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Prise en compte des préférences cognitives

dans la navigation sur la toile


Benoît LE BLANC & Bernard CLAVERIE
Institut de Cognitique – Université de Bordeaux – France
Résumé
Le présent papier milite pour la conception d’interfaces adaptatives dans le monde de la toile. Pour tenter
d’éclairer les styles de navigation web que l’on peut observer, il est possible de se pencher sur les styles
cognitifs des individus. Les styles cognitifs retenus comme pouvant influencer la navigation sont relatifs à la
dépendance/indépendance à l’égard du champ visuel ; ils peuvent se mesurer à partir de tests comme le GEFT
(Group Embedded Figures Test) ou le CSA (Cognitive Styles Analysis). Une expérience menée sur une
trentaine d’utilisateurs (age moyen 27±6 ans), tous familiers de la navigation web, a permis de suivre ces
individus dans leur navigation sur un site web dédié à l’expérimentation. Le nombre de liens activés (NLA), le
temps moyen de lecture des pages (TML) et le nombre de pages consultées (NPC) ont été relevés afin de
caractériser le mode de navigation employé. Les trois styles de navigations commentés dans la littérature
scientifique se retrouvent ici : la navigation linéaire (NL faisant fortement appel à la notion de page suivante), la
navigation par tâtonnement (NT faisant recours à une page repère), et la navigation en réseau (NR faisant usage
libre de tous les liens disponibles).
Les résultats montrent que lors d’une activité d’exploration libre, les individus se répartissent en trois groupes de
tailles homogènes : G1 est caractérisé par un très fort TML (72±34 comparé à 28±46 pour G2 et 28±10 pour
G3) ; G2 est caractérisé par un usage massif de NT (52±13 comparé à 13±13 pour G1 et 13±7 pour G3) ; G3 est
caractérisé par un usage majoritaire de NL (27±14 comparé à 3±3 pour G1 et 5±6 pour G2). Les préférences des
utilisateurs se répartiraient ainsi de façon équilibrée entre NL (G3), NT (G2) et NR (G1). En revanche, lors
d’une activité de recherche ciblée, les individus se recentrent sur les deux derniers modes de navigation
(tâtonnement et réseau), jugés plus performants. Les résultats concluent sur le fait que les trois mesures NL, NT
et TML seraient suffisantes pour déterminer à la volée le style de navigation en cours d’usage. Par contre, la
comparaison de ces modes de navigation avec les styles cognitifs mesurés chez les utilisateurs présente
seulement des tendances, mais ne permet pas de conclure sur une corrélation franche.
Les applications et les services web développés, notamment dans le cadre des ENT et d’outils d’auto-formation,
devraient prendre en compte les préférences navigationnelles manifestées spontanément par les usagers. Des
interfaces adaptatives permettraient de se rapprocher d’une part des attentes implicites des usagers et d’autre
part des besoins engendrés par les usages liés à la tâche accomplie.
Introduction
Le développement massif du world wide web a ouvert son usage au-delà des seuls spécialistes
des TIC, avec pour conséquence une très grande diversité des attentes des internautes
L’avènement du « 2.0 » a changé la nature des utilisateurs du web qui se sont transformés en
véritables conso-moteurs de l’Internet. Cet univers s’ouvre réellement depuis cinq ou six ans
à tout le monde, avec des attentes, des conceptions et des usages très différents de la toile.
Ainsi les internautes ne constituent plus simplement un groupe ciblé, et leur situation diffuse
fait l’objet d’études sociologiques, linguistiques, psychologiques, etc. Pour la conception des
contenus des sites web, la compréhension de « qui » est l’internaute et de « comment » il
navigue devient un élément de plus en plus prégnant.
Beaucoup d’études s’intéressent aux contenus informatifs manipulés par les internautes
(Buente 2008), ou bien cherchent à caractériser le comportement de l’usager, comme le fait
(Huang 2007) en proposant un behavioral cube pour modéliser l’espace de navigation.
D’autres études s’intéressent aux adaptations qu’il est possible de produire sur une page web
afin de permettre à un large public d’y retrouver des éléments correspondant à ses propres
attentes. Par exemple, (Danielson 2002) étudie l’impact d’une carte du site à tout moment
visible sur l’écran, (van Oostendorp 2007) mesure les apports de guide de navigation selon
leur modalité auditive ou visuelle, (LeBlanc 2003) compare l’influence d’une exploration
graphique versus une exploration hypertextuelle, ou encore (Kritikou 2008) étudie l’impact
d’un « profil utilisateur » sur les plates-formes d’e-learning.
Au cœur de cette problématique se situe la distinction majeure devant être faite entre
information et connaissance. Nombreux sont les auteurs qui ont apporté leurs lumières sur
cette différentiation. Pour reprendre une illustration proposée par (Ermine, 2001), il s’agit de
différencier les chiffres indiqués par les aiguilles d’une montre, de la compréhension qu’en
fait son possesseur lorsqu’il regarde son cadran : délai, retard, attente, rendez-vous, mesure
du temps qui passe, etc. Ce glissement de l’information à la connaissance ne dépend pas que
du simple signe affiché ; il sollicite également le contexte d’usage de ce signe et la
signification évoquée par ce signe. Ces trois axes (signe, contexte et sens) constituent le
macroscope de la connaissance (cf. fig. 1).

