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CHAPITRE :CHANGEMENT ET CONFLITS SOCIAUX

INTRODUCTION : 2 CONCEPTIONS ANTAGONISTES DU CONFLIT


Comme l’indique R.Aron dans « la société américaine et sa sociologie » :
• les sociologues américains ont comme objectif central l’adaptation de l’individu à son milieu. Ils ont donc
tendance à considérer que toute insatisfaction, toute révolte contre le milieu est un phénomène pathologique.
Pour l’Américain, l’état normal correspond à l’intégration de l’individu dans le groupe.
• Au contraire, le Français pense, selon Aron, que pour être bien né, il faut être révolté. Ceci relève donc d’une autre
conception du conflit, beaucoup plus positive qui considère que dans le conflit la société s’exprime et évolue.

PARTIE I - STRATIFICATION SOCIALE ET SOCIETE

Nous allons commencer le chapitre en opérant un rappel sur la stratification sociale et la


pertinence du concept de classe

SECTION I – LA STRATIFICATION SOCIALE

I - QU’EST-CE-QUE LA STRATIFICATION ?

A - LA STRATIFICATION , UNE REALITE UNIVERSELLE ET OMNIPRESENTE

La stratification sociale correspond à la division d’une société en plusieurs groupes (ou strates ) hiérarchisées :
• Elle est universelle c’est à dire qu’elle est présente dans toutes les sociétés, aussi bien les plus primitives que les
plus modernes, les plus simples que les plus complexes.
• Elle est omniprésente, c’est à dire que la société est traversée de divisions verticales qui peuvent être fondées aussi
bien sur l’âge, que sur le sexe, la parenté, ou encore la richesse matérielle

B - LES CARACTERISTIQUES DE LA STRATIFICATION


La stratification se caractérise par :
• la différenciation : elle est suscitée par la diversité des tâches présente dans la société.
• Une échelle hiérarchique : la société comporte des étages superposés et ordonnés.
• Une structure inégale : les strate ne sont pas seulement différentes , elles sont inégales aussi bien du point de vue
du pouvoir , que du prestige ou de la richesse.
• La mobilité sociale :les inégalités sont plus ou moins enracinées dans la société selon que les individus ont une
possibilité restreinte ou réelle au cours de leur existence (mobilité intra-générationnelle) ou d’une génération à
l’autre ( mobilité intergénérationnelle) de changer de catégorie sociale

C - LA STRATIFICATION SOCIALE , UN TERME AMBIGU

La notion de stratification sociale est ambiguë car elle recouvre au moins deux notions en partie contradictoire :

- Dans un sens large :elle distingue l’ensemble des systèmes de différenciation sociale basée sur :
• la distribution inégale des ressources et des positions dans une société
• qui engendre la constitution de groupe de droit ou de fait
• qui sont plus ou moins structurés et
• qui entretiennent des relations de subordination, d’exclusion et ou d’exploitation

- Dans un sens restreint, la notion est réservée aux analyses :


• qui s’opposent aux théories (dont principalement la théorie marxiste qui est visée) qui voient dans les classes
sociales des groupes fondamentaux opposés dont le conflit structure la société.
• c’est à dire à des analyse qui interprètent le corps social comme un ensemble de strates hiérarchisées en fonction
de critères multiples (ex : le revenu, le prestige, etc.), dont la présence est nécessaire à la société (du fait de la
spécialisation des tâches) et qui n’entretiennent pas entre elles des relations dominées par le conflit

II - LA STRATIFICATION DANS LES SOCIETES TRADITIONNELLES

A - LES SYSTEME DES CASTES

Les castes sont des groupes sociaux qui sont caractéristiques de la société indienne et qui reposent selon R DELIEGE
sur 3 caractéristiques essentielles :
• une spécialisation héréditaire : c’est à dire que chaque caste va se spécialiser dans un métier, des rites, des
droits spécifiques , qui se transmettent de générations en générations :chaque enfant dés sa naissance appartient
à la caste de ses parents et ne peut espérer aucune possibilité de mobilité sociale : le statut social est dit ascriptif
c’est à dire que le destin social des individus est imposé aux individus sans qu’ils puissent le remettre en cause.
L’action individuelle est découragée par avance , car l’individu qui sortirait de sa caste n’aurait plus de lien
social car il serait rejeté par les membres de sa caste sans pouvoir espérer être accepté par ceux des autres castes
• Une répulsion entre les castes qui produit de l’endogamie : chaque caste vit repliée sur elle-même, et il existe
toute une série d’interdits légaux qui interdisent les relations entre membres de castes différentes. Dés lors les
individus n’ont pas d’autres choix que de se marier avec un conjoint de la caste qui est choisie par les parents, ce
qui renforce la répulsion en conduisant chaque caste à développer des différences d’ordre naturelles.
• Une hiérarchie sociale extrêmement stricte : certaines fonctions rituelles qui sont considérées comme pures
(en portugais casta signifie pure) vont être affectées aux castes les plus hautes (ex les brahmanes qui prennent en
charge les rites religieux)qui vont alors disposer du pouvoir et de la reconnaissance sociale. Elles vont alors
dévaloriser les catégories les plus basses qui prenant en charge les tâches définies comme impures (ex : les
éboueurs) vont être définies comme inférieures.

Remarque : Depuis 1931 les castes n’ont plus en Inde d’existence officielle, néanmoins elles continuent à exister , car
elles bénéficient d’une reconnaissance sociale. En effet grâce à son fondement religieux , la hiérarchie sociale découlant
de ce système est parfaitement acceptée par la très grande majorité de la société indienne : la hiérarchie apparaissant tout
à fait naturelle il n’est pas réaliste de considérer que l’on puisse changer la société par décret, comme l’a montré, au
moins à court terme, l’échec relatif de la révolution française à limiter l’influence de la religion.

B - LA HIERARCHIE DES ORDRES

Comme l’a indiqué G Dumezil la hiérarchie des ordres présente de nombreux points communs avec celle des
castes :
• elle repose sur une division fonctionnelle de la société entre prêtres, guerriers et producteurs
• Cette division est impérative elle est reconnue par la loi, elle s’impose aux individus qui n’ont pas d’autres
choix que de respecter les interdits : exemple :un noble ne peut travailler sous peine de déchoir. La définition
juridique des ordres, assure à certaines catégories (noblesse et clergé) un certain nombre de privilèges ( ex en
matière d’impôt ou de justice) qui les distinguent du reste de la population (le tiers-état), et ce quelque soit leur
situation financière.
• Cette division de la société est héréditaire : mais elle ne vaut que pour la noblesse : on naît noble.
• La société est hiérarchisée : elle repose sur le critère de l’honneur social, contrairement à notre société ce n’est
pas la possession de richesses matérielles qui est source de reconnaissance, mais au contraire la reconnaissance
sociale (la proximité avec le roi) qui assure l’accès aux ressources matérielles.

Néanmoins elle s’en différencie par au moins un critère essentiel :


• Les castes sont des groupes fermés : la mobilité sociale est inexistante.
• Alors que dans les sociétés d’ordre, bien que restreint la mobilité sociale est possible : par exemple un
grand bourgeois peut acheter un titre de noblesse qui lui permettra d’accéder au groupe dominant.

Conclusion : Selon A De Tocqueville la disparition de la société d’ordre d’ancien régime en France après 1789
s’explique principalement par la remise en cause des pouvoirs politiques de l’aristocratie opérée par la monarchie
absolutiste qui a compensée cette évolution par une distribution de privilèges, et une fermeture de la noblesse : « plus
cette noblesse cesse d’être une aristocratie plus elle semble devenir une caste ». Dés lors l’existence sociale de la
noblesse ne paraît plus justifiée au peuple qui va se révolter afin de remettre en cause les privilèges de la noblesse et va
par-là même détruire la monarchie absolutiste.

III ) LA STRATIFICATION SOCIALE DANS LES SOCIETES INDUSTRIELLES


Le concept de classe sociale est datée historiquement, il apparaît au 18 ème siècle dans un contexte bien déterminé :

- une évolution des idées politiques et sociales :


• remise en cause du principe de l’inégalité des droits
• une multiplication des conflits sociaux

- des bouleversements économiques : en particulier une série de révolutions agricoles,, industrielles, etc.
La classe se différencie de la caste ou de l’ordre car :
• elle n’est pas institutionnalisée : il n’apparaît pas de reconnaissance légale de la stratification en classe de la
société après la destruction de la société d’ordres
• elle se développe dans un contexte d’égalité de droits issu de la déclaration des droits de l’homme et du
citoyen ( art 1 : les hommes naissent libres et égaux en droits)qui fait que les classes ne sont pas figées et
étanches comme pouvaient l’être les castes et dans une moindre mesure les ordres.

On peut alors proposer deux définitions du terme classe :

• une définition nominaliste : une classe est une collection d’individus présentant des caractéristiques
semblables (du point de vue de nombreux indicateurs comme la profession, le niveau d’études, le revenu,
etc.)qui n’ont pas conscience d’appartenir à une entité mobilisée.
• Une définition réaliste : une classe correspond à un ensemble d’individus qui ont conscience d’appartenir à une
collectivité et qui ont des intérêts communs à défendre pouvant les opposer à d’autres classes.

CONCLUSION :
• un constat : Comme l’indique l’analyse de E Goblot contrairement aux apparences la révolution française qui a
pourtant institué l’égalité civile n’a pas été jusqu’à imposer l’égalité sociale.
• La conséquence : la division de la société en classe ayant des intérêts opposés na pas disparu : « nous n’avons
plus de castes, nous avons encore des classes.
• La rupture essentielle : la société de castes ou d’ordres est figée et rigide, dans une société de classes les
possibilités de promotion et de mobilité sociales sont beaucoup plus nombreuses.

CASTE ORDRE CLASSE


SYSTEME FERME SYSTEME SEMI- SYSTEME OUVERT
-On naît et meurt dans OUVERT Mobilité sociale
la même castePas de - Forte viscosité
mariage inter-caste sociale
Possibilité de mobilité :
dérogeance, mésalliance,
achat d’une charge…
EXISTENCE LEGALE EXISTENCE LEGALE EXISTENCE
OFFICIEUSE
INEGALITES INEGALITES EGALITE
POLITIQUES ET POLITIQUES ET POLITIQUE,
SOCIALES SOCIALES INEGALITES
(privilèges, prestiges…) SOCIALES

Conclusion : Attention il ne faut pas confondre les notions de classes sociales et de CSP ou PCS :
PCS CLASSES SOCIALES
(Professions et catégories socio-
professionnelles)

BUT - Classer les personnes pour que - Saisir les évolutions de la société
toutes le soient de façon univoque - Tous les individus ne sont pas classés
=> classement exhaustif
- Production de catégories
homogènes
PRINCIPES DE - Discours statistique - Discours théorique, conceptuel
DEFINITION - Classement selon le critère « - Classement selon les moyens de production
Profession » détenus, le pouvoir…

CARACTERISTIQUES - Définition absolue (on peut - Définition relationnelle (on définit au moins
DE LA DEFINITION définir isolément une catégorie) deux classes en opposition)
- Repose sur la réponse des - Repose sur l’analyse d’un processus
individus d’ensemble

- Découpage arbitraire entre PCS - L’appartenance à une classe n’est pas


PROBLEMES - Homogénéité problématique des immédiatement définissable
catégories - La question des effectifs d’une classe ne fait
pas sens

SECTION II : LES ANALYSES THEORIQUES DE LA


STRATIFICATION SOCIALE

Source : L Chauvel,in http://louis.chauvel.free.fr

I ) L’ANALYSE MARXISTE DES CLASSES


A ) LA VISION MARXISTE DE L’HISTOIRE

K Marx est le grand d théoricien de la définition réaliste de la classe il développe une


sociologie :
- déterministe et holiste :c’est à dire qu’il pose que les individus ne sont pas les acteurs de
leur destin mais qu’ils sont le jouet de structure économique et sociaLes qui leur échappent :
« Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés,
nécessaires indépendants de leur volonté (…). ce n’est pas la conscience des hommes qui
détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur
conscience »

- matérialiste de l’histoire : les hommes sont déterminés par :


• les forces productives, c’est à dire par les moyens de production
( l’infrastructure économique) qui sont mis en œuvre à une époque donnée
(exemple : le moulin à vent qui à la fin du 18 ème siècle a subi la concurrence de
la machine à vapeur)
• Déterminent les modes de production qui sont la combinaison des forces
productives et des rapports de production. Marx en a distingué 4 : les modes de
production féodal, antique, féodal et capitalistes
• les rapports de production sont les rapports de propriété des moyens de
production ( machines, usines, etc.) qui permettent de définir les classes sociales
selon la place qu’elles occupent par rapport à la propriété des moyens de
production
• On peut alors en conclure que Marx a une vision matérialiste de l’histoire car
l’infrastructure matérielle conditionne la superstructure idéelle c’est à dire
le processus de la vie sociale, intellectuelle et politique ( par exemple les modes
de pensées, les valeurs religieuses, les idées artistiques.

- Finaliste ou téléologique :selon Marx :


• les différents modes de production se succèdent inéluctablement est sont donc
condamnés à disparaître quand les forces productives qui leur avaient donné
naissance sont concurrencées par de nouveaux moyens de production plus
performants .
• Ainsi quand apparaît la machine à vapeur qui rend obsolète le moulin à vent et la
traction animale, le mode de production féodal qui était adapté aux anciennes
conditions techniques devient inadéquat et doit être dépassé.
• S’ouvre alors, selon Marx, une série de révolutions économiques, sociales et
politiques qui vont conduire à la destruction du mode de production féodal et à son
remplacement par le mode de production capitaliste qui devient provisoirement
(mais provisoirement seulement ) le plus efficace.

FORCES PRODUCTIVES MODES DE PRODUCTION RAPPORTS DE PRODUCTION


Force musculaire Mode de production asiatique Sociétés quasi esclavagistes
dans lesquelles la population
est subordonnée à un Etat,
relativement développé,
centralisé et fort
Force musculaire Mode de production antique Caractérisés par l’esclavage
Moulin à vent Mode de production féodal Sont définis par le servage, la
société étant divisés en deux
camps antagonistes :serfs et
seigneurs
Machine à vapeur Mode de production capitaliste Caractérisés par l’apparition du
salariat et l’antagonisme entre
la bourgeoisie et le prolétariat

B ) UNE REMISE EN CAUSE DE L’EGALITE FORMELLE DES SOCIETES


BOURGEOISES .
Marx s’oppose aux théoriciens libéraux :

- l’égalité formelle selon les théoriciens libéraux :


• Selon les juristes, après la révolution française tous les hommes naissent
libres et égaux en droit donc il n’existe plus légalement de
stratification sociale, seules subsistent des différences de capacité individuelles.
• Les libéraux sont alors partisans de l’égalité méritocratique qui postule
que chacun doit être rétribué en fonction des ses capacité et apports . Il serait
injuste (inéquitable) que celui qui ne fait rien reçoive autant que l’individu très
méritant qui par son travail crée des richesses bénéfiques à l’ensemble de la
société (cf. la main invisible de Smith au chapitre suivant). L’égalité méritocratique
peut donc très bien s’accommoder d’une société dans laquelle la répartition des
richesses est très inégalitaire, dés lors qu’au départ était respecté l’égalité des
chances.

