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I - QU’EST-CE-QUE LA STRATIFICATION ?
La stratification sociale correspond à la division d’une société en plusieurs groupes (ou strates ) hiérarchisées :
• Elle est universelle c’est à dire qu’elle est présente dans toutes les sociétés, aussi bien les plus primitives que les
plus modernes, les plus simples que les plus complexes.
• Elle est omniprésente, c’est à dire que la société est traversée de divisions verticales qui peuvent être fondées aussi
bien sur l’âge, que sur le sexe, la parenté, ou encore la richesse matérielle
La notion de stratification sociale est ambiguë car elle recouvre au moins deux notions en partie contradictoire :
- Dans un sens large :elle distingue l’ensemble des systèmes de différenciation sociale basée sur :
• la distribution inégale des ressources et des positions dans une société
• qui engendre la constitution de groupe de droit ou de fait
• qui sont plus ou moins structurés et
• qui entretiennent des relations de subordination, d’exclusion et ou d’exploitation
Les castes sont des groupes sociaux qui sont caractéristiques de la société indienne et qui reposent selon R DELIEGE
sur 3 caractéristiques essentielles :
• une spécialisation héréditaire : c’est à dire que chaque caste va se spécialiser dans un métier, des rites, des
droits spécifiques , qui se transmettent de générations en générations :chaque enfant dés sa naissance appartient
à la caste de ses parents et ne peut espérer aucune possibilité de mobilité sociale : le statut social est dit ascriptif
c’est à dire que le destin social des individus est imposé aux individus sans qu’ils puissent le remettre en cause.
L’action individuelle est découragée par avance , car l’individu qui sortirait de sa caste n’aurait plus de lien
social car il serait rejeté par les membres de sa caste sans pouvoir espérer être accepté par ceux des autres castes
• Une répulsion entre les castes qui produit de l’endogamie : chaque caste vit repliée sur elle-même, et il existe
toute une série d’interdits légaux qui interdisent les relations entre membres de castes différentes. Dés lors les
individus n’ont pas d’autres choix que de se marier avec un conjoint de la caste qui est choisie par les parents, ce
qui renforce la répulsion en conduisant chaque caste à développer des différences d’ordre naturelles.
• Une hiérarchie sociale extrêmement stricte : certaines fonctions rituelles qui sont considérées comme pures
(en portugais casta signifie pure) vont être affectées aux castes les plus hautes (ex les brahmanes qui prennent en
charge les rites religieux)qui vont alors disposer du pouvoir et de la reconnaissance sociale. Elles vont alors
dévaloriser les catégories les plus basses qui prenant en charge les tâches définies comme impures (ex : les
éboueurs) vont être définies comme inférieures.
Remarque : Depuis 1931 les castes n’ont plus en Inde d’existence officielle, néanmoins elles continuent à exister , car
elles bénéficient d’une reconnaissance sociale. En effet grâce à son fondement religieux , la hiérarchie sociale découlant
de ce système est parfaitement acceptée par la très grande majorité de la société indienne : la hiérarchie apparaissant tout
à fait naturelle il n’est pas réaliste de considérer que l’on puisse changer la société par décret, comme l’a montré, au
moins à court terme, l’échec relatif de la révolution française à limiter l’influence de la religion.
Comme l’a indiqué G Dumezil la hiérarchie des ordres présente de nombreux points communs avec celle des
castes :
• elle repose sur une division fonctionnelle de la société entre prêtres, guerriers et producteurs
• Cette division est impérative elle est reconnue par la loi, elle s’impose aux individus qui n’ont pas d’autres
choix que de respecter les interdits : exemple :un noble ne peut travailler sous peine de déchoir. La définition
juridique des ordres, assure à certaines catégories (noblesse et clergé) un certain nombre de privilèges ( ex en
matière d’impôt ou de justice) qui les distinguent du reste de la population (le tiers-état), et ce quelque soit leur
situation financière.
• Cette division de la société est héréditaire : mais elle ne vaut que pour la noblesse : on naît noble.
• La société est hiérarchisée : elle repose sur le critère de l’honneur social, contrairement à notre société ce n’est
pas la possession de richesses matérielles qui est source de reconnaissance, mais au contraire la reconnaissance
sociale (la proximité avec le roi) qui assure l’accès aux ressources matérielles.
Conclusion : Selon A De Tocqueville la disparition de la société d’ordre d’ancien régime en France après 1789
s’explique principalement par la remise en cause des pouvoirs politiques de l’aristocratie opérée par la monarchie
absolutiste qui a compensée cette évolution par une distribution de privilèges, et une fermeture de la noblesse : « plus
cette noblesse cesse d’être une aristocratie plus elle semble devenir une caste ». Dés lors l’existence sociale de la
noblesse ne paraît plus justifiée au peuple qui va se révolter afin de remettre en cause les privilèges de la noblesse et va
par-là même détruire la monarchie absolutiste.
- des bouleversements économiques : en particulier une série de révolutions agricoles,, industrielles, etc.