Figure 1 : le macroscope de la connaissance


Ainsi un même panneau de circulation (signe que l’on peut décrire à partir de sa forme, de ses
couleurs, de son positionnement dans l’environnement urbain, etc.), selon le contexte dans
lequel il sera perçu (par un piéton, par un automobiliste, etc.) évoquera des sens tout à fait
différents. C’est le même processus qui se produit entre les signes affichés sur une page web
et la signification qu’en tire l’internaute.
Par ailleurs, il existe une forte variabilité interindividuelle dans le choix des stratégies
interactives pour la résolution d'une tâche donnée. Ces choix sont pourtant suffisamment
stables pour parler de types de fonctionnement, voire de styles comportementaux. Ainsi il
existerait des types de fonctionnement méthodique, systématique, figuratif, actif-associatif
qui sont des regroupements de séquences de comportements qui ont une régularité suffisante
pour caractériser les sujets. Ces choix de stratégies mentales, spontanément mobilisées par un
individu dans une situation de résolution de problème, correspondent à la mise en jeu de
préférences cognitives, aussi appelées styles cognitifs.
La mise en relation des stratégies interactives et des attitudes cognitives des sujets traduit la
manière de recevoir la consigne, de reconnaître le problème en tant que tel, de se représenter
de façon imagée le but à atteindre et les anti-buts à éviter. Les styles cognitifs sont des
différences dans la façon dont les individus organisent, structurent et traitent l'information
provenant de leur environnement. Ce sont des variables différentielles, issues de la
psychologie expérimentale, qui décrivent des modalités de fonctionnement mental. Elles
permettent de comprendre la cohérence de certains comportements et conduites, et donc les
aspects de la personnalité qui en dépendent. On parle de style cognitif pour englober à la fois
les activités de perception et les processus de haut niveau intellectuel, comme les processus
mnésiques par exemple. À la différence d'une aptitude qui peut se travailler ou s'améliorer, un
style cognitif reste une caractéristique de l'individu.
Un des styles cognitifs les plus étudiés est la dépendance vs. l'indépendance à l'égard du
champ perceptif, ou D.I.C. (Huteau 1987). Il s’agit d’une caractéristique retenue comme
pouvant influencer la navigation dans les hypertextes (Chen 2002). La D.I.C. correspond à la
capacité d'un sujet de dissocier un élément perceptif de son contexte et de le réutiliser dans un
contexte différent. Certains sujets n'y parviennent qu'avec difficulté : ces sujets sont dits
dépendants du champ (D.C.). D'autres y parviennent aisément : ce sont les sujets dits
indépendants à l'égard du champ (I.C.). Dans un mode dépendant (D.C.), la perception est
fortement dominée par l'organisation générale du champ perceptif dont les parties sont
perçues comme fondues. Dans un mode indépendant (I.C.), les parties sont conçues comme
abstraites, séparées du fond organisé. Lorsque le champ est fortement structuré les I.C. sont
plus aptes à le déstructurer, et lorsqu'il est faiblement structuré, ils seront plus aptes à le
restructurer (Witkin 1971, Riding 1997). L’activité classique où se manifeste la D.I.C.
consiste à demander à un participant de placer verticalement une ligne rouge au sein d’une
image contenant un cadre incliné : les individus I.C. la localiseront dans une verticale
absolue, alors que les individus D.C. emploieront une verticale relative (cf. fig. 2).