- L’égalité réelle selon Marx:


• Marx conteste cette vision juridique et formelle qui repose uniquement
sur l’égalité des droits et ne prend pas en compte la situation réelle dans
laquelle se trouve les individus : ainsi si formellement du point de vue des
droits ouvriers et bourgeois sont égaux , les conditions économiques dans
lesquelles ils se trouvent sont tellement différentes qu’on ne peut postuler qu’un
fils d’ouvrier et un fils de bourgeois sont égaux.
• Marx est alors conduit à critiquer la vision contractualiste développée par les libéraux :
 Selon les libéraux :
 avant la révolution française les individus n’ayant pas en fonction
de leur naissance les mêmes droits , une économie libre de
marché ne pouvait pas se développer : les paysans n’étant pas
juridiquement égaux aux nobles ils ne pouvaient signer avec eux
un contrat qui présuppose l’égalité.
 Au contraire avec la révolution française les hommes devenant
libres et égaux en droit, chacun d’eux peut échanger sur un
marché un bien ou un service :
 l’ouvrier qui a une force de travail mais pas de capital pour
la mettre en œuvre va offrir son travail contre un salaire,
 le bourgeois qui possède un capital mais a besoin de travail
va demander du travail.
 l’offre et la demande vont se rencontrer sur le marché,
confronter leurs positions et se mettre d’accord sur un
salaire pour un nombre donné d’heures de travail. Puisque
les deux échangistes sont égaux, s’ils signent un contrat
c’est qu’ils y trouvent tous deux leur intérêt (ce sont des
homo oeconomicus) les deux partenaires sont donc
gagnants à l’échange. Le bourgeois ne peut dans une
économie de marché exploiter l’ouvrier.
 Marx conteste ce point de vue : selon lui ouvriers et bourgeois ne
sont que formellement égaux :
 # L’ouvrier qui ne dispose que de sa force de travail pour survivre
doit absolument travailler quelque soient les conditions qui lui
sont proposées .
 Au contraire le bourgeois qui dispose d’un capital peut, grâce à
son épargne, vivre sans que ses usines tournent.
 L’ouvrier est donc obligé d’accepter les conditions qui lui sont
imposées par le bourgeois,. Marx écrit : « le rapport officiel entre
le capitaliste et le salarié est d’un caractère purement mercantile.
Si le premier joue le rôle du maître et le dernier le rôle du
serviteur. C’est grâce à un contrat par lequel celui ci s’est non
seulement mis au service, et partant, sous la dépendance de celui
là, mais par lequel il a renoncé à tout titre de propriété sur son
propre produit . Mais pourquoi le salarié accepte t’il ce marché ?
Parce qu’il ne possède rien que sa force personnelle »

CONCLUSION : Selon Marx si les capitalistes peuvent exploiter le prolétariat , bien


que bourgeois et ouvriers soient formellement égaux, c’est parce que les premiers
ont le monopole des moyens de production , alors que les seconds n’ont que leur
force de travail

C ) LA CONSEQUENCE : L’EXPLOITATION DU PROLETARIAT

Grâce au monopole qu’il ont sur les moyens de production les capitalistes vont fixer selon leurs
intérêt les salaires :
- ils ont réduit le travail au statut de marchandise, et comme toute marchandise le
travail a un prix : le salaire (le prix du travail) va être fixé au minimum assurant la
reproduction de la force de travail c’est à dire qu’il doit permettre :
• à l’ouvrier d’entretenir sa force de travail (sinon il devient inefficace) et
• d’assurer sa descendance (ses enfants prenant sa place quand ils sont devenus
adultes).

- Mais selon Marx :


• le travail est la seule source de création de richesse , le capital ne crée
pas de richesse (il ne fait que transmettre sa valeur aux produits au fur et à
mesure qu’il s’use),
• dés lors que le travail atteint un niveau d’efficacité de productivité suffisant il crée
plus de richesse qu’il n’en faut pour couvrir les frais d’entretien et de reproduction
du travailleur : la différence entre la valeur produite par la force de travail
et ses propres frais d’entretien couverts par le salaire constitue la plus-
value qui est extorquée par les détenteurs des moyens de production
(c’est à dire les capitalistes) au prolétariat.
• Marx peut alors en conclure que malgré les apparences le travailleur , en
dépit de sa liberté formelle est aussi exploité que l’étaient ses ancêtres
serfs et esclaves, car comme eux la majeure partie des richesses qu’il a
créé par son travail est confisquée par ses maîtres.

D ) LA LUTTE DES CLASSES .

1 – LES PAYSANS FRANÇAIS A LA FIN DU XIX ème SIECLE CONSTITUENT-ILS UNE


CLASSE SOCIALE ? (5 p 376)

- Marx commence par montrer qu’apparemment oui ils ont de nombreux critères qui
conduisent à penser qu’ils constituent une classe sociale :

• ils sont très nombreux


• ils réalisent la même activité
• ils partagent un même mode de vie qui les oppose au reste de la population

D’où Marx peut écrire : « . Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans
des conditions économiques qui les séparent les unes des autres et opposent leur genre de vie,
leurs intérêts et leur culture à ceux des autres classes de la société, elles constituent une
classe »

- Pourtant selon Marx ces conditions ne sont pas suffisantes et en réalité les paysans ne
constituent pas une classe sociale car :
• Leur mode de production les isole les uns des autres : ils vivent en autarcie
• Le mauvais état des moyens de communication ne leur permet pas d’entretenir
des relations suffisantes pour prendre conscience de leur communauté de
situation
• L’insuffisance de la taille des parcelles ne leur permet pas de développer de
nouvelles méthodes de production, de diviser le travail, de s’ouvrir au monde
(d’autant plus qu’ils ne pourraient pas facilement envoyer leur production vers les
villes faute de moyens de transports adéquats)

CONCLUSION : Marx peut alors écrire : « ainsi la grande masse de la nation française
est constituée par une simple adition de grandeurs de même nom, à peu près de la
même façon qu’un sac rempli de pommes de terre forme un sac de pommes de terre(…) Mais
elles ne constituent pas une classe dans la mesure où il n’existe entre les paysans
parcellaires qu’un lien local et où la similitude de leurs intérêts ne crée entre eux
aucune communauté, aucune liaison nationale, ni aucune organisation politique. »
Dés lors, selon Marx, ils vont être l’objet de manipulation : Le futur Napoléon III va
s’ériger en défenseur des intérêts de la paysannerie, les paysans vont voter pour lui,
mais il ne va pas être leur porte-parole , il n’a fait que se servir d’eux.

2 – LA CONSTITUTION DE LA CLASSE OUVRIERE.(6 p 376)

Marx Décompose le processus de constitution de la classe ouvrière en trois temps :


• Dans un premier temps pas de prise de conscience de classe, la classe
ouvrière n’existe pas : Marx écrit : « Dans un premier temps la grande industrie
agglomère dans un seul endroit une foule de gens inconnus les uns aux autres, la
concurrence les divise d’intérêt » . Durant cette phase les ouvriers ne constituent
pas encore une classe , ils n’ont rien de commun , au contraire leurs intérêts leurs
semblent antagonistes : chacun accepte de travailler pour un salaire plus réduit
que son voisin afin d’obtenir l’emploi.
• Dans un second temps se développe la classe en soi c’est à dire que les
ouvriers se mobilisent face au capital mais n’existe pas en dehors de
cette lutte :« Marx explique ainsi que dans un second temps : « le maintien du
salaire, cet intérêt commun qu’ils ont contre leur maître les réunit dans une même
pensée de résistance. Ainsi la coalition a toujours un double but. Celui de faire
cesser entre eux la concurrence , pour faire une concurrence générale au
capitaliste »
• Dans un troisième temps se constitue la classe pour soi : c’est à dire que
désormais les ouvriers ne luttent plus seulement contre les capitalistes dans le
cadre de la société capitaliste, , ils développent un projet alternatif de société qui
vise à détruire la société capitaliste et à faire apparaître après la révolution une
nouvelle société.

Marx considère en effet que la lutte des classes est une caractéristique structurelle de
toutes les sociétés. : il écrit dans le manifeste du parti communiste : « l’histoire des sociétés
n’a été que l’histoire des luttes des classes : hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens,
barons et serfs, maîtres de jurandes et compagnons, en un mot, oppresseurs et opprimés, en
opposition constante ont mené une lutte ininterrompue, tantôt ouverte tantôt dissimulée ; une
guerre qui toujours finissait par une transformation révolutionnaire de la sociététout entière ou
par la destruction des deux classes en lutte . »
La question est alors de savoir si :
• comme l’affirme les libéraux , avec la révolution française, avec la destruction
du mode de production féodale est apparue une nouvelle ère de prospérité,
d’égalité dans laquelle la lutte des classes ne serait plus nécessaire .
• Marx rétorque que « la société bourgeoise moderne élevée sur les ruines de la
féodalité, n’a pas aboli les antagonismes de classe. Elle n’a fait que substituer aux
anciennes de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles
formes de luttes »
• Par contre le mode de production capitaliste a introduit une simplification des
antagonismes de classe. En effet dans la société féodale il existait une pluralité de
classes (les serfs, les compagnons , les maîtres de jurandes , les seigneurs, etc.)
alors que dans le mode de production capitaliste on va vers une
bipolarisation de la lutte : « « la société se divise de plus en plus en deux
grands camps opposés, en deux classes ennemies, la bourgeoisie et le
prolétariat ». Il poursuit « de toutes les classes actuellement adversaires de la
bourgeoisie, le prolétariat est la seule classe vraiment révolutionnaire, les autres
classes se désagrègent et disparaissent par le fait de la grande industrie : le
prolétariat au contraire est son produit particulier »
• Mais en renforçant l’exploitation du prolétariat, afin de compenser la chute des
taux de profit (tendance structurelle du mode de production capitaliste selon
Marx), la bourgeoisie accélère la prise de conscience de la classe ouvrière,
renforce ses capacités de luttes et ainsi : « la bourgeoisie produit avant tout ses
propres fossoyeurs. Sa chute et le triomphe du prolétariat sont inévitables ».

II ) L’ANALYSE DE MAX WEBER


Max Weber à une vision de la stratification sociale très différente de celle de Marx :
- Tout d’abord il conteste la vision strictement matérialiste et déterministe de
Marx. Weber qui est un théoricien subjectiviste considère contrairement à Marx, que ceux
sont les hommes qui consciemment , tout en ayant une rationalité limitée, qui sont les
acteurs de l’histoire . Donc en aucun cas on ne peut les assimiler à des pâtes à modeler
déterminés par des forces productives échappant à leur conscience.

- Deuxièmement , Weber rejette les conceptions téléologiques ou finalistes telles


celles de Marx. Il considère que rien n’est jamais écrit à l’avance et que le futur est
indéterminé. Il fait donc à Marx le reproche d’avoir pris ses désirs pour la réalité et de ne pas
avoir fait preuve de la neutralité axiologique nécessaire à tout théoricien

- Troisièmement, si Weber ne conteste pas l’existence de classe sociale :


 il en a une vision très différente de celle de Marx :
• puisqu’il définit la classe comme l’ensemble des individus qui ont en commun telle
ou telle situation , sans se soucier de savoir s’ils sont par-là véritablement unis.
Les membres d’une classe n’ont donc pas forcément une conscience de
classe et ne sont pas forcément mobilisés dans la lutte (qui est quasiment
inéluctable dans l’analyse de Marx).
• Cela n’empêche pas Weber de considérer que des luttes entre classes
sont toujours possibles, mais là aussi il se différencie de Marx :
 chez Marx c’est la lutte qui fait prendre aux individus
conscience des intérêts qu’ils ont en commun, la lutte est
donc un pré-recquis.
 Au contraire dans l’analyse de Weber c’est parce
qu’ils ont des intérêts communs et qu’ils en ont pris
conscience que les individus luttent. que les individus
luttent : la conscience de classe précède la lutte.
 De plus et contrairement à Marx, Weber considère que les
acteurs en lutte et les formes du conflit évoluent avec les
transformations économiques : rien n’assure donc selon
Weber que le prolétariat et la bourgeoisie demeurent dans
le futur les acteurs centraux de la lutte, de nouveaux
acteurs peuvent apparaître (ex : les classes moyennes).
 Enfin selon Weber :
• il existe dans toute société trois sortes de hiérarchies qui correspondent
respectivement à l’ordre économique, à l’ordre social et à l’ordre politique. Il y a
certes des rapports possibles entre les trois hiérarchies, mais elles ne sont pas
toujours liées entre elles de façon nécessaire .
• Au contraire dans l’analyse de Marx la bourgeoisie occupant une position
dominante dans la sphère économique va obligatoirement dominée dans les
sphères sociales et politiques .

III ) LES ANALYSES EMPIRIQUES AMERICAINES : LES CLASSES VUES


COMME STRATES
Méthode mise en œuvre : Warner est un sociologue américain qui a essayé de décrire la
stratification de la société américaine en s’installant dans différentes petites villes qu’il a
observé en adoptant une démarche d’ethnologue .

Conclusion : Warner après avoir longuement examiné la vie de ces cités en arrive à la
conclusion qu’ :
• il existe bien des classes sociales aux Etats-Unis.
• Mais il en donne une définition très différente de celle de Marx : « par classe, on
doit entendre deux ou plusieurs ordres de personnes qui sont supposés être et qui
sont effectivement rangés, d’un commun accord par les membres de la
communauté dans des positions socialement supérieurs ou inférieures »

Conséquence : Warner s’oppose donc à l’analyse marxiste sur de nombreux points :


• Warner considère que la dimension économique ne doit certes pas être négligé,
mais que le critère essentiel à prendre en compte est d’ordre social, statutaire :
c’est le degré de prestige et de reconnaissance qui permet de classer les individus.
• Warner considère que les différentes classes sociales présentes aux Etats-Unis ne
sont pas structurellement en conflit, qu’au contraire elles sont complémentaires et
s’articulent pour le bien de tous. Donc que la conception marxiste des classes
n’est pas adapté au contexte américain .
• Warner adopte une démarche subjectiviste puisqu' il essaye de déterminer le
prestige de chaque individu en interrogeant ses concitoyens.

Warner établi alors l’échelle suivante :

CLASSES IDENTIFICATION CARACTERISTIQUES

UPPER-UPPER ARISTOCRATIE SOCIALE High WASP. Milieu fermé.


CLASS
1,44 %
LOWER-UPPER MILIEUX SUPERIEURS Imitation de la Upper Class
CLASS FORTUNES
1,56 %
UPPER- CLASSE MOYENNE AISEE Actifs dans la cité, responsabilités sociales.
MIDDLE
10,22 %
LOWER- PETITE BOURGEOISIE Moralité affichée, désir de réussite sociale.
MIDDLE
23,12 %
UPPER-LOWER CLASSE INFERIEURE Honnête, aisance modeste.
32,6 % « HONNETE »

LOWER- POPULATION A STATUT Déclassés, habitat dégradé.


LOWER PRECAIRE
25,2 %

Ce qui donne une représentation de la société sous la forme :


Relativisation de la démarche : Il n’en reste pas moins que la démarche adoptée par Warner
a été fortement critiquée et est aujourd’hui considérée comme contestable :
• Le principal objectif de Warner était de montrer que l’analyse de Marx était
inadapté au contexte américain pour cela il a opéré une démarche qui n’est pas
neutre :
• Ila sélectionné des petites villes américaines qui ne sont pas représentatives de la
structure sociale américaine : en particulier car elles n’ont pas de fortes
concentrations ouvrières.
• Il a ainsi pu en conclure qu’aux USA les luttes des classes et les conflits de pouvoir
étaient peu développés, ce qui n’était pas le cas dans les grandes villes .
• Enfin sa démarche subjectiviste l’ a conduit à sélectionner comme juge de la
position de chaque personne des membre de l’upper-middle-class dont la vision
n’est pas représentative de l’ensemble de la société , car ils : «ont une vision très
hiérarchisée propre aux membres de ce milieu »

EN TD NOUS NOUS INTERROGERONS SUR LA PERTINENCE DU


CONCEPT DE CLASSE SOCIALE AUJOURD’HUI

PARTIE II – LE CONFLIT SOCIAL

SECTION I : LA NOTION DE CONFLIT SOCIAL.


Plusieurs éléments généraux permettent caractériser le conflit.

