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A la différence des causses du Tarn, celui de Gramat voit, dans sa fraction nord-
orientale, c'est-à-dire au sud de Padirac, plusieurs ruisseaux couler à sa surface même ;
toutefois, non seulement ces eaux superficielles ne subsistent pas pendant toute l'année,
quand celle-ci a été pauvre en pluies, mais encore elles s'engouffrent toutes, au bout de
quelques kilomètres, dans des cavernes plus ou m o i n s l a r g e m e n t ouvertes, inexplo-
rées ou incomplètement r e c o n n u e s j u s q u ' e n 1890. Nous avons étudié huit rivières,
ainsi englouties, au point de contact des argiles imperméables du lias et des calcaires
fissurés du bajocien formant falaises ; elles se t r o u v e n t placées sur u n e même diago-
nale, dirigée nord-ouest-sud-est et parallèle au chemin de fer, qui est fort rapproché
de la ligne de superposition des deux t e r r a i n s .
On donne le nom de Limargue à la partie liasique et orientale du causse, plus fertile
à cause de son eau courante. Le causse est limité à l'est par la ligne des huit pertes.
1
Voici l e u r s noms et ceux des gouffres correspondants :
Ruisseau de Cazelle (Roque de C o r n ) ; — Ruisseau de Salgues (gouffre de Réveillou);
— Ruisseau de Rignac (gouffre du Saut de la Pucelle). — T o u s trois au nord-ouest, et
près de Gramat. — Ruisseau et perte de l'Hôpital ; — Ruisseau et perte d'Ocabo-Riou
à I s s e n d o l u s ; — Ruisseau et perte de T h é m i n e s ; — Ruisseau et perte de T h é m i n e t t e s ;
— Ruisseau et perte d'Assier. — Au sud-est entre Gramat et Figeac.
Explorer les gouffres d'absorption de ces ruisseaux, en profitant de la sécheresse :
telle était la première partie de nos recherches sur le causse de Gramat. La seconde
devait s'adresser à un certain n o m b r e d'igues, que l'on disait être, comme Padirac, en
communication avec des rivières souterraines. La troisième comportait l'investigation
E. M A R T E L a G . G A U P I L L A T
12Sept.l890.
Plan.
1. L e 3 o c t o b r e 1 8 9 1 , M. L a l a n d e a c o n s t a t é là, de n o u v e a u , la p r é s e n c e de l'acide c a r b o n i q u e .
que deux h e u r e s . Pour les p r o m e n e u r s , le gouffre seul est digne d'une visite. D'Alvi-
gnac, un chemin, qui passe par Lagorce, mène les voitures jusqu'à 20 minutes de l'orifice.
L'érosion superficielle et l'effondrement ont concouru à sa formation et, dans la ca-
v e r n e , l'eau s'est enfuie par des joints de strates.
Le gouffre de Réveillon ( 1 1 septembre 1890) avale le microscopique ruisseau de Sal-
g u e s , né sur les argiles du lias supérieur (toarcien, Ammonites bifrons long de 1 kilo-
mètre à peine, mais qui fait cependant t o u r n e r un moulin lorsqu'il n'est pas à sec,
comme je l'ai trouvé le j o u r de ma visite. L'entrée du gouffre est des plus grandioses :
dans une falaise à pic (calcaire du lias supérieur, à Ostrea Beaumonti), haute de 53 mètres,
LE GOUFFRE DE RÉVEILLON.
Dessin de Vuillier, d'après une photographie Gaupillat. — Communiqué par le Club alpin
1. V . la feuille g é o l o g i q u e de B r i v e au 80,000° p a r M. M o u r e t .
devient bientôt si rapide, que l'on se trouve, au bout, à 60 mètres (?) environ en contre-
bas de l'entrée, soit à 113 mètres au-dessous du sommet (3o5 mètres d'altitude) de la
falaise de Réveillon et de la surface du plateau. Mais le parcours est relativement facile.
Une corde suffit pour d e s c e n d r e quelques parois stalagmitiques escarpées, de 6 à
7 mètres de hauteur ; j ' a i effectué cette petite exploration en trois h e u r e s de temps, seul
ou à peu p r è s . Un brave homme d'Alvignac, que j'avais emmené pour me servir de guide,
ne me suivit que jusqu'à moitié route, ayant peur de se mouiller les pieds dans les
flaques d'eau!
Les cent derniers mètres de la galerie sont e n c o m b r é s de cailloux, d'argile, de bran-
chages, de carcasses d'animaux même ; il faut ramper, p o u r parvenir à un amas de ces
matériaux divers, qui forme bouchon dans la galerie, et ne laisse plus que des interstices
où l'eau seule peut se glisser. C'est peut-être avec le gouffre du Limon que communique
le ruisseau de Salgues, mais est-ce par infiltration dans l'argile, ou par des fissures péné-
trables pour l'homme ? L'extrémité atteinte de Réveillon est à cent m è t r e s environ au-
dessus du Limon et à 7 kilomètres de distance à vol d'oiseau (14 pour mille).
L'ornementation stalagmitique du souterrain de Réveillon n'a rien de remarquable.
Il n'en est pas de même de la voûte et de la caverne d'entrée, qui sont, comme Roque
de Corn, choses fort pittoresques. Réveillon est au bord de la route qui, de la station de
Rocamadour, conduit en une heure et demie à deux h e u r e s au puits de Padirac par
Alvignac.
J'avais bien r e m a r q u é , à droite et à gauche, au-dessus du grand portail, deux ouver-
tures cintrées, béantes dans la f a l a i s e ; j e n'avais pas eu le temps d'y grimper. Depuis,
M. Ph. Lalande y a reconnu l'existence de deux galeries bouchées, l'une à 4 mètres,
l'autre à 60 de distance (celle-ci bifurquée à son extrémité).
Réveillon nous est donc à p r é s e n t aussi connu qu'il peut l'être sans travaux.
Voici ce que l'on peut déduire de l'aspect et de l'allure de ce ruisseau souterrain :
II semble que le canal se rétrécisse de plus en plus, — que le travail d'érosion se soit
arrêté, ou tout au moins considérablement atténué (comme à Padirac), avant de pousser
plus loin sa galerie d'avancement, — et qu'aujourd'hui, l'eau intermittente du mince ruis-
selet actuel, trouve un écoulement suffisant dans les fissures éfroites du sol calcaire ou
argileux, et un réservoir assez vaste dans la grotte de 4oo mètres de long, que des eaux
jadis beaucoup plus abondantes ont patiemment excavée, à une époque géologique sans
doute fort reculée.
Peut-être cependant n'y a-t-il là qu'un rétrécissement passager, dû à la plus grande
résistance locale de la roche ; peut-être qu'en déblayant la terre et les débris accumulés,
on se trouverait en présence d'une prolongation très étendue de galeries et de cavernes,
comme cela arrive dans les grottes à stalactites, où il suffit parfois de crever à coups de
marteau une mince paroi de carbonate de chaux, pour découvrir de nouvelles mer-
veilles (Dargilan en 1888).
Mais si l'on considère que les sept autres ruisseaux p e r d u s du causse de Gramat
nous ont donné des résultats semblables, et même moindres ; que la section de leurs ga-
leries va aussi toujours en décroissant, d'amont en aval ; qu'à Padirac tout se ferme subi-
t e m e n t après u n grand lac, et sans aucuns matériaux d'obstruction visibles ; que les sources
riveraines de la Dordogne sont pour la plupart impénétrables, et jaillissent par sipho-
nement dans des bassins profonds ; qu'aucune des fontaines du Tarn (v. p . 2 2 1 ) , ne nous
a permis de pénétrer loin sous le causse, à cause de la dépression finale des voûtes au
niveau de l'eau, on en conclura que des fouilles seraient, sinon faites en pure perte, du
moins extraordinairement pénibles et coûteuses, et l'on se résoudra à reconnaître qu'il
reste peu d'espoir de trouver jamais, sous le causse, un passage praticable et continu
entre une grotte ou gouffre du haut plateau et une source de la basse vallée. C'est ainsi
que nos recherches font, de plus en plus, justice de la fausse hypothèse d e la communi-
cation directe entre les avens et les fontaines, communication qui paraît, dans la plupart
des cas, n'être assurée, à un moment donné du voyage souterrain des eaux, que par des
siphons ou par un réseau de fissures capillaires. Bramabiau et certains abîmes du Karst
Dessin de Vuillier, d'après une photographie Gaupillat. — Communiqué par le Club alpin.
sont des exceptions, fort bien expliquées d'ailleurs par le peu d'épaisseur et par l'homo-
généité des plateaux traversés.
En 1892, j ' a i pu constater (le 2 2 septembre) que le ruisseau de Salgues coulait et s'en-
gouffrait dans la caverne, en y formant de bruyantes cascades et en y charriant divers
débris (feuilles, branches, t e r r e , etc.), qui provoquent l'obstruction terminale. Il parait
que la source du ruisseau de Salgues n'a jamais tari (même pendant l'été de 1 8 9 3 ) ; mais
quand il est faible, des fissures l'absorbent en amont du Réveillon, alors à sec '.
Nous v e r r o n s au chapitre x x v m quelle ressemblance frappante il y a entre ces goules
du Lot et les Katavothres du Péloponèse.
Gouffre du Saut de la Pucelle (11 juillet 1889). — T o u t à côté du chemin de fer, entre
les stations de Rocamadour et de Gramat. Absorbe le ruisseau de Rignac après 6 ki-
1 . C o m m u n i q u é p a r M. C h . de M o n t m a u r .
lomètres de parcours. Doit son nom à l'universelle l é g e n d e de la j e u n e fille, qui saute
1
saine et sauve un large et profond précipice, pour échapper à la poursuite d'un soudard .
Ouverture de caverne dans une falaise à pic, g e n r e Réveillon, mais bien moins grandiose.
Nous y avons suivi le cours du ruisseau (qui coulait assez fort) très aisément, et sans
même nous mouiller les pieds, pendant 2 1 0 mètres, sous une galerie deux fois coudée
à angle droit, large et haute de 3 à 6 mètres. Au bout, le plafond s'abaisse au niveau de
l'eau, qui a accumulé là, comme d'habitude, l'argile et les débris divers, et qui r e s s o r t
indubitablement dans la vallée de l'AIzou, au moulin de Tournefeuille (1,000 met. au
sud-ouest), par de petites sources jaillissant du rocher. Ici encore, point de traversée
possible, malgré le faible éloignement de la rivière prochaine. C'est toujours le même
résultat.
Par u n e contradiction singulière avec Réveillon, le ruisseau de Rignac n'arrivait pas,
le 22 septembre 1892, jusqu'au gouffre du Saut de la Pucelle. Néanmoins, le même
barrage d'eau et de rocher, la même voûte mouillante nous arrête encore à 200 mètres
de distance environ. A l t i t u d e s : sommet de la falaise (au bord de la route), 270 m è t r e s ;
entrée du souterrain (seuil), 25o m è t r e s ; sources de Tournefeuille, 190 m è t r e s ; dis-
tance de la perte à la source, 1 kilomètre ; pente 6 0/0 (6 mètres pour cent mètres).
D'après les observations de M. Lalande, il y a deux sources (impénétrables) à T o u r n e -
feuille, l'une p é r e n n e , l'autre ne donnant qu'après les pluies ; celle-ci même possède
deux orifices superposés, trop-pleins d e l à première source, qui a formé un épais dépôt
de tuf ou travertin comme à Salles-la-Source ; ce dépôt de carbonate de chaux n'est en
somme que de la stalagmite aérienne. Les fontaines sont à 10 et i 5 mètres au-dessus de
l'AIzou, dont l'admirable petit canon montre, sur ses flancs, des traînées de cailloux
quartzeux roulés, témoins irréfragables de l'érosion qui l'a creusé. C'est à 1,000 mètres
en amont que, dans u n ravissant coin perdu du ravin, se blottit le moulin du Saut, au
2
milieu d'une chute d'eau qui est l'une des principales curiosités du c a u s s e .
A 6 kil. 1/2 au sud-est de Gramat, la perte de Y Hôpital (6 juin 1 8 9 2 ; altitude,
33o mètres) est dans le hameau de ce nom, derrière le magnifique mur d'enceinte intact
de l'ancien couvent des Maltaises (ordre de Malte), dont l'intérieur, transformé en verger,
n'a conservé de ses belles constructions qu'une citerne et une ravissante salle capitulaire
e
du xiv siècle. Au milieu du village, un riiisseau qui vient du nord, après 3 kilomètres de
cours seulement, alimente un étang en partie artificiel. Le trop-plein de cet étang
s'écoule par une bonde, et va se p e r d r e , au bout de quelques mètres, entre de g r a n d s
a r b r e s , dans une sorte de ravine, parmi des fissures invisibles, qui l'absorbent sans
écume et sans bruit : ici la perte se produit dans la t e r r e même.
Le nom local du ruisseau est la Gourgue. L'étang sert de lavoir, et à côté, sous une
excavation rocheuse, une toute petite fontaine, soi-disant miraculeuse, suinte goutte à
g o u t t e ; une vieille petite statuette dans une niche est l'objet d'une certaine vénération.
A 900 mètres au sud-sud-est, un peu en aval du pont de la g r a n d e route de Gramat,
l'engouffrement du ruisseau d'Issendolus se produit de la même manière, par 3 i 2 mètres
d'altitude, à 1.200 mètres en amont et au pied du coteau qui porte le village de ce nom
(3oo mètres). On nomme cette perte en patois, Ocabo-Riou (ruisseau qui s'achève). Entre
CANON DE L'ALZOU.
Photographie Yuillier,
le plus septentrional des deux. Eh bien, ce qui se passe à lssendolus nous fait penser
que peut-être les t o r r e n t s , autrefois plus considérables, de Cazelle et de Salgues, ont, à
une époque géologique antérieure à la nôtre, parcouru, approfondi, occupé ces deux
vallées, — qu'en un point de leur lit, un accident géologique (faille ou g r a n d e cassure)
s'est rencontré, — que cet accident affouillé, élargi, agrandi p a r l e s eaux des t o r r e n t s
est devenu peu à peu-un vrai gouffre de fond, — qu'une saignée sous-fluviale, une prise
d'eau souterraine s'y est formée par les décollements de strates, qui ont donné naissance
aux deux galeries de 4oo mètres de Roque de Corn et de Réveillon, — et que le ruissel-
lement s'étant restreint, par suite de la diminution des pluies, les fuites ainsi pratiquées
ont fini par suffire à l'écoulement contemporain dès que, surtout, l'infiltration des gouffres
eut réussi à se propager jusqu'aux sources de Montvalent et du Limon, par où les deux
ruisseaux revoient le j o u r actuellement. Et c'est ainsi que, par un phénomène continu
d'érosion, un lit souterrain se serait créé à la place du lit aérien, et que les vallées se
seraient desséchées. Nous ne donnons que comme une hypothèse cette interprétation,
basée sur la plus grande importance des pluies aux époques anciennes. Et surtout nous
ne p r é t e n d r o n s pas que l'ex-thalweg aérien soit superposé, véritable jalon, à la galerie
intérieure qui paraît l'avoir remplacé et qui, à Roque de Corn, commence même par être
dirigée en sens exactement contraire (v. plan p . 289, et carte, p . 298).
Perte de la Tliémines (i4 s e p t e m b r e 1890). — A sec lors de notre visite : trois t r o u s
fort rapprochés nous laissent p é n é t r e r respectivement à i4o m è t r e s , 20 m è t r e s et
10 m è t r e s , dans de laids boyaux, larges et hauts de 1 à 4 m è t r e s , toujours obstrués de
même manière. On disait dans le pays que jamais on n'avait pu voir la fin de ces gale-
ries souterraines inconnues ! Le cours aérien de la T h é m i n e s atteint p r è s de 20 kilomètres
de l o n g u e u r ; elle reçoit divers affluents et possède un réel petit b a s s i n ; les habitants
d'Aynac, où elle passe, l'appellent Ouysse; c'est le nom de la rivière qui naît aux
sources de Cabouy et de Saint-Sauveur à 22 kilomètres au nord-ouest (par 115 met.
Photographie De Launay.
B a s s e t e m p é r a t u r e de l ' I g u e d e B i a u . — I m m e n s i t é d e s gouffres de B è d e s , d e s B e s a c e s et d e s Y i t a r e l l e s . —
Rareté des effondrements. — P r é d o m i n a n c e de l ' é r o s i o n s u p e r f i c i e l l e . •— L a C r o u s a t e , t r o p - p l e i n d'un
r u i s s e a u s o u t e r r a i n ; f o u i l l e s à f a i r e ; un p o n t en b o i s à 40 m è t r e s s o u s t e r r e . — L a r i v i è r e souterraine
d e s C o m b e t t e s e x p l i q u e le m y s t è r e d e s s o u r c e s de l ' O u y s s e . — D e la v i t a l i t é du c h i e n . — A v e n s de la
B r a u n h i e . — L e u r o b s t r u c t i o n . — L e r é s e r v o i r de l i g u e de B a r . — L a s o u r c e e m p o i s o n n é e de la B e r r i e .
dos d'âne. Et surtout nous r e m a r q u o n s , avec la plus g r a n d e surprise, qu'il n'y a pas
d'affaissement i n t é r i e u r ; ceci est important à retenir, et montre bien que le cloup est la
conséquence, non pas d'un effondrement souterrain, mais bien d'une érosion externe :
au fond, se trouvait une fissure qui s'est transformée en une igue à deux ouvertures, et
qui fait échec à la théorie des affaissements. — Enfin nous p r e n o n s pied, comme par-
tout, sur un petit cône de pierres, haut seulement de 4 m è t r e s , ce qui porte la profon-
deur totale à 5o m è t r e s : ce cône de déjection occupe, sous le grand orifice, le centre
d'une vaste salle r o n d e de 80 mètres de circonférence, et de 26 à 27 mètres de diamètre ;
tout autour du cône, le sol de cette caverne est à peu près horizontal, composé d'argile
compacte, et forme un anneau parfait de 5 à 10 mètres de large, une vraie salle de bal
r o n d e , avec l'estrade de l'orchestre au centre.
L'aspect intérieur est fort curieux, à cause de la lumière diffuse, qui filtre par les deux
orifices : au milieu, on aperçoit le ciel par le trou rond du grand puits, où pend la longue
chevelure des scolopendres ; contre les parois il fait absolument noir, et on doit éclairer
ses pas. Malheureusement l'igue est fermée de toutes parts, et nous n'y r e n c o n t r o n s
pas la rivière que nous y espérions.
Dans l'angle nord cependant, u n e petite fissure impénétrable émet quelques gouttes
d'eau, dernières traces d'un ruisselet souterrain, aujourd'hui à sec, et qui a dessiné sur
l'argile, dans la portion ouest de la salle, des sillons encore humides, qui se prolongent
jusqu'à l'angle sud : là, une autre fente, d'un mètre de haut et large de quelques doigts,
sert évidemment d'exutoire au ruisselet, quand il coule. Des paysans du voisinage nous
ont affirmé que souvent, en jetant des pierres dans l'igue, ils les ont entendues tomber
dans l'eau : le fait paraît certain. Nous avons pu, grâce à la sécheresse, trouver l'aven
de Biau vide, et s u r p r e n d r e le secret de son mode de remplissage : ici ce sont des
fissures d'infiltration, de petites diaclases, qui amènent, par les craquelures du sol, les
eaux de pluie sous le seul effort de la pesanteur. L'humidité de l'argile témoigne que
ce nouveau trop-plein n'est pas vide depuis l o n g t e m p s .
De plus, nous r e m a r q u o n s que les parois rocheuses de la g r a n d e salle où nous
sommes enfermés sont, non pas revêtues de stalagmite, mais très corrodées ; elles
s'effritent sous le doigt en minces plaquettes, d'un à 3 décimètres de côté, et, sur un
centimètre d'épaisseur, elles sont percées de petites cavités, toutes pareilles aux t r o u s de
vers des vieux bois et vieux livres ; tout le rocher est ainsi décomposé, et sa structure
semble être un revêtement d'écaillés ou de tuiles, imbriquées les u n e s sur les autres.
La salle a la forme d'une coupole, d'un dôme de I D mètres d'élévation maximum, et où
la clef de voûte du sommet serait remplacée par le grand puits de descente. Nous com-
p r e n o n s alors comment l'érosion i n t e r n e , à son tour, a construit cette rotonde : petit à
petit et de proche en proche l'eau sous pression, animée de quelque mouvement gira-
toire ou chargée simplement d'acide carbonique, ronge la roche et la désagrège par
plaquettes, qui se réduisent en un dépôt argileux. Si le courant d'eau était plus puissant,
si le flot avait pu s'élever plus haut, la caverne se fût dilatée et la coupole arrondie
davantage, le creux souterrain se fût rapproché du creux superficiel, et entre eux deux le
terrain se fût effondré pour former un gouffre immense comme Padirac, au lieu de deux
puits assez étroits. Ici donc les deux érosions réunies n'ont pas réussi à produire l'affais-
sement. 11 se p e u t qu'en déblayant l'argile on retrouve une plus grande largeur aux
fissures que nous avons vues. On se rend compte encore que, lorsque les avens ne sont
pas bouchés par les pierres tombées (puisque ici le talus n'a que le tiers du diamètre total),
ils peuvent l'être par l'argile ; et cette argile provient soit des eaux qui l'ont entraînée de
la surface et déposée au fond, soit de la décomposition chimique des calcaires dont elle
serait le résidu, la cendre insoluble dans l'eau, soit enfin de la couche géologique
immédiatement sous-jacente (voir p . 5o et 207).
Le fond du gouffre se trouve en somme à 80 mètres en dessous du plateau, et à
7 3 mètres en dessus du niveau de la vallée
Coupe du Causse de l'AIzou, distante de 750 mètres au nord.
de t r a m â t â l'Est de Rocajnadour C'est à Figue de Biau que nous avons
noté l'une des plus basses températures de
}V1
tous nos abîmes et cavernes : -J- 5° centi-
.-^^^i grades au-dessus de
nSU"' ., • zéro. J'explique cette
Echelles
'""'-f^-*' .V . anomalie de la façon
<
ty^iW t q
™!l.riiL suivante : Le double
orifice produit un cou-
rant d'air (sans doute à cause de la différence du niveau des deux bouches et de la forme
des puits) ; ce courant d'air active l'évaporation du ruisseau et de l'humidité interne ; or
l'évaporation, on le sait, provoque un abaissement de température : il faut qu'elle soit bien
rapide, pour faire descendre le thermomètre à 5° centigrades. Dans des conditions à peu
p r è s semblables je n'avais, avant 1891, pas vu ce d e r n i e r plus bas que 7°5 (talus de Rabanel),
et 8° (à Tabourel, près d'un fort suintement d'eau). On peut croire aussi que le poids spéci-
fique de l'air froid le fait tomber au gouffre en hiver (les observations de M. Arnal sur le
causse Méjean, en octobre 1892, le prouvent, v. p . 223), et que la forme de l'abîme s'op-
pose à son renouvellement complet en é t é . Nous
reviendrons sur ce sujet à propos de la glacière
naturelle du Creux-Percé dans la Côte-d'Or.
Dans le cloup m ê m e , du côté oriental, et à
10 mètres au-dessus du col, on a établi u n e petite
citerne qu'alimentent les p l u i e s ; la caverne de
l'igue en serait une autre, colossale, si on pou-
vait la r e n d r e étanche : le réservoir est tout fait;
Igue de
BARRIÈRES ce ne serait peut-être pas une si folle entreprise,
rrof 6S met. que d'en b é t o n n e r les parois, en disposant une
espèce de vanne, à la fissure exutoire de l'angle
sud, pour les besoins du curage. La descente,
par le petit orifice et le puits oblique, serait facile à
ménager au moyen d'échelles superposées, ou
même d'un chemin en lacets, et trois à quatre mille
mètres cubes (3 à 4 millions de litres) d'eau, pour-
raient constituer là une fraîche et inépuisable
TOUS DROITS- RÉSERVÉSréserve pour les besoins du causse assoiffé !
On n'ignore pas que les Mexicains du Yucatan ont a r r a n g é pour cet usage les cénotés
de leur pays (voir p . 147) ; dans le gouffre de la Sehora Escondita (la dame voilée), on
a posé des escaliers pour utiliser les sources du fond (Simonin, les Pierres, p . 58,
Paris, Hachette, 1869).
Foujsse VAse, près de l'igue de Biau, en face de Rocamadour, orifice en forme d'aven,
est une toute petite grotte, d'intérêt nul (Gaupillat, 20 septembre 1890).
Igue de Barrières (21 septembre 1 8 9 0 ) . — Entre Roque de Corn e t l e gouffre de Padirac.
Sous prétexte que « de la fumée en sort en hiver » (c'est simplement l'évaporation de
l'eau de suintement, accentuée et rendue visible par la différence de température), on
avait, dans ce pays qui manque d'eau, bâti, depuis notre découverte de 1889, le roman
suivant, savoir : que Padirac, Roque de Corn et Barrières jalonnaient (selon l'ancienne
théorie de l'abbé Paramelle), le cours d'une seule et même rivière souterraine, aboutis-
sant à. la fontaine de Saint-Georges. Après notre dernière expédition de Padirac et la
reconnaissance du fond, nous étions fixés; mais le maire de Barrières et ses administrés
nous p e r s u a d è r e n t « qu'il fallait faire » aussi leur trou, « plus profond que les deux puits
de Padirac réunis », et Gaupillat consentit à se dévouer avec Armand et Foulquier : il ne
rencontra qu'un puits de 3i mètres à pic, aboutissant à u n e assez jolie grotte ou galerie,
ramifiée en trois parties coudées à angle droit, large de 3 à ia mètres, haute de i 5 à
25 m è t r e s , l o n g u e de i 2 5 m è -
très seulement, et assez Igue GlBERT
inclinée pour q u e l'extré-
mité se trouvât à 65 m è -
tres en dessous du niveau
du sol, soit à 34 en contre-
bas du fond du puits. Une
magnifique pyramide sta-
lagmitique,haute de ^ m è -
tres, occupe le milieu de
cette grotte. De rivière
ou de nappe d'eau, point
d'apparence : deux petites
chambres seulement au
fond de la galerie sont rem-
plies d'ossements, d'argile
humide craquelée, et de
cailloux entraînés et accu-
mulés par les eaux sau- TOUS DROITS RESERVES
diculaire et qui vient de l'est. Au-devant, se trouve un caractéristique gour de tuf épais,
jolie vasque de 2 m è t r e s de
diamètre, au rebord capri-
cieusement contourné. Ce .;>• ' " lis
gour est plein d'une ar-
gile, qui bouche, à une
très faible distance, le cou-
loir ogival de 1 m è t r e de
l a r g e u r et de hauteur d'où
jaillit la source, quand elle
coule. Sur la pente du cône
de tuf, qui descend de la
vasque jusqu'au fond du
gouffre, on remarque des
entailles artificielles ser-
vant de marches ; à quelle
époque peuvent-elles r e -
monter? Il paraît que l'a-
GOUFFRE DES VITARELLES.
bîme se vide, du j o u r au
Photographic Pons.
lendemain, de l'eau que la
source y a apportée. Le fond, d'ailleurs, est tout fendillé ; des deux côtés de la faille (tout
encombrée de blocs qu'il faudrait déblayer pour aller plus loin), le pied des falaises est
tailladé de n o m b r e u s e s crevasses. Et au-dessus d e l à source il y a plusieurs orifices, qui
ont dû aussi débiter des fontaines jadis, et ne donnent plus maintenant que le suinte-
ment des infiltrations. Les g e n s de Bèdes racontent que, lors de la construction du chemin
de fer, au-dessus même des Vitarelles, les travaux furent fort gênés par un ruisseau sou-
terrain, qu'un éboulement avait mis à j o u r .
Enfin, sur la paroi Nord, à mi-hauteur, des contournements de strates nettement
visibles, donnent une idée des plissements de terrain qui ont dû se produire, et expliquent
l'abondance des fissures observées. Le pourtour du gouffre des Vitarelles est de 45o mètres.
La plus admirable végétation en tapisse l'intérieur.
En t o u r n a n t le dos au chemin de fer et dans la direction de Reilhac, il y a plusieurs
cloups ou bassins, aux parois plus ou moins à pic, cultivés dans le fond, larges de
3o à 00 mètres, profonds de i5 à 3o, et dépourvus de tout orifice d'igue ou de ca-
vernes.
Il est difficile d'y voir autre chose que des cuvettes formées par érosion superficielle
sous Faction d'eaux tourbillonnantes
Mais Bèdes, les Besaces, les Vitarelles ne sont pas que des gouffres d'érosion
extérieure ; leur profondeur prouve que les eaux intérieures ont participé aussi à les
creuser par en bas, et que des éboulements ont oblitéré les conduites souterraines dont
la fontaine des Vitarelles reste un exemple et un fragment.
Ces eaux souterraines venaient de T h é m i n e s , Issendolus, l'Hôpital (v. p. 294). Jadis
elles étaient sans doute beaucoup plus abondantes que de nos j o u r s : elles ont pu gonfler
les fentes naturelles du plateau jusqu'à les faire éclater et à provoquer des effondre-
ments. Aujourd'hui que la précipitation atmosphérique est de beaucoup plus faible,
de tout petits conduits profondément enfouis suffisent à l'écoulement souterrain, et les
abîmes obstrués et encombrés ne sont plus que des trop-pleins hors de service ou tem-
poraires, dont le fonctionnement nous sera expliqué par la Crousate.
De ce qu'on paraît ne plus constater la présence d'eau contemporaine en bas de la
grande Besace alors que les Vitarelles se remplissent souvent, je déduis une fois de plus
qu'il n'y a point de nappes d'eau, continues et étendues en tous sens, dans les forma-
tions calcaires des Causses. En effet la source des Vitarelles est de i 5 mètres (25o mètres)
au-dessus du fond des Besaces (235 mètres), qui ne semblent pas être en communication
hydrologique avec elle, bien que la distance ne soit que de 5oo mètres. C'est la substitu-
tion, partout constatée, du réseau d'égouts à la citerne ou lac unique.
Quant à l'action des eaux superficielles, elle est démontrée par la formation contem-
poraine d'abîmes qui s'ouvrent quelquefois subitement après les g r a n d e s pluies.
Dans les premiers j o u r s d'août 1 8 9 1 , à la Cajrouse, à l'ouest de Reilhac et de L u n e -
garde, un violent orage avait complètement s u b m e r g é plusieurs larges cloups profonds de
quelques mètres ; l'un d'eux se vida b r u s q u e m e n t , au grand émoi des habitants, et
M. Pons, appelé sur les lieux, y constata, m'a-t-il dit, la naissance d'un aven, large d'un
mètre et profond d'une trentaine ; par cette fissure souterraine, assurément préexistante
(v. p . 49)1 toute l'eau s'était écoulée, après avoir crevé le fond du cloup devenu trop
mince. Les cloups voisins restèrent longtemps s u b m e r g é s . Le même orage aurait, pa-
raît-il, provoqué semblable chose, en trois autres endroits du causse.
A 2 kilomètres sud-ouest du village d'Issendolus, se trouve un abîme nommé la
grotte Peureuse, autrement dit la grotte qui fait peur, parce que la légende y plaçait
l'antre d'un monstrueux serpent, en défendant la visite ! Par 34o mètres d'altitude, sur un
petit plateau, c'est un Padirac en miniature, un trou complètement rond de 3o mètres
de tour, 10 mètres de diamètre, et 10 mètres seulement de profondeur. Comme il est
situé entre les pertes de T h é m i n e s , Issendolus, etc., et les Vitarelles, nous comptions y
retrouver les courants, entrés en t e r r e à si peu de distance dans l'est. Nous ne fîmes
point cette h e u r e u s e rencontre, mais nous relevâmes des particularités intéressantes,
que les plan et coupes ci-après permettront de comprendre.
L'abîme s'est ouvert par l'affaissement de la voûte d'une petite galerie (F. E.), en
moyenne large de 1 mètre et haute de 2, lit d'un ancien ruisseau à sec, que nous pûmes
suivre pendant 25 mètres en amont (au nord), et 45 mètres en aval (au sud, avec deux
coudes à angle droit) : les deux extrémités étaient bouchées par l'argile ou les éboulis.
Dans l'angle occidental du gouffre (qui mesure à sa base i 5 mètres de diamètre), une
1. T o u t a u t o u r d e s B e s a c e s , M. L a l a n d e a r e m a r q u é de n o m b r e u x g a l e t s r o u l é s (de r o c h e s c r i s t a l l i n e s ) ,
l a i s s é s s u r c e s p l a t e a u x j u r a s s i q u e s p a r l e s r e m o u s , qui ont j a d i s é r o d é si p r o f o n d é m e n t l e u r a i r e .
galerie descend en tire-bouchon : les pierres qui y sont tombées n'ont pas pu la fermer,
et, quand on s'est abaissé de 7 m è t r e s , on reconnaît que l'on se trouve sur un cône de
déjection comme celui de Padirac, mais bien plus petit et ayant obstrué une autre
galerie pratiquée plus bas : suivant la pente nord du talus, on pénètre dans une petite
salle de 25 m è t r e s de longueur, 10 de hauteur et de largeur, pourvue de quelques
stalactites, en partie occupée par un lac profond de 1 mètre à p e i n e ; — cette flaque d'eau
(très basse t e m p é r a t u r e , 8° centig.) se franchit en huit enjambées, dans l'eau jusqu'à la
ceinture : 3o mètres plus loin, la route est fermée par une stalagmite, en travers de la
fente rétrécie. Le plan de l'autre branche (amont de le galerie) montre combien elle est
t o r t u e u s e , et comment elle se t e r m i n e , au bout de 70 mètres, par une fissure de 4o centi-
mètres de hauteur sur i 5 de largeur. On ne peut passer outre. Cette galerie inférieure
Photographie Rupin
est à 3 i 7 - 3 i 4 mètres d'altitude, à une faible distance verticale par conséquent des
courants souterrains cherchés ; elle est donc un affluent de ces courants, affluent qui ne
fonctionne sans doute qu'après les g r a n d e s pluies, ou peut-être même plus du tout.
Si petite qu'elle soit, avec ses 200 mètres seulement de développement total, la grotte
Peureuse contribue utilement à éclaircir l'hydrologie souterraine des terrains calcaires ;
nous y voyons en effet quel profit ces eaux ont tiré de la stratification et des cassures du
t e r r a i n ; elles ont pratiqué, à io m è t r e s l'une a u - d e s s u s de l'autre, et dans des plans
verticaux différents (car la superposition n'est pas aussi directe que pourrait le faire
supposer la coupe ; voir le plan), deux galeries, où elles ont coulé en sens contraire ; s'il
y a 18 mètres de différence de niveau (332 et 3i4) entre les extrémités nord de ces galeries,
il n'y en a plus que 11 (328 et 317) entre leurs extrémités sud, et il est probable q u e , par
un couloir plus ou moins contourné, elles communiquaient ensemble de ce côté (communi-
cation hypothétique obstruée de la figure). — La pression hydrostatique qui a provoqué
l'effondrement de la voûte superficielle, et ouvert le gouffre, aura sans doute aussi pra-
tiqué le couloir en tire-bouchon qui réunit maintenant les deux galeries. Il est curieux de
rencontrer u n e canalisation à ce point complexe et ramifiée, à une aussi petite distance
de la surface du sol. On parviendrait p e u t - ê t r e au confluent du courant d'Issendolus, en
crevant la stalagmite qui nous a arrêtés.
Le profil de la galerie supérieure montre qu'ici l'action mécanique (érosion) a
été le principal facteur de l'élargissement, l'action chimique (corrosion) ayant eu
moins d'influence (v. coupes I et II). On y voit des saillies et des cannelures
horizontales alternant. Les saillies sont de calcaire compact, les cannelures de
marnes friables ; l'érosion a eu plus facilement raison de celles-ci que de celui-là ; la
corrosion, au contraire, due à la présence de l'acide carbonique dans l'eau, eût
plus aisément dissocié le carbonate de chaux (calcaire) que la marne, riche en silicate
d'alumine (argile). Donc l'action mécanique l'emporte. La coupe III (galerie inférieure)
est moins accidentée, parce que là il n'y a que des strates calcaires.
Remarquons, dans la coupe II, que la voûte est d i s l o q u é e ; la tendance à l'affaisse-
ment y est manifeste; on y voit l'amorce d'un éboulement, qui ne s'est pas produit,
parce que l'étroitesse du couloir a fourni des supports latéraux à la dalle supérieure!
et a compensé ainsi les effets de l'écrasement dû au poids des assises s u p e r p o s é e s .
Ce petit abîme, peu dangereux et si instructif, est des plus faciles à visiter avec une
échelle de 6 mètres (6 juin 1892). L'extérieur est très p i t t o r e s q u e ; sa riche verdure
contraste agréablement avec la blancheur des strates calcaires brisées.
Le 14 mars 1 8 9 1 , MM. E. Rupin et R. Pons exécutèrent à l'abîme de la Crousate, à
80 mètres est de la route de Gramat (6 kilom.) à Reilhac (3 kilom.), et à 8 kilomètres
ouest de T h é m i n e s , une descente incomplète. Faute de matériel suffisant ils n'avaient
pu arriver jusqu'au fond de l'abîme. Le 12 juillet 1891, Gaupillat et moi, avec Rupin,
Lalande, Pons et Armand, nous avons atteint le bas de la Crousate.
Comme le montrent la coupe et le plan ci-contre, ce gouffre, qui ressemble beau-
coup à celui des Baumes-Chaudes, s'ouvre en grotte dans u n e roche à pic (à 335 m.
d'altitude), et non pas en puits vertical dans u n
champ plat (v. p . 1 0 ) ; il mesure 85 à 90 mètres de
profondeur totale, et se compose de trois étages de
2
puits à pic (profonds de 8 à 4 mètres), réunis par
d'étroites galeries peu inclinées, ou horizontales,
dans une seule et même diaclase verticale, longue de
100 mètres environ, large de 2 à 10 m è t r e s , dilatée
par l'érosion externe. Rupin et P o n s s'étaient arrêtés
au bas de l'avant-dernier puits, jolie cheminée de
stalagmite rose et j a u n e , haute de 26 mètres (v. p. 1 8 ) :
et les pierres qu'ils avaient jetées dans le dernier
puits, le plus grand (6 mètres de diamètre à l'orifice),
tombaient alors dans u n e masse d'eau fort réson-
nante, dont le mystère était à p é n é t r e r . Le 12 juil-
let 1 8 9 1 , le bas du grand puits, véritable cascade de
stalagmite rouge fort accidentée, inclinée à 8o° en-
2
viron, d'un très grandiose aspect, et haute de 4 m è -
tres, fut trouvé complètement à sec (tempéra-
L/nuiiHim.dd*
ture -}- 11° c ) .