Figure 2 : Positionnement d’une ligne verticale rouge sur un cadre


incliné par des individus Indépendants du Champ perceptif (à gauche) et
par des individus Dépendants du Champ (à droite).
Un autre style cognitif semble impacter la navigation web (Tyndiuk 2007). Il s’agit de l’ego-
centrisme versus l’exo-centrisme. Il touche au positionnement spatial et à la représentation
que se fait un individu de sa situation dans une modélisation de l’environnement. Pour un
individu ego-centré (ou encore endo-centré), le déplacement dans une carte se fera en suivant
les chemins possibles, voir en manipulant et tournant la carte de façon à faire toujours
coïncider le devant du chemin avec le devant de l’individu (cf.fig. 3, partie gauche). Pour un
individu exo-centré, la projection du déplacement se fait directement, en ne considérant que
le point de départ et le point d’arrivée (cf fig. 3, partie droite).

Figure 3 : Styles cognitifs ego-centré (à gauche) et exo-centré (à


droite) se manifestant dans une projection de déplacement spatial.
On ne peut cependant pas parler de type d'individus dépendants ou indépendants. La D.I.C.
correspond comme chaque style bipolaire à une préférence, une caractéristique de l'individu
qui varie sur un continuum. Les individus s'y répartissent de façon différentielle, ils peuvent y
varier selon les conditions contextuelles ou passer radicalement d'une préférence à l'autre par
des processus vicariants (Reuchlin 1978). Dans des situations habituelles, tout le monde
emploie son propre style cognitif (ou la combinaison de ses styles cognitifs) ; mais dans les
situations extrêmes, les personnes tendent à converger vers un même processus cognitif
(Ohlmann and Marendaz, 1991).
Un document hypertexte peut être considéré comme un ensemble d'informations intriquées
dans un champs textuel. Or Witkin montre que les sujets D.C. sont désavantagés par rapport
aux I.C. dans des tâches qui requièrent une organisation du matériel à traiter (Witkin et al.
1971). La D.I.C. apparaît donc être un style cognitif pertinent dans l'étude de l'utilisation des
hypertextes et de la navigation des utilisateurs dans ces bases de connaissances.
Deux tests de mesure validés et reconnus dans la communauté des psychologues, peuvent
servir de mesure de la tendance DC ou IC d'un individu. Il s’agit du GEFT (Group Embedded
Figures Test ; Oltman 1985) (cf. fig. 4) et du CSA (Cognitive Styles Analysis ; Riding 1991).