I ) L’ANTAGONISME ET L’INTERDEPENDANCE DES ACTEURS SOCIAUX

Le conflit social nécessite deux conditions apparemment opposées mais qui sont en réalité complémentaires :

• le conflit est une relation d’opposition entre au moins deux acteurs sociaux ( classes sociales, syndicats,
classes d’âge,...). Le conflit n’est donc jamais solitaire. Ces deux acteurs entrent en lutte, cherchent à l’emporter
l’un sur l’autre afin de dominer le champ social de leur rapport.
• mais en même temps, pour qu’il y ait conflit social, il faut que les acteurs sociaux soient interdépendants et
appartiennent au même système social. Ils ne luttent pas seulement l’un contre l’autre ; ils luttent parce qu’ils
ont des conceptions opposées sur le fonctionnement de la société. Quand ils luttent, ils entrent donc dans un jeu
qui les lient.

II ) LE CONFLIT, UNE LUTTE POUR LA DOMINATION ET LE POUVOIR

Comme l’indique Alain Touraine :

• le conflit ne peut être assimilé seulement à la tension qui existe entre les acteurs sociaux pour la possession de
biens.
• Il a une dimension plus fondamentale ; le conflit suppose une remise en cause du pouvoir de domination
qu’exerce un acteur social sur un autre acteur social.

J.Padioleau peut alors en conclure que le conflit correspond :


• à une remise en cause de la légitimité dont dispose les institutions ou les autorités.
• Ainsi, par exemple, le risque d’un conflit est d’autant plus fort que les acteurs sociaux observent que la circulation
des élites dirigeantes est insuffisante (cf. ; critique de la thèse de Pareto dans le chapitre précédent); ce qui génère
des sentiments de frustration et d’injustice qui amènent des individus à remettre en cause les mécanismes de
distribution du pouvoir

III ) LE CONFLIT A L’ORIGINE DU CHANGEMENT SOCIAL.


Constat : Même dans les cas où le conflit semble répondre à des revendications purement économiques (hausse des
salaires), cette dimension n’est jamais suffisante pour comprendre le conflit. En effet, même dans ce cas-là, ce sont deux
conceptions antagonistes du développement économique et social qui s’opposent, donc deux visions du monde
alternatives :
• Le conflit n’a pas seulement pour but de remettre en cause une forme de domination, de détruire une société que
l’on refuse ;
• il se caractérise toujours une seconde dimension : proposer un autre modèle de développement.
• Le conflit n’est donc pas seulement destructeur et pathologique, il est à l’origine du changement social et donc de
l’évolution de la société.

IV) LE CONFLIT EST INTEGRATEUR.


Exemple : M.Robert a démontré à partir de l’étude d’un petit village côtier du Cotentin : Borsaline que l’existence
locale naît du conflit :
• Au début de l’étude, le village est somnolent, il songe à se laisser absorber par un gros bourg voisin. Le village se
meurt car il n’a plus ni commerce, ni école, ni prêtre.
• Mais un retraité rachète la maison qui abritait le débit de tabac, cherche à réanimer le commerce pour s’occuper,
veut installer une terrasse, ce qui demande la suppression de la fontaine municipale qui ne fonctionne plus. C’était
s’attaquer au dernier symbole de l’existence de Borsaline ; il s’ensuivit une bagarre.
• La campagne électorale opposa les deux camps, réveilla le village.

Conclusion : le conflit a redonné son identité et son existence à la commune en ranimant des oppositions et en
réinventant des enjeux. Plus généralement, on peut en conclure que le conflit va créer du lien social entre les individus
qui vont intégrer un des deux groupes en opposition.

V) MUTATIONS DU TRAVAIL ET CONFLITS SOCIAUX (repris du manuel


brises)

Depuis que les sociétés sont entrées dans la modernité, depuis le 18 ème siècle environ, l’essentiel des conflits sociaux
s'est déroulé sur le terrain du travail et de l’emploi. On peut essayer de comprendre pourquoi : le travail occupe,
directement ou indirectement, l’essentiel de la vie des individus, en temps d’abord (et bien plus au 19ème siècle
qu’aujourd’hui) et aussi parce qu’il est à l’origine de certaines des inégalités dont nous avons parlé dans le dernier
chapitre (revenus en particulier). C’est aussi dans le travail que se noue une bonne partie des relations sociales qui
entourent (et intègrent) l’individu. Pour toutes ces raisons, auxquelles il faut ajouter la valeur hautement
symbolique du travail, les conflits sociaux sont bien souvent nés dans le monde du travail depuis la naissance du
capitalisme.

A - DES CONFLITS DU TRAVAIL AUX CONFLITS SOCIAUX.

C’est la première question qu’il faut se poser : pourquoi le travail est-il une source de conflit social ? Nous allons
pour cela réutiliser ce que nous avons vu dans les chapitres précédents, tant sur les inégalités que sur la division du
travail - la division, c’est déjà un peu le conflit ! Mais nous verrons qu’il y a un autre facteur de conflit social, c’est ce
que l’on appelle la capacité de mobilisation d’un groupe social, c’est-à-dire la capacité des individus qui le composent
à agir en commun, de façon coordonnée et au profit de buts communs.

1. - Les inégalités du monde du travail peuvent déboucher sur des conflits.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que les sociétés modernes, et a fortiori les entreprises, sont traversées par des
inégalités nombreuses qui, même si elles tendent à se réduire sur le long terme, restent encore très importantes. Il y a là
un premier motif de conflit dans le monde du travail. Analysons-le plus en détail :

• Les inégalités suscitent le conflit quand elles ne sont pas acceptées.. Les inégalités font partie du
fonctionnement de l’économie, mais on a vu qu’il est très difficile de leur trouver une justification consensuelle.
Il n’est donc pas étonnant que les avantages accordés à une personne ou à un groupe entraînent la jalousie – ou
les justes récriminations ! – de ceux qui en sont privés. Les inégalités sont souvent l’enjeu des conflits
sociaux : on se bat pour accroître la part des salaires dans la valeur ajoutée au détriment des profits, ou pour
améliorer sa rémunération par rapport aux autres métiers de l’entreprise.
• Mais les inégalités ne suffisent pas à engendrer un conflit social, parce qu’elles peuvent susciter une
compétition entre les individus plutôt qu’entre les groupes. C’est une analyse somme toute assez classique et
assez simple. Si un individu n’est pas satisfait de sa situation sociale, il peut l’améliorer de deux façons : soit en
changeant de position dans la société en obtenant une promotion individuelle, soit en agissant pour améliorer le
sort de tous ceux qui ont la même position sociale que lui – c’est-à-dire de son groupe social. Dans ce dernier
cas, il y a effectivement un conflit collectif. Mais dans le premier cas, il n’y a qu’une compétition entre individus
pour parvenir aux meilleures places offertes par l’entreprise ou la société. On ne peut pas parler à ce moment-là
de “ conflit social ”.
• La plus ou moins grande mobilité sociale entre les métiers joue aussi sur la capacité de mobilisation. S’il
existe une grande fluidité entre les positions dans l’entreprise, si l’on peut facilement obtenir une promotion
individuelle, alors un individu peut espérer améliorer sa situation personnelle par son seul mérite, sans agir au
profit de l’ensemble de son groupe social. Mais si la mobilité sociale est faible, si les métiers restent fermés les
uns aux autres, alors les revendications personnelles passeront d’autant plus par une revendication collective.
C’est en substance ce que l’on a vu au chapitre 2 sur la crise du système fordiste : les OS, de plus en plus
qualifiés, se sont révoltés collectivement contre une organisation du travail qui ne leur laissait entrevoir aucune
possibilité de promotion, qui ne témoignait guère de considération pour leurs mérites professionnels.
• Vous voyez donc pourquoi les inégalités ne sont pas à elles seules la cause des conflits sociaux. Ce point-là est
important, parce qu’il permet de dissiper un préjugé un peu simpliste qui associe les gros conflits aux grosses
injustices. Or, ce n’est pas toujours – loin s’en faut ! – là où il y a les plus fortes inégalités qu’il y a les conflits
les plus durs. Par exemple, il y a plusieurs millions de mal logés en France mais on ne les voit jamais protester.

2 - Ces inégalités et ces conflits finissent par constituer les individus en groupes rivaux.

Les différentes organisations du travail aboutissent toujours à différencier et hiérarchiser les tâches dans l’entreprise,
mais cette division horizontale et verticale du travail est aussi une division des travailleurs, donc une source de conflits
potentiels. Comment passe-t-on de la division au conflit social ? Ce n’est pas si simple qu’on peut le croire. Le point
essentiel est que la division du travail peut renforcer la conscience d'appartenir à un groupe social.

• La division du travail entraîne la différenciation des travailleurs et donc l’émergence d’identités


professionnelles distinctes. Construire son identité professionnelle, c’est revendiquer certaines appartenances,
se reconnaître une certaine position dans le groupe et dans sa hiérarchie, se sentir différent d’autres individus
(n’appartenant pas au groupe, en général). L’identité professionnelle, c’est aussi les valeurs partagées au sein du
collectif de travail, au sein d’un métier. Ces valeurs peuvent changer en fonction de ce que l’on fait dans
l’entreprise (on peut penser à la solidarité des mineurs face à la pénibilité et la dangerosité de leur métier), mais
aussi en fonction de ce que l’on est (la féminisation d’un métier peut en changer les valeurs).
• Les identités professionnelles deviennent facilement concurrentes dans l’entreprise. On veut dire par là que
les valeurs des groupes sociaux s’opposent sur toutes les questions qui concernent l’entreprise, et au-delà la
société – un peu comme une culture et une contre-culture, revoyez votre cours de première. Le premier point
d’opposition est bien sûr les inégalités de rémunérations. Chaque groupe a une idée différente de la valeur des
métiers, et donc des inégalités “ justes ” ou “ injustes ” – faut-il par exemple payer plus ceux qui fabriquent le
produit ou ceux qui le commercialisent ? Mais l’opposition s’étend aussi à la façon de gérer l’entreprise : on l’a
vu dans le cas de la fermeture des usines LU dans le nord de la France, où la logique entrepreneuriale de
l’encadrement (recentrer l’activité du groupe sur les productions les plus rentables) s’opposait à la logique des
salariés (maintenir les sites aussi longtemps que possible pour sauvegarder les emplois). L’affirmation d’une
identité professionnelle fait donc non seulement apparaître un groupe social, mais elle lui donne aussi un
adversaire.
• L’organisation matérielle du travail est un autre déterminant de la construction de la conscience du
groupe. Si les individus sont dispersés et travaillent séparément, sans se rencontrer, il leur sera très difficile de se
coordonner pour agir. Marx expliquait ainsi au 19ème siècle que les paysans français étaient trop dispersés
géographiquement pour agir, bien qu’ils aient eu matière à se révolter. Inversement, le regroupement des ouvriers
dans les ateliers puis dans les grandes usines, où l’on travaille ensemble, fait la pause ensemble, mange
ensemble, où l’on se rencontre en allant au travail et en repartant chez soi, a incontestablement favorisé
l’organisation de la classe ouvrière. Plus près de nous, la connexion des individus sur Internet a facilité la
réussite du mouvement des chercheurs, en permettant la circulation des informations, des mots d’ordre et des
pétitions.
• Pour qu’il y ait un conflit du travail, il faut donc qu’il y ait un conflit d’intérêt, autour des inégalités dans
l’entreprise. Il faut aussi qu’il y ait des identités collectives fortement affirmées pour que le conflit prenne une
dimension sociale, et oppose des groupes les uns aux autres. Enfin, il faut que ces groupes se mobilisent, c’est-
à-dire que les individus qui les composent acceptent d’agir ensemble avec des objectifs communs. Mais la
relation entre conflit et identité professionnelle fonctionne également dans l’autre sens. Ainsi, un conflit
peut déboucher sur l’affirmation renouvelée et vivante d’une solidarité retrouvée, et donc reconstituer un groupe
social. Ainsi, le conflit des infirmières, au milieu des années 90, permit à celles-ci d’affirmer et d’afficher une
solidarité qui ne s’était jamais réellement exprimée jusque-là et de s’éprouver elles-mêmes comme membres
d’un collectif de travail.

3 - Les conflits portés par ces groupes finissent par déborder du cadre du travail proprement dit pour
concerner l'ensemble de la société

• L’opposition entre ouvriers et bourgeoisie a pris une valeur politique. Au début du 20ème siècle, le clivage
entre la gauche et la droite s’est progressivement confondu avec le clivage entre travailleurs et capitalistes. Au
fur et à mesure que les ouvriers devenaient numériquement plus importants (au détriment notamment des
agriculteurs, qui avaient une toute autre vision du monde), le conflit politique s’est cristallisé sur la question de la
propriété, la gauche, représentant les salariés, voulant “ nationaliser ” le capital, c’est-à-dire exproprier les
capitalistes pour qu’ils ne contrôlent plus les entreprises, et donc pour résoudre le conflit social par la disparition
d’un des adversaires ! Symétriquement, la droite défendait le droit de propriété comme principe, et donc le
pouvoir des actionnaires dans l’entreprise. Moins radicalement, l’enjeu politique entre la droite et la gauche était
aussi l’adoption de lois et de règlements qui limitaient le pouvoir des employeurs sur les salariés (Semaine de
40h, Congés payés, Droit du travail, protection contre les licenciements, mais aussi indemnisation du chômage).
• L’opposition entre ouvriers et bourgeoisie a pris une valeur culturelle. Chaque groupe a affirmé ses valeurs,
et son mode de vie. La “ culture ouvrière ” était nourrie de la fierté du métier : essentiellement masculin, le
travail ouvrier supposait souvent la force physique, des connaissances et astuces, essentiellement pratiques, qui
se transmettaient au sein de l’atelier. La “ culture bourgeoise ” était ce qu’on appellerait aujourd’hui la culture
savante, celle qu’on transmet à l’école et à l’université (littérature, musique classique, sciences, beaux-arts, …).
Les loisirs des deux groupes n’étaient pas non plus les mêmes, d’ailleurs l’obtention d’un droit aux congés payés
en 1936 avait une valeur conflictuelle symbolique : jusque-là les vacances étaient l’apanage de la bourgeoisie.
• L’opposition entre ouvriers et bourgeois a engendré une véritable ségrégation sociale. Elle était visible dans
la structure des villes, où les “ quartiers ouvriers ” – généralement les banlieues où la périphérie des villes –
s’opposaient aux “ beaux quartiers ” – le centre-ville. Mais on la retrouvait aussi à l’école, puisque les enfants
des classes populaires et supérieures ne fréquentaient pas les mêmes cursus scolaires. Il a fallu attendre 1975 et
la création du collège unique pour que tous les écoliers suivent la même scolarité obligatoire.
• On voit donc que le conflit social, initialement circonscrit à l’entreprise, s’est étendu à toute la société, ce qui
justifie que l’on parle de classes sociales plutôt que de groupes sociaux, puisque les groupes ne rassemblent plus
seulement, par exemple, les ouvriers d’une entreprise, mais tous les ouvriers de la société. De même, le conflit
social mérite l’appellation de “ lutte des classes ” parce qu’il prend une valeur générale.
SECTION II : LES THEORIES SOCIOLOGIQUES DU CONFLIT.
I - LES ANALYSES INTERACTIONNISTES DU CONFLIT

A - SIMMEL : FONDATEUR DE LA THEORIE DU CONFLIT

Simmel rejette la conception matérialiste de Marx :


• le conflit met en relation des acteurs sociaux (non des structures ) qui s’opposent pour des
raisons économiques
• mais Simmel considère que les conflits ne peuvent être limités à cette seule dimension, ils
concernent toutes les dimensions de la vie sociale (scientifique, culturelle, etc.).

Mais Simmel s’oppose aussi à l’école américaine qui :


• considère le conflit comme pathologique.
• Simmel lui pose au contraire que le conflit permet de traiter les causes de dissociation (de
perte du lien social) telles que la haine, l’envie.
• En effet, dans le conflit les individus s’opposent, mais ils recréent du lien social, même s’il
est nécessaire que pour assurer l’unité de la société l’un des acteurs disparaisse.