La classe se différencie de la caste ou de l’ordre car :
• elle n’est pas institutionnalisée : il n’apparaît pas de reconnaissance légale de la stratification en classe de la
société après la destruction de la société d’ordres
• elle se développe dans un contexte d’égalité de droits issu de la déclaration des droits de l’homme et du
citoyen ( art 1 : les hommes naissent libres et égaux en droits)qui fait que les classes ne sont pas figées et
étanches comme pouvaient l’être les castes et dans une moindre mesure les ordres.
• une définition nominaliste : une classe est une collection d’individus présentant des caractéristiques
semblables (du point de vue de nombreux indicateurs comme la profession, le niveau d’études, le revenu,
etc.)qui n’ont pas conscience d’appartenir à une entité mobilisée.
• Une définition réaliste : une classe correspond à un ensemble d’individus qui ont conscience d’appartenir à une
collectivité et qui ont des intérêts communs à défendre pouvant les opposer à d’autres classes.
CONCLUSION :
• un constat : Comme l’indique l’analyse de E Goblot contrairement aux apparences la révolution française qui a
pourtant institué l’égalité civile n’a pas été jusqu’à imposer l’égalité sociale.
• La conséquence : la division de la société en classe ayant des intérêts opposés na pas disparu : « nous n’avons
plus de castes, nous avons encore des classes.
• La rupture essentielle : la société de castes ou d’ordres est figée et rigide, dans une société de classes les
possibilités de promotion et de mobilité sociales sont beaucoup plus nombreuses.
Conclusion : Attention il ne faut pas confondre les notions de classes sociales et de CSP ou PCS :
PCS CLASSES SOCIALES
(Professions et catégories socio-
professionnelles)
BUT - Classer les personnes pour que - Saisir les évolutions de la société
toutes le soient de façon univoque - Tous les individus ne sont pas classés
=> classement exhaustif
- Production de catégories
homogènes
PRINCIPES DE - Discours statistique - Discours théorique, conceptuel
DEFINITION - Classement selon le critère « - Classement selon les moyens de production
Profession » détenus, le pouvoir…
CARACTERISTIQUES - Définition absolue (on peut - Définition relationnelle (on définit au moins
DE LA DEFINITION définir isolément une catégorie) deux classes en opposition)
- Repose sur la réponse des - Repose sur l’analyse d’un processus
individus d’ensemble
Grâce au monopole qu’il ont sur les moyens de production les capitalistes vont fixer selon leurs
intérêt les salaires :
- ils ont réduit le travail au statut de marchandise, et comme toute marchandise le
travail a un prix : le salaire (le prix du travail) va être fixé au minimum assurant la
reproduction de la force de travail c’est à dire qu’il doit permettre :
• à l’ouvrier d’entretenir sa force de travail (sinon il devient inefficace) et
• d’assurer sa descendance (ses enfants prenant sa place quand ils sont devenus
adultes).
- Marx commence par montrer qu’apparemment oui ils ont de nombreux critères qui
conduisent à penser qu’ils constituent une classe sociale :
D’où Marx peut écrire : « . Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans
des conditions économiques qui les séparent les unes des autres et opposent leur genre de vie,
leurs intérêts et leur culture à ceux des autres classes de la société, elles constituent une
classe »
- Pourtant selon Marx ces conditions ne sont pas suffisantes et en réalité les paysans ne
constituent pas une classe sociale car :
• Leur mode de production les isole les uns des autres : ils vivent en autarcie
• Le mauvais état des moyens de communication ne leur permet pas d’entretenir
des relations suffisantes pour prendre conscience de leur communauté de
situation
• L’insuffisance de la taille des parcelles ne leur permet pas de développer de
nouvelles méthodes de production, de diviser le travail, de s’ouvrir au monde
(d’autant plus qu’ils ne pourraient pas facilement envoyer leur production vers les
villes faute de moyens de transports adéquats)
CONCLUSION : Marx peut alors écrire : « ainsi la grande masse de la nation française
est constituée par une simple adition de grandeurs de même nom, à peu près de la
même façon qu’un sac rempli de pommes de terre forme un sac de pommes de terre(…) Mais
elles ne constituent pas une classe dans la mesure où il n’existe entre les paysans
parcellaires qu’un lien local et où la similitude de leurs intérêts ne crée entre eux
aucune communauté, aucune liaison nationale, ni aucune organisation politique. »
Dés lors, selon Marx, ils vont être l’objet de manipulation : Le futur Napoléon III va
s’ériger en défenseur des intérêts de la paysannerie, les paysans vont voter pour lui,
mais il ne va pas être leur porte-parole , il n’a fait que se servir d’eux.
Marx considère en effet que la lutte des classes est une caractéristique structurelle de
toutes les sociétés. : il écrit dans le manifeste du parti communiste : « l’histoire des sociétés
n’a été que l’histoire des luttes des classes : hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens,
barons et serfs, maîtres de jurandes et compagnons, en un mot, oppresseurs et opprimés, en
opposition constante ont mené une lutte ininterrompue, tantôt ouverte tantôt dissimulