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Travail présenté dans le cadre du Mémoire de fin d’études pour l’obtention du Diplôme
d’Etudes Supérieures Spécialisées en Journalisme Européen.
MARC LEIBA
2
Remerciements
Je tiens ici à remercier Stephen Bunard, promoteur de mon travail de fin d’études, Pierre de
Greef, coordonnateur du DESS Journalisme Européen ainsi que Pierre de Villers, directeur de
l’IHECS Formation.
Merci également à Olivier Bomsel, Charles de Laubier et Serge Guérin, auteurs d’ouvrages de
références dans les domaines de l’économie numérique et de la presse sur Internet.
Enfin, merci aux professionnels qui m’ont reçu sur leur lieu de travail. Bertrand Gié,
responsable des nouveaux médias au groupe Figaro et Nicolas Rauline, journaliste à Metro.fr.
Et merci à Elisabète Vidal, pour son efficacité, son soutien et sa patience, cette fois encore.
3
Avant-propos
Si la problématique affiche une évidente dimension européenne, le lecteur ne trouvera pas ici
une revue détaillée de l’état de la presse en ligne pays par pays. Certes, le critère
géographique est révélateur de grandes aires culturelles et des rapports à la presse qui en
découlent (Scandinavie, Europe du Sud…) mais l’angle d’attaque choisie se veut plutôt
transversal et thématique. Par ailleurs, il a été pris grand soin de diversifier les exemples dans
l’ensemble des pays européens mais il est vrai que les contacts ont été essentiellement noués
avec des acteurs français. Les échanges de courriers électroniques avec des rédactions Internet
hors de France sont restés limités.
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Introduction
« Il faut être lucide : la « tare » originelle d’Internet est la gratuité. Ce qui laisse peu de
chances aux journaux de gagner de l’argent sur Internet par leurs marchés traditionnels. »
Voici ce qu’écrivait Jean Miot, ancien directeur de l’Agence France Presse, dans un rapport
de 1999 qui s’intéressait aux effets des nouvelles technologies sur l’industrie de la presse.
Peut être nostalgique de l’époque du minitel où les éditeurs empochaient les cinq huitièmes du
prix des services, il s’alarmait du problème majeur posé par Internet : la gratuité. En Europe,
les éditeurs de presse quotidienne nationale (PQN) sur Internet ont un temps cru au
financement sans limite des annonceurs. Malheureusement, l’éclatement de la bulle a laissé
exsangue la majorité des rédactions Web des quotidiens du vieux continent.
Aujourd’hui, l’économie numérique connaît de nouveau une période faste et les services en
ligne se développent sous la bannière du Web 2.0. L’autorité des médias est battue en brèche
et l’expertise citoyenne semble en mesure de concurrencer le journalisme traditionnel. Piqués
au vif, les professionnels de l’information affirment augmenter la qualité de leur production
éditoriale. Mais les éditeurs européens créent-ils suffisamment de valeur pour facturer aux
cyberlecteurs des articles en ligne ? Les sites Internet de PQN ont-ils appréhendé le nouvel
environnement concurrentiel dans lequel ils évoluent et peuvent-ils dégager une nouvelle
source de profit ?
Nous rappellerons tout d’abord le cadre technologique et concurrentiel qui s’est imposé sur le
marché de la PQN en ligne en l’espace d’une dizaine d’années. Puis nous tenterons de mieux
cerner le phénomène de la gratuité à l’œuvre sur la toile et ses implications économiques.
Enfin, nous aborderons les pistes explorées par certains éditeurs pour élaborer de nouveaux
modèles économiques en phase avec l’évolution d’Internet et de l’audience.
5
Sigles et abréviations
6
1. Du modem 56 Kbits au Web 2.0
1.1. Une présence historique sur le net
Le temps médiatique progresse à notre époque à une vitesse fulgurante si bien qu’il ne faut
qu’une poignée de secondes à une nouvelle pour faire le tour du monde. Il est loin le temps où
Paul Julius Reuter, fondateur de l’agence Reuters, utilisait des pigeons voyageurs pour faire
circuler des informations entre Bruxelles et Berlin. Depuis l’avènement silencieux de
l’économie numérique, se remémorer la condition d’un média ne serait-ce qu’un an plutôt
revient à effectuer un travail d’archéologue. Pour donner une image symbolique, soulignons
que les éditeurs de PQN se sont lancés dans l’aventure d’Internet à une époque où Google,
aujourd’hui incontournable sur la toile, n’existait pas.
L’histoire de la presse quotidienne en ligne en Europe s’écrit à partir du milieu des années
1990. Pour caractériser un site Internet de presse, nous reprendrons la définition de Danielle
Attias : « une agrégation de contenus numériques, textes, graphiques, audio ou vidéo,
produits par des agences de presse ou par des journalistes professionnels, mis à jour
régulièrement, mis en forme selon une logique chronologique et de dossiers, diffusée sur
Internet via un nom de domaine et financé par la publicité, voire par des contributions du
consommateur final (achat d’archives à l’unité, abonnement, etc.) » (ATTIAS, 2006). La
Scandinavie, région historiquement propice à la diffusion des innovations technologiques, fait
figure de pionnier ne matière de presse quotidienne en ligne. Aussi, l’un des tous premiers
sites est-il celui du quotidien suédois Aftonbladet, ouvert dès août 1994. On observe d’ailleurs
au pays de Bergman que la hiérarchie Internet est respectueuse de la concurrence que se
livrent les versions papier. Le site d’Aftonbladet, premier quotidien du pays est plus visité que
celui de son dauphin Dagens Nyheter. Idem pour la Norvège, où la version en ligne de
l’Aftenposten devance celle du Verdens Gang qui est elle-même plus consultée que celle de
Dagbladet ; et pour le Danemark où le quotidien le plus lu sur papier, le Jyllands Posten,
devance électroniquement les sites du Politiken et du Extra Bladet. Toutefois, ce n’est pas
toujours le cas. En Autriche, le cinquième quotidien du pays, Der Standard, s’impose sur
Internet, tout comme le cinquième quotidien finlandais, Iltalehti. Au Royaume-Uni,
soulignons l’initiative du groupe News Corporation qui débute son projet de site Internet pour
The Times et The Sunday Times en octobre 1995 et créé un département des éditions Internet
7
en janvier 1996. En France, Libération se lance le premier en 1995, suivi la même année par
Les Echos, Le Monde et La Tribune. En Espagne, El Mundo est un pionnier de l’aventure
numérique, rejoint par ABC et La Vanguardia puis en avril 1996 par El Pais. La voie
numérique qui s’ouvre alors aux éditeurs en est encore à ses balbutiements et les premiers
recensements significatifs des sites de presse quotidienne en Europe surviennent en 1997.
En octobre 1998,, le groupe New-yorkais Editor & Publisher annonçait que la presse
européenne en ligne comptait 514 sites. Par comparaison, les magazines en avaient 627, les
radios 248 et les télévisions 197 (LAUBIER, 1998). La presse quotidienne n’a donc pas trop
hésité devant cette nouvelle voie numérique même si les investissements ont beaucoup varié
d’un éditeur à l’autre.
1
World Association of Newspapers, 2000
8
1995-2000. » (LAUBIER, 2003, 228). Rappelons ici que le coût marginal est le coût
supplémentaire induit par la dernière unité produite. Cependant, gratuité de l’accès ne signifie
pas absence de revenus pour les éditeurs qui tablent sur le développement de la publicité en
ligne, quoiqu’ encore limitée à l’époque, et sur les ventes d’archives à l’unité.
Il n’en n’existe pas moins aux Etats-Unis, un cas connu des éditeurs du monde entier, où un
journal parvient à facturer l’intégralité des contenus qu’il propose en ligne : le Wall Street
Journal. Inauguré en 1996, WSJ.com opte dès le départ pour un modèle payant. En 2006, le
groupe Dow Jones qui édite le site, annonce 811 000 abonnés à 99 dollars l’abonnement
annuel, pour plus de 3,5 millions de visiteurs uniques par mois2. Certes, nombreuses sont les
connections payées par des entreprises pour lesquelles une information économique de qualité
est indispensable. Le groupe Pearson, éditeur britannique du Financial Times au Royaume-
Uni et des Echos en France a imité avec moins de succès cette stratégie. En 1997, le premier
quotidien économique français propose à ses lecteurs en ligne un formule hybride : 60 %
gratuit et 30 % payant. Cependant, les abonnements n’ont pas été aussi nombreux qu’espérés.
Passage obligé plus que suicide économique, la PQN européenne a acquis au cours de cette
période une crédibilité certaine, en plus de créer des effets d’habitudes de lecture auprès d’un
lectorat technophile. De plus, Danielle Attias, auteur d’une thèse sur l’impact d’Internet sur
l’économie de la presse, explique que pour ce type de marché, « fixer un tarif en dessous du
coût marginal n’est pas forcément lié à un comportement prédateur » pour un éditeur qui
chercherait à « extraire du surplus […] du côté des annonceurs et de la commercialisation
d’espace publicitaire » (ATTIAS, 2007).
Dans la seconde moitié des années 1990, l’heure est à l’euphorie de la « nouvelle économie ».
L’expression est installée le 13 janvier 2000 par un discours du président de la banque
fédérale de réserve américaine, Alan Grennspan. Il s’agit d’une poussée de fièvre
technologique et financière dont le symbole est le cours du Nasdaq, indice boursier américain
connu pour ses valeurs technologiques. Créé le 8 février 1971, l’indice clôturait l’année à
100,84 points. En juillet 1995, il franchit la barre des 1 000 points et commence une folle
ascension, jusqu’à dépasser les 5 000 points lors de la séance du 9 mars 2000. Après
2
Informations disponibles dans le rapport annuel 2006 du groupe Dow Jones.
9
l’introduction en bourse de l’entreprise Netscape le 9 août 1995, Jim Clark, son co-fondateur
avait déclaré « l’introduction en bourse n’est plus une source de financement mais une course
contre la montre et un évènement marketing » (01net, 26/06/2007). Problème, les
valorisations boursières sont totalement déconnectées des performances économiques de ces
entreprises « .com » qui accumulent au contraire des pertes colossales. Aussi, à la date du 20
décembre 2000, le Nasdaq accuse-t-il une baisse de 53,8 % par rapport à son record du mois
de mars. Le même jour, le titre Amazon.com, numéro un mondial du commerce en ligne,
affiche une cotation de 16,9 dollars, contre 102 dollars un an auparavant, soit une perte de
83 % de sa valeur (Le Monde, 22 /12/200).
Cette constellation d’entreprises qui misait sur Internet et sur une nouvelle révolution
industrielle connaît des heures sombres. Bernard Arnault avait par exemple investi 500
millions d’euros dans Europ@web, holding à la fois incubateur de projets Internet et société
de capital risque, en pure perte. Ou Lycos Europe, qui annonçait pour l’exercice 2000-2001
une perte d’un milliard d’euros. Plus généralement, ce sont les sites Internet de médias pour
qui « l'éclatement de la bulle Internet, la disparition de nombreuses « dot. com » - grandes
consommatrices d'espace publicitaire - et les mauvaises nouvelles charriées par la
conjoncture américaine ont eu des répercussions très nettes sur les recettes » (Le Monde,
29/06/2001).
Tableau 2 : Evolution des recettes publicitaires, totales et en ligne, dans le monde entre 1997 et 20013
Evolution
entre 2000
En millions de dollars courants 1997 1998 1999 2000 2001 et 2001
Total des dépenses
publicitaires
Monde 275 577 281 952 303 252 327 785 306 650 -6,4%
Europe de l'Ouest 70 053 75 231 78 101 76 214 70 644 -7,3%
Etats-Unis 112 038 120 743 134 335 150 389 141 636 -5,8%
Dépenses Internet
Monde 1 460 2 565 5 611 7 905 8 469 7,1%
Europe de l'Ouest 175 222 475 924 847 -8,3%
Etats-Unis 906 1 920 4 600 6 000 6 600 10,0%
Alors que les investissements publicitaires augmentent régulièrement entre 1997 et 2000, le
coup d’arrêt survient à partir de l’année 2001, où les dépenses totales reculent de 6,4 % dans
3
D’après WAN et Jupiter, via GMID
10
le monde, de 7,3 % en Europe et de 5,8 % aux Etats-Unis. Concernant les investissements sur
Internet, l’Europe est particulièrement touchée avec une réduction en valeur de 8,3 % entre
2000 et 2001. C’est une véritable « débandade publicitaire » selon l’expression de Laurent
Maury, à l’époque directeur des rédactions électroniques de Libération, à laquelle doivent
faire face les éditeurs de PQN. Et d’admettre que les recettes publicitaires que liberation.fr
engrangeait à l’époque en 2001, atteignaient « à peine 40 % de leur niveau de 2000 » (01net,
25/06/2001). En 2000, le site Internet du quotidien avait dégagé 8,2 millions de francs de
recettes pour un budget de fonctionnement de 22 millions, dont 13 pour la masse salariale.
L’année suivante, les recettes étaient estimées entre 3 et 4 millions de francs pour des
dépenses inchangées. Conséquences, réduction des effectifs et départ de Laurent Maury
(01net, 19/07/2001). Le Monde qui s’était lancé depuis avril 2000 dans une logique de portail
avec toutlemonde.fr fait machine arrière pour se recentrer sur son cœur de métier,
l’information. Lefigaro.fr, ouvert en octobre 2000 pendant la tourmente, sera même géré par
un prestataire externe pour la mise en ligne des articles de la version imprimée. Charles de
Laubier résume la situation d’une formule lapidaire « l’année 2001 sera noire pour la presse
sur Internet » (LAUBIER, 2003), si bien que même le WSJ.com se séparera de quelques-uns
de ses collaborateurs.