Conclusion : Simmel a donc une vision très positive du conflit, le conflit est vital pour assurer
un bon fonctionnement de la société.

Intérêt de la démarche de Simmel : un des apports principaux de Simmel à la sociologie du


conflit concerne les notions de dyade et de triade.
• Dans la dyade le conflit oppose deux acteurs seulement, les stratégies mises en oeuvre
sont donc relativement simples
• Au contraire dans la triade, Simmel introduit un troisième acteur (ex : syndicat,
patronat, Etat), ce qui complexifie réellement les stratégies et multiplie les possibilités
d’alliance entre les trois acteurs. Par exemple le troisième acteur l’Etat peut défendre les
intérêts du patronat (c’est le cas dans la théorie marxiste), ou au contraire il peut occuper
le rôle de médiateur neutre qui s’attachera à rendre compatibles les demandes des deux
autres acteurs (quand l’Etat nomme un médiateur) .

B - LE CONFLIT CHEZ MAX WEBER : UN AGENT DE SOCIALISATION

Weber considère que :


• le conflit est caractéristique de toutes les sociétés car il naît de l’inévitable sélection
sociale qui répartit inégalement les richesses, les honneurs, les droits dans la société :
Weber ne présuppose donc pas une société consensuelle
• Cette sélection sociale va être à l’origine d’une opposition entre les différents acteurs
sociaux sur :
- le fonctionnement de la société, sur les buts qu’elle recherche,
- sur la justesse et donc la légitimité des inégalités qui la caractérisent
• Dans l’analyse du conflit opérée par Weber :
- les adversaires participent à la même société,
- mais chacun veut imposer sa vision du monde social parce que de son point de vue
elle lui paraît plus juste.

II – LE CONFLIT DANS LA SOCIOLOGIE DURKHEIMIENNE


Durkheim contrairement aux théoriciens du consensus :

• ne considère pas que le conflit soit la preuve d’une pathologie sociale. Bien au contraire
selon lui, le conflit est, comme le crime, un phénomène normal dans la société.
• Il lui paraît donc illusoire d’espérer une disparition du conflit et l’avènement d’une société
consensuelle. En particulier, il ne croit pas que la croissance et le développement
économique se produisant dans une économie de marché assureront la suppression du
conflit.

Mais Durkheim, contrairement à Marx :

• ne considère pas que le développement et la multiplication des situations conflictuelles,


débouchant sur une révolution économique soit souhaitable.
• Selon Durkheim, la multiplication des conflits traduit l’apparition d’une situation d’anomie
conjoncturelle, c’est à dire d’une remise en cause provisoire des règles et des valeurs
fondant et structurant une société qui évolue.
• C’est en particulier la situation qu’il observe en France à la fin du 19 ème siècle où,
l’industrialisation déstabilise l’ancienne société et laisse les individus déboussolés.

Solutions préconisées par Durkheim : il préconise alors :


• une intervention de l’Etat
• ou l’apparition de corporations qui, en instaurant des réglementations, permettront de
prévenir un développement des conflits qui ne peut-être que déstabilisateur.

III ) LE CONFLIT AU CENTRE DU CHANGEMENT SOCIAL DANS LA


PENSEE DE K.MARX.
INTRODUCTION

Comme le notent H Mendras et M Forse, Marx est à l’origine de 4 idées fondamentales pour une
sociologie du conflit :
• le conflit de classe n’est pas un épiphénomène mais un trait structurel de la
société, il est inhérent à sa nature et à son fonctionnement. Toute société est donc
caractérisée par la permanence des conflits.
• le conflit ne met jamais en présence que deux groupes ; en effet, dans une société,
tout conflit d’intérêt se ramène toujours à l’opposition entre ceux qui désirent le
changement et ceux qui ont intérêt au maintien du statu quo
• Marx a vu dans les conflits le moteur principal des changements sociaux.
• Marx est un des premiers à s’être intéressé aux facteurs endogènes qui
expliquent le changement social. Il considère que toute société produit elle-même les
éléments qui vont produire sa propre transformation. Ainsi, l’analyse de la lutte des classes
explique le changement par les contradictions structurales des sociétés et non par
l’intervention d’un quelconque deus ex machina.

A - LE MATERIALISME HISTORIQUE : UN DETERMINISME TECHNOLOGIQUE ABSOLU


?

Comme l’écrit Marx dans une lettre à P annenkov en 1846 :


- « qu’est ce que la société quelle que soit sa forme ? le produit de l’action réciproque des
hommes. Les hommes sont-ils libres de choisir telle ou telle formation sociale ? Pas du
tout. Posez un certain état de développement des forces productives des hommes et
vous aurez une telle forme de commerce et de consommation. Posez de certains degrés
de développement de la production, du commerce et de la consommation, et vous aurez
telle forme de constitution sociale, telle organisation de la famille, des ordres ou des
classes, en un mot telle société civile. Posez telle société civile et vous aurez tel état
politique qui n’est que l’expression officielle de la société civile »

Dans ce passage Marx considère donc que :


• ce ne sont pas les hommes qui font l’histoire,
• mais qu’au contraire ce sont les hommes qui sont faits par le développement des forces
productives.
Ce que Marx va résumer dans : « le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain, le
moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel.

Relativisation : Engel après la mort de Marx relativisera cette conception ultra déterministe
en écrivant:
• « D’après la conception matérialiste de l’histoire, le facteur déterminant dans l’histoire
est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi
n’avons jamais affirmé davantage. Si quelqu’un dénature cette position en ce sens que le
facteur économique est le seul déterminant, il la transforme ainsi en une phrase vide,
abstraite, absurde ».
• Engel rajoute même dans une autre lettre : « Il y a action et réaction de tous les facteurs
au sein desquels le mouvement économique finit par se frayer son chemin comme une
nécessité à travers la foule infinie des hasards ».

Critiques de l’analyse marxiste : Il n’en reste pas moins qu’ une des principales critiques qui
sera faite à Marx, en particulier par Weber dans l’éthique protestante du capitalisme , sera :
• d’avoir surévalué l’importance du déterminisme technologique , de
l’infrastructure ( cf. la phrase de Marx : « l’ensemble des rapports de production
constitue la structure de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une
superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience
sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus
de vie sociale , politique et intellectuelle dans son ensemble »)
• et d’avoir sous-estimé le rôle de l’individu , les modes de pensée ,les valeurs en
particulier religieuses (la superstructure au sens marxiste).

B - FORCES PRODUCTIVES ET RAPPORT DE PRODUCTION ( 9 p 377)

Définitions : Chaque société peut se caractériser à un moment donné par son mode de
production qui désigne la combinaison de deux éléments :
• les forces productives qui regroupent les instruments de production: la force de travail,
les sciences et les techniques en vigueur, l’organisation du travail .
• les rapports de production qui correspondent eux au rapport de propriété des moyens
de production (machines, usines) et permettent de donner une définition des classes
sociales selon la place qu’elles occupent par rapport à la propriété de ces moyens.

La succession des modes de production : Marx caractérise alors les modes de production
qui se sont succédés au cours de l’histoire par des rapports de production spécifiques qui sont
des rapports entre deux classes principales antagonistes :
• le mode de production asiatique se caractérise par des sociétés quasi esclavagistes
dans lesquelles la population est subordonnée à l’Etat qui est relativement développé,
centralisé et fort. Ce mode de production se définit par l’opposition entre des cultivateurs
et des éleveurs asservis d’une part et, une classe nobiliaire contrôlant la production et
s’appropriant le produit par le moyen d’appareil d’Etat d’autre part. Ce mode est
caractéristique de l’Egypte de la Perse ou de la Chine antique.
• Le mode de production antique est caractérisé par l’opposition entre les esclaves et
les maîtres propriétaires d’esclaves comme en Grèce ou dans l’Empire Romain.
• Le mode de production féodal ou servagiste se définit lui par l’opposition entre les
serfs et les seigneurs comme dans l’Europe occidentale et centrale du Moyen Age.
• Le mode de production capitaliste oppose les capitalistes ou bourgeois ( propriétaires
des moyens de production ) aux prolétaires qui sont contraints de vendre leur force de
travail contre un salaire et d’engendrer ainsi la plus-value du capital .

Explication de la succession des modes de production : Selon Marx , le mouvement de


l’histoire s’explique par les contradictions entre les forces productives et les rapports de
production :
• Dans chaque mode de production , les forces productives représentent un élément
dynamique comme le montre l’histoire des inventions , le progrès de la division du travail,
etc.
• Par contre , les rapports de production sont en revanche relativement stables et
immuables. Il arrive alors un moment où ils entravent le développement des forces
productives .

R Aron considère donc que :


• le mode de production capitaliste ne diffère donc pas de ceux qui l’ont précédé, excepté
sur un point : il révolutionne en permanence les forces productives alors que la première
condition d’existence de tous les autres modes de production était de conserver le mode
de production inchangé .
• Mais excepté cette différence essentielle on peut considérer que les raisons du passage
d’un mode de production à l’autre sont les mêmes .

Exemple : Prenons l’exemple du passage du mode de production féodal au mode de


production capitaliste :
• la naissance de l ‘industrie moderne avec les manufactures et le développement de
l’économie marchande sont venues buter sur les rapports de production figés (division de
la société en ordres, corporation qui entravent la liberté du commerce et du travail ).
• Marx en conclut que « les conditions féodales de la propriété ne correspondaient plus aux
forces productives déjà développées. Elles se transformaient en autant de chaînes . Il fallut
les briser ; elles furent briser ».

Conséquences : Il en sera de même pour la disparition du mode de production capitaliste et le


passage à la société socialiste :
• Comme l’indique Aron : « la bourgeoisie crée sans cesse des moyens de production plus
puissants. Mais, les rapports de production c’est à dire à la fois les rapports de propriété et
la répartition des revenus ne se transforment pas au même rythme ».
• La tendance à l’accumulation du capital bute donc sur une première contrainte qui est la
baisse tendancielle des taux de profit

Définition : tau x d e pr ofit = pl


C+V

* Selon Marx seul le capital variable qui correspond au salaire que reçoit le travailleur crée
de la valeur , le capital constant (machines, matières premières) ne fait que transmettre sa
valeur sans rien ajouter. Or les capitalistes qui se livrent une concurrence effrénée sont
obligés pour ne pas faire faillite d’être compétitifs et de remplacer le capital variable par le
capital constant . Ce qui correspond à une augmentation de la composition organique du
capital

Définition : la composition organique du capital capital constant = C.


capital variable V

• La contrepartie de cette augmentation va être une chute du taux de profit : en effet à


mesure que le capital variable diminue relativement au capital constant la plus value( pl )
que le capitaliste extorque aux travailleurs , c’est à dire la partie du travail non payée que
s’approprie la capitaliste ne suffit plus à compenser le coût du capital qui s’accroît .
• Le capitaliste ne peut trouver de solution que dans une augmentation de l’exploitation
c’est à dire dans une hausse du taux de plus value ou du taux d’exploitation :

Définition : taux de plus-value= pl


V

On peut alors transformer le taux de profit en :

pl pl / V Taux de plus-value
Taux de profit = --------- = -------------------- = ------------------------------------------------------
C+V C/V+V/V Composition organique + 1
Conclusion :
• constate à partir de ce rapport qu’en augmentant la composition organique du capital (le
dénominateur) le capitaliste ne peut maintenir le rapport (le taux de profit) qu’en élevant
le taux d’exploitation .
• Mais alors cela va être à l’origine selon Marx d’une deuxième forme de contradiction : les
ouvriers se rendant compte qu’ils sont exploités vont se constituer en classe sociale afin
de prendre le pouvoir.

C - LA LUTTE DES CLASSES AU CENTRE DE L’HISTOIRE ( 8 p 377)

Selon Marx l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’est que l’histoire de la lutte
des classes. Cette lutte qui dans tous les modes de production s’est caractérisée par
l’opposition entre les deux classes fondamentales conduit soit à une transformation
révolutionnaire de la société toute entière, soit à la disparition des deux classes en lutte :
• Le premier cas est celui de la lutte qui a opposé la bourgeoisie et la noblesse dans la
société féodale et qui a conduit à l’effondrement du mode de production féodal et à
l’instauration du mode de production capitaliste .
• Mais celui ci n’a pas fait disparaître l’exploitation , l’antagonisme de classe , il n’a fait que
le transformer .

Il faut alors se demander quel est l’élément déterminant :

• est ce la classe qui engendre la lutte ?


• ou la lutte qui engendre les classes ?
• Marx répond que les classes naissent de la lutte des classes.

Exemple : On peut prendre à titre d’exemple les raisons qui sont à l’origine du développement
de la classe ouvrière: Marx distingue 3 temps :
• 1er temps : les ouvriers qui entrent en concurrence pour obtenir un emploi sont
rassemblés par les bourgeois pour combattre les ennemis de la bourgeoisie , c’est à dire
les restes du mode de production féodal. Les victoires qui sont alors remportées le sont par
la bourgeoisie elle seule.
• 2ème temps : à mesure que les forces productives s’accumulent , que l’industrie se
développe ( on retrouve le matérialisme historique) les ouvriers dont les conditions de vie,
les intérêts s’égalisent vont peu à peu prendre conscience de leur force , ils vont alors se
coaliser pour maintenir les salaires . C’est le stade de la classe en soi durant laquelle la
classe ouvrière se définit par rapport à la bourgeoisie , dans son opposition à la
bourgeoisie .
• 3ème temps : c’est celui de la conscience en soi ou classe en soi : la classe
ouvrière se définit non plus seulement dans son opposition avec la bourgeoisie, mais par le
projet de société qu’elle porte et qui va à terme conduire à la disparition du mode de
production capitaliste .

D - VERS LA REVOLUTION PROLETARIENNE

Postulat : Marx considère que la disparition du mode de production capitaliste est inéluctable :
• Il est pris dans ses contradictions internes : principalement la baisse du taux de profit ,
qu’il essaye de résorber en élevant le taux d’exploitation
• Mais alors il se heurte à une seconde limite historique : la constitution de la classe ouvrière dans la
lutte , sa prise de conscience qui va conduire à une révolution amenant la fin du mode de
production capitaliste .

Conséquences :La nouvelle société qui apparaîtra alors présentera deux caractéristiques
essentielles :

1° ) LA FIN DE L’ALIENATION PAR LE TRAVAIL .


L’aliénation par le travail est caractéristique de la société capitaliste . En effet comme le note R
Aron dans le mode de production capitaliste les hommes sont aliénés et la racine de l’aliénation
est économique (on retrouve le matérialisme historique) qui peut se décomposer en deux
modalités :

• aliénation de l’ouvrier , qui selon Aron est imputable à la propriété privée des moyens
de production, peut-elle aussi se décomposez en deux types :

- ouvrier est d’abord aliéné par rapport à son produit qui lui échappe, dont-il
est dépossédé aussitôt qu’il l’a créé. Non seulement il perd le fruit de son travail ,
mais en sus le produit se présente en face de lui comme une présence hostile:
transformé en capital, il devient l’instrument d’exploitation de sa force de travail.
- L’ouvrier est aussi aliéné dans l’acte même de la production. Son travail
n’est pas volontaire mais forcé, le travail est abaissé à un moyen permettant de
survivre . L’ouvrier ne considère plus alors que durant son travail il s’appartient, il
appartient à celui à qui il a vendu sa force de travail . Alors que le travail aurait du
caractériser l’humanité de l’homme, l’enrichir, il lui enlève une partie de ce qu’il est
.

• aliénation de l’entrepreneur qui résulte de l’anarchie des marchés , soumet


l’entrepreneur à un mécanisme qu’il ne contrôle pas, dont-il devient l’esclave.

