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Le Principe de Précaution dans la Constitution française.

Ronan GIRARD
ELO

La France vient d’intégrer à sa Constitution une Charte de l’Environnement donnant ainsi aux
principes environnementaux une valeur supra-législative comparable à ceux énoncés dans la
DDH et du citoyen de 1789 et aux droits économiques et sociaux reconnus dès 1966. Ils
s’imposent à l’ensemble des règles de droits (lois et décrets) et il appartient au juge de les
faire appliquer.

Cette Charte n’est pas en elle-même un précédent puisque certains principes


environnementaux avaient déjà été énoncés dans les années 80 par le droit allemand et dans
les années 90 par le droit français (ainsi du principe de précaution énoncé dès 1995 dans la loi
Barnier). Mais la reconnaissance de ces principes au niveau constitutionnel est en elle-même
une nouveauté, elle ne doit pas manquer d’attirer l’attention des propriétaires et gestionnaires
que nous sommes.

Deux notions incontournables ont été consacrées par la Charte de l’Environnement, celle du
pollueur payeur à l’article 4 et celle du principe de précaution à l’article 5. Les deux articles
créent-ils une responsabilité d’origine constitutionnelle ?

Le principe de précaution en particulier pose question dans la mesure où il apparaît créer une
responsabilité fondée sur une incertitude scientifique. Comment faire en effet une
responsabilité objective sur une incertitude ?
Ce principe a été jusqu’à aujourd’hui appliqué en particulier afin de protéger des ressources
ou un patrimoine naturel (exemple : la raréfaction du hareng en Mer Baltique qui a conduit à
la limitation des prix sous couvert du principe de précaution).

Mais la consécration du principe de précaution comme norme constitutionnelle pourrait lui


conférer une autre interprétation avec des conséquences pratiques pour l’acteur économique
qui viendrait à violer le principe de précaution. C’est aujourd’hui aux juges français d’en
apprécier la portée et l’application.

L’adoption de la Charte de l’Environnement marque un point d’inflexion du droit positif


français. Le droit environnemental, technique juridique jusqu’à aujourd’hui, devient un outil
de régulation permanente. Il conduit les acteurs économiques et administratifs à actualiser les
contraintes crées par la DG Environnement, c’est-à-dire à intégrer ces contraintes dans la
prise de décision dans toutes les politiques sectorielles.

Ce développement est d’ailleurs parfaitement en ligne avec les objectifs de la Commission et


de la DG Environnement qui avaient organisé en juin 2004, sous la présidence irlandaise, un
colloque rassemblant acteurs environnementaux représentants privés et publics de l’ensemble
des politiques sectorielles. L’objectif était de faire travailler ces différentes composantes afin
de les conduire à énoncer les objectifs environnementaux de chacun des secteurs. Le droit
Environnemental, en construction, est fondamentalement transversal et holiste La politique
sectorielle la première touchée est celle de l’agriculture avec en première ligne l’éco-
conditionalité qui découle directement du principe pollueur-payeur.
Désormais les ressources environnementales ont un coût et les mécanismes fiscaux et
d’incitation élaborés par le législateur ainsi que certains mécanismes de marchés tentent à
incorporer ce coût dans la production de valeur.

Il n’en reste pas moins le caractère flou, incertain du principe de précaution qui tendrait à
brider toute initiative. Il convient en ce domaine d’analyser l’interprétation du juge
administratif français mais également dans une perspective plus prospective les conclusions
de la CJCE quant à l’application du principe de précaution dans la gestion des zones Natura
2000.

Le Conseil d’Etat français dans une décision partant sur la reprise des essais nucléaires dans le
Pacifique a souligné en 1995 que le principe de précaution relevait des motifs, qu’il n’était
donc pas une norme juridique. Certes, 10 ans plus tard le contexte et le corpus juridique même
ont évolué.

Le caractère flou du principe de précaution n’est pas en lui-même une exception ni même un
obstacle à son application. La France est friande de ces conceptualisations à valeur
universelle : le principe d’égalité, l’intérêt supérieur de l’enfant en sont quelques exemples. Ils
nécessitent pour être appliqués une interprétation du juge qui est alors prédominante.

Le Principe de Précaution pourrait être assimilé à une norme de comportement comparable à


celle de la « gestion en bon père de famille » chère au Code Civil français.

Il n’en reste pas moins que cette norme s’appliquant, crée une contrainte pour les acteurs
économiques sous le contrôle des pouvoirs publics (cf. Natura 2000).
En droit français, le juge n’a jusqu’à ce jour jamais une décision sur le Principe de Précaution
mais sur des notions de Santé Publique (OGM).

L’application du Principe de Précaution est dominante et dépend du recueil de l’information


scientifique pertinente qui fait partie intégrante de la légalité de la décision. L’application du
code de l’environnement relève plutôt du contrôle de l’Erreur Manifeste d’Appréciation.

Car l’application du Principe de Précaution implique une évaluation coût/bénéfice et


coût/capacité financière des opérateurs. (cf Gaucho / grande culture) or le juge français n’a
jamais utilisé ce mécanisme. Il n’y a donc à aujourd’hui pas d’évolution notable de la prise de
décision.

Si le Principe de Précaution inclut une responsabilité objective, celle-ci se décline dans la


sphère pénale et dans la sphère civile. Cette responsabilité peut être mise en cause des années
après l’occurrence du fait générateur une fois l’information scientifique disponible. Il s’agirait
d’une véritable bombe à retardement.

Pour l’heure il permet surtout de créer un mécanisme de réparation environnementale distinct


des effets d’une responsabilité pénale (répartition symbolique) ou d’une responsabilité civile
(réparation au bénéfice d’une victime).

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