Ce fond est une chambre ovale de 4 m è t r e s sur 8, à 38 mètres en dessous du
sommet du gouffre : dans l'angle oriental de cette petite salle, se creuse une sorte
m
de bassin, profond de 4 mètres et de 1 mètre à i , 5 o de diamètre ; en descendant à
grand'peine dans ce bassin, et en enlevant les grosses pierres et les morceaux de bois
pourri qui l'encombraient, nous r e c o n n û m e s qu'il se terminait par un conduit verti-
cal, naturel et rocheux, de quelques centimètres de diamètre ; nous entendîmes distinc-
tement un petit ruisseau souterrain, coulant de l'est à l'ouest, mais impossible à attein-
dre et à suivre dans son étroit canal : nous nous rendîmes aussitôt compte que ce
conduit vertical est tout simplement l'orifice d'amenée, le tuyau d'adduction des eaux
i n t e r n e s ; c'est par là qu'elles arrivent dans le fond de la Crousate, ou qu'elles s'en
échappent, s'y élevant plus ou moins haut, selon l'abondance des pluies, selon Y état
hydrométrique du plateau; suivant que les p o r e s , les veines, les canaux capillaires du
causse sont plus ou moins g o r g é s par les infiltrations, et suivant la loi des vases
communiquants, les cavités souterraines s'emplissent ou se vident de cette manière,
proportionnellement à la quantité d'eau infiltrée dans les fissures du sol; celle-ci
attirée en bas par la pesanteur et arrêtée par les couches d'argile imperméables,
ou par des rétrécissements, remonte dans tous les vides libres (grottes et avens),
jusqu'à un certain niveau variable, déterminé par la pression hydrostatique. Nous nous
trouvions donc en présence d'une véritable source intérieure intermittente, et nous
constations une fois de plus, comme aux Baumes-Chaudes, à F i g u e de Biau, à Padi-
rac, etc., que les abîmes servent de réservoirs, de trop-pleins aux eaux s o u t e r r a i n e s ;
nous s u r p r e n i o n s surtout pour la première fois le secret du mécanisme hydraulique
naturel, encore inconnu, à l'aide duquel s'effectue le remplissage ou le vidage de
ces réservoirs ; cela achève d'expliquer comment certaines grottes, dont l'orifice se
trouve à une altitude relativement élevée, vomissent parfois, à des intervalles irrégu-
liers et éloignés, de véritables torrents (Sergent, Lirou, Drac, la Poujade, v. p . 149,
214, etc.) : ce phénomène se produit quand l'eau, dans le trop-plein, arrive j u s q u ' a u
niveau de l'ouverture, qui le fait communiquer avec l'extérieur. Enfin nous retrouvions,
dans ce ruisseau inaccessible, ce que nous cherchions, c'est-à-dire la prolongation
souterraine de l'un des cours d'eau engloutis dans l'est du plateau de Gramat, à l'Hô-
pital, Issendolus, Thémines, Théminettes, Assier, etc.
En r é s u m é , la source du bas de la Crousate ressemble beaucoup à un geyser, avec
son orifice de jaillissement et son bassin de réception.
Tout autour de ce bassin, et sur le sol de la chambre ovale, qui doit être souvent rem-
plie d'eau, s'est amassé un fort dépôt de sable fin et d'argile rougeâtre ; c'est le résidu
solide, véritable alluvion souterraine, des éruptions aqueuses, qui se produisent là après
les pluies. Le surplus du fond était rempli d'une argile compacte, encore humide, toute
craquelée p a r l e dessèchement et que l'eau certes n'avait abandonnée que depuis peu! Ajou-
tons que, tout le long des parois du grand puits de 4a mètres (qui n'a nulle part moins de
4 à 6 mètres de diamètre), de n o m b r e u s e s lignes circulaires noires formées par des
dépôts de guano de chauves-souris incrustés sous la stalagmite, témoignent clairement
m
des variations multipliées du niveau de l'eau La principale est à i ,3o au-dessus du
fond de sable : et, 60 centimètres plus bas, un morceau de bois tombé d'en haut a
été encastré dans une fente, par l'eau qui l'a flotté jusque-là comme les tonneaux
du Tindoul. Le bassin de la source interne est tapissé d'une stalagmite mélangée
d'argile, sous laquelle nous dégageâmes partiellement le squelette d'un Ursus de petite
taille.
En haut et en travers du grand puits de \i m è t r e s , MM. Rupin et Pons avaient décou-
vert, lors de leur première visite, un grossier pont en bois, jeté par-dessus l'abîme, et
conduisant de l'autre côté du gouffre, à une petite chambre naturelle sans issue. Il leur
parut p r u d e n t de ne pas se prononcer sur l'âge, ni sur l'usage de cette inexplicable cons-
truction. Sur le sol de la galerie, longue de 16 m è t r e s , qui réunit le bas du puits de
26 mètres au sommet de celui de L\I mètres, gisaient des morceaux de bois travaillé.
On pourrait croire que ces débris ont été amenés là par les eaux superficielles,
engouffrées dans l'orifice de la Crousate. Mais, au sommet du puits de 26 mètres, on
remarque dans le rocher, et faites avec un instrument contondant, deux encoches, d e s -
tinées à recevoir une poutre équarrie ; à cette poutre devait être adapté un système
quelconque de suspension (poulie ou autre), permettant de descendre ou monter à
volonté. Des entailles semblables existent aussi dans la galerie même qui forme l'en-
trée de la Crousate : elles ont dû servir à une clôture quelconque.
En 1888 MM. Cartailhac et Boule avaient recueilli, dans ce premier couloir de
1
la C r o u s a t e (qu'ils nomment trou Pons), à quelques mètres de l'orifice, en un point
qu'éclaire encore la lumière du j o u r , des ossements d'animaux, un fragment de poterie
grossière, une lame de silex et quelques autres débris indiquant « une certaine fréquen-
tation de la grotte. Mais il ne paraît pas que ces traces soient plus anciennes que l'âge
de la pierre polie. »
A ce point de vue, la Crousate offre des problèmes difficiles à r é s o u d r e . Les cou-
loirs et la dernière chambre ont-ils été réellement habités ou bien les encoches et le
pont de bois n'ont-ils eu d'autre objet que la recherche de l'eau au fond du grand puits?
A quelle époque remontent ces s u r p r e n a n t e s manifestations de l'industrie humaine,
parmi ces crevasses d a n g e r e u s e s à parcourir? Tous les vieillards et les traditions du
pays n ' a p p r e n n e n t rien sur ces questions.
Le 4 mai 1893, M. Pons a conduit à la Crousate deux Anglais, M. Baring Gould et
M. George Y o u n g ; ce dernier seul a accompagné Pons j u s -
qu'au fond du dernier puits, où ils n'ont plus entendu le ruis- COUPE DU F O N D
seau.
D E L A CROUSATE
Le 12 juillet suivant, nous sommes revenus, Gaupillat,
Pons, Armand et moi, pour tenter en vain le déblai du dernier
puits : il faudrait des semaines pour l'effectuer. C'est entre
les interstices de blocs de p i e r r e , cimentés par la stalagmite
très d u r e , que se produit l'ascension de l'eau. Trois h e u r e s
de travail n'avaient fait qu'un approfondissement d'un mètre
à peine : les intervalles des blocs étaient à peine gros comme
le poing ; nous étions engagés sous le sol du fond du puits ;
pour continuer, il eût fallu d'abord déblayer ce faux plafond,
sorte de brèche de pierres, stalagmite, argile, sable, osse-
ments et bois. L'eau seule peut se frayer une route dans ce
magma, qu'elle concrétionne de plus en plus. Nous n'étions
pas outillés pour un tel travail, et nous abandonnâmes de
nouveau la place, après avoir constaté que, si le ruisseau ne
coulait encore pas, les petites pierres du moins tombaient, à l TOUS DROITS RÏSCRVtS
Peine p e r d u e .
L'igue de Saint-Martin n'est q u ' u n puits uni-
que, sans issue et sans eau, comme Guisotte (v.
p. 206). Il a 90 mètres de profondeur totale, soit
25 de plus que la plate-forme du braconnier, et se
termine par deux fentes ou galeries très fortement
inclinées, se rétrécissant de plus en plus, jusqu'à
leur obstruction complète par l'argile. Au bas de
l'une, la plus profonde, nous avons retrouvé u n
chapeau et u n e g r o s s e lanterne cassée, p e r d u s par
les sauveteurs de 1 8 9 0 ; e t à l'extrémité de l'autre,
le squelette entier du chien de 1888. Nous remon-
tâmes avec soin ces débris, pour édifier les g e n s
du pays s u r l'existence, tant de la grotte de 4 kilo-
mètres que de la rivière souterraine.
Il est probable toutefois (l'humidité et les cra-
quelures de l'argile en font foi) qu'au printemps,
après la fonte des neiges, ou même lors des
grandes pluies, l'eau s'accumule en flaques au fond du gouffre, ou y arrive par trop-plein
comme à la Crousate, et que l'illusion du charpentier était sincère et excusable.
Quant au braconnier, l e s j o u r n a u x judiciaires ont raconté sa véridique odyssée, que
la cour d'assises de Cahors a complétée par u n e navigation vers la Nouvelle-
Calédonie (où il est mort depuis, paraît-il).
Certes il est s u r p r e n a n t qu'il ne se soit pas t u é du coup dans sa c h u t e ; mais, quelque
grande qu'ait été sa chance, la curieuse disposition des lieux permet de la c o m p r e n d r e
(voir la fig.). Il y a deux entrées au gouffre : l'une à pic, l'orifice m ê m e ; l'autre presque
horizontale, en forme de tunnel greffé à angle droit sur le puits. C'est par là qu'entra
l'assassin ; puis, s'asseyant au bord du vide, il se laissa glisser les pieds en avant,
comme il l'a raconté lui-même. Or, de ce côté, la paroi n'est pas absolument à pic, elle
se trouve inclinée à y5 ou 8o°, et, de plus, la roche y est creusée du haut en bas d'une
sorte de rainure, où le corps s'engagea dans sa chute. Ainsi emboîté dans cette rigole
directrice, il ne pouvait plus dévier latéralement ni culbuter en avant, mais seulement
s'échouer sur la plate-forme de rocher et de gravier qui l'a arrêté, fort brutalement sans
doute. — Cette rainure nous donna beaucoup de mal pour remonter nos 62 mètres
d'échelles de corde, car les échelons s'y accrochaient en refusant absolument de
déraper : il fallut, comme à la Bresse (p. 208), suspendre plusieurs hommes dans le
puits pour parvenir à la dégager.
A 4 kilomètres au sud-ouest de Figue, au bord de la route de Gramat à Cahors, une
pierre commemorative a été placée à l'endroit où fut frappé le garde Rossignol.
A 1 kilomètre au sud de Saint-Martin, nous nous
arrêtons avant G r a n g e s pour monter à Y igue de Si-
IGUE DE- SIMON
près Carlucet mon, ouverte à 33o mètres s u r un petit plateau en
_(LOT) promontoire, au pied duquel deux ravins se r é u n i s -
sent par 290 mètres d'altitude (V. la grav. p . i 3 ) .
M. Brisse, i n g é n i e u r des mines à Rodez (qui
nous a accompagnés les 4 et 5 juin 1892 aux abîmes
de Simon, des Combettes et de Calmon), commence
par constater que Figue de Simon s'ouvre dans le
0
plan d'une faille orientée 7 0 nord-est. Tel doit être
aussi le cas de beaucoup des abîmes explorésjusqu'à
p r é s e n t : seulement les failles ne sont g u è r e visibles
sous terre^ à cause des revêtements de stalagmites,
des amas d'argile ou des éboulements (v. p . 1 7 9 ) ;
ici au contraire, on distingue bien cet accident, grâce
au ravin voisin (celui de Granges), qui entaille le pla-
teau. Le premier à-pic est de 25 m è t r e s , dans une fente
que l'érosion superficielle a arrondie en puits : au
point B du plan, une sorte de poche est peut-être
l'amorce d'une galerie o b s t r u é e , car nous nous trou-
vons au sommet du talus détritique ordinaire, haut
ici de 20 mètres (voir la coupe) ; il occupe une g r a n d e
fente large de 4 à 8 mètres, où nous descendons
jusqu'à 45 mètres en dessous du sol, soit à 285 m è -
tres d'altitude, un peu plus bas que les ravins voi-
sins, mais pas encore au niveau du fond de Saint-
Martin qui est à 240 mètres. A main droite, u n e belle cascade de stalagmite s'étale comme
à Marty, mais bien plus g r a n d e , au-dessous d'une cheminée (aven, sur la coupe). Au delà
du point le plus bas, la galerie se rétrécit, remonte de 10 m è t r e s , est tapissée de stalag-
mites produites sans doute par le suintement d'un troisième aven, et se t e r m i n e par une
fissure descendante impénétrable. Tout cela confirme d'une manière absolue les remar-
ques faites à Marty.
Dans Figue de Simon, nous avons trouvé un chien vivant, qu'on y avait jeté deux mois
auparavant ; il avait une sorte de taie blanche sur les yeux. Au fond de l'abîme, une
carcasse de brebis et les gouttes d'eau qui suintent des parois, expliquent, clans une
certaine mesure, que ce chien ne soit pas mort de faim ni de soif : mais la brebis n'a pas
pu suffire à le nourrir pendant deux mois et il est au moins surprenant qu'il ne se soit
pas tué du coup dans la chute du premier puits (ab mètres). Tout cela dénote l'énergie
vitale de l'espèce; la formation des taies blanches sur les yeux indique avec quelle
facilité les organes s'atrophient sous l'influence du milieu.
Non loin de l'igue de Simon, le gouffre des Combettes, près de Pech del Sol, est à
2 kilomètres sud-ouest de G r a n g e s . Il nous avait été signalé, comme tous ses pareils
d'ailleurs, par M. Pons, notre infatigable préparateur des voies, dont les patients fure-
tages dans les bois et les rochers, à la recherche des trous du causse, nous ont épargné
bien des pertes de t e m p s .
L'igue des Combettes, située dans la propriété de M. Calmon, avait été bouchée au
moyen de troncs d'arbres et de p i e r r e s . Il paraît qu'un orage a tout défoncé en 1891 et
rouvert le gouffre (altitude 320 mètres) ; de fait, tout autour de l'orifice (5 mètres de
diamètre), les t e r r e s paraissent avoir glissé récemment et sont encore peu solides.
Photographie Gaupillat.
où le doigt seul peut entrer. Ainsi cette igue, par une disposition toute particulière,
nous a permis de descendre e n - d e s s o u s de son talus d'éboulis, et nous n'y avons trouvé
cependant que des fissures capillaires comme à Combelongue et à l'Egue. De nouveau,
voilà la prolongation des avens remise en question. Il est vrai que la profondeur totale
n'est que de 4 ° m è t r e s , et l'altitude de 3 i o seulement, au lieu de 25o dans la plupart des
autres abîmes. Il se peut donc que notre puits de 14 mètres soit simplement une petite
crevasse secondaire affluente, et que des fissures plus larges se prolongent sous le
talus, dans un autre angle du gouffre. T e m p é r a t u r e , au sommet du talus, o,°2 seulement.
Tout autour des deux Brantites, et comme dans p r e s q u e toute la Braunhie d'ailleurs,
22
les rochers sont sillonnés de rainures, de crevasses, de t r o u s , de rascles en un mot, qui
ne laissent pas de doute sur l'action des eaux superficielles.
En dehors de l'achèvement de Picastelle et de Roche-Percée, voici les avens qui
restent à explorer dans la Braunhie :
UAussure, à un kilomètre est de Planagrèze (sondage 7 5 met.); goule-aven comme
la grande Brantite. — Ulguette, à un kilomètre sud-est de F o n t a n e s - L u n e g a r d e . — Le
Pech de Montfouilloux, à 4°o ou 5oo mètres est de Viazac. — Une igue sans nom, tout
près de Cloupman et où M. Pons a failli se tuer dans un i m p r u d e n t essai de descente.
VOurgue, Y Igue Noire et la Diane, entre Câniac et Quissac.
Cela fait donc quinze igues dans la Braunhie : six complètement explorées (sauf
débouchage), deux douteuses, et sept inconnues. Il y en a certes bien d'autres, que les
hasards des o r a g e s , de la chasse ou de la pâture feront découvrir, ou qui resteront
toujours dissimulées sous leur cou-
vercle de roche ou de t e r r e .
A b î m e e t G r o t t e d e J L ' I G U E D E B A R , pr,ès M a r c i l l a c (Lot)
eayrlores 1 e e
pouJ UL l V ybis, Le IS Septembre 1830. L e u r situation dans le calcaire ox-
Profondeur totale = 65mètreo X.<H\tfu.eur t o t a l e - 300 u r è t r e s .
fordien, et dans la partie la plus éle-
vée du causse de Gramat (moyenne
4 o o m è t . ) , n o u s p e r m e t d e considérer
les expériences faites comme con-
cluantes, et de ne pas espérer d'au-
tre Padirac dans la Braunhie. P u i s -
sent d'ultérieures recherches nous
d o n n e r tort : nous le désirons vive-
ment, en souhaitant bonne chance
à ceux qui les e n t r e p r e n d r o n t .
Nous n'en aurons pas moins prouvé
que les profondeurs avaient été, en
moyenne, simplement exagérées du
triple ! Et puis, faute de g r a n d e s
découvertes, nous aurons toujours appris et révélé la vérité sur les cloups et eaux sou-
terraines du causse de Gramat.
Le 16 septembre 1890, dans un aven situé bien plus au sud, en dehors de la Brau-
nhie, à 5 kilom. du Célé, nous avons trouvé une belle grotte et de Veau. C'est L'igue
de Bar ou de Ginouillac, au nord de Marcillac, entre le hameau de Ginouillac et le
domaine des Brasconies. Sa profondeur était incommensurable, et le bruit de la
chute des pierres y retentissait pendant plusieurs minutes, selon Delpon, qui y voyait
« le soupirail de quelque rivière souterraine » (Statistique du* département du Lot,
t. I, p . 58). Or, nous avons reconnu à l'igue de Bar un premier puits à pic de 3 mètres
de diamètre et de 33 mètres de profondeur (érosion et marmite de g é a n t ) ; puis une pente
rapide, et un deuxième petit puits de 10 mètres aboutissant, à 55 mètres sous t e r r e , à
la première salle d'une vraie grotte de 3oo mètres d'étendue. Une deuxième salle longue
de 5o m è t r e s , large de 3 o , haute de 10 à 20, en partie obstruée par les dalles éboulées
des voûtes, possède de magnifiques stalactites, notamment une large pyramide qui
paraît soutenir le plafond; dans la troisième salle, assez basse, qui communique avec
la précédente par un large couloir incliné à 35°, nous avons découvert, à 65 mètres de
profondeur environ, un lac long de 20 à 25 mètres , large de 5 à 6 et profond de
i mètre en moyenne. Au moment de notre visite, ce réservoir p r e s q u e vide ne con-
tenait g u è r e plus de 100,000 litres. Mais diverses lignes s u p e r p o s é e s de niveaux
d'eau, m a r q u é e s par des dépôts argileux sur tout le p o u r t o u r de la salle, indiquent
qu'après la fonte des n e i g e s , le surplus de la grotte doit être en partie rempli.
La h a u t e u r et l'étendue du lac varient donc selon l'état h y g r o m é t r i q u e du sol,
Au delà de cette troisième salle, ce n'est plus qu'une longue galerie large et haute
de 1 à i5 mètres, sans stalactites remarquables, d a n g e r e u s e à visiter à cause des
éboulis inconsistants et de l'argile glissante qui l ' e n c o m b r e n t ; cette argile, encore
humide et toute craquelée, n o u s a prouvé péremptoirement que nous parcourions, en
somme, une vaste citerne à peu p r è s asséchée; nous nous y serions trouvés certaine-
ment arrêtés, comme dans bien d'autres, par le contact de la voûte et du niveau d'eau,
si l'extrême sécheresse de 1890 n'avait pas contracté, outre m e s u r e , le petit lac subsis-
tant, et ouvert pour nous, à son extrémité, un passage fortuit sous un plafond fort bas en
réalité. Point d'autre nappe liquide dans le reste de cette caverne, nulle trace de ri-
vière courante et, au fond, petite salle en cul-de-sac,
toute m u r é e par la roche, les éboulements et l'ar-
gile.
L'igue de Bar continue à d é m o n t r e r que la théo-
rie du jalonnement n'est pas du tout générale ; que
la plupart des t r o u s et galeries des plateaux cal-
caires sont des fissures agrandies par les eaux; que
les cavités ainsi formées servent de réservoirs in-
t é r i e u r s (innombrables sans doute, mais générale-
ment étroits) aux eaux de pluie, et de régulateurs
aux sources avec lesquelles ils communiquent sou-
vent par infiltration ; et que les Causses, bien moins
caverneux qu'on ne le supposait, ne sont pas le
moins du monde supportés par les voûtes colos-
sales et les piliers g é a n t s d'immenses r e t e n u e s d'eau i n t é r i e u r e s .
11 y a quelques années, des chiffonniers (v. p. 119) étaient descendus dans l'igue
de Bar, au bas du premier puits seulement, pour récolter tous les ossements accumulés
au fond; auprès des fabricants de colle et de noir animal ils firent, paraît-il, un g r o s
bénéfice, et racontèrent ensuite que le trou se prolongeait bien loin, bien bas, et qu'on
l
n'entendait pas les pierres s'y arrêter dans leur chute .
En dehors du causse de Gramat nous avons exploré, Gaupillat, Rupin, Pons et moi,
le gouffre de La Berrie (14 juillet 1891), dans la vallée du Vert (ne pas confondre avec
le Vers qui est tout proche), à 2 kilomètres sud-ouest du chef-lieu de canton de Catus,
et à i5 kilomètres nord-ouest de Cahors. Il est mentionné dans le nouveau Dictionnaire
de La France, de Joanne, sous le nom de gouffres de Laborie, au mot C A T U S (intéressante
c e
église des x n et xvi siècles, avec jolie salle capitulaire du xm° siècle récemment
dégagée). Là, dans un petit vallon latéral, et sur le revers nord du coteau qui s'étend
à droite du Vert, entre Villary et Mas-de-Beau, il existe deux t r o u s contigus, à
5oo mètres au sud-ouest du petit hameau de la Berrie, par 180 m è t r e s environ d'alti-
G r o t t e s d e s B r a s c o n i e s et d e Marcillac. — V a l l é e du C é l é . — S o u r c e s r i v e r a i n e s de la D o r d o g n e . — Hydrologie
s o u t e r r a i n e du C a u s s e .
Sur notre troisième partie, les grottes incomplètement parcourues, nous serons bref,
n'ayant fait aucune trouvaille importante, si ce n'est dans une seule.
Roucadour, près Thémines. L o n g u e u r 4°° mètres, profondeur 4o mètres ; quelques
belles stalagmites. Caverne de dimensions imposantes, ancienne goule obstruée, rece-
vant un affluent desséché aussi (galerie montante du Nord, septembre 1890).
Fennet, à 1 kilomètre au sud de la station d'Assier, tout près du chemin de fer. Assez
intéressante malgré son peu d'étendue (160 mètres de longueur totale, dont 90 pour un
corridor insignifiant).
Deux jolies salles à
stalactites, inconnues
avant notre passage : la
plus grande m e s u r e
45 mètres de longueur,
20 de largeur et 3o de
h a u t e u r ; dans l'autre,
un beau pilier stalagmi-
tique soutient un cu-
/. a. mah-t&l rieux pont naturel. Dif-
TOUS DROITS natures—
et où p e r s o n n e n'était
revenu depuis plus de soixante a n s , n'a que i 5 mètres au lieu de 22 mètres de profon-
deur, et conduit, non pas à l'entrée de deux galeries (comme le dit Delpon), mais au
milieu d'une immense salle de forme très originale : c'est une fente en coin, incli-
née à 4o° environ, longue de 90 m è t r e s , large de 20, et dont la hauteur, c'est-à-
dire la distance entre le plancher et le plafond, s'accroît avec la profondeur (4 mètres
à l'extrémité s u p é r i e u r e , 3o m è t r e s à l'ex-
trémité inférieure). Quand on se trouve au
pied de l'échelle de cordes, nécessaire pour Coupe verticale 1
et lonqitudin;
descendre dans cette salle, il faut monter à
gauche (au nord-ouest), pour g a g n e r le haut,
ou d e s c e n d r e à droite (au sud-est), pour rme transv
atteindre le fond : on circule ainsi le long enAB
Entonnoir
d'éroeion
Coupe
de la G r o t t e - A b i m e des
B r a s c o n i e s
Les LroU pcuOcB sont/ n-tr/s plasis—
eerticajur différents
Celle du- mt/ieu ( Settle SUtp-în. J
r
â *5 sur l&s lLcUsx: mitres (fen*.
& p-ùxrx, 1
Han (en Belgique), qui porte aussi ce nom ; là se rencontrent à profusion de magnifiques
clochetons, girandoles et arabesques de carbonate de chaux, vrais chefs-d'œuvre d'élé-
gance et de délicatesse ; d'un balcon naturel qui se trouve encadré entre deux stalagmites
toutes cannelées à jour, on domine de 10 mètres la salle de la Tour, et l'on est entouré
de concrétions calcaires admirables. Dans cet espace restreint, le travail du suintement
et d e s dépôts calcaires a accumulé d'aussi riches fantaisies q u e dans les plus belles
grottes connues. Malheureusement cela ne se prolonge pas : la salle suivante ou de
l'Echelle, q u e barre u n m u r à pic haut de 4 mètres, nous a donné la déception d'une
triste impasse, terminée en voûte de four, longue de 35 mètres et large de 5 à 10. La
grotte d e s Brasconies (23o mètres de longueur totale) n o u s a paru beaucoup plus belle
que celle de Marcillac (v. ci-après). P o u r l'aménager, il suffirait d'une échelle de fer de
i 5 à 16 mètres de hauteur, et d'un chemin tracé s u r la pente de la salle Rupin.
Le plan et la coupe ci-contre indiquent comment l'eau sait élargir des cassures
obliques, pour passer d'un étage à l'autre parmi les fractures horizontales du sol. Les Bras-
conies sont u n e ancienne goule.
Grotte de Marcillac, ou de Blars, ou du Robinet, marquée sur la carte de l'état-major
entre Marcillac et Blars, à 3 kilomètres et demi des bords du Célé, à la lisière sud du causse
de Gramat. « C'était la grotte la plus belle du département, avant que la fumée des tor-
ches dont on se sert pour
la visiter en eût terni l'éclat.
Une colonne de 19 m è -
tres de haut, de 5 décimè-
t r e s de m o d u l e , s'élance
j u s q u ' à la voûte. C'est u n e
merveille du monde sou-
terrain. » (Delpon, Statis-
tique du Lot, 1 . 1 , p . 60.) Le
Guide Joanne j mentionne
un profond « précipice
creusé dans un angle ». En
réalité, nous trouvâmes
deux de ces abîmes inex-
plorés : l'un n'avait que 6,
et l'autre 1 2 mètres à peine
de profondeur, pas absolu-
ment à pic, et tous deux ne
nous conduisirent qu'à de
courtes impasses argileu-
ses. La grotte de Marcillac
doit être une ancienne
source ; elle n'a que 3oo mètres de l o n g u e u r totale, au lieu des 460 allégués par Delpon ;
elle se compose de quatre salles, réunies par des couloirs plus ou moins larges et courts ;
la jolie colonne de la seconde salle est réellement un
type parfait et extraordinaire de ce g e n r e de concrétion,
malheureusement elle est noircie p a r l a s u i e ; seules,
quelques stalagmites sont restées blanches dans la
quatrième salle.
Au commencement de ce siècle, le curé de Marcil-
lac, raconte D e l p o n , s'égara un j o u r dans la grotte
où il aimait à étudier la formation des stalagmites ;
une goutte d'eau tombée sur son unique bougie l'avait
éteinte, il ne put r e g a g n e r l'orifice. Trois j o u r s après,
ses paroissiens se r e n d i r e n t à la grotte et le trou-
vèrent p r e s q u e mort de faim, de fatigue et de p e u r !
Nombre d'accidents mortels sont ainsi survenus ail-
l e u r s , dont on n'aurait jamais soupçonné les tragiques
et mystérieux détails, sans la rencontre fortuite des
cadavres des infortunées victimes, déjà presque en-
croûtés sous la stalagmite. •—• Souvent aussi des sauvetages inespérés ont mis fin à de
cruelles angoisses : comme pour ces Espagnols, égarés en 1878 dans les grottes del Drach
à Majorque (îles Baléares) par un guide inexpérimenté, que l'on retrouva après de longues
recherches, et dont Vuillier nous raconte la terrible aventure (Tour du Monde, 1889, t. II,
p. 56, et les Iles Oubliées, p. 94). Se trouver perdu sans lumière dans le labyrinthe d'une
caverne, c'est un rêve à r e n d r e fou.
D'après Delpon, le département du Lot ne compterait pas moins de r 55 grottes plus
ou moins c u r i e u s e s ; il en doit rester beaucoup d'autres inconnues.
On disait merveille de la grotte de Presque, au sud-ouest de Saint-Céré, sur le bord
de la route qui conduit à Gramat, à l'extrémité nord-est du Causse. Elle a été explorée
(septembre 1891), par MM. E r n e s t Rupin et Elie Simbille. C'est un simple couloir long
d'environ 3oo m è t r e s , d'un accès facile et qui présente çà et là de belles stalactites. Non
loin de là, l'igue de Garrouste a été débouchée en extrayant des p i e r r e s .
En différents p o i n t s , la surface du Causse est constituée par les étages du j u r a s -
sique moyen, au-dessus des calcaires lithographiques où s'ouvre Padirac. M. Mouret
(carte géologique, Brive) place un niveau d'eau dans une brèche calcaire oolithique.
C'est probablement à cette brèche (ou à ses marnes subordonnées) qu'il faut attribuer
l'origine d'un certain nombre de mares pompeusement nommées lacs, et qui retiennent
les eaux des pluies, ou de sources issues d'un recoupement du niveau aquifère. La
légende attribue à saint Namphase le creusement de ces flaques d'eau.
Immédiatement au nord-est de Reilhac (355 mètres), une croupe de terrain s'élève
à 398 mètres. Revêtue d'un petit bois et d'un peu de terre végétale, elle distille une
source, autour de laquelle s'est formé le village. En dessous de l'église, les marnes ont
aidé l'homme à recueillir la source dans le lac de Reilhac (altitude 335 mètres), servant
de lavoir et d'abreuvoir ; le trop-plein de cet étang va, mince ruisselet, se p e r d r e à
5o mètres plus loin, et 5 mètres plus bas dans une fissure du rocher calcaire, qui af-
fleure de nouveau à 33o mètres d'altitude ; cette fente m e s u r e o , 8 o de l o n g u e u r et o , 2 0 de
m M
l a r g e u r ; elle représente les lèvres d'une cassure sous-jacente, l'orifice d'une cheminée,
comme à Marty, et la bouche évidente d'un affluent des courants s o u t e r r a i n s ; elle est
située dans la propriété même de M. P o n s , qui se propose de la faire élargir quelque j o u r
pour tâcher d'y suivre le fil de l'eau !
Il y a d'autres fontaines semblables, mais moins importantes, p r è s du Bastit, dans la
Braunhie, p r è s de Viazac, etc. La plus considérable est celle de Montfaucon, à l'ouest
du Causse, par 3 i o m è t r e s d'altitude.
Au confluent de deux thalwegs secs, elle paraît bien être le produit d'infiltrations
sous le lit de deux anciens ruisseaux aériens. Souvent elle est très abondante, et sort
par une quantité d'interstices dans un bas-fond herbeux et caillouteux. Le[i6 juillet 1893,
nous ne l'avons pas vue s'écouler hors des deux bassins de réception, où on a capté
(T. i3°) ses deux principaux débouchés. On a constaté que l'un a la forme d'une petite
galerie ; son débit s'est beaucoup affaibli depuis quinze ans ; est-ce un effet de la dimi-
nution des pluies, ou de l'ouverture naturelle de conduits inférieurs ? La seconde hypo-
thèse doit être la vraie, puisque, lors même que les deux bassins ne déversent pas, on
peut y puiser tant que l'on veut, sans que leur niveau s'abaisse ; donc la source n'est que
le trop-plein d'un écoulement souterrain, qu'il faudrait e n d i g u e r pour lui r e n d r e sa
pérennité extérieure. Toujours est-il qu'autrefois quatre moulins, actionnés par elle, ne
chômaient jamais, et que maintenant le déversement ne se produit qu'après les pluies.
En rapprochant ces r e n s e i g n e m e n t s de ceux recueillis sur le Calavon (Vaucluse), on ne
peut méconnaître la tendance universelle des eaux superficielles à l'enfouissement pro-
gressif, dans les terrains calcaires du moins. La source, devenue intermittente, de Mont-
faucon est, officiellement, celle du Cèou, affluent gauche de la Dordogne. Gomme celle
de Reilhac elle draine des assises de j u r a s s i q u e supérieur.
Les sources riveraines du Célé et du Lot au sud, et celles voisines de la Dordogne
au nord, sont autrement importantes, et alimentées par une bien plus g r a n d e épaisseur
des calcaires superposés aux marnes b a s i q u e s . Commençons par celles du sud.
Les Anglais, forcés de quitter subitement la G u y e n n e , ne p u r e n t , dit-on, emporter
leurs riches t r é s o r s ; ils les cachèrent (v. p. 281), selon la l é g e n d e , dans une caverne
au sommet d'une falaise, sur les b o r d s du Célé, à plus de 100 mètres de hauteur, en face
du village de Brengues, commune de Livernon. Cette caverne inaccessible avait de tout
temps excité de n o m b r e u s e s convoitises. A l'aidée de mon matériel, MM. Rupin et Pons
ont effectué cette recherche le 28 mars 1893.
A i5 mètres au-dessous du sommet du plateau, la caverne est en recul, et, pour y
pénétrer, il faut a b a n d o n n e r l'échelle et imprimer à la corde, à laquelle on est suspendu,
un mouvement de balançoire qui permette, après une série de secousses, d'aborder
l'antre mystérieux. On éprouve une certaine émotion quand, perché sur cette escarpolette
improvisée, on regarde au-dessous de soi la cime élevée des peupliers, à 100 mètres de
p r o f o n d e u r ; mais la grotte légendaire n'est qu'une simple cavité vide, à peine profonde
de 2 m è t r e s , et qui n'offre aucun intérêt.
La vallée du Célé est en revanche t r è s pittoresque.
e e
A Marcillac, on visite u n e ancienne église abbatiale du x u et du xv siècle.
B r e n g u e s offre ses grottes fortifiées s'étendant sur u n parcours de 5oo mètres, et qui
portent le nom caractéristique de château des Anglais.
Un peu en aval de B r e n g u e s , et sur la rive droite du Célé, MM. Rupin et Pons ont
visité aussi un trop-plein de source, terminé par u n e fissure impénétrable en tire-bou-
chon. 11 offre cet intérêt, que M. Pons, y ayant pénétré à diverses r e p r i s e s , en a trouvé
chaque fois les dispositions intérieures modifiées par le dernier flux d'eau.
En descendant le Célé, 3 kilomètres avant C a b r e r e t s , on passe au débouché d'un ravin
sec, et, toujours sur la rive droite, devant la source de la Pescalerie.
D'après une obligeante communication de M. E. de Belcour, percepteur à Cabrerets,
cette source sortirait d'un canal long de quelques mètres, au pied d'une falaise haute de
70 m è t r e s . Il y a déjà longtemps, M. Capinat, b e a u - p è r e de M. de Belcour, se serait
engagé dans le conduit sur un petit bateau, et aurait débouché dans un lac intérieur, sous
une grande voûte : il y aurait vu des fissures, qui servent de trop-plein et alimentent,
après les crues, plusieurs filets d'eau jaillissant à une petite distance de la source nor-
male. H y a deux igues en arrière sur le plateau. M. de Belcour aurait jeté, dans l'une,
une chienne que l'on croyait enragée, et qu'on vit revenir au bout de soixante-douze j o u r s !
En aval du Célé, le Lot reçoit le ruisseau de Vers, qui coule du nord au sud, et com-
mence près de la Bastide-Murat. Au milieu de sa vallée, la source de Font-Polemie lui
apporte, selon la l é g e n d e , les eaux de Figue de Calmon (voy. p . 332). La portion du pla-
teau qu'il entaille se nomme le Causse Noir (comme dans l'Aveyron), et possède, d'après
Pons, un abîme analogue à la Crousate, et dont on n'a pas visité le fond.
Plus haut, près de Saint-Martin-de-Vos, P o n s a exploré, au commencement de
mai i8g3, un canal de source à sec, large de 1 à 2 m è t r e s , haut de 1 à 4 mètres, où il a
été arrêté, au bout de 12.4 mètres, par un profond gour plein d'eau. Cette source ne
coule qu'après les orages. Evidemment c'est un trop-plein.
Toute l'exploration de cette partie méridionale du causse de Gramat reste à terminer.
L'étude des sources riveraines de la Dordogne a été faite, en 1891, par MM. Rupin et
Lalande. Gomme j e le craignais, presque toutes sont impénétrables, et aucune n'a permis
de pousser au loin sous le Gausse.
A l'est du chemin de Brive à Figeac, celles de Gintrac, Carennac et Toupi (près
Mezels) ont peut-être pour réservoirs supérieurs la féerique galerie de Padirac.
A l'ouest de ce chemin de fer, le groupe de sources de Montraient comprend celles de
Saint-Georges (très pittoresque), du Gour guet, de Lombard et de la Finou, plongeant
sous des falaises à fleur d'eau, par 100 mètres environ d'altitude, et issues possibles du
gouffre de Roque de Corn. J'ai examiné ces dernières le 8 août 1892.
La fontaine de Saint-Georges est une jolie source, à 5oo mètres environ de la rive
gauche de la Dordogne,
où s'écoule le trop-plein
de son eau cristalline. Une
petite grotte s'ouvre à pic
dans la falaise, à 3 mètres
environ au-dessus de la
nappe d'eau.
Avec le bateau Osgood
nous traversons la vasque,
dont le diamètre est de 10
à 12 m è t r e s ; la sonde, à
l'endroit le plus profond,
m 0
accuse 9 ,5o. L'eau a 1 4
centigrades ; de nombreux
poissons y p r e n n e n t leurs
ébats. De la barque, notre
échelle en fer, appuyée à
la paroi r o c h e u s e , nous
permet de pénétrer clans
l'excavation, qui perce la muraille comme une fenêtre ogivale; c'est un petit couloir
bouché, dont la l o n g u e u r n'excède pas 9 mètres.
Les trois autres sources, analogues, mais moins importantes que Saint-Georges,
s'alignent sur une longueur d'environ 1,200 mètres, jusqu'au-dessous du b o u r g de Mont-
valent ; d'abord le Lombard, endigué de façon à permettre d'actionner un moulin ; puis
le Gourguet (ou petit gour) et la Finou. Ces deux dernières sources ne sont pas mar-
quées sur la carte de l'état-major.
Tout cela ne peut pas être sans relation avec Roque de Corn ; et nous aimerions bien
faire désobstruer le boyau de 9 mètres de Saint-Georges ; il est évident que jadis il a servi
de trop-plein. En le déblayant, on verrait s'il conduit à une grotte en arrière du siphon
par où la source monte au jour, ou bien s'il n'est que l'épanouissement d'un réseau de
fissures capillaires, interposé entre la perte et la fontaine ! En ce point certes, des travaux
ne seraient ni difficiles ni coûteux, et permettraient peut-être de résoudre le problème
de la pénétration des sources du causse de Gramat.
E n continuant à suivre, dans la direction du s u d - o u e s t , la rive gauche de la
Dordogne, on rencontre près de Mayronne les gouffres du Limon, à 2 kilomètres de la
rivière, par 110 mètres d'altitude. Ce sont deux sources de fond, deux g r a n d s trous
ronds pleins d'une eau j a u n â t r e , situés à 4° mètres l'un de l'autre; le plus bas est le
plus grand, 3o mètres sur 20, et en forme de fer à cheval (au bout, ruines pitto-
e
resques d'un moulin du x m siècle); l'autre est rond (20 mètres de diamètre) et, quand
il est trop plein, se déverse dans le premier par un canal à l'air libre ; point de falaises
a u t o u r ; les gouffres du Limon se trouvent au débouché d'un vallon sans eau qui
descend du causse. Je persiste à croire que le ruisseau de Salgues, p e r d u dans la
grandiose caverne du Réveil-
lon, à 7 kilomètres au sud- rn 1 1 r> j urvPuriirT
J
' . .. P l a n d e la S o u r c e d e MLYnAUUL I
est, pourrait bien avoir au
r è s
Limon l'extrémité libre de P Souilhc (Lot)
1
son siphon souterrain ! . Jh-nloan,--- <K;,.J
1. On r a c o n t e qu'un c h i e n , v o u l a n t t r a v e r s e r un de c e s g o u f f r e s à la n a g e , fut a s p i r é p a r un t o u r b i l l o n en
arrivant au c e n t r e . E n c o r e une fable !
2 . C o n t r a i r e m e n t à ce que l'on p o u r r a i t c r o i r e , c'est l ' A l z o u , p r e s q u e t o u j o u r s à s e c à partir de R o c a m a -
d o u r , qu'il faut, m a l g r é la p l u s g r a n d e l o n g u e u r de s o n t h a l w e g , c o n s i d é r e r c o m m e un affluent de l ' O u y s s e ,
qui ne tarit jamais.