Conclusion : Aron en conclut, ce qui permet de relativiser le caractère scientifique de l’analyse


de Marx, que :
• critique de la réalité économique du capitalisme a été à l’origine dans la pensée de Marx ,
une critique philosophique et morale ».
• Marx a rejeté le capitalisme pour des raisons morales, et s’est efforcé par la suite, car il
considérait le système mauvais, de démontrer scientifiquement que le système ne peut
pas ne pas s ’effondrer .

2° ) LA DISPARITION DES ANTAGONISMES DE CLASSE

Selon Marx :
• La révolution prolétarienne amènera la fin du mode de production capitaliste sous l’égide
de la classe ouvrière, comme la révolution bourgeoise a entraîné la disparition du mode de
production féodal .
• Mais il existe une différence notable entre les deux , contrairement à la bourgeoisie, la
classe ouvrière ne va pas confisquer la révolution , elle va abolir les classes en général .

Conséquence : L’Etat, au service de la classe bourgeoise, va alors disparaître, l’ancienne


société va « laisser la place à une association où le libre épanouissement de chacun est la
condition du libre épanouissement de tous ».

E - LES LIMITES DE L’ANALYSE DE MARX .

On retiendra trois limites essentielles :

• première est due à R Aron qui considère qu’ :


- on ne peut plus parler d’antagonismes liés à la propriété privée dans la société
socialiste puisque la propriété privée a disparu.
- Mais ceci n’empêche pas qu’il existe des hommes qui exercent le pouvoir sur les
masses populaires ce qui peut générer de nouveaux types d’antagonisme (cf. en
URSS l’opposition entre la nomenklatura et le reste de la population) .
- Aron en conclut donc : « il n’y a pas de raison que tous les intérêts des membres
d’une collectivité soient en harmonie du jour où les instruments cessent d’être
l’objet d’appropriation individuelle. Un type d’antagonisme disparaît , non tous les
antagonismes possibles ».
• Comme l’indique Mendras et Forse : « la théorie marxiste implique que :
- le changement structural a toujours, et nécessairement, un caractère
révolutionnaire. (...).
- Cela revient à considérer les structures sociales entre deux révolutions comme des
entités fondamentalement statiques.
- Certes Marx parle de loi de développement du capitalisme, mais cette dynamique
n’est en fait que celle du développement d’un organisme, l’épanouissement
progressif d’un organisme en son image préexistante. il n’y a de transformation que
révolutionnaire .
- Cette idée ne résiste pas à l’épreuve des faits » .
- Conclusion : Marx a sous estimé les capacités d’adaptation du capitalisme qui
depuis le 19ème siècle a connu une évolution structurelle très profonde sans
révolution qui lui a sans doute permis d’éviter la grande crise prophétisée par Marx..

• Marx considère que le conflit de classes est nécessairement ouvert, aigu et


violent . Or :
- Mendras et Forsé constatent que : « les données empiriques conduisent au contraire
à penser qu’il ne prend que rarement la forme d’une guerre civile.
- Les changements structuraux qui ont affecté les sociétés occidentales depuis le
19ème siècle ont abouti à l’institutionnalisation du conflit de classes, si bien qu’une
classe opprimée peut obtenir par la discussion et la négociation des changements
de structure ».

III - LES THEORIES CONTEMPORAINES DU CONFLIT.


A - L’ANALYSE DES CONFLITS DE R DAHRENDORF : LA PRISE EN COMPTE DE
L’AUTORITE

Dahrendorf s’oppose à Marx car :

• il remarque que la société capitaliste du 20ème siècle ne correspond pas du tout aux
prévisions de Marx
• les changements structuraux qui ont eu lieu sans révolution au sein des sociétés
industrielles ont orienté les conflits de classe dans une direction bien différente de
l’archétype de la lutte des classes . ils appellent donc l’élaboration d’une théorie plus large
des classes sociales et des conflits sociaux.

Conséquences : Dahrendorf cherche à trouver aux conflits sociaux une autre origine que la
seule propriété des moyens de production . Pour cela il va faire appel à la sociologie de Weber
en particulier à deux concepts qui occupe une place importante chez Weber : le pouvoir et
l’autorité :
• « Le pouvoir est la probabilité pour qu’un acteur engagé dans une relation
sociale soit en position d’imposer sa volonté, en dépit de toute résistance , et
ceci indépendamment des raisons qui fondent cette probabilité » (Weber). Le
pouvoir s’attache donc à la personne
• L’autorité est « la probabilité pour qu’un ordre ayant un contenu spécifique soit
suivi par un groupe donné de personnes »(Weber). L’autorité contrairement au
pouvoir n’est pas attachée à la personne mais à un rôle ou à une position sociale.

Dahrendorf va donc redéfinir la notion marxiste de classe sociale en expliquant les


conflits de classe :
• non plus par la seule propriété des moyens de production,
• mais par le contrôle pour l’exercice de l’autorité.
• En d’autres termes la cause des conflits sociaux doit être recherchée dans cette
distribution inégale de l’autorité qui se traduit par des relations de domination-soumission .

Conséquences : Cette opposition crée à son tour un autre type de conflits : les conflits
d’intérêts entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui y sont soumis. Dahrendorf va
distinguer deux types d’intérêts:
• les intérêts latents qui sont des intérêts communs mal explicités qui provoquent des
conflits, mais ne correspondent pas à un degré de conscience collective suffisante pour
donner lieu à des groupes d’intérêts. Ils ne constituent que des catégories sociales
composées d’individus dont les intérêts sont identiques, mais qui ne sont pas capables de
les défendre de façon organisée.
• Les intérêts manifestes, eux, donnent naissance à des groupes d’intérêts organisés et
capables d’agir sur ces bases .

Une dernière différence notable entre la conception des conflits de Marx et celle de
Dahrendorf réside dans le fait que :
• les individus appartiennent à des structures différentes (Dahrendorf reprend ici une
analyse de Weber qui distingue la classe, le groupe statutaire et le parti , cf cours de
première),
• et qu’ils peuvent donc être tantôt dominants, tantôt dominés.

Conséquences : De la sorte :
• il existe une pluralité de conflits sociaux.
• Les conflits entre groupes étant de nature très variée , on ne peut plus les ordonner
comme chez Marx entre deux grandes classes sociales .
• C’est une des erreurs de l’analyse de Marx que de penser que la domination industrielle
implique nécessairement la domination dans les autres domaines de la société, Etat,
Eglise, organisations, etc.

B - LE MODELE D’INGLEHART ( 2 p 169)

Inglehart relativise l’actualité de la pensée de Marx :


• en montrant qu’une fois ses besoins matériels immédiats satisfaits, l’homme tourne ses
préférences vers des besoins non matériels , de nature intellectuelle ou esthétique.
• Or , l’évolution de nos sociétés développées en serait justement à ce stade du passage
des valeurs matérialistes aux valeurs post-matérialistes, sous l’effet conjugué de la
croissance économique, de l’innovation technologique, du développement de l’éducation,
des changements dans la répartition sociale .

Conséquences :
• On passerait ainsi d’une société de classes à une société caractérisée par une
stratification complexe. Il en découle une augmentation générale du niveau de
compétence politique et une demande accrue de participation au processus de décision
.Les citoyens n’accorderaient plus leur confiance aux organisations traditionnelles ( parti,
syndicat )censées assurer dans le modèle pluraliste une médiation efficace entre le
pouvoir et eux.
• Dans le même temps , on assiste parmi les nouvelles générations de la classe
moyenne à l’apparition de nouveaux enjeux qui proviennent plus de différences
dans le style de vie que de besoins économiques. On peut citer par exemple la
protection de l’environnement, le rôle de la femme, la redéfinition des valeurs qui se
substitueraient au conflit entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.

C - L’ANALYSE DES CONFLITS SOCIAUX DE A TOURAINE (2 p 379)

Les apports de Touraine à la sociologie du conflit sont nombreux :

1° ) DES CONFLITS CARACTERISTIQUES D’UNE SOCIETE

Il va s’efforcer de montrer que les conflits sociaux sont caractéristiques d’un type de société et
donc , que quand les sociétés se transforment, les conflits sociaux évoluent :

• Dans la société industrielle les conflits sociaux tournent autour de l’industrie


comme chez Marx . Mais contrairement à Marx , Touraine ne croit pas que la formation du
monde ouvrier ait été déterminée par des conditions économiques. Elle résulte selon lui
d’un certain type de conscience ouvrière qui dépend lui-même d’un certain type de
relations et d’organisation du travail . Dés lors contrairement à Marx, Touraine ne pense
pas que la conscience ouvrière est homogène . Il distingue deux composantes :
- la conscience prolétarienne, qui est typiquement celle du manœuvre, se définit
par défaut, par la misère de sa condition. Toujours prête à se révolter elle manque
d’envergure politique et se cantonne dans la revendication salariale.
- Au contraire , la conscience fière des ouvriers de métiers les conduit à
défendre des intérêts positifs, un savoir-faire , une autonomie. Selon Touraine c’est-
elle qui serait le ferment du mouvement ouvrier.

Conséquences :Tout le problème est que pour que le syndicalisme se transforme en un


mouvement ouvrier, il faut que soient surmontées les tensions entre les deux pôles de son
identité Ce qui n’est en rien assuré.

• Dans la société postindustrielle , caractéristique selon Touraine de notre


époque, les conflits sociaux qui se forment sont d’une autre nature que dans la
société industrielle. « Ils opposent moins le capital au travail que les appareils de
décision économique et politique à ceux qui sont soumis à une participation dépendante ».
• En effet , dans la société postindustrielle qui est une société technocratique
( caractérisée par le développement d’appareils de gestion et d’information, tendant à
modeler les conduites sociales et culturelles), le pouvoir appartient à ceux qui détiennent
le savoir , l’information. Les conflits sociaux qui étaient autrefois concentrés dans
l’entreprise , se diffusent aujourd’hui dans la société toute entière, opposant à ces
appareils leurs consommateurs et leurs usagers .

2° ) LA SIGNIFICATION DU CONFLIT

Constat : Comme l’indique Touraine :


• « la formation d’un conflit de pouvoir, de la lutte des classes en particulier n’est pas une
rupture de la société. (...)
• Au contraire, plus la lutte des classes est forte, plus les adversaires se réfèrent
explicitement à un modèle intégré de société, parlent au nom de l’intérêt général ».
Conséquence : Le conflit entre les classes n’a donc rien d’une guerre:
• les entreprises et les syndicats partagent des valeurs communes, celles de l’industrie, du
travail, du progrès technique.
• C’est cette toile de fond qui rend visible les disparités, qui permet à un groupe social de
percevoir qu’un autre groupe est en train de s’approprier le produit du travail collectif .

Conclusion : Pour qu’il y ait conflit ,il faut donc que :


• les acteurs sociaux partagent des valeurs , une culture ,
• mais qu’ils aient des conceptions différentes sur l’intérêt général de la société, et qu’ils
cherchent à transformer l’organisation de la société pour la rendre plus juste.
• Le conflit d’après Touraine ne remet pas en cause l’intégration sociale , au contraire il la
renforce.

3° ) LA DIVERSITE DES CONFLITS

Dans une société , les conflits sociaux sont très divers. Touraine distingue ainsi :
• les conflits d’intérêts qui cherchent à modifier la relation coûts-bénéfices en leur faveur.
• Les mouvements sociaux qui mettent en cause ,au-delà de l’organisation sociale
et du système de décision, les relations de domination au niveau de la société.
• Les mouvements révolutionnaires qui sont plus globaux encore puisqu’ils identifient
une domination sociale à un régime politique .

Remarque : Ces différents types de mouvements sont largement autonomes mais en même
temps ils portent la marque du conflit social central de la société .

Exemple :Touraine prend l’exemple du mouvement ouvrier qui occupe dans les sociétés
industrielles une place centrale :
• même quand les ouvriers revendiquent pour des augmentations de salaire , pour la
reconnaissance d’un droit syndical, pour une reconnaissance institutionnelle,
• derrière se trouve la marque du mouvement ouvrier basée sur la lutte des classes .

Conclusion : Il faut donc pour Touraine rechercher derrière tout conflit le conflit social central
caractéristique de la société dans laquelle il se déroule .

4° ) LA DEFINITION DU MOUVEMENT SOCIAL

définition : Selon Touraine les mouvements sociaux correspondent à une action collective
organisée par laquelle un acteur de classe lutte pour définir les grandes orientation
culturelles de la société (ce que Touraine appelle l’hi storicit é ). Sa définition suppose
donc la conjonction de trois éléments :
• un acteur de classe (ex: la classe ouvrière): c’est le pri ncip e d’id entit é.
• un adversaire de classe (ex: la bourgeoisie) : c’est le prin cipe d’o pp ositio n.
• un enjeu : c’est le pri ncip e d e tot alité.

SECTION III - VERS UN EMIETTEMENT VOIRE UNE DISPARITION


DES CONFLITS OU LEUR INSTITUTIONNALISATION ?
I - LA REMISE EN CAUSE DES CONFLITS SOCIAUX TRADITIONNELS.
A - UNE CRISE DU SYNDICALISME ( p 166-168)

1° ) L’AGE D’OR DU SYNDICALISME

Rappel historique : Les corporations sont dissoutes par la loi d’Allarde , en 1791. La même année la loi Le Chapelier
interdit toute association en vue de défendre les intérêts communs car l’association des travailleurs est considérée
comme une entrave au fonctionnement du marché. Les syndicats demeurent interdits en France durant la majeure partie
du 19ème siècle.
Le droit de grève n’est légalisé qu’en 1864. Et il faut attendre encore 20 ans (1895) avant que le droit syndical ne soit
reconnu en France .

Conséquences : Le syndicalisme s’est donc développé tardivement par rapport à la révolution industrielle. Il faut
attendre 1906 pour que la CGT fixe ses principes d’action dans la charte d’Amiens :
• le syndicat est l’outil des améliorations immédiates, arrachées au patronat dans les luttes quotidiennes
(demandes d’augmentation de salaires, journée de 8 heures, etc.)
• Le syndicat à néanmoins un objectif plus ambitieux (cf. le principe d’historicité de Touraine) : renverser la
société capitaliste, il dispose pour cela d’une arme : la grève générale .
• Le capitalisme disparu , le syndicat sera le groupement de base de production et de répartition.

Constat : Néanmoins le syndicalisme aura des difficultés à s’implanter en France : il connaîtra deux âges d’or :
• les grandes grèves de 36
• les années 50 durant lesquelles selon A Beuve-Mery : « le syndicalisme a le vent en poupe. Se syndiquer est alors
la norme. Dans une France à reconstruire, à l’échelon local dans une usine, ou une administration, les syndicats
sont une structure d’accueil, un lieu de formation et d’éducation ».
• Mais l’échec des grandes grèves de la fin des années 40, les répercussions de la guerre froide, le manque de
cohérence de l’action syndicale qui hésite entre l’action directe et la négociation par branche vont entraîner un
tassement des effectifs qui seront divisés par deux durant les années 50, avant de se stabiliser jusqu’à la crise
actuelle.

2° ) UNE PERTE D’AUDIENCE (2p167)

Constat :

• Le taux de syndicalisation passe de 25 % en 65 à 7-9 % aujourd’hui


• Une présence syndicale et un taux de syndicalisation très inégaux
 suivant la taille de l’entreprise : la présence syndicale sur le lieu de travail varie de 8%(entreprises de
moins de 50 salariés) à 81%(entreprises de plus de 500 salariés)
 suivant le statut de l’individu : un salarié en CDI sur 10 est syndiqué, un salarié en CDD sur 25 est
syndiqué
 suivant le statut : le taux de syndicalisation des fonctionnaires est 3 fois plus élevé que celui des salariés
du privé

• Le taux de syndicalisation varie énormément entre pays :


 Il est supérieur à 70% dans les pays scandinaves
 Pour tomber à moins de 20 % dans les pays du Sud de l’Europe et en France

• Une érosion de la participation aux élections professionnelles qui se traduit par une montée de l’abstention , un
accroissement du pourcentage des votes en faveur des non syndiqués .

