies par les totalitaires marxistes (nation, Etat, famille, ordre,
drapeau, Occident, libéralisme, capitalisme, esprit d’entreprise, création, croyance en D.,
respect de la religion, etc.), sont encore respectées aux Etats-Unis, tandis que les valeurs du
marxisme y sont globalement mal perçues, voire combattues. Si les Etats-Unis sont capables
d’intervenir en Irak, au Proche-Orient ou en Afghanistan au nom de la démocratie, c’est
parce qu’ils croient encore à la démocratie occidentale et au progrès. Et s’ils sont fiers de
leur drapeau national, c’est conjointement parce que les marxistes n’y monopolisent pas le
débat intellectuel et universitaire et parce qu’il est plus difficile d’associer le drapeau US à
l’horreur nazie. Bref, la propagande de guerre rhétorique des Gauchistes et autres marxistes
si présents dans la vieille Europe en voie de dhimmitude après avoir massivement collaboré
a fort peu de prises sur la société américaine, éprise de vie, qui croit en D., qui respecte la
famille et qui préfère la prospérité du libéralisme à l’assistanat de l’Etat-providence sous
influence marxiste.

Quant à la Russie, qui a certes elle aussi payé un tribut fort lourd dans le combat anti-nazi,
tout comme des Serbes et les Grecs d’ailleurs, le monde orthodoxe post-byzantin, elle n’est
certes pas culpabilisée dans son patriotisme, mais elle connaît l’excès inverse : tandis que les
pires excès sont permis et que la démocratie laisse à désirer, même si Poutine fait des efforts
pour se rapprocher de l’Occident, la Russie a été vidée spirituellement et économiquement
de son contenu par les terribles années noires du marxisme, années noires que les Juifs
russes eux-mêmes ont payées fort cher.

A l’intérieur de la civilisation euro-occidentale et judéo-chrétienne, qui pour moi forme un


bloc, malgré les fortes disparités, et qui inclut bien sûr Israël et « les Juifs » (second poumon
de l’Occident avec « les Grecs », selon Lévinas), seule l’île-continent Amérique demeure
vivante, capable de vitalité, d’action et de réaction, car la prospérité, le libéralisme et la vie
(on accuse bien plus de naissances aux Etats-Unis qu’en Europe) en général y demeurent
des valeurs sacrées, contrairement à la vieille Europe qui bat les records mondiaux
d’athéisme et de nihilisme. Donc je pense que l’Europe disparaîtra progressivement, peut
être de façon très lente, sur un siècle ou deux (ce qui n’est rien à l’échelle de l’Histoire), au
profit – la nature n’aime pas le vide – de ceux qui aiment encore un peu la vie, les
Musulmans, les peuples du tiers-monde arabo-islamique mais aussi africain, asiatique,
peuples qui sont encore capables de procréer et qui véhiculent encore des croyances et des
identités.
Car même les islamistes les plus détestables ont un mérite : celui d’avoir une volonté
d’exister plus forte que les Européens. Ils remplissent le vide, et je pense que,
progressivement, la pulsion de mort, la volonté de suicide européenne, laisseront la place à
la volonté de conquête des musulmans. Ce n’est donc même pas la venue des millions
d’immigrés extra-européens majoritairement musulmans qu’il faut déplorer, mais avant tout
l’absence de volonté de vivre des Européens plongés dans le nihilisme et l’hédonisme et
incapables de défendre les valeurs de leur civilisation. Avec mon ami et collaborateur à
l’UMP, Rachid Kaci, qui lutte contre l’islamisme avec courage, nous ne répétons jamais assez
que si la République croyait en elle-même comme les Américains croient en leurs valeurs, si
la France avait encore la volonté de « fabriquer » de nouveaux citoyens d’origine immigrée
en leur inculquant nos magnifiques valeurs républicaines de Liberté de Fraternité et
d’Egalité, l’intégration des immigrés musulmans poserait beaucoup moins de problèmes et
nous n’assisterions pas aux spectacles inquiétants de montée de l’antisémitisme et d’actes
de violences islamistes dans les banlieues. Les Beurs seraient exactement au même titre que
les immigrés Portugais ou les Espagnols, des fils d’immigrés comme les autres. Notre
responsabilité, issue de notre renoncement, est donc accablante.

Q : Mais l’islam veut justement conquérir !

R : Il y a, certes, un impérialisme islamique intrinsèque non pas dans l’islam en général mais
dans l’islam « orthodoxe », jamais réformé, intolérant, une volonté de conquête et de
revanche, tandis que l’Europe est gagnée par une volonté d’autodestruction et de mea culpa.
L’un est un islam radicalisé assoiffé de revanche et l’autre une Europe en pleine auto-
flagellation. C’est exactement comme un masochiste qui rencontre un sadique, les deux sont
très contents ! La pulsion de mort de l’un correspond à la pulsion de vie de l’autre, la pulsion
de haine de l’un complète la pulsion de haine de soi de l’autre, le vide de l’un permet le
remplissage par l’autre...

Q : Bat Yé’Or, à laquelle vous vous référez, admet une démarche de type
« conspirationniste » entre l’Europe et l’islam, celle-là ayant mis sur pied une entente
profonde avec celui-ci pour s’opposer à nous. Cette conception vous paraît-elle
acceptable ?

R : Je ne pense pas qu’il y ait conspiration. Pire que les conspirations est la loi des cycles
dans l’Histoire. En particulier, celle de la phase dans laquelle un sujet déprime et arrive à un
moment où il veut se suicider. On a constaté en psychologie que le jeune déprimé suicidaire,
une fois sa décision de se suicider prise, se sent paradoxalement parfois beaucoup mieux, à
la limite de l’euphorie. Ceci vient du fait qu’à force d’être dévalorisé, l’on finit par entrevoir
l’idée de sa propre disparition comme la meilleure solution cohérente.
Donc si l’Europe prend la décision de mourir, cette pulsion suicidaire n’est que le résultat de
décennies de propagande marxiste et nihiliste anti-occidentale et anti-européenne. Cette
pulsion collective est peut-être entretenue par ce qui peut paraître pour certains une
conspiration. Pour ma part, je parlerai tout simplement de l’action subversive fort efficace,
menée de longue haleine, des milieux d’extrême-gauche et autres agitateurs
révolutionnaires néo-soixante-huitards ou néo-trotskistes en passant par les No Global. Mais
cela est plus diffus qu’une conspiration car s’y ajoutent des phénomènes liés à l’évolution
des démocraties vers l’hédonisme et le consumérisme, qui favorisent le déclin de l’esprit
civique et national. Je ne suis même pas sûr que les activistes d’extrême-gauche eux-même
aient raisonné en termes de « conspiration », terme assez sulfureux, d’ailleurs. Je pense
qu’ils ont tout simplement ressuscité des niveaux de haine, très anciens, qui remontent à la
Révolution française, à sa pire phase, celle de la Terreur, phase qui inspira les futurs
idéologues du marxisme et du stalinisme, le totalitarisme rouge.
La pulsion nihiliste actuelle découle selon moi d’une idéologie qui a pris sa source dans la
seconde phase de la Révolution française (par opposition à la première phase, libérale et
monarchiste-constitutionnelle, que je salue), qui était anti-démocratique, anti-chrétienne et
intolérante. Mais la haine de soi judéo-chrétienne de l’Europe remonte même dans les textes
des Philosophes des Lumières et des Encyclopédistes (Voltaire, Diderot, etc.), dont certains
étaient non seulement contre le culte de l’autel, mais contre à la fois le Christianisme et le
Judaïsme, contre la civilisation du Décalogue qu’ils voulaient détruire. D’où leur admiration
de la civilisation turco-islamique (turqueries, islamophilie de Gibbon et Boulainvilliers, etc.),
à l’époque la plus sérieuse ennemie de l’Europe. La pulsion anti-civilisationnelle de l’Europe
tire ses racines dans un totalitarisme philosophique révolutionnaire foncièrement anti-
monothéiste, anti-chrétien et anti-judaïque propre aux révolutionnaires français tels Marat,
Robespierre, etc.
Cet esprit qui veut faire « du passé table rase », est fondamentalement nihiliste, puisqu’il
veut détruire le Bien et le Mal et interdire les lois du Décalogue qu’auraient apportées les
Juifs – c’est la grande faute – coupables d’avoir interdit l’homosexualité, inventé le
monothéisme et d’avoir forgé les bases de la monarchie et de la famille judéo-chrétienne.

Ceci est la conclusion de mon livre « Le totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties »
(Syrtes, 2002). J’en conclus que tout le malaise européen et occidental face à l’islam et à la
Modernité repose sur la « mort de D. » et des religions, à qui l’on a point trouvé de
remplaçants. Or une civilisation a besoin de D. ! Et je pense que cette civilisation européenne
qui a tué D. et qui n’a pas réussi à Le remplacer tombe dans le nihilisme, la pulsion de mort,
l’angoisse existentielle, donc le suicide. C’est bien pire qu’un complot : c’est tout simplement
la mort de D. Je crois qu’on revient tout simplement à des questions carrément spirituelles.

Q : Vous admettez donc en conclusion que c’est l’Europe elle-même qui provoque sa
propre perte…

R : Oui, et l’Amérique, qui a adhéré à la première part de la Révolution française, la phase


libérale, et a gardé D., ne chute pas de cette manière-là. L’Europe paye, quelques siècles plus
tard, le fait d’avoir coupé la tête au roi, et tué D., une double effraction.

Q : Cela semble dès lors irréversible…

R : Oui. A la limite, c’est mieux ainsi, ce n’est qu’au prix du totalitarisme qu’il serait possible
d’aller contre la pulsion suicidaire de l’Europe et de la France. Un blocage de la pulsion
nihiliste ne pourrait s’effectuer qu’au prix d’une réaction violente et autoritaire, puisque
cette réaction s’opposerait à la jeunesse hédoniste, aux modes et aux pulsions générales. Or
personnellement, je ne prône pas la violence ni même l’autoritarisme. Je crois aux cycles de
l’Histoire des Hommes. Je me borne à constater un phénomène : l’Europe va encore exister
quelques dizaines d’années, quelques siècles, mais elle est sur le chemin de l’auto-
anéantissement progressif.
Cela ne va pas forcément être chaotique, mais se fera progressivement, lentement et
sûrement, l’Europe va disparaître, notamment en s’arabo-islamisant et en se tiers-
mondisant, puisque la nature n’aime pas le vide. Quelque part, la pulsion islamophile, c’est
aussi le résultat de la haine de soi. Si je me déteste radicalement en tant que judéo-chrétien,
alors je ne peux qu’aimer et rejoindre à un moment ou à un autre la civilisation qui nous
déteste le plus, l’islam radicalisé, post-colonial, anti-sioniste et revanchard. Car c’est elle qui
est le plus en guerre à la fois contre le christianisme et le judaïsme. L’islamophilie est le
parallélisme, le résultat, le miroir tout à fait logique de la haine de soi judéo-chrétienne.

Ce qui est remarquable du reste, c’est que ce sont les gens les plus profondément
autochtones qui sont les plus suicidaires : plus les Dupont et autres sont « de souche », plus
ils sont culpabilisés et haineux d’eux-mêmes. Inversement, ceux qui sont conscients en
France de cette haine d’eux-mêmes, ce ne sont pas seulement les Juifs, premières victimes de
ce phénomènes autant que de l’islamisme, mais aussi les autres minorités telles que des
Arméniens, des Italiens, beaucoup de Pieds-noirs non-juifs, des Corses, des « bons citoyens »
qui aiment d’autant plus la France qu’ils sont déçus par elle. On remarquera souvent que
cette prise de conscience est le fait de « Français de l’extérieur » qui ne sont pas moins
français que les autres, mais qui ne sont pas des Français de terroir. Il s’agit de petites
minorités qui ont souffert elles aussi, et leur mémoire ancestrale est en quelque sorte
« vaccinée » contre le syndrome de la haine des Origines. Car Daniel Sibony a eu raison
d’affirmer que « l’origine de la haine, c’est la haine des origines ». Les « Français de souche »
plongent en tout cas bien plus souvent dans cette islamophilie et cette xénophilie sélective.
Pareil pour la politique arabe de la France, et notamment la politique de Jacques Chirac :
acceptation de la Libye à la commission des Droits de l’Homme ; fait que Chirac était le seul
Européen aux obsèques de Hafez El Assad ; réconciliation avec le Hezbollah, avec l’Iran, et
position incroyable de la France pendant la guerre faite au régime de Saddam Hussein. Cela
fait tout de même beaucoup de choses…

Q : Mais lui seul ? La lecture de la presse française après la récente guerre du Golfe
américaine permet de constater qu’avec le temps, les descriptions des horreurs du
« boucher de Bagdad » commencent à apparaître dans les colonnes des journaux, mais
on attend vainement les vraies questions en fin d’article, celles concernant la position
de la France durant cette période…

R : Il y en a eu quelques-unes, tout de même. Celle de votre serviteur dans le Figaro, sous le


titre de « l’aggiornamento islamiste de la France » – on ne peut être plus clair, et la
philosophe Chantal Del Sol, ainsi que Pascal Bruckner ou encore Alain Madelin.

Q : Est-ce que, par ailleurs, il n’y aurait pas lieu de penser que c’est le peuple d’Israël, en
vérité, qui a ouvert une sorte de boîte de Pandore, il y a quelque cent ans, en lançant son
retour en terre sainte, devenue terre d’islam, et en engendrant un mouvement mondial
de l’ampleur que nous lui connaissons ?

R : Je ne crois pas – et c’est un argument que l’on entend parfois du côté des anti-sionistes…
Il est vrai qu’Israël galvanise un certain mouvement – puisque ce sont des dhimmis, qui
refusent de se conduire comme tels, et qui de la sorte rétablissent quelque chose d’atroce
pour un islamiste, mais de là à dire que l’islamisme n’aurait pas existé sans la création
d’Israël, je ne le pense pas. La création d’Israël suit sa propre logique, et la haine antisioniste
n’est qu’une composante d’une certaine haine anti-occidentale arabo-musulmane, qui a
toujours existé. Il se peut que le mécanisme serait le même sans Israël, mais disons que sa
présence a accéléré le mouvement.
Tous ceux qui veulent lutter contre l’Amérique, l’Occident, la Chrétienté, etc., utilisent ce
prétexte de la soi-disant victimologie palestinienne face à la quintessence de l’horreur néo-
coloniale que serait l’Etat d’Israël. Ceci, alors qu’Israël n’a rien colonisé, mais il est certain
que les représentations, justifiées ou pas, jouent un rôle essentiel dans cette affaire,
convaincant non seulement les musulmans, mais entraînant également d’autres, à force
d’entendre la propagande pro-palestinienne reliée à l’antisionisme et au benladénisme. Ben
Laden, comme on le sait, était longtemps indifférent à l’anti-sionisme et opposé aux
revendications palestiniennes, mais il a su de manière très intelligente, avec le ’Hamas,
réconcilier le nationalisme palestinien et l’islamisme.
C’est ce qui s’est passé à la seconde Intifada, qui a servi à la mobilisation d’un certain
nombre de groupes d’idées islamistes pourtant fortement opposés auparavant. C’est
pourquoi le leader néo-nazi anglais, David Myatt a récemment rejoint l’islam, s’inscrivant
dans un mouvement proche d’El Qaïda, ce qui est gravissime en soi ; des gens d’extrême-
gauche, comme Carlos, se sont convertis à l’islamisme wahhabite, et appellent à la révolution
pro-wahabite autour de Ben Laden – ceci, pour l’extrême-gauche. Les Brigades rouges
italiennes, par trois fois, ont appelé à se solidariser avec Saddam Hussein, Ben Laden et les
Talibans.