3 . L e 18 a o û t 1893 C a b o u y était, paraît-il, p r e s q u e v i d e d'eau, a p r è s d e u x m o i s de s é c h e r e s s e . De cinq à
neuf h e u r e s du s o i r u n v i o l e n t o r a g e lit d é b o r d e r le r u i s s e a u de T h é m i n e s (v. p . 299) avant s a p e r t e . D i x h e u r e s
a p r è s , C a b o u y était c o m p l è t e m e n t p l e i n , c o u l a i t à flots, p u i s s e d e s s é c h a de n o u v e a u en q u a t r e h e u r e s de t e m p s
e r
( C o m m u n i e , m a n u s c r . de M. P o n s , 1 n o v e m b r e 1893). M. C h . de M o n t m a u r a b i e n v o u l u m e s i g n a l e r e n c o r e
ce qui s u i t : S o n g r a n d - p è r e a j a d i s p l o n g é d a n s l e gouffre d e S a i n t - S a u v e u r s a n s en t r o u v e r l e fond, ni l e s
c l o c h e s de R o c a m a d o u r , j e t é e s là, d i t - o n , en 1 7 9 3 ; — a u x r u i n e s d'une c h a p e l l e v o i s i n e , d e s p r o c e s s i o n s v o n t
d e m a n d e r la p l u i e en t e m p s de s é c h e r e s s e ; — enfin, un t r o i s i è m e gouffre o u g o u r ( g e n r e S a i n t - G e o r g e s ) e x i s t e -
rait à Pommerssen, à 600 met. de S a i n t - S a u v e u r ( c o m m . par M. L a l a n d e le 19 janvier 1894).
l'identification ne peut être affirmée, à 20 ou 22 kilomètres de distance. Il est certain que
Saint-Sauveur et Cabouy drainent le nord-ouest du causse
de Gramat : de quelle manière ? Les Combettes l'indiquent
aussi bien que possible.
Une d e r n i è r e source sort en vraie rivière de la grotte
assez hautement ouverte de Mejraguet, à 1,200 m è t r e s au
nord-ouest du confluent de l'Ouysse et de la D o r d o g n e .
MM. Rupin et Julien Valat ont pénétré le 25 septembre 1891
dans ce souterrain, dont l'eau occupe toute la section : au
bout de 160 mètres de navigation ils ont été arrêtés, comme
partout, par une voûte descendant au niveau de l'eau. Un
pêcheur du voisinage a affirmé, qu'ayant remonté une fois
le courant aux basses eaux, il avait vu l'extrémité murée
avec des b r i q u e s ! M. Rupin n'a pu vérifier cette assertion,
à cause de l'abondance du flot ; d'après le plan qu'il a levé
avec soin, la caverne a exactement la forme d'un quatre
r e t o u r n é . L'eau s'écoule du sud au nord, depuis le fond
jusqu'à l'entrée, ouverte directement sur la Dordogne même.
Largeur de la galerie 2 à 8 m è t r e s ; hauteur des voûtes
m
o , 6 o à 3 mètres. Meyraguet (source ouverte, comme Saint-
Chély, p . 2 2 1 , et la Buna en Herzégovine, v. chap. XXVII)
est-elle le débouché d'une rivière intérieure i n c o n n u e ,
ou simplement une dérivation-siphon de l'Ouysse voisine,
partiellement absorbée par quelque fissure du fond de son
lit? C'est ce qu'il est impossible de dire au j u s t e .
Le diagramme ci-contre, et ceux des pages 3o4 et 329,
résument fidèlement ce que nous savons maintenant de l'hy-
drologie souterraine du causse de Gramat.
Sur les 35 igues visitées dans le causse de Gramat
(y compris Roque de Cor et Réveillon), trois seulement
nous ont conduits à l'eau courante permanente (Padirac, les
Combettes, la Berrie), neuf à l'eau courante intermittente
(Roque de Cor, Réveillon, Biau, Gibert, Vitarelles, Crousate,
Marty, Calmon, Viazac), une seule (Bar) à une citerne,
les autres à des talus d'obstruction.
Parmi celles que nous avons trouvées libres de pierres
(sinon d'argile), et par conséquent les plus profondes, au-
cune ne descend plus bas que 220 mètres d'altitude (sauf
Barrières et Roque de Cor qui sont indépendantes de
l'Ouysse), et c'est dans les plus rapprochées de la Dor-
dogne que cette basse altitude a été atteinte.
Padirac (220 m.), Réveillon (22.5 m.), Biau (220 m.), for-
ment une première ligne dirigée du nord-est au sud-
ouest. Vitarelles (240 m.), la Grande Besace (235 m.), la
Crousate (25o m.), Saint-Martin (240 m.), les Combettes
(260 à 23o m.) en font une seconde. Enfin, il est bien étonnant que les fonds atteints à
Viazac et à Planagreze aient tous deux, à 5 m è t r e s près, la même altitude (260 et 255 m.),
plus g r a n d e que celle des précédents.
J'en conclus, un peu théoriquement sans doute, mais c'est l'opinion à laquelle je ne
crains pas de m'arrêter, que les marnes supra-liasiques (toarcien, ammonites bifrons,
marnes noires ou g r i s e s , niveau d'eau très important), sont, des sommets de la Braunhie
et de la Bastide aux rives de la Dordogne, doucement inclinées vers le nord-ouest, que
cette pente conduit tout naturellement à l'Ouysse les eaux perdues à Thémines, etc., ainsi
que les infiltrations du plateau, et que les avens que je viens de citer doivent se conti-
nuer par des galeries ou des fissures de faible déclivité, plutôt que par des puits verti-
caux, leur creusement ayant dû s'arrêter à la couche de marne imperméable.
L'igue de Calmon, la plus occidentale de toutes et à fond très élevé (3oo m.) doit,
comme Bar et la B e r r i e , être tributaire du Lot.
Les plus intéressantes à déblayer seraient Gibert, la Grande Besace, Vitarelles, la
Crousate, Saint-Martin, Calmon, Viazac et Planagreze.
Si nous r e t o u r n o n s désormais sur le causse de Gramat, ce sera sans doute plutôt
pour conduire des entreprises de ce g e n r e , et pour fouiller des avens au point de vue
préhistorique et paléontologique, que pour a u g m e n t e r le n o m b r e et le catalogue des
igues descejidues ; car nous croyons en avoir assez vu pour pouvoir, dès maintenant,
r é s u m e r toutes nos recherches de 1889 à 1893 dans la conclusion suivante :
Les eaux souterraines actuelles du causse de Gramat paraissent circuler dans des galeries
plus ou moins basses ou étroites ; les grottes et abîmes de g r a n d e s dimensions
qu'elles ont excavés ou agrandis jadis, quand elles coulaient plus abondantes, aux
anciennes époques géologiques, leur servent maintenant d'affluents, de réservoirs et de
trop-pleins, après les pluies et la fonte des n e i g e s ! De coûteux travaux de déblaiement
seraient nécessaires, pour les atteindre et les utiliser, dans les profondeurs où elles
s'enfoncent de plus en plus !
S O U R C E D E LA. B U N A ( H E R Z É G O V I N E ) .
Le Gausse de Martel.
A v e n s et s o u r c e s . — F a l a i s e s de G l u g e s . — E t u d e s de MM. R u p i n et L a l a u d e . — M o n m e r c o u , la g u e u l e de
l'Eufer. — P é n é t r a t i o n de l'Œil o u s o u r c e de la D o u . — L e p r o b l è m e d u B o u l e t et du B l a g o u r . — Décou-
v e r t e s a c c i d e n t e l l e s de c a v e r n e s . — P e r t e s et é t a n g s . — L e s a b î m e s de la F a g e . — M o n t m è g e et l e s c a n a r d s
du M o u l i n - R o u g e . — A u t r e s g r o t t e s de la r é g i o n .
1. Il y a u n e g r o t t e s e m b l a b l e ( m a i s non fortifiée) d a n s le v i l l a g e m ê m e de R o c a m a d o u r .
23
A 4 kilomètres au sud-ouest de Martel, à l'ouest du hameau de Jacques-Blanc et de la
e
cote 3 i n de la carte au 80,000 (feuille de Brive), l'aven de Monmevcou était un des mystères
du causse, mystère aujourd'hui résolu en u n simple puits de 35 mètres de profondeur
totale (25 à pic et 10 pour le talus de déblais), ouvert sur une galerie bouchée de toutes
parts, longue de 5o mètres, large de 5 à i 5 . Pas d'eau. Abîme d'érosion en forme de cloche.
L'orifice est double (le grand trou de 3 m. sur 1, l'autre tout étroit). Cet aven faisait peur,
car un soir, dit-on, on en avait vu sortir des flammes : donc c'était le vestibule de l'enfer;
et quelqu'un ayant tenté d'y descendre avait, en effet, p e r d u la respiration tout de suite :
encore une légende à supprimer ! (MM. Rupin, Lalande et P o n s , 9 août 1891.) — Là aussi
on jette les bêtes mortes, chevaux et autres ; et l'abîme est rempli de g r o s s e s mou-
ches noires d'aspect peu rassurant. Ces insectes plus ou moins charbonneux ne sont-ils
pas un danger, qu'on supprimerait en cessant de p r e n d r e les abîmes pour des dépotoirs?
Au sud-est et à 2 kilomètres environ de Monmercou se trouvent les deux sources
impénétrables de Boutières et de Cacrey, sites ravissants. Cette dernière offre une
grande analogie avec celle de Saint-Georges, mais on peut suivre pendant une t r e n -
1
taine de mètres un couloir s u p é r i e u r , qui s'abaisse en pente douce vers le lit du r u i s -
seau, dont les eaux sont assez abondantes pour faire m a r c h e r un moulin. Ces sources
pourraient bien communiquer avec Monmercou par quelques fissures inaccessi-
bles à l'homme, mais fort aisées à parcourir pour les eaux de pluie, l'infiltration et les
microbes. Monmercou, donc, devrait être protégé, comme la Berrie, contre le tout à
Végout !
A 4 kilomètres de Martel, VOEU (source) de la Dou, est une source basse jaillissant
2
du dessous d'une strate par un joint horizontal , au fond d'un cirque de falaises escar-
pées, hautes de i 5 m è t r e s . Même disposition que Roque de Corn, mais en sens contraire.
La voûte fait tout de suite b a r r i è r e . Le meunier voisin (moulin de Murel), avait raconté
qu'en 1870 il avait pu pénétrer sous le rocher, r a m p e r pendant 20 à 3o m è t r e s , puis
parcourir une salle immense à fond de sable « où son moulin aurait dansé », et s'arrêter
au bord d'un lac dont la bougie ne permettait par de voir la fin.
Pendant trois étés de suite, après chaque sécheresse, huit ou neuf visites r e s t è r e n t
infructueuses (1890-1892) ; toujours la voûte mouillait, et le siphon restait infranchis-
sable sans scaphandre. Le 16 août 1893 enfin, MM. Rupin et Armand eurent la surprise
m m
agréable de trouver l'eau assez basse, pour laisser un espace libre (o ,4o à o ,5o) entre
elle et la roche, et le lendemain 17 août, à l'aide de mon bateau Osgood, ils effectuaient
la pénétration.
M. Rupin a raconté cette h e u r e u s e exploration dans le Bulletin de la Société scien-
tifique de Brive (t. XV, 18g3. V. le plan ci-contre). Au premier lac, profond de 2 à
m
3 mètres, la hauteur de la voûte varie entre o , 8 o et 1 mètre. Elle s'élève ensuite
jusqu'à 8 mètres ; on aborde après 5o mètres de parcours sur un amas de fin sable de
rivière, montant de 3 mètres au-dessus du niveau de l'eau. Cet amas de sable
fait qu'en certains endroits la voûte n'a plus que 3 m è t r e s de haut. On avance ainsi
1. U n a m a s de s a b l e b o u c h e ce c o u l o i r à s o n e x t r é m i t é , o ù la v o û t e e s t t r è s b a s s e (à d é b l a y e r ) . C'est un
regard o u v e r t p a r la nature s u r le c o u r s d'eau s o u t e r r a i n , m a i s o b s t r u é p a r le s a b l e a p p o r t é p a r l e s r e m o u s , l o r s -
que l e s eaux s o n t f o r t e s .
m
2. L a carte de l ' é t a t - m a j o r n o m m e la Douce le r u i s s e a u qui en s o r t . L o n g u e u r 8 , 5 5 ; h a u t e u r du cintre
m
0 , 5 5 à 1 m è t r e e n v i r o n . L'eau se t r o u v a i t à fleur de voûte, le 9 août 1891 (M. L a l a n d e ) . — P r è s du V i l l a r d -
d e - L a n s (Isère), il y a u n e s o u r c e a p p e l é e Œil de la Dhuys.
pendant i 3 o mètres. La voûte baisse ici subitement, mais en se laissant glisser à
l'extrémité du talus formé par le sable, on découvre un deuxième lac (F du plan); au
delà se présente une cascade haute de 3 mètres, mais complètement à sec le 17 août
1893. Là, pendant environ 180 mètres, Rupin et Armand trouvent de l'eau, qui
forme, non pas le lit du ruisseau proprement dit (il doit passer en dessous), mais une
sorte de réservoir long et très étroit, qui se remplit lorsque le niveau de l'eau s'élève à
cette h a u t e u r ; le parcours de ce bassin est très sinueux, et le fond est formé d'une série
de petites cuvettes, profondes parfois de 1 mètre, qui en r e n d e n t le trajet fort difficile et
même d a n g e r e u x ; l'emploi du bateau n'est plus possible. La galerie est trop étroite, trop
contournée. Il faut donc se résoudre à porter son véhicule sur le dos, et s'avancer en
sautant d'une aspérité à l'autre, ayant presque toujours de l'eau jusqu'aux genoux. La
voûte de la galerie atteint son maximum d'élévation: i5 m è t r e s ; elle est formée d'une
même dalle, sensiblement horizontale.
Il n'y a pas de stalactites, partout la roche montre l'action puissante de l'eau, qui est
arrivée à la polir par place comme
un m a r b r e . L'aspect est fort
curieux. Après un autre amas de
sable épais parfois de 5 mètres,
on retrouve le niveau du ruis-
seau. La voûte s'est abaissée
tout d'un coup, mais elle laisse
m
encore 1 mètre à i ,5o d'espace
vide ; la galerie se rétrécit, de
son côté. Le bateau remis à flot
effectue encore un parcours de
80 à 100 m è t r e s ; puis la galerie ENTRÉE DE L'ŒIL DE LA DOU PRÈS MARTEL (LOT).
tion furent brutalement emportés p a r l e flot intérieur trop longtemps comprimé. Depuis,
on a laissé l'eau venir et couler à sa guise !
Après les pluies abondantes de fin octobre 1892, on a même vu jaillir, à la surface du
m m
Blagour, de petites colonnes d'eau hautes de o , 10 à o ,4o.
Le tout doit être s u b o r d o n n é à un jeu de siphons diversement coordonnés, et dont on
ne saurait deviner la disposition complexe et inconnue.
Mentionnons deux grottes, situées à un kilomètre au sud-ouest de la F o r g e . L'une
est une simple galerie d'une soixantaine de mètres de l o n g u e u r ; l'autre, longue d'en-
viron i4o mètres, présente quelques belles stalactites.
Des choses également fort curieuses ont été reconnues dans la partie du nord du
causse de Martel, au sud des communes de Ghasteaux et de Noailles (Gorrèze).
cr
Pendant la construction du chemin de fer de Souillac à Brive (inauguré, le 1 juillet
1891), les travaux du tunnel de Murel (près de la source et de l'étang du Sorpt et à côté
de la station de Chasteaux), coupèrent en deux parties inégales une galerie souterraine
inconnue, sans communication
avec l'extérieur et orientée du
sud-est au nord-ouest. Grâce à
un permis de circulation gracieu-
sement délivré, sur ma demande,
par la Compagnie d'Orléans ,
M. Lalande a pu étudier cette
grotte de hasard et celle de Fon-
tille (Voir ci-après). — A Murel
la branche de l'ouest m e s u r e
m
200 mètres de longueur, i ,5o de
largeur moyenne et 3 à 6 mètres
de hauteur ; il y a deux branches
latérales à voûtes basses oû il
faut r a m p e r ; le terrain est du
lias schisteux ; des dalles déta-
chées de la voûte encombrent le PARTIE NORD DU CAUSSE D E MARTEL.
1. T e m p é r a t u r e s o b s e r v é e s p a r M. L a l a n d e le 2 0 d é c e m b r e 1 8 9 2 : E n t r é e de la caverne 11°, e x t r é m i t é d e s
g o u r s 14°, eau d e s g o u r s 13°, eau d'un b a s s i n d u tunnel du c h e m i n de fer 9°.
2 . V . Conciliateur de la Corrèze, 8 a o û t 1 8 9 1 .
3 . E n face de F o n t i l l e , le p u y de C r o c h e t s e m b l e r e c e l e r un d e c e s r é s e r v o i r s c a c h é s ; a p r è s l e s f o r t e s
p l u i e s , l e s fissures de cette h a u t e c o l l i n e p r o j e t t e n t d e s j e t s d'eau.
4 . P r è s d'Estival, t o u j o u r s s u r la s e c t i o n d e B r i v e à S o u i l l a c , M. de N u s s a c a d é c o u v e r t d e u x c o u l o i r s
h o r i z o n t a u x p e u é t e n d u s , a u x q u e l s le tracé de la v o i e f e r r é e a é g a l e m e n t o u v e r t d e s i s s u e s . V e r s 1 8 8 5 , en c o n s -
t r u i s a n t un tunnel s u r la l i g n e de T r i e s t e à H e r p e l j e f l s t r i e ) , o n a r e n c o n t r é de m ê m e t r o i s p e t i t e s g r o t t e s d a n s
r
la r o c h e calcaire ( D Cari M o s e r , Mitheil. der Section fur Hœhlen-Kunde des OEsterr. Tour. Clubs, 1886, n° 1,
p . 17).
Au bas du gouffre, à 33 mètres sous terre, s'ouvrent deux galeries.
La plus courte, celle du nord, est obstruée, au bout d'une centaine de mètres, par un
effondrement ; elle se prolongeait peut-être jusqu'à une grotte, qui s'ouvre au bord du
chemin par où, de la route nationale n° 2 0 , les voitures accèdent aux ruines de La F a g e .
On ne peut faire dans cette grotte que quelques pas ; le fond s'est affaissé. T r è s belle
salle, dans la petite galerie, avec un énorme pilier stalagmitique blanc, dressé comme une
s t a t u e ; au plafond, tout un placage de brillantes stalactites.
La g r a n d e galerie a 4°o mètres au minimum : p o u r y accéder, il faut gravir un talus
d'éboulis, adossé à une muraille ro-
cheuse sous l'autre abîme (le plus
étroit). Hautes souvent d'environ 1 o mè-
t r e s , les voûtes de la caverne ne
s'abaissent jamais assez pour obliger à
r a m p e r ; si en certains endroits le rap-
prochement des parois forme d'étroits
couloirs, quelquefois aussi on circule
dans des l a r g e u r s de 6 ou 7 mètres.
Le niveau du sol, quoique t r è s acci-
denté, ne s'abaisse pas sensiblement.
Une galerie, longue de 2 0 m è t r e s , est
occupée par une sorte d'étroite po-
che d'eau. Çà et là quelques gours à
sec, façonnés par le courant qui a élargi
la diaclase primordiale, en laissant
comme preuve de son passage des ga-
lets de roches cristallines dans une
g a n g u e sableuse. S u r t o u t le p a r c o u r s ,
des stalactites et surtout de belles
stalagmites ; les parois latérales, fes-
tonnées de calcite, forment un riche
décor. Une salle dont le sol est hérissé
de colonnettes comparables à des
cippes funéraires, rappelle le Cime-
ABIMES D E LA FAGE. LA S T A T U E .
tière de Dargilan. Ensuite, vient le
Photographie Rupin (au magnésium).
palais des Chauves-Souris, dont l'en-
trée drapée de calcites ressemble à une porte. Le pied foule des déjections composant
une couche de guano de 1 à 2 m è t r e s d'épaisseur.
Au bout d'un dernier couloir, la g r a n d e galerie se trouve bouchée par un éboulement.
Y a-t-il autre chose au delà? C'est probable. Une fissure impénétrable, sorte d'entonnoir
dont la paroi est arrondie par le passage des eaux qui ont alésé et façonné la caverne,
se termine par des fissures capillaires. Il serait facile d'aménager les abîmes de La
F a g e ; leur proximité de la station de Noailles y attirerait de nombreux visiteurs
Le ruisseau de la Couze p r e n d sa source dans les coteaux triasiques de Mont-
plaisir, et se perd, en arrivant au terrain j u r a s s i q u e , à peu de distance de la station
1. Températures o b s e r v é e s le 7 d é c e m b r e 1 8 9 2 par M. L a l a n d e : Orifice e x t é r i e u r - j - 4 ° C . , fond du
p u i t s - j - 5° C , e n t r é e de la p e t i t e g a l e r i e 6°, g r a n d e g a l e r i e 1 1 ° , C i m e t i è r e 1 3 ° , p a l a i s d e s C h a u v e s - S o u r i s 1 4 ° .
de Noailles, à n kilomètres sud de Brive ; rencontrant sur ce point une importante
faille, il s'engage dans une large fissure des rochers oolithiques, pour reparaître au
gouffre du Blagour en amont du Soulier-de-Chasteaux, d'après ce qui est générale-
ment admis. Et pourtant les g e n s qui habitent près de la fontaine de Briance disent
que l'eau p e r d u e sous terre près de Noailles reparait à Briance! Le ruisseau souterrain
traverserait en ce cas tout le dessous du causse de Martel : ce n'est pas probable.
A la suite d'un orage, alors que les foins coupés jonchaient les prairies en amont de
la perte, la Couze sortit de
son lit. L'orifice de la galerie
souterraine fut bouché et l'é-
troite vallée ne tarda pas à se
transformer en lac. Mais sous
la pression croissante de la
masse liquide, le bouchon de
foin fut enfin entraîné dans
les profondeurs du sol (v.
p. 3oo); l'eau put s'écouler et
quelque temps après on vit le
Blagour du Soulier déborder
abondamment, ce qui n'est
pas dans ses habitudes. (Com-
muniqué par M. G. de Lépi-
nay.)
De plus, dans u n coin du
thalweg à'Entrecor, sous le-
quel semble passer la Couze, et
qui lui a peut-être servi de lit
jadis, M. Lalande a découvert
une dépression en entonnoir,
terminée verticalement par
des fissures, dont les abords
sont entourés d'un anneau de
sable fluviatile formé d'élé-
ments siliceux : or la Couze
roule tout d'abord sur le g r è s
pendant plusieurs kilomètres.
ABIMES DE LA FAGE. LE CIMETIERE.
Sans doute, lorsque les eaux Photographie Rupin (au magnésium).
sont fortes, lorsque le canal
souterrain est plein, l'eau surabondante s'échappe par cette crevasse, en entraînant
une partie du sable qu'elle roule Et ce même sable, on le retrouve encore à la lèvre
occidentale du Blagour. La galerie souterraine de la Couze a été visitée par MM. Ru-
pin et Lalande le 18 août 1892.
1. C o m m e u n p e t i t geyser, a r e c s o n orifice d e j a i l l i s s e m e n t et s o n b a s s i n de r é c e p t i o n . P h é n o m è n e a n a -
l o g u e au d e r n i e r p u i t s de la C r o u z a t e (v. p . 313.) K n e r a cité d a n s la v a l l é e d e V e l a p e è , en I s t r i e , une v é r i t a b l e
fontaine a r t é s i e n n e , q u e l e s p l u i e s p r o l o n g é e s font j a i l l i r j u s q u ' à 15 m e t . de h a u t e u r , et qui t r a n s f o r m e a l o r s l e s
a l e n t o u r s en lac (Jahrbuch der geol. Reichsansta.lt de V i e n n e , 1853, p . 226).
m
Son entrée (dite perte de la Couze) est large à la base de 5 ,5o, haute de 2 mètres. L'eau
y décrit une boucle p r e s q u e complète (comme le Katavothre de Spilia-Gogou en Pélopo-
nèse,v. p . 368 e t c h a p . XXVIII). Après 4o mètres de p a r c o u r s , on rencontre une flaque d'eau
sous une voûte basse. L'inévitable siphon ne doit pas être loin. M. Lalande, qui est re-
1
tourné plusieurs fois s u r la place, pense que l'exploration serait impossible à poursuivre
2
La h a u t e u r des voûtes, percées de fissures verticales, varie de 1 à 3 m è t r e s .
Le 2 février 1893, M. Lalande a pu constater que les fissures de la dépression
d'Entrecor avaient été si bien élargies par l'orage du 3 i octobre 1892, qu'elles étaient
m
remplacées par un trou de o , 4 o de diamètre et de 1 mètre de profondeur.
La source du. Blagour (qu'il ne faut pas confondre avec le Grand Blagour, v. p . 356)
n'est pas loin du village t r è s pittoresque du Soulier-de-Chasteaux. Ce nom de Blagour
serait formé de deux mots romans si-
LA PERTE DE LA COUZE. gnifiant gouffre bleu. Et en effet, l'eau
sous Nouilles.prèsBrire de ce puits naturel est d'un bleu sombre
Corrêze qui laisse deviner une grande profon-
3
d e u r . On raconte qu'un hardi n a g e u r a
N DRESSÉ PAR M TE. RUPIN
plongé dans cette eau glacée, et qu'au
fond du puits, qui aurait une dizaine de
mètres, il vit l'orifice du canal souter-
rain que parcourt la Couze. Le Blagour
mesure environ 10 mètres de diamètre.
Une autre perte, moins importante,
se voit également non loin du Soulier,
entre ce village et celui de Chauzanel.
Après avoir arrosé des prairies sur le
g r è s du trias, un minuscule ruisseau
disparaît sous le rocher oolithique de
Lesparse, dans une grotte peu profonde
(3o mètres), où il est absorbé (quand il
coule, ce qui ne lui arrive pas toujours)
par un étroit trou vertical (diamètre
m m
o , 12 à o , i5). Cette eau, d'après des
TOUS DROITS RÉSERVÉS
expériences faites au moyen de sub-
stances colorantes, reparaîtrait (à 5oo mètres au sud) à la source de Lajguenaj (l'eau naît)
en amont du Soulier, qui se jette dans le Bancharel, affluent lui-même de la Couze.
On a raconté à M. de Lépinay que, sous le premier empire, un réfractaire, traqué
par les g e n d a r m e s , leur échappa en se jettant dans la grotte de Lesparse ; peu de temps
après, on le vit reparaître par l'orifice d'une autre grotte, dans le flanc nord-est du puy
Gérald. Encore une fable. La perte de Lesparse aboutit à un couloir impénétrable, et
pour la grotte du puy Gérald, MM. Lalande, Rupin et de Lépinay se sont assurés
qu'elle s'enfonce de moins de 20 mètres dans le massif de la colline.
Plan du Crau(Trou)
de GRANDVILLE
dit aussi
GROTTE DE MIREMONT
OU DE ROUFFIGNAC
DORDOCNE
6 COUPES LONGITUDINALES levé les 12 et 13 A o û t , 1 8 9 3
I .Fond de la Galérie des Cristaux par £ . A . MARTEL
avec, le concours"
de M M . E. R U F I N
P H . et A . L A L A N D E
CHAPITRE XX
La g r o t t e de Yliremoiit. — La D o r d o g n e .
S o u r c e s et p e r t e s du d é p a r t e m e n t d e la D o r d o g n e . — L a g r o t t e de M i r e m o n t ; e x a g é r a t i o n de s e s merveilles.
— U n e c a v e r n e de 4 , 9 0 0 m è t r e s s a n s une s e u l e s t a l a c t i t e . — F i s s u r a t i o n de la craie b l a n c h e . — Creuse-
m e n t d'un d e l t a s o u t e r r a i n par l'eau e n g o u f f r é e d a n s un aven. —• A f f a i b l i s s e m e n t et e n f o u i s s e m e n t p r o g r e s -
sifs d e s c o u r a n t s s o u t e r r a i n s . — G r o t t e s de V e y s s o u s , de la B r a u g e et d e la V é z è r e .
1, E t non C r a u , c o m m e j e l'ai m i s s u r m o n p l a n .
24
1 2 3
Dans ses Merveilles de la nature en France , Depping, d'après Delfau et Allou ,
donne i ,635 mètres à la Grande Branche et 4>34o mètres à l'ensemble des* ramifications :
il énonce qu'en général elle n'est pas riche en belles stalactites ; que dans une certaine
partie, les flambeaux ne brûlent qu'avec peine ; qu'en 1 7 6 3 une société de curieux
faillit y p é r i r é g a r é e ; qu'une a u t r e f o i s trois ouvriers ne p u r e n t en sortir et y mou-
rurent, et qu'après avoir été habitée dans les temps anciens elle fut retrouvée, à l'époque
4
moderne (?), par un certain Gontier de M i r e m o n t .
5
Marcel de Serres rappelle qu'on y a trouvé des ossements d'Ursus spelœus, dans un
limon rouge parfois surmonté d'argile.
Mais il ne paraît pas qu'on ait jamais fait une description exacte de cette g r a n d e
caverne, située près de Rouffignac, entre Périgueux et Sarlat.
MM. E. Rupin et Phil. Lalande m'ont aidé à l'étudier et à en lever le plan les 1 2 et
i3 août 1893 (18 heures en deux jours). Avant d'exposer le résultat de nos recherches,
rectifions d'abord et complétons les citations que nous v e n o n s de faire.
Les merveilles qui constellent la voûte ne sont point, comme on serait tenté de le
croire, des concrétions cristallines : il n'y a pas une seule stalactite dans toute la
caverne, et la seule stalagmite, le Cas de la Vieille, non loin de l'entrée, est un insigni-
fiant dépôt de calcite, haut et large d'un mètre environ. Seuls, les r o g n o n s de silex
pyromaque, parfois énormes, distribués en bande dans la craie blanche sénonienne, oû
se trouve creusée la grotte, font presque partout saillie sur les voûtes et les parois; leur
forme bizarre et la couleur b r u n jaune de leur enveloppe oxydée, expliquent fort bien le
nom donné à la galerie et à la chambre des Gâteaux, qui a 20 mètres et non 10 de dia-
mètre (voir la coupe X) ; or, les pâtisseries légères auxquelles ressemblent ces r o g n o n s
de silex en relief, portent en Périgord le nom local de merveilles. On comprend dès
lors la confusion faite par des visiteurs peu observateurs, ou par des publicistes écrivant
d'après renseignements.
Cette absence de concrétions rend la visite du trou de Grandville fort monotone, et on
ne saurait conseiller à aucun touriste d'en effectuer le parcours complet, qui peut bien
6
demander en effet six à sept h e u r e s , malgré l'absence totale de d a n g e r s et de difficultés .
Il suffira d'examiner (en deux à trois heures) la g r a n d e galerie jusqu'au puits et à la galerie
du Ruisseau, ainsi que la chambre des Gâteaux. Le couloir des cristaux de spath
(branche du N.-E.) ne présente que quelques zones de calcite nullement stalactiformes,
intercalées dans la craie blanche. Mais l'allure architecturale des voûtes, la régularité
des avenues, les marques frappantes du travail de l'eau, sont éminemment curieuses, et
donnent à la caverne un cachet d'originalité qui la rend absolument dissemblable de
toute autre grotte. Si les g r a n d e s avenues ont tout à fait la coupe du premier couloir de
Saint-Marcel (v. p. 82), les aspérités de silex et la blancheur des parois de craie les acci-
dentent d'une manière inusitée, qui s u r p r e n d .
Quant aux coquilles fossiles, qu'on rencontre dans toutes les parties de la grotte,
elles se laissent assez facilement extraire de leur gangue de craie t e n d r e . La Tombe et le
1. 9» édit. 1 8 4 5 , t. I, p. 164.
2. A n n u a i r e du d é p a r t e m e n t de la D o r d o g n e , date (?).
3 . N o t i c e s u r cette g r o t t e , Annales des Mines, t. V I I , 1822.
4. L a d e s c r i p t i o n de D e p p i n g e s t r e p r o d u i t e dans le D i c t i o n n a i r e de L a r o u s s e , t. X I (Miremont).
e
5. JEssai sur les cavernes à ossements, P a r i s , 3 édit. 1838, p. 147.
6. N u l l e part, si ce n'est dans l e s fissures t e r m i n a l e s , la v o û t e n'a m o i n s d'un m è t r e d'élévation et p r e s q u e
partout on peut marcher debout.
Trône de Gargantua ne sont pas des stalagmites, mais de simples blocs de roche déta-
chés des voûtes ; il en est de même de tous les accidents que les guides ou les visiteurs
ont affublés de noms bizarres, que nous n'avons pas cru devoir relever. Ces noms, en
effet, ne présentent d'intérêt que pour les concrétions envers lesquelles ils servent,
bien appropriés et limités en nombre, de véritables signes conventionnels (V. p. 82).
M. Lapradelie, propriétaire du terroir, que nous ne saurions trop remercier de la
bonne grâce avec laquelle il nous a permis la plus libre circulation sous ses domaines,
m'a montré un plan cadastral de la localité, en marge duquel se trouve un levé de la
grotte avec la mention suivante : « Le plan est pris sur celui qui fut levé et dressé par
M. Brémontier, inspecteur général des mines, de concert avec M. Lapierre, avant 1822. »
Brémontier, on le sait, est cet habile ingénieur (1738-1809) auquel on doit la fixation
des dunes de Gascogne par des plantations de pins. La date de 1 7 6 5 , citée par MM. Port
et Depping, peut se rapporter à ce travail.
Une fois notre levé t e r m i n é , nous avons eu la satisfaction de le trouver pareil (aux
détails près) à celui de Brémontier, qui paraît n'avoir jamais été publié, pas plus d'ailleurs
m e
que le second plan dressé, selon les souvenirs de M Lapradelie m è r e , par un officier
d'état-major, M. de Gouasnard, et par M. Lapradelie p è r e , vers i 8 4 o - i 8 4 5 .
Quoi qu'il en soit, le nôtre indique une distance de 1,060 mètres, depuis l'entrée
jusqu'à l'extrémité la plus éloignée (branche du n o r d ; analogue aux 1,067 mètres, chiffre
2 2
de M. Port), et une ramification totale de 4 : 9 ° ° mètres au lieu de 4 , 9 ou 4,34o. Cet
accroissement tient à ce que n o u s avons, à l'extrémité de chaque galerie, rampé à plat
ventre jusqu'aux fissures les plus impénétrables, en des boyaux où l'on ne s'était pas
encore introduit. Ces mesures prouvent qu'ici, une fois par hasard, les r e n s e i g n e m e n t s
n'étaient pas exagérés ; et les inscriptions, qui salissent la grotte jusqu'au bout de
toutes les galeries, établissent que, depuis longtemps, elle était bien connue '. Il n'en
pouvait être autrement, vu l'extrême facilité de son parcours.
On nous y avait annoncé l'eau courante et l'acide carbonique ; nous n'avons trouvé
ni l'une ni l'autre. Toutefois, dans la branche du nord-ouest, aux abords du puits du
Ruisseau, il est certain que les bougies brûlent mal ; d'autre part, le métayer de la ferme
de Grandville nous a affirmé qu'après les pluies, l'eau coulait dans la galerie du Ruis-
seau ; cela est fort possible : notre visite eut lieu après une longue sécheresse. Cet
homme (guide habituel dans la caverne) ajoutait que, depuis quelques années, cet
écoulement périodique semblait diminuer d'importance. Cette remarque est à rapprocher
du dessèchement du Caulon (p. 68) et de la source de Montfaucon (p. 346) : la t e r r e
s'assèche par l'agrandissement, en profondeur, des cassures où circulent les eaux
souterraines.
Quatre m u r s en pierre, bien construits, deux près de l'entrée, deux à la galerie des
Gâteaux et à sa voisine (celle-ci pourvue également d'une sorte d'escalier), pourraient
fort bien dater de la g u e r r e de Cent ans. Marcel de Serres dit que M. de Lanoue aurait
découvert des poteries dans l'argile ; nous en avons rencontré plusieurs fragments, assi-
milables à celles dites des dolmens, dans le petit embranchement nord de la galerie du
nord-ouest, aux abords du trou débouché par Armand (voy. le plan); en arrière de ce trou
encombré de terre sèche, nous recueillîmes même, à peine enfouis, les restes d'un
U j ' s u s spelœus, tellement friables qu'ils tombèrent en poussière, sauf les dents, au p r e -
I II 111 IV V VI VII
vni îx x xi j n ^ m
I D mètres), une chambre semblable est plus g r a n d e , et les petites fentes d'écoulement
de l'eau se voient dans les parois, au niveau du sol argileux, comme à Figue de Biau.
Presque en face de la galerie, s'ouvre, de même en contre-bas, la galerie du sud, longue
de 235 mètres (260 avec un petit embranchement). Elle se dirige vers l'entrée actuelle,
est fort large (8-12 mètres), bouchée par de la terre glaise, et creusée à la voûte de petits
dômes d'érosion (V. coupes VII et VIII).
Un peu plus loin à gauche, la branche du nord-est (qui possède les chambres des
Cristaux et des Fossiles) se ramifie en éventail, en branches de corail, et ses e m b r a n c h e -
ments (de plus en plus rétrécis, v. coupes III, IV) finissent tous par des fissures do
quelques centimètres de diamètre, pénétrables à l'eau, non à l'homme, et plus ou moins
e n c o m b r é e s de t e r r e glaise.
Enfin, c'est un vrai delta qui termine cette partie de la grotte : deux bras courts, dont
l'un possède le Cas de la Vieille, aboutissent à des éboulis, effondrements de la voûte,
comme il y en a dans beaucoup de points de la caverne : mais ici ils ont fermé la ga-
1
lerie, et il faudrait déblayer pour aller plus l o i n . Le troisième bras de ce delta est
parvenu j u s q u ' a u d e h o r s : c'est l'entrée actuelle.
On remarquera que, sur la g r a n d e galerie, tous ces e m b r a n c h e m e n t s sont greffés
obliquement, dans le sens d'un courant descendant de l'aven. Il n'y a rien de plus
naturel : le t o r r e n t souterrain a attaqué la craie, d'arrière en avant, dans la direction
même de sa marche, et suivi de préférence les cassures qui présentaient cette obliquité.
Revenons à la bifurcation de l'aven, et recherchons si nous trouvons la même dispo-
sition dans le surplus de la grotte. Exactement : obliquité et infériorité des galeries la-
térales, obstruction des impasses par de l'argile, terminaison des galeries externes en
tuyaux de quelques centimètres de diamètre s'y présentent absolument pareilles (V. le
plan et les coupes longitudinales I, III, IV et V).
Mais une autre particularité s'y remarque en différentes places : c'est la présence de
fissures verticales étroites, ouvertes souvent en forme de puits, vraies diaclases, p e r p e n -
diculaires à la stratification, et dont les coupes (XV, XVI, XVIII) rappellent à s'y
m é p r e n d r e certaines galeries de Bramabiau. D'aucune de ces fissures nous n'avons pu
atteindre le fond, le bras seul étant capable d'y passer et d'y jeter des pierres qui d e s -
2
cendaient plus bas . Comme toutes les fentes se trouvent dans les parties les plus
basses de la caverne (225 mètres et au-dessous), il est de toute évidence qu'elles ont
concouru à son dessèchement : élargies sous le poids et par la corrosion de l'eau, elles
ont drainé toute cette canalisation si bizarre, aujourd'hui tarie.
Le plus important de ces dégorgeoirs est, dans la branche du nord-ouest, celui dit
galerie du Piuisseau, longue diaclase que l'on peut suivre pendant 1 0 0 mètres, large de
m
o ,3o à 4 mètres, tourmentée comme les plus accidentées de Bramabiau (V. coupes XXVII
à X X I X et coupe longitudinale VI). C'est là que l'on voit encore, dit-on, un courant
après les pluies. Un puits de 8 mètres permet d'y d e s c e n d r e assez aisément, et, sans être
précisément commode, le parcours de ce couloir n'a rien de d a n g e r e u x ; il suffit d'être
mince, de ramper par places sous les blocs, et de se défier des crevasses du sol, qui
font mettre le doigt sur le mode d'absorption de l'eau.
