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ALEXANDRE PROCA (1897-1955)

Basarab Nicolescu
Physicien théoricien au CNRS, Université Paris 6
Membre de l’Académie Roumaine

Alexandre Proca (1897-1955) est le fondateur de l’école de physique théorique française


moderne. Son nom a été mentionné dans la communication faite par Jean Montreuil à la
séance du 25 octobre 2002 de l’Institut de France en l’honneur de l’Académie Roumaine 1. Les
riches archives d’Alexandre Proca ont été déposées au Service des Archives et Patrimoine
Historique de l’Académie des Sciences de France. Outre ses manuscrits et ses travaux
scientifiques, ces archives contiennent la correspondance de Proca avec les plus grands
physiciens de l’époque.
Né le 16 octobre 1897 à Bucarest, Proca parle parfaitement, à 17 ans, le français,
l’anglais et l’allemand. En 1922 il finit ses études à Ecole Polytechnique de Bucarest, comme
chef de promotion. Un an après il part à Paris où il soutient, en 1924, sa licence ès sciences.
En 1925, Marie Curie l’invite à son Institut et en 1929 il commence ses travaux de physique
théorique, en mécanique quantique, où il se démarque nettement des conceptions ondulatoires
de Louis de Broglie. Naturalisé français en 1931, il soutient en 1933 sa thèse de doctorat
contenant les résultats de dix-huit publications, le Président du jury étant Jean Perrin. Ensuite
il voyage à Berlin et Copenhague, travaillant avec Schrödinger et Bohr.
C’est en 1936, trois ans après sa thèse, que Proca obtient son résultat fondamental,
connu, aujourd’hui encore, sous le nom d’équations de Proca. Il s’agit d’une découverte
théorique capitale : celle de mésons vectoriels, qui allait ensuite, après la mort de Proca, être
largement confirmée sur le plan expérimental et qui allait s’avérer essentielle (et toujours
actuelle) pour la théorie quantique des champs et les théories d’unification des interactions
physiques. Presque simultanément, le physicien japonais Yukawa a la même idée
d’explication des forces nucléaires par les mésons vectoriels mais il s’appuie sur des

1
Jean Montreuil, « Histoire de relations franco-roumaines dans le domaine de la recherche scientifique et
technique », in Academia Română et Institut de France, ouvrage co-édité par les Editions Oxus et l’Académie
Roumaine, Paris/Bucarest, 2004.

1
équations fausses. C’est pourtant Yukawa seul qui reçoit le Prix Nobel en 1949. Une rivalité
malheureuse, de dimensions tragiques, avec Louis de Broglie, Prix Nobel en 1929, explique
l’échec de Proca, pourtant célèbre partout dans le monde. Paradoxalement, c’est néanmoins
Louis de Broglie a introduit l’expression « équations de Proca » dans la littérature
scientifique. Cette même rivalité explique l’échec en 1949 pour sa nomination à une chaire
vacante à la Sorbonne ainsi que l’échec en 1950 pour la chaire « Théories physiques » au
Collège de France, qui pourtant était conçue spécialement pour le physicien d’origine
roumaine.
Ce drame personnel n’a pas empêché Proca, auréolé de son grand prestige international,
de créer l’école de physique théorique française moderne, grâce au célèbre « Séminaire
Proca » qu’il a fondé en 1946 à l’Institut Poincaré et qu’il a dirigé jusqu’à sa mort. Les plus
grands physiciens étrangers de l’époque - Born, Dirac, Hamilton, Pauli, Peierls, Racah,
Tomonaga, Weisskopf ou Yukawa - ont exposé leurs travaux au Séminaire Proca. Les
physiciens français ont pu ainsi être formés au contact de ces grands physiciens et sont
devenus ensuite les grands représentants de la physique théorique en France. Certains d’entre
eux ont été parmi mes collègues à l’Institut de Physique Nucléaire d’Orsay et j’ai recueilli
avec grand intérêt leurs précieux témoignages. Alexandre Proca est mort le 13 décembre
1955, à 58 ans, d’un cancer du larynx. L’œuvre complète d’Alexandre Proca a été publiée en
1988 par son fils, Georges Proca2.
Il est important de noter qu’à l’époque il était encore possible de publier les travaux
scientifiques en français, sans risque de passer complètement inaperçu. D’ailleurs Proca
publiait simultanément ses travaux en France et en Roumanie. Ces travaux fondamentaux sur
les mésons vectoriels dans la période 1936-1941 sont publiés dans les Comptes Rendus de
l’Académie des Science de France, les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de
Roumanie et le Journal de Physique et du Radium. Et son livre Sur la théorie des quanta de
lumière3 est publié aussi en français.
L’attachement de Proca à la langue française se matérialise aussi dans son œuvre de
traducteur. Ainsi, Proca a traduit trois livres fondamentaux de la mécanique quantique : en
1931, Les principes de la Mécanique Quantique de Paul Dirac4 (en collaboration avec Jean

2
Alexandre Proca, Œuvre scientifique publiée, édité par Georges A. Proca, 1988, édition publiée à compte
d’auteur.
3
Al. Proca, Sur la théorie des quanta de lumière, Librairie Scientifique Albert Blanchard, Collection de
Suggestions Scientifiques, Paris, 1928.
4
P. A. M. Dirac, Les principes de la Mécanique Quantique, PUF, Paris, 1931, traduit par Al. Proca et J.
Ullmo.

2
Ullmo), en 1933, Mémoires sur la Mécanique Ondulatoire d’Erwin Schrödinger5 et, en 1947,
Les fondements mathématiques de la Mécanique Quantique de John von Neumann6. Ces
livres ont servi comme de véritables manuels à ceux qui se sont consacré, en France et dans
les pays francophones, à la physique théorique.

5
E. Schrödinger, Mémoires sur la Mécanique Ondulatoire, Félix Alcan, Paris, 1933, traduit par Al. Proca,
avant-propos et notes inédites de l’auteur, préface de Marcel Brillouin.
6
J. von Neumann, Les fondements mathématiques de la Mécanique Quantique, PUF, Paris, 1947.

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