Figure 4 : Exemples d’images utilisées dans le GEFT où l’individu


doit retrouver les motifs (à gauche) dans les images imbriquées (à
droite). Sur cette figure, les solutions ont été mises en évidence.
Lors de la mise en place des premiers sites webs, plusieurs études s’étaient déjà attachées à la
reconnaissance des préférences cognitives individuelles dans l’usage des ordinateurs (Jones
1994), dans celui des hypertextes (Wilkinson et al., 1997), ou encore dans la mesure de la
performance à l’exploitation d’hyperdocuments (Korthauer and Koubek, 1994). Toutes ces
recherches concluaient qu’une adaptation de la structure des hypertextes devait être faite pour
prendre en compte les préférences cognitives des usagers, afin de réduire leur désorientation.
Ces constats ont été repris dans des études ultérieures (Chen 2002)… sans pour autant fournir
au grand public de réelles avancées pour supporter leurs propres modes de navigation.
Ces modes de navigations ont été identifiés dès les premières constructions d’hypertextes
(Korthauer and Koubek, 1994), comme faisant appel à trois modes de lecture :
• Le premier schéma correspond à une navigation sur un mode horizontal. Les pages
sont majoritairement lues les unes après les autres, en séquence. On peut comparer ce
mode de navigation avec la lecture d'un roman. Pour atteindre une page, le lecteur
doit passer rapidement en revue les pages précédentes. Sa seule préoccupation est de
construire un chemin entre la page d’entrée dans le document et celle qui l'intéresse.
Seule l'existence de ce chemin compte, peu en importe la longueur.
• Le second schéma correspond à un mode de navigation par tâtonnement. Cela
consiste à parcourir le document en se servant d'une page principale comme point
d'ancrage du parcours. À partir de cette marque, l'exploration emploie des liens
d'aller et des liens de retours. La page de référence devient le nœud central de la
navigation. Il peut s'agir d'un sommaire ou bien d'une liste de liens. Au cours d'une
session complète de navigation, plusieurs pages peuvent successivement jouer ce rôle
de point de référence centrale.
• Le troisième schéma correspond à une navigation organisée en réseau. Cela englobe
tout ce qui n'est pas inclus dans l'une des deux catégories précédentes. Ce mode
cherche à utiliser les liens entre pages selon la pertinence attendue, et non pas selon
la position des pages dans le site. C'est une navigation sans contrainte, très libre et
qui utilise toute la potentialité du réseau de liens.
Naturellement ce ne sont là que des préférences, c'est-à-dire des tendances autour desquelles
les individus se positionnent durant leur navigation. Pour chaque utilisateur, l'activité de
navigation met en jeu une combinaison de ces trois modes. La phase complète d'une
navigation présente plusieurs phases secondaires, chacune d'elles pouvant être associée à l'un
de ces trois modes.
D’autres métaphores de la navigation sont également employées par les chercheurs pour
modéliser les activités observées chez les internautes. La métaphore maritime conduit
L.Whitaker (Whitaker 1998) à distinguer trois niveaux d’aisance de l’utilisateur dans son
parcours du web : la navigation landmarks, où l'individu va de bouée en bouée ; la navigation
route finding, où l'individu enchaîne ces bouées et se crée sa propre route. La navigation
survey knowledge, dans laquelle l'individu se définit une carte cognitive : sa propre vision
cohérente et structurée du monde. Dans la mesure où les bouées mentionnées dans le second
mode de navigation servent de repères à cette navigation, nous retrouvons bien là les mêmes
distinctions vues plus haut.
Whitaker montre également qu'il existe deux tâches de navigation fondamentalement
différentes : l'exploration libre employée dans la découverte d'un site (parcours opportuniste)
et la recherche d'information précise (parcours directif) (Whitaker 1998).
Méthode
Ce sont ces éléments que nous avons cherché à reproduire expérimentalement en observant
les navigations produites par un groupe d’expérimentateurs sur un site web comportant des
liens redondants, et permettant les trois modalités de navigation présentées plus haut. Deux
tâches de navigation ont été observées pour chaque individu. Il s'agit d'une tâche
d'exploration libre (Session 1), à réaliser en un temps limité à 10 minutes, et d'une recherche
d'information (Session 2) guidée par un questionnaire de 10 questions auquel doit répondre
l'individu en un temps illimité.
Nous avons enregistré l'historique de la navigation dans chacune de ces deux sessions et pour
chacun des individus. Les variables mesurées sont fonction du temps de lecture des pages
hypertextes, et du type de lien activé entre chaque page. Il s’agit : du nombre de liens activés
(NLA), du temps moyen de lecture des pages (TML) et du nombre total de pages chargées
(NPC). En fonction du lien activé (cf. fig 5), l’enchaînement de deux pages a été qualifié de
navigation linéaire (NL faisant fortement appel à la notion de page suivante), de navigation
par tâtonnement (NT faisant recours à une page repère), ou de navigation en réseau (NR
faisant usage libre de tous les liens disponibles).
Figure 5 : Page type du site web expérimental.
Ces variables ont certaines relations entre elles, puisque NL+NT+NR = NLA ou bien
TML*NLA = 600 secondes pour la session 1. L’intérêt est de pouvoir les saisir au fil de la
navigation et de produire une caractérisation en temps réel des préférences de navigation
manifestées par les internautes.
La figure 6 présente de droite à gauche : la fenêtre de navigation (seule fenêtre visible de
l’utilisateur), la fenêtre de capture de l’historique de la navigation (liens activés, temps
écoulé), puis les trois fenêtres calculant à la volée si l’utilisateur manifeste une navigation
NL, NT ou NR.

Figure 6 : Exemple de mesures et de calculs


effectués pendant la navigation.
Résultats
Cette expérience a été réalisée auprès de 29 personnes (11 femmes et 18 hommes), la
moyenne d'âge de l'échantillon est de 27±6 ans, tous sont des étudiants de niveau bac + 2
minimum, ou des enseignants. Elle s'appuie sur une analyse de la navigation faite sur un site
développé par nos soins et consacré à un sujet d’intérêt pour les expérimentateurs (il s’agit ici
de principes et de conseils entrant en compte pour la constitution d'un graphique de données).
Figure 7 : Constitution des groupes de navigations
par classification ascendante hiérarchique.
Les mesures directes des six variables étudiées ont été combinées, pour la session 1
d’exploration libre en temps limité, dans une classification ascendante hiérarchique (cf. fig.
7), et la caractérisation des groupes obtenus est donnée dans le tableau 1.
Session1 29 Indiv. G1 G2
G3
TML 48±32 72±34 28±46
28±10
NLA 57±31 29±16 80±26
56±28
NPC 23±10 13±5 27±7
29±9
NL 11±13 3±3 5±6 27±14
NT 27±22 13±13 52±13
13±7
NR 16±10 12±3 21±13
15±10
Tableau 1 : Mesures effectuées sur les navigations expérimentales.
Les résultats de cette étude montrent que les trois types de préférences cognitives existent
bien : la caractérisation du groupe G2 se fait par le recours de ses participants au mode de
navigation par tâtonnement (NT= 52±13 versus 13±13 pour G1 et 13±7 pour G3) ; la
caractérisation du groupe G3 se fait par le recours de ses participants au mode de navigation
linéaire (NL=27±14 versus 3±3 pour G1 et 5±6 pour G2) ; la caractérisation du dernier
groupe, G1, se fait d’une part avec un équilibrage entre les modes de navigation par
tâtonnement et en réseau (NT=13±13 et NR=12±3 pour G1) et d’autre part avec un très fort
temps de lecture des pages affichées (TML=72±34 versus 28±46 pour G2 et 28±10 pour G3).
Si l’on considère maintenant les informations de navigation relevées pour chaque participant,
il est possible d’affecter à chacun un mode de navigation majoritaire, en comptant chaque
lien activé en mode NL, NT ou NR. Le tableau 2 donne la répartition des individus entre leur
groupe d’affectation selon la globalité des résultats de l’expérience et leur mode de
navigation majoritaire, repéré en fonction des liens qu’ils ont activés. Ceci permet d’avancer
la correspondance entre groupes (G1, G2, G3 issus des CAH) et modes de navigation.
Exploration libre NL
NT NR
G1 0 3 6
G2 0 11 0
G3 8 0 1
Tableau 2 : Correspondances Groupes et Modes de navigation.
Cette répartition en groupe n’est pourtant pas figée, et la Session 2 (exploration guidée par
une recherche d’information) révèle une adaptation des modes de navigation des individus.
Ce changement ne se fait pas n'importe comment, et il laisse supposer l'existence d'une
hiérarchie entre les trois modes de navigation. Le tableau 3 synthétise ce résultat. Pour une
navigation libre, sans contrainte, les individus se répartissent ainsi : 24% naviguent sur le
mode réseau, 49% sur le mode tâtonnement et 27% sur le mode linéaire. Ces proportions
changent radicalement pour une recherche d’information : 62% naviguent sur le mode
réseau, 35% sur le mode tâtonnement et seulement 3% sur le mode linéaire.
Exploration libre
versus NL (S1) NT (S1) NR (S1)