• une hausse de la part des votes en faveur des non syndiqués lors des élection aux comités d’entreprise qui
passe de 12% en 1966 à 30% en 1993 avant de redescendre à 25% en 1999.

• Une diminution des conflits du travail (1 à 4 p 164-165) après le record de mai 68 : 15 millions de journées
perdus pour fait de grève ; on observe dans les années 70 , une moyenne autour de 3,5 millions de journées , dans
les années 80 la moyenne passe à 1,5 millions , dans les années 90 elle passe à 500 000 , mais remonte légèrement
lors de la reprise économique de 1998-2000 pour atteindre en 2000 : 800 000( p 188)
 La chute est encore plus spectaculaire si l’on ne retient pas les salariés de la fonction publique :

 On constate de plus que le taux de conflictualité varie en fonction


 de la taille de l’entreprise (taux de conflictualité d’autant plus faible que la taille de
l’entreprise est réduite : 3p 164)
 du secteur d’activité (la conflictualité est plus forte dans l’industrie que dans le
tertiaire : 3 p164)
 de la part des précaires dans l’entreprise ( plus la part des précaires est forte plus la
fréquence des conflits est faible : 4 p 165)

• On constate que les salariés sont certes majoritaire à considérer que les syndicats jouent un rôle irremplaçable
dans la représentation des salariés (63%des ouvriers, 54%des cadres). Mais un pourcentage fort de salariés
considèrent que les syndicats font passer leurs intérêts avant ceux des salariés (55% des ingénieurs,48 % des
employés)
3°) La crise de la classe ouvrière (p 148 à 150) : repris du manuel en ligne brise

a - Les mutations du travail ont réduit le poids des ouvriers, brouillé leur identité
professionnelle et diminué leur capacité de mobilisation.

Les transformations du travail et les mutations de la classe ouvrière remettent-elles en cause la division de la société
française en classes sociales antagonistes ? C’est ce que pensent certains sociologues, et nous allons présenter leurs
principaux arguments.

• La diminution de la part des ouvriers dans la population active. Le recensement de mars 1999 en France
met en évidence la poursuite du mouvement amorcé dès le milieu des années 1970 : les ouvriers étaient encore
plus de 7 millions en 1982, ils étaient 6.5 millions environ en 1990 et 5.9 millions seulement en 1999. Cela
représente une diminution de plus de 15% des effectifs ouvriers entre 1982 et 1999, alors que, dans le même
temps, la population active occupée augmentait. Résultat : la part de la P.C.S. “ ouvriers ” dans la population
active occupée a encore plus nettement diminué que ses effectifs : elle est passée de 32.8% de la population
active occupée en 1982 à 25.6% en 1999 (Insee, recensements de la population), soit une diminution de 22%
environ. Aujourd’hui, la part des ouvriers dans la population active est inférieure à celle des employés.
• La transformation de la nature du travail des ouvriers : la première grande transformation est que les
ouvriers travaillent de plus en plus souvent dans les services, comme les chauffeurs routiers, par exemple.
Ainsi, en 2001, il y a plus d’ouvriers travaillant dans le tertiaire que d’ouvriers travaillant dans le
secondaire (attention, si ce résultat vous étonne parce que vous pensiez que les ouvriers travaillaient
forcément dans le secteur secondaire, cela signifie qu’il faut que vous revoyiez comment on répartit les actifs
occupés dans les trois secteurs d’activité) en France. Ces ouvriers sont en particulier des ouvriers d’entretien et
de maintenance. “ La classe ouvrière est désormais disséminée dans les rouages de la société de services et non
plus soudée au cœur du système industriel ” (E. Maurin, Sciences humaines n°136, mars 2003). Même dans le
secteur secondaire, les ouvriers font beaucoup moins souvent qu’avant des tâches de production au sens strict
car celles-ci sont de plus en plus automatisées. On a donc un développement des tâches de tri, d’emballage et
de manutention en général d’un côté, et un développement des tâches de surveillance, contrôle et réglage des
machines automatisées d’un autre côté. La deuxième transformation touche la qualification des ouvriers : la
qualification personnelle des ouvriers s’est plutôt élevée (il y a davantage de diplômes professionnels) mais ils
exercent souvent un emploi dont la qualification est inférieure à celle qu’ils possèdent (31% des salariés
embauchés pour un emploi ne nécessitant pas officiellement de qualification sont titulaires d’un CAP ou d’un
BEP). Le nombre des emplois d’ouvriers non qualifiés avait beaucoup diminué entre 1982 et 1994 mais il a
réaugmenté entre 1994 et 2001. Au total, la part des emplois d’ouvriers qualifiés dans l’ensemble des emplois
ouvriers progresse cependant.
• Taille des entreprises et du collectif de travail( 6 p 185) : parce que la nature du travail a changé, la taille des
entreprises dans lesquelles travaillent les ouvriers a beaucoup diminué. Cela s’explique d’une part par
l’automatisation des tâches de production proprement dites : certaines usines sont aujourd’hui quasi
“ désertes ”, d’autre part par le fait que les ouvriers travaillent de plus en plus souvent dans des entreprises du
tertiaire qui sont traditionnellement, en moyenne, de taille inférieure à celle des entreprises industrielles. Le
cadre de travail des ouvriers a donc été bouleversé : les grands rassemblements ouvriers à l’ouverture des
grilles de l’usine ne font bien souvent plus partie de l’expérience vécue par les ouvriers. Mais le fait que la
taille de l’entreprise diminue ne signifie pas que les ouvriers seront plus proches du patron : en règle générale,
ces petites entreprises appartiennent à de grands groupes industriels et financiers et le pouvoir est en général
bien loin du lieu de production.
• Les transformations récentes du travail et de l’emploi (précarisation du travail, suppression de certains emplois
non qualifiés, par exemple d’ouvriers, individualisation de la carrière des salariés, etc…) agissent aussi sur
l’identité professionnelle : les frontières de l’emploi sont plus floues, les métiers se transforment, les horaires
sont “ à la carte ”, l’individu semble triompher et les collectifs de travail semblent moins englobants, moins
contraignants pour les individus, mais aussi moins protecteurs. L’identité professionnelle semble donc moins
“ imposée ” à l’individu qui doit bien davantage trouver ses repères seul pour la construire. Dans ces
conditions, on voit bien que la mobilisation en vue d’un conflit sera sans doute plus difficile à obtenir.

• La culture ouvrière recule avec la transformation du travail ouvrier( 4 p149) . La précarisation du travail et
l’expérience du chômage (qui touche proportionnellement plus les ouvriers que les autres P.C.S.) dévalorisent le
travail ouvrier, tandis que le changement de la nature du travail ouvrier (moins directement en contact avec la
matière et la production) attaquent directement sa spécificité. De même, les conditions de vie des ouvriers se
sont transformées, semblant rejoindre celles d’une vaste “ classe moyenne ” : d’une part, les revenus, et donc la
consommation, se sont élevés rapidement durant les années 1960 et 1970, permettant aux ouvriers d’accéder aux
biens de consommation durables comme la télévision, la machine à laver ou l’automobile ; d’autre part, les
modes de vie des ménages ouvriers se sont également transformés par le développement du travail des femmes
d’ouvriers, l’allongement de la durée de scolarisation des enfants d’ouvriers et le développement de l’accession
à la propriété grâce au crédit. Au final, les conditions de vie semblent s’égaliser avec celles d’autres groupes
sociaux et les éléments qui contribuent à forger et à transmettre la culture ouvrière semblent peu à peu
disparaître.

UN DOSSIER DE LIBERATION TRADUIT TRES BIEN LA CRISE DE LA CLASSE OUVRIERE :

Reportage chez le géant de l'acier Arcelor, au sein d'un monde où le bleu de travail a
disparu tout comme le mot ouvrier.
Ouvriers déboulonnéspar Sonya FAURE: lundi 29 mai 2006

Le jeune contre-maître mesure 1,55 m. Il sourit patiemment quand son aîné s'agite en le
montrant d'un revers de main : «Vous parlez d'un moustique ! Au paradis des fondeurs, ils vont
lui dire : "Mais t'es qui toi ?" On n'aurait jamais vu un fondeur comme ça avant : c'est bien la
preuve que le monde ouvrier a changé.» Charles Vincent est un ancien. «Sourd», apporte-t-il
comme une preuve. Il est entré dans les hauts fourneaux de Dunkerque à 15 ans. Arcelor
s'appelait alors Usinor. Charles Vincent a aujourd'hui 56 ans. Quand il parle des collègues qui
bouchent et débouchent les hauts fourneaux de 30 mètres de haut ou surveillent la coulée de la
fonte, il hésite à parler d'ouvriers. Plus les mêmes rapports de subordination : «Les jeunes
n'accepteraient pas qu'on leur donne des ordres. Maintenant, il n'y a plus de chefs, il y a des
managers.» Plus la même dureté : «Avant, si le gars n'était pas brûlé, c'était pas un vrai
fondeur. Quand j'ai commencé, on ne se voyait pas à 10 mètres à cause de la poussière. Je n'ai
aucune nostalgie de ce temps-là. Même moi, je mets des bouchons d'oreille maintenant.»
Dans la salle de contrôle du haut fourneau 4, deux techniciens en blouse claire fixent des
écrans. «Il y a vingt ans, c'est le type qui réglait les débits de vent et gérait l'enfournement des
matières. Aujourd'hui, tout est automatique, c'est une histoire de surveillance, d'affinement des
réglages», explique Jean-Claude, derrière son pupitre informatique. «On est passé d'un métier
de manutention à un métier de clavier», résume Patrick Genu, chef du service développement
des ressources humaines d'Arcelor. Sur les écrans qui retransmettent les images des planchers
de coulée, où se déverse la fonte sortie du haut fourneau, on distingue pourtant quelques
ouvriers en tenue métallisée.
«Faire rêver». C'est une rengaine de la France qui «se désindustrialise» : il n'y a plus
d'ouvriers. «Et c'est faux, rétorque Naïri Nahapétian, auteure de l'Usine à 20 ans (1). Les
ouvriers sont encore 6 millions en France, même si ceux de l'industrie, qui portaient la lutte
ouvrière pendant les Trente Glorieuses, sont de moins en moins nombreux. En fait, c'est
l'identité de classe qui se délite. La classe ouvrière doute d'elle-même.» Chez Arcelor, on ne
parle plus d'ouvrier. Le mot serait vieillot, presque insultant. Le directeur de la communication
de Dunkerque ouvre des yeux horrifiés en entendant le thème du reportage : «Mais il n'est pas
question d'identité ouvrière chez nous ! Il est question d'un site où nous sommes passés d'une
industrie de main-d'oeuvre à une industrie de process !»
Le PDG d'Arcelor, Guy Dollé, parle, lui, de «nouveaux talents» : «On n'a presque plus d'ouvriers
dans nos usines.» A Dunkerque, les chiffres du fichier du personnel confirment : 3 960 salariés
inscrits, 230 à la case «ouvriers». Et 2 700 agents de maîtrise, techniciens ou agents
d'exploitation, la nouvelle terminologie pour les anciens fondeurs et surveillants des hauts
fourneaux, qui travaillent en 3/8. En mal de recrutement, Arcelor a organisé au début du mois le
forum Planète acier, à Reims. Un grand salon de l'emploi pour redorer les métiers du secteur. «Il
faut faire rêver, justifie Jacques Dham, président d'Arcelor Distribution. Nos métiers s'appellent
encore chaudronniers, alors qu'on ne fabrique plus de chaudron. Plombiers, alors qu'on n'a plus
les mains dans le plomb. On n'a même pas été capable de leur inventer de nouveaux noms.»
Faute d'apprentis, des centres de formation ferment : «On valorise beaucoup les métiers du
tertiaire, regrette Gérard Fabiani, secrétaire général du Syndicat de la chaudronnerie, tuyauterie
et maintenance industrielle. Nos conditions d'emploi ne sont pourtant pas pires que celles de
l'hôtellerie ou de la restauration...» Ce qui ne porte pas la barre très haut.
«Parler de techniciens, ça fait bien, c'est la sidérurgie de demain. L'ouvrier a peut-être disparu
du jargon d'Arcelor, mais pas chez nos sous-traitants, contredit Philippe Collet, militant CGT. On
compte en permanence 2 000 salariés en sous-traitance : les métiers plus pénibles, ceux qui
réclament de la force physique.» D'un côté «l'élite des techniciens», de l'autre côté les
précaires et sous-traitants. «J'ai fait des stages hydraulique, des stages pneumatique... Mais je
n'ai récolté que des promesses d'embauche, témoigne Michel (2), intérimaire pour Arcelor
depuis quinze ans. Travailler pour Arcelor Dunkerque, ça serait un honneur : je pourrais monter,
évoluer et toucher les primes. Je n'ai pas du tout le même salaire que les gars en interne.»
En interne, «tous les opérateurs ont leur boîte mail», explique la direction des ressources
humaines. Sur le site de Fos, ils ont même reçu des cours d'économie «pour mieux comprendre
la stratégie et l'environnement économique du groupe». Dans les ateliers, la figure du
contremaître patibulaire a disparu. Depuis une quinzaine d'années, les ouvriers ont été formés,
«responsabilisés». «Jusqu'à la fin des années 80, ils étaient majoritairement non qualifiés,
parfois analphabètes. Condamnés à faire le même boulot jusqu'à la retraite», explique Patrick
Genu, des ressources humaines.
Polyvalence. Sur les planchers de coulée, le premier fondeur assurait les taches les plus
nobles, le troisième exécutait les corvées. Et, pour monter en grade, pas d'autre moyen que
d'attendre la retraite du supérieur pour prendre sa place. Aujourd'hui, plus de premier fondeur,
mais des salariés polyvalents, qui décrochent alors souvent le fameux statut de technicien. «On
a organisé des groupes de travail, demandé aux gens de réfléchir à leur propre poste», poursuit
Patrick Genu. L'ouvrier est désormais comptable de l'entretien de sa machine. On lui demandait
de tenir des objectifs de production et des cadences, il doit maintenant considérer l'atelier qui
suit le sien comme un «client» et répondre à ses demandes, en fonction des variations de
production. «On leur demandait de faire du tonnage, et soudain, on leur a réclamé une valeur
ajoutée. Ça leur a ouvert des perspectives de carrières», rapporte Anne-Marie Baudoin, de la
CFDT. Une évolution typique de l'industrie, qui a effrité l'idée d'appartenance au monde ouvrier.
«Les nouvelles formes de management ont substitué le contrôle de la collectivité à la tyrannie
du chef, explique Naïri Nahapétian. Ce qui ne veut pas dire que le travail n'est plus parcellisé ni
répétitif.»
Ni l'évolution des métiers, ni les efforts pour changer le vocabulaire ne parviennent à séduire
les jeunes. A Dunkerque, la moyenne d'âge des salariés est de 52 ans. Une génération manque
: «Celle des 38-48 ans, rapporte Philippe Collet. Du coup, la transmission ne s'est pas faite.»
Arcelor s'est engagé à embaucher 500 personnes en France. 120 cadres mais essentiellement
des «techniciens» et du «personnel d'exécution». Bac pro minimum. «On a beau leur dire que,
pour des postes de pontonniers (qui conduisent les ponts, ndlr) un CAP suffit, la direction
refuse», regrette la CGT. «Le bac professionnel est le diplôme archétypique du nouveau monde
des techniciens et ouvriers, explique Henri Eckert, chercheur au Centre d'études et de
recherches sur les qualifications (Cereq) (3). Ce diplôme donne à beaucoup de jeunes l'illusion
qu'ils vont s'éloigner de la tâche, de la pénibilité. Or, arrivés dans le monde du travail, ils se
retrouvent souvent plongés dans la production pure et dure. Et deviennent de "simples
ouvriers", comme ils le disent souvent.»
«Usés». Les jeunes ne portent plus la fierté ouvrière. «Les plus de 55 ans pensent à leur
retraite, ils sont usés, souvent malades de l'amiante. Et ils voient arriver des jeunes qui ne
veulent plus appuyer sur un bouton, mais se former, progresser. Ça a souvent cassé les
solidarités», rapporte Philippe Collet, de la CGT Arcelor. Dans l'industrie, ce sont souvent les
anciens qui conseillent aux jeunes de fuir.

Nicolas Hatzfeld, historien, analyse les changements survenus en trente ans :


«Ouvrier, un mot répulsif pour les jeunes»

Nicolas Hatzfeld, historien, enseigne à l'université d'Evry (Essonne). Il est l'auteur de


l'ouvrage les Gens d'usine. Peugeot-Sochaux, 50 ans d'histoire (1).

Etre ouvrier aujourd'hui, cela signifie-t-il quelque chose ?

Sans doute, mais la signification est différente selon les générations. Les quinquagénaires, ça
leur colle à la peau. Ouvrier, ça évoque le rapport à la matière et à la machine. Mais ça
éveille aussi un sentiment de perte, une dévalorisation. Jusque dans les années 60, la classe
ouvrière, on aimait ou pas, mais on avait intérêt à la respecter. Elle existait dans les discours,
et pas seulement ceux du Parti communiste. L'ouvrier faisait partie de l'avenir. Aujourd'hui, le
message qu'on leur fait passer, c'est : «L'avenir peut se faire sans vous.» Il y avait les
«professionnels», ceux qui avaient le «métier», et ceux qui étaient «au statut» : les gaziers,
les cheminots... Ceux-là ont fait le mythe de l'ouvrier. Mais grâce à la croissance
économique, même les non-qualifiés pouvaient progresser. Il fallait être un peu manchot,
syndicaliste, femme ou immigré pour rester à sa place tout au long de sa carrière...

Et pour les jeunes ?

A l'usine, on est jeune de plus en plus tard. Qu'on ait 30 ou 35 ans, qu'on soit père de famille,
on vous appelle le «gosse». Généralement, vous êtes intérimaire. Les jeunes ont une
répulsion pour le mot ouvrier. J'ai rencontré de récents embauchés chez Peugeot. Ils étaient
contents de l'emploi à PSA des salaires plus élevés, un emploi relativement protégé , mais le
travail les ennuyait. La répulsion peut être plus violente : quand ils regardent les anciens, les
jeunes voient des hommes abîmés. Ils voient la résignation. Leur répulsion est aussi une
forme d'espoir : «Je ne veux pas être comme ça.» La société dans son ensemble construit
cette répulsion. Le PDG dit : «Je n'ai plus d'ouvriers, je n'ai que des techniciens.» Le qualifié
se considère lui-même sans état d'âme comme technicien, ce qui coupe la tête noble des
ouvriers. Les pères disent à leurs fils : «Si tu ne vas pas à l'école, tu tomberas ouvrier.»

Qu'est-ce qui a changé ?

Tout se grippe dans les années 70 et 80. Avec la crise industrielle, on réduit les effectifs, on
s'attaque aux garanties et aux statuts : les grosses entreprises fragmentent leur personnel
avec l'intérim et la sous-traitance, parfois même au coeur noble des métiers, là où le
syndicalisme était le plus fort. Avec le nouveau management des années 80, on raisonne en
«points» ou en «compétences». Mais les ouvriers ne sont pas dupes : les mots ont changé,
les étapes restent les mêmes. Idem pour le mythe de la polyvalence, qui serait apparue dans
les années 80. Dans les faits, la fabrication était tellement désorganisée qu'on demandait
déjà souvent à l'ouvrier de changer de poste ou de remplacer un collègue... Ces dernières
années, on a aussi embauché des jeunes femmes, souvent maghrébines, dans les secteurs
traditionnellement masculins. Manière de fragmenter le collectif.

L'identité ouvrière a-t-elle donc disparu ?


Non, elle se déplace. Sur les postes du tertiaire où le travail est répétitif les filles de salle
dans la santé, les caissières, les magasiniers, etc. , on entend souvent : «On est comme des
ouvriers. C'est la chaîne.» L'identité ouvrière s'ouvre par le bas vers le tertiaire. Autour du
travail «nul», pénible, contraint.

(1) Editions de l'Atelier, 2002.

Chauffagiste, chaudronnier ou monteur témoignent :


«On est des pions» par Sonya FAURE QUOTIDIEN : lundi 29 mai 2006

Charles Vincent, 56 ans, quarante ans de maison chez Arcelor :

«Quand j'ai démarré, je portais la caisse à outils et je n'avais rien à dire.


Maintenant, aux gars, on leur demande poliment : "Tu peux faire ça, s'il te plaît ?"
Et encore, ils vous répondent : "Pourquoi ?"»

Julien, 19 ans, chaudronnier :

«A 30 ans, comment je me vois ? Patron, j'aimerais bien.»

Ahmed, 32 ans, salarié chez PSA et syndiqué à la CGT :

«Un ouvrier, c'est un travailleur qui fait des richesses pour les patrons. Et un peu
pour subvenir à ses besoins. J'ai fait six ans de travail à la chaîne. Ils appellent ça
opérateur.»

Marc, 27 ans, apprenti chaudronnier :

«J'ai vu un documentaire à la télé : des hommes avec le poing levé et le béret. C'est plus du
tout ça. Il n'y a plus de solidarité. Moi, je ne suis pas syndiqué, je trouve que c'est utopique.
En revanche, j'ai bien aimé la grève de la faim du député (Lassalle, ndlr) contre la
délocalisation d'une usine. Au moins il le fait par la non-violence. Il y en a encore qui se
battent pour des gens comme nous.»

Nicole, 50 ans, ouvrière chez Lu :

«J'emballe les biscuits. J'ai pas été beaucoup à l'école, alors, voilà : c'est la première
entreprise qui a voulu de moi. Maintenant, je fais partie des murs ! Je suis ouvrière, et
contente de l'être. C'est quand même mon entreprise qui me fait vivre depuis trente-cinq ans
! Il y a un côté familial. Faut dire qu'on n'est plus très nombreux. Pendant les pauses, on
mange, on parle des petits-enfants. Ou des sorties qu'on a faites avec l'entreprise : la
dernière fois, c'était la comédie musicale le Roi Soleil.

Foued, 24 ans, dans l'automobile. Syndiqué à la CGT :

«Au début, c'était pour quelques mois. J'ai monté les moteurs, les joints de coffre... En six
ans, j'ai dû faire la moitié de la voiture. Chaque jour, j'en vois passer 320 : 320 fois les
mêmes gestes. Ouvrier, ouvrier... Ouais, je suis salarié, quoi. De toute façon, je n'ai pas de
métier. Ce que je fais, n'importe qui peut le faire. Même vous, vous pouvez le faire.»

Stéphane Deliege, formateur de bac pro et de BTS productique :


«Ouvrier, c'est un terme que j'essaie d'éviter avec mes apprentis. Ça a une connotation
négative. Je dis plutôt opérateur, régleur... Ouvriers, c'est les vieux de la vieille, nos parents,
quoi. D'ailleurs aujourd'hui, on dit "technicien d'usinage". L'Education nationale sait choisir
ses termes.»

Jean-Luc Houssin, 44 ans, messager de nuit. Militant CFDT :

«Au temps de mes parents, le travail, c'était une identité. Aujourd'hui, les gens préfèrent se
définir par leurs loisirs... Les chauffeurs de train, les conducteurs de camion, ça faisait rêver
les petits garçons. Maintenant vous dites que vous êtes conducteur routier, c'est assimilé à
manoeuvre.»

Fabien, 33 ans, chauffagiste :

«Quand on m'envoie dépanner une chaudière, on dit au client : "On vous envoie un
technicien." Mais sur la fiche de paie, il y a marqué : "Statut : ouvrier." Bref, on ne sait pas
trop ce qu'on est. A part des pions.»

Christiane Le Gouesbe, 52 ans, groupe Doux. Elue CFDT :

«Je désosse des volailles depuis trente-quatre ans. Je commence à avoir des douleurs aux
épaules. Quand une chaîne tourne à 2 000 pintades à l'heure, il n'y a pas droit à l'erreur.
"Ouvrière d'usine", c'est devenu dévalorisant. Ça veut dire qu'on n'est pas capable de faire
autre chose. Nous, aujourd'hui, on est qualifiées d'"agents de fabrication". Ça n'évoque rien
et le travail, c'est le même. Mais c'est plus joli et, dans une assemblée, les gens vous
montrent un peu plus d'intérêt.»

4° ) LES EXPLICATIONS THEORIQUES

a ) le paradoxe d’Olson (1 p 379).

Constat :Il montre que l’existence d’un groupe non organisé d’individus aux intérêts communs
, dotés de moyens d’action et conscients de leurs intérêts n’implique pas automatiquement ,
contrairement aux intuitions de type marxiste , l’apparition d’une action collective .

Explications : En effet , quand le produit obtenu par une telle action est un bien ou un service
collectif ( ex : une augmentation de salaire pour tous ) et lorsque le groupe est assez large pour
que des pressions ne s’exercent pas sur les individus afin de l’inciter à l’action , alors se produit
le phénomène du passager clandestin (Olson construit son analyse dans une perspective libéral
puisqu’il adopte le modèle de l’homo-oeconomicus égoiste et rationnel) :
• Chaque individu va se dire que puisqu’il peut profiter de l’action sans avoir à agir lui-même
,
• il aura intérêt à laisser les autres dépenser de leur temps et de l’énergie pour se procurer
les biens publics .

conséquences : Ceci doit , selon Olson , permettre d’expliquer l’absence de mouvements


collectifs : en France et en Allemagne , les résultats de l’action de la grève s’appliquent à tout le
monde ( syndiqués et non syndiqués ) ; il est interdit de faire une discrimination , ce qui n’est
pas une incitation à la syndicalisation .

Conclusion : Pour que la syndicalisation se développe , il faut que les syndicats offrent à leurs
membres des incitations sélectives
• soit pénaliser le refus de participation à l’action ( ex : dans un petit groupe , rompre la
solidarité peut entraîner une mise à l’écart ) .
• soit accorder des avantages spécifiques : protection juridique du salarié , postes dans
l’organisation , ...

b ) le modèle d’OBERSHALL .

remarque : Son analyse se situe explicitement dans la perspective de celle d’Olson mais elle
est enrichie par une approche sociologique qui cherche à définir quelles sont les conditions
sociales susceptibles de favoriser l’émergence de mouvements sociaux au sein d’une
collectivité .
Présentation de l’analyse : Obershall croise deux dimensions pour expliquer la probabilité
d’une organisation et d’une mobilisation d’un collectif :

• Première dimension : la dimension horizontale qui renvoie à la nature des lien


sociaux existant au sein de la collectivité , c’est-à-dire la cohésion sociale du groupe .
Obershall distingue 3 cas :
- relation de type communautaire : famille , village , clan , comme dans les
sociétés traditionnelles .
- relation de type associatif : groupe professionnel , religieux , économique
comme dans les sociétés industrielles .
- contrairement au troisième cas où les relations sociales sont peu développées
.

Remarque : Dans ces 2 premiers cas , le sentiment de solidarité du groupe et son potentiel de
mobilisation sont élevés

• Deuxième dimension : la dimension verticale renvoie au degré d’intégration


sociale et politique entre les différents groupes . Il est possible de mesurer ce
niveau d’intégration par l’étendue des liens entretenus avec les groupes supérieurs au sein
de la pyramide sociale et politique .2 types sont alors distingués :
- dans les sociétés segmentées où les groupes sont peu intégrés , là où la mobilité
ascendante est faible , les groupes devront compter sur eux-mêmes pour faire
entendre leur voix , leurs revendications . La segmentation est donc propice à la
mobilisation .
- dans les sociétés où l’intégration est forte , les groupes peuvent faire entendre leurs
voix qui seront prises en compte , ce qui réduit la probabilité de la mobilisation .
• Obershall croise alors les deux dimensions et essaye d’expliciter les modalités de
mobilisation des groupes .

Exemple : les noirs américains du Sud et du Nord durant les années 60 :


• au Sud , les conditions favorables étaient réunies afin de rendre viable et efficace le mouvement des droits
civiques : existence d’une communauté noire , organisée ( église , associations) et d’élites indépendantes des
blancs qui ont permis de structurer une action politique .
• au Nord : absence de véritable leader , communauté moins bien intégrée . Il y a eu des émeutes qui se sont
réduites à une flambée de violence sans déboucher sur aucune action politique stable et organisée à long terme .

5° ) QUI SE TRADUIT PAR DE NOUVELLES FORMES D’ACTION REMETTANT EN CAUSE


LE MODELE TRADITIONNEL

a ) la coordination

Constat : Depuis quelques années , on observe une montée des coordinations qui mettent en cause le monopole de
défense des droits des travailleurs dont disposaient jusqu’alors les syndicats . Les coordinations se sont multipliées dans
les années 80 : infirmières , cheminots , instituteurs , routiers , ...

Comment expliquer ce phénomène ? 6 raisons semblent l’expliquer selon F.Duchamps :


• la probabilité de constitution d’une coordination est d’autant plus forte qu’il n’y a pas de tradition
syndicale ( infirmières) mais il existe des contre-exemples (les cheminots ont un taux de syndicalisation
traditionnellement élevé).
• la coordination est catégorielle , elle défend les intérêts des membres d’une profession sans chercher à élargir le
conflit à des revendications plus globales ( telles que la lutte des classes ) qui semblent dépassées .
• la coordination apparaît généralement dans des professions dans lesquelles les salariés sont isolés ( prof ,
cheminot ) .
• les coordinations s’implantent le plus souvent dans des professions dont l’image sociale , les traditions sont
solides . Mais , en même temps , les coordinations sont aussi le fait de professions apparues récemment qui ne
sont pas reconnues à leur juste valeur
• la coordination , contrairement aux syndicats habitués aux arrangements , est jusqu’au boutiste . Elle refuse
le compromis , ce qui rend les conflits longs et durs sans véritable porte de sortie , d’autant plus que les
mandataires doivent sans cesse se référer aux mandants .
• les coordinations résultent de la désyndicalisation , qui est elle-même le fait de deux tendances convergentes :
- volonté du patronat d’affaiblir les syndicats .
- individualisation croissante du monde de travail .

Conséquences : Les salariés n’ayant plus de structures collectives qui le représentent , se constituent alors des
mouvements puissants mais éphémères qui sont corporatistes , c’est-à-dire qui ne mesurent pas les retombées de leurs
revendications .

Un exemple : les infirmières : le mouvement de 88 présente 2 caractéristiques majeures :


• l’importance de la mobilisation dans une profession faiblement marquée par les conflits sociaux .
• la forme organisationnelle qui a structuré la mobilisation : une coordination non syndicale
• La coordination a exprimé le caractère spécifiquement infirmier du mouvement clairement orienté vers une
demande de reconnaissance professionnelle . 3 thèmes de revendication essentiels :
- reconnaissance de la professionnalité de l’infirmière : volonté de rompre avec l’image de l’infirmière dévouée et
obéissante
- reconnaissance statutaire de la profession : demande d’un statut identique pour tous .
- reconnaissance salariale : demande d’une augmentation de salaire de 2000 francs .

B- L’INSUFFISANCE DE CES EXPLICATIONS ET LEURS DANGERS

1 ) UNE CRITIQUE DE L’ANALYSE D’OLSON .