Alors que la marée Internet se retire au début des années 2000, laissant derrière elle les
cadavres des petits soldats de la nouvelle économie, le réseau des réseaux s’apprête à entrer
dans une nouvelle ère qu’on appelle aujourd’hui Web 2.0, terme consacré mais dont les
contours sont âprement discutés sur la toile. Pour se développer, le Web 2.0 s’est appuyé sur
le développement de l’Internet à haut débit qui attire aujourd’hui des investissements
colossaux de la part des opérateurs de télécommunications.
En langage profane, le haut débit correspond à des capacités d’accès à Internet rapides, en
opposition à celles délivrées par un « dial-up modem » qui plafonnait à un débit de 56 kilobits
par seconde et qui empêchait toute autre utilisation simultanée de la ligne téléphonique. S’il
11
n’existe pas de définition canonique du haut débit, retenons celle donnée par l’OCDE4 : « de
manière générale, le haut débit désigne un ensemble de technologies de communication
numérique permettant de transmettre des volumes significatifs de données à des vitesses
élevées, et de distribuer un éventail de services numériques, de façon simultanée pour
certains ou la totalité d'entre eux. »
Comme le montrent les chiffres du tableau ci-dessus, l’Europe est un acteur important de
l’essor du haut débit. En cinq ans, la Belgique a multiplié par plus de quatre le nombre de ses
abonnés haut débit, quand l’Italie, partie de loin, enregistre une progression de plus de
2 000 % sur la période contre plus de 3 200 % pour le Royaume-Uni.
La promesse d’un téléchargement puissant autant que rapide, légal autant que hors la loi,
attire en masse les abonnés. Par conséquent, les fournisseurs d’accès Internet ont fait du haut
débit, puis du très haut débit un axe stratégique de croissance. Une étude de la
Telecommunication Industry Association (TIA) a donné le chiffre de 81 milliards de dollars
de recettes issues de la fourniture d’accès Internet haut débit dans le monde (Journal du net,
25/08/2006). En France, deux exemples illustrent cette course aux investissements. Tout
d’abord, la filiale télécoms de l’industriel Vincent Bolloré qui a remporté, en juillet 2006,
douze des 49 licences régionales de Wimax attribuées par l’Autorité de régulations des
télécoms (Arcep). Le Wimax étant une technologie qui transporte l’Internet haut débit par
onde hertzienne dans un rayon de 20 kilomètres. L’homme d’affaire dont le groupe opérait
originellement dans l’industrie du papier, annonce un investissement à venir de 200 millions
4
Le haut débit au service de la croissance, OCDE, 08/01/2004
5
Source GMID
12
d’euros dans la couverture du territoire français en Wimax (La Tribune, 10/07/2006). Second
exemple, l’opérateur Free du groupe Iliad, qui annonce le 11 septembre 2006 un
investissement d’un milliard d’euros dans le déploiement de la fibre optique d’ici 2012
(Journal du net, 11/09/2006). La fibre optique étant un support de transmission permettant un
débit théorique en émission et en téléchargement de 100 mégabits par seconde. Pour les
fournisseurs d’accès Internet, l’enjeu est clair : suivre la surenchère des débits ou disparaître.
Le Web 2.0 marque l’entrée dans une nouvelle ère de l’Internet. Un moment de l’histoire de
la toile, moins dû à un saut technologique, qu’à une évolution philosophique, voire « rete-
logique ». Ce néologisme, rete signifiant « réseau » en latin, se calquerait sur le modèle de
l’anthropologie, une discipline qui étudierait les réseaux sous leurs aspects sociaux,
psychologiques, culturels et techniques. L’expression Web 2.0 est quant à elle employée pour
la première fois en août 2004 par Dale Dougherty de la société O’Reilly Media, lors d’une
séance de brainstorming. Depuis, Tom O’Reilly a publié un article intitulé « What is Web
2.0 ? » (Qu’est ce que le Web 2.0 ?), dans lequel il précise sa définition du nouveau concept
en sept points (O’Reilly, 2005) :
• Le Web est une plate-forme de services et non plus une collection de sites
• Les internautes sont invités à améliorer les applications que les éditeurs mettent en
ligne
• Agréger l’intelligence collective : plus les utilisateurs sont nombreux, plus grande est
l’utilité du réseau
• L’importance des données : les applications Web s’appuient sur une base de données
spécialisée
• Adopter la logique de « logiciel service » en opposition à « logiciel produit » et
proposer le plus souvent possible des mises à jour
• Proposer des interfaces souples et légères reposant sur les nouveaux standards du
Web
• Le logiciel gagne en nomadisme, il ne se limite plus au PC et débarque sur les
téléphones portables, assistants personnels ou encore sur les baladeurs numériques
13
C’est donc bien dans l’esprit plutôt que dans la technique que réside la nouveauté. Toutefois,
nous avons déjà indiqué que le haut débit a constitué une condition nécessaire à l’avènement
de l’Internet seconde génération. Soulignons également le rôle des technologies Ajax,
autorisant une plus grande fluidité dans l’affichage des pages Web. Si le Web 1.0 reposait sur
une relation unilatérale entre l’éditeur et la personne qui, derrière son écran cherche de
l’information, le Web 2.0 se caractérise par « un Internet ouvert, collaboratif, interactif. Une
plate-forme d’échanges, mettant en réseau des communautés réunies par des centres d’intérêt
communs. » (SCHWARTZ et ACHACHE, 2005). En définitive, le Web 2.0 sanctionne
l’aboutissement de l’utopie en marche depuis la création d’Internet : les internautes ont pris le
pouvoir, le réseau est fait par eux et pour eux. Internet « n’est plus utilisé comme un média
(c'est-à-dire permettant un accès statique à un ensemble de pages définies) mais comme une
véritable plate-forme d’échanges et d’interactivité » (SCHWARTZ et ACHACHE, 2005).
C’est le triomphe du « User generated content » ou « contenu généré par les utilisateurs ».
L’audience ne se contente plus de recevoir passivement l’information mais interagit avec
celui qui la produit, voire produit elle-même les contenus.
Voyons à présent, sans ordre particulier cinq « grandes familles du Web 2.0 » (CB News,
18/12/2006). Les blogs, phénomène à présent bien connu, contraction de Web et de log. Ils
consistent en un journal électronique édité par une personne, une association ou une
entreprise, rédigé sous forme de billets suivant un classement chronologique. Technorati, un
moteur de recherche spécialisé dans les blogs en recensait plus de 63 millions dans le monde
en décembre 2006 (Journal du net, 10/01/2007). Les sites collaboratifs, sont eux des sites qui
peuvent être librement étoffés, corrigés et mis à jour par les internautes qui les visitent. Le cas
le plus célèbre et largement controversé est celui de l’encyclopédie en ligne gratuite
Wikipédia6. Celle-ci fonctionne selon le principe du wiki dont elle donne la définition
suivante : « système de gestion de contenus de site Web qui rend les pages Web librement
modifiables par tous les visiteurs autorisés ». Les réseaux sociaux sont des sites Web qui
mettent en relation des utilisateurs en établissant des arborescences de profils. Ils peuvent être
professionnels comme Viadeo7, amicaux comme StudiQG8, voire les deux en même temps
comme ceux qui regroupent les individus par affinités mais qui présentent également un
6
http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil
7
http://www.viadeo.com/fr/connexion/
8
http://www.studiqg.fr/
14
intérêt professionnel tels Myspace ou Facebook9. On retrouve ici les effets de réseaux décrits
par les économistes : plus nombreux sont les utilisateurs et plus grande est l’utilité
individuelle et sociale. Le référencement social qui correspond à une classification des
contenus disponibles sur Internet via un système de notes distribuées par les internautes. Le
dernier exemple en date est le français Wikio10, un moteur de recherche d’actualités qui
scanne les sources médias habituelles ainsi que les blogs, et fait ressortir les éléments en
fonction du jugement des internautes. L’idée a été reprise aux Etats-Unis, en Allemagne, en
Italie et en Espagne. Enfin, les plates-formes de partage de photos et de vidéos. Pour les
premières, Flickr11 permet de stocker et d’échanger des photos en ligne. Pour les secondes, le
français (précurseur) Dailymotion et le numéro un YouTube12, hébergent les contenus
envoyés par un internaute pour les mettre à disposition de tous les autres, sans se soucier si le
contenu est protégé par un droit d’auteur.
On le voit, le Web 2.0 permet et organise une nouvelle utilisation d’Internet, dans une
démarche de sociabilité et de confiance, où l’information est le produit de tous et est contrôlée
par tous. Comme le dit Jeff Bezos, le fondateur de la librairie en ligne Amazon, l’objectif du
Web 2.0 est de « rendre Internet utile ». Tout un symbole, la personnalité de l’année 2006
élue par Time Magazine n’est autre que…VOUS ! « Et parce que vous prenez le contrôle des
médias globaux, parce que vous fondez et modelez la nouvelle démocratie numérique, parce
que vous travaillez sans contrepartie financière et parce que vous battez les professionnels
sur leur propre terrain, la personnalité 2006 élue par le Time c’est vous. » (Time Magazine,
13/12/2006).
Même en ligne, les éditeurs de presse n’en demeurent pas moins des industriels du papier. Il
leur est donc difficile de planifier des investissements stratégiques sur la toile si leur activité
traditionnelle est lourdement déficitaire. Or, on observe à l’échelle de l’Europe et globalement
par pays, un déclin certain de la diffusion payée des quotidiens, alors que la presse
quotidienne est en concurrence depuis longtemps avec d’autres médias de masse.
9
http://www.myspace.com/ et http://www.facebook.com/
10
http://www.wikio.fr/
11
http://www.flickr.com/
12
http://www.dailymotion.com/fr/ et http://www.youtube.com
15
1.3.1. Une industrie papier déclinante
Quelle est la réalité de l’état de la PQN européenne ? Pour l’apprécier, nous étudierons
plusieurs séries de chiffres, directement issues de l’Association mondiale des journaux ou
relayées par elle. On pourra toujours examiner des titres qui ne se fondent pas dans cette
tendance au déclin de l’industrie et on aura raison de souligner le dynamisme de certaines
formules éditoriales en phase avec leur lectorat. Pour autant, ces exemples particuliers ne
peuvent gommer la situation d’ensemble observée sur une période récente et significative.
Penchons-nous tout d’abord sur la diffusion de la PQN européenne.
Tableau 4 : Evolution de la diffusion payée totale des quotidiens en Europe sur la période 1995-200213
Ainsi pourra-t-on observer qu’entre 1995 et 2002, la diffusion payée des quotidiens italiens
progresse de près d’un tiers quand celle des quotidiens polonais grimpe de 27 %. Mais force
est d’admettre qu’en Europe de l’Ouest comme en Europe de l’Est, les résultats indiquent
globalement un déclin de la diffusion payée de respectivement 5,9 et 9 %.
Tableau 5 : Evolution de la diffusion moyenne par titre en Europe sur la période 2002-200614
Ces chiffes ne font que confirmer la tendance du déclin même si la courbe ralentit
progressivement, voire tremble légèrement. La presse quotidienne européenne voit sa
diffusion moyenne par titre chuter de 7,85 % en l’espace de quatre ans, même si elle
enregistre un soubresaut entre 2005 et 2006.
13
D’après GMID
14
D’après Association mondiale des journaux, World Press Trends 2007
16
A présent, penchons-nous sur des exemples relatifs aux chiffres d’affaires des éditeurs de
PQN à l’échelle de pays, puis nous comparerons l’évolution des parts de marché publicitaire
entre les journaux et Internet.
De plus, alors que la part de marché des investissements publicitaires en PQN diminue
globalement en Europe, celle d’Internet connaît des taux de croissance exponentiels.
15
Euromonitor et Infos-Médias n° 13, Direction du développement des médias, 07/2007
17
Tableau 7 : Parts de marché publicitaire des journaux et Internet en 2002 et 2006 en Europe16
2002 2006 Variation Variation
PDM publicitaire en % Journaux Internet Journaux Internet journaux Internet
Allemagne 41,7 1,4 40,3 2,6 -3% 86%
Autriche 36,7 0 39,1 1,4 7% -
Belgique 19,9 0,6 25,9 3,1 30% 417%
Danemark 44,7 3,9 36,3 5,9 -19% 51%
Espagne 28,2 1,3 24,6 2,2 -13% 69%
France 16,6 1 15 3,1 -10% 210%
Hongrie 12,4 0 10,2 1,8 -18% -
Italie 21,1 1,3 19 2 -10% 54%
Pays-Bas 43,5 0,9 39 3,4 -10% 278%
Portugal 8,6 0,6 7,8 0,9 -9% 50%
République Tchèque 20 0,7 19,1 2,3 -4% 229%
Roumanie 15,9 0 9,2 1,4 -42% -
Royaume-Uni 39,8 1,7 33,5 13,5 -16% 694%
Slovaquie 8,5 0 6,3 0,6 -26% -
Suisse 48,6 0,5 35,5 1,4 -27% 180%
En seulement quatre ans, les annonceurs ont investi le média Internet qu’ils intègrent
désormais presque systématiquement dans leurs plans de communication. Ceci, donc au
détriment de la presse quotidienne, le recul s’échelonnant de quelques points pour
l’Allemagne à 42 % pour la Roumanie.
16
Association mondiale des journaux, World press trends 2007
18
Negroponte, le fondateur du laboratoire des Médias au MIT, prédisait : « la technologie
suggère qu'à la possible exception du sport et des soirées d'élections, la télévision et la radio
du futur seront acheminés de façon asynchrone. » (FOGEL et PATINO, 2005, 27).
17
Etude sur les communications électroniques auprès des ménages, Eurobaromètre Spécial, avril 2007
19
L’Autriche (12 jours), l’Italie (12.9), l’Irlande (13), le Portugal (13.4), la Norvège (14.7), le
Danemark (14.7), la Suisse (15.1), la Belgique (15.5) et la Finlande (16.4) se connectent
moins fréquemment que la moyenne européenne tandis que les britanniques arrivent en tête
du classement avec en moyenne une fréquence de 21 jours et une durée de connexion de 34,4
heures. Des pratiques irréversibles sont adoptées par les européens en matière d’usage
d’Internet et on peut s’attendre encore à une forte progression de la fréquence et du temps de
connexion. Par contrecoup, le temps et les ressources alloués aux autres médias en seront
nécessairement affectés. C’est la structure même des dépenses culturelles des ménages qui est
en train de se modifier au profit des loisirs numériques, ce que montre les données de l’INSEE
ci-dessous. Dans le cas français, on s’aperçoit qu’entre 1990 et 2005, la part de ce budget
consacrée aux supports physiques (disques, cassettes, pellicules photo) chute de 18 % et celle
de l’imprimé (presse, livre) et de la papeterie plonge de 30 %. A contrario, l’informatique
(hardware et software) progresse de 286 %.
Tableau 8 : Evolution des postes budgétaires dans les dépenses culturelles et de loisirs, en France, entre
1990 et 200518
Variation
En % des dépenses culturelles
1990 1995 2000 2005 sur la
et de loisirs
période
18
Insee, comptes nationaux
20
Internet est donc appelé à jouer un rôle de plus en plus important dans nos vies en tant que
source d’information, outil de communication, vecteur de loisirs, canal de vente, instrument
de travail, tout ça mélangé et bien d’autres potentialités à venir. Dès lors, la problématique qui
se pose aux éditeurs de presse, tout comme aux producteurs professionnels d’œuvres
artistiques (films, musiques, ouvrages), c’est l’idéologie redoutable charriée par le réseau des
réseaux : la gratuité.
Après avoir rappelé dans cette partie le cadre économique et technologique dans lequel
évoluent actuellement les éditeurs de presse, nous allons aborder le défi qui se pose de
manière aigue à la presse, média historiquement payant, le problème de la gratuité.
21
2. « La tare originelle »
Comment est-il possible, dans une économie mondialisée, où la logique marchande s’est
immiscée partout, jusque dans la culture et les questions de santé publique, de voir un réseau
comme Internet se développer sous la bannière du gratuit ? Si les raisons idéologiques sont
réelles, elles sont rattrapées par des réflexions économiques.
Bien qu’issu originellement d’un programme de l’armée américaine, qui se demandait dans
les années 1960 comment décentraliser l’information en cas d’attaque soviétique, la toile a été
très vite investie par le grand public. Le perfectionnement du système hypertexte puis
l’invention du World Wide Web (la toile d’araignée mondiale) conjuguée à la mise au point
du navigateur Internet Mosaic a conduit à la diffusion massive de cette technologie dans les
années 1990. Les pionniers du réseau voyaient dans cette nouvelle technologie un chemin
vers la culture et la connaissance universelles, réalisant - là ou la télévision avait échoué- la
prophétie de McLuhan du fameux « village global ». « Mais ce lieu global est différent de
celui qu’aurait pu engendrer la télévision. Tous ses habitants ne sont pas soumis au même
message en même temps. Leur communication n’est pas synchrone. » (FOGEL et PATINO,
2005, 198).
19
Régis Soubrouillard, « Gratuits : le prix à payer », in Le Débat, Gallimard n°139, mars-avril 2006.
22
enveloppe toute institution tenue d’emblée pour aliénante, et dans un désir, celui de la
transparence absolue par la communication universelle. Ces idéaux (…) ont rencontré
d’autres exigences plus anciennes et authentiquement démocratiques : celle de l’accès pour
tous au savoir et à la culture, institué comme droit et réalisé dans l’instruction gratuite. »
Internet donne ainsi une nouvelle résonance à la contre-culture, ce mouvement libertaire qui
trouve ses racines dans les années 1960 : de l’Amérique hostile à la guerre du Viêt-Nam et à
l’American Way of life, jusqu’aux révoltes de l’année 1968 à Prague, Rome et Paris. La toile
devient le promoteur de cet esprit. C’est également le sens des logiciels libres, développés à
partir des années 1980 tels les système d’exploitation GNU lancé par l’américain Richard
Stallman en 1983, puis Linux du finlandais Linus Torvalds en 1991. De nos jours, ces
logiciels et leur filiation font figure de résistance face aux géants honnis de l’Internet comme
Microsoft et, de plus en plus, Google dont la devise est pourtant « Don’t be evil » (ne fais pas
le mal). Autre combat tout aussi gigantesque mené par les internautes libertaires, celui de la
gouvernance d’Internet. « Le pouvoir de contrôle de ses (Internet) infrastructures critiques
reste, en réalité, entre les mains d’un acteur unique » et cet acteur c’est l’ICANN
(BENHAMOU et SORBIER, 2006). Inféodé au Département du commerce des Etats-Unis,
cette société de droit privée créée en 1998, pourrait en théorie « « effacer » de la carte de
l’Internet les ressources de pays entiers » (BENHAMOU et SORBIER, 2006). Aussi des voix
s’élèvent-elles pour réclamer une multilatéralisation du contrôle du réseau. Enfin, nous avons
déjà parlé de l’encyclopédie en ligne et gratuite Wikipédia, dont le projet de diffusion de la
connaissance universelle repose sur le travail bénévole de centaines de milliers d’internautes à
travers la planète.
Des raisonnements, cette fois économiques, tentent d’appréhender la gratuité à l’œuvre sur le
réseau. Tout d’abord, nous l’avons déjà dit, comme sur Internet le coût de reproduction d’une
information est quasi-nul, alors « les théories néoclassiques qui préconisent une tarification
au coût marginal se prononceraient donc logiquement pour la gratuité de l’offre de presse
sur Internet vis-à-vis du consommateur final » (ATTIAS, 2006). Mais ce n’est pas tout, des
économistes contemporains du développement de l’économie numérique ont également pu
analyser le phénomène. Ainsi en 2001, Daniel Cohen publiait-il une tribune dans le quotidien
23
Le Monde, intitulée « la propriété intellectuelle, c’est le vol » (Le Monde, 08/04/2001). S’il
reconnaît que l’achat d’un bien entraîne automatiquement une propriété exclusive d’une
personne sur la chose acquise, il explique que le même raisonnement n’est pas applicable pour
la propriété intellectuelle. « Lorsque une idée a été trouvée, rien ne fait obstacle à son usage
par tous, sinon la propriété elle-même. Alors que la propriété tout court rend possible
l’appropriation d’un objet, le droit de propriété intellectuelle la restreint. » Et d’ajouter « un
film comme une chanson ou une formule chimique, ne demande qu’à circuler librement une
fois qu’il a été fabriqué ». Pour justifier la gratuité, Daniel Cohen invoque dans ce texte deux
arguments. Premièrement, le fait que le nombre d’utilisateurs d’une idée, film ou chanson
n’empêche pas la consommation ultérieure par d’autres utilisateurs de la même « chose ». A
contrario, un bien classique est détruit ou s’use du fait de sa consommation ou de son
utilisation. Deuxièmement, la libre circulation d’un film ou d’une chanson allonge son
utilisation ce qui diversifie et augmente les revenus qui en sont issus. Daniel Cohen parle d’un
« nouvel équilibre économique, plus proche de sa (le produit) nature originelle ».
De son côté, Olivier Bomsel étudie le phénomène de gratuité à l’œuvre dans le déploiement
de l’économie numérique. Ainsi écrit-il que « le numérique est un Cheval de Troie. Il pénètre
et se diffuse d’abord comme un bienfait. Puis déploie rapidement ses effets de réseau. »
(BOMSEL, 2007, 11). Il rappelle qu’un effet de réseau se produit lorsque sur un marché,
l’utilité d’un consommateur s’améliore avec la consommation du bien ou du service par
d’autres consommateurs. Théoriquement, le quotidien payant qui accueille de la publicité
dans ses colonnes est sur un marché à « deux versants » qui produit des effets de réseau. Plus
il compte de lecteurs, plus il attire des annonceurs et plus il attire des annonceurs, plus il peut
diminuer le prix d’un exemplaire et attirer de nouveaux lecteurs. On objectera que ce cercle
vertueux ne prend pas en compte la tolérance du lecteur face à la publicité ni la réaction d’un
non lecteur face à la variation du prix de vente d’un titre. Sur Internet, comme il est difficile
de facturer l’information généraliste au lecteur, « les firmes peuvent mettre en œuvre des
stratégies dites de « marché à deux versants » où l’accès au client gratuit ou largement
subventionné est revendu à d’autres clients, payants », en l’occurrence les annonceurs
(BOMSEL, 2007, 89). La presse en ligne s’inspirerait donc du modèle économique des
chaînes de télévision hertziennes et des stations de radio, à savoir que pour en bénéficier, il
faut s’équiper d’un poste voire s’acquitter d’une redevance, mais non payer en fonction de sa
consommation.
24
Enfin, notons le constat d’impuissance économique dressé par Denis Olivennes. Il déplore
« le culte de la gratuité » qui « démonétise les œuvres et (…) dévalorise ceux qui les créent et
les produisent » (OLIVENNES, 2007, p.11). Il se désole de ce qu’une même œuvre artistique,
même format, même qualité, puisse être disponible sur des plates-formes de téléchargement
légales et payantes, mais aussi illégalement en libre accès via des réseaux d’échanges de
fichiers de pair à pair, organisés par exemple par Kazaa ou eMule.
Quelque soit l’impact des théories économiques, le monde est aujourd’hui séparé entre les
« digital immigrants » et les « digital natives ». C’est ce qu’a expliqué en substance Rupert
Murdoch, l’homme qui dirige le groupe de médias News Corporation, en 2005 lors d’une
soirée de l’American Society of Newspaper Editors. Il y a ceux qui ont connu l’époque de
l’encre et du papier et ceux qui sont nés dans l’ère du numérique et de la libre circulation des
informations. Le rapport de force a peut être déjà basculé en faveur des seconds, et si ce
n’était pas le cas, ce ne serait qu’une question de temps.
En 2004, Bernard Spitz rendait au ministre français de la culture un rapport intitulé « Les
jeunes et la lecture de la presse quotidienne d’information politique et générale ». Ceci, parce
que les quotidiens français, mais c’est une tendance observable dans le reste de l’Europe, ont
de plus en plus de mal à renouveler leur lectorat. Fidéliser les lecteurs sur toute une vie est
une performance appréciable, mais ne pas renouveler son vivier de lecteurs est une faute
impardonnable. C’est comme si un groupe pétrolier voyant ses réserves d’hydrocarbures
s’épuiser ne regardait pas du côté des nouvelles sources d’énergie. Il rappelle qu’entre 1994 et
2003, les tranches de lecteurs âgés de 15 à 24 ans et de 25 à 34 ans ont diminué de
respectivement de 17,5 et de 18 %. Dans le même temps, la proportion des lecteurs âgés de 50
à 64 ans a progressé de 23 %. Autre chiffre cité par Bernard Spitz, celui de la proportion de
lecteurs de presse quotidienne en Espagne dont l’âge se situe entre 15 et 24 ans. Les jeunes
espagnols se classent avant dernier de l’Union Européenne à 15 puisque seulement 32,5 % de
cette classe d’âge lit la presse quotidienne, seuls les jeunes français font pire. Citant une étude
de la société BIPE, il souligne que l’habitude prise vers l’âge de 20 ans en matière de lecture
25
de presse quotidienne est « au mieux conservée par cette génération tout au long de son cycle
de vie, mais jamais augmentée. Par conséquent, le renouvellement démographique entraînera
mécaniquement un forte déclin de la diffusion de la presse quotidienne à moyen terme ».
11-sept-01 10
Internet 20 23
Sida 28 21 27
Crise 31 29 29 29
mai-68 36 36 43 43 35
Guerre d'Algérie 48 49 50 49 40
Libération de la France 64 58 56 47
Les données collectées par le DEPS mettent bien en évidence un « effet générationnel négatif
très marqué ». En effet, quelle que soit la classe d’âge considérée, plus on remonte dans les
générations et plus la lecture de la presse quotidienne est importante. Le record absolu étant
détenu par la génération née au moment de la Libération de la France, avec un taux de lecture
des quotidiens de 64 % entre 33 et 48 ans. De plus, l’étude mentionne que « la presse
quotidienne subit une perte additionnelle de son lectorat à chaque nouvelle génération ».
20
Pour la Belgique d’après le C.I.M, Centre d’information sur les médias, étude de lectorat 2005-2006 ; pour le
Danemark source TNS Gallup ; pour le Royaume-Uni selon TGI et BMRB. Données relayées par le WAN
26
âgés de 50 ans ou plus21. L’Irlande est un pays plus dynamique démographiquement que le
reste de l’Europe et affiche un taux de lecteurs âgés au minimum de quarante-cinq ans plus
faible, seulement 44 %22. C’est 10 points de moins qu’aux Pays-Bas23. L’Espagne possède
également un jeune lectorat puisque 57 % des lecteurs ont moins de 35 ans24.
Effet de génération oblige, le lectorat en ligne ne cesse de progresser dans les différents pays
d’Europe. Pour s’en assurer, étudions empiriquement le cas de plusieurs quotidiens nationaux
en Allemagne, en France et en Espagne. Historiquement, l’Europe du Nord et scandinave a
une forte tradition de lecture de la presse, ce qui est moins vérifié pour l’Europe latine
(Portugal, Grèce, Espagne, Italie), la France se situant à la limite basse des deux situations.
Tableau 10 : Fréquentation de sites de quotidiens nationaux allemands sur un an, juillet 2006-200725
Dans l’ensemble, ces sites Internet de titres nationaux connaissent une progression du nombre
de visites de plus ou moins 30 %. Ce qui est considérable. Seul le Frankfurter Rundschau
accuse une baisse de la fréquentation de son site de 2 %.
Tableau 11 : Fréquentation de sites de quotidiens nationaux français sur la période juin 2006-0726
21
D’après BDZV et MA
22
D’après Joint National Readership Survey
23
D’après NOM Print Monitor 2005-2006
24
D’après EGM Prensa
25
D’après Informationsgemeinschaft zur Fetellung der Verbreitung von Werbetragern
26
D’après OJD
27
Cette fois, les chiffres sont beaucoup plus disparates mais témoignent tous d’une
augmentation du nombre de visites des sites. En un an, le quotidien économique La Tribune
parvient à doubler sa fréquentation Internet contre seulement 6 % pour le leader du segment,
Les Echos, mais dont la fréquentation réelle demeure supérieure de près d’un million de
visites.
Tableau 12 : Nombre de visiteurs uniques de sites de quotidiens espagnols entre juillet 2006 et juin 200727
En millions de visiteurs Juillet 2006 Juin 2007 Variation
uniques
EL MUNDO 7, 6 9, 2 21%
MARCA.COM 4, 9 5, 4 11%
20MINUTOS.ES 2, 0 4, 0 99%
ABC 1, 8 3, 2 81%
SPORT 1, 5 1, 8 23%
En Espagne aussi, les performances sont inégales d’un titre à l’autre. Soulignons que le site
Internet de la version ibérique de 20 Minutes parvient à doubler le nombre de visiteurs
uniques présents sur son site en l’espace d’un an. Dans les trois exemples que nous avons
relevés, on note que les meilleures progressions d’audience sont le fait de titres en position de
challenger. L’audience des leaders augmente également mais moins rapidement.
En Europe, les éditeurs de presse quotidienne ont perçu cette tendance et ont multiplié les
ouvertures de sites Internet. En 2006, on recense en Belgique vingt sites de presse quotidienne
contre 17 en 200228. Sur la même période au Danemark, les éditeurs gèrent au total 38 sites
(+ 31 %)29. Toutefois, il arrive que le nombre de sites de presse quotidienne diminue entre
2002 et 2006, notamment dans les pays où ils sont très nombreux. Ainsi, de 35 sites aux Pays-
Bas en 2002, il en reste 29 en 200630. Idem en Norvège où on passe de 81 à 78 sites sur la
période31, et en Suède 75 contre 77, quatre ans plus tôt. En Scandinavie, le groupe norvégien
de médias Schibsted apprécie tout particulièrement le caractère stratégique du lectorat en
ligne.
27
OJD Interactiva
28
D’après Association Belge des Editeurs de Journaux
29
D’après Danish Nespaper Publishers Association
30
D’après Cebuco
31
Estimation
28
Figure 2 : Evolution de la composition du lectorat de Verdens Gang (Norvège), en milliers de lecteurs32
La colonne inférieure représente la part des lecteurs papiers, la colonne supérieure celle des
lecteurs en ligne et celle intermédiaire correspond à la portion de lecteurs qui lisent à la fois la
version papier et la version en ligne. On remarque sans difficulté que le lectorat papier du
premier quotidien de Norvège en termes de diffusion diminue chaque année. Pourtant, son
lectorat total progresse de façon plus que proportionnelle.
Le constat est presque identique pour le quotidien suédois Aftonbladet, lui aussi édité par le
groupe Schibsted. A la différence près que le premier quotidien de Suède en termes de
diffusion endigue mieux le déclin de son lectorat papier. Voilà une évolution qui annonce très
sûrement l’avenir de nombreux quotidiens européens à court terme.
32
D’après groupe Schibsted, rapport annuel 2006
33
D’après groupe Schibsted, rapport annuel 2006
29
2.3. Des concurrents de poids
La PQN payante doit donc faire face à la culture du gratuit qui anime Internet depuis la
naissance du réseau, mais elle doit aussi affronter une autre forme de concurrence, gratuite
cela va sans dire, celle des quotidiens gratuits d’information politique et générale qui se
dévoilent sur le Web et celle des agrégateurs de contenus, tels que Google Actualités ou
Yahoo Actualités.
34
D’après rapport annuel 2006 groupe Tele2
30
presse nationale de référence afin de prolonger cette domination sur Internet. » (Le Point,
21/09/2006).
Et les gratuits savent y mettre le prix. 20minutes.fr lancé en mars 2006 a pour l’heure englouti
dix millions d’euros d’investissements. En outre, le site a internalisé depuis juin 2007 sa régie
publicitaire pour l’activité Internet, auparavant confiée à Lagardère Active Publicité
(Correspondance de la Presse, 07/06/2007). La version numérique de 20 Minutes, dont la
rédaction dédiée se compose de 16 journalistes, obère les comptes du groupe en France qui
espère un retour à l’équilibre pour 2009. Metro n’est pas en reste. Valérie Decam, directrice
générale de Metro France annonce prendre en compte le Web dans toutes les « réflexions en
matière de lancement d’autres supports papier » signe que le développement du portefeuille
de titres ne peut s’envisager sans viser des synergies avec la toile. Et d’ajouter, « nous allons
aussi élargir l’utilisation de notre site Internet et le positionner comme un grand portail
35
Tableaux statistiques de la presse, édition 2007
31
communautaire, en travaillant notamment sur les aspirations de nos lecteurs, telles que la
musique ou le sport. Ainsi, nous pourrons recruter des « Metronautes » qui ne sont pas
forcément lecteurs du journal mais qui pourraient le devenir. Nous croyons à l’effet de vases
communicants entre les deux supports. » (Stratégies, 22/03/2007). En l’absence de paiement
des lecteurs, Metro opte pour une stratégie de portail c'est-à-dire qu’il se lance dans la course
à l’audience maximale. Un pari difficile pour les journalistes Web de Metro, « partis de loin
et (…) arrivés plus tard » (Entretien Nicolas RAULINE, 07/2007), d’autant plus que la
version papier n’est distribuée que dans onze grandes villes françaises. Pour l’heure, Metro
France revendique pour sa version papier 1,5 million de lecteurs par jour (Le Figaro,
14/02/2007) et pour sa version électronique une hausse de fréquentation de 20 % par mois
depuis avril 2007 et ses 430 000 visiteurs uniques (Stratégies 24/05/2007). Objectif déclaré,
franchir le cap du million de visiteurs uniques d’ici la fin de l’année 2007.
Dans la course à l’audience en ligne, d’autres acteurs sont mieux positionnés que Métro ou 20
Minutes : les agrégateurs de contenu. « Ce sont surtout des portails généralistes, produits par
des fournisseurs d’accès à Internet (Orange, Free, Neuf Cegetel…) ou par les principaux
acteurs de la communication interpersonnelle en ligne (Yahoo, MSN) » (ATTIAS, 2007).
Dans tous les cas, il s’agit de pure players Internet, à l’aise avec les modèles économiques 2.0,
d’autant plus qu’ils en sont souvent à l’origine. Les agrégateurs de contenus exploitent une
forte audience initiale, une audience quasi-captive qu’ils s’emploient à maintenir le plus
longtemps possible sur leurs propres pages Internet afin de maximiser leurs revenus
publicitaires. Dans le cas des fournisseurs d’accès, ces derniers profitent de ce que leur portail
est souvent la page d’accueil de leurs clients, et dans le cas des « acteurs de la communication
interpersonnelle en ligne », rappelons qu’ils sont une porte d’entrée incontournable sur le
réseau et que « 40 % des visites quotidiennes d'un site non indexé dans les favoris d'un
internaute viennent du moteur de recherche Google, contre 15% pour un « grand site » »
(FOGEL et PATINO, 2005, 52). Fournisseurs d’accès Internet comme moteurs de recherche
bénéficient donc sur le net d’une excellente notoriété si bien que le service d’actualités était le
troisième poste d’audience de Yahoo en 2004 (ATTIAS, 2007).
32
ces pure players Internet ne produisent aucun contenu en propre mais prennent le parti
d’agréger des contenus existants, soit qu’ils proviennent d’agences de presse (Reuters, Belga,
AFP), soit qu’ils proviennent d’éditeurs de presse payante (De Telegraaf, Jornal de Noticias,
The Irish Times). L’agrégateur peut alors proposer aux producteurs de contenu une
rémunération, en l’échange d’une information reconnue du grand public comme étant de
qualité ; ou bien un contrat dont les termes se résument ainsi : « contenus contre visibilité ».
L’avantage pour les agrégateurs d’externaliser la fonction éditoriale et de n’avoir aucun coût
de ressources humaines. Pas de journalistes à rémunérer et pas de conflits sociaux. Danielle
Attias s’est penchée sur le fonctionnement et le modèle économique des agrégateurs. Ses
calculs indiquent que cette catégorie d’acteur emploie en moyenne 2,9 personnes pour
proposer une chaîne d’actualité. L’auteur explique que Yahoo Actualités « mobilise cinq
Surfeurs, supervisés par un producteur et un responsable des contenus ». Ces derniers « ont
pour fonction d'identifier et de classer les sites qui leur semblent les plus intéressants afin de
les proposer aux internautes ». Ces tâches ne sont pas effectuées par des journalistes mais les
surfeurs produisent, adapté aux contraintes du Web, un travail qui se rapproche du secrétariat
de rédaction.
Ce n’est même pas le cas de la chaîne d’actualité de Google, la fameuse Google News. La
firme californienne propose sur une page Web une sélection automatisée de liens vers des
articles parmi plusieurs centaines de sources (des éditeurs de presse professionnels mais aussi
certains sites et blog à forte notoriété). Pour ce faire, elle a recours à un robot qui sélectionne
les articles, les analyse grâce à des algorithmes et les classe sur le site. En outre, le service
garde en mémoire les articles même après que l’éditeur les eût retiré de la partie gratuite de
son site. De son côté, l’internaute a même la possibilité de personnaliser la disposition de la
page et d’organiser l’affichage de l’information en fonction de ses centres d’intérêts. Aucun
partenariat n’est noué entre Google et les éditeurs qui pour certains voient d’un mauvais œil
cette concurrence. Une situation qui devient de plus en plus préoccupante quand on sait que
Google est depuis mars 2007, le site le plus fréquenté du monde, selon une étude du cabinet
comScore (Correspondance de la presse, 03/05/2007). En Belgique, où il existe une version
francophone de service depuis 2006, l’association Copiepresse qui défend les intérêts
d’éditeurs de presse francophone et germanophone a triomphé par deux fois du géant devant
la justice. Confirmant son jugement du 5 septembre 2006, le Tribunal de première instance de
Bruxelles a, le 13 février 2007, condamné Google pour violation de la législation sur le droit
d’auteur. Le tribunal avait estimé la première fois que la chaîne actualités de Google « est de
33
nature à faire perdre aux éditeurs une part importante de leurs revenus tirés des recettes
publicitaires qu’ils perçoivent » et que « la vente électronique d’articles est menacée, ainsi
que les ressources tirées de l’archivage de ces articles, dont la consultation est payante »
(Recueil Dalloz 2006, n° 33). Même si Google Actualités n’associe pas de publicité à son
service, il court-circuite le schéma de navigation mis en place par les éditeurs, donc impacte
négativement leurs ressources publicitaires, et comme le souligne Olivier Bomsel, « la
fonction d’agrégation proposée par Google fait de ce dernier l’outil de navigation, non pas
sur un seul site, mais sur plusieurs. Difficile alors pour un titre de fidéliser l’internaute »
(Entretien Olivier BOMSEL, 07/2007).
Le bras de fer judiciaire remporté par les éditeurs belges reflète « les difficultés à articuler le
droit contemporain de la propriété intellectuelle et la nécessaire organisation de
l’information sur le Web. » (Recueil Dalloz 2006, n° 33). Toutefois, il n’est pas acquis que le
retrait par Google des articles des éditeurs belges soit bénéfique pour ces derniers. En
représailles, le moteur de recherche avait même totalement déréférencé les membres de
Copiepresse, procédure légal, afin de minimiser leur trafic. Par conséquent, « Copiepresse
continue à batailler ferme afin de décrocher un accord financier par lequel ses articles
pourront être publiés sur Google News, en échange d’une rémunération » (Correspondance
de la presse, 04/05/2007). L’incertitude juridique dans les autres pays et le coût financier
induit par des batailles juridiques fleuves pousseront sans doute les éditeurs à rechercher des
accords plutôt qu’un arbitrage judiciaire. Ainsi l’AFP annonçait-elle le 6 avril 2007 la
signature avec Google d’un accord de partenariat qui « prévoit la fourniture rémunérée
d’informations AFP (textes/photos) en ligne ». Cet accord « met un terme aux actions en
justice lancées par l’agence de presse contre le moteur de recherche aux Etats-Unis et en
France en 2005 » (Communiqué de presse AFP, 06/04/2007).
34
3. Quels modèles économiques à l’ère du Web 2.0 ?
Le Web 2.0 se caractérise comme on l’a vu par son esprit de fraternité numérique,
d’ouverture, de communauté libre. L’argent n’y a pas cour, du moins pas entre l’internaute et
le prestataire de service. Ce sont plutôt des conseils, de l’entraide, des connaissances qui font
office de devise. Dans ce contexte, difficile de lever un impôt sur le contenu, par trop
impopulaire, alors que les éditeurs avaient habitué l’internaute à la gratuité des informations.
Un autre élément de taille plaidait en faveur du refus de cette solution. En effet, l’information,
« par essence tout ce qui peut être numérisé, c'est-à-dire encodé en flux de bits » (ATTIAS,
2007) appartient à la catégorie de ce que les économistes appellent les biens d’expérience. Par
bien d’expérience on entend des « biens qu’on ne connaît véritablement qu’après les avoir
consommés » (BOMSEL, 2007, 184). La gratuité de contenus, même de qualité, surtout de
qualité, permet ainsi à l’éditeur de donner un gage de transparence aux internautes et de lever
l’incertitude quant à la valeur des informations proposées. La gratuité est en tout cas une étape
vers une éventuelle tarification de l’offre, une période où l’éditeur fait ses preuves en matière
de crédibilité éditoriale sur un autre support.
Néanmoins, certains éditeurs parviennent à tirer leur épingle du jeu et à facturer la majorité de
leurs ressources en ligne. Suivant l’exemple heureux du Wall Street Journal, le groupe
britannique Pearson s’est décidé à appliquer ce modèle à ses sites d’information économique
dont ft.com et lesechos.fr. Cette option est quasi exclusivement le fait d’éditeurs de presse
spécialisée, car les informations qu’ils produisent bénéficient d’une forte valeur ajoutée en
comparaison de l’information politique et générale, disponible en abondance sur la toile. Par
exemple, Pearson indique qu’en 2005, le site Internet du Financial Times comptait 84 000
35
abonnés payants et que la publicité en ligne a progressé de 27 % par rapport à 200436. De
plus, le ft.com a été visité en moyenne par 2,8 millions de visiteurs uniques par mois, soit une
hausse de 33 % par rapport à l’exercice précédent (Les Echos, 28/02/2007). Quant au site
Internet du premier quotidien économique français, lesechos.fr revendiquent 1,2 million de
visiteurs uniques en moyenne par mois au cours de l’année 2006, et annoncent une
profitabilité supérieure à 10 % (Challenges, 03/07/2007). Comme pour leur version imprimée,
les quotidiens économiques jouissent d’un avantage comparatif certain par rapport à la PQN
généraliste. L’information est de qualité en plus d’être facturée à des prix relativement élevés.
Le ft.com propose des formules annuelles d’abonnement en ligne allant de 120 euros pour le
service minimum (articles et archives) à 549 euros pour la formule premium (nombreux
services financiers supplémentaires), et 365 euros pour lesechos.fr. Mais même sur Internet, le
prix de ce genre d’abonnement n’est pas une barrière à l’achat puisque le coût est la plupart
du temps supporté par l’entreprise et non pas par les particuliers.
Les informations politiques et générales proposées gratuitement sur un site Internet le sont
donc à la fois par calcul économique et par obligation. Ne pas s’aligner revient pour un
éditeur à s’exposer à une fuite de l’audience Internet et à un affaiblissement de la visibilité
globale du titre. En ligne, la gratuité est naturellement le lot des quotidiens déjà gratuits en
version papier (20 Minutes, Metro), mais aussi le choix d’éditeurs qui vendent un quotidien
imprimé (the Irish Examiner en Irlande, As en Espagne). Les contreparties de ce modèle
économique sont tout d’abord, une forte dépendance à la publicité. L’éclatement de la bulle
Internet avait laissé entrevoir les limites de cette stratégie. Ensuite se pose irrémédiablement
la question de la cannibalisation des lectorats. En proposant gratuitement sur Internet des
contenus qu’il vend sur papier, un éditeur ne scie-t-il pas la branche sur laquelle il est assis ?
En septembre 2004, le tabloïd britannique The Sun annonçait qu’il réduisait les ressources
accessibles gratuitement sur son site Internet. En effet, une étude évaluait à 90 000 le nombre
de lecteurs qui chaque jour consultaient la version électronique et n’achetaient plus le
quotidien papier. Cette décision intervint alors que la diffusion du journal avait baissé de
4,8 % en 2004 par rapport à l’année précédente.
36
Pearson, rapport annuel 2005
36
En outre, Danielle Attias rapporte l’exemple d’une étude37 sur les quatre principaux titres de
PQN en Italie : le Corriere delle Sera, La Repubblica, La Stampa et Il Giornale. L’objet de
l’étude était de découvrir si la lecture en ligne avait une incidence sur l’achat des quotidiens
papier. En définitive, l’étude conclut que la lecture d’articles sur Internet réduisait en
moyenne de 2,7 % les parts de marché des journaux. Par conséquent, les éditeurs se sont
tournés vers une plus large tarification des contenus dès 2002. Or, ces mêmes éditeurs
proposent aujourd’hui un accès totalement gratuit à leurs ressources, signe qu’ils n’ont pas
trouvé le salut économique dans la facturation de l’information généraliste à l’internaute.
Mais d’autres arguments plaident pour une non cannibalisation des lecteurs entre un quotidien
imprimé et son site Internet. On peut souligner tout d’abord la complémentarité des supports.
Pris en compte dans le traitement de l’information par les éditeurs papier, le média Internet
permet d’apporter une réactivité qui faisait cruellement défaut à la version imprimée. Les
contraintes liées au bouclage des éditions et à la distribution des journaux permettaient de
moins en moins de faire jeu égal avec les médias de l’audiovisuels, en particulier depuis le
développement de puissantes chaînes d’information en continue telles CNN, Al Jazeera ou
BBC World. Les éditeurs préfèrent donc de plus en plus actualiser (presque 24H/24) leur site
Internet afin de réagir à chaud, et réserver les colonnes du quotidien à de l’information traitée
avec plus de recul, et mise en perspective. Par conséquent, le risque de cannibalisation est
d’autant plus réduit que les deux supports proposent une information différenciée, même si
Internet reprend gratuitement l’intégralité de l’édition du jour. Car si le journal suit « un
chemin de fer », autrement dit une hiérarchie de l’information qui s’adapte à la pagination,
l’édition électronique obéit à une autre logique. L’information la plus immédiate occupe le
haut de la page, ce qui implique une rotation à intervalle de quelques minutes, une colonne est
réservée pour les dépêches, tout comme un espace pour les opinions et contenus envoyés par
les lecteurs. Bref, le cheminement de lecture ne peut pas correspondre à celui du papier, ce
sont deux expériences de lecture différentes (ATTIAS, 2007). Pour le vérifier empiriquement,
Danielle Attias prend l’exemple du quotidien Le Monde. Une étude diligentée par le journal
en 2001 révèle que 75 % des lecteurs du site Internet ne lisent pas l’édition papier et
réciproquement. De plus, 60 % des internautes qui surfent sur lemonde.fr sont âgés de moins
de 35 ans et près des deux tiers d’entre eux résident hors de France. On retrouve l’idée
37
L. Filistrucchi : The impact of internet in the market for daily newspapers in Italy, Working Newspaper nº12,
European University Institute, 2004.
37
qu’Internet offre un support qui par nature attire un lectorat plus technophile et plus jeune que
celui du papier et libéré des contraintes géographiques. Toutefois, pour éviter que les lecteurs
papier ne migrent vers l’édition électronique, les éditeurs ont intérêt à construire leur site
selon les canons de l’agencement Web et différencier les contenus proposés. Il est
indispensable de ne pas simplement transposer les articles imprimés sur un support accessible
en ligne.
Constatant que la formule du tout payant n’était acceptable que pour des contenus à forte
valeur ajoutée, en pratique les informations économiques et financières, et craignant que la
stratégie de l’entière gratuité ne suffise pour parvenir à l’équilibre, certains éditeurs se sont
orientés vers une solution tierce. L’idée est de proposer des ressources gratuites à côté des
ressources payantes dans des proportions variables. L’avantage de cette tarification mixte est
de jouer sur les deux versants de la presse papier traditionnelle, c'est-à-dire la contribution des
lecteurs et l’apport des annonceurs. Ce faisant, l’entreprise de presse se réserve la possibilité
d’engranger des recettes publicitaires conséquentes, si elle est leader de son marché, tout en se
permettant de facturer certains de ses contenus à forte valeur ajoutée. Cette option est
essentiellement du ressort de la presse qui se positionne sur une information dite « de
qualité » (I Kathimerini en Grèce), en opposition à l’information populaire (Super Express en
Pologne) ou d’opinion (Correio da Manha au Portugal)38. L’internaute est placé devant le
choix d’une facturation à l’acte, c’est dire ponctuellement pour un fichier, au forfait, il
bénéficie d’un tarif dégressif avec le nombre de fichiers préachetés, ou par abonnement et il
accède à toutes les ressources sans limitation de nombre.
Reste à définir pour l’éditeur le choix des contenus libres et ceux qu’il souhaite facturer. La
pratique révèle deux types de stratégie. Tout d’abord celle initiée par le New York Times et
reprise en Europe comme le fait par exemple The Scotsman, quotidien national écossais basé à
Edinburgh. Le raisonnement est de considérer que l’information la moins différenciée, c'est-à-
dire celle qui se retrouve le plus facilement dans les autres médias, ne peut pas faire l’objet
d’une facturation. Autrement, l’internaute se la procurerait d’une autre manière. C’est ainsi
que selon Alistair Brown, directeur du Scotsman.com au moment de l’introduction de ce
38
Pour une description des quotidiens, voir Planète Presse sur le site de Courrier International
http://www.courrierinternational.com/planetepresse/planeteP_accueil.asp
38
changement en juillet 2005, « vous ne pouvez pas faire payer ce qui est populaire, mais ce qui
est unique. Les lecteurs veulent de la profondeur d’analyse et un regard typiquement écossais
sur le monde et c’est ce que nos journalistes ont à leur proposer » (Online Journalism News,
20/07/2005)39. C’est donc l’analyse des journalistes maison, la marque de fabrication du
journal, bref tout ce qui le rend différent du Scottish Daily Express ou du Daily Star of
Scotland que les lecteurs sont prêts à payer. L’actif du journal le plus précieux n’est donc plus
ses rotatives ou ses locaux comme naguère, mais son image, son influence et sa crédibilité.
10 % du site Internet passent ainsi en accès payant, essentiellement les analyses, les éditoriaux
et certaines archives.
Une autre stratégie est celle du Monde. Le quotidien français propose l’intégralité de ses
contenus du jour gratuitement. Attention, l’internaute serait, comme nous l’avons expliqué
plus haut, bien en peine de lire les articles dans le même ordre que celui de la version papier.
Les articles sont classés par « urgence » et par thème. L’internaute a également l’accès aux
contenus multimédias et la possibilité de participer aux forums, chats et blogs. En revanche, la
souscription à l’abonnement lemonde.fr donne le droit à de nombreux services
supplémentaires qui peuvent décider le lecteur à franchir le pas des contenus payants (six
euros par mois ou deux euros l’archive). Il bénéficie alors du service Desk, fils des grandes
agences de presse proposant des contenus texte, image et son, de l’envoi de newsletters (les
titres du journal), alerte d’actualité chaude à toute heure du jour et de la nuit, l’accès aux
archives, aux dossiers thématiques, aux infographies, quinze jours d’édition du Monde en
PDF et d’autres services encore, comme les annales et les résultats des examens nationaux,
l’info trafic, l’accès à la partie abonnés de Elpais.es … Empiriquement, des auteurs40 ont pu
vérifier qu’un éditeur de site Internet de presse augmente ses revenus si les articles produits
pour le journal papier sont disjoints sur le site Internet et agrégés à d’autres articles abordant
le même thème au sein d’un dossier. Le savoir faire éditorial du journaliste trouve ainsi de
nouveau matière à s’exprimer dans cette hiérarchisation et mise en perspective de
l’information. Le chercheur, l’étudiant, le professionnel, l’homme curieux peut donc
approfondir la réflexion et dépasser le stade de la consommation rapide d’une information.
39
http://www.journalism.co.uk/news/story1455.shtml
40
Cités par Danielle Attias, W. Maass, M.-F. SchÄafer et F. Stahl : Strategies for selling paid content on
newspaper and magazine web sites, The International Journal on Media Management, 2004
39
Pas de modèle économique miracle, mais des formules qui réussissent plus ou moins bien au
quotidien en fonction de leur offre éditoriale et de leur savoir faire Internet. D’ailleurs,
certains titres changent encore radicalement de cap. C’est le cas de The Irish Times qui a
essuyé une chute de 95 % de son lectorat Internet après le passage sans transition d’une
version intégralement gratuite à une version intégralement payante. Elpais.com était passé au
100 % payant en novembre 2002 avant de revenir à une formule mixte en juin 2005. Idem,
leparisien.fr qui depuis mars 2005 fait payer la consultation électronique des articles du jour
au même titre que l’édition papier. « On ne peut plus offrir ce que l'on fait payer par
ailleurs. » déclarait à l’époque Benoit Luciani, directeur général d'e-Paris, filiale multimédia
du Parisien (01 Net, 18/03/2005).
« Plus une marque laisse de place à l’expression de ses « consomm’acteurs », plus elle peut
rassembler sous sa légitimité des phénomènes profonds de consommation et porter, légitimer
des innovations » (LENTSCHENER, 2007, 136). Pour émerger sur Internet et réaliser des
profits, les éditeurs font de plus en plus valoir leur marque, actif intangible permettant la
création de valeur. Sur le net où des millions de voix aveugles se concurrencent sans
hiérarchie, la marque de l’éditeur rassemble et rassure.
Mesurer l’aura d’un quotidien national uniquement à l’aune des chiffres de sa diffusion payée
n’a plus de sens. Le phénomène socio générationnel global que nous avons évoqué plus haut
ne laisse pas entrevoir une inversion de tendance et un retour en grâce du papier chez les
jeunes. La diffusion des technologies et la mobilité professionnelle sont passées par là.
L’exemple du quotidien norvégien du Verdens Gang montre qu’il est devenu nécessaire
d’adapter les outils de mesure du lectorat pour appréhender au mieux ce dernier et le valoriser
auprès des annonceurs. En Belgique, le changement est intervenu relativement tôt. En effet,
l’étude annuelle du CIM pour l’exercice 2004-2005 comptabilisait pour la première fois les
lectures payantes des versions PDF des quotidiens. Ainsi, après les résultats de l’étude CIM
2005-2006, La Libre Belgique annonce une moyenne quotidienne de 197 800 lecteurs mais
205 000 au total en comptant les ventes de versions PDF. Rappelons que pour le CIM, un
40
lecteur est toute personne ayant «lu, parcouru ou feuilleté» un journal au cours des 24
dernières heures, donc pas nécessairement un acheteur du titre sauf pour la version PDF (La
Libre Belgique, 15/09/2006). Ce changement méthodologique dans l’enquête annuelle du
CIM permet à La Libre Belgique de franchir quotidiennement le cap des 200 000 lecteurs, ce
qui est important aux yeux des annonceurs.
Pour l’heure, de nombreux journalistes dans les rédactions européennes sont encore très
réticents à l’encontre de l’usage des nouvelles technologies et d’Internet. Tous n’ont pas la
volonté d’accepter un changement aussi nécessaire que radical dans leur manière de pratiquer
le journalisme. Par conséquent, les éditeurs font le choix de bâtir des équipes éditoriales
uniquement dédiées au support Internet ou bien de faire contribuer les journalistes papier sur
la base du volontariat. Cette stratégie est compréhensible mais quelque peu redondante. On
comprend que plusieurs journalistes soient recrutés pour leurs aptitudes au maniement des
technologies multimédias mais il sera inefficient d’employer des journalistes Internet pour
suivre les mêmes sujets que leurs confrères du papier. Il faut néanmoins reconnaître qu’en
France, le journal Le Monde a filialisé sa rédaction Internet et réussi à dégager des bénéfices.
A l’équilibre en 2004, Le Monde Interactif (55 personnes en 2006) a réalisé un profit de
200 000 euros en 2005 et de trois millions d’euros en 2006 alors que les pertes du groupe
atteignent la même année les 14,3 millions d’euros (Le Figaro, 05/04/2007).
41
Ailleurs en Europe, la tendance est à la rationalisation des effectifs, la mutualisation des coûts
et donc à la fusion des rédactions Internet et papier. Un éditeur est particulièrement en pointe
de cette tendance, il s’agit du groupe Edipresse en Suisse qui édite notamment les quotidiens
Le Matin, 24 heures, La Tribune de Genève, le gratuit Le Matin Bleu et détient une
participation de 47 % dans le journal Le Temps. Edipresse considère que « le métier d’éditeur
évolue par étapes vers celui de fournisseur de contenu et de services distribués à travers
différentes plateformes »41. Pour le groupe suisse, les éditeurs devraient donc se recentrer sur
leur métier de base, c'est-à-dire la production d’information en se débarrassant de tout à priori
sur le support qui l’accueille. Benoît Raphaël, responsable éditorial au Monde Interactif,
raconte sur son blog la visite qu’il a effectué dans les locaux d’Edipresse. Il décrit comment le
groupe helvète est parvenu en trois ans à mettre en place une rédaction intégrée pour laquelle
« chaque journaliste écrira, selon l’heure de la journée, pour le Web ou le print (il sortira
donc plusieurs « papiers » à partir d’une même information). Avant d'écrire son article pour
le journal, il rédigera une brève qui sera publié aussitôt sur Net »42. Cette organisation
fonctionnelle des rédactions a aboli les frontières entre les vecteurs des nouvelles, et donne à
l’information le statut de « matière première » que les mêmes journalistes remodèlent en
fonction du support.
En France, Le Parisien s’apprête à revenir sur son modèle tout payant, au profit d’une
organisation similaire. « Il faut qu’on rattrape le retard, notamment aggravé avec la version
payante qui a tari l’audience. Nous devons enrichir et protéger notre territoire » a déclaré
Vincent Régnier, directeur des rédactions du Parisien43. Comme chez l’éditeur suisse,
l’homme veut « transformer la rédaction en rédaction plurimédia. C’est à dire que tous les
journalistes soient potentiellement contributeurs ». Concernant le modèle économique du site
à venir, il tranche « La bataille du payant en ligne est perdue, les gens ne veulent pas payer
pour l’information. Resteront payants uniquement certains pronostics hippiques etc. Mais
sinon, le gratuit a gagné ». L’intégration des rédactions et la polyvalence des journalistes
semblent dessiner l’avenir des éditeurs de PQN en Europe.
41
Edipresse, rapport annuel 2006
42
Benoît Raphaël, http://benoit-raphael.blogspot.com/2006/10/edipresse-la-salle-de-rdaction-du.html
43
Cité sur le blog de Joël Ronez, http://blog.ronez.net/?p=623
42
3.2.2. Diversifier les modèles économiques
« Nous avons quatre flux possibles pour générer des revenus sur Internet, explique Pierre
Conte, président de Publiprint, en charge des nouveaux médias du groupe Figaro : La
publicité, la vente de contenus, le commerce en ligne et l'accès payant aux sites ». (Le Figaro,
22/02/2007). C’est la réponse des éditeurs de presse payante à la gratuité véhiculée par le net,
diversifier le modèle économique et exploiter d’autres pistes de revenus. La théorie du marché
à deux versants se révèle trop restrictive une fois transposée à l’univers numérique, surtout si
la majorité des éditeurs renoncent à l’un des deux versants, c'est-à-dire à la contribution des
lecteurs. On objectera avec raison que le métier premier de la presse n’est pas de gagner de
l’argent autrement que par la sueur du poignet des journalistes. Cependant, la révolution
technologique que nous vivons au quotidien et son impact sur la presse en ligne nous permet
de penser que « la presse n’a pas entamé un nouveau chapitre de son Histoire, mais bien une
autre Histoire, sous le régime d’Internet » (FOGEL et PATINO, 2005, 16). Loin de
prophétiser la disparition du papier, qui offre encore des avantages valorisant comme la
simplicité d’accès et le confort de lecture, force est d’admettre que la rencontre de la presse
avec Internet, et à plus forte raison le Web 2.0, ouvre des perspectives différentes du modèle
classique du papier pour le développement de ce nouveau média. Certes, ceci implique des
investissements technologiques conséquents et des compétences dans les disciplines de
gestion (marketing, stratégie, ressources humaines) qui ne sont pas à la portée des petits
éditeurs. Pour autant, plus aucun titre ne peut faire l’économie d’une présence en ligne qui
dépasse le stade basique du site vitrine.
43
interne, Le Figaro s’appuie également sur la déclinaison Web du pôle féminin (Madame
Figaro) et le site de TV Magazine, le premier magazine français en termes de diffusion. A
partir de ça, Le Figaro a renforcé sa capacité de production de contenu, par une stratégie de
croissance externe. D’abord le rachat d’AG Presse, une agence qui alimente en contenu
financier Le journal des finances, propriété du groupe, et les chaînes bourse et patrimoine du
figaro.fr. Ensuite, la prise de contrôle progressive et entièrement achevée du site sportif
sport24.com. Enfin, entre février et juin 2007, le groupe Figaro a successivement pris 20 % du
capital de Bazarchic.com, un e-marchand spécialisé dans les articles de mode/luxe, racheté
Evene.fr, le premier site culturel français et racheté TickeTac, site spécialisé dans la billetterie
en ligne. L’objectif est donc d’agréger, de valoriser et de fidéliser les audiences en apportant
toujours plus de services aux Internautes. Ce que résume Bernard Morel, directeur général du
groupe, « l’idée c’est de se servir de sa marque pour faire venir des gens et leur offrir de
l’info et des services » (CB News, 16/07/2007). Les activités Internet contribuent à hauteur de
huit à dix pourcent du chiffre d’affaires du groupe (Entretien Bertrand GIE, 06/2007).
Par conséquent, le modèle économique du Figaro est moins dépendant de la publicité même si
elle génère encore aujourd’hui les deux tiers des revenus du pôle Internet. Cependant, les
responsables du pôle prévoient pour 2008 une évolution significative du modèle. 50 % du
chiffre d’affaires demeurera issu de la publicité, 25 % proviendra de la vente des contenus
produits par le groupe comme par exemple « la conception pour RMC d’une chaîne sport, la
création de mini sites à l’occasion de la coupe du monde de rugby » (Entretien, Bertrand Gié)
et 25 % issus des partenariats (comme Parship, site de rencontres) et du e-commerce. La vente
de contenus peut s’avérer lucrative pour les éditeurs. Ces derniers ont comme client des
entreprises (revues de presse spécialisées) ou des agrégateurs et syndicateurs de contenus
éditoriaux (Factiva, L’Argus de la presse, l’Européenne de données…). En 2006, lemonde.fr
réalisait 20 % de son chiffre d’affaires de cette façon44.
Autre activité dans laquelle les éditeurs européens de PQN trouvent une importante source de
revenus, les annonces classifiées. En France, « un tiers du marché des petites annonces se
trouvera sur le Web à l’horizon 2010. Entre 2000 et 2005, le chiffre d’affaires des sites de
petites annonces est passé de 27 à 170 millions d’euros. Dans le même temps, les petites
44
http://www.memoireonline.com/12/06/296/m_quel-avenir-pour-la-presse-quotidienne-nationale-
francaise36.html#toc247
44
annonces dans la presse ont reculé de 1,022 milliard d’euros à 940 millions d’euros45 »
(Correspondance de la publicité, 30/04/2007). Aussi s’est engagée en Europe une course à la
récupération de cette manne publicitaire en ligne. De fait, le secteur est en pleine
consolidation. En France, le groupe Figaro est l’actionnaire majoritaire de la société
Adenclassfieds, leader sur son marché, qui regroupe Explorimmo (immobilier) Cadremploi et
Keljob (offres d’emploi). En Belgique, Roularta Media Group et Rossel (éditeur notamment
du Soir) ont annoncé en mai 2007 la mise en commun de leurs sites de petites annonces,
respectivement easy.be et vlan.be afin de « créer un site Internet national et bilingue »
(Correspondance de la Presse, 24/05/2007). Le groupe norvégien Schibsted possède lui un
portefeuille de 21 sites d’annonces classées à travers le monde46. Blocket en Suède, Soov dans
les Etats Baltes, coches.net en Espagne, leboncoin.fr en France, Barche.it en Italie,
fotocasa.com.mx au Mexique…
Figure 4 : Composition des profits du groupe Schibsted en 2005 et 2006, en millions de couronnes
norvégiennes
En 2006, les annonces classées représentent la troisième source de profit du groupe norvégien,
juste derrière les journaux en ligne. L’association de ces deux activités en expansion sécurise
l’avenir des profits de cet éditeur. Certes, Schibsted est encore loin du jour où il arrêtera ses
rotatives, mais il est en passe de réussir la diversification de l’entreprise. Le président du
groupe avance un chiffre éloquent : « au troisième trimestre 2006, les activités en ligne
représentaient 40 % du chiffre d’affaires et 50 % du profit47 ».
45
Etude Precepta, « Presse gratuite : modèles économiques et stratégies de croissance »
46
Schibsted, rapport annuel 2006
47
Intervention de Kjell Aamot, Pdg du groupe Schibsted, lors du 15eme congrès européen de la presse française,
à Strasbourg, le 22/11/2006
45
3.2.3. Miser sur les spécificités du Web 2.0
Internet avait déjà permis la création d’un nouveau média qui, parti du texte, s’était enrichi de
l’image, du son et de la vidéo. Aujourd’hui, les fonctionnalités du Web 2.0 ont fait entrer ce
média dans une nouvelle phase, le dialogue entre le producteur de l’information et son
audience. Cette évolution est irrévocable et personne n’imagine plus lire un article en ligne
sans avoir la possibilité de répondre au journaliste, laisser un commentaire, se répandre dans
des joutes verbales sans fin sur un forum associé. Les éditeurs donnent la parole à leurs
internautes. Ils mettent en exergue les réactions de quidams sur la page d’accueil de leur site,
incitent le cyberlecteur a participer aux forums et surtout lui octroient l’espace d’une heure le
fauteuil de journaliste. En effet, il est devenu fréquent pour un journal d’inviter une
personnalité ou un journaliste de la rédaction pour répondre, sans filet ou presque, aux
questions des internautes connectés en direct. Le quotidien efface pour de bon sa subjectivité
et livre la source d’information en pâture aux récepteurs. L’internaute n’accepte plus le
magistère des journalistes et exige d’être placé au même niveau. C’est pourquoi, un site
Internet vivant doit se plier à cette contrainte et s’ouvrir aux contributions de son audience.
Illustration en France avec une station de radio visionnaire, Skyrock, sous la houlette de son
président, Pierre Bellanger. « La puissance d’Internet réside dans le réseau social d’échange
électronique qu’il permet : en un mot la force d’Internet c’est la conversation. Le XXeme
siècle a été l’âge de la diffusion, le XXIeme est l’âge de la conversation. » (BELLANGER,
2006). Cet homme qui n’a jamais pratiqué un autre média que la radio, avait anticipé la
physionomie du réseau en devenir. C’est ainsi qu’il lance en 2002 une plate-forme de blogs à
destination de ses auditeurs. Les « skyblogs » font un tabac auprès des jeunes. Fin 2005, sur
l’ensemble des blogs dans le monde, 20 % se situent en France et 10 % sont des skyblogs.
« Au lieu du portail en ligne traditionnel des années 1990 qui fédérait les contenus, nous
devenons un tableau de bord d’accès aux autres, rassemblant des outils d’échanges Internet
et mobile : rencontre, messagerie instantanée, forums, blogs, etc. Une logique de productivité
relationnelle se met en place ; il s’agit de faciliter les relations pertinentes et les échanges, le
maillage au sein du réseau social ». Pierre Bellanger a donc réussi le tour de force de
cimenter une communauté, non seulement en diffusant de la musique et des émissions qui
touchent un large public analogique, mais en prolongeant cette sociabilité sur Internet.
Résultat, Skyrock est la première marque française sur Internet en termes d’audience depuis
septembre 2006 d’après les mesures effectuées par Médiamétrie. En juillet 2007, Skyrock
46
totalise 168 414 245 visiteurs uniques contre 68 388 522 seulement pour son dauphin, le site
pagesjaunes.fr. Début 2006, les revenus interactifs (revenus Web, SMS, sonneries mobiles)
représentaient 20 % du chiffre d’affaires du groupe (Journal du net, 16/01/2006). L’idée a
séduit d’autres médias en ligne. Lemonde.fr reprenait cette idée de plate-forme de blogs en
janvier 2005, imité plus tard par La Libre Belgique.
Assurément, les contenus générés par les utilisateurs sont appelés à prendre de plus en plus de
place dans l’offre éditoriale d’un quotidien en ligne. Commentant la dernière version du site
Internet metrofrance.com, Nicolas Rauline expliquait avoir développé « plus d’interactivité,
c'est-à-dire une plus grande exploitation des possibilités techniques offertes par le
plurimédia ». Metro proposant aux lecteurs « des vidéos issues des sites comme Dailymotion
ou YouTube » (Entretien Nicolas RAULINE, 06/2007). Les podcasts, fichiers audio proposés
en téléchargement, les Web radio et les Web TV constituent également une éventuelle piste de
développement des journaux. Ainsi Le Télégramme de Brest (quotidien régional) a-t-il lancé
en avril 2007 une Web TV qui propose chaque jour un petit journal télévisé d’information
régionale et locale de six minutes environ. Exit donc les sites d’éditeurs qui ne proposent en
ligne qu’un simple décalque de leur quotidien papier et une version PDF. En Norvège, les
journaux en ont écoulé en 2006 à peine 1850 exemplaires par jour, ce qui compte pour à peine
0,07 % du total de la diffusion48. Place à l’ouverture, aux partenariats et aux contenus générés
par l’audience. En 2005, seuls 25 % des contenus consultés par les cyberlecteurs du monde.fr
étaient des articles du quotidiens contre 85 % en 2000. Dans un environnement en perpétuelle
mutation, les éditeurs devront faire preuve d’audace comme le quotidien néerlandais De
Volkskrant qui en 2006 lançait un logiciel de diffusion de nouvelles via le système de
messagerie instantanée MSN Messenger de Microsoft. Laissons le mot de la fin à Pieter Kok,
le patron de ce quotidien qui déclarait lors d’une conférence à Amsterdam49 : « la logique
multimédia est relativement simple, si les clients changent leur approche de l’information,
alors nous changeons avec eux ».
48
D’après Norwegian Media Businesses' Association
49
http://www.journalism.co.uk/news/story2001.shtml
47
Conclusion
Le Web 2.0 n’est pas un coup de bluff conceptuel. Cette expression désigne bel et bien une
période de l’évolution d’Internet à la fois nouvelle et fondamentale pour les éditeurs
européens de PQN. D’une part, il n’existe plus de frontière entre le producteur d’information
et le grand public. D’autre part, les internautes génèrent eux même des contenus et
parviennent à s’intéresser les uns les autres. Néanmoins, « le Web 2.0 est à peine né que déjà
s’ébauche Web 3.0, la world-wide database. (…) Le Web 3.0, sur lequel travaillent
actuellement les sociétés Internet, et les universités, c’est l’injection dans le système d’une
couche d’intelligence artificielle ». (OLIVENNES, 2007, 115). Aussi est-il juste de souligner
que le Web 2.0 n’est qu’une étape, un moment de l’histoire d’Internet. Intrinsèquement, ce
n’est pas une technologie. Par conséquent, ce n’est pas du Web 2.0 que les éditeurs peuvent
espérer le salut. D’autant plus que les entreprises emblématiques du « contenus générés par
les utilisateurs », Dailymotion et Youtube avancent des chiffres spectaculaires excepté
lorsqu’il s’agit de divulguer leur bénéfice, probablement inexistant.
L’enjeu est donc pour les quotidiens européens de s’adapter aux nouveaux comportements des
cyberlecteurs et mettre en œuvre des modèles économiques et des organisations innovants et
pérennes. Il n’existe pas une seule solution mais plusieurs possibilités de se réinventer dans
l’univers numérique. L’essentiel est d’avoir appréhendé les rapports changeant des individus à
la presse et identifié « le déplacement du lieu principal de formation de la valeur »
(LENTSCHENER, 2007, 148). Annonces classées, e-commerce ou manne publicitaire, les
éditeurs européens ne pourront en tout cas plus ignorer que l’information échappe de plus en
plus à la sphère monétaire. Charge à eux de sublimer l’environnement du Web 2.0 pour
répondre à la problématique Internet de la gratuité. Dans ce contexte, le rayonnement de leur
marque sera l’allié le plus précieux pour progresser dans la galaxie numérique. C’est elle qui
permet de capter « le temps de cerveau disponible » et partant, d’augmenter les audiences et
de proposer des services additionnels rémunérateurs.
48
Executive summary
Depuis la démocratisation massive d’Internet dans le monde, les éditeurs européens de presse
quotidienne en ligne sont confrontés à une concurrence polymorphe et intense. Le réseau a
entraîné dans ses filets la culture de la gratuité et l’évolution actuelle du net, dénomée Web
2.0, a provoqué une inversion du rapport de force entre l’audience et le producteur
d’information. Sur la toile, la qualité n’est plus un argument pour déclencher l’acte d’achat du
cyberlecteur et les ressources publicitaires n’atteignent pas le niveau du papier. Dans
l’impossibilité d’appliquer les modèles traditionnels des journaux imprimés, les éditeurs sont
confrontés à deux types de choix. Soit ils ignorent ostensiblement le nouveau média en ne
développant pas de présence en ligne significative ou en facturant systématiquement les
contenus. Dans ce cas, ils compromettent à coup sûr le renouvellement de leur lectorat, étant
donné la faible pénétration des quotidiens papiers auprès des jeunes générations. Soit, ils
acceptent de partir à la recherche de nouvelles sources de financement. En effet, qu l’on soit
favorable ou hostile à ce phénomène de démonétisation de l’information, il n’en reste pas
moins que la concurrence est rude et que le processus de création de valeur s’est déplacé.
L’information de qualité demeure indispensable à la pérennité d’un titre mais ne suffit plus.
Les éditeurs soucieux d’organiser la diversification de leur quotidien devront repenser leur
organisation et développer en ligne des stratégies de marque afin d’agréger les audiences et
proposer de nouveaux services. Le Web 2.0 est un moment de l’histoire d’Internet et en tant
que tel, à vocation à être dépassé. L’enjeu plus général pour les éditeurs européens de presse
quotidienne en ligne est alors de maîtriser la gratuité, l’intégrer dans l’élaboration de
nouveaux modèles économiques et de définir le contexte de leur présence sur Internet.
49
Bibliographie
ANON. 2007 World Press Trends 2007. Paris, Association mondiale des
journaux.
ATTIAS Danielle 2007 L’impact d’Internet sur l’économie de la presse : quel chemin
vers la profitabilité ? . Thèse. Paris.
50
GUERIN Serge 1996 La Cyberpresse. Paris, Hermès.
LENTSCHENER Philippe
2007 L’Odyssée du prix : vie chère, low-cost, gratuité, une
phénoménologie du prix. Paris, Nouveaux débats publics.
TIME MAGAZINE 2006 13 décembre. Time’s person of the year, par Lev GROSSMAN.
http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,1569514,00.html
51
Annexes
Tableau 13 : Top 15 des sites d’information en novembre 2006 selon Médiamétrie NetRatings
Sites d’information Visiteurs uniques mensuels Pages vues mensuelles
(en milliers) (en milliers)
1. Orange Actualités 2 416 38 746
2. Le Monde 2 137 46 722
3. Yahoo Actualités 1 985 54 988
4. Google Actualités 1 868 24 320
5. Le Nouvel Obs 1 840 18 044
6. Le Figaro 1 598 21 055
7. TF1 Actualités 1 564 16 768
8. Libération 919 14 094
9. L’Express 888 5 269
10. Ouest France 811 29 213
11. MSN News and Weather 737 4 399
12. Free Actualités 576 12 510
13. 20 Minutes 571 6 858
14. AOL Actualités 531 5 837
15. L’Humanité 504 1 203
52
Tableau 15 : Les usages du net par les internautes européens, d'après Eurostat, en 2004
Tableau 16 : Corrélation entre le taux de pénétration d'Internet et la diffusion des journaux dans le
monde, d’après Association mondiale des journaux, World press trends 2005
53
Juillet 2007
(P.248) Une autre conséquence (du déploiement de Google), horizontale celle-là est la crise de
la presse écrite d’opinion. La fonction de moteur de recherche s’étend en effet à l’agrégation
de contenus rédactionnels d’actualité. Ainsi, la plupart des journaux ayant développé une
présence en ligne dans une logique de portail se trouvent concurrencés par les revues de
presse des moteurs dont, en outre, le modèle publicitaire est bien plus efficace. Cette
concurrence qui institue la gratuité dans l’accès à l’information écrite suscite l’apparition de
quotidiens gratuits pour lesquels la subvention total du contenu par la publicité est la seule
réponse possible à la concurrence d’Internet. (P.249) Les quotidiens d’opinion doivent donc
faire face à une double concurrence, tant sur le lectorat que sur la publicité. Certains tombent
déjà en deçà de la masse critique. Seuls pourront demeurer sur le modèle payant les
quotidiens dont le contenu rédactionnel est suffisamment dense et différencié pour que le
lecteur consente à soutenir leur richesse éditoriale. Laquelle pourra être relayée comme on
l’observe déjà, par la vente de contenus joints sur d’autres supports matériels : suppléments,
livres, DVD. Néanmoins, la disparition de quotidiens payants, associés dans le cas de la
France, à un système de fabrication monopoliste – le Syndicat du livre – figé depuis soixante
ans, ne peut s’apprécier comme une destruction nette. Elle correspond, de fait, au transfert
vers Internet d’une activité informationnelle régulièrement concurrencée.
Gratuit !
Du déploiement de l’économie numérique
O.B. Dès 1997, Internet a été investi par les grands titres de presse qui n’ont pu prendre le risque de
ne pas y apparaître. A cette époque, des journaux gratuits en ligne comme Wired ou l’Industry
Standard menaçaient de les concurrencer. Dès lors le contenu des journaux est devenu accessible
aux internautes dans une version gratuite financée par la publicité. Le foisonnement de ces contenus
en ligne a incité les moteurs de recherche à proposer des utilités d’agrégation.
2. En quoi les journaux en ligne sont-ils concurrencés dans leur modèle publicitaire alors que
Google News est une utilité gratuite supplémentaire qui n’affiche pas de publicité ?
O.B. Les journaux en ligne vivent de leur trafic. La navigation sur leur site pilotée par leur portail
permet d’augmenter les pages vues et le nombre de clics. La fonction d’agrégation proposée par
Google fait de ce dernier l’outil de navigation, non pas sur un seul site, mais sur plusieurs. Difficile
alors pour un titre de fidéliser l’internaute.
3. Google News n’est-il pas un deal gagnant gagnant, certes conclu unilatéralement par Google,
dans la mesure où il apporte un trafic supplémentaire aux sites des journaux qui eux affichent de la
publicité ? Qui plus est, les éditeurs belges qui ont obtenu leur déréférencement du service veulent à
présent trouver un accord financier avec Google pour rendre disponible de nouveau leurs articles sur
Google News.
O.B. Google adresse aux journaux des lecteurs d’articles isolés. Les sites de journaux ont, quant à
eux, besoin de fidéliser. Comparez la navigation de Google News avec celle du site de 20minutes.fr.
Vous verrez que ce dernier site est conçu pour scotcher le lecteur. Les journaux peuvent trouver utile
d’accueillir des lecteurs venus de Google, mais il leur faudra ensuite les retenir et les faire revenir
systématiquement.
54
4. Pouvez-vous revenir sur cette phrase : « l’apparition de quotidiens gratuits pour lesquels
la subvention totale du contenu par la publicité est la seule réponse possible à la concurrence
d’Internet. » Or, en France, l’apparition des quotidiens gratuits 20 Minutes et Metro date
respectivement de février et mars 2002. Et, Google News est lancé dans sa version anglophone en
septembre 2002 et francophone en mai 2003. En outre, Schibsted (l’éditeur de 20 Minutes) et Modern
Times group (actionnaire majoritaire de Metro) sont deux groupes de médias. Ce ne sont donc pas
des pure players Internet qui ont suscité la création de journaux gratuits. De plus, ni la radio, ni la
télévision, médias quasi gratuits, n’avaient entraîné la disparition du papier.
O.B. Google News résulte de la présence de nombreux titres en ligne sur un modèle à deux versants,
laquelle remonte au moins à 1997. Il n’y aurait pas eu d’agrégateur sans contenu à agréger. Les
quotidiens gratuits — voir les sites de 20minutes et de Metro — ont l’avantage de ne pas mettre en
concurrence la version papier et la version en ligne puisque ces deux versions sont tarifées sur le
même modèle. Les versions en ligne peuvent alors être plus utiles que la version papier en offrant
l’actualisation en temps réel du contenu et l’interactivité. Le gratuit papier résulte de la nécessité de
versionner en ligne. L’abonnement mensuel au Monde coûte 26 euros, soit l’équivalent du prix du
service de Canal+: à ce prix, le journal ne peut donner gratuitement plus de services à aux
Internautes, sous peine de perdre des abonnés. L’avantage concurrentiel de la presse gratuite est
qu’elle diffuse très rapidement sa marque et peut versionner* profitablement sur Internet.
O.B. Entendons nous, je ne prédis pas la disparition de la presse payante, mais celle de titres qui ne
justifieront pas leur utilité par rapport au gratuit. Il est ainsi possible que Libération qui semblait
moribond trouve dans la refondation de la gauche un viatique éditorial susceptible d’attirer des
lecteurs.... Par ailleurs, les agences de presse et de photo se sont déjà très fortement concentrées. Le
pluralisme sera servi autrement (y compris par les blogs associés à la presse en ligne). Les aides
e
d’Etat s’adapteront le moment venu. La presse écrite existe depuis le 17 siècle. Elle a vécu 4 siècles
et continuera tant que le support papier sera nécessaire à la lecture et que le journal gardera des
utilités d’accès au contenu. Ces utilités son toutefois, depuis 30 ans, concurrencée par la radio et la
télévision. L’apparition de chaînes de news spécialisées est une concurrence très forte à la presse
écrite. En fait, au fur et à mesure que d’autres versions de l’info (news) apparaissent, c’est l’ensemble
de son versionnage qui doit être repensé.
6. Si on reprend l’objet de votre livre qui démontre que derrière l’apparence de gratuité en
économie numérique se trouve toujours une source de financement, plus ou moins directe et plus ou
moins volontaire, on peut alors se demander qui paie pour la gratuité des informations sur la majorité
des sites d'information politique et générale ?
O.B. Les annonceurs ont toujours financé la presse. Aux Etats-Unis, ils ont permis, dès le début du
19e siècle un développement spectaculaire de ce média. La publicité représentait alors jusqu’à 80%
de la surface des journaux. Les américains ont vigoureusement soutenu le déploiement de ceux-ci en
subventionnant l’acheminement postal et en passant des commandes publiques. Les Européens ont
toujours été dans ce domaine beaucoup plus frileux : ils ont délibérément restreint la diffusion des
journaux en taxant le papier et en demandant des cautions aux éditeurs.
Plus précisément, il faut séparer la dimension des coûts de celle des prix ou du modèle tarifaire :
• s’agissant des coûts, l’information est constituée de matière première — les dépêches
d’agence — fournies par des grossistes rémunérés par abonnement, et de mise en forme
rédactionnelle — le commentaire — fourni par les éditeurs salariant des journalistes. La part
relative de chaque composant dépend du type de journal. De plus en plus de journaux en
ligne font aussi appel à des amateurs ou des lecteurs.
55
• le modèle tarifaire des journaux s’appuie sur de la vente groupée — les abonnements — de la
vente au détail et du marché à deux versants. Dans la PQN payante, le contenu en ligne est
un versionnage* additionnel qui complète la version papier. Ses coûts sont combinés à ceux
du journal. Son financement combine les trois tarifs. Dans la presse gratuite et les
agrégateurs en ligne, c’est uniquement du marché à deux versants.
*Dans son ouvrage, Olivier Bomsel donne la définition du versionnage dans le glossaire p.301.
Versionner consiste à mettre successivement en marché des variantes de qualité et de prix
décroissants afin de toucher d’abord les consommateurs les mieux disposés à payer pour le bien ou le
service. Le prêt-à-porter est un versionnage de la haute couture. Dans le cas de biens d’expérience, la
circulation de versions dégradées et gratuites (bandes annonces, radiodiffusion de titres musicaux)
permet de susciter le désir d’achat.
56
Juin 2007
B.G. Non, c’est un département du groupe Figaro qui dispose de ses propres effectifs, budgets
et stratégies mais ce n’est pas une filiale.
B.G. Le Figaro.fr occupe environ 70 personnes au total. Nous avons voulu construire un
portail Internet qui s’organise autour de 5 chaînes / pôles :
• la chaîne actualité, chaîne dominante, c’est la « home page » sur laquelle travaillent
une quinzaine de journalistes dédiés. On retrouve la base des contenus produits pour le
journal papier qui emploie 300 journalistes, mais également une actualisation des
nouvelles, de 07H00 à 23H00 et 7jours sur 7.
• Un pôle féminin, qui fédère l’ensemble des contenus féminins produits par le groupe.
C'est-à-dire Madame Figaro et le cahier quotidien Et vous.
B.G. Aujourd’hui, notre chiffre d’affaires est généré aux 2/3 par la publicité. Mais nous
prévoyons une autre répartition à l’horizon 2008.
25 % en provenance de la vente des contenus produits par le groupe. C’est par exemple la
conception pour RMC d’une chaîne sport, la création de mini sites à l’occasion de la coupe du
monde de rugby, des négociations en cours avec d’autres portails pour la fourniture de
57
contenus « féminins », vente d’articles à des agrégateurs (base de données)… On peut se
contenter de cendre les contenus, mais on peut aussi assurer la conception des sites.
B.G. En 2007, le pôle Internet du Figaro sera globalement à l’équilibre, ça peut être
légèrement négatif ou légèrement positif.
B.G. Non. L’actualité, c’est la base de notre métier, c’est notre image de marque, notre
vitrine. Avant de penser aux bénéfices, l’objectif est de diffuser des contenus puis donner une
visibilité à nos marques. N’oublions pas que les gens vont de plus en plus chercher de
l’information sur Internet. On doit faire venir les gens à la marque.
7. Que signifie la prise en compte par la dernière étude Epic de l’audience Internet des
quotidiens ?
B.G. C’est un pas dans la bonne direction vers la mutualisation des audiences. D’autant plus
que Le Figaro souffre d’un problème d’image dans les enquêtes déclaratives. Beaucoup de
gens n’avouent pas lire Le Figaro, jugeant que le titre est trop marqué à droite. Or, les chiffres
de vente et la fréquentation du figaro.fr montre une toute autre réalité statistique.
B.G. Depuis 18 mois, le groupe Figaro redéroule le pôle numérique après la douche froide
que fut l’éclatement de la bulle Internet. Nous préparons un city guide qui se rapprocherait de
ce qu’est le Fiagorscope.
58
juin 2007
1. Le site Internet a-t-il été lancé en même temps que la version papier ? Sinon, depuis
quand est-il en place ?
N.R. Il y a eu un site Internet dès le lancement de la version papier en 2002, mais cela se
résumait à un site vitrine. Seul la version PDF était disponible. Au fil du temps, le site s’est
étoffé mais il n’y avait pas de rédaction web dédiée et les mises en ligne s’effectuaient en
fonction du temps disponible.
N.R. Le site est alimenté par une équipe de 5 journalistes, renforcée en permanence par un
stagiaire. Concernant les fonctions supports, il comprend un responsable des partenariats et
bénéficie de l’appui d’un chargé des relations publiques qui travaille aussi pour le papier.
Quant à la régie publicitaire, elle est assurée par TF1 actionnaire de notre journal à hauteur de
34,3 %.
N.R. Non. On ne se contente plus de rendre disponibles les articles du papier sur Internet. On
ajoute des compléments d’information à certains articles quand l’actualité l’exige, on rédige
des articles uniquement destinés à être publiés sur la version web et on élargit notre champ de
couverture de certains sujets minoritaires dans la version papier. On donne plus de place à
l’actualité Internet et High-Tech.
N.R. Le modèle économique de notre site Internet repose à 95 % sur la publicité. Cependant,
nous développons les partenariats. Par exemple, un service de rencontre avec Meetic ou
encore des petites annonces gratuites avec Vivastreet. Dans le premier cas, nous touchons un
pourcentage sur chaque abonnement au service contracté via notre site, dans le second nous
sommes rémunérés en fonction des clics des lecteurs.
N.R. Pour l’instant, le site n’a pas encore atteint l’équilibre, ce qui est normal vu les
investissements pour recruter une rédaction dédiée.
N.R. Plus d’interactivité, c'est-à-dire une plus grande exploitation des possibilités techniques
offertes par le plurimédia. Nous proposons aux lecteurs des vidéos issues des sites comme
Dailymotion ou YouTube. De plus, nous mettons en exergue chaque jour une vidéo par
rubrique : extrême, insolite, people, politique pendant la campagne.
59
7. Le développement du titre sur Internet est-il une priorité stratégique ?
N.R. C’est la priorité numéro un de Metro France. L’essentiel des investissements vont se
faire sur le web.
N.R. Nous devrions lancer une nouvelle version du site pour la fin de l’année 2007. L’idée est
de mettre encore plus l’accent sur le user generated content.
N.R. Sur le net, on essaie de se démarquer du papier en élargissant notre ligne éditoriale –
même si on reste politiquement neutre – et en adoptant un style plus percutant. Nous
proposons plus de sports, plus de people, plus de High-Tech mais moins de politique, de
sujets institutionnels et d’actualité monde. Le journalisme en ligne relève d’une autre culture,
qui surprend parfois les journalistes papier. Les sondages sont très accrocheurs. Par exemple,
« pour vous l’environnement c’est très important ou vous n’en n’avez rien à faire ? »
N.R. Essentiellement en faisant de l’autopromotion dans nos éditions papier. Nous profitions
d’une diffusion nationale d’environ 800 000 exemplaires pour insérer des renvois vers notre
site dans les colonnes de Metro. Plus marginalement, nous achetons des liens sponsorisés à
Google. Par ailleurs, nous fidélisons l’audience au moyen du Club Metro qui existait avant
que ne se développe sérieusement le site. L’internaute s’inscrit gratuitement au Club et reçoit
quotidiennement une newsletter dans laquelle sont présents les annonceurs de Metro. En
revanche, l’internaute bénéficie d’avantages divers comme des réductions sur certains achats
ou encore des invitations pour des évènements culturels. L’audience du Club Metro, agrégée
avec celle du site Metrofrance.com, compte pour environ un quart de l’audience totale.
N.R. Nous sommes partis de loin et nous sommes arrivés plus tard que les sites de certains
quotidiens payants. Cependant, nous connaissons une forte croissance des visiteurs uniques
depuis le lancement de la dernière version du site, en septembre 2006. A cette date, nous
enregistrions environ 100 000 visiteurs uniques contre pas loin de 600 000 à l’heure actuelle.
60
Juillet 2007
S.G. A l’époque, les quotidiens percevaient l’arrivée d’Internet uniquement comme une
menace pour l’écrit. Les éditeurs se montraient plutôt frileux et n’avait pas mis en place
de stratégie audacieuse.
2. Etait-ce de la presse écrite transposée en l’état sur Internet ou bien s’agissait-il d’un
nouveau média ?
S.G. Dans la plupart des cas, il s’agissait d’une réplique du papier sur l’écran même si on
assistait aux Etats-Unis à des tentatives plus développées. Aujourd’hui, la grande majorité
des titres de presse ont cessé de considérer Internet comme quelque chose d’annexe et en
ont fait un axe stratégique de développement. Soit c’est une façon d’aller séduire de
nouveaux abonnés, soit Internet offre le moyen de développer les activités d’un éditeur. Si
Murdoch rachète aussi cher le groupe Dow Jones, ce n’est pas pour l’existant mais pour
les opportunités de décliner des activités sur Internet, sur les téléphones mobiles et les
assistants personnels. Pour la presse qui cible les publics à fort pouvoir d’achat,
l’électronique est un moyen de diversification et de création de valeur. Internet permet
donc deux choses : multiplier les supports pour toucher un public toujours plus fragmenté
et l’interaction avec le public, donc la création du lien social, fonction historique des
médias. On assiste à une augmentation de la valeur sociale de la presse du fait d’une
amélioration de l’interactivité rendue possible par Internet.
3. Qu’a changé pour les sites de PQN l’entrée dans une nouvelle phase de l’Internet,
participative et communautaire, appelée communément le Web 2.0 ?
S.G. Fondamentalement, le Web 2.0 n’est que la continuité de ce qui existait déjà. C’est
l’évolution du comportement des internautes et l’augmentation du niveau moyen de
culture électronique du public. Se profile alors la question de qui fait l’information ? Le
Web 2.0 laisse entendre que chacun est capable de devenir journaliste. Chacun est dans le
vrai en parlant de sa propre expérience. Certains médias jouent avec le feu en donnant par
trop la parole au public et en étouffant la valeur journalistique qui vient des fonctions de
tri, hiérarchisation et surtout vérification de l’information. Pourtant, on s’aperçoit bien que
toute parole n’a pas la même légitimité.
S.G. Cela pose un problème d’économie de la production de contenus. Nous sommes ici
confrontés à un problème de rémunération et de valorisation du travail d’origine.
Idéalement, ces agrégateurs devraient rétribuer les fournisseurs de contenus. De plus, les
agrégateurs risquent de lisser et relativiser l’information en ne la hiérarchisant pas.
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5. Les lecteurs qui paient – encore - leur presse quotidienne subventionnent-ils les
éditions électroniques, le plus souvent gratuites (ou en partie gratuites), des journaux ?
S.G. Il y a quelque chose de cet ordre en effet. Toutefois, le développement sur Internet
est à ce jour peu rentable car la valorisation publicitaire est trop faible, même si les choses
commencent à évoluer. Rappelons quand même que le lecteur qui achète la version
imprimée d’un quotidien bénéficie des avantages liés au papier : principalement confort
de lecture et mobilité.
S.G. Tout à fait. Cependant ces sites n’apportent pas une valeur ajoutée particulière par
rapport aux éditeurs traditionnels. Ni en termes de diversité des contenus, d’angles
d’attaque des sujets ou même d’affranchissement des pouvoirs. Dans le cas de la presse
généraliste, la force de la marque reste prépondérante car le savoir-faire journalistique est
difficilement imitable.
7. La presse quotidienne nationale papier, pénalisée par ses coûts fixes industriels, a-t-
elle encore un avenir ?
S.G. Oui, à condition d’alléger sa structure et ses coûts car le papier reste un mode
d’influence. De toute façon, l’enjeu dépasse le support et réside au niveau des
compétences des journalistes. La bonne stratégie, c’est celle du groupe Edipresse qui a
fusionné ses rédactions indépendamment du support. Au départ il y a une information qui
est la même pour tous les médias et qui nécessite des journalistes pour l’appréhender.
Ensuite, libre aux éditeurs de faire intervenir différents métiers pour la mettre en scène en
fonction du support.
62