Recherche d’information (27%) (49%)
(24%)
NL (Session 2) (03%) 1 (03%) 0 (00%) 0
(00%)
NT (Session 2) (35%) 2 (07%) 8 (28%) 0
(00%)
NR (Session 2) (62%) 5 (17%) 6 (21%) 7
(24%)
Tableau 3 : Correspondances des modes de navigation entre session
d’exploration libre (S1) et session de recherche d’information (S2).
Lorsque la navigation devient guidée par une recherche d'information, les NR gardent leur
mode de navigation ; la moitié des NT abandonnent leur mode de navigation au profit du
mode NR ; les NL abandonnent presque tous leur mode de navigation pour s'orienter vers une
stratégie NT ou NR.
Ces résultats viennent éclairer les pratiques des internautes. En revanche, nous n'avons pas
réussi à mettre en balance les préférences de navigations observées, avec la DIC mesurée
chez chaque participant. Ceux-ci présentent une trop grande homogénéité aux résultats des
deux tests employés CSA et GEFT.
Discussion
L’expérimentation présentée ici vient confirmer des résultats connus en psychologie
cognitive mais trop peu valorisés dans la constitution des interfaces web. Les styles cognitifs
correspondent à des modes d’organisation personnelle des informations. La navigation web
est un exemple de contrainte cognitive dans une situation de prise de décision quotidienne.
Les individus adoptent spontanément des modes de navigation privilégiée. Ces modes de
navigation peuvent se grouper en trois tendances : lecture page à page dans un mode linéaire,
lecture en ayant recours à un repère central, lecture libre appuyée sur une recherche
individuelle du lien le plus pertinent à activer. Ces modes évoluent d’une situation
d’exploration libre où ils se retrouvent en proportion égale chez les internautes, à une
situation de recherche d’information où le mode de lecture linéaire disparaît complètement.
Notre expérimentation relève que le type de lien activé et le temps de lecture d’une page sont
des éléments suffisants pour indiquer le mode de navigation en cours chez l’internaute. Ces
éléments sont suffisamment simples et rapides à relever pour pouvoir suivre à la volée les
stratégies de navigation. Il reste aux concepteurs de sites web et d’espaces numériques de
travail de tenir compte de ces éléments dans leurs réalisations.
En conclusion nous présentons dans la figure 8 deux plans du métro de Londres tirés du site
http://homepage.ntlworld.com/clivebillson/tube/tube.html. Le plan de gauche date de 1932 et
celui de droite de 1933. À cette date, les exploitants du réseau adoptent un modèle de carte
réalisé par un dessinateur industriel, Harry Beck, ayant choisi de représenter les
correspondances des lignes de métro selon le mode cognitif en usage underground. La
motivation de l’usager se porte sur la connaissance des stations et des circulations, et non plus
sur la situation géolocalisée de la ville. À partir de ce moment-là, tous les plans de transport
en commun ont recours à ce mode de représentation, proche de celui des circuits électriques
et non plus basé sur un plan topographique rigoureux ; ce n’est que maintenant, avec la
popularisation des cartographies satellites, que des plans topographiques refont surface.

Figure 8 : Plans du métro de Londres en 1932 à gauche, et 1933 à droite.


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