A l'extrémité de la branche du nord-ouest, il y a plusieurs petits puits, t e r m i n é s par
des fissures semblables, mais de dimensions réduites.
Ainsi, le Cro de Grandville est la conséquence de l'absorption prolongée d'une puis-
sante masse d'eau, par un trou du sol maintenant fermé.
La coupe longitudinale générale résume suffisamment ce mode d'absorption, qui
s'est effectué, tant par les boyaux capillaires terminant chaque branche, que par les
basses diaclases latérales. Il est probable que la grotte se fût plus étendue encore sous
3
la t e r r e , si ces dernières n'avaient pas activé le soutirage de l'eau. L'usure chimique et
mécanique de leurs parois rend incontestable leur rôle de tuyaux de décharge. Il est
naturel que les galeries soient d'autant plus étroites qu'elles sont plus éloignées du
point de départ : l'infinie subdivision de l'eau affaiblissait de plus en plus son action.
Actuellement, la grotte ne subit plus de modification, du moins dans ses parties
accessibles: il n'y a de suintement qu'à l'aven, et u n peu vers l ' e n t r é e ; la stalagmiti-
sation fait défaut ; la craie blanche était assez tendre et délayable, pour ne pas opposer
1. S a u f p e u t - ê t r e aux d e u x é b o u l i s v o i s i n s de l'entrée.
2. L ' a s p e c t d e s m u r s de la c a v e r n e , a v e c l e u r s lits d e s i l e x p y r o m a q u e s , r a p p e l l e tout fait celui des
f a l a i s e s du p a y s de C a u x , d u H a v r e à D i e p p e .
teau, entre deux vallons fort rapprochés et plus bas qu'elle ; il est possible que cette proxi-
mité de deux thalwegs ait favorisé le drainage, que la grotte ait achevé de s'y écouler par
des fontaines, et que ces fontaines aient disparu après l'avoir complètement vidée.
Plus embarrassante encore est la question de savoir d'où est venue cette eau.
Là, comme pour la plupart des avens des Causses, de l'Ardèche, de Vaucluse,
l'ouverture d'absorption était dans une dépression d'un plateau. Faut-il en conclure que
ces bouches de puits naturels ont pu concourir à la vidange, non pas de simples
courants diluviens, mais de véritables mers, de l'époque tertiaire par exemple ?
Certes l'hypothèse serait hardie : mais ne connaissons-nous pas actuellement des
lacs de terrains calcaires sans écoulement apparent (Alios, Brenet, Dauben, etc.)? Quand
ils seront vides ces lacs, ne trouvera-t-on pas dans leur fond des cheminées érodées
comme nos avens? Les katavothres du Péloponèse (v. chap. XXVIII), où s'épuisent
des lacs intermittents, nous répondront formellement oui. Pourquoi donc les avens, au
sommet des plateaux calcaires, n'auraient-ils pas servi ainsi d'échappement de fond à d'im-
menses étendues d'eau ? Ainsi s'expliqueraient à la fois, et les colossales m a r q u e s d'éro-
sion, qui nous stupéfient dans beaucoup d'entre eux, et l'anomalie de leur situation, si
souvent très élevée et sans relation avec aucun thalweg important. — L'objection prin
cipale sera tirée de l'ancienneté grande qu'il faudrait attribuer aux avens, devenus ainsi,
bien probablement, antérieurs au creusement des vallées. — Prévaudrait-elle cette
objection, s'il venait à être reconnu, d'après ce que nous avons dit (p. 237) à propos de
Guillaumet, que les avens étaient ouverts au commencement de l'époque tertiaire et que
certains ont recueilli de haut en bas les phosphorites éocènes ou miocènes ? — Graves
questions, on le voit, qui élèvent la spélaeologie au niveau des plus g r a n d s problèmes de
la géologie, et que le travail humain peut r é s o u d r e , à force d'argent et de t e m p s , par la
désobstruction des avens.
A peu de distance à l'ouest du trou de Grandville, la grotte de Vejssous et celle
de la Brauge doivent être d'anciens lits de sources t a r i e s ; le suintement y est beau-
coup plus fort qu'à Miremont, et des stalactites s'y rencontrent, surtout au fond de la
seconde. La Brauge est un couloir sinueux long de 210 m è t r e s , dirigé vers le N.-O.,
large et haut de 2' à 8 mètres ; il se termine par un colossal éboulis chaotique dans une
diaclase ; le sol en est défoncé en entonnoir, que t e r m i n e n t d'impénétrables fissures ; il
semble que l'éboulis ait crevé le sol imperméable, et que par là se soient vidées et l'an-
cienne source, et les infiltrations actuelles ; un fermier voisin qui nous a prêté une échelle
pour atteindre l'extrémité (T. i4°,5), nous a affirmé qu'il y a 20 ans, toutes ces choses
n'existaient pas, et que la caverne possédait un vrai ruisseau.
A Veyssous, le couloir, également dirigé vers le N.-O., est p r e s q u e rectiligne et se
termine, à 3io mètres de l'entrée, par un éboulis moins complexe que celui de la B r a u g e ,
mais impénétrable : largeur 2 à 12 mètres, hauteur 2 à 4 mètres. Même terrain et même
allure qu'à Miremont, mais le d e r n i e r tiers de la galerie est rempli d'eau et de boue, où
l'on enfonce jusqu'aux genoux. Nous n'en avons pas trouvé l'écoulement.
Parmi les autres grottes qu'on nous a citées aux environs, signalons (nous ne l'a-
vons pas visitée) celle de la Mussandie découverte vers 1887 : elle posséderait de belles
stalactites; le propriétaire l'a fait boucher pour éviter leur d e s t r u c t i o n ; il l'ouvrira à
l'explorateur respectueux, qui voudra l'étudier sans dommage.
Notons pour mémoire que la croyance populaire locale attribue la formation de toutes
les grottes à des p h é n o m è n e s volcaniques. Et quand nous avons voulu p e r s u a d e r à un
j e u n e homme de Rouffignac, instruit et intelligent, que l'eau y avait eu plus de part que
le feu : « Non non, répétait-il sans c e s s e ; ce sont d'anciens volcans : je l'ai lu dans des
livres ! Et tout le monde ici vous le dira. »
Une importante conclusion générale se dégage de cette étude de la grotte de Mire-
mont : c'est que la craie blanche n'est pas perméable par imbibition, et que les eaux souter-
raines y circulent, comme dans les calcaires, entre les lithoclases plus ou moins élargies.
Les falaises Cauchoises et les carrières de Caumont (v. ch. XXIV) nous avaient déjà
depuis longtemps portés à le croire ainsi, mais l'inspection raisonnée du trou de Grand-
ville était nécessaire pour le confirmer.
A quelques kilomètres au sud, se trouve la série des célèbres et riches stations et
abris préhistoriques de la Vézère : le Moustier, la Madelaine, Laugerie Haute et Basse,
les Eyzies, Cro-Magnon, g o r g e d'Enfer, si fructueusement fouillés par Lartet, Christy,
de Vibraye, Massénat, Rivière, Girod. On sait que le Moustier et la Madelaine ont donné
leurs noms à deux des quatre époques (chelléen, moustérien, solutréen, magdalénien)
1
établies par de Mortillet pour sa chronologie des t e m p s paléolithiques .
L'époque magdalénienne est remarquable pour le développement du sens artistique,
car on savait alors exécuter, sur pierre et sur os, des dessins véritables, qui font l'éton-
nement des anthropologistes.
1 . V. EDOUARD DUPONT, Sur les concordances chronologiques entre les faunes quaternaires..., en Périgord et
i n
à Namur, etc. B Soc. belge de géol., 1 8 9 2 , t. VI, 2 8 juin. — D E MORTILLET, Le Préhistorique, in-12, Paris,
E
Reinwald, 2 édit. 1 8 8 5 . — GIROD et MASSÉNAT, Les stations de l'âge du Renne dans la Vézère, in-4°, Paris,
B a i l l i è r e , 1 8 8 9 et s u i v . , s u p e r b e p u b l i c a t i o n avec p l a n c h e s en c o u l e u r s . — LARTET et CHRISTY, Reliquise aqui-
tanicse, Paris, Baillière, i n - 4 ° et a t l a s , 1865-1875. — E n 1 8 7 2 , M. Massénat a recueilli à Laugerie-Basse le
squelette d'un h o m m e p r é h i s t o r i q u e é c r a s é p a r un é b o u l i s de r o c h e s . — Cet a c c i d e n t p e u t être rapproché de
c e l u i d e s noyés du B o u n d o u l a o u (v. p . 1 7 8 ) . V . l e s o u v r a g e s s p é c i a u x de p r é h i s t o i r e . — PERRIER DU CARNE, La
grotte de Teyjat (Dordogne), P a r i s , R e i n w a l d , 1 8 8 9 . — ( C . R. A s s . franc, avanc*. d e s s c . , 1 8 9 3 , t. I, p . 2 7 5 ,
f o u i l l e s de 1 8 9 2 et 1 8 9 3 . ) — V . A b b é AUDIERSE, Indication générale des grottes du département de la Dordogne,
P é r i g u e u x , 1 8 6 4 . — M. R u p i n (qui a b i e n v o u l u , c o m m e M. L a l a n d e , r e l i r e avec s o i n l e s é p r e u v e s d e s c h a p . X V
à XXI) m e s i g n a l e , p o u r m é m o i r e , « l e s n o m b r e u s e s g r o t t e s à ramifications multiples et à b e l l e s stalactites qui
s i l l o n n e n t t o u t le p l a t e a u s u r l e q u e l s ' é l è v e la p e t i t e v i l l e de Domine ( p r è s S a r l a t ) . C'est p a r une de c e s grottes
q u e l e s A n g l a i s p é n é t r è r e n t de nuit, p o u r s ' e m p a r e r d e cette b a s t i d e , é l e v é e p a r P h i l i p p e le H a r d i en 1 2 8 0 . »
CHAPITRE XXI
La Charente.
P e r t e s de la T a r d o i r e et du B a n d i a t . — P r o b l è m e de la T o u v r e . — O b s t r u c t i o n d e s fosses de la B r a c o n n e . —
R a r e t é d e s e f f o n d r e m e n t s . — L a l é g e n d e de la F o s s e M o b i l e . — Y a-t-il d e s c a v e r n e s o u de s i m p l e s fissures ?
— L e s g r o t t e s de R a n c o g n e , e n c o m b r é e s p a r l ' a r g i l e .
1. L a C h a r e n t e e s t r i c h e en d é p ô t s p r é h i s t o r i q u e s ; la g r o t t e de M o n t g a u d i e r a été r é c e m m e n t f o u i l l é e avec
le p l u s g r a n d s u c c è s . — M. G. C h a u v e t a p u b l i é s u r l e p r é h i s t o r i q u e en C h a r e n t e d ' i m p o r t a n t s mémoires
(Assoc. franc, avanc. d e s s e . et S o c . a r c h é o l o g . et h i s t o r . de la C h a r e n t e ) . — V . a u s s i A . de Rochebrune,
Mémoire sur les restes des temps primordiaux, e t c . , P a r i s , S a v y , 1866, in-8°.
de gouffre, un c o r r i d o r , une fissure, une avenue dans la roche, pour conduire à ces
noires merveilles ; la Fosse Mobile, qui s'ouvre par un portail dans le roc, descend
presque à pic dans des obscurités inconnues ; la pierre qu'on y lance y réveille
des échos étouffés, puis il semble qu'elle plonge dans un puits d'eau »
Puisse cette prophétie d'O. Reclus être moins mal réalisée par d'autres explorateurs
que par moi-même; car j e n'ai point réussi à trouver d'Adelsberg sous les six Josses de la
Braconne. L'hypothèse est basée sur l'exemple fourni par la grotte de Rancogne, — s u r
les pertes impénétrables d e s deux rivières, — s u r les fosses mystérieuses dont l'orifice
seul avait été vu, — et sur l'éruption à la fois placide et monstrueuse de la Touvre.
Voilà ce qui était connu. — Voici maintenant ce qui ne l'était pas :
i° La première fosse, en allant du nord au sud, est, à 2 kilomètres ouest du pont
d'Agris, un boyau insignifiant à peu près horizontal, d'une trentaine de mètres de lon-
g u e u r ; elle a l'air d'une an-
cienne goule peut-être ina-
LA FOSSE MOBILE chevée, en tous cas obstruée
m e t
Profondeur kZ .
par l'argile et des pierres.
A déboucher. On la nomme,
je crois, Fosse Dufaix.
0
2 La Fosse Mobile, toute
voisine, à 2 kilomètres ouest
d'Agris, est « cet affaissement
de plus de cent mètres » qui
aurait dû alors atteindre le ni-
veau de l'océan Atlantique,
puisque son altitude est de
112 m è t r e s ; — les artilleurs
d'Angoulême y auraient jeté
des brassées de cordes sans
trouver le fond, etc., etc. —
La profondeur totale est de
TOUS DROITS RlS£RytS 42 mètres, et le plus grand à-
pic de 18 !
La Fosse Mobile a deux ouvertures, qui se rejoignent à' 10 mètres sous terre et
lui donnent l'allure à la fois d'une goule et d'un aven (v. la coupe). L'entrée, entourée
d'arbres, est un entonnoir où l'on peut descendre, avec quelque précaution, jusqu'à l'ori-
m
fice (C, i ,5o de diamètre) du puits p r o p r e m e n t dit, qui bâille j u s t e sous la seconde
ouverture : 18 mètres d'échelles de cordes font atterrir au sommet d'un cône de
p i e r r e s ; à l'ouest-sud-ouest (direction de la Touvre), ce talus descend d'une dizaine
de mètres en pente d'éboulis (3o à 35°), vers deux fissures impénétrables ; en jetant des
pierres dans celle du sud-ouest, elles tombent clans l'eau à quelques mètres plus bas.
0
— La température est basse, 7 G., bien inférieure à la moyenne du l i e u : cela ne
peut plus nous étonner, quand nous voyons que la disposition est semblable à celle
de Figue de Biau, double orifice et deux entonnoirs superposés. Le fond du puits, à
peu près rond (20 mètres de diamètre environ) est fermé au nord par les cailloux,
LA F O S S E RODE
ci n'est qu'un tributaire (drainant les pluies d'orages) du grand collecteur, qui va à la
Touvre. Et même, la communication avec la Fosse Limousine est admissible (quoique obli-
térée), puisque le fond de celle-ci n'est qu'à 90 mètres d'altitude, soit 10 mètres
plus haut.
La Fosse Rode montre un fond d'aven obstrué par des cadavres de cerfs.
Elle reproduit aussi la convergence des cassures verticales, vers les galeries ho-
rizontales, et le système des affluents souterrains. Enfin et surtout elle trahit, croyons-
n o u s , le secret mécanisme de Vaucluse. N'y voyons-nous pas, en effet, qu'une cassure
oblique (la descente A B C D) y vient recouper le cours de l'aqueduc? Supposons qu'en
D cet aqueduc bute contre des formations imperméables, ne laissant pas filtrer l'eau ;
— supposons que l'aven (G) soit le point de convergence d'un certain n o m b r e de
puits supérieurs (comme aux Baumes-Chaudes, Tabourel, la Crousate, etc.), plus haut
placés dans la montagne que l'orifice A, et remplis d'eau; qu'arrivera-t-il? C'est que
l'eau remontera simplement jusqu'à cet orifice, confor-
mément au principe des vases communicants, — qu'un
siphon s'amorcera en D, E, F, — et qu'une source se
mettra à fonctionner. Il y a bien des chances pour que
le type de crevasses réalisé à la Fosse Rode soit fréquent,
et que les tuyaux émissaires de Vaucluse, de l'Ouysse,
de Saint-Georges, de la Touvre, etc., n'aient pas une
forme différente.
6° Le trou de Champniers, près de la route d'Angou-
lême, à 4 kilomètres sud de la Fosse Limousine « est
un boyau très étroit, dont la bouche n'a g u è r e que
I
2 mètres carrés, qui descend on ne sait encore à quelle
profondeur dans les entrailles ébréchées du calcaire. Il
y a lieu de croire qu'il p l o n g e , ainsi q u e les autres y
ce
fosses, sur le lac ou les lacs souterrains dont la Tardoire >
et le Bandiat sont les affluents et la Touvre le magni- ZD
O
fique déversoir » (Diet. J o a n n e , Champniers). E n réa-
lité, à 25 mètres de profondeur, le Trou de Champniers,
étroit tire-bouchon fort désagréable, se termine par une
<
éponge de pierre corrodée (V. p. 2 1 3 ) dont les vides
ne laissent même pas passer un caillou (12 avril 1893). w
La coupe ci-contre résume ce que l'on sait maintenant
des trois fosses souterraines de la Braconne ; arrêtant i—i
l'homme à 2 5 , 3 5 et 40 mètres au-dessus du niveau d'émer- o
gence de la Touvre, elles n'ont conduit ni aux grottes,
I
ni « au Léman noir, ni au lac inconnu qui sert de r é g u -
lateur à l'heureuse Charente » (Diet. Joanne, Charente).
La conclusion est celle de la désobstruction ; je ne
veux pas nier l'existence des grottes qu'on pourra r e n - w
contrer en déblayant (d'autant plus aisément que le
^-
plateau calcaire est peu é p a i s ; elles seront en tous cas
moins vastes qu'on ne l'espérait, et probablement W
remplies d'eau p r e s q u e jusqu'aux voûtes); mais je ne
puis admettre de lac unique, incompatible avec la nature Ou
fissurée du calcaire, qui offre à l'eau de si faciles et O
nombreux échappements.
Comme les avens des Causses, les fosses de la Bra-
conne et leurs modestes souterrains m o n t r e n t que
l'alimentation des sources du calcaire s'opère par suin-
tement et circulation à travers les fissures du terrain,
qui, de proche en proche, finissent par conduire les eaux,
soit à de g r a n d s couloirs collecteurs, soit à des failles
formant points d'émergence. Des cassures obliques font
remonter à la Touvre (45 m.), les eaux i n t e r n e s de la
Braconne, descendues en dessous de son niveau, j u s q u ' à quelque couche imperméable
(argile ou marne), et perdues de 9.5 à 35 mètres plus haut que la source, dans les gouffres
du Bandiat et de la Tardoire (70 à 80 mètres).
Ceux-ci sont tous impénétrables. Le plus curieux est celui de Chez-Roby, profond
entonnoir creusé dans la t e r r e ; des mottes de gazon, des arbres et des pierres ont glissé
dans le trou, l'eau tournoie autour et s'enfuit dans un tuyau qu'elle occupe tout entier.
A quelques mètres de distance et un peu au-dessus, une bouche de goule latérale
est évidemment l'ancienne perte, aujourd'hui abandonnée, et bouchée par la t e r r e . C'est
là qu'en désobstruant on aurait le plus de chance de r e n c o n t r e r une grotte comme celle
de Rancogne (car la disposition est à peu près semblable), et de retrouver sous la t e r r e
la portion p e r d u e du ruisseau (comme au lac de Zirknitz, v. ch. XXVII.)
En aval, tous les autres gouffres « sont des affaissements d'un sol caillouteux ou des
cribles de roches où les eaux entraînent des h e r b e s , des rameaux, des débris de
pierres ». (O. Reclus.) Ils ressemblent aux pertes de l'Hôpital et d'Ocabo-Riou à I s s e n -
dolus (p. 294), aux Saugl'ocher (suçoirs) du Karst, et quand ils ne fonctionnent pas, la
vase, les feuilles et les cailloux dissimulent leurs crevasses. J'en ai compté huit, de
Chez-Roby (pont du chemin de fer) à A g r i s , savoir : cinq en amont de Puy-Vidal,
un (multiple) au pont de la Bécasse, un (multiple) à la Caillère et un aux Yieilles-V aur es.
Le 12 avril 1892, à la suite d'une pluie, en passant au pont de la Bécasse, j ' a i vu le
Bandiat arriver d'amont, atteindre le pont, s'épuiser successivement dans les quatre ou
cinq groupes de fentes vaseuses qui constituent la perte, et tâcher vainement de
continuer sa route. Le spectacle est assez curieux.
Mêmes p h é n o m è n e s au long de la Tardoire, toujours sur la rive g a u c h e ; à Rancogne
il y a plusieurs p e r t e s ; l'une, la plus élevée, jolie porte de caverne, ne fonctionne que
lors des crues exceptionnelles. C'est l'entrée des caves ou grottes de Rancogne. Grâce
à l'aimable hospitalité de leur propriétaire, M. de Barbarin, j ' a i pu à loisir examiner ce
dédale, aussi bien en hauteur qu'en largeur, de ruelles, de couloirs, de g r a n d e s salles,
d'étages superposés, que l'eau a patiemment agrandis aux dépens des cassures du sol,
alors qu'elle cherchait sa ténébreuse route vers la T o u v r e ; elle a fini par la pratiquer,
car dans la grotte on retrouve l'eau p e r d u e de la T a r d o i r e ; elle s'engage dans un dernier
couloir, dont on prétendait ne pas connaître la fin : il n'a g u è r e plus de 40 mètres de lon-
g u e u r ; une coulée d'argile, apportée par l'eau, ou résultat de la décomposition du cal-
caire, s'y est allongée comme l'épée dans un fourreau; l'espace libre qu'elle laisse entre
elle, le ruisseau et la roche, se rétrécit de plus en plus, et, q u a n d la voûte s'abaisse,
en même temps que l'intervalle se réduit à 10 centimètres, il faut laisser le courant seul
connaître ce qui se trouve au delà. Je conseillerais à M. de Barbarin de déblayer ce
fond ; il n'y a peut-être qu'un rétrécissement suivi d'autres grottes curieuses. La grotte
de Rancogne peut avoir i,5oo à 2,000 mètres de développement total. De curieuses sta-
lactites, et des voûtes hautes parfois de 20 mètres, en font certainement la plus belle ca-
verne de la Charente. Le plan n'en est pas fait. Il oiîrirait assurément une disposition
remarquable par l'extrême rapprochement des galeries, parallèles entre elles. Après les
grandes pluies, et quand la Tardoire e s t g r o s s e , le niveau de l'eau s'élève très haut dans
la grotte, qui passe pour avoir été découverte en 1784 par le père Chabenat, carme
1
déchaussé; il y aurait vu deux ruisseaux (Description publiée à Limoges, 1785).
Exemple des contournements et redressements de couches qui peuvent faire remonter les courants souterrains,
d'après M. Daubrée (communiqué par le Club alpin, Annuaire 1882).
CHAPITRE XXII
Le Creux-de-Souci (Puy-de-Dôme).
DESCENTE DU CREUX-DE-SOUCI.
les visiteurs et sans doute les pluies, neiges et gelées ont fait rouler sur cette grille des
roches énormes en telle quantité, qu'elle était effondrée sous leur poids, et que l'équi-
libre du magma de pierres et de barres de fer paraissait fort instable.
Divers paysans autrefois avaient été, à l'aide de cordes, descendus au fond du Creux-
de-Souci. Ils disaient avoir vu une immense voûte, où pendaient de n o m b r e u s e s stalac-
tites, se perdant au loin, et au-dessous de laquelle s'étendait un lac ou un ruisseau.
Au moment de la pose de la grille, plusieurs habitants de Besse (entre autres M. Ber-
thoule père) essayèrent de renouveler cette tentative: aucun ne put arriver jusqu'à l'eau,
à cause du manque d'air respirable, et tous rapportèrent l'impression d'une caverne
immense et d'un ruisseau coulant vers le nord-est.
Sur ces données, et sur la légende du chien, s'établit l'hypothèse de l'existence d'un
courant souterrain allant, par-dessous la cheire et le Puy-de-Montchal, aux sources
du lac Pavin. Ou encore on supposait qu'il y avait au contraire, par là, communication
du Pavin avec le lac de la Montcineyre ( i , 174 mètres).
Depuis, M. Yimont (Annuaire du Club alpin, 1874) attribua aux sources la hauteur de
28 mètres seulement au-dessus du lac, et au Creux-de-Souci la profondeur de 44 mètres,
reproduite par Elisée Reclus (la France, p. 431 ) et le Guide Joanne (Auvergne, édit.
1892), et portée même à 5o mètres par M. Amédée Berthoule (les Lacs d'Auvergne, 1890,
p. 27 ; Rozet avait dit 25 m.).
Les 18 et 19 juin ' 8 9 2 , nous avons, Gaupillat, Armand et moi, avec MM. Delebecque,
ingénieur des ponts et chaussées à Thonon, Etienne Ritter, de Genève, et Nougin père
(de Besse), tenté une fois de plus l'exploration du Creux-de-Souci.
La grille de i860 dut être déblayée et précipitée dans le gouffre à coups de levier.
Quatre séries d'observations ont donné pour l'altitude du rebord supérieur du Creux
7 5 à 80 mètres au-dessus du lac Pavin ( 1 , 1 9 7 mètres), soit environ 1,270 m è t r e s ; cela
o o e
concorde parfaitement avec les minutes au 4 ° o de l'état-major (feuille de Brioude5
nord-ouest), où le gouffre se place entre les courbes de niveau de 1,270 et 1,280 mètres.
Ce rebord supérieur est celui d'un entonnoir cratériforme de 25 mètres à peu près
m
de diamètre et de n , 5 o de profondeur, dans le fond duquel s'ouvre la bouche de
l'abîme p r o p r e m e n t dit, qui mesurait exactement 21™,5o de profondeur depuis cette
bouche jusqu'à l'eau ; de plus, la sonde accusait 3 mètres d'eau ce jour-là. L'expédition
eût été bien simple, sans une entrave que nous avons déjà rencontrée trois fois.
Successivement, et chacun à diverses reprises, nous descendîmes tous à l'échelle de
cordes dans l'intérieur, sans pouvoir approcher à plus de 4 mètres de la surface de l'eau,
où notre bateau, préalablement descendu, put seul parvenir : suffocation pénible et p r o -
gressive, céphalalgie, étourdissements, extinction des allumettes et des bougies, attes-
taient la présence d'une forte proportion d'acide carbonique, rendant l'air du fond
irrespirable sur une épaisseur de 4 à 5 mètres.
Considérablement déçu par cet obstacle, je m'épuisai en vains efforts pour g a g n e r au
moins un mètre ou deux; j ' a i fait là une bien pénible expérience sur les effets de
l'impalpable p o i s o n ; une fois d e h o r s , il fallut des soins spéciaux pour me remettre.
Nous pensâmes alors que peut-être la chute des rochers, que nous avions précipités,
avait dérangé l'équilibre de la couche de gaz délétère ; et que, une fois cet équilibre
retrouvé, et un j o u r où la pression atmosphérique serait moins basse que le 19 j u i n
1892, il serait possible de descendre plus près de l'eau *. Quoi qu'il en soit, nous
réussîmes, assis sur l'échelle de cordes à 17™,5o sous l'orifice, à faire les constatations
suivantes.
L'intérieur du Creux-de-Souci nous parut former une vaste caverne circulaire,
d'environ 5o mètres de diamètre, dont le centre est occupé par un lac rond de 25 à
3o mètres de l a r g e u r ; aucune galerie ne se montrait au pourtour de la caverne, que nous
considérâmes comme très probablement fermée, à moins que, contre toute vraisem-
blance, quelque étroite fissure ne fût dissimulée par les éboulis de roches basaltiques,
qui couvrent toutes les rives du lac. — Ni ruisseau, ni courant, ni stalactites. — Toute la
g r o t t e est pratiquée dans le basalte, par l'explosion, pensions-nous, de quelque bulle
de gaz volcanique qui se sera fait j o u r j u s q u ' a u dehors. Le Creux-de-Souci est le siège
Air de la caverne
caverne Profondeur Hauteur
Hauteur
en
en -j-
-j- degrés centigrades.
degrés centigrades. sous l'orifice.
sous l'orifice. au-dessus du
au-dessus du lac.
lac
11 ddeeggrréé.. 20
20 mm èè tt rr ee ss .. m
ll ,,5500
m
2°,25
2°,25 14
14 —
—
m
77 ,, 55 00
m
20,25
2o,25 9 —
—
mm
1122 ,,5500
20,25
2»,25 6 —
mm
1155 ,,5500
20,25 4 —
— mm
1177 ,,5500
6 ddeeggrrééss.. m
2"",50
2 ,50 19 m è t r e s .
19
Air extérieur, io°,5. Sources du lac Pavin, 3°,4 (le 16 juillet 183r, Lecoq avait trouvé
pour ces sources -f- 5° C).
Une autre petite source isolée, sortant de la t e r r e végétale, à la base est du P u y - d e -
Montchal par 1,260 mètres d'altitude, entre le Creux-de-Souci et le lac Estivadoux
(1,244 mètres), a donné 6°, 5. La moyenne température annuelle de Besse (i,o3o mètres)
est de 5° à 6° C. ; celle du sommet du Puy-de-Dôme (1,467 mètres), + 3°,53 C. (commu-
niqué par M. Plumandon).
Le Creux-de-Souci est donc une grotte à température anormale, exceptionnellement
basse, qui peut s'expliquer ainsi : pendant plusieurs mois de l'année, la neige couvre
les hauteurs de la cheire environnantes ; quand elle disparaît au p r i n t e m p s , son eau de
fonte arrive par suintement dans le Creux-de-Souci, bien p r è s de la t e m p é r a t u r e de o";
ainsi se refroidit l'air de la caverne, qui, plus dense que l'air chaud extérieur, s'accu-
mule au fond et ne peut se renouveler par en haut. C'était u n e raison de plus pour
croire que la coupole interne était close de toutes parts, et que son lac était bien stagnant.
Nous n'y avons remarqué aucun courant d'air.
De plus, l'absence de ruisseau dans le Creux-de-Souci nous paraît d é m o n t r e r suffi-
1 . O u d u P o i s o n ( C u e v o - U p a s ) , o u c h a m p d u M e u r t r e (Padjagalan). Il paraît q u e l e s é m a n a t i o n s y v a r i e n t
d'intensité ( V . R e c l u s , X I V , p . 3 3 1 ; e t M a d . S t . M e u n i e r , les Sources, p. 2 6 2 , Paris, 1 8 8 6 ) .
R
2 . V. s u r ce sujet, MAGENDIE et D CONSTANTIN JAMES, Voyage scientifique à Naples, Paris, 1 8 4 4 , in-8°, i m -
p o r t a n t m é m o i r e relatant d e c u r i e u s e s e x p é r i e n c e s s u r l e s effets d e l ' a c i d e c a r b o n i q u e .
samment qu'il ne communique pas avec le lac Pavin, contrairement à l'opinion reçue
jusqu'ici, et que nous tenons pour une fausse hypothèse.
De tout ceci, nous concluions qu'il serait intéressant et facile d'effectuer au Creux-
de-Souci des observations méthodiques et réitérées en diverses saisons, tant sur l'origine
et le régime de l'acide carbonique que sur la t e m p é r a t u r e .
Et nous souhaitions que, pour leur b o n n e exécution, la ville de Besse fît simplement
clore avec un grillage, et non pas boucher complètement, l'orifice de ce curieux gouffre.
Ce vœu fut exaucé, grâce à l'intervention gracieuse et éclairée de M. Berthoule,
maire de Besse et naturaliste distingué. Bien que le système de l'ancienne grille fût par
sa disposition menacé d'effondrement total au premier gros orage, le conseil municipal
de Besse tenait à le rétablir (à nos frais naturellement, puisque nous avions consommé sa
destruction) conforme au modèle primitif. M. Berthoule put obtenir, sur nos instances,
qu'on y substituât une double clôture circulaire à claire-voie en ronce de fer, pourvue
d'une porte. Cette réfection nous
coûta 4oo francs mais nous per-
mit au moins d'assurer l'acces-
sibilité permanente et très facile
du Creux-de-Souci.
M. Berthoule eut le soin de
faire fixer au bord du gouffre
un cabestan et une potence à
poulie, pour faciliter les explora-
tions ultérieures. Il en a lui-
même exécuté plusieurs qui ont
confirmé nos conclusions, sauf
en ce qui concerne l'origine du
Creux-de-Souci. Voici l'exposé
des recherches qui ont suivi les
nôtres : COUPE DU CREUX-DE-SOUCI.
I L a v e de la c o u l é e de M o n t c h a l m e .
C o u p o l e de la v o û t e <
( L a v e s c o r i a c é e , m é l a n g é e de b l o c s d'argile cuite.
1. C o n g l o m é r a t de b l o c s de b a s a l t e a n c i e n .
2. M é l a n g e de s c o r i e s b a s a l t i q u e s et d'argile.
3 . A r g i l e s s a b l e u s e s non a l t é r é e s en p l a c e .
! 4. A r g i l e s s a b l e u s e s c u i t e s et r e m a n i é e s .
« Les argiles sont rubéfiées au contact de la lave. Elles furent recouvertes par les
laves de Montchalme, et les eaux qui descendent sous la coulée ont en ce point lavé les
argiles, pour se p e r d r e ensuite par des fissures, à travers les éboulis des basaltes.
« L'examen de la face inférieure de la voûte lavique, et surtout le contact des parties
latérales avec les argiles cuites, ne laissent aucun doute sur la formation du dôme par
dislocation progressive et éboulement lent. Le point de départ du creusement est sans
doute une de ces fissures si fréquemment observées dans les terrains recouverts par les
laves. Peut-être aussi doit-on voir là un des moyens d'alimentation des sources de la
vallée de Compains, et même du lac de Montcineyre, placé à près de 100 mètres en
contre-bas de la partie la plus profonde du Creux-de-Soucy. C'est d'ailleurs ce que
2
paraissent indiquer la pente générale du terrain et l'inclinaison des couches d ' a r g i l e . »
En i8g3, M. Berthoule a fait au Creux de nouvelles constatations, plus curieuses encore
que toutes les précédentes, et qu'il a eu l'extrême obligeance de me communiquer.
1. N o u s a v i o n s e s l i m é le d i a m è t r e à 50 m è t r e s .
2. C. R. Ac. Sc., 28 n o v e m b r e 1 8 9 2 . Moniteur du Puy-de-Dôme, 25 n o v e m b r e 1892. Le Naturaliste, 15 m a r s
1 8 9 3 . Observations scientifiques sur le Creux-de-Soucy, 16 p . i n - 8 ° e t p l . , C l e i m o n d - F e r r a n d , 1 8 9 3 .
« Le IO août j'ai renouvelé la descente, le temps était splendide, le t h e r m o m è t r e à
-\- 24°, le baromètre à 6 9 . Le voyage a été r a p i d e ; à 8 ou 10 m è t r e s avant d'atterrir, ma
0
lanterne s'est é t e i n t e ; la température était -f- 2 , 1 , et en p r e n a n t pied sur l'îlot, je me
trouvai sur une montagne de neige, de neige blanche. Je présume que cette neige s'est
formée clans le gouffre même, par la congélation pendant leur chute des gouttes d'eau qui
suintent sans cesse à travers la voûte. Je n'ai pas pu séjourner au fond plus de quelques
minutes, il y aurait eu danger à s'y oublier davantage. P e n d a n t la traversée, j ' a i été
frappé par une phosphorescence p r e s q u e éclatante, sur un seul point de la voûte. Gomme
il était à ce moment 6 h e u r e s du soir, le soleil était trop bas sur l'horizon pour envoyer
dans le Soucy ni sa lumière directe, ni sa lumière réfléchie ; ce n'est donc pas à son
action qu'on pouvait rapporter cette véritable phosphorescence, localisée sur une surface
d'une douzaine de mètres carrés.
« Huit j o u r s plus tard il m'a été impossible de songer à descendre, les gaz délétères
1
arrivaient jusqu'à la grille comme par bouffées, au point d'y g ê n e r la r e s p i r a t i o n . »
Neige sur l'îlot rocheux dans une saison très chaude, alors qu'il n'y en avait pas
l'année précédente aux mois de juin, juillet, août et novembre—- phosphorescence des
roches intérieures — éruption de l'acide carbonique par l'orifice m ê m e , voilà trois
nouveaux problèmes étranges posés par le Creux-de-Souci. Arrivera-t-on à les r é s o u d r e ?
L'explication de MM. Gautier et Bruyant sur la formation du Creux-de-Souci est très
acceptable; nous ne t e n o n s pas du tout à maintenir, si ce n'est pour mémoire, l'hypo-
thèse d'une bulle gazeuse crevant la coulée, qu'ont proposée Lacoste, Rozet et Lecoq et
à laquelle nous nous étions ralliés.
Les études zoologiques peuvent devenir intéressantes dans le lac du Creux : M. Ber-
thoule se propose de les continuer et de renouveler les observations de température.
Il résulte des constatations de 1 8 9 2 , qu'au printemps la température était plus basse
et l'acide carbonique plus abondant qu'à l'automne. Est-ce tous les ans de même ?
En tous cas, nous trouvons ici un exemple nouveau de caverne plus froide que la
moyenne du lieu : or, comme dans les cas analogues, il y a double entonnoir et rétrécis-
sement défavorable au renouvellement de l'air.
Nous avons entendu dire, sans obtenir aucun r e n s e i g n e m e n t précis, qu'il y aurait des
glacières naturelles aux environs de Pontgibaud. Ceci est un sujet nouveau que nous
allons effleurer seulement dans le chapitre suivant.
1. M. E d o u a r d André' a t r o u v é de l'acide c a r b o n i q u e , d ' o r i g i n e é g a l e m e n t v o l c a n i q u e , dans la g r o t t e du
Peligro, s u r l e s p e n t e s du v o l c a n de Pasto en C o l o m b i e (V. Tour du Monde, 1 8 7 9 , II, p. 327).
V . a u s s i E . F i n o t , Analyse des gaz de la grotte Saint-Mart ou du Chien, à lioyat, C. R. A s s o c i â t . , franc,
1876, C l e r m o n t - F e r r a n d , p . 336.
CHAPITRE XXIII
La B o u r g o g n e .
L e s g r o t t e s , p e r t e s et D o u i x d e la C ô t e - d ' O r . — L e C r e u x - P e r c é . — L e s g l a c i è r e s n a t u r e l l e s . — U n s e c o n d
C r e u x - d e - S o u c i . — L ' a b î m e de B é v y . — L e s g r o t t e s d ' A r c y - s u r - C u r e . — L e s g o u f f r e s d e l'Aube. — G r o t t e s
du b a s s i n de la L o i r e , etc.
Abîme d u C r e u x P e r c é
à Pasqu.es,prés Dijon,
Côte d'Or
Altitude b 7S met.
1
Profond • 55 met.
Exploré les 2\ et28 Mars 1892
MM. MARTEL . P A R T Y
BUR.FONTAINE .LORY.
DARANTIÈRE.etd.
Au fond, glacière naturelle nn^ï iUjLvâî îirrri \ i li n i immm H1111 DJin\ï ï I iiii in\ru iTf ni roui 1 rmi n 1
Coupe t r a n s v e r s a l e Coupe l o n g i t u d i n a l e .
c
Température dufond:-l°
et que les eaux ont profité de ces fractures p o u r les élargir ensuite.
Une seconde grotte voisine et plus courte (celle des F é e s , 100 met.), est célèbre pour
la mâchoire humaine préhistorique que M. de Vibraye y a trouvée en 1809.
2
Leymerie a signalé aussi des gouffres dans le département de l'Aube et décrit
notamment, dans le calcaire néocomien des communes de Villes-sur-Terre, Fresnay,
Levigny, les gouffres ou Fosses des Bruès (profondes en 1839 de 10 met. et comblées),
et les Fosses Cormont de 12 mètres de profondeur, remplies d'eau après les pluies.
On les suppose en relation avec les sources de la Laines ou Dhuys de Soulaines.