On voit partout que l’islamisme, depuis qu’il est devenu anti-sioniste, ce qu’il n’était pas au
départ, fonctionne comme un phénomène révolutionnaire par excellence, le « troisième
totalitarisme » – qui s’inspire des deux premiers ; les Rouges et les Bruns se rendent compte
que sur le marché de la haine, ils sont moins efficaces qu’avant, ils y a moins de prolos qui
adhèrent au parti communiste, il y a moins de nazis qui lèvent le bras, parce que c’est mal
vu. Alors les nazis et les communistes qui ont tout perdu se replient – en restant les mêmes à
l’intérieur – sur les pistes pro-islamistes, dès lors que l’islamiste se présente comme
victime.

C’est une opération très puissante : le coup qu’a réussi l’islamisme est de rallier les bruns et
les rouges, ce que j’ai appelé la convergence des rouges-bruns-verts – thème de mon
prochain livre. J’ai des preuves à cela : la quasi-totalité des mouvements d’extrême-gauche et
d’extrême-droite ont rejoint de près ou de loin l’islamisme, allant souvent jusqu’à des
conversions officielles. Ceci me paraît, dans ce domaine, extraordinairement intéressant.

Tout ceci donne bien entendu un souci à Israël. Qui n’est pas contre Israël ?
Le « politiquement correct » l’est, les extrêmes le sont, il ne reste plus qu’une frange libérale,
en général pro-américaine, et en-dehors des minorités libérales en Europe, bien que cela
soit quelque chose de très mal vu. Tout le monde plonge dans l’anti-sionisme, pour ne pas
dire dans l’islamisme officiel.

C’est donc extrêmement inquiétant, tant pour nous, occidentaux chrétiens, que pour les
Israéliens.

Q : Encore heureux que nous autres abordions l’Histoire actuelle sous un angle
eschatologique…
R : Oui, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Dans cette guerre toute propagandiste, la
jeunesse israélienne qui n’est pas religieuse, qui est cool, libérale, dirai-je, qui va en boîte de
nuit, etc., dont les mœurs ressemblent à celles des Occidentaux, n’a pas envie de souffrir, n’a
pas envie de combattre, cette jeunesse risque, un jour ou l’autre, de quitter le pays. Et c’est
cela qui, si j’étais israélien, me ferait peur : la crise économique et le départ des jeunes.

En tout cas, les gens ont condamné Ben Laden et les lendemains du 11 septembre, avec ce
qui s’est passé en Afghanistan. Ils sont stupides, ces terroristes, a-t-on dit. On peut les
vaincre. Erreur : le message fondamental de Ben Laden est « Si l’islam n’a peur de rien, tout
le monde doit avoir peur de l’islam ! ». Et je dirais que cela marche, les islamistes ont accepté
de devenir des kamikazes, tandis que les Européens prennent des cachets rien qu’à l’idée de
vieillir. A partir de là, à armes égales, les islamistes ont déjà vaincu !

Les seuls qui survivront, ce sont les Juifs religieux, les Chrétiens religieux, ceux qui ont une
vision eschatologique et mystique, car ceux-là ont moins peur de la mort, l’Occident qui
résistera sera l’Occident religieux. Ce n’est pas un hasard si George Bush s’est converti à
l’Eglise évangélique, s’il est très mystique. A l’inverse, il n’aurait pas une telle combativité s’il
n’était pas engagé.

L’Histoire nous montre que ceux qui ont refusé D. ont disparu, ceux qui ont refusé toute
spiritualité n’ont pas duré.

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