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Bordeaux, le 7 juin 2006

Grand contournement de Bordeaux ou l’idéologie du poids lourd

La principale difficulté à laquelle notre région est confrontée en matière de


déplacements, c’est la croissance globale de la circulation, notamment
celle des transports routiers. Les prévisionnistes annoncent le doublement
du trafic poids lourds à l’horizon 2020, soit une moyenne de 16 000
camions par jour à Biriatou.
Ainsi, le projet de grand contournement de Bordeaux est basé sur le
postulat suivant : la construction d’une autoroute de près de 100 km
comme réponse anticipée à la croissance du trafic de marchandises.
Autrement dit, l’offre précède la demande.

Mais il faut être réaliste : ce projet ne se fera pas. Et il ne faut pas avoir
peur de le dire. Sur le terrain, les contraintes à son passage sont trop
nombreuses : l’estuaire, des zones viticoles prestigieuses, des zones
fortement urbanisées ou encore des zones classées SEVESO.
Rien n’est simple dans ce projet, mais une seule certitude : tous les
éléments du projet sont hypothétiques! Dans la perspective d’une
raréfaction du pétrole, d’une croissance inexorable de son prix et de la
problématique de l’effet de serre, le trafic « prévisible » de poids lourds est
très hypothétique aujourd’hui. Autre exemple, le report envisagé du trafic
sur cet ouvrage est une illusion car les outils règlementaires n’existent
pas : on ne peut pas obliger un transporteur à utiliser une voie payante ! Il
suffit de regarder l’exemple de l’A89, « autoroute vide », à laquelle les
poids lourds préfèrent la RN89 malgré les problèmes de sécurité et les
arrêtés d’interdiction des maires, pour comprendre l’absurdité de cet
argument. Comment croire que les poids lourds, y compris les poids lourds
ibériques, prendront pour nous faire plaisir un ouvrage payant alors qu’ils
pourront utiliser une rocade plus courte et gratuite, notamment la nuit
quand le trafic est faible, ou bien encore utiliser les itinéraires secondaires
existants ? La rentabilité du contournement risque fort d’être médiocre et
les fonds publics seront nécessaires, contrairement à ce qui est annoncé.
A ce sujet, où sont les études prévisionnelles économiques et financières
sur ce dossier d’un coût évalué à 1,5 milliard d’euros ?

Certes, les arguments pour assurer la promotion de cet ouvrage sont


légion, mais ils ne résistent pas un instant à l’examen du bon sens, que ce
soit en termes de désenclavement du Médoc, de désengorgement de la
rocade ou bien de desserte de l’aéroport de Mérignac (comme si les poids
lourds avaient un rapport direct avec le trafic aérien…). Mais, plus que le
bon sens, c’est bien le poids lourd local, la viticulture, qui jouera in fine un
rôle décisif. En effet, comment cette profession peut-elle accepter que son
patrimoine, classé au palais gustatif mondial, soit dévasté par une
« chimère gasoilée » de près de 100 km ?

Le débat qui s’instaure en Gironde est révélateur d’un malaise profond


entre d’un côté une partie de la « classe politique locale », composée des
« grand élus », et les représentants de l’Etat, et de l’autre les populations
directement concernées et une frange non négligeable de citoyens libres,
d’associations et de politiques.
Si le « nimby »1 est un pourvoyeur naturel d’opposants à ce type de projet,
la réflexion citoyenne qui accompagne ce débat salutaire, solidaire et
radical, est frappante dans ce dossier.
Cette mobilisation - réflexion se trouve amplifiée par l’outil Internet et les
blogs qui permettent réactivité et information quasi instantanée des
citoyens. Dans toutes les communes, les réunions font salle comble. La
démocratie participative s’installe d’elle-même. C’est pourquoi il convient
aujourd’hui de ne pas laisser s’enliser le débat dans une guerre fratricide
sur notre territoire et de faire des contre-propositions.