Je crois devoir mentionner dans le bassin de la Loire :
i° La source cVOrchaise (forêt de Blois), sortant d'une grotte étroite, où on s'est arrêté
au bout d'une centaine de mètres, devant une voûte basse. « La légende veut qu'il y ait
3
au fond une chaise d'or pour r e p o s e r l'explorateur fatigué. D'où le nom d'Orchaise » ;
0
2 A Dordre, commune de Corvol l'Orgueilleux (Nièvre), entre Clamecy et Nevers,
un puits artificiel au fond duquel (8 met.) passe un rapide courant souterrain. La
fontaine du village a diminué depuis le creusement du puits. Non loin de là, le Nohain
coule dans un lit semé de profonds gouffres (l'un d'eux, XAbîme, aurait selon la
légende englouti un château féodal), où il perd une partie de son eau. Il pourrait y avoir
là une communication souterraine entre les deux versants de la Seine et de la L o i r e * ;
3° Les Caves-Gouttières, très réputées à T o u r s , sur la route d'Azay-le-Rideau
(Indre-et-Loire). On y défend, avec un soin jaloux, les m e n u s t u b e s stalactiformes qui
p e n d e n t à la voûte comme dans toutes les grottes à concrétions. Ces caves, basses,
n'ont que i 5 o à 200 mètres de développement. Ce sont peut-être d'anciennes c a r r i è r e s ;
4° Les caves à Margot près d'Evron (Mayenne), sont dans les calcaires anciens.
5
On les dit vastes, accidentées, pourvues de concrétions et mal connues.
1 1 e i n
1. Notice sur les grottes d'Arcy-sur- Cure, B du C o n g r è s scientif. de F r a n c e , x x v s e s s i o n 1858, et B d e la
e
S o c . d e s s e . h i s t o r . et n a t u r . d e l ' Y o n n e , 2 s e m e s t r e 1 8 6 5 . — V . a u s s i R a u l i n , Géologie de l'Yonne, p. 721,
i n e
l e plan p u b l i é p a r B e l g r a n d dans B Soc. géolog., 2 s é r i e , t. I I , 1 8 4 5 , p . 719, et la b i b l i o g r a p h i e citée p a r
D e s n o y e r s (art. Cavernes).
2. Géologie de l'Aube et C. R. Ac. sc., 17 juin 1839.
3 . C o m m u n i q u é p a r M. l'abbé d ' A l l a i n e s à O r l é a n s .
4. « « M. M a r l o t , v é t é r i n a i r e à E n t r a i n s ( N i è v r e ) .
5. BLAVIER, Géologie de la Mayenne, 1837, in-8°. — E t P r o c è s - v e r b a l d e s s é a n c e s p u b l i q u e s de la S o c i é t é
l i b r e d e s arts d u d é p a r t e m e n t d e la S a r t h e , a n s IX et X.
CHAPITRE XXIV
B a s s i n de la Seine.
il atteint 20°,6 pour la Vanne et 23° pour la Dhuis (excellente proportion p o u r l'alimen-
0
tation, l'industrie et les usages m é n a g e r s , la meilleure eau mesurant 2 1 hydrotimétri-
DÉBIT DÉBIT
DE LA TOTALITÉ DES
ÉPOQUE DES JAUGEAGES.
DU VOLUME
SOURCES DE LA VIGNE.
ABSORBÉ PAR LES B É T O I R E S .
ÉPAIS-
ALTITUDE AP PROXIMATIVE
ALTITUDE SEUR
NOMBRE PROFONDEUR
approximative PROFONDEUR TEMPÉRA-
jusqu'au de la de la nap pe d'eau.
COMMUNES. de puits RATURE.
de jusqu'à l'eau. nappe
sondés. fond.
l'orifice. d'eau. Au sommet. A la base.
1. Ce p u i t s a été c o n s t r u i t en 1 8 7 4 d a n s u n e f e r m e ; et le p r o p r i é t a i r e m'a d o n n é d e s d i m e n s i o n s un p e u
différentes de c e l l e s de m o n s o n d a g e , 113 p i e d s (36",70), d o n t 21 p i e d s d'eau ( 6 " , 8 2 ) , s o i t 0 " , 6 0 en p l u s .
2 . C e s t e m p é r a t u r e s a n o r m a l e s d o i v e n t ê t r e e r r o n é e s (je ne l e s ai p a s p r i s e s m o i - m ê m e ) , car j'ai t r o u v é le
16 j u i l l e t 1892 c e l l e d'un d e s p u i t s de l a F e r t é - V i d a m e é g a l e à 1 1 ° , 5 , c o m m e à B e a u c h e et à M o r v i l l i e r s ( m ê m e
jour).
aurait là (à 180 met.) une forte dépression de la nappe souterraine (plusieurs nappes
aussi peuvent se trouver superposées). En tout cas, la constante de 6 mètres, au fond
des puits, indique bien que l'épanchement de l'eau souterraine se plie aux dépressions,
1
à la pente générale du sol vers le N.-E., et que la fosse dont il a été question dans
les rapports officiels existe bien.
3
C'est probablement dans les sables du Perche, entre l'argile à silex et la craie de
Rouen (assez argileuse), que cette nappe d'eau s'écoule lentement vers les sources de
la Vigne en filtrant complètement l'eau contaminée que lui apportent les bétoires.
I . 'Terrain, imperméable, C Eau. conduite au, lavoir de. Morvilliers par ptasieurs
IL Terrain, perméable' absorbant par plates l'eau, du Ruisseau, dérùfatùms en poterie..
III Terrain, perméable renfermant' lay nappe, d'eau, souterr*. D Bétoire diL,H.aui>-ChevrLer et- son, canal, svuterraia
épaisse, de 6"?* qui alimente. les. sources de, la Vigne. E_ Flaques d'eau, rwacaeore. absorbées par le?soi,
A--Ruisseau, naturel, de>Lamblore ou, de, la,Ferlé-Vida/ne? Y—Vieùznee? d'cuiviron, Ueo met
B _ Tuyau? de poterie soustrayant? une? partie de l'eau, à, ta. bétoire,.
Quant à l'origine de cette nappe, elle doit être recherchée dans les infiltrations de
la zone des étangs, et même plus au sud, dans cette ceinture de sables du Perche,
qui absorbent les pluies et qui affleurent de part et d'autre de Tourouvre. En effet ces
sables s'élèvent ici de 240 à 3oo mètres d'altitude, alors qu'on ne les voit même pas
reparaître à i5o mètres d'altitude aux sources de la Vigne. C'est que le pendage des
couches est ici vers le N.-E. et a déterminé en ce sens l'écoulement de la nappe.
Si c'est bien, comme tout l'indique, une nappe à peu près continue qui déverse s o n t r o p -
COUPE
de la Vallée
du Ruisseau de
LAFERTÈ-VIDAME
montrant la
disposition probable
de lanappe souterraine
gui alimente les sources
de la Vigne
près VerneuiltEure)
1
aérien de l'Iton. M. F e r r a y suppose qu'il y a dans cette région de vastes cavernes.
Miremont rend cette hypothèse plausible. Il importerait de la vérifier, en pénétrant
dans les bétoires de l'Iton, et au besoin en les d é s o b s t r u a n t .
L'Iton s'engouffre encore à Villalet, dans le bas de la forêt d'Evreux, pour se retrouver,
après io ou 1 2 kilonîètres de cours souterrain, dans l'étang de la Bonneville. On a p r é -
t e n d u même que plusieurs plongeurs expérimentés, ayant essayé de p é n é t r e r dans la
2
perte, n'auraient jamais reparu .
La Rille également disparait plusieurs fois dans la t e r r e .
3
Dans le Calvados enfin, les Fosses de S o u c i (près Bayeux), au nom tant de fois r e n -
CLOCHE DE TAVERNY.
sous la masse exploitée, un courant d'eau naturel. Il eût été bien intéressant de constater
si ce ru a laissé des traces de son passage au-dessous. J'ai visité l'endroit, d'abord le
0
10 octobre 1892 (tempérât. 12 ), puis, le 27 octobre suivant, avec Gaupillat et MM. L. Janet,
ingénieur des mines, G. Ramond et M. Dolfus. J'estime, comme M. Janet, que le
tourbillon d'un ruisseau souterrain a dissocié ici les polyèdres de gypse, pratiqué un
trop-plein pour les eaux et émoussé les arêtes des strates laissées en encorbellement
(voy. les figures ci-contre).
Il importe de retenir qu'à 6 kilomètres à l'est, en pleine forêt de Montmorency, un
petit ruisseau se perd au milieu d'un bas-fond, dans les crevasses impénétrables dites
Trou du Tonnerre, véritable bétoire comme celles de l'Avre. C'est peut-être un de ses
rameaux qui a formé la cloche de Taverny. Ce fait indique suffisamment que le gypse est
susceptible aussi d'une circulation souterraine en galeries.
Dans le département de Seine-et-Marne, entre Melun, Provins et Montereau, plusieurs
e
ruisseaux entrent en t e r r e ; au sud de Nangis (terrain tertiaire), la carte au 100,000 indique
une perte à Chapuis, et nomme le gouffre du Mée et les gouffres de Rampillon (feuilles
de Montereau et de Provins).
LeLunain entre Sens et Nemours (crétacé supérieur), m o n t r e , aux environs de Lorrez-
le-Bocage, un lit semé de gouffres absorbants qui se déplacent parfois. On ne peut
réussir à les boucher. En 1889, j ' * examiné plusieurs de ces gouffres (avec Gaupillat
8
1
et MM. Armand V i r é et E. Renauld) : nous les avons trouvés impénétrables et obstrués
comme les bétoires.
Le crétacé supérieur du nord de la France paraît moins riche en cavernes que celui
du Périgord. Une g r a n d e partie des souterrains que l'on y connaît sous le nom de
souterrains-refuges, ont dû être creusés artificiellement ou ménagés dans des carrières
2
abandonnées . Les plus remarquables sont ceux de Naours près Doullens (Somme),
retrouvés en 1887, explorés, déblayés et décrits par l'abbé Danicourt, curé de Naours
(800 mètres au moins de ra-
3
mifications) . Ceux de Mar-
quoin et de Sailly sont vastes
aussi.
Tandis que certains ar-
chéologues datent ces sou-
terrains-refuges du moyen
âge seulement, le savant
lieutenant-colonel de Ro-
4
chas , en décrivant celui de
Brétigny , p r è s Chartres
(Eure-et-Loir) , a exprimé
l'opinion qu'ils avaient servi
d'abri aux Gaulois pendant
la conquête r o m a i n e ; il a
attiré l'attention sur cette cu-
rieuse question historique,
si neuve, si peu étudiée, et
se rattachant si intimement
à la spélseologie.
Dans la ville & Albert
CLOCHE DE TAVERNY, COUPE VERTICALE.
(L. Janet, G. Ramond, E. A. Martel). (Somme), entre Amiens et
Arras, des souterrains con-
nus depuis longtemps sont considérés au contraire comme naturels ; ils s'étendent fort
loin, sous des marais desséchés, renferment des puits, des concrétions calcaires et des
roseaux pétrifiés, et passent en dessous même de la rivière d'Ancre, dont ils pourraient
5
fort bien être un ancien l i t .
1 . Q u i a t r o u v é de c u r i e u s e s s t a t i o n s p r é h i s t o r i q u e s d a n s l e s e n v i r o n s de L o r r e z , et n o t a m m e n t l e s fonds de
cabanes de t o u t u n v i l l a g e n é o l i t h i q u e à la R o c h e du D i a b l e (C. R. A c . s c . 4 avril 1 8 9 3 ) .
2 . V . TERNINCK, Congrès archéologique d'Arras, 1 8 8 1 , p . 1 4 7 . L e s carrières de Saint-Emilion (Gironde), dans
le tertiaire o l i g o c è n e , s o n t e n c o r e p a r t i e l l e m e n t h a b i t é e s de n o s j o u r s . — V . PAUL QuinouD,ie souterrain-refuge
de Fontaine-Ozillac, C h a r e n t e - I n f é r i e u r e , La Nature, 6 mai 1 8 9 3 .
3 . Bulletin de la Société d'émulation d'Abbeville, n° 1 et 2 de 1 8 8 9 ; — Les souterrains de Naours, Abbe-
v i l l e , 1 8 8 9 ; — l ' a b b é D a n i c o u r t p r é p a r e u n o u v r a g e g é n é r a l avec 3 0 p l a n c h e s . — V . a u s s i l'article de M . F . KRAUS
d a n s le r e c u e i l a l l e m a n d Globus (de B r u n s w i c k ) t. 6 1 , n° 2 2 .
4 . V . La Nature, n° 1 0 5 3 , 5 a o û t 1 8 9 3 , avec figures.
5 . Communiqué par M . Barbey, pharmacien à Flixécourt (Somme).
Dans le nord de la France, il existe aussi des puits naturels nommés marquois, laté-
ralement ramifiés, absorbant les eaux et revêtus de concrétions calcaires.
1
Ils ont été signalés par MM. E. Sauvage et H a m y (voy. Desnoyers).
2
Dans le nord-ouest, on connaît des trous absorbant des r u i s s e a u x . Près du Huelgoat
(en Bretagne), le gouffre de Quiber-à-Rompesse, en engloutit un qui reparaît a u n e demi-
lieue de là, et rend vivants les canards jetés dans la perte.
1. Etude sur les terrains quaternaires du Boulonnais, 1866.
2. O n en t r o u v e r a b e a u c o u p de d é c r i t s dans DEPPIKG, Merveilles et beautés de la nature en France, 2 vo-
l u m e s in-8°, in-12, P a r i s , D i d i e r , 1 8 4 5 , 9° é d i t . T r è s d o c u m e n t é , cet a n c i e n livre s e r a c o n s u l t é a v e c fruit.
P e r t e s et g r o t t e s d e la L o r r a i n e . — M y s t è r e s s o u t e r r a i n s d u J u r a . — E b o u l e m e n t d e tunnel au C r e d o . —
G r o t t e s d e la S a v o i e et d u D a u p h i n é . — Scialets du V e r c o r s . — Gouffres et E m b u t s de l a P r o v e n c e :
C a u s s o l s et l e R a g a s . — S o u r c e s s o u s - m a r i n e s . — P o n t s n a t u r e l s s o u s l e tuf ; p e r t e d e l ' A r g e n s , P o u t - n â -
D i e u , e t c . —• G o r g e d u L o u p . — C o r s e . — C o r b i è r e s . — P y r é n é e s ; ce qui r e s t e à faire.
sont creusées dans le tuf calcaire. Et voici comment a dû se former la perte : autrefois
l'Argens coulait au même niveau dans ses deux b r a s , et le saut Saint-Michel n'existait
pas. Le bras de droite (occidental) déposait le tuf ou passait par-dessus : un jour, u n e
fissure quelconque a permis à l'eau de commencer le creusement de la fosse du saut
Saint-Michel; en aval, le tuf s'est peu à peu trouvé miné par-dessous, au fur et à
m e s u r e de l'approfondissement du saut ; il a fini par être perforé, d'abord à la grotte à
stalagmites et à la Chapelle qui ont tout l'aspect d'anciennes dérivations ; ensuite au
tunnel même qui s'est complètement creusé, puis éboulé; le peu de solidité du terrain
entre le saut Saint-Michel et la perte a dû activer considérablement ce travail.
Un ancien lit du second bras, visible en aval, indique que les choses ont bien dû
se passer de la sorte, car il se termine par un front de cascade en tuf, large de
35 m è t r e s , haut de 8 à 10, non encore entamé en arrière : le second bras a dû abandonner
ce déversoir, dès que l'approfondissement du premier lui eut permis de le rejoindre
latéralement, par les deux brèches aujourd'hui transformées en cascade. La faible résis-
tance du tuf achève de r e n d r e cette explication plausible ; l'origine seule de ce tuf reste
douteuse (v. ch. XXXII).
E n résumé, la perte de l'Argens est un pur accident, qui n'intéresse pas la roche
en place sous-jacente, et qui s'est manifesté aux dépens d'une formation adventice. Elle
est d'ailleurs des plus pittoresques avec ses cascades, ses tunnels, ses petites grottes et
1
son t o r r e n t qui g r o n d e écumeux dans un étroit f o s s é .
Exactement de la même manière, s'est construit sur le Paillon le pont naturel ou
grotte de Saint-André, à 6 kilomètres nord de Nice, utilisé par une route. Mais ici,
une source tombe encore de la paroi gauche du vallon, très r e s s e r r é en ce point, et elle
se déverse dans le Paillon par-dessus l'arcade naturelle elle-même; comme elle est très
incrustante, il semble bien que le pont soit son œuvre, facilitée peut-être par quelque
bloc de rocher tombé en travers du torrent. La grotte qui en résulte est en forme de
demi-cercle, longue de 4° à 5o m è t r e s ; le propriétaire y a ménagé le long du Paillon
souterrain une passerelle permettant de la traverser presque tout entière. L'abondante
végétation qui pend du cintre de l'arcade, et les cascatelles qui en descendent, font de
l'ensemble un joli site.
Analogue, mais plus imposant et beaucoup plus élevé, dans le g r a n d i o s e canon de
la Siagne, se trouve à l'est de Saint-Vallier (et de Grasse) le Pont-nd-Dieu (pont né de
Dieu, et non pont à Dieu comme on l'écrit souvent), visité avec Gaupillat le 26 mars 1893.
Si l'origine du tuf est incertaine ici comme à l'Argens, il est constant qu'il s'est accu-
mulé dans un rétrécissement extrême de la vallée, s u r une hauteur de 45 m è t r e s , et que la
Siagne a autrefois coulé p a r - d e s s u s ; puis, acquérant u n e forte pression hydrostatique,
dans un élargissement creux de la vallée qui se trouve en amont, elle a miné ce bar-
rage au pied, jusqu'à ce qu'elle y ait foré un tunnel de forme triangulaire, haut et long
de 10 à i5 mètres, large de 5 au niveau de l'eau et de 10 en haut de l'arcade. La masse
de tuf m e s u r e au tablier, ou sommet du pont qui réunit les deux rives, de 5 à 20 mètres
de largeur et une soixantaine de mètres de l o n g u e u r .
Ces trois arcades naturelles sont à rapprocher en somme du pont de la Tiretaine
e
1 . L a c a r t e au 8 0 , 0 0 0 (feuille de D r a g u i g n a n ) , i n d i q u e la C h a p e l l e s o u t e r r a i n e de S a i n t - M i c h e l , et nomme
abîmes l e s c a s c a d e s et p e r t e s de l ' A r g e n s . L a c a r t e g é o l o g i q u e de c e l t e feuille ( d r e s s é e p a r M. Z u r c h e r , de 1883
à 1 8 9 0 , et p u b l i é e e n 1891), c o n c o r d e a b s o l u m e n t avec n o s d é d u c t i o n s . E l l e p l a c e le lit de l ' A r g e n s dans d e s
a l l u v i o n s s u r m o n t é e s de « tufs d é p o s é s p a r d e s e a u x f o r t e m e n t c a l c a i r e s , p r o v e n a n t d e s s o u r c e s qui s u b s i s t e n t
« e n c o r e , m a i s d o n t la t e n e u r en s e l s a d i m i n u é à un tel p o i n t , qu'il y a p l u t ô t a c t u e l l e m e n t d i s s o l u t i o n des
« a n c i e n s d é p ô t s q u e c o n t i n u a t i o n de l e u r f o r m a t i o n ». C e s î l o t s d e t u f s t r è s n o m b r e u x d a n s la c o n t r é e , s o n t s a n s
d o u t e 0 r e l a t i v e m e n t a n c i e n s ». ( L é g e n d e de la carte.)
à Clermont-Ferrand, et se sont formées de même, par érosion et perforation d'un dépôt
l
de tuf, qui avait commencé par faire b a r r a g e .
En aval du Pont-nâ-Dieu et avant de quitter les calcaires pour le trias, la Siagne
possède encore sur ses rives diverses grottes qu'a visitées Gaupillat: Saint-Cézaire, toute
petite, assez jolies cristallisations, longueur ioo à 2 0 0 m è t r e s , boyau de petite dimension.
Mons, rien de curieux, stalactites dé-
P h o t o g r a p h i e d e l'auteur.
d'une m o y e n n e abondance, elle a cependant t e l l e m e n t e x c a v é la r o c h e s u r l a q u e l l e e l l e
g l i s s e , q u ' i l e n e s t r é s u l t é u n v i d e , p e r m e t t a n t d e p a s s e r d e r r i è r e la c h u t e d ' e a u e l l e -
même. Aujourd'hui elle se précipite
p r e s q u e i s o l é e , c o m m e au m i l i e u d'un
puits, dans un cirque étroit; ce cirque
r e s s e m b l e à u n a v e n d o n t la p a r o i s e -
rait é c r o u l é e sur un t i e r s du p o u r t o u r .
E n c o n s i d é r a n t q u ' u n e si f a i b l e c a s c a d e
a p u à ce point, et à l'air l i b r e , t a r a u d e r
e t u s e r la r o c h e c a l c a i r e encaissante,
on c e s s e de s'étonner d e s f o r m e s pré-
sentées par l'intérieur d e s a v e n s d'éro-
sion, où les chutes d'eau, emprison-
nées et t o u r b i l l o n n a n t e s , épuisaient
l e u r furie à é l a r g i r l e s étroites fissures
des profondeurs.
E n v u e d e s côtes de P r o v e n c e , l e s
1
m o n t a g n e s d e la C o r s e m o n t e n t à p r è s
d e 3 k i l o m è t r e s a u - d e s s u s d e la M é d i -
terranée. On y connaît surtout les
grottes d e B o n i f a c i o , c r e u s é e s p a r la
mer aux dépens de ses rivages; la
p l u s b e l l e e s t la g r o t t e Diagonale, où
l'on n'entre qu'en bateau par un t u n -
n e l , et d o n t la v o û t e c r e v é e r e p r o d u i t
les contours de l'île de C o r s e . L e s
effets d e l u m i è r e n ' y s o n t p a s moins
remarquables q u ' à la g r o t t e d ' A z u r à
Capri ( V . V u i l l i e r , LES Iles oubliées,
p . 3 5 3 , H a c h e t t e , 1893, i n - 4 ° ) .
L a r é g i o n c r é t a c é e d e s Corbieres, e n t r e N a r b o n n e et P e r p i g n a n , fait s u i t e a u x c a l c a i r e s
a n c i e n s du M i n e r v o i s et rattache l e s C é v e n n e s aux P y r é n é e s .
2
E l l e p o s s è d e s e s a v e n s , n o m m é s Bananes , s e s e a u x s o u t e r r a i n e s et s e s s o u r c e s .
En 1 8 9 1 , un jeune et i n t e l l i g e n t p r o p r i é t a i r e d e S i j e a n , M . L o u i s M a r t r o u , stimulé
1. Je ne les aurais point évoquées, si le journal le Drapeau du 8 mars, copié par le Petit Bastiais du 18 mars
1891, et par divers journaux parisiens (notamment les Débats et la Nature, n° 933, 18 avril 1891, avec rectification
au n° 937, 16 mai 1891), n'avait annoncé que la grotte de Ponteleccia (ou Ponte alla Leccia), venait d'être l'objet
d'une exploration plus sérieuse que toutes les précédentes, qu'elle débouchait sur la mer, près de Calvi (ce qui
lui aurait donné 60 kilomètres de longueur), que pendant les grands vents d'ouest le bruit des vagues se percevait
à Ponteleccia, qu'un mineur y avait passé cinq jours sans sortir, qu'un troupeau de chèvres l'avait traversé de
part en part, etc. La simple inspection d'une carte géologique de Corse, principalement composée de roches
éruptives (et justement entre Ponteleccia et Calvi), faisait a priori de ce récit une fable.
Connaissant le propriétaire de la caverne, M. Palazzi, j'ai eu le plaisir d'obtenir de lui des renseignements
précis, qui ont misfinà la légende de la grotte de Ponteleccia. Le 23 avril 1891, en effet, M. Palazzi et dix hommes
pénétrèrent dans la caverne, munis de cordes et de lampes de mineurs; ils ne tardèrent pas à être arrêtés par
des crevasses impénétrables ou obstruées; ils n'ont point trouvé de nappes d'eau et reconnurent seulement que
les voûtes étaient en marbre de la plus belle qualité.
2. Dès 1884, M. Rossin (v. p. 45), a cherché à y retrouver, au fond des cavernes, des courants susceptibles
d'être utilisés pour l'irrigation du Roussillon, Il vient de reprendre ses études.
par Padirac, y a tenté une première descente. Il a fait de nouveaux essais en 1892 et 1893,
et nous espérons trouver en lui un pionnier hardi pour la nouvelle spélseologie pyré-
1
n é e n n e . Déjà plusieurs pages seraient requises pour la bibliographie des cavernes des
P y r é n é e s où MM. Lartet, A. Milne-Edwards, Rames, Garrigou, Piette, Martin, Filhol, Trutat,
2
Regnault, etc., ont fait de si curieuses trouvailles paléontologiques et préhistoriques. —
Mais le présent livre réussira à démontrer, nous l ' e s p é r o n s , que ces sortes de
recherches ne sont pas les seules qui présentent, sous t e r r e , de l'intérêt; et beaucoup
d'autres restent à effectuer, avec un succès assuré, grâce à nos méthodes de pénétration
profonde, aussi bien dans l'Ariège que dans la Haute-Garonne, et dans les parties
occidentales des Pyrénées ; sans parler du versant espagnol, où les cavités vierges de
3
pas humains, ne font pas défaut non p l u s .
Les mystérieuses sources de la G a r o n n e , descendues du glacier du Pic de
Néthou, engouffrées à l'impénétrable Trou de Toro ou Clot d'Aiguallut et dans
d'autres fissures calcaires, puis reparaissant définitivement au j o u r par le goueil de
Jouéou, au fond du val d'Aran, 600 mètres plus bas et 4 kilomètres plus loin, ne pré-
sentent-elles par le même problème que Vaucluse, la Touvre, les Foux et les Sorgues ?
1 . E n 1 8 9 2 , M. M a r t r o u a e x p l o r é j u s q u ' à la p r o f o n d e u r d e 100 m è t r e s et de 140 m è t r e s d e u x barrancs, celui
de la Serre et celui de Saint-Clément, s a n s p o u v o i r , faute de m a t é r i e l suffisant, en a t t e i n d r e l ' e x t r é m i t é . Il a de
m
p l u s , en é l a r g i s s a n t u n e fente du s o l de 0 , 4 0 d ' o u v e r t u r e , p u p é n é t r e r d a n s l e barranc Chaud j u s q u ' à d e s fissu-
r e s qui, u n e f o i s a g r a n d i e s , p e r m e t t r o n t d e p o u s s e r p l u s l o i n et p l u s b a s e n c o r e . A v e c A r m a n d et m o n m a t é r i e l ,
il a e x p l o r é h u i t a u t r e s b a r r a n c s en o c t o b r e 1893 : à l u i l e p l a i s i r d'en p u b l i e r l e s d e s c r i p t i o n s .
2 . V . l e s n o m b r e u x m é m o i r e s d e c e s a u t e u r s , et P I E T T E , La grotte de Gourdon {près Montréjeau), pendant
l'âge du renne, Bullet. Soc. anthropologie de Paris, 18 avril 1 8 7 3 . — M. G a r r i g o u a f o u i l l é un t r è s g r a n d n o m b r e
de c a v e r n e s p y r é n é e n n e s de t o u t â g e .
A i n s i l ' i m m e n s e c a v e r n e d e L o m b r i v e s o u d e s É c h e l l e s ( A r i è g e ) , à l a q u e l l e M. J. d e L a u r i è r e (Bullet.
Monumental, 1884), attribue 4 k i l o m è t r e s de d é v e l o p p e m e n t , r e n f e r m e r a i t d a n s un d e s e s c o u l o i r s latéraux « un
p r é c i p i c e d a n s l e q u e l p e r s o n n e n'est j a m a i s d e s c e n d u » ( F . G A R R I G O U , Grotte de Lombrives, congrès archéologi-
que à P a m i e r s , mai 1 8 8 4 , et la Nature, du 18 o c t o b r e 1 8 8 4 p . 3 6 4 ) . — V . e n c o r e F . G A R R I G O U , Histoire et des-
cription de la grotte de Lombrives, T o u l o u s e , 1 8 6 2 . — G A R R I G O U E T F I L H O L , Age de la Pierre Polie dans
les Pyrénées ariégeoises, P a r i s , B a i l l i è r e , s a n s d a t e , i n - 4 ° , 77 p . et 9 p l a n c h e s . C'est à L o m b r i v e s q u e M. T r u -
tat a r e c o n n u l e s t r a c e s du p a s s a g e d'un b r a s s o u t e r r a i n de l'ancien g l a c i e r de l ' A r i è g e (C. R. Ac. Sc.,
28 dec. 1885). M. G a r r i g o u n'a t r o u v é à cette g r o t t e que 1,800 met. d ' é t e n d u e , m e s u r é s à la c h a î n e .
L e Mas d'Azil ( A r i è g e ) est u n e m e r v e i l l e de la n a t u r e , u n tunnel g i g a n t e s q u e , q u e t r a v e r s e n t à la fois la
r i v i è r e d'Arize et une r o u t e de v o i t u r e s s u r 410 m è t r e s de l o n g u e u r . MM. G a r r i g o u , F i l h o l et P i e t t e y ont
fait d e s f o u i l l e s h e u r e u s e s . P e u t - o n s e flatter de c o n n a î t r e t o u s l e s d é t o u r s de s e s l a b y r i n t h e s , s a n s e x c e p t i o n ?
e
(V. T a r d y , Le Quaternaire du Mas d'Azil, Bullet. Soc. géolog., 1 8 9 3 , n° 2 , 3 s é r i e , t. X X I , p . 137). M ê m e
q u e s t i o n p o u r la g r o t t e de Lherm, o ù M. T r u t a t a failli s e t u e r d a n s une c h u t e t e r r i b l e .
3 . A la g r o t t e de Gargas ( H a u t e - G a r o n n e ) , p r è s M o n t r é j e a u , f a m e u s e p a r s e s s t a l a c t i t e s et p a r la
l é g e n d e du b r i g a n d a n t h r o p o p h a g e B i a i s e F e r r a g e (qui m a n g e a , dit-on, 8 0 j e u n e s filles de 1780 à 1782),
M. F . R e g n a u l t a r é c e m m e n t t r o u v é d ' e x t r a o r d i n a i r e s oubliettes d'animaux f o s s i l e s , p u i t s n a t u r e l , v é r i t a b l e
m
aven p r o f o n d de 20 m è t r e s , l a r g e à l'orifice de 0 , 6 0 , et p r e s q u e c o m b l é p a r l e s c a r c a s s e s e n t i è r e s de l ' o u r s , d u
l o u p et de l ' h y è n e d e s c a v e r n e s . ( L e s f o u i l l e s ont d u r é d e u x a n s , 1 8 8 3 - 8 4 . V . C. R. Ac. Sc., 9 févr. 1885
et 26 d é c e m b r e 1 8 9 2 . F . R E G N A U L T , Revue de Comminges, avril 1 8 8 5 , et la Nature, n» 6 3 1 , 4 j u i l l e t 1885.) N e
p é n é t r e r a i t - o n p a s p l u s l o i n au c œ u r de la m o n t a g n e de G a r g a s , en crevant la s t a l a g m i t e s u r c e r t a i n s p o i n t s ?
E s t - i l certain q u e M . V a u s s e n a t , le r e g r e t t é d i r e c t e u r de l ' o b s e r v a t o i r e du P i c d u M i d i , ait a c h e v é c o m p l è -
t e m e n t l ' e x p l o r a t i o n d e s g r o t t e s du Bédat ( p r è s B a g n è r e s - d e - B i g o r r e ) , qu'il a fait c o n n a î t r e s u r 2 , 3 0 0 m è t r e s
d ' é t e n d u e ? — M. A l b e r t T i s s a n d i e r n'a-t-il p a s s i g n a l é d e s gouffres d a n s l e s g r o t t e s de Solentia, près Huesca
( A r a g o n ) (Tour du Monde, 1 8 9 0 , I) ? — A-t o n j a m a i s e s c a l a d é l a c a s c a d e s o u t e r r a i n e qui arrête la m a r c h e a u fond
de la g r o t t e d e s Eaux Chaudes ( B a s s e s - P y r é n é e s ) ? N ' e s t - c e p a s en 1890 q u ' o n a t r o u v é , g r â c e à u n m a t r é i e l de
g y m n a s t i q u e , s o u s un p l a t e a u t r o u é d e clots ( n o m b é a r n a i s d e s a v e n s ) , d a n s la g r o t t e de Bétharram, près Pau,
q u a t r e é t a g e s s u p e r p o s é s de g a l e r i e s avec p u i t s p r o f o n d s , r a m e a u x s o u t e r r a i n s et r a m i f i c a t i o n s l o n g u e s , p a r a i t -
il, de p l u s i e u r s k i l o m è t r e s dont l ' e x p l o r a t i o n n'est p a s t e r m i n é e ? ( C o m m u n i q u é p a r M. R i t t e r , à P a u . ) — Enfin
e s t - o n d e s c e n d u d a n s l e s clots du p l a t e a u à'Ahusquy, e n t r e S a i n t - J e a n - P i e d - d e - P o r t et M a u l é o n ? E t s'est-on a s s u r é
s'ils c o m m u n i q u e n t , c o m m e o n l e p r é t e n d , avec l e s s o u r c e s de la B i d o u z e ?
« Qui sait toutes les sinuosités et les sauts que fait l'eau dans son cours ténébreux ? »'
Depuis vingt a n s , l'éminent géographe F . Schrader travaille à découvrir les Pyrénées
que l'on ne connaissait pour ainsi dire pas avant lui. Quand il en aura terminé la topo-
graphie et révélé la superficie, il est à peu p r è s sûr qu'une œuvre analogue à la sienne
devra être continuée dans les P y r é n é e s souterraines, qui cachent encore maints secrets !
1. Lettres de Dufour à Palassou sur les Monts Maudits, p . 3 0 3 et 316 d u Voyage souterrain à Maëstricht,
de BORY D E SAINT-VINCENT, Paris, 1 8 2 1 , in-8°. — V. E . R e c l u s , Géographie, t. I I , p . 1 1 3 . — E . TRUTAT, Les
Pyrénées, Paris, J . - B . Baillière, in-12, 1893. — CARTAILHAC (E.), Indications bibliographiques p o u r l'histoire d e s
p r e m i è r e s p o p u l a t i o n s et p o u r l a g é o l o g i e et l a p a l é o n t o l o g i e q u a t e r n a i r e s d e s P y r é n é e s , T o u l o u r e , P r i v â t , 1 8 9 2 .
L e s e a u x d e fonte d u g l a c i e r d e la M a l a d e t t a ( s é p a r é de c e l u i du N é t h o u p a r u n e arête r o c h e u s e ) , s e p e r d e n t
é g a l e m e n t d a n s l e gouffre de la Rencluse, m a i s e l l e s r e s s o r t e n t s u r l e v e r s a n t s u d , p a r u n e s o u r c e affluent d e
l ' E s s e r r a , e l l e - m ê m e t r i b u t a i r e d e l ' È b r e ( C o m m u n i q u é p a r M. E . T r u t a t ) . L a carte d e s P y r é n é e s C e n t r a l e s d e
e
S c h r a d e r au 1 0 0 , 0 0 0 , i n d i q u e a u s s i (feuille 2) u n gouffre, à l ' e x t r é m i t é (2465 m.) d u g l a c i e r n o r d d u P i c d e s
P o s e t s (3,367 m . ) .
G r o t t e s de B e l g i q u e .
La Belgique a, depuis longtemps, fixé l'attention des géologues, par ses grottes, ses
eaux souterraines et ses gouffres d'absorption, dits aiguigeois, chautoirs, entonnoirs.
Photographie De Launay.
A " " C
CARRIERE A ROCHEFORT.
COUPE DE LA PERTE DE LA LHOMME.
et POR. Ces dernières favorisent la production des éboulements et des vides tels que
MNST. En effet, il suffit d'imaginer, entre elles et les joints, l'arrivée d'un courant d'eau,
pour avoir la figure de la perte de la Lhomme à Rochefort, etc.
Cette perte de la Lhomme, située à 3 ou 4oo mètres de la carrière précédente, présente
j u s t e m e n t la coupe ci-dessus, où l'on voit immé-
diatement l'influence combinée des joints de stra-
tification AB et des diaclases MN. A l'intérieur,
m
on se trouve devant des strates entières de o ,8o
à 1 mètre d'épaisseur, isolées comme une cloi-
son entre deux vides et, lorsqu'on examine une
face de strate formant paroi comme AB, on voit
intervenir un troisième plan de diaclase verticale,
sous forme de galeries CD, EFGH, résultant d'un
simple élargissement. Ici, ces galeries à section G R O T T E DE LA L H O M M E .
rectangulaire ne sont pénétrables que s u r une Croquis De Launay.
centaine de mètres de long, à cause des éboule-
ments qui ont intercepté le cours de la rivière*. Lorsqu'elles le sont s u r un espace plus
considérable, on a de belles salles comme celles de Han-sur-Lesse.
1. Hydrographie souterraine des terrains calcaires, Bullet. Soc. belge de géologie, t. I V , p . 201-206,
26 j u i l l e t 1 8 9 0 .
2. Q u i m'a fourni t o u t e s l e s d é s i g n a t i o n s g é o l o g i q u e s de ce c h a p i t r e et qui en a d r e s s é l e s d o u z e c o u p e s
t h é o r i q u e s , dont l e s c l i c h é s m'ont é t é c o m m u n i q u é s p a r la S o c i é t é g é o l o g i q u e de F r a n c e .
3. C o m m e d a n s l e M i n e r v o i s , l'Hérault (p. 235), et la M o r a v i e ( p . 154).
4. O n r e t r o u v e ce c o u r a n t d a n s l ' i n t é r i e u r de la g r o t t e de R o c h e f o r t , si c u r i e u s e m e n t a m é n a g é e p a r M. C o l -
l i g n o n et r e m a r q u a b l e p a r sa g r a n d e s a l l e du S a b b a t (V. C a m i l l e L e m o n n i e r , La Belgique et Tour du Monde,
1885, I, p . 376). M a l h e u r e u s e m e n t , la p e r t e d e L h o m m e a p p a r t i e n t à un autre p r o p r i é t a i r e , et o n n'a p a s fait le
travail de d é s o b s t r u c t i o n , qui p e r m e t t r a i t de s o r t i r o u d'entrer p a r l à .
Toute la vallée de la Lhomme, de Jemelle à Han, montre un affleurement de calcaire
1
g i v é t i e n en forme de W - A l'est, ce givétien (G) repose sur des schistes Eiféliens (E) ;
à l'ouest il est recouvert par d'autres schistes représentant le Frasnien (F). Gette
bande de calcaire, fortement plissée et disloquée par le ridement antétriasique du
Hainaut, a été entamée en un g r a n d nombre de points par les cours d'eau. Voici la coupe
générale N.-E.-S.-O. de la région, entre Rochefort et Han-sur-L.esse.
De Jemelle à Rochefort, la Lhomme suit ainsi le flanc d'une colline dirigée
TROU DE BELVAUX,
Photographie De Launay.
lèlement aux strates, inclinées là à 45° vers le sud-ouest, sous une g r a n d e arche formée
par le décollement de quelques pans de calcaire et, subitement coudée à angle droit,
pénétrer dans la montagne par un tunnel rectangulaire (diaclase) ouvert dans une strate
perpendiculaire à sa direction.
Dans la grotte, nous trouvons la combinaison constante des deux types principaux
de galeries en direction (strates) et en travers (diaclases), les u n e s et les autres à peu près
horizontales, par suite de l e u r creusement par un cours d'eau, avec formation des salles
(comme à Padirac) aux coudes. D'une manière générale, les galeries en direction auront
l'une des sections suivantes : soit A, lorsqu'elles sont de g r a n d e s dimensions, comme la
salle du Trophée, soit B, lorsqu'elles sont plus petites (v. fig. p. 43o).
t . D é v e l o p p e m e n t total e n v i r o n 5 , 0 0 0 m è t r e s , V . V a n d e r h e c h t et P o c h e t , Guide à la grotte de Han, avec g r a -
v u r e s et u n b o n p l a n , i n - 1 2 , 1 8 7 6 . — A l l e w e i r e l d t , La Grotte de Han, in-4°, B r u x e l l e s , 1 8 3 0 , avec p l a n c h e s et
p l a n , i n d i q u e 3 , 2 0 0 m è t r e s s e u l e m e n t a l o r s c o n n u s . — K i c k x et Q u é t e l e t , Grotte de Han ( v o y a g e d'août 1 8 2 2 ) ,
B r u x e l l e s , 1 8 2 3 , i n - 8 ° , 4 p l . et p l a n . —- G. T i s s a n d i e r , La Nature, 14 a o û t , 1 8 8 0 , p . 163.