Selon A.Pizzorno :
• le choix politique (ou syndical) est influencé par des sentiments de solidarité , de loyauté ,
• et non par le désir d’obtenir des avantages personnels . Il est déterminé par l’affiliation
sociale de l’individu et non par le calcul des utilités .
• Les solidarités sociales préexistent au choix politique , ce sont des expressions de la
structure sociale et elles renvoient donc à une identité ethnique ,linguistique , de classe ,
territoriale ou autre . La décision de voter pou tel ou tel parti est un supplément
symbolique qui vient renforcer les liens sociaux préexistants .
Pizzorno conteste donc :
• la logique du calcul coût-bénéfice fondée sur la rationalité des individus développée par
Olson .
• Il considère au contraire que l’action collective a pour but de resserrer les liens sociaux au
sein du groupe d’appartenance permettant ainsi de réaffirmer , de renforcer son identité
sociale

2– LA THESE DE HIRSCHMAN :EXIT OR VOICE

Selon Hirschman , les sociétés disposent de 2 mécanismes fondamentaux pour résoudre leurs
problèmes économiques et sociaux :
• la défection : la liberté d’entrée et de sortie qui correspond au mécanisme du marché
dans lequel l’individu fait librement un choix qui lui permet d’améliorer son bien-être
individuel en changeant de produit , en quittant un emploi par exemple . Dans ce contexte
, les syndicats sont considérés comme une entrave au bon fonctionnement du marché .
• mais il existe un second modèle d’ajustement : la prise de parole : le mécanisme
politique défini par Hirschman comme la voix . Il nécessite le recours à la communication .
Le parti politique est la voix du citoyen , le syndicat la voix du salarié qui permet aux
salariés de faire entendre leurs revendications .
3 °) UNE INSTITUTIONNALISATION DU SYNDICAT (1 à 3 p 168-169)

Constat : On assiste aujourd’hui à une situation paradoxale : le taux de syndicalisation en France n’a jamais été aussi
faible . Pourtant les syndicats n’ont jamais été aussi reconnus comme interlocuteurs privilégiés des patronats et de l’Etat
.
Comment expliquer ce paradoxe ?
• jusqu’aux années 30 , les syndicats n’étaient pas reconnus comme interlocuteurs privilégiés . Pour faire
entendre leurs voix , les syndicats devaient mobiliser un nombre important de salariés , en particulier dans des
manifestations . Le syndiqué était un adhérent qui militait et participait à la vie du syndicat . Le syndicat
développait une contre-culture qui avait pour objectif de détruire la société capitaliste .

• au contraire , à partir des années 30 mais surtout après 45 , avec la création de la Sécurité Sociale , des
comités d’entreprise, des ASSEDIC , enfin avec les lois d’Auroux en 82 , on va observer une évolution qui se
caractérise :
- par une reconnaissance institutionnelle des syndicats qui ont contribué à les légitimer et à les intégrer à la
société civile , qui ont donné aux syndicats une audience plus large , des ressources financières en les liant
étroitement à toutes les institutions de la société .
- Une autre conception du syndicalisme s’est développé : le syndicalisme essaye d’économiser la grève ; il
l’utilise comme un moyen de pression , il la brandit comme une menace .

conséquences : Ceci traduit une évolution de la stratégie syndicale : conformément à l’analyse de Simmel :
• jusqu’aux années 30 les conflits sociaux opposaient patronat et syndicats qui chacun développaient une culture et
c’était deux modèles de société qui s’opposaient .
• A partir des accords de Matignon au contraire , on passe de la dyade à la triade : de l’affrontement binaire où
chacune des 2 parties en présence pouvait avoir le sentiment qu’elle triompherait totalement et imposerait sa
manière de voir à l’adversaire terrassé , on passe à des rencontres tripartites où la grève n’est plus qu’un moment
de la négociation .
• La grève n’est plus alors qu’un signal avertisseur qui demande une intervention des pouvoirs publics .

Conclusion : dès lors les syndicats recourent de moins en moins à la mobilisation sous forme de grève ou de
manifestations : la grève est vue comme pathologique , comme l’échec d’une négociation ( ex : le modèle allemand de
référence ) .

Conséquence : Mais alors le syndicat a de moins en moins besoin de syndiqués . P.Rosanvallon pose même la question :
qu’arriverait-il si les syndicats n’avaient plus d’adhérents ?:
• « La légitimité syndicale serait-elle remise en cause ? Pas forcément : un taux marginal d’adhésion n’entraînerait
pas de basculement qualitatif par rapport à la situation actuelle , l’adhérent a en effet cesser de jouer un rôle
déterminant dans le phénomène syndical . »
• Dans la perspective d’une disparition des adhérents , la forme syndicale tendrait à se confondre avec la forme
politique , seul le domaine d’intervention de chacune d’elle les distinguant .
• La légitimité syndicale deviendrait , comme celle des partis d’essence purement électorale ( le parti politique n’a
pas besoin d’adhérents , le nombre d’adhérents n’est pas le critère de sa représentativité , seuls comptent les
résultats électoraux )

Apparition d’un nouveau modèle :On assiste d’ailleurs selon P Rosanvallon à une nouvelle conception du
syndiqué qui :
• n’est plus considéré comme un adhérent, partageant avec les autres membres du syndicat des valeurs, une culture,
• mais qui devient un client .

conséquences : dans ce contexte , étudier la crise du syndicalisme par rapport à la chute du taux de
syndicalisation n’est pas un bon choix , car l’indicateur n’est pas bon . Pour étudier la représentativité syndicale , il
faut étudier les résultats des syndicats aux différentes élections .

mais cela entraîne une nouvelle conception du syndiqué auquel le syndicalisme français n’est pas encore
complètement préparé :
• On aurait d’un côté le délégué syndical qui siégerait dans de multiples commissions , le syndicalisme devenant un
métier à temps plein ;
• et de l’autre côté , le syndiqué qui ne serait plus qu’un client qui adhère pour obtenir des services .
• Ceci n’est pas sans danger car les délégués qui siègent dans les différentes commissions , ne sont plus sur le
terrain avec les salariés , ce qui engendre une coupure entre le mandant ( le syndiqué , l’adhérent ) et le mandataire
( le délégué) .

Conclusion : Dès lors plus que de disparition du syndicalisme ou de crise du syndicat , il faudrait parler d’une évolution
structurelle du syndicat qui s’adapte à une nouvelle forme de société plus complexe et c’est cette adaptation qui fait la
crise .

4 ) LES DANGERS DE LA DESYNDICALISATION

Constat : «La structuration du phénomène syndical et sa reconnaissance légale en 1884 a également répondu à une
contrainte de régulation sociale » :
• En ce sens , pour une partie des acteurs ( patrons , hommes politiques ) la reconnaissance du syndicat était vue
comme un moindre mal qui permettait d’éloigner le spectre de la révolution et plus prosaïquement de faire
disparaître les conflits violents qui avaient vu le jour depuis la légalisation en 1864 de la grève sans que soit
reconnu alors le droit de se syndiquer .
• La reconnaissance du syndicat a donc pour but en 1884 d’avoir un partenaire avec lequel on peut transiger , ce qui
rend la société plus facilement gouvernable .

Conséquence de la désyndicalisation : Or , comme le note J.Delors , on observe un déclin du syndicalisme qui


présente de nombreux inconvénients, en particulier :
• les syndicats ont forcé la société à changer , ont permis de faire apparaître des idées porteuses d’avenir ,ont
constitué le moteur des changements nécessaires . Or la désyndicalisation a affaibli cette capacité
• les syndicats ont servi de médiateur , exprimant les aspirations des citoyens, prenant en compte les différents
points de vue et transcendant les oppositions pour contribuer au bien commun ( ce qui n’est pas le cas des
coordinations jusqu’au boutiste) . Or aujourd’hui , avec la désyndicalisation , c’est le vide et ce vide est très
inquiétant car il ne permet plus aux citoyens , aux salariés de faire entendre leurs voix .

II - VERS DE NOUVEAUX ENJEUX , DE NOUVEAUX MOUVEMENTS


SOCIAUX ? (1 à 4 p 168-170)
A - LES CARACTERISTIQUES COMMUNES AUX NOUVEAUX MOUVEMENTS
SOCIAUX (NMS)

Constat : Comme l’indique F.Dubet , « le thème des nouveaux mouvements sociaux émerge au milieu des années 60 au
moment où le mouvement ouvrier qui était situé au cœur de la société industrielle ne semble plus avoir le monopole des
grandes mobilisations » . Ces nouveaux mouvements sociaux présentent plusieurs caractéristiques :
• ils désignent les objets les plus divers , du moment qu’ils se distinguent de la figure classique du mouvement
ouvrier : mouvement noir , luttes étudiantes aux USA , et partout mouvements écologistes ,féministes ,
regroupements pacifistes .
• ils mettent en scène de nouveaux acteurs comme les femmes , les jeunes , les classes moyennes .

• ces mouvements ne concernent plus directement les problèmes de la production et de l’économie ; ils se
situent dans le champ de la culture , de la sociabilité , de la ville , des valeurs et paraissent bousculer les formes
classiques de gestion du conflit social et de la représentativité politique .Les NMS mettent l’accent sur
l’autonomie, la résistance au contrôle social
• les NMS inventent de nouvelles formes d’organisation et d’actions. Ils sont très méfiantsà l’encontre des
structures traditionnelles auxquelles les individus devaient déléguer l’autorité à des états majors constitués de
permanents très eloignés des préoccupations de la base
• Les NMS n’ont pas pour objectif de prendre le pouvoir, ils visent au contraire à se protéger de l’influence de
l’Etat (cf., les mouvements régionnalistes)et à construire des espaces d’autonomie protégeant les individus.

Conclusion : la sociologie des nouveaux mouvement sociaux est associée à une critique des paradigmes jusque là
dominants, principalement le marxisme .

B - EXEMPLES DE NOUVEAUX MOUVEMENTS SOCIAUX.

1 - LE MOUVEMENT ANTINUCLEAIRE.

A Touraine dans « la prophétie antinucléaire » s’est intéressé aux mouvements antinucléaires car :
• il recherchait « les luttes sociales d’aujourd’hui pour y découvrir le mouvement social et le conflit qui pourraient
jouer demain le rôle central qui a été celui du mouvement ouvrier et des conflits du travail dans la société
industrielle. » .
• Il attendait « de la lutte antinucléaire qu’elle soit la plus chargée de mouvement social et de contestation, la plus
directement porteuse d’un contre-modèle de société ». Cela pour un certain nombre de raisons :
- Comme le mouvement ouvrier , elle lutte contre un appareil de production qui mobilise des ressources
matérielles et politiques considérables (on constate ici que TOURAINE reste encore marqué par le marxisme).
- dans la lutte antinucléaire , c’est l’image dominante de la modernité qui est mise en cause, c’est donc de
tout notre avenir qu’il est débattu : « notre organisation économique, notre manière de travailler et de vivre est
mise en question »
- La lutte antinucléaire apparaît comme la pointe du combat écologique

Conséquence : Pour toutes ces raisons , Touraine pensait que la lutte antinucléaire allait devenir la « figure principale du
nouveau mouvement social », que les opposants au nucléaire allaient lui opposer « un autre modèle de développement
« et allaient combattre « la fausse modernisation qu’apporte l’industrie nucléaire au nom d’une modernisation plus
profonde qui créerait les conditions sociales et culturelles nécessaires pour passer d’une société forte consommatrice
d’énergie à un société plus sobre mais plus forte utilisatrice d’information ».

Conclusion : On constate que la lutte antinucléaire correspond bien aux caractéristiques définissant les nouveaux
mouvements sociaux selon Dubet (qui travailla avec Touraine, en particulier dans l’analyse des luttes antinucléaires).

2 - LES MOUVEMENTS ETUDIANTS.


Les mouvements étudiants correspondent aussi à la définition des nouveaux mouvements sociaux puisqu’ils mobilisent
de nouvelles catégories de la population : les jeunes, qui se mobilisent sur de nouveaux thèmes qui ne se rattachent pas
directement au monde du travail, et qui génèrent donc de nouvelles formes de contestation. .

Néanmoins , parler de mouvement étudiant au singulier semble discutable, il semble nécessaire de distinguer deux
époques :
• la première serait celle de mai 1968 qui s’était cristallisée sur une revendication générale, qui était le
changement de la société, et ne pouvait donc être satisfaite par le pouvoir en place. Mai 68 avait donc un caractère
global et idéologique .
• Au contraire les mouvements de jeunes aujourd’hui présentent des caractéristiques nouvelles : selon D
Lapeyronnie :
- le mouvement étudiant à une forte dimension corporatiste, la production idéologique est réduite voire
inexistante . Ce qui mobilise les étudiants « c’est d’abord la menace ressentie sur la possibilité de faire
des études, la peur d’une sélection renforcée à l’entrée de l’université et la crainte de voir une
augmentation des droits d’inscription ».
- On constate donc que les revendications des étudiants n’ont aucun caractère global, ils ne veulent pas
changer la société. Ce sera encore plus vrai dans le mouvement contre le CIP dans lequel les jeunes
exprimeront non pas leur volonté de transformer la société mais de s’y intégrer, d’y avoir une place. On le
constate d’autant mieux que le mouvement étudiant ne concerne qu’une minorité de la jeunesse . Les
autres , ceux qui sont dans la galère n’ont que la rage pour se protéger de la violence de la société.
- Les jeunes ont exprimé durant la crise de 1986 leur désir d’être reconnus comme des individus
responsables et autonomes, comme des adultes finalement . Il ont refusé toute récupération politique ou
syndicale (cf. la faible place des syndicats étudiants ) . Ils ont imposé un fonctionnement démocratique et
indépendant.

Conclusion : Mais c’est justement cette « dualité de l’action étudiante (qui) explique l’incapacité du mouvement
étudiant à négocier et son extrême méfiance vis à vis à vis de la politique institutionnelle qui, par définition porte au
compromis ». Comme l’indique A Touraine : « ce sont des moments merveilleux pour les jeunes , et on comprend qu’ils
cherchent à les faire durer. Dans ces conditions , la volonté du pouvoir politique d’établir un dialogue avec eux sur un
point précis est inopérante. A ce stade, toutes les concessions sont jugées insuffisantes, toutes les promesses dilatoires. Il
faut comprendre le sens de ce rituel existentiel pour les adolescents, qui trouvent là une occasion de se poser en égaux
des adultes et de les impressionner ».

C - LES LIMITES DE L’ANALYSE DES NOUVEAUX MOUVEMENTS SOCIAUX.

O Fillieule a étudié les formes actuelles de l’action collective et il a constaté que certains caractéristiques ressortent qui
semblent relativiser l’intérêt d’une analyse en termes de nouveaux mouvements sociaux , il remarque certes que :
• l’activité manifestante se diffuse aujourd’hui très largement dans toutes les CSP,
• que les acteurs des conflits interpellent directement les politiques , faute de croyance en l’efficacité des
représentants. Ceci semble bien traduire une crise de la représentation (cf. coordination).

Mais , contrairement à ce qui s’écrit le plus souvent, la période n’est pas marquée par un changement de nature de la
participation politique :

• l’analyse des revendications portées par les manifestations actuelles ne vient pas corroborer l’hypothèse
d’une modification des valeurs défendues : les valeurs matérialistes sont très largement dominantes : Emploi,
hausse du revenu.

• Les mobilisations porteuses de revendications post-matérialistes ( environnement, mœurs ) ne font pas


vraiment recette à l’exception des questions internationales et de l’antiracisme.
• l’hypothèse d’une modification des modes d’engagement politique n’est pas confirmée. Selon elle , la
participation aux mouvements de protestation serait marquée par une extrême fluidité , les individus s’engagent et
se désengagent en fonction du contexte . Il en résulterait un refus net des organisations . La réalité des
manifestations françaises vient infirmer ces considérations puisque plus des deux tiers d’entre elles ( hors Paris)
sont organisées à l’appel des centrales ouvrières . Cela laisse peu de doute sur la domination de la stratégie de la
rue par les syndicats . En revanche , il est vrai que les partis politiques ( surtout les partis de droite et le parti
socialiste ) appellent fort rarement à manifester .

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