En premier lieu, le ferroutage et les autoroutes de la mer doivent être


élevés au rang de causes nationales, au regard de la lutte contre l’effet de
serre et du protocole de Kyoto notamment.
En ce qui concerne la croissance du trafic dans son ensemble, il s’agit de
répondre aux problèmes du transport routier dès aujourd’hui et de ne pas
attendre « l’autoroute libératrice » de 2020. Il est inconcevable d’accepter
comme un fait inexorable l’expansion du trafic poids lourds et de lui dédier
en conséquence une autoroute urbaine alors qu’aucune réflexion n’a été
menée pour rechercher des solutions alternatives, ne serait-ce que sur la
base des infrastructures existantes.
Pour contenir le trafic, il faut agir dès maintenant sur la rocade. Il est de
notre devoir d’exercer une contrainte sur le transport routier par une
politique de maîtrise des flux et ne pas attendre un éventuel nouvel
ouvrage pour réduire le trafic d’ici 2020. Il faut contingenter le trafic poids
lourd, l’interdire aux heures de pointes sur la rocade et constituer des
zones refuges. Comme à Nantes et à Toulouse, la vitesse sur la rocade doit
être limitée à 90 km/h afin d’en optimiser le trafic et la sécurité. La bande
d’arrêt d’urgence et la troisième voie doivent être exploitées et peuvent
être réservées à des trafics spéciaux : transports collectifs ou convois de
poids lourds notamment (des expériences sont en cours en Rhône Alpes et
en Ile de France).
Ces mesures doivent être accompagnées d’une réponse institutionnelle
locale à la hauteur du défi que constitue la problématique des
déplacements. Les transports collectifs tous modes confondus doivent
devenir la priorité absolue de notre métropole pour réduire de façon
significative le trafic global de voitures et de camions d’ici dix ans. Il
n’existe aujourd’hui aucune instance de régulation et de réflexion entre les
différentes autorités organisatrices des transports en Gironde et sur la
métropole Bordelaise. L’Etat se désengage de cette question en
transférant ses compétences, la Région s’occupe des TER, le Conseil
Général des transports interurbains, la CUB du transport collectif urbain et
la SNCF est un Etat à elle toute seule. Il est urgent de constituer un
1
Acronyme pour “not in my backyard” (“pas chez moi”)
conseil métropolitain des transports et des déplacements. Ce
conseil métropolitain pourrait jouer à terme le rôle d’un syndicat mixte qui
aurait autorité pour élaborer une politique des déplacements et des
transports collectifs et pour élargir le versement transport dû par les
entreprises à un périmètre plus large que celui de la CUB, et qui pourrait
s’ouvrir également à des associations représentatives pour associer les
citoyens à l’aménagement du territoire.
Une partie des solutions alternatives au grand contournement se trouve là,
dans cette instance. Mais une partie seulement, car il faut s’interroger sur
la réalité du dossier. Pourquoi certains sont-ils autant convaincus de la
nécessité de ce contournement alors que tous les signaux
environnementaux sont au rouge ? La noria des camions leur apparaît
comme un fait acquis. Pourtant, ne pas remettre en cause ce phénomène,
c’est accepter sans faille un libéralisme économique destructeur, basé
également sur la concurrence entre les territoires, sur un coût de l’énergie
bon marché et sur des infrastructures financées par le contribuable. On se
trouve face à un système en situation de flux tendus dans lequel un pot de
yaourt peut parcourir 10 000km, des fruits et légumes faire un passage
obligé par Rungis, un système dans lequel la grande distribution dicte sa
loi au producteur quelle que soit la filière. C’est la ballade des
marchandises et non celle des gens heureux. Un tel système est possible
parce que les coûts, notamment sociaux et environnementaux, sont
externalisés et supportés par la collectivité : au bout du compte, le pollué
est le payeur. Le transport des marchandises par la route est en quelque
sorte une nouvelle idéologie. Il reviendra aux prochaines échéances
politiques d’y apporter une réponse.

Gérard CHAUSSET
Vice Président de la
Communauté Urbaine de
Bordeaux (Verts)
Adjoint au Maire de
Mérignac

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