Une galerie perpendiculaire à la direction aura au contraire une section rectangu-
laire, analogue à celles que nous avons vues à Padirac, soit en haut couloir (gale-
rie Lannoy), soit en tunnel (entrée et sortie de la Lesse). Les galeries étroites et hautes
en diaclases, viennent souvent buter, au bout d'un assez court trajet, contre une face
de strate inattaquée, barrant la galerie comme un mur. On y arrive par une galerie
en direction , on en sort par une autre. La combinaison des deux systèmes peut
nord.
Il serait sans intérêt de multiplier les exemples. Nous r e m a r q u e r o n s seulement, pour
terminer, que les calcaires plissés et inclinés comme ceux de Han, ayant une très g r a n d e
variété de directions de strates et de pendages, p e u v e n t présenter aussi une plus g r a n d e
diversité dans la forme des vides que les calcaires horizontaux. Mais ce sont toujours les
1
cassures primitives du sol qui ont dirigé le travail ultérieur des e a u x .
t . N o u s a v o n s dit (p. 19) q u e l e m a u v a i s m o d e d'éclairage de la g r o t t e d e H a n avait e n f u m é la p l u p a r t d e s
c o n c r é t i o n s . D ' a i l l e u r s , c'est m o i n s p o u r la b e a u t é de s e s s t a l a c t i t e s que p o u r l ' i m m e n s i t é de sa g r a n d e s a l l e et
le m e r v e i l l e u x effet d e l u m i è r e de la s o r t i e , que la g r o t t e de Han e s t d i g n e d ' a d m i r a t i o n .
U n fait p r e s q u e c o n t e m p o r a i n y a c q u i e r t u n e i m p o r t a n c e p a r t i c u l i è r e , c'est l e t r e m b l e m e n t de t e r r e du
23 février 1 8 2 8 , q u i a p r o v o q u é l'effondrement d'une p a r t i e de la v o û t e du D ô m e ( l o n g . 154 m . , l a r g . 136 m . ) .
Il e s t d o n c certain que c e t t e s o r t e de p e r t u r b a t i o n t e r r e s t r e j o u e un r ô l e dans l ' a g r a n d i s s e m e n t d e s c a v e r n e s .
A u p a r a v a n t , Q u é t e l e t avait r e m a r q u é ( a o û t 1822) au s o m m e t d e la p y r a m i d e d e d é b r i s (talus d ' é b o u l i s ) qui e x i s -
tait déjà, u n e q u a n t i t é de t e r r e a u qui ne p o u v a i t « ê t r e t o m b é de la v o û t e que p a r u n e fente t r è s v o i s i n e de la
surface de la m o n t a g n e ». M a i s il ne v i t a u c u n e d e s r a c i n e s q u e c e r t a i n e s p e r s o n n e s avaient p r é t e n d u a p e r -
c e v o i r p e n d a n t e s à cette v o û t e .
L ' e a u d e la L e s s e , n o u s l ' a v o n s dit, s'est l a i s s é e e n t r e v o i r en p l u s i e u r s p o i n t s (plus o u m o i n s é t e n d u s ) d a n s
l'intérieur de la c a v e r n e (le S t y x , l e C o c y t e , l e s Gouffres) : m a i s o n n'a p a s p u la s u i v r e c o m m e B r a m a b i a u o u l e s
r i v i è r e s a u t r i c h i e n n e s s o u t e r r a i n e s , c a r e l l e s'est t r o p p r o f o n d é m e n t e n f o n c é e dans le s o l . V a i n e m e n t le c o m t e de
e r
B o r s b e e k s ' e s t - i l , au trou de B e l v a u x , r i s q u é en r a d e a u le 1 s e p t e m b r e 1818 ; il ne p u t d é c o u v r i r aucun p a s s a g e
Jl n'est pas indifférent de noter que, la perte de Belvaux étant à 170 m è t r e s
d'altitude et la sortie à 155 environ, la colline qui surmonte la grotte atteint 235 à
e
285 mètres seulement (planchettes au 20,000 de la carte belge, feuille LIX, Han-sur-
Lesse). Il est probable qu'un j o u r , l'érosion continue de la Lesse (ou un tremblement de
terre) achèvera la ruine du grand Dôme (dont la clef est si peu éloignée de la surface),
le transformera en un aven d'affaissement et dotera Han-sur-Lesse d'un grandiose gouffre
comme Padirac.
D'autres grottes s'ouvrent aux environs (à Auffe, à Eprave, etc).
Il serait curieux de b a r r e r les trous de Belvaux, d'Enfaule et au Salpêtre, de r e n d r e
la Lesse à son ancien lit contournant la colline, et de tâcher de p é n é t r e r ainsi dans les
canaux encore inconnus, et alors désamorcés, où s'écoule la Lesse souterraine.
Non loin de Spa, vers la vallée de l'Amblôve, plusieurs ruisseaux disparaissent dans
des crevasses ou entonnoirs. La principale de ces pertes est celle à?Adseux. On sup-
pose que les eaux qui s'y engouffrent se retrouvent, à une h e u r e de là, dans le ruisseau
souterrain (Rubicon), qui traverse la grotte de Remouchamps, très curieux trop-plein de
1
rivière interne, cependant moins belle et surtout moins étendue que le trou de H a n .
Les couches de terrain de la région p r é s e n t e n t des plissements et r e d r e s s e m e n t s aussi
amples que ceux des vallées de la Lhomme et de la Lesse. La grotte ne s'ouvre qu'à
16 mètres au-dessus du niveau de l'Amblève.
GALERIE EN DIACLASE.
(Padirae.)
CHAPITRE XXVII
Le Karst.
P h é n o m è n e s du K a r s t . —• L i m i t e s i n c e r t a i n e s . — A n c i e n n e s e x p l o r a t i o n s . — S c h m i d l , le c r é a t e u r d e la s p é l œ o -
l o g i e . — I n o n d a t i o n d e s K e s s e l - T h à l e r . — T r a v a u x de M M . K r a u s et P u t i c k . — C o u r s s o u t e r r a i n de la
P i u k a : g r o t t e s d ' A d e l s b e r g , P i u k a - J a m a , K l e i n h a û s e l , e t c . — R é c e n t e s d é c o u v e r t e s . — Ma m i s s i o n d a n s l e
Karst. — Action des eaux superficielles et s o u t e r r a i n e s ; d o l i n e s et c a v e r n e s ; c r e u s e m e n t , d é c o l l e m e n t ,
effondrement. — L e s j a m a s o u a v e n s . — L e s s i p h o n s . —- I n t e r m i t t e n c e et é m i s s a i r e s du l a c de Z i r k n i t z . —
T r a v a u x de r é g u l a r i s a t i o n . — L e s p l u s p r o f o n d s a b î m e s c o n n u s . — M e r v e i l l e s d e s d e u x S a i n t - C a n z i a n . —
P r o b l è m e s de la R e c c a et du T i m a v o . — A la r e c h e r c h e d e l'eau p o t a b l e . — L a K a c n a - J a m a . — L e t r o p -
p l e i n de T r e b i c . — C i r c u l a t i o n d e s e a u x s o u t e r r a i n e s . —• F o i b a de P i s i n o . — L e s P o l j e et l e s s o u r c e s d e
D a l m a t i e , B o s n i e , H e r z é g o v i n e . — L é g e n d e de la B u n a . — S o u r c e s f r o i d e s . —• H y d r o l o g i e s o u t e r r a i n e du
M o n t é n é g r o . — L a Rjéka, V a u c l u s e p e n e t r a b l e . — E x p l o r a t i o n s i n a c h e v é e s .
Le Karst (Kras en Croatie, Gabrek en slave, Carso en italien) dont le nom dérive,
dit-on, d'un mot celtique signifiant pays des pierres, a, depuis deux siècles, singulière-
ment occupé et intrigué les géographes et les géologues.
Localement, la dénomination de Karst paraît être limitée à cette portion de l'empire
autrichien qui comprend, entre Trieste et Laibach, l'Istrie septentrionale et la Carniole
occidentale, depuis l'Adriatique jusqu'à la Save ; c'est le Karst propre, si aride par places
l
qu'on l'a surnommé l'Arabie Pétrée de l'Autriche .
Il se compose de plateaux calcaires crétacés, qui ont ouvert une solution de conti-
nuité entre les g r a n d e s Alpes au nord, et l'épine dorsale, l'ossature, de la péninsule
balkanique, au sud (Alpes Dinariques, Albanaises, etc.).
Mais la même formation géologique et la même apparence extérieure se poursuivent
au loin, dans la direction méridionale : la péninsule de l'Istrie (Karst istriote), le sud-ouest
et le littoral de la Croatie (Karst Ubumien), la Dalmatie; l'ouest de la Bosnie, l'Herzégo-
vine, le Monténégro, la Serbie (Kucaj) l'Albanie même, en un mot toutes les régions
côtières de l'Adriatique orientale, possèdent ces pertes et réapparitions de rivières (goules
2
et sources), ces grottes et ces gouffres (avens) , auxquels on a voulu donner le nom par-
1. P r i n c i p a l e m e n t e n t r e T r i e s t e et A d e l s b e r g ; car entre A d e l s b e r g et L a i b a c h , de m a g n i f i q u e s f o r ê t s de
s a p i n s c e n t e n a i r e s ( H a a s b e r g - W a l d , e t c . ) , s'étendent s u r de v a s t e s e s p a c e s .
2 . P a r s u i t e d e la d i s p a r i t é d e s l a n g u e s en ce c o i n p o l y g l o t t e de l ' E u r o p e , il r è g n e d a n s la l i t t é r a t u r e g é o -
g r a p h i q u e u n e t e l l e c o n f u s i o n , s u r la s i g n i f i c a t i o n p r o p r e d e s t e r m e s l o c a u x , e m p l o y é s p o u r d é s i g n e r c e s a c -
ticulier de phénomènes du Karst. Nous avons amplement constaté, dans les précédents
chapitres, que ces étranges accidents de géographie physique, qui étonnent le voyageur
comme le savant, ne sont nullement l'exclusif apanage desdites r é g i o n s .
Leur spécialisation au Karst ne serait donc pas justifiée : depuis ce que nous
avons appris du sous-sol des Gausses, le Karst n'est plus un « plateau unique en
Europe par son chaos de pierres, ses roches fendues et ses gouffres qui s'ouvrent de
toutes parts » ; s'il reste vrai de dire « qu'il n'est pas de contrées en Europe plus
remarquables par leur hydrographie souterraine », on ne peut plus affirmer que « la
France méridionale et le Jura n'ont pas dans les antres de leurs roches autant de lacs
et de gouffres, de puits dormants et d'eaux courantes » (E. Reclus, t. III, p . 218 et 22a).
Les phénomènes du Karst sont généraux comme phénomènes du calcaire ; que le cal-
caire soit dévonien (Moravie, Hérault), carbonifère (Kentucky), j u r a s s i q u e (Causses),
crétacé (Ardèche, Vaucluse, Autriche), etc., il possède, partout où il est fissuré, une
circulation d'eaux souterraines d'un caractère universel, régie par des lois communes.
Tout ce que peut revendiquer le Karst proprement dit, c'est, d'une part, d'avoir été le
premier sol, semble-t-il, où l'on ait sérieusement et scientifiquement étudié l'hydrologie
souterraine, et, d'autre part, d é p o s s é d e r des grottes et des rivières intérieures qui, pour
la beauté et la puissance, se placent au premier rang parmi leurs semblables.
Une description complète du sous-sol du Karst ne saurait trouver place ici : le
moment n'est pas venu d'élaborer une telle monographie ; ce sous-sol a, depuis dix ans,
révélé trop de nouveautés, il en reste encore trop à trouver, pour ne pas attendre les
résultats des subséquentes explorations (dans la Carniole, M. Kraus m'a cité plus de
3o rivières absorbées) ; au surplus la compilation des récents travaux seuls suffirait à
jaillit d'un trou dans une falaise verticale; on n'a pas pu en scruter l'intérieur. Cette
absorption d'eaux s u p é r i e u r e s , et cette réapparition inférieure p a r l e s fentes du sol, cons-
tituent un véritable phénomène du Karst, ou plutôt du calcaire, car personne ne prétendra
incorporer le Terglou dans le Karst. — Au sud, la limite est plus malaisée même à fixer,
puisque les katavothres du Péloponèse se présenteront à nous, sous la triple forme de
goules, d'avens et de grottes, avec des sources plus ou moins correspondantes.
Commençons par le Karst p r o p r e , par le triangle compris entre Laibach au nord,
Fiume au sud et Trieste à l'ouest. C'est là que les formations fissurées de la craie
démie des sciences de Vienne fit les frais du livre où Schmidl publia les résultats
i
obtenus : Die Grotten und Holilen von Adelsberg, Lueg, Planina und Laas .
Cet ouvrage doit être considéré comme le premier modèle du g e n r e , et son auteur,
comme le véritable organisateur de la spélaeologie ou étude raisonnée des cavernes :
assurément, certaines erreurs ou fausses déductions s'y rencontrent, mais inévitables eii
la matière il y a quarante ans, à une époque d'inexpérience presque absolue. L'exemple
donné par Schmidl, dans ses investigations et descriptions de cavernes, est a s s u r é m e n t
non moins remarquable, par sa hardiesse, sa nouveauté et son intérêt, que celui fourni
par de Saussure et les premiers alpinistes anglais de i855, montant à l'assaut des géants
pics glacés : mais les efforts de ceux-ci ont été couronnés de succès, et l'on sait avec
quelle extension Valpinisme s'est développé, dans ces cinquante dernières années, non
seulement pour l'agrément des touristes, mais encore au profit de la science elle-même,
depuis les études d'Agassiz sur les glaciers (i843), jusqu'à l'érection des deux observa-
toires météorologiques Vallot et Jansscn à la cime même du mont Blanc. Schmidl n'a
pas trouvé autant d'imitateurs que les Desor, F o r b e s , Dolfus-Ausset, Tyndall, Schla-
gintweit, Bonney, W h y m p e r , Freshfield, Coolidge, Duhamel, etc., bien que son œuvre ne
1. V o i r b i b l i o g r a p h i e d é t a i l l é e dans l e s o u v r a g e s de A . S c h m i d l , F . Miiller, W . P u t i c k , e t c . , c i t é s c i - a p r è s .
2. D a n s Ylllyrisches Blatt, 1 8 4 9 , n ° 2 8 , 2 9 , 3 0 , l e p r o f e s s e u r V o i g t a p r o p o s é d'utiliser l e s g r o t t e s du K a r s t ,
p o u r y faire p a s s e r u n c h e m i n de fer s o u t e r r a i n de L a i b a c h à T r i e s t e !
3 . V . Sitzungsbericht der Akademie der Wissenscliaften ( A c a d é m i e d e s S c i e n c e s de V i e n n e ) , d é c e m b r e 1850.
U l t é r i e u r e m e n t il effectua e n c o r e d'autres r e c h e r c h e s d a n s le K a r s t , en M o r a v i e , en H o n g r i e , e t c .
4. U n v o l . i n - 8 ° de 316 p a g e s , avec atlas i n - f o l i o , de 15 p l a n c h e s , V i e n n e , B r a u m ù l l e r 1 8 5 4 . — V . a u s s i du
m ê m e auteur, Wegweiser (Guide) in die Adelsberger-Grotte, e t c . , i n - 1 6 avec t r o i s l i t h o g r a p h i e s , 1853, V i e n n e .
fût pas moins digne d'attention : je n ' e n t e n d s point faire un parallèle entre les Alpes et les
cavernes, entre les glaciers et les eaux s o u t e r r a i n e s ; il me semble seulement que les
deux sujets appartiennent également à l'étude générale de la nature, et que le second a
été jusqu'ici trop négligé. C'est ce qu'a bien démontré Schmidl, et je tiens à déclarer que
j ' a i simplement voulu suivre et propager son exemple, en exécutant, depuis six ans, les
recherches dont je viens de r e n d r e compte. Grâce aux p r o g r è s industriels contemporains,
ce g e n r e d'investigations est devenu plus facile et surtout plus extensible : mais à
Schmidl revient l'honneur, et doit être attribué le mérite d'avoir réellement fondé la
spélaeologie', à laquelle je voudrais donner l'impulsion finale.
Si le « noir inconnu » a empêché les simples touristes, qui ne redoutent cependant pas
les avalanches, de s'engager universellement après Schmidl dans l'humidité, l'obscurité,
les chaos et les labyrinthes des cavernes, il est cependant des c h e r c h e u r s curieux qui
ont apprécié comme lui l'importance du sujet : nous énoncerons ici même q u e l q u e s - u n s
des travaux de MM. Stache, Lorenz, Fruwirth, Kraus, Putick, M. Kriz, Tietze, Hanke,
Marinitsch, Mùller, Kouritska, Siegmeth, Fischer, Kolbenheyer, etc., en Autriche et en
Hongrie. Ceux du célèbre géologue Hochstetter ont eu surtout pour objets la paléonto-
logie et la préhistoire, et ceux de Hauer la géologie.
Mais il nous faut arrêter ici ces prolégomènes et renvoyer, pour l'historique et la
bibliographie antérieure à i853, au livre même de Schmidl, que nous ne saurions analyser
2
en entier. — M. Kraus en prépare un autre sur ses continuateurs .
Parmi toutes les rivières souterraines du Karst, il en est deux particulièrement
célèbres et importantes, à l'examen desquelles nous nous b o r n e r o n s , la Laibach au nord
et la Recca au sud. Elles nous montreront les plus grandioses phénomènes du Karst.
La ville de Laibach, capitale de la Carniole, est située entre la rive droite de la Save
1. Il a c o m m e n c é à r é a l i s e r la p r o p h é t i e s u i v a n t e d'un i l l u s t r e a c a d é m i c i e n français :
« C'est là qu'il y a e n c o r e une p l a c e p o u r un n o u v e a u C h r i s t o p h e C o l o m b ; c'est là qu'il r e s t e à e n t r e p r e n d r e
un v o y a g e de d é c o u v e r t e s , dans l e q u e l on r e c o n n a î t r a i t d e s l a c s , d e s fleuves p a r f a i t e m e n t i g n o r é s , d e s î l e s s u r
l e s q u e l l e s le p l u s savant d e s g é o g r a p h e s n'a p a s la m o i n d r e n o t i o n , d e s a n i m a u x q u e nul n a t u r a l i s t e n'a e n c o r e
d é c r i t s , d e s etTets de t e m p é r a t u r e dont il n'a été r e n d u c o m p t e à a u c u n e A c a d é m i e , et d e s r é g i o n s m e r v e i l l e u s e s
qui ne p e u v e n t être h a b i t é e s q u e p a r d e s f é e s . » (X. M a r m i e r , Voy. en Allemagne, p a r t i e m é r i d . , p . 247.)
2. Il s e r a i t injuste de ne p a s r a p p e l e r , au m o i n s s o m m a i r e m e n t , l e s efforts qu'a faits M. K r a u s p o u r p r o -
p a g e r d a n s le K a r s t l e s é t u d e s s o u t e r r a i n e s , et p o u r a s s u r e r la c o n t i n u a t i o n de l ' œ u v r e de S c h m i d l . — F r a p p é
en 1878 de l'intérêt et de l ' u r g e n c e qu'il y avait à s a u v e r d e s i n o n d a t i o n s p é r i o d i q u e s qui l e s r a v a g e n t , c e r -
taines v a l l é e s f e r m é e s (Kessel-thàler), o ù l e s e a u x d e s g r a n d e s p l u i e s ne t r o u v e n t q u e d'insuffisants débouchés
en d ' é t r o i t e s c a v e r n e s , il se donna la tâche de m e t t r e à e x é c u t i o n l e s i d é e s é m i s e s trente ans p l u s tôt p a r le
curé U r b a s (v. p . 435). — E n 1879, il fondait à V i e n n e l e Verein fur H'ohlenhunde (Club de la s p é l a ; o l o g i e ) , qui
devint en 1881 la Section fur H'ohlenkunde des œsterreichischen Touristen Clubs (du C l u b d e s t o u r i s t e s autri-
c h i e n s ) , et en 1888 la Section fur Naturkunde du m ê m e C l u b . C e t t e a s s o c i a t i o n a p u b l i é d e s Mittheilungen
( c o m m u n i c a t i o n s ) p é r i o d i q u e s , a u x q u e l l e s n o u s f e r o n s de n o m b r e u x e m p r u n t s . E l l e forma d a n s s o n s e i n un
Karst-Comité, qui de 1881 à 1 8 8 7 , et t o u j o u r s à l'active i n s t i g a t i o n de M. K r a u s , r é u s s i t à i n t é r e s s e r aux p r o j e t s
de d e s s è c h e m e n t d e s K e s s e l - t h à l e r (par l'étude d e s c a v e r n e s ) , la C o m p a g n i e d e s c h e m i n s de fer du S u d de l'Au-
triche et l e s m i n i s t è r e s de l ' i n t é r i e u r et de l ' a g r i c u l t u r e . T o u t e cette propagagande aboutit aux travaux
officiels de M. P u t i c k qui, a u x frais du g o u v e r n e m e n t , a e x p l o r é de 1886 à 1889 p l u s de cent c a v i t é s g r a n d e s
o u p e t i t e s ( g r o t t e s , a b î m e s et s o u r c e s ) , e x é c u t é q u e l q u e s s a l u t a i r e s t r a v a u x p r a t i q u e s et d r e s s é l e p r o g r a m m e
de b e a u c o u p d'autres. U n s e c o n d i n g é n i e u r , M. H r a s k y , a a c c o m p l i é g a l e m e n t d'utiles r e c h e r c h e s . L ' i m p u l s i o n
s'est é t e n d u e à t o u t l ' e m p i r e , si b i e n qu'à la fin de 1 8 9 2 , M. K r a u s avait c o n n a i s s a n c e , p o u r l ' A u t r i c h e - H o n g r i e
s e u l e , d e 659 c a v i t é s n a t u r e l l e s , o b j e t s d e d e s c r i p t i o n s o u d'articles p l u s o u m o i n s d é t a i l l é s (150 en C a r n i o l e
et I s t r i e , 160 en A u t r i c h e , 103 en T r a n s y l v a n i e , 72 en S t y r i e , 66 en H o n g r i e , 35 en M o r a v i e , etc.).
A j o u t o n s enfin que l e s C l u b s h o n g r o i s et t r a n s y l v a i n des Carpathes publient fréquemment des mémoires
s u r l e s c a v e r n e s d e H o n g r i e , et qu'à T r i e s t e , il s'est fondé d e u x c o m i t é s p o u r l ' e x p l o r a t i o n s o u t e r r a i n e du K a r s t ,
l'un en 1 8 8 3 dans la s e c t i o n K û s t e n l a n d du C l u b alpin a l l e m a n d a u t r i c h i e n , l'autre en 1 8 8 4 au s e i n d e l à S o c i é t é
d e s A l p e s J u l i e n n e s (délie Giulie). N o u s ferons p l u s d'une fois appel à l e u r s p u b l i c a t i o n s .
et une grande plaine marécageuse (Laibacher Moor), à l'extrémité sud-ouest de laquelle
à 1 8 - 2 0 kilomètres de la ville, plusieurs sources, impénétrables à l'homme (Bistra,
Lebia, Ober-Laibach, etc), forment, par 2 9 0 à 3oo mètres environ d ' a l t i t u d e , la tor- 1
tueuse et courte Laibach, affluent de la Save ; les caprices de ces sources imposent au
2
Laibacher Moor un désastreux régime d'inondations f r é q u e n t e s , s u b o r d o n n é à celui des
pluies qui tombent sur le K a r s t ; car, immédiatement en arrière et au-dessus des i r r é -
gulières fontaines, le plateau (semblable à un causse) dresse à 8 0 0 mètres d'altitude
sa muraille, qui paraît soutenir la table de pierre étendue jusqu'à Trieste ; table fort
3
inégale où le Nanos s'élève à 1,315 met., le Javornik à 1 , 2 7 0 met., et le Slivnica à
1,115 met., tandis que la Recca y a creuse son-lit aérien jusqu'à moins de 3oo m è t r e s , et
que l'autre muraille du soi-disant plateau ne domine plus Trieste et l'Adriatique que de
3oo à 4 ° ° mètres.
L e s sources de la Laibach sont simplement, comme l'Ouysse et la Touvre en F r a n c e ,
par exemple, la réapparition d'eaux engouffrées en amont dans des cavernes ou fissures
du sol. P o u r le faire comprendre, il nous faut franchir, par la pensée, une partie du Karst
et nous arrêter, à 33 kilomètres et demi au sud des sources qui nous occupent, au bord
1
de celle de la Piuka . Là, à 2 kilomètres et demi au sud-est de la gare de Saint-Peter
(bifurcation Trieste-Fiume-Vienne), un ruisseau naît paresseusement, hors de prairies
humides et grasses, encaissées dans un bas-fond plat à 5 4 g m è t r e s d'altitude ; ce bas-fond
est le commencement de la plaine à'Adelsbevg (Adler's Berg, mont de l'Aigle, en slovène
Postojna), bassin fermé de toutes parts par des h a u t e u r s , qui auraient forcé les eaux à
s'accumuler en lac, sans la grotte que nous allons décrire : ces sortes de vallées closes,
privées d'écoulement aérien, sont une des caractéristiques du Karst, où on les n o m m e des
« Kessel-Thàler », des « vallées-chaudrons ». Nous avons vu (p. 4 7) que la Provence 1
en possède de semblables, et que le bassin des sources de la Claysse (p. 133) a pu être
jadis quelque chose d'analogue.
La pente de la Piuka est ici tellement faible, qu'il lui faut 2 4 kilomètres de capricieux
méandres ( 13,5 à vol d'oiseau), pour atteindre (après avoir reçu à gauche la Nanosca,
5 n 6
descendue du N a n o s ) l'entrée de la grotte d'Adelsberg, par 5i i' ,5 d'altitude ; la décli-
m
vité du courant n'est donc que de i , 5 8 par kilomètre (ou o,i58 0/0). P o u r les 2 0 kilo-
mètres qui n o u s séparent des sources de la Laibach (que la Piuka contribue à alimenter,
v. ci-dessous), la descente au contraire va être de 2 1 0 mètres environ, soit 10,5o 0/0 :
e
1 . L a p l u s h a u t e de c e s s o u r c e s e s t , d'après la carte d e l ' é t a t - m a j o r a u t r i c h i e n au 7 5 , 0 0 0 , à 296 m è t r e s
a u - d e s s u s d u n i v e a u d e la m e r .
2 . V . Die Ursachen der Morast-Ueber scluvemmungen, L a i b a c h , 1 8 8 9 . D e s t e n t a t i v e s de d e s s è c h e m e n t ont été
c o m m e n c é e s d è s 1 5 5 4 . D e p u i s 1 7 6 2 , e l l e s ont é t é r e p r i s e s et a s s i d û m e n t c o n t i n u é e s ( W . U r b a s , Die Gewâsser
von Krain, Zeitschrift C l u b a i l . - a u l r . , 1877, p . 153). U n r é c e n t p r o j e t de l ' i n g é n i e u r P o d h a y s k i (coût, 5 m i l l i o n s
de f r a n c s ) e s t a c t u e l l e m e n t à l'étude
3 . V o i c i d'après W . U r b a s et R e c l u s (t. III, p . 216) la p r o n o n c i a t i o n , en s l o v è n e , d e s l e t t r e s s u i v a n t e s :
c = t s ; c, tch ; è, tj ; j , i ; s, ch ; u, o u ; v, u ; z , j ; lj, 11; n j , g n . Je ne g a r a n t i s l ' o r t h o g r a p h e d'aucun d e s
n o m s g é o g r a p h i q u e s c i t é s en ce c h a p i t r e ; elle e s t en g é n é r a l m a l fixée.
4. P r o n o n c i a t i o n d u m o t s l o v è n e Pivka; o n dit l a Poik en a l l e m a n d .
5. A u x p i e d s du N a n o s , entre A d e l s b e r g et D i v a c a , s e t r o u v e n t l e s g r o t t e s et a b î m e s d e Lueg (V. Reclus,
la Terre, t. ï , p . 358), de N u s s d o r f ( S c h m i d l , p . 2 9 8 ) , P r à w a l d , S e n o s e t s c h , e t c . , q u e j e p r e n d s à p e i n e le
t e m p s de n o m m e r . S c h m i d l (p. 3 0 et 114 de s o n l i v r e ) a m i n u t i e u s e m e n t d é c r i t la c u r i e u s e c a v e r n e à p l u s i e u r s
é t a g e s de L u e g (1,080 met. de r a m i f i c a t i o n s ) , g o u l e de la L o k w a , qui r e p a r a î t , c r o i t - o n , à 13 k i l o m è t r e s o u e s t ,
a u x s o u r c e s d e la W i p p a c h , a p r è s avoir p a s s é s o u s l e m a s s i f e n t i e r du N a n o s .
e
6. D ' a p r è s le p l a n g é o d é s i q u e de S c h m i d ( 1 8 9 1 , v . c i - a p r è s ) ; 501 m è t r e s d ' a p r è s la carte au 7 5 , 0 0 0 ; m e s
o b s e r v a t i o n s b a r o m é t r i q u e s m'ont d o n n é u n e m o y e n n e de 5 1 1 ,
c'est q u e le voyage des eaux jusque-là. sera désormais en grande partie souterrain.
En effet, à i. kilomètre au nord-ouest du b o u r g d ' A d e l s b e r g , la Piuka h e u r t e une bar-
rière de .calcaire crétacé, dont les strates sont inclinées à 45° sur l'horizon vers le n o r d -
ouest : quelques-unes de ces strates ont été emportées par l'eau, grâce à un c r o i s e m e n t
de joints et de petites diaclases, et alors, exactement comme la Lesse au trou de Belvaux
et comme le Bonheur au tunnel de Camprieu, la Piuka tout entière, aux dépens des fis-
sures du sol agrandies, s'est engloutie sous t e r r e , dans cette incomparable cavité qui est
Yillustre grotte d'Adelsberg, peut-être la plus belle du m o n d e . — Suivons la rivière : non
pas au fil de l'eau, car l'oblique fissure se rétrécit rapidement, et ne laisse passer ni un
1 2
bateau, ni un homme ; mais à main droite, 18 mètres plus h a u t , par un porche à double
couloir qui, commodément aménagé en « entrée de la grotte » (Grotten-Eingang), est
Phot. Schà'ber.
l'une des quatre ou cinq anciennes pertes de la rivière : car celle-ci, nous ne t a r d e r o n s
pas à l'établir, a, de plus en plus, approfondi et déplacé vers la gauche son point d'en-
gouffrement.
Une galerie coudée, deux arcades naturelles et une vaste salle (le Grand Dôme), haute
de 33 mètres, nous font retrouver sous terre le cours de la rivière perdue : elie a décrit
une S complète dans son tunnel d'arrivée a c t u e l . Le Grand Dôme est un carrefour où 3
l'on trouve, outre les deux entrées du public et du cours d'eau, trois galeries.
1. H a c q u c t c e p e n d a n t p r é t e n d avoir franchi ce p a s s a g e en 1774 aux e a u x t r è s b a s s e s ; S c h m i d l ne r e p r o d u i t
s o n récit qu'avec r é s e r v e ; à A d e l s b e r g a c t u e l l e m e n t o n ne c r o i t p a s q u e la t r a v e r s é e ait j a m a i s été p r a t i c a b l e .
m m
2. 5 2 9 , 8 s u r le s e u i l (petite entrée) d'après S c h m i d ; — 5 3 1 , 7 6 8 d'après la p l a q u e de n i v e l l e m e n t s c e l l é e
In m
d a n s le r o c h e r de la g r a n d e e n t r é e ; — le p o n t e s t à 5 2 3 , 9 0 , ) 2 , 4 a u - d e s s u s d e la r i v i è r e .
3. C e t t e d i s p o s i t i o n t r è s c o m p l e x e est fort b i e n e x p l i q u é e d a n s le l i v r e et l ' a t l a s de S c h m i d l qui d é c r i t , cela
v a s a n s d i r e , la g r o t t e d ' A d e l s b e r g d a n s le p l u s m i n u t i e u x et exact d é t a i l . N o s r e n v o i s à c e ! o u v r a g e s e r o n t sim,,
p l e m e n t i n d i q u é s par la lettre S , s u i v i e du n u m é r o de la p a g e .
La première (à gauche, la « Vieille Grotte ») fut longtemps la seule connue : ses
m u r s sont couverts d'inscriptions et de dates dont la plus ancienne remonte à
l'an i323 \
2
La seconde galerie (au fond) est celle où la Piuka p r o g r e s s e de nos j o u r s .
Sur le côté droit du Grand Dôme, l'entrée de la troisième galerie, celle de l'Empe-
r e u r - F e r d i n a n d , n'a été découverte qu'en 181.8, par l'ouvrier Lucas Tschetsch, à la suite
duquel la pénétration se poursuivit rapidement j u s q u ' a u Calvaire et au Tartarus. La
grotte de l'Archiduc-Jean, la plus orientale, a été trouvée en i832. L'année suivante
( 1833) le géomètre J. Fercher, dressa le premier plan des parties c o n n u e s . 3
MM. Putick ( 1885) et Schvnid (1891), ont reconnu que, dans le dessin de ce plan,
reproduit et complété par Schmidl, Fercher n'avait pas tenu compte de la déclinaison de
l'aiguille aimantée de la boussole (n°5o environ).
En i85o, Schmidl découvrit 070 mètres du cours souterrain de la Piuka. En 1806, d'a-
près ses indications, on perça un tunnel d'une quinzaine de met. de longueur, pour
rétablir une ancienne communication supprimée par un éboulement.
Ultérieurement on reconnut, près de l'entrée, à gauche de la Vieille-Grotte, un point
où une partie des eaux de la Piuka s'engage sous des éboulis, bouchant probablement
quelque galerie, qui reste encore inconnue : il serait intéressant de dégager l'accès de
cette bifurcation. — Enfin, après une longue période d'inactivité on fit, en 1889 seule-
ment, une trouvaille capitale : des paysans du village de Gross-Ottok (ou Otok), décou-
vrirent, à I,I45 mètres au nord-ouest de l'entrée de la grotte d'Adelsberg, u n e nouvelle
caverne qu'ils nommèrent grotte d'Ottok (altitude 531 met., Schmid) ; pourvue de con-
crétions admirables et intactes, elle conduisit, à 260 mètres seulement de l'entrée, dans
la direction du sud-est, sur une terrasse, formée par le sommet d'un colossal éboule-
ment en travers d'une g r a n d e salle (Belvédère) : de là, on entendit le g r o n d e m e n t d'un
torrent, au bord duquel on parvint, en descendant de 25 mètres (dont i5 à pic) le long
de l'éboulis ; le courant circulait dans une galerie dirigée du sud-est au nord-ouest, et
sur laquelle la grotte d'Ottok se trouvait comme latéralement greffée. C'était la Piuka
qu'on venait de rencontrer à nouveau sous t e r r e .
Or, dès i852, Schmidl et Rudolf l'avaient déjà retrouvée aussi, au fond d'un gouffre
de 65 mètres (Piuka-Jama, voir ci-après), à 2,400 mètres au nord de l'entrée de la
grotte d'Adelsberg et à 1,5oo mètres au nord-est de celle (alors ignorée) d'Ottok. La
découverte de 188g invitait donc tout naturellement à rechercher la communication de
la caverne d'Ottok avec celle d'Adelsberg, d'une part, et avec la Piuka-Jama, d'autre
part. C'est alors qu'à Adelsberg se forma YAiithron Verein (Club des antres), ayant
enfermé par le flux. Je connais peu d'endroits qui expliquent mieux la formation des
canaux des rivières souterraines. Schmidl l'avait attribuée à la destruction de cloisons
séparatives de grottes préexistantes, sous l'effort de la pression hydrostatique (S. i33 et
198) : il est plus exact de dire que la stratification et l'inclinaison du terrain oiit permis
à l'eau de débiter et de ronger peu à peu la roche, en profitant des fissures naturelles.
Le 16 septembre avec M. Kraigher (remplaçant M. Dietrich), cinq ouvriers et deux
bateaux (un Osgood et un en bois), nous nous livrons à des navigations plus ou moins
longues, coupées de quatre barrages (portages des deux bateaux), dans une large gale-
rie, où les strates continuent à figurer des dents de peigne (v. les coupes). A 800 mè-
tres environ de la grotte d'Ottok, nous sommes arrêtés dans un large bassin, siphon
fermé, encombré de bois et madriers flottés. Heureusement, W i l h e r et Sibenik trou-
vent sur la droite un passage, en gravissant un éboulement colossal qui descend peut-
x
être (effet d'un décollement latéral) de la doline superficielle appelé la Koselivka . Avec
mille peines et difficultés, qui me rappellent le delta de Salles-la-Source, on réussit à
transporter l'Osgood, pendant 220 mètres, entre les interstices p r e s q u e impraticables
d'un chaos, qui a évidemment barré l'ancien cours de la Piuka, et forcé celle-ci à se
naient à son profit des eaux superficielles plus abondantes que de nos jours.
D'autres branches latérales de la grotte d'Adelsberg ont ce même aspect d'affluents
aujourd'hui desséchés; l'immense éboulis du grandiose Calvarienberg (hauteur 4g m.),
semble ne pas être autre chose (longueur 2o3 m., largeur 195 m.,) d'après Schmidl,
(S. 85); et Bramabiau, phénomène actuel, nous a montré toutes ces dispositions d'avens
verticaux, d'affaissements de voûtes, de décollements latéraux et de drainage des grandes
pluies. Ce qu'on y voit encore a dû certainement se produire à Adelsberg, conformément
à l'universelle loi de l'utilisation des cassures du sol par les eaux d'infiltration.
La grotte d'Ottok aussi a été jadis une goule affluente, et son Calvaire, un joint de
drainage évidé. Il est bien curieux de remarquer quel bouleversement s'est produit, au
point de convergence de la grotte d'Ottok, du Tartarus et du nouveau cours de la Piuka.
En cherchant, vers le nord-ouest, cette voie que j'ai suivie le premier après elle, elle a
multiplié les éboulements (Jonction Kraigher, Belvédère d'Ottok, etc.). Elle paraît même
avoir contribué à faire une doline de véritable affaissement de la Stara apnenca, dépres-
sion que le plan précis de Schmid place entre le Tartarus et Ottok, et sous laquelle
est projeté le tunnel de 70 mètres (v. p. 4 4 et l e s coupes jointes à la planche p. 449)-
1
Photographie SchSber.
Là à 453 mètres d'altitude (58 met. plus bas que la goule d'Adelsberg), la Piuka revoit
le j o u r , grossie, majestueuse, au pied d'un escarpement de 7 0 à 8 0 m è t r e s , hors d'une
grandiose arcade (haut. 1 9 , long. 2 9 met. d'après Schmidl), plus belle peut-être que
celles du Lison dans le Jura, et de Réveillon dans le Lot. C'est la grotte de Kleinhausel,
une des merveilles du Karst L
Schmidl a raconté son exploration, extraordinairement hardie, de cette caverne qui,
m
1. D ' a p r è s M. P u t i c k ; S c h m i d l d o n n e (S. 140) : l a r g e u r 56 m è t r e s ; p r o f o n d e u r 1 3 , 6 0 , n i v e a u au-dessus
de l'entrée de la g r o t t e , 18 m è t r e s , s o i t 471 m. d'altit.
2. V a l v a s o r , qui a i n v e n t é l ' h i s t o i r e d e s c a n a r d s n u s et s a n s p l u m e s d e Z i r k n i t z (v. p . 154), c o n s i d è r e c o m m e
une fable la c o m m u n i c a t i o n e n t r e l e s g r o t t e s d ' A d e l s b e r g et de K l e i n h a ù s e l . —• N e p o u v a n t t r a n s p o r t e r de
l o u r d s b a t e a u x de b o i s p a r - d e s s u s l e s é b o u l i s d e b a r r a g e , S c h m i d l était o b l i g é d e l e s c o n s t r u i r e s u r p l a c e , a p r è s
en avoir a p p o r t é à d o s d ' h o m m e s l e s m a t é r i a u x s é p a r é s .
3. L a galerie l a t é r a l e , n o m m é e p o u r la b e a u t é d e s e s s t a l a c t i t e s l e Tropfstein Paradies ( S . 1 4 1 ) , n'a p a s
p e r m i s à S c h m i d l de c o n t o u r n e r ici le s i p h o n p o u r r e t r o u v e r la r i v i è r e en a m o n t . M a i s il a vu d'étroites c r e v a s s e s
l a t é r a l e s a s c e n d a n t e s , q u i l u i o n t p a r u , avec r a i s o n , s e r v i r « de canaux de d r a i n a g e a u x p l u i e s q u i s e r a s s e m b l e n t
dans la d o l i n e ; c e l a e x p l i q u e la p r é s e n c e d e l'argile q u i c o m b l e l e s c r e v a s s e s ». ( S . 141).
M. P u t i c k , q u i a refait c e l t e e x p l o r a t i o n (seize h e u r e s a l l e r et retour) en 1 8 8 7 , n'a p a s a p e r ç u d ' i s s u e n o n
p l u s . J e n'ai p a s c h e r c h é à r e n o u v e l e r cette inutile c o u r s e : la h a u t e u r d e s e a u x m'en eût d'ailleurs e m p ê c h é ; et
j e m e s u i s b o r n é à c o n s t a t e r , en allant à u n k i l o m è t r e d e l'entrée dans la H a i d i n g e r - G r o t t e ( p a r - d e l à l e grand
é b o u l i s o u Tràmmerberg d u G o l g o t h a ) , q u e l'eau a p r o c é d é i c i , c o m m e p a r t o u t , à l ' a g r a n d i s s e m e n t d e s fissures
du s o l ( S c h m i d l d i t , S. 1 5 1 , q u ' a u - d e s s u s du G o l g o t h a , il a v u u n e d o l i n e e x t é r i e u r e p r o f o n d e d e 6 m è t r e s , d é n o -
tant u n effondrement. L a figure c i - d e s s u s e x p l i q u e s u f f i s a m m e n t c o m m e n t le p e n d a g e d e s c o u c h e s doit faire
c r o i r e à u n d é c o l l e m e n t l a t é r a l ) . S e u l e m e n t , c o m m e la c r a i e e s t a s s e z t e n d r e , l e s f o r m e s s o n t é m o u s s é e s , a r -
r o n d i e s en u n c o l o s s a l tunnel q u i atteint d e 10 à 30 m è t r e s de l a r g e u r et 15 d e h a u t e u r .
encore que le bras ouest, c'est-à-dire pendant 3 kilomètres *, sans pouvoir en atteindre
l'extrémité. — En 1887 M. Putick a été 1 kilomètre plus loin, également sans arriver au
bout. — L'origine des deux courants a été l'objet d'une longue controverse. — Dès
1848 le curé A. Urbas donnait à entendre que le bras du sud provenait du lac de
Zirknitz, et celui de l'ouest d'Adelsberg. — Schmidl au contraire, avait placé dans le
bras sud la Piuka d'Adelsberg, et fait de la branche ouest le collecteur de drainage du
plateau de Kaltenfeld (S. i36, 148 et s.). En 1877, le professeur-W. Urbas (Gew'asser von
Krain) exprime la même opinion, et cherche même l'origine du bras ouest de Kleinhaùsel
dans l'absorption de la Lokwa à L u e g (v. p. 4 2 7 ) - Mais M. Putick en 1887 a constaté que
le courant du bras sud venait franchement de l'est, du lac de Zirknitz, et non du sud (v.
la carte, p. 456), et que Schmidl s'était trompé. Cette interprétation de M. Putick et du
curé Uirbas, ne fut pas acceptée par tout le m o n d e . C'est cependant la vraie, et j ' a i pu
la confirmer d'une façon certaine lors de ma visite à la grotte de Kleinhaùsel, grâce aux
circonstances météorologiques qui m'ont admirablement servi. J'avais d'ailleurs choisi
exprès pour mon étude le mois de septembre, afin d'examiner les grottes des environs
d'Adelsberg avant et après les pluies de l'équinoxe, c'est-à-dire dans les deux états de
sécheresse et de crues intérieures.
Le 16 septembre 1893, le lac de Zirknitz et ses émissaires étaient à sec, et un orage
éclatait le soir sur A d e l s b e r g , gonflant fortement la Piuka.
Le 18 septembre, nous procédâmes, MM. Putick, F. Mùller et moi, à une nouvelle
investigation partielle de la grotte de Kleinhaùsel, à l'aide d'un solide bateau en bois,
construit exprès par ordre du Ministère de l'Agriculture d'Autriche, et constatâmes que
l'eau, dans la branche ouest, était très grosse et montait à vue d'œil, tandis que la b r a n -
che sud était complètement à sec, ce qui ne s'était jamais vu.
Cela démontrait péremptoirement que l'appréciation de M. Putick était fondée, que
la Piuka et l'un des émissaires du lac de Zirknitz ont leur confluent sous t e r r e et que
l'opinion de Schmidl (reproduite par Elisée Reclus, La Terre, t. I, p . 362, et Géographie,
t. III, p . 273) n'était pas conforme à la réalité . 2
de 4 6 mètres.
Après le Grand Pont naturel (sur lequel
passe une route de voiture), le thalweg aérien
reprend, sur une l o n g u e u r de i5o à 200 m è -
tres environ, et se prolonge par une d e r -
nière grotte, sans nom spécial. M. Putick l'a
suivie pendant 36o m è t r e s , j u s q u ' à un siphon
fermé de toutes p a r t s , bassin circulaire
de 20 à 3o m è t r e s de diamètre, sous une
G R A N D P O N T N A T U R E L D E S A N C T K A N Z I A N IM W A L D . voûte haute de 8 à 10 mètres, là il ne se
Photographie Schàber.
trouvait qu'à i,5oo mètres à ,vol d'oiseau
2
du point où il s'est arrêté dans le bras sud de la grotte de K l e i n h a ù s e l , qui cor-
respond avec la grotte sans nom et forme avec elle le premier émissaire du lac de
Zirknitz (v. p . 4 5 4 ) -
1. D ' a b o r d en 1886
et 1 8 8 7 , il a é l a r g i p l u -
sieurs des sauglocher,
t r o u v é q u e l q u e s - u n e s de
leurs galeries d'écoule-
ment ( g r o t t e s D r e s c h b o -
TRAVAUX DE M. P U T I C K AUX KATAVOTHRES DE POD-STENAMI.
d e n , W i n k l e r , L i p p e r t et
Photographie Schsber. Lorenz - Liburnau ou
S k o f u - L o m ) et c o n s t r u i t
m ê m e d e u x p u i t s d ' a b s o r p t i o n ( p r o t é g é s par d e s g r i l l e s contre l ' e n g o r g e m e n t ) , qu'on n o m m e l e s k a t a v o t h r e s de
Pod-Slenami ( s o u s l e s m u r a i l l e s ) , et qui ont déjà atténué g r a n d e m e n t l e s d é s a s t r e u x effets d e s i n o n d a t i o n s . P l u -
s i e u r s a u t r e s s a u g l o c h e r d e v a i e n t ê t r e ainsi a m é n a g é s et a g r a n d i s , m a i s o n a s u s p e n d u l e s travaux, l e s h a b i t a n t s
du L a i b a c h e r - M o o r ayant p r é t e n d u q u e l e s i n o n d a t i o n s de l e u r s c a m p a g n e s é t a i e n t p l u s f r é q u e n t e s , d e p u i s l e s
m o d i f i c a t i o n s déjà faites. Q u e cette p l a i n t e s o i t f o n d é e o u non, il n'en s e r a p a s m o i n s n é c e s s a i r e d a c h e v e r
c o m p l è t e m e n t le d r a i n a g e et la r é g u l a r i s a t i o n d e s p l a i n e s m a r é c a g e u s e s d e L a i b a c h . V . W . P u t i c k , Die Kata-
o s
votrons in Kesselthal von Planina, W o c h e n s c h r i f l d e s cesterr. I n g é n i e u r u n d A r c h i t e k t e n V e r e i n e s , n 46 et 47,
1 8 8 9 , V i e n n e , i n - 4 ° , 8 p . 3 g r a v u r e s et p l a n c h e s , et Mittheil. geogr. Gesellsch. de V i e n n e , 1 8 8 7 , p . 2 7 7 , et 1 8 8 9 ,
p . 57 et s. — K r a u s , Morastûberschwemmung in October 1888, d a n s Laibacher Zeitung, 1889.
2. T o u t p r è s de P o d - S t e n a m i , u n e s c h a c h t , p r o f o n d e de 2 0 m è t r e s s e u l e m e n t , a c o n d u i t à la S k o f u - L o m ( L o r e n z
L i b u r n a u - I I ô h l e ) , qu'un tunnel artificiel l o n g de 12 m è t r e s a p e r m i s d e m e t t r e en c o m m u n i c a t i o n avec un s a u g -
l o c h d é b l a y é et rendu ainsi b e a u c o u p p l u s efficace. A 400 m è t r e s de P o d - S t e n a m i , la V r a n j a - J a m a o u g r o t t e
aux C o r b e a u x , e s t un i m m e n s e gouffre d e s p l u s p i t t o r e s q u e s , o ù la stratification, l e s é b o u l e m e n t s et l e s c h e m i -
n é e s p e r c é e s dans ce qui r e s t e de la v o û t e , p r o u v e n t qu'il y a eu tout à la fois affaissement, d é c o l l e m e n t et
c r e u s e m e n t ; on n'a p a s a c h e v é le travail de d é b l a i e m e n t qui aurait i n d u b i t a b l e m e n t p e r m i s de rejoindre l e
L i p p e r t - H ô h l e , m a i s M. P u t i c k a r e t r o u v é la c o m m u n i c a t i o n (déjà r e c o n n u e p a r U r b a s et Rudolf) avec u n e
ancienne g o u l e (la M a r z l a - J a m a , g r o t t e du F r o i d ) , p r e s q u e e n t i è r e m e n t o b s t r u é e , de l'Unz. C o m m e j e l'ai déjà
r e m a r q u é b i e n d e s fois, l e s r é t r é c i s s e m e n t s et la différence d e n i v e a u d e s o r i f i c e s p r o v o q u e n t d a n s cette s o r t e de
t u n n e l - s i p h o n , aujourd'hui v i d e d'eau, u n r e f r o i d i s s e m e n t m a r q u é . J'y ai o b s e r v é : A i r e x t é r i e u r 14° ; e n t r é e
s u d 7 ° , 8 ; e n t r é e n o r d (fond de la doline) 6 ° ; flaques d'eau 6°, le 19 s e p t e m b r e 1 8 9 3 . — L e fond de la V r a n j a -
Jama e s t à 17 m è t r e s a u - d e s s o u s de la v a l l é e de P l a n i n a .
A 4 k i l o m è t r e s S . - E . d e s t r o u s a b s o r b a n t s d e P o d - S t e n a m i , e t c . , d e u x a u t r e s l o n g u e s g r o t t e s ^Rinaldini et
Salzer) s o u t i r e n t l e s e a u x de crues par d i v e r s s a u g l o c h e r non d é b o u c h é s .
Enfin, e n t r e c e s deux g r o u p e s de g r o t t e s , un t r o i s i è m e a c h è v e de d o n n e r aux insuffisants d é g o r g e o i r s d e
la v a l l é e de Planina la d i s p o s i t i o n g é n é r a l e d'un d e l t a s o u t e r r a i n . C e t r o i s i è m e l o t d e s u ç o i r s d é p e n d ( p r è s d e
L a s e ) de la b e l l e F a l k e n h a y n - H ô h l e (V. P u t i c k , dans Mitth. der. Sect. Nat. Ku. OE. T. C, 1 8 8 9 , n° 7).
rechercher les réceptacles de l'Unz souterraine, comme avait vainement tenté de le faire
Urbas quarante ans plus tôt : malgré ses énergiques efforts, il n'a pas encore découvert les
galeries où circule le courant ; il n'a r e n c o n t r é que des grottes plus ou moins longues,
anciens bras servant aujourd'hui de trop-pleins aux crues, et qui, une fois aménagés,
peuvent rendre de g r a n d s services comme réservoirs et bassins de retenue. La plus im-
portante est la Falkenhayn-Hôhle, longue de 2 kilomètres, et fermée à chacune de ses
extrémités par deux siphons, où l'eau s'extravase lors des crues de l'Unz (sans doute à
travers les Sauglôcher de Lase) et disparaît quand la rivière b a i s s e ; la plus grande salle
(longue de 70 met., large de 4o, d'après la mesure que j ' e n ai prise au décamètre avec
M. Putick, le 19 septembre i8g3, et haute d'environ 35 met.) possède également deux bas-
sins d'eau, qui remplissent le même
office ; la quantité d'argile alluviale
entraînée dans cet immense t r o p -
plein, est fabuleuse. On accède à la
Falkenhayn-Hohle par un aven à deux
étages, profond de 70 m è t r e s envi-
1
r o n , pratiqué aux dépens de dia-
clases, obliques à la stratification na-
turelle du terrain;' même disposition
qu'à la Piuka-Jama, c'est-à-dire creu-
sement et décollement, sans affaisse-
d, ?ila^à^ TOUS OBOITS «FSEflCfS
1. U n e d e s e s s o u r c e s s e n o m m e la B i s t r i z a ( F e i s t r i t z ) , m o t s o u v e n t e m p l o y é d a n s le K a r s t p o u r d é s i g n e r
u n e r i v i è r e à c o u r s r a p i d e ( d ' a p r è s le prof. W . U r b a s ) .
2. Qu'il faut d i s t i n g u e r de Sanct Canzian im W a l d (v. p . 4 6 0 ) . Ce n o m e s t fréquent dans le K a r s t , de m ê m e
q u e celui de R e c c a , qui en s l o v è n e signifie r i v i è r e , eau c o u r a n t e , et q u e n o u s r e t r o u v e r o n s p l u s i e u r s f o i s , d e p u i s
la R e k a d e L o i t s c b , j u s q u ' à la R e c c a du g o l f e de M u g g i a , p r è s T r i e s t e , à la R e c i n a de F i u m e et à la R j é k a . d u
M o n t é n é g r o . — Il y a a u s s i d e u x R e k a à l'est de L a i b a c h , l'une affluent de la L a i b a c h , l'autre se jetant d i r e c -
t e m e n t d a n s la S a v e (rive d r o i t e ) .
sans danger et sans peine, un dés plus étranges accidents de la surface du globe.
Les deux dolines de Saint-Canzian m e s u r e n t ensemble plus de 4°o mètres de dia-
m è t r e ; l'étroite crête qui les sépare, large au sommet de deux mètres à peine, est fort en
contre-bas ( 6 0 met.) du rebord extérieur des dolines qui, vues d'en haut, semblent con-
fondues en une, et traversées par le ruban, vert ou jaune (selon la hauteur des eaux),
de la Recca serpentant au fond de l'abîme. Des belvédères disposés sur le pourtour de ce
rebord ( S t e p h a n i e - W a r t e ,
Mizi - W a r t e , Marinitsch-
W a r t e , etc.), le spectacle
est extraordinaire. Les des-
criptions dues à M. F. Mill-
1
i e r n'ont rien exagéré.
Le grand n o m b r e de
grottes latérales (grottes de
Czôrnig, Brichta, Tominz
[longue de 6 0 0 met.], Bruc-
ker, etc.), dont les bouches
s'ouvrent à diverses hau-
teurs dans les cavernes
principales et les parois
des deux dolines, indiquent
clairement que le travail
souterrain des eaux, cher-
chant à pénétrer plus loin,
a été le principal architecte
2
de ces énormes cratères :
mais il résulte non moins
clairement de la fissuration
verticale du terrain en ce
lieu, que l'infiltration d'eaux
superficielles a contribué à
élargir les joints, à isoler
de g r a n d e s plaques de
pierres, et à les laisser glis-
ser dans le vide comme des
voussoirs mal cimentés. Les
deux sortes d'érosion et de
CASCADE SOUS L'AKÊTE, ENTEE LES DEUX DOLINES (2 PEBTE).
corrosion, l'intérieure et
e
1. Fûh-er von St Canzian, T r i e s t e , 1887, i u - 1 2 , 111 p . et grav. ; — Die Grottenwelt von St Canzian, Zeitschrift
du C l u b alpin a l l . - a u t r i c h . , V i e n n e , 1890, 59 p a g e s , p l a n c h e s et g r a v u r e s ; — Explorations de 1890, d a n s M i t t h .
du C l u b a l l . - a u t r . , n° 8, 9 et 10 de 1 8 9 1 .
2. E n d e u x p o i n t s de la g r a n d e D o l i n e , l e s e a u x s e sont é l e v é e s à 70 m è t r e s en 1851 et à 80 m è t r e s en 1 8 2 6 .
On devine quel effort devait e x e r c e r en aval s e m b l a b l e c o l o n n e d'eau, p a r sa p r e s s i o n de 7 à 8 a t m o s p h è r e s .
faible. La crête médiane n'est qu'un arc-doubleau dont la clef de voûte n'a pas cédé.
La Recca et toutes les grottes latérales des dolines convergent enfin vers u n e troisième
perte (large de 8 met., haute de i5), collecteur général, où commence le véritable cours
souterrain : à droite et à 35 mètres au-dessus de l'entrée, se trouvent la Sclimidl-Grotte
(ainsi nommée en l'honneur du hardi explorateur de Kleinhaùsel)et la Brunnen-Grotte
(découvertele iSavril 1888),
qui renferme des Brunnen
(Fontaines) ou g o u r s su-
perposés, comme les b a s -
sins de dentelle de Saint-
Marcel (v. p . 83), mais plus
petits.
Les g r a v u r e s ci-contre,
extraites des publications
de M. F. Mùller, l'histo-
riographe de la Recca, et
gracieusement prêtées par
le Club alpin autrichien-
allemand, ne donnent, quoi-
que fort exactes, qu'une
faible idée de la g r a n d e u r
de ce site sans pareil.
C'est une véritable his-
toire que celle de l'ex-
ploration de la Recca
souterraine, où il a fallu
cinquante-trois années pour
parcourir 2,100 m è t r e s .
La Recca en effet n'est
pas une humble petite ri-
vière comme Bramabiau, le
Tindoul ou Padirac : c'est
un fleuve entier lors de ses
sauvages furies de t o r r e n t ,
qui élèvent de plusieurs
mètres en quelques h e u r e s
ses flots, latéralement com- S A N C T C A N Z I A N AM K A R S T , I N T É R I E U R D E L A G R A N D E D O L I N E .
•
fectuéesparlui e t s e s a m i s .
tion^ du l î i n a l d i n i - D o m (1,100 m e t .
l'air e m p ê c h a l ' i n s t r u m e n t de d é -
p a s s e r 45 m è t r e s ; il n'avait pas
atteint la v o û t e qui n'est p a s , e n ce
p o i n t , la p l u s é l e v é e de la caverne.
1. J e n e p u i s q u e d o n n e r l e s
p r i n c i p a l e s d a t e s de cette longue
conquête qui a failli faire plus
l i c i e n d e la v i l l e de T r i e s t e , s e
r i s q u e le p r e m i e r en b a t e a u s u r
la R e c c a s o u t e r r a i n e . Il a p r é t e n d u
s être a v a n c é à e n v i r o n 2 , 8 0 0 m è -
t r e s de d i s l a n c e (1,460 t o i s e s d e
V i e n n e ; V. Augshurger Allgemeine
Zeitung,28 avril 1 8 4 1 , s u p p l . 1 1 8 ,
p. 944); mais les explorations ulté-
r i e u r e s ont d é m o n t r é l ' i n e x a c t i -
tude de ce chiffre ; d ' a i l l e u r s
l ' h o m m e qui l ' a c c o m p a g n a i t a i n -
d i q u é p l u s tard à S c h m i d l le p o i n t
où il s'était arrêté, à 130 m è t r e s
e
de l'entrée ( 3 c a s c a d e ) .
p l u s b a s s e s e a u x ) , qui s e t r a n s f o r m a i t eu s i p h o n l o r s d e s
c r u e s ; si s o u v e n t , qu'il fallut t r o i s a n s p o u r a l l e r c o n s t a t e r que le d e r n i e r lac (forme t r i a n g u l a i r e ; 30 met.
de côté) e s t c l o s de t o u t e s p a r t s . L à flottaient i m m o b i l e s , s u r une eau s a n s m o u v e m e n t , c o m m e au p r e m i e r si-
p h o n de la Piuka (v. p . 442), l e s t r o n c s d ' a r b r e s , p l a n c h e s et b o i s a r r a c h é s p a r la R e c c a à s e s r i v e s a é r i e n n e s ,
o u p r o v e n a n t d e s n o m b r e u x b a t e a u x et é c h a f a u d a g e s qu'elle a d é r o b é s a u x e x p l o r a t e u r s p e n d a n t l e u r s t r a v a u x .
L ' e x p l o r a t i o n p a r a î t donc t e r m i n é e ( s a u f à la r e p r e n d r e en p e r ç a n t d e s t u n n e l s , e t c . ) . C e p e n d a n t , un p e u
avant le s i p h o n , s u r la r i v e g a u c h e , u u c g a l e r i e l a t é r a l e , t r o p é t r o i t e p o u r être s u i v i e , e t qu'il faudrait é l a r g i r à la
m i n e , a p p o r t e à la R e c c a le tribut d'un affluent s o u t e r r a i n : on i g n o r e si c'est l'eau d i s p a r u e à O b e r - U r e m , ou
b i e n l e r u i s s e a u d e D a n e , qui s'engouffre d a n s un trou du K a r s t à 1,500 m è t r e s s u d d e S a i n t - C a n z i a n .
L e 21 j a n v i e r 1 8 9 4 , MM. M a r i n i t s c h , M ù l l e r e l N o v a k , en e s c a l a d a n t la p a r o i d r o i t e (nord) du d ô m e M ù l l e r ,
ont t r o u v é , à 66 met. a u - d e s s u s de la 6° c a s c a d e , la grotte du Jubilé. L a c o u p e ( p . 489) m o n t r e q u e c'est un
affluent de d r a i n a g e d e la s u r f a c e d u s o l , qui e s t à 50 met. e n v i r o n a u - d e s s u s du p l a f o n d de c e t t e nouvelle
g r o t t e , l a q u e l l e s ' é l è v e e l l e - m ê m e à 9 0 met. a u - d e s s u s de la R e c c a s o u t e r r a i n e .
A c a u s e de la h a u t e u r d e s e a u x , j e n'ai p u , le 23 s e p t e m b r e 1893, m e r e n d r e , à p i e d , s o u s la conduite de
e
MM. P a z z c , M a r i n i t s c h , M ù l l e r e t N o v a k , q u e j u s q u ' à la 2 0 c a s c a d e ( 1 , 1 5 0 met.). Il n'y avait a l o r s q u e 700 m è t r e s
de p a s s e r e l l e c o m p l è t e , à g a r d e - f o u s , de c o n s t r u i t s ; j'ai pu j u g e r , en p a r c o u r a n t 450 m è t r e s du R e t t u n g s - W e g , de
c e qu'avait dù être ce l a b e u r de dix années, et j ' e s t i m e q u e MM. H a n k e , M a r i n i t s c h et M ù l l e r ont a c c o m p l i là
l e s p l u s d a n g e r e u s e s e x p l o r a t i o n s de c a v e r n e s qui aient j a m a i s é t é effectuées.
e
1. L a s e c t i o n K ù s t e n l a n d c o m p t e a c h e v e r la passerelle jusqu'à la 24 cascade (2 k i l o m . ) , au b o u t du
d e r n i e r g r a n d d ô m e , a u q u e l l e s d é c o u v r e u r s ont e u , le 17 août 1 8 9 0 , la g r a c i e u s e t é de d o n n e r m o n n o m .
O n p e u t s e d e m a n d e r si la p r o m e n a d e , p o u s s é e j u s q u e - l à , ne paraîtra p a s l o n g u e et m o n o t o n e , c a r l e s con-
c r é t i o n s o r n e m e n t a l e s font p r e s q u e p a r t o u t défaut ( e x c e p t é d a n s la B r u u n e n - G r o t t e , p r è s de l'entrée) ; la g a l e r i e
e s t n o i r e et p r e s q u e i m p o s s i b l e à é c l a i r e r ; la f u m é e d e s t o r c h e s , qui p e u v e n t s e u l e s p e r c e r c e s t é n è b r e s , ne tarde
p a s à être g ê n a n t e ; l ' a s s o u r d i s s a n t fracas de l'eau t u m u l t u e u s e finit p a r é t o u r d i r q u e l q u e p e u : b e a u c o u p de
touristes se c o n t e n t e n t d'atteindre l e canal de H a n k e , au delà de l ' i m m e n s e M ù l l e r - D o m , au t i e r s du p a r c o u r s
total. M a i s la v i s i t e , ainsi r e s t r e i n t e , c o m p l è t e suffisamment c e l l e d e s d e u x d o l i n e s e t d e s d e u x p a s s a g e s s o u -
t e r r a i n s d ' a m o n t , v é r i t a b l e s v e s t i b u l e s de la g a l e r i e p r i n c i p a l e , p o u r faire de l ' e n s e m b l e une d e s p l u s e x t r a o r d i -
n a i r e s e x c u r s i o n s offertes à la c u r i o s i t é de t o u s l e s v o y a g e u r s .
des sources et des embouchures. Le mode de sortie, des eaux rappelle celui d e l à Touvre
(v. p. 3791, et la divergence en éventail évoque le souvenir des deltas souterrains. Mais
depuis plus de 5o ans que
l'on cherche à élucider le
p r o b l è m e , objet de tant
de dissertations histori-
1
ques et g é o g r a p h i q u e s ,
on n'a pas encore acquis
les preuves positives de
cette communication.
Voici le r é s u m é très
sommaire des principales
tentatives faites, pour re-
trouver la Recca au fond
des abîmes et cavités du
Karst, entre St.-Canzian
et l'Adriatique.
A côté de Dane,d'abord,
e t à 1,100 mètres S.-O. de
la 3° perte de la Recca à
St.-Canzian, la grotte des
Mouches (Jama-na-Pre-
vali) n'a conduit MM. Mid-
ler et Marinitsch, le
i mars 1891, qu'à une er
caverne de 90 mètres de
profondeur totale (dont
5o met. pour un puits à
pic) et de 240 mètres de
l o n g u e u r : la plus g r a n d e
salle renferme quelques
petits bassins d'eau d'in-
filtration ; la coupe ci-
après montre quelle ana-
RECCA S O U T E R R A I N E : 1" P A S S A G E D E LA 6 CASCADE.
logie parfaite cette cavité
e
de creusement, à triple
orifice, présente avec l'igue de Bar dans le Lot (v. p. 338). On n'y a retrouvé ni la Recca,
ni même le ruisseau de Dane qui entre en terre à 370 mètres au S.-E. (v. p . 469). Peut-être
L Anterior p o t u i t
fontem s u p e r a r e T i m a v i ,
Undo per ora novcm vasto cum murmure montis
It m a r e p r o r u p t u m , et p e l a g o p r o m i t arva sonanti
(Enéide, liv. I. v . 2 4 2 - 2 4 6 . )
V . H e l l i e z , Géographie de Virgile, P a r i s , 1 7 7 1 , in-12 ; K I R C H E R , Mundus subterraneus (Amsterdam, 1678),
liv. V, c h a p . I V ; H a n d l e r , Discorso sul Timavo, T r i e s t e , 1 8 6 4 ; E . R e c l u s , Géographie, t. I, p . 226 ; p l a n
d e s s o u r c e s du T i m a v o dans Physîkalisher Atlas de B E R C H A U S , p l . 17, 1890, d'après la carte a u t r i c h i e n n e
e
au 7 5 , 0 0 0 ; H. N o é , d a n s Mùller, Sanct-Canzian-Fùhrer, p . 66, etc.
des travaux de déblaiement provoqueraient-ils la découverte des prolonge ments, suivis
jadis par les eaux qu'absorbent cet aven. (V. Mittheil. du Club alpin allemand-autrichien,
n" i i , de 1892.)
En 1892, MM. Mari-
nitsch, Mùller et Novak ont
visité, sans grand résultat
également, sinon sans diffi-
cultés, la Med-Jama (près
Dane, long. 90 met., prof.
3 2 met., 2J sept.), la Jama-
na-Sokol-Jakam (près St.-
Canzian , prof. 38 met.,
3 avril) et la Triglavca (près
Divacca, 3 avril).
Dans la direction de
l'O.-N.-O., d'innombrables
dolines semblent avoir dé-
foncé le sol du Karst, qui
présente ici, plus qu'aucun
Causse, un véritable aspect
d'écumoire. Les partisans
du jalonnement veulent
que ces dépressions soient
des affaissements provo-
qués par et semés sur le
courant inconnu. Il importe
de s'abstenir de toute affir-
mation à cet égard, en no-
tant toutefois qu'à la Grizca-
Dolitia il sort, en hiver, de
fissures étroites, un courant
0
d'air à 12 , alors que la tem-
pérature extérieure descend
à o" (F. Mùller). RECCA SOUTERRAINE : PASSERELLE DANS LE RUDOLFS-DOM.
lac de la Mort, soit à i^5 ou 200 met. au-dessus du niveau de la mer. Ce si-
phon est (sans tenir compte des coudes souterrains^, à 800 mètres en droite ligne de
la Risnik-Doline, vers laquelle la Recca se dirige en effet ; mais, à supposer même
COUPE VERTICALE DE LA J A M A - N A - P K E V A L I .
D'après M. Millier.
chute, soit 23'",6 par kilomètre (2, 36 0/0) . Je ne veux pas, raisonnant sur des éléments
2
l'eau ; c'est exactement la même disposition qu'au lac de la Mort de la Recca ; il y a là une
tête de siphon dont l'autre extrémité libre est inconnue.
C'est ce siphon qui retarde l'écoulement des c r u e s . On prétend que la Foiba « se
termine dans le golfe de Venise par le canal di Leme », près Rovigno (Vivien de Saint-
Martin, Diet, de géograph.). II est certain que les n o m b r e u s e s sources littorales et
sous-marines qui jaillissent le long de la côte occidentale d'Istrie, entre Parenzo et Pola,
sont la réapparition des eaux engouffrées dans les n o m b r e u s e s foibes de la pénin-
sule. Mais rien n'autorise à préciser le point de sortie de celle de Pisino : le lac sou-
terrain que j ' a i reconnu est à 180 mètres (B. M.), environ, au-dessus et à 27 kilomètres
E. de l'Adriatique, et à 25 kilomètres O. du golfe de Q u a r n e r o . La direction de la
galerie vers l'est-sud-est ne peut fournir aucune indication, car elle est trop courte.
A moins que l'on ne veuille rechercher en scaphandre l'issue du fond du lac, la caverne
1. C h . Y r i a r t e r a c o n t e q u e le j e u n e c o m t e Esdorff, avec u n e p e t i t e b a r q u e , a r e n c o n t r é d e s p a r o i s si r e s s e r r é e s
et une v o û t e si b a s s e , qu'il dut r e t o u r n e r en a r r i è r e « c o u c h é dans la b a r q u e » . Ce récit, s a n s date d o n n é e , ne c o n -
c o r d e p a s avec la r é e l l e forme de la c a v e r n e . A u s u r p l u s le g r a n d d e s s i n d'Yriarte, r e p r é s e n t a n t P i s i n o et sa
F o i b e , e s t a b s o l u m e n t f a n t a i s i s t e (Les Bords de l'Adriatique, p . 110 et 1 2 1 , P a r i s , H a c h e t t e , in-4°, 1878, et
Tour du Monde, 1 8 7 5 , 1 , 213 et 220). — l l y a d e u x g r a v u r e s p l u s e x a c t e s , m o i n s r o m a n t i q u e s , de la F o i b a de
P i s i n o , d a n s : S c h w e i g e r - L e r c h e n f e l d , Die Adria, p . 153 et 1 6 1 , V i e n n e , H a r t l e b e n , 1 8 8 3 , i n - 8 ° . — G. Staehe
a d é c l a r é en 1889 q u e l e c o u r s s o u t e r r a i n de la F o i b a était e n c o r e i n e x p l o r é (Wasser-Versorgung von Pola, p . 5,
V i e n n e , H o l d e r , i n - 4 ° , 1889).
de Pisino ne paraît susceptible d'aucun travail artificiel. Notre excursion y a été très
facile, mais, le lendemain même, la pluie rendit l'accès de la grotte impossible.
kiI
Sur le territoire de Sanct Pietro in Selva (34i met. d'altit,, 8 ,5 sud-ouest de Pisino),
existent deux trous profonds, inexplorés (Schàchte) (d'après M. le chevalier von Schwarz,
administrateur du district de Pisino), qui mèneraient peut-être à la continuation ignorée
de la Foiba souterraine. En résumé, celle-ci reproduit identiquement, à la longueur p r è s ,
le phénomène de la Recca et laisse subsister la même énigme.
L'étude hydrologique souterraine du Karst liburnien (Croatie, Dalmatie), sur les deux
flancs des longues chaînes multiples de la Grosse Kapella (i,53a m.), du Vellebic
1
(i,-58 m.), etc., entre la Kulpa au nord, et la Kerka au s u d , n'a été que commencée par
MM. Tietze, Fœtterle, Wolf, Stur, Pilar, Riedel et un certain n o m b r e d'officiers topogra-
phes de l'Institut militaire géographique autrichien. E n levant la carte, ces officiers n'ont
2
pu faire que des constatations limitées en général à la surface du s o l .
Il en est de même des deux revers des Alpes Dinariques, en Bosnie et en Dalmatie,
3
entre la Kerka et la Narenta .
E E E
s o u t e r r a i n e s d u K a r s t . V . a u s s i l e s c a r t e s d e l ' é t a t - m a j o r a u t r i c h i e n a u x 7 5 0 , 0 0 0 , 3 0 0 , 0 0 0 et 7 5 , 0 0 0 .
2 . M. R i e d e l a e x é c u t é a u x frais du g o u v e r n e m e n t q u e l q u e s t r a v a u x d ' a m é l i o r a t i o n dans l e s K e s s e l t h à l e r de
o s
l ' H e r z é g o v i n e ; v o i r Wochenschrift der OEsterr. Ing'en. und Archit. Vereins, n 1 7 et 1 8 , année 1 8 8 9 . — T i e t z e ,
Geologische Darstellung der Gegend zwischen Carlstadt und die Morlacca, J a h r b u c h d e r K. K . g e o l o g . R e i c h s -
anstalt, 1 8 7 3 , X X I I I , c a h . 1 (important m é m o i r e , r i c h e en b i b l i o g r a p h i e ) .
Daten zur Beschreibung der Schlundbdche, Mittheil. der Section H ô h l e n k u n d e des Œ s t . Tour. Clubs, 1 8 8 4 ,
n» 2 , p . 1 9 et s . ; u° 3 , p . 3 4 et s . ; n» 4 , p . 5 7 et s. ; — 1 8 8 5 , n° 1 . , p . 1 ; n° 2 , p . 2 0 ; e t c .
W E S S E L Y ( J . ) . Das Karstgebiet Militàr-Kroatiens und die Karst-Frage, Agram, 1 8 7 6 .
3 . G l a m o c k o P o l j e , L i v a n s j k o o u L i v n P o l j e , D u v n o P o l j e , T o p o l - I m o f s k i , e t c . , e n t r e S e r a j e v o et S p a l a l o ;
— là on v o i t , d i t - o n , la C e l t i n a s o r t i r d'une g r o t t e à s t a l a c t i t e s ; entre L i v n o et S i n j , d a n s l e m o n t P r o l o g , il y
a, d'après M. J e d l i c k a , un a b î m e , p r o f o n d d e 2 0 m è t r e s , d o n t on n e connaît p a s l e s p r o l o n g e m e n t s i n f é r i e u r s
(M. H. K . , 1 8 8 4 , 2 , p . 2 2 ) ; — p r è s de L i v n o , l e s s o u r c e s d e la B i s t r i c a s o r t e n t d'un g r o u p e d e g r o t t e s v a s t e s
i n e x p l o r é e s ( J . M a l h e s , i d . , p . 2 7 ) : c'est la r é g i o n m o n t a g n e u s e n o m m é e Crna Gora ( m o n t a g n e N o i r e ) c o m m e l e
M o n t é n é g r o et riche en e a u x s o u t e r r a i n e s i g n o r é e s (v. K . S c h l a c h e r , i d . p . 2 8 ) .
D a n s le lac T o p o l (Jczero B l a t o ) u n e î l e renferme l e s r u i n e s d'un ancien c l o î t r e : d e s f o u i l l e s o n t fait r e t r o u -
v e r d e s d o c u m e n t s a p p r e n a n t q u e . p o u r s e g a r d e r d e s i n c u r s i o n s d e s T u r c s , l e s m o i n e s avaient j a d i s b o u c h é l e s
p o n o r s e n v i r o n n a n t s et t r a n s f o r m é ainsi l e u r p l a i n e e n l a c (M. U l l m a n n . M. S. H . K . , 1 8 8 5 , n° 1 , p . 1 2 ) . En H e r z é -
g o v i n e , l e s L i s t i c a o u M o s t a r s k o B l a t o ( o u e s t d e M o s t a r , p r è s d e cent p o n o r s ) , Z a l o m s k a o u K o l j e s ou N e v e -
s i n s k o P o l j e , B u k o v ë a k ou L j u b i n j e P o l j e , T r e b i n j ë i c a ou P o p o v o - P o l j e , t o u s t r o i s entre M o s t a r et R a g u s e , c o n -
c o u r e n t p l u s o u m o i n s d i r e c t e m e n t à f o r m e r l e s a d m i r a b l e s s o u r c e s - g r o t t e s , t r i b u t a i r e s d e la N a r e n t a , q u i
g r o s s i s s e n t e t clarifient ce fleuve d a n s la v a l l é e - c a n o n , s o u v e n t m a g n i f i q u e , qu'il s u i t de K o n j i ë a ( p r o n o n c e z
K o g n i t z a ) à M o s t a r et m ê m e j u s q u ' à la m e r .
T i e t z e cite a u s s i , en C r o a t i e , p l u s i e u r s p e t i t s l a c s i n t e r m i t t e n t s c o m m e c e l u i d e Zirknitz. A m i B o u é (Karst
Trichter) dit qu'en B o s n i e , e n t r e l e s v a l l é e s d'Ugra et de V e r b a n j a , au s u d de K o t o r , il y a d ' i n n o m b r a b l e s
g o u f f r e s , p r o f o n d s de 5 0 à 6 0 m è t r e s et p l e i n s de terre r o u g e au fond. V . M o j s i s o v i c s (von), T i e t z e et B i t t n e r :
Grundlinien der Géologie von Bosnien und Herzegovina, i n - 8 ° , V i e n n e , H o l d e r , 1 8 8 0 . — R e c l u s , t. I , p . 2 0 0 . — A m i
B o u é , Mémoire sur la constitution géologique des provinces illyriennes ( M é m o i r e s d e la S o c . g é o l o g . de
Il faudra des années pour connaître à fond tout ce sous-sol.
En octobre i8g3, l'abondance des eaux a fait obstacle à mes tentatives de pénétra-
tion des s o u r c e s ; d'ailleurs, la plupart jaillissent de fond comme le Loiret en France et,
si quelques-unes sortent de cavernes à ouverture libre aux basses eaux, il faudrait pour
les explorer des r e s s o u r c e s dont je ne disposais p a s ; car les i n d i g è n e s , a u x q u e l s ces
1
F r a n c e , I I , 1835), et la Turquie d'Europe, * v o l . i n - 8 ° , P a r i s , A r t h u s B e r t r a n d , 1840 ; t. I , p . 43 ( q u e l q u e s m o t s
s u r l e s p o n o r s de l ' H e r z é g o v i n e ) , et t. I I , p . 2 6 6 . — P a r t s c h , Bericht ùber die Detonation's Phaenomene der
Insel Meleda, 1826, V i e n n e . — T i e t z e ( D o l i n e s de S e r b i e ) , Jahrbuch der geolog. Reichsanstalt, 1872, p. 83.
