Le barbe

Cheval de légende
ABDERRAHMAN KADRI

ZAKI BOUZID EDITIONS

 Q uand il est question des vestiges de l’histoire, c’est presque
toujours à des « objets inanimés » que l’on pense : sites archéologiques,
monuments, manuscrits, pièces de monnaies, céramiques, etc. Des pierres
plus ou moins précieuses, des métaux plus ou moins raffinés, des matières
suffisamment durables pour avoir pu résister aux épreuves du temps…
Aussi, il peut paraître étonnant sur ce registre assurément
matériel, d’évoquer l’ordre du vivant et, plus particulièrement, le règne
animal. C’est pourtant ce qui nous est apparu en premier à travers la
réalisation de cet ouvrage. Le cheval barbe est bel et bien un vestige de
l’histoire, un vestige paradoxalement vivant.
Cet animal singulier porte en lui un témoignage exceptionnel
des siècles passés qu’il a traversés généralement au galop, engagé aux
premières lignes des évènements les plus décisifs de la destinée humaine,
présent dans les expéditions, les découvertes, les échanges et, très souvent,
sur les champs de bataille. A lui seul, il est un traité d’histoire et, sans
doute, peut-il emplir, non seulement un livre tel que celui-ci, mais une
immense bibliothèque.
D’ailleurs, maints auteurs, des plus obscurs aux plus illustres, des
antiques aux modernes, fascinés ou intrigués, doctes ou inspirés, lui ont
consacré des dizaines de milliers de lignes, déclinées dans les langues les
plus diverses.
Aussi, avons-nous tout de suite adhéré à la démarche de l’auteur
de produire une synthèse des savoirs accumulés sur ce brillant sujet pour
les mettre à la portée des plus larges publics possibles. Il s’agissait également
d’apporter une vision nouvelle des connaissances acquises pour engager
des réflexions, sinon élaborer des hypothèses, sur les zones d’ombre qui
subsistent encore à propos du cheval barbe.
Nous voulions enfin apporter une contribution à la mise en
valeur en Algérie de cet animal qui appartient autant à la biodiversité
qu’au patrimoine historique et culturel immatériel. Notre pays, en effet,
sans prétendre à un quelconque monopole, peut se targuer d’avoir été
un des territoires privilégiés du cheval barbe depuis les temps les plus
reculés et de demeurer jusqu’à ce jour un de ses espaces d’évolution les
plus distingués.
Une de ses premières apparitions dans l’histoire, sinon la
première, attestée par des témoignages écrits de l’Antiquité, n’est-elle pas
celle « d’auxiliaire » de la cavalerie numide, célèbre par ses exploits sous le
règne de Massinissa notamment, mais aussi à travers les insurrections de
Jugurtha ou Tacfarinas, pour ne citer que ces deux grands chefs amazighs ? C’est
aussi sur des chevaux barbes que Tariq Ibnou Zyad entreprit la conquête
de l’Espagne sous la bannière de l’Islam. Et plus tard, c’est encore avec
des chevaux barbes que l’Emir Abdelkader, qui ajoutait à ses divers talents
celui d’une fine connaissance des chevaux, entreprit son combat contre
l’armée coloniale.

En règle générale, le cheval barbe a été dans l’histoire plus
souvent du côté des libérateurs et des révoltés que des occupants
et des oppresseurs. Son nom même de « barbe » dérive en fait de
« barbare », expression péjorative utilisée par l’empire romain pour
désigner les peuples qu’il voulait s’inféoder. Certes, quelques exemples
viennent attester du contraire.

Pour conquérir la Gaule, Jules César fit venir des chevaux barbes
de Numidie et l’on peut remonter ainsi jusqu’à la deuxième guerre
mondiale pour voir, étonnamment, Rommel en faire de même avec des
chevaux de Tunisie expédiés sur le front russe !
Ce dernier exemple est à lui seul significatif de l’extraordinaire
capacité d’adaptation de cet animal. Aucun climat ni relief ne l’a
jamais rebuté et son endurance comme ses autres qualités - robustesse,
souplesse, sobriété et même intelligence – sont unanimement reconnues.
Il est remarquable en outre que cet éloge transcende les époques et les
civilisations, ne faisant que se renforcer au fil des temps.
En consacrant cet ouvrage au cheval barbe, nous entendons
enrichir notre production éditoriale centrée sur le patrimoine historique
de l’Algérie. Le cheval barbe s’y inscrit naturellement, au point qu’il est
loisible de se demander si l’histoire de notre pays aurait été la même
sans sa présence immémoriale aux côtés des hommes. Intégré dans les
traditions paysannes et nomades vivaces, et notamment celles des Hauts
Plateaux, le cheval barbe continue de participer aux peines comme aux
joies de leurs habitants.

En espérant donner à nos lecteurs, par le texte et les images, des
motifs d’admiration de ce splendide animal, nous l’invitons à le considérer
comme une exceptionnelle monture de l’histoire.

Enfin, c’est avec émotion que nous nous inclinons à la mémoire
de l’auteur, parti prématurément, il ne verra pas hélas, achevé, le fruit
de son travail mais ce beau livre témoignera aussi de son désir et de son
engagement à faire connaître l’épopée d’un cheval extraordinaire.

Zaki Bouzid
« Demande à la nuit combien de fois j’ai déchiré son voile

Monté sur un cheval aux flancs amaigris et de belle taille

Demande au désert, aux collines, aux vallées et aux plaines

Combien j’ai parcouru de distances.

Mon seul souci est de combattre les ennemis

Et vaincre, par les miens, leurs vaillants cavaliers.

Ne me mésestime pas et sache que je suis

Celui que l ’on craint, même mort et enterré.»

Emir Abdelkader
 « Il peut la faim, il peut la soif

il peut le froid, il peut le chaud

jamais il n’est fatigué.»

« Moi je passe mes nuits sur le dos de mon coursier toujours bridé

Mon lit, c’est la selle de mon cheval

Aux jambes pleines et solides, aux flancs fournis,

A la poitrine superbe et puissante.»

Moallaqa d’Antara
Apprendre à monter c’est bien,

apprendre à tomber c’est mieux.

Proverbe mexicain.
En Algérie, le cheval barbe a été toujours présent dans les manifestations officielles, culturelles et sportives menées par la cavalerie de la Garde
Républicaine, cet organisme militaire qui a toujours contribué à la préservation de cette race de chevaux et au développement des différents métiers
liés au cheval tel que la maréchalerie et la bourrellerie ainsi qu’à la pratique de certaines activités classées parmi le patrimoine national dont la
Fantasia.
« Endurcie à force de courses,

Elle boit littéralement le vent,

Trotte comme un loup,

Galope comme un renard.»

Le Naceri