Basarab Nicolescu
Physicien théoricien au CNRS, Université Paris 6
Membre de l’Académie Roumaine
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Jean Montreuil, « Histoire de relations franco-roumaines dans le domaine de la recherche scientifique et
technique », in Academia Română et Institut de France, ouvrage co-édité par les Editions Oxus et l’Académie
Roumaine, Paris/Bucarest, 2004.
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équations fausses. C’est pourtant Yukawa seul qui reçoit le Prix Nobel en 1949. Une rivalité
malheureuse, de dimensions tragiques, avec Louis de Broglie, Prix Nobel en 1929, explique
l’échec de Proca, pourtant célèbre partout dans le monde. Paradoxalement, c’est néanmoins
Louis de Broglie a introduit l’expression « équations de Proca » dans la littérature
scientifique. Cette même rivalité explique l’échec en 1949 pour sa nomination à une chaire
vacante à la Sorbonne ainsi que l’échec en 1950 pour la chaire « Théories physiques » au
Collège de France, qui pourtant était conçue spécialement pour le physicien d’origine
roumaine.
Ce drame personnel n’a pas empêché Proca, auréolé de son grand prestige international,
de créer l’école de physique théorique française moderne, grâce au célèbre « Séminaire
Proca » qu’il a fondé en 1946 à l’Institut Poincaré et qu’il a dirigé jusqu’à sa mort. Les plus
grands physiciens étrangers de l’époque - Born, Dirac, Hamilton, Pauli, Peierls, Racah,
Tomonaga, Weisskopf ou Yukawa - ont exposé leurs travaux au Séminaire Proca. Les
physiciens français ont pu ainsi être formés au contact de ces grands physiciens et sont
devenus ensuite les grands représentants de la physique théorique en France. Certains d’entre
eux ont été parmi mes collègues à l’Institut de Physique Nucléaire d’Orsay et j’ai recueilli
avec grand intérêt leurs précieux témoignages. Alexandre Proca est mort le 13 décembre
1955, à 58 ans, d’un cancer du larynx. L’œuvre complète d’Alexandre Proca a été publiée en
1988 par son fils, Georges Proca2.
Il est important de noter qu’à l’époque il était encore possible de publier les travaux
scientifiques en français, sans risque de passer complètement inaperçu. D’ailleurs Proca
publiait simultanément ses travaux en France et en Roumanie. Ces travaux fondamentaux sur
les mésons vectoriels dans la période 1936-1941 sont publiés dans les Comptes Rendus de
l’Académie des Science de France, les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de
Roumanie et le Journal de Physique et du Radium. Et son livre Sur la théorie des quanta de
lumière3 est publié aussi en français.
L’attachement de Proca à la langue française se matérialise aussi dans son œuvre de
traducteur. Ainsi, Proca a traduit trois livres fondamentaux de la mécanique quantique : en
1931, Les principes de la Mécanique Quantique de Paul Dirac4 (en collaboration avec Jean
2
Alexandre Proca, Œuvre scientifique publiée, édité par Georges A. Proca, 1988, édition publiée à compte
d’auteur.
3
Al. Proca, Sur la théorie des quanta de lumière, Librairie Scientifique Albert Blanchard, Collection de
Suggestions Scientifiques, Paris, 1928.
4
P. A. M. Dirac, Les principes de la Mécanique Quantique, PUF, Paris, 1931, traduit par Al. Proca et J.
Ullmo.
2
Ullmo), en 1933, Mémoires sur la Mécanique Ondulatoire d’Erwin Schrödinger5 et, en 1947,
Les fondements mathématiques de la Mécanique Quantique de John von Neumann6. Ces
livres ont servi comme de véritables manuels à ceux qui se sont consacré, en France et dans
les pays francophones, à la physique théorique.
5
E. Schrödinger, Mémoires sur la Mécanique Ondulatoire, Félix Alcan, Paris, 1933, traduit par Al. Proca,
avant-propos et notes inédites de l’auteur, préface de Marcel Brillouin.
6
J. von Neumann, Les fondements mathématiques de la Mécanique Quantique, PUF, Paris, 1947.