Cvijic, Karst Phaenomen, p . 76 (superficie d e s P o l j e ) . e t c .
J'ai néanmoins pu constater que les fontaines sont ici, comme dans les calcaires et
la craie de France, de Grèce et du Karst proprement dit, la réapparition des pluies
absorbées dans les fentes des montagnes superposées et des rivières engouffrées dans
les cavernes des plateaux s u p é r i e u r s ; la loi générale de l'utilisation des fissures
du sol par les eaux qui circulent sous t e r r e , s'est trouvée partout vérifiée à nouveau.
Voici les observations précises que j ' a i pu faire :
A i3 kilomètres ouest-sud-ouest de Sérajevo, capitale de la Bosnie (altit. 537 met.),
les sources de la Bosna (altit. 495 à 5oo met.), sont d'innombrables filets d'eau (soixante,
dit-on), sourdant entre les pierres pour former des bassins, d'où la rivière s'échappe
toute faite. Ce n'est pas une source de fond ni de caverne. Elle doit drainer à la fois
les forêts et les fissures des montagnes boisées d'Igman-Planina (i,5o5 met.) où la carte
de B o s n i e au i5o,ooo° marque quelques polje fort élevés. Comme à Vaucluse, la tem-
1
0
pérature de la source de la Bosna (8°i, air 21 , 5 octobre 1893), est inférieure d'envi-
0
ron i° à la moyenne annuelle du lieu, qui est de 9 à Serajevo (i3° 2 en o c t o b r e ) . Cela 2
prouve que ses eaux descendent de haut. Après de g r a n d e s pluies, je les ai vues très
p u r e s , alors que celles des autres rivières de la plaine de Sérajevo (Miljacka, Zeles-
nica, etc.) étaient complètement j a u n e s .
Même observation pour toutes les sources, beaucoup plus belles que celles du canon
du Tarn, qui bordent les deux rives de la Narenta, entre Jablonitza et Mostar, savoir :
Comadina (rive droite), sortant sous le pont même d e l à route, entre des strates basses
inclinées vers le s u d - e s t ; splendide cascade qui jaillit de la terre (v. p. 34J). Autre
source à une cinquantaine de mètres en aval, avec des dépôts de tuf. — Troisième
source-cascade sur la rive gauche. — Source-siphon (rive droite) avec trop-plein latéral,
peut-être penetrable aux basses eaux, à 1 kilomètre en amont de la station de Gabro-
vizza; le trop-plein, coulant le 4 octobre 1893, ne fonctionnait plus le 6, après deux j o u r s
de beau temps. — Avant Dreznica, sur la rive gauche, une cascade aussi jolie que la
Comadina, se précipite d'une grotte qui rappelle tout à fait les deux g r a n d e s ouver-
tures supérieures du Boundoulaou (v. p. 173). Ensuite, et avant Baskagora, six fontaines
(rive gauche) claires projettent leurs beaux flocons d'écume argentée entre des pierres et
des fissures, qu'il faudrait enlever et élargir; plusieurs de ces fontaines sont multiples,
à deux, trois ou quatre filets. — Il y en a de semblables sur la rive droite. •— Enfin, entre
Baskagora et Vojno, j ' a i compté, de part et d'autre d'un promontoire (rive gauche) qui
force la Narenta à décrire une boucle, seize autres sources (quelques-unes multiples)
extrêmement r a p p r o c h é e s ; elles forment comme un groupe d'issues d'eau, peut-être le
débouché de quelque delta; le flot sort de joints i n c l i n é s ; en certains points plusieurs
fentes juxtaposées donnent chacune leur ruisselet.
Tout cela n'est que l'exsudation des montagnes crétacées, hautes de 2,000 à 2,200 mè-
tres qui, encaissant la Narenta, sont, dans tous les sens, fendillées par les joints et
les diaclases, et où la puissante action de l'élément liquide se manifeste par la forme
bizarre des rocs isolés, les dépôts de tufs et les bancs de p o u d i n g u e s ; la nature y mon-
tre sur le vif, comment les eaux souterraines savent se servir des fissures du sol pour
rejoindre les g r a n d e s rivières aériennes. Le grand n o m b r e , l'extrême pureté de ces
sources après des pluies d'équinoxe, qui avaient fait de la Narenta presque u n fleuve de
1. D r e s s é e par l ' É t a t - m a j o r a u t r i c h i e n , 1 8 8 4 - 1 8 8 5 , feuille de S é r a j e v o .
2 . P h . Ballif, Ergebnisse der meteorologischen Beobachtungen in Bosnien und Hercegovina, 1889. Extr. des
Wissensch. Mittheil. aus Bosnien, e t c . , V i e n n e , G e r o l d , t. I, 1 8 9 3 . C o m m u n i q u é par M. l e Dr K œ s c h e t .
boue, et le craquelage infini du terrain, semblent indiquer ici une circulation souter-
raine dans des fentes aussi r e s s e r r é e s qu'innombrables, u n e filtration pour ainsi dire,
et, peut-être l'absence totale de g r a n d e s cavernes.
C'est ce qu'il faudra vérifier, lors d'une sécheresse prolongée, en essayant de pénétrer
dans celles de ces sources qui voudront bien le p e r m e t t r e .
A i3 kilomètres sud-est de Mostar, la source de la Buna, une des plus imposantes
que je connaisse, dans un site oriental plus grandiose que celui de Vaucluse, n'avait pas,
le 7 octobre 1893, la même limpidité que les p r é c é d e n t e s ; son eau, légèrement laiteuse,
sortait d'une seule petite grotte, large de 5 mètres (v. p. 351), dont elle paraissait occu-
per toute la section, à quelques mètres de d i s t a n c e ; l'impétuosité du courant était telle,
dans le vaste et profond bassin (i5 à 20 mètres de diamètre) immédiatement formé, que
je dus renoncer à y lancer mon Osgood (il eût été entraîné directement sous la roue du
moulin voisin), et à vérifier par moi-même si la grotte est penetrable au loin, ou si le
siphon vauclusien offrirait, à proximité, u n invincible obstacle. Je n'ai pu me r e n -
1
seigner à Mostar sur l'intérieur de cette s o u r c e . On suppose qu'elle rend la Zalomska,
absorbée 20 kilomètres à l'est, et à 812 mètres d'altitude, p r è s Ljubovici dans un ponor
du Nevesinsko Polje, où M. N. von Franz n'a pas pu d e s c e n d r e , à cause de la verticalité
et de l'étroitesse des fissures (M. S. H. K. 1884, 2, p . 24).
M. le vicomte de Caix de Saint-Amour a rapporté la légende locale du fouet de ber-
ger passant de la Zalomska à la Buna, du pâtre profitant de cette constatation pour
envoyer quotidiennement, à son père le m e u n i e r , un des moutons dérobés au troupeau,
2
et du patron s u r p r e n a n t le voleur et expédiant son corps décapité à la s o u r c e .
La merveilleuse falaise de la Buna est bien fendillée ! Qui sait si quelqu'un des
trous (inaccessibles sans échelles) de sa paroi, ne conduirait pas, comme la fenêtre de
Salles-la-Source (v. p . 247), à la galerie du courant souterrain, sous cette barrière de
20 kilomètres, où la Zalomska (si c'est elle), s'abaisse de près de 800 mètres (4 p- 100
de pente, exactement l'inclinaison de la grotte de Saint-Marcel d'Ardèche, v. ch. III,
qui est une ancienne rivière desséchée)? Telle est l'hypothèse qui reste à vérifier: elle
n'a rien d'invraisemblable.
Dans le sud de l'Herzégovine, la Trebinjica est la principale rivière : sortie d'une
grotte près de Bilek, elle passe à Trebinje et, dans le Popovo Polje, se perd en trois
groupes successifs de sauglocher et ponor à 100 kilomètres de sa source . 3
Photographie de Launay.
prolonge libre d e b o u h s en
. ENTRÉE DE LA GROTTE DE LA RJEKA.
amont, et \ ai bien découvert
' . . Photographie de Launay.
ainsi le cours du ruisseau qui
sort à Rjéka, après avoir drainé sans doute les pluies de Gettinjé. En revenant sur mes
pas, je rencontrai, avant de regagner la partie antérieurement connue, mes quatre com-
pagnons : inquiets de ne plus me voir ni m ' e n t e n d r e , ils s'étaient décidés à s'engager
dans l'incommode éboulis, guidés sur mes traces par les bougies que j'avais laissées, de
1
place en place, pour retrouver mon chemin : mais je ne réussis pas à obtenir d ' e u x
qu'ils retournassent chercher l'Osgood, resté dehors, pour l'apporter au bassin.
J'ai donc dû nie contenter de cet aperçu général sur l'hydrologie souterraine du
Monténégro, et renoncer, comme en Herzégovine, à une exploration complète; on ne
pourra l'effectuer qu'avec de g r a n d s sacrifices de temps et d'argent. J'avais épuisé à
Adelsberg ces deux moyens d'action, qui m'ont fait défaut, en somme, à Gettinjé;
1. Je ne v o u d r a i s p a s l a i s s e r c r o i r e q u e la h a r d i e s s e l e u r ait m a n q u é : l e s M o n t é n é g r i n s s o n t la race b r a v e
p a r e x c e l l e n c e et ne c o n n a i s s e n t p a s la p e u r . L e u r s e n t i m e n t a été p l u s l o u a b l e : non h a b i t u é s à ce g e n r e d e p r o -
m e n a d e , et en p r é s e n c e d'un p a s s a g e r é e l l e m e n t difficile et i n c o n n u , i l s ont r e d o u t é p o u r m o i - m ê m e un a c c i d e n t
d o n t i l s s e s e r a i e n t r e g a r d é s c o m m e r e s p o n s a b l e s ; i l s ont s i m p l e m e n t v o u l u e n t r a v e r , p a r la force d'inertie, u n e
entreprise qu'ils é t a i e n t f o n d é s , d a n s l e u r i n e x p é r i e n c e , à considérer comme dangereuse. T e l e s t , je t i e n s à le
d i r e , le vrai m o t i f de l e u r r e f u s .
c'est pourquoi j e n'ai pu y organiser vine véritable expédition, comme celle de M. Ro-
vinsky à Dobrsko-Selo, qui fut préparée de longue main et exécutée avec un grand
nombre d'auxiliaires. — Combien j ' a i regretté à Rjéka qu'une subvention ne m'ait
pas permis de faire les frais du voyage de Cettinjé, sinon pour Armand, du moins
1
pour W i l h e r ou Sebenik d ' A d e l s b e r g ! — La Rjéka eût peut-être livré un important
secret, u n e communication avec Szeclin ou Dobrsko-selo ! A moins que l'inexorable
siphon ne se soit p r é s e n t é à quelques décamètres du point où j ' a i dû m ' a r r ê t e r ! Tel est
le doute qui reste à éclaircir.
Dans le nord du Monténégro, les pertes et grottes de la Zeta près de Niksic attendent
2
aussi leurs explorateurs (V. Cvijic, op. cit., p. 65).
Quels seront-ils? Et quand viendront-ils? Entre le Monténégro et la Grèce, le lac
sans écoulement de Janina (en Épire) continue la chaîne presque ininterrompue de ces
3
mystérieuses goules qui b o r d e n t la rive orientale de l'Adriatique . Il n'y a pas vingt ans
qu'en cette région, M. Carapanos a retrouvé les ruines de la si longtemps pro-
e
blématique DodoneM Sera-ce avant le x x siècle qu'on ira fouiller plus profondément
cette terre pour y suivre de nouvelles Piukas ?
1. B i b l i o g r a p h i e a d d i t i o n n e l l e :
STACHE (G.). Die Eocân Gebiete in Inner Krain und Istrien. Jahrb. der G e o l o g . Reichsanstalt, 1864, p . 2 1 ,
V i e n n e . — STACHE ( G u i d o ) . Geologisches Landschaftsbild des istrichen Karstlandes, Œsterreichische Revue,
t. II et V I , 1 8 6 4 . —• VIERTHALER (Prof. O.). Ueber die Hohlen des Territoriums von Triest, Bollettino délia Soc.
A d r i a t i c a di s c i e n z e naturale, T r i e s t e , 1883-1884. — MARENZI. Der Karst, ein g e o l o g i s c h e s F r a g m e n t , T r i e s t e ,
1864. — B A Y E R ( A . ) , T I E T Z E , PILAR. Die Wassernoth in die Carlstadter Militàr-Grenze, A g r a m , 1 8 7 4 , A l b r e c h t et
F i e d l e r . — TARAMELLI. Descrizione geologica del Carso. — K R A U S . Der Karst, d a n s QEsterreich in Wort und
Bild. — MOSER. Der Karst, Jahresbericht des k. k. Gymnasiums, T r i e s t e , 1 8 9 0 . — NEUMAYR. Erdgeschichte, t. I,
p. 4 5 3 - 4 6 1 . — REYER. Studien ueber das Karst-relief, M i t t h e i l . k. k. g e o g r . G e s e l l s c h a f t , V i e n n e , 1 8 8 1 , p . 4 , 76
et 1 0 1 . — STACHE. Die liburnische Stufe und deren Grenzhorizonte. A b h a n d l . d e r g e o l . R e i c h s a n s t . , t. X I I I , 1,
1889. — K N E R . Kleine Beitràge zur geolog. Verhàltnisse Istrien, Jahrbuch g e o l o g . Reichsanst., 1853, p. 224. —
ZITTEL, Die Morlakei, Œ s t e r r . R e v u e , 1 8 6 4 , t. I I . — FARKAS. Das Lika und Krbava Thaï., Sitz. B e r . A k a d . d e r
e
W i s s . , cl. s c . m a t h , n a t u r . , t. X X V , 2 c a h i e r , 1 8 5 7 , p . 5 2 2 - 5 4 0 . — Reiserouten in Bosnien und Herzegovina
(guide illustré), in-12, Vienne, Hartleben, 1892. — SCHWARZ ( B . ) . Montenegro, L e i p z i g , 1 8 8 8 . —• H A S S E R T ,
Landschaftsformen von Montenegro. P e t e r m . M i t t h e i l . , février 1 8 9 4 , p . 3 4 (avec b i b l i o g r a p h i e ) . — H A S S E R T . Der
Durmitor, Z e i t s c h . C l u b . a l p . a l l . - a u t r . , 1 8 9 2 , p . 1 2 4 - 1 7 0 . — H A S S E R T . Reise durch Montenegro, 235 p . et 3 0 g r a v . ,
e
V i e n n e , H a r t l e b e n , 1 8 9 3 . — Neue spezial. Karte von Montenegro, au 7 5 , 0 0 0 , en 19 f e u i l l e s , K. K. mil. geogr. Institut,
e
V i e n n e , L e c h n e r , 1 8 9 3 , et General Karte von Bosnien und Hercegovina au 6 0 0 , 0 0 0 , V i e n n e , K. K. mil. geogr.
Institut, 1 8 9 3 . (V. a u s s i n o t r e c h a p . X X I X . )
CHAPITRE XXVIII
Les Katavothres du P c l o p o n è s e .
L ' a s s a i n i s s e m e n t de la G r è c e . — U n e v i s i t e au m a r a i s et au gouffre de ï a k a . — L e s e x p l o r a t i o n s de M. S i d é -
r i d è s en 1892. — E r r e u r s et l é g e n d e s . —• E n t r e t i e n et d é s o b s t r u c t i o n d e s k a t a v o t l i r e s . — L e u r s rapports
avec l e s s o u r c e s ou k e p h a l o v r y s i s . — A b s e n c e d'effondrements. — Agrandissement, par les eaux, des
c a s s u r e s p r é e x i s t a n t e s , s u i v a n t la l o i g é n é r a l e .
(p. 126); longueur 20 kilomètres, largeur 8 à 12; entre le Ziria au nord, le mont Skhipieza
(i,g3o mètres) au sud, et le mont Gavrias (1,210 mètres) à l'est.
3° De Klimendiau nord-est du précédent; altitude 730 m è t r e s ; longueur 10 kilomètres,
largeur 3 à 6 kilomètres; avec un petit lac ou marais sans nom.
4° De Bougiati et Skotini au sud-est du Stymphale; altitude 55o à b'oo m è t r e s ;
longueur 26 kilomètres, largeur 2 à 8; entre le Skhipieza à l'ouest, le Gavrias au nord
et le mont Armeniadis ( 1,766 mètres) au sud (v. Philippson, p. 72).
e
1. D ' a p r è s la carte française au 2 0 0 , 0 0 0 ; 550 (?) d'après l e Guide Joanne d e G r è c e (1891).
2. D ' a p r è s la c a r t e , o u 496 (? J o a n n e ) ; o n a c o m m e n c é e n 1 8 8 9 , p o u r v i d e r ce lac m a r é c a g e u x , d e s t r a -
v a u x de d e s s è c h e m e n t (tranchées et t u n n e l s ) , qui s ' é t e n d r o n t a u s s i j u s q u ' a u lac P h o n i a . V. E. Quellennec,
Rapport sur l'adduction des eaux du Stymphale à Athènes, i n - 4 ° , A t h è n e s , I m p r . n a t i o n . , 1 8 9 1 , 71 p . et p l . C e
document donne les altitudes suivantes : Source de Kionia Stymphale, 621 met. ; p l a i n e d e S k o t i n i , 606 e t
609 met.
5° De Kandjla et Levidi au sud du Phonia et à l'ouest de Bougiati; altitude 643 met.
(ou 626, Philippson), longueur 18 kilom., largeur. 8 à i5; entre le Skhipieza au nord,
l'Armeniadis à l'est, le mont Hagios-Ilias (1,981 met.) au s u d , et le mont Kastania
(1,248 met.) à l'ouest;
au centre se dresse
le rocher (g36 met.)
qui portait l'antique
Orchomène.
6° De Tripolis; al-
titude 600 à 670 m è -
t r e s ; le plus grand
de tous les bassins
à katavothres d u P é -
loponèse; on y a r e -
trouvé les ruines, ou
plutôt les fondations,
des fameuses cités
g r e c q u e s de Palian-
tium, TégéeetManti-
née; longueur 48 ki-
lomètres (y compris
le bassin supérieur
du Saranta-Potamos,
voir ci-après) ; lar-
g e u r 12 à 22 kilomè-
t r e s ; entre l'Armenia-
dis au nord, le Hagios-
Ilias, le mont Apano
Krépa ( 1,559 met.) et
le mont Kravari ou
Kravata (i,023 met.) à
l'ouest, les monts
Tsoka (1,227 nièt.) et
Vervéna (i,45o met.)
PELOPOÎTESE au sud, les monts
etdi; ses Khoma (Parthénion,
Sept Bassins 1,217 met.), Kténias
à K a t avottvrc s
Tons JrsjcisJiéjeroés
( 1,599 met.)etMalevo
(Artémision 1,772 m.)
Communiqué p a r la Revue de géographie de Drapeyron. à l'est. Le point le
plus oriental (au-des-
sus du katavothron de Yerzova) n'est qu'à 17 kilomètres à vol d'oiseau du golfe de Nauplie
(mer Egée).
0
7 De Franco-Vrysi, au sud-ouest du bassin de Tripolis. Altitude environ 640 m è t r e s ;
l o n g u e u r 16 kilomètres, largeur 4 à t5. Au s u d s'élève le mont Tsimbérou (1,252 mètres).
Les autres bassins à katavothres isolés sont :
8° Celui de Karaklinou avec le petit lac du même nom (Kleitorius lacus de Pline),
Altitude i,o5o? m è t r e s ; longueur 8 kilomètres; largeur 4 kilomètres; au sud du mont Vélia
(i,556 mètres), de Kalavryta et d'iEgion (golfe de Co-
rinthe, 3o kilomètres), au n o r d - e s t du lac Phonia (18 ki-
lomètres), dont il est séparé par la haute montagne
du Khelmos (2,355 mètres) et divers affluents du cours
supérieur du Ladon (Ruphia).
9° Celui de la plaine de Palœo-Khoma au nord-ouest
de Léonidion sur la côte orientale de Morée ; altitude
(^50? met.) ; longue'ur 9 k i l o m è t r e s ; largeur 2 à 4-
io° à 12° Enfin, dans la presqu'île sud-orientale du
Péloponèse, celle qui se termine au cap Malée, il y a
encore au nord-ouest de Monemvasie toute une région
de 3o kilomètres de longueur s u r 3 à 20 de largeur, où
les katavothres paraissent distribués dans trois bassins
contigus, formant aussi pour cette péninsule une sorte |1
de petit plateau central ; mais les limites particulières s|
à chacun de ces bassins sont difficiles à préciser s u r la
carte; un des villages de cette région porte lui-même le
nom de Katavothra, et les principales localités s'y nom-
ment Molaï, Apidia, Niata. Là se trouve la plaine de
Leu.ce ou Leucœ Campi des anciens auteurs.
11 est possible que d'autres petits bassins à katavo-
t h r e s existent ailleurs en des recoins du Péloponèse où
je n'ai pas pénétré, et où l'étude cependant attentive de
la carte ne me les a pas révélés. Mais les douze qui
viennent d'être é n u m é r é s sont, sinon les seuls, du
1
moins les plus étendus de b e a u c o u p .
L'intérêt qui s'attache à l'étude des gouffres de la
Morée, n'est pas seulement de savoir « à quel katavothre
d'en haut correspond tel kephalari d'en bas » (Reclus) :
ce point de vue de pure curiosité scientifique est dominé
par celui, beaucoup plus utilitaire, de l'assainissement
général de la Morée.
En effet, les g r a n d e s pluies de l'automne et du prin-
temps ne trouvent pas toujours à s'écouler par les kata-
vothres, et elles forment des marécages qui e n g e n d r e n t
les fièvres. C'est bien loin et bien bas, après un par- *-*
c o u r s souterrain de 10 à 3o kilomètres, que les trop lentes
a
évacuations de ces marécages revoient le jour, sous forme
2
de belles sources, soit aux b o r d s du golfe de N a u p l i e , soit dans les vallées de l'Eurotas,
de l'Alphée, du Ladon, etc. La question la plus importante à résoudre à ce sujet, était
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plein de ses eaux se perdait dans un immense katavothron, creusé en grotte dans le
32
flanc des collines ; ce sont les mêmes eaux qui reparaissent peut-être dans la plaine de
Franco-Vrysi. » (Bory de Saint-Vincent, Relation, t. II, p. 23o et s.).
En mai 1891, M. Sidéridès avait vu à Taka un lac de dix hectares sans aucun courant,
le katavothre semblait b o u c h é ; à la fin de juillet, le lac se vida en huit j o u r s . Le
19 septembre 1891, malgré l'orage de la veille, qui avait sévi moins fort à Tripolis qu'à
Sinanou, le lac de Taka était complètement à sec. M. Sidéridès et moi, nous arrivons
à onze h e u r e s du matin à l'ombre et sous l'encorbellement du g r a n d i o s e portique naturel
qui constitue l'entrée de la caverne ; la forme en est simple, une voûte en cul de four,
un quart de sphère, si l'on préfère, évidé dans l'escarpement vertical du mont Kravata,
large de 4° mètres à l'ouverture, haut et profond de 25 à 3o mètres, et tourné droit vers
le nord ; en travers de cet. antre colossal, et pour éviter l'engorgement du gouffre, une
digue artificielle a été construite; au milieu on a ménagé une coupure pour le passage
des eaux, et cette coupure elle-même est pourvue d'une grille en mauvais état, destinée
à arrêter les troncs d ' a r b r e s ; dans le marais même, s'est creusé un sinueux canal de
m
drainage, large de 4 mètres, profond de i ,5o, à sec aujourd'hui comme tout le reste,
et dont les b e r g e s aussi sont en argile craquelée. Altitude du s o l d u marais auprès de
la digue, 607 mètres, d'après les levés de précision de M. Sidéridès, qui, grâce à un
crédit de 3,000 drachmes du ministère, a profité de la sécheresse pour faire enlever
les boues puantes, qui encombraient canal, grille, digue et caverne. Aussi le katavothre
se présente-t-il dans les meilleures conditions pour la descente que nous allons y t e n t e r ;
seulement, la pluie d'hier a délayé les argiles, revivifié les miasmes sans doute, et l'odeur
qui s'en dégage est presque aussi fétide que les exhalaisons ptomaïques des fonds
d'avens, où l'on jette dans les Gausses les bestiaux morts ! La fièvre s'exhale de ce bel
endroit, insalubre au premier chef.
Franchissant la digue, nous descendons dans le lit du canal qui draine T a k a ; le kata-
vothre se creuse et la voûte du portique s'abaisse devant n o u s j u s q u ' à un trou, dans l'angle
sud-ouest, qui forme la véritable entrée du souterrain (à 10 mètres au-dessous du niveau
du marais) ; trois ou quatre paysans grecs nous accompagnent; c'est peu difficile d'ail-
l e u r s ; une simple galerie descendante, inclinée à 3o°, large de 2 mètres, haute de 2 à
6 mètres, sans stalactites ni suintement, forme le prolongement intérieur du canal
de Taka. Après 4o ou 5o mètres de parcours, nous atteignons un carrefour (3o à
32 mètres au-dessous du niveau du marais); le magnésium nous montre là un petit
trou devant nous, une galerie à gauche et une à droite ; le trou a 25 centimètres de
diamètre et est percé en plein rocher, les pierres y roulent, mais on ne pourra y passer
sans la dynamite. La galerie de gauche n'a que 5o à 60 centimètres de diamètre ; moi
seul et un des Grecs sommes assez maigres pour nous y engager, M. Sidéridès et les
autres essayent en vain d'y p é n é t r e r ; elle monte un peu d'abord, puis redescend (en même
temps que sa voûte se relève jusqu'à 2 ou 3 mètres), pour aboutir, après 35 mètres de
longueur, à une vasque d'eau fermée par la roche et de 5 mètres de diamètre ; elle est
surtout pleine de cailloux et p r e s q u e sans vase ; le niveau de son extrémité est à peu
p r è s celui du carrefour; c'est un cul-de-sac, une galerie latérale, que l'érosion interne
aura délaissée, après avoir trouvé une autre crevasse d ' é p a n c h e m e n t ; pour sortir, nous
recommençons à ramper la tête la première, à plat-ventre même en certain endroit, au
beau milieu d'une flaque d'eau. La galerie de droite est montante, plus haute et plus
large, mais coupée au bout de 10 mètres par une poche d'eau de 6 mètres de diamètre,
sous une voûte de 5 m è t r e s de haut; parois à pic. En me cramponnant aux saillies de
la muraille gauche j'atteins l'autre b o r d ; personne n'a voulu me suivre d a n s l'eau. Un
petit trou me mène dans une chambre exiguë (4 mètres sur 3) et c'est tout ; encore un
cul-de-sac! Rocher p a r t o u t ; l'issue des eaux n'est point là. En revenant, une aspérité
de roc se casse dans ma main tandis que je traverse la mare, et me voilà à l'eau jusqu'aux
épaules; le fond est boueux, mes jambes s'embarrassent dans la vase collante et j ' a i
1. A l t i t u d e r e l e v é e , c o m m e c e l l e s de T a k a et V e r z o v a , p o u r l e s t r a v a u x du c h e m i n de fer d ' A r g o s à T r i p o l i s
( o u v e r t en j u i l l e t 1891) et à K a l a m a t a , en v o i e d ' a c h è v e m e n t .
2. M. P h i l i p p s o n a e x p r i m é la m ê m e o p i n i o n (p. 108). — E t M. S i d é r i d è s a c o n s t a t é q u e le d é b i t de F r a n c o -
V r y s i n'est p a s influencé p a r la h a u t e u r d e s e a u x de T a k a .
8 mètres dans une direction oblique. Il y a là, décidément, quelque siphon impraticable.
Malgré cet obstacle, on a refait à l'entrée du gouffre les grilles nécessaires pour arrêter
les tiges de maïs et autres détritus ; et on a creusé dans le marais 8 kilomètres de
canaux ou rigoles de drainage, qui conduisent directement les t o r r e n t s environnants dans
la caverne, sans envahir la plaine ; en r é s u m é , les élargissements de 1891 et de 1892
ont procuré au marais de Taka un écoulement beaucoup plus rapide, l'assèchement
1
Dressées par M Sidéridès. — Echelle de î/yôo .
parait tout à fait en bonne voie et la situation semble réellement améliorée. Il importe
maintenant d'éviter l'engorgement du gouffre et des canaux.
Puisque les eaux de Taka, où nous sommes arrêtés à 612 mètres, ne peuvent ressor-
tir à Franco-Vrysi à 654 mètres, où donc revoient-elles le j o u r ? A la fontaine de Koniditza
(altitude ?), disent les paysans, dans la haute vallée de l'Eurotas, à 20 kilomètres au sud
de Taka et à 12 kilomètres au nord de Sparte ; et ils appuient cette assertion, vraie peut-
être, mais bien difficile à vérifier, sur la l é g e n d e locale suivante. Ayant laissé tomber sa
flûte dans le trou de Taka, un j e u n e b e r g e r la retrouva quelques mois après chez sa mère,
qui l'avait recueillie à la source de Koniditza. Il se servit donc de ce moyen de t r a n s -
port, pour expédier à sa famille quelques-uns des moutons dont il avait la garde ; cela dura
jusqu'au j o u r où il fut surpris en flagrant délit par le maître qui, sans autre forme de
procès, lui coupa la tête et la jeta au gouffre : les eaux souterraines se chargèrent de
porter à la vieille femme de Koniditza cette triste dépouille de son enfant, ce qui
prouve que le marais de Taka communique avec la source (?!).
Il est bien curieux de rapprocher cette légende de celles que j ' a i recueillies partout.
KATAVOTHRE DU DRAGON.
On voit par là quelle influence toujours semblable, quand les conditions se retrouvent
pareilles, la nature du sol exerce sur les m œ u r s et les croyances des populations.
D'après M. Sidéridès, la source de Koniditza est en vérité fortement influencée par
l'état des eaux de Taka, et son débit varie selon leur hauteur.
Au premier g r o u p e des katavothres de Tripolis appartiennent encore les suivants :
(les dates entre parenthèses sont celles des explorations de M. Sidéridès assisté de
MM. Gadouleau et Valiche).
K. du Dragon, en face de Taka (8 août i8ya); premier puits vertical de io mètres,
aboutissant à une chambre de même hauteur, avec ramifications ; second puits, large,
à ouverture très étroite (E), qu'il a fallu agrandir à la pioche pour passer, sondé jusqu'à
20 mètres plus bas ; l'acide carbonique n'a permis d'y descendre que de 5 à 6 mètres et a
failli coûter la vie à un ouvrier trop hâtif. Il est u r g e n t et nécessaire d'élargir l'ouver-
ture E (moins d'un mètre de diamètre), p o u r donner issue aux crues : ce rétrécissement
explique d'une façon très nette l'origine des marais à katavothres, et en même temps le
fonctionnement des sources p é r e n n e s . Ce katavothre est un des plus instructifs et des
plus utiles à défendre par une grille.
Entre le K. du Dragon et Berbati, il y a six puits absorbants, maçonnés intérieurement,
l m
bouchés entre 3" ,5o et 6 mètres de profondeur, larges à l'orifice de i ,3o à 3 m è t r e s , au
fond de i mètre à 2 ,4o. Je suis descendu dans le plus rapproché du village (profondeur
m
KATAVOTHRE DU DRAGON
Ancien K. de F~erzova (iy août 1892): parait avoir été colmaté par l'argile ; la légende
dit qu'il fut bouché, il y a 80 ans, par deux paysans qui y entassèrent des fagots, pour se
v e n g e r d'un propriétaire voisin, en inondant ses b i e n s ; flaque d'eau et voûte mouillante
à 3o mètres de l ' e n t r é e ; largeur 10 mètres, hauteur 2 à 10 m è t r e s ; quelques crevasses
absorbantes. Une grille de défense, ne laissant arriver que les eaux, permettrait peut-
être à celles-ci de défoncer l'obstruction à la longue.
K. de Sablaoura à côté même de Verzova (17 août 1892) : entrée mal défendue par
des grilles en mauvais état et encombrées de résidus végétaux; étroite diaclase comme
à Bramabiau ; suivie pendant 4° met. jusqu'à des fissures impénétrables ou bouchées.
K. de Chaos (17 avril 1892) près Verzova: deux puits communiquant sans doute en-
semble par des fissures impénétrables, comme celles qui les terminent l'un et l'autre
(profondeur 12 et 20 mètres). Leur partie supérieure est maçonnée (V. les figures).
Le grand katavothre de Verzova est l'un des plus importants de tout le bassin de Tri-
polis, au point de vue de l'absorption de l'eau.
M. Sidéridès y a fait trois expéditions, en compagnie de MM. Capelle (chef comptable
du chemin de fer, Brouzalis (maire de Verzova), Gadouleau et Valiche (29 novembre et
9 décembre 1891, et 11 août 1892).
L'entrée ne ressemble pas à Taka : c'est simplement, au pied de la montagne,
une bouche de caverne de 5 mètres de hauteur s u r autant de l a r g e u r ; le Saranta-
Potamos y est conduit, à 635 mètres d'altitude, par un canal artificiel, construit
il y a dix ou quinze ans, et en travers duquel on a disposé deux grilles de défense \
Lors des fortes crues, le Saranta-Potamos déborde parfois, au seuil de Sténo, vers le
nord, du côté de l'Ophis, de Mantinée et des katavothres de Kapsia, etc. (v. ci-après).
A l'intérieur du kat. de Verzova, on suit d'abord un couloir à forte pente comme celui
de Taka ; au bout de 35 mètres, premier puits vertical profond de 7 m è t r e s , large de
m
o ,7o et débouchant dans une belle salle, longue de 18 m è t r e s , large de 6, haute de 20 à
m
20 ; dans cette salle, ouverture d'un second puits vertical, de o ,6o de diamètre et 11 met.
de profondeur; en bas, nouvelle galerie, longue de 5o m è t r e s conduisant à la salle des
stalactites (longueur 20 m è t r e s , hauteur 10 mètres); deux belles stalagmites y représen-
tent un balcon et un b é n i t i e r ; au delà, prolongement de la galerie pendant une dizaine
de mètres et poche d'eau sous voûte impénétrable ; mais, dans un coin de la salle des sta-
m
lactites, s'ouvre un troisième puits de o ,8o de diamètre et 33 mètres de profondeur, en
haut duquel les deux premières explorations s'étaient arrêtées, à 100 mètres de distance et
à 80 mètres environ en dessous de l'entrée du katavothre.
Dès le 3o novembre 1891, le maire de Verzova faisait élargir à la dynamite l'orifice du
deuxième puits. — Le 10 décembre, la neige apparaissait dans la plaine de Tripolis, et
m
atteignait bientôt o ,3o d'épaisseur par un froid de — io° G. — E n janvier 1892, la crue
ne forma qu'un petit lac, qui s'écoula en quelques j o u r s .
La troisième expédition a montré que l'élargissement du deuxième puits avait parfai-
tement suffi pour assurer l'évacuation des e a u x ; mais ces eaux avaient entraîné, de la
g r a n d e salle dans la salle des stalactites, une telle quantité de matières végétales en d é -
m
composition (o ,4o d'épaisseur), que l'air en était empoisonné ; dans la galerie prolongeant
cette salle il n'y avait plus d'eau ; la section (2 à 3 m è t r e s carrés) en était complètement
l i b r e ; seulement les bougies s'y éteignaient et la respiration y était impossible (acide car-
bonique?). Le sommet du troisième puits était aussi débarrassé de ces matières, qui, en
1891, formaient tout autour de l'orifice un matelas épais d'un m è t r e .
Ce puits de 33 mètres est une grande salle étroite (7 à 8 mètres) et allongée (60 mètres,
v. les coupes). Beaucoup de fissures affluent s u r les parois, et doivent donner de l'eau
après les pluies. M. Sidéridès trouva au fond plus de 200 mètres cubes de matières
végétales, absolument méphitiques.
m m
Un quatrième puits de dix mètres aboutit à une étroite crevasse de o ,70 s u r o ,35, où
l'air n'est pas respirable et où la combustion des bougies cesse. La totale profondeur
atteinte est de 120 mètres, la distance horizontale de i5o mètres seulement.
L'expédition du 11 août 1892 a duré 9 heures 1/2, et n'eut pas été praticable sans télé-
phone. Elle a été particulièrement pénible et d a n g e r e u s e à cause de la pestilence de l'air.
Elle fait le plus grand h o n n e u r à l'énergie de M . Sidéridès qui, tout habitué qu'il fût
au climat fiévreux de Tripolis, dut s'aliter ensuite et absorber force quinine.
Voici les conclusions auxquelles il est arrivé : les grilles actuelles de l'entrée du ka-
1 . U u g a r d i e n , p a y é p a r la c o m m u n e d e V e r z o v a , d o i t s u r v e i l l e r le b o n f o n c t i o n n e m e n t de c e s g r i l l e s : a p r è s
c h a q u e p l u i e , il e n l è v e et b r û l e l e s t i g e s d e m a ï s , e t c . , et a u t r e s d é b r i s e n c o m b r a n t s e n t r a î n é s p a r l'eau. O u va
v o i r q u e ce travail d e m a n d e à être fait avec le p l u s g r a n d s o i n .
LES KATAVOTHRES DU PÉLOPONÈSE. 505
tavothre ont des mailles trop l a r g e s ; il faut les faire beaucoup plus serrées, afin que l'eau
iMCMMjta^ut^ eu.
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seule puisse y passer ; autrement, l'obstruction, par les tiges de mais et autres résidus
solides charriés par les c r u e s , est de nouveau inévitable.
Il est en effet de toute évidence, vu les rétrécissements présentés par tous les kata-
SOURCE DE BENICOVI.
DE BEXICOVI.
forme un cirque rocheux, au milieu duquel se dresse un obélisque naturel des plus
pittoresques, haut d'une quarantaine de mètres. Nous devons y reconnaître un pilier
de caverne, resté debout parmi les ruines de quelque voûte, affaissée réellement sous
l'effort de l'érosion souterraine.
Dans sa descente de Verzova, M. Sidéridès a donc atteint près des deux cinquièmes de
la distance verticale qui sépare le gouffre de la source, et cela sur i5o mètres seulement
d'étendue. Le surplus des canaux ignorés doit avoir par conséquent une pente bien moins
forte. 11 faudra r e d e s c e n d r e à Verzova quand l'air en sera purifié, quand la charge de
l'eau seule en aura nettoyé les conduites inférieures. Peut-être accédera-t-on enfin à une
galerie comme celles du Tindoul ou de la Piuka.
A l'est de Verzova, et de l'autre côté de la montagne, M. Sidéridès a exploré (20 dé-
cembre 1891 ) un katavothre profond de 16 mètres : il y a vu de belles cristallisations
stalagmitiques ; le puits oblique, et sous la voie même, est tourné dans la direction des
souterrains de Verzova, et aurait peut-être donné accès dans quelqu'une de leurs par-
ties i n c o n n u e s ; mais, pendant la construction du chemin de fer, un e n t r e p r e n e u r trouva
commode et économique de j e t e r tous les déblais dans ce gouffre, au lieu de les t r a n s -
porter au loin ! N'a-t-il pas obstrué ainsi quelque grotte ou barré un lac souterrain ?
Si toutes les tentatives d'épuisement échouent au katavothre de Taka, on pourra
essayer de drainer le marais (657 mètres), par le katavothre de Verzova (635 mètres), qui
se trouve à 22 mètres plus bas et à i5 kilomètres de distance : le canal d'écoulement
qu'il faudrait creuser là, aurait une pente de i™,47 par kilomètre (supérieure de moitié à
celle du Rhône, de Genève à Avignon), avec des tranchées de 3 à 6 met.
III. —• TROISIÈME GROUPE (TRIPOLIS).
Le Kat. de Tripolis (690 met.) est double : deux crevasses de 12 et 16 mètres de pro-
fondeur. Une grille les défend. J'y suis descendu le 19 septembre 1891.
Au katavothre de Maria (ouest de Tripolis), M. Sidéridès a pénétré de 12 mètres dans
0
un couloir de 1 à 2 mètres de section, incliné à 70 environ, et s'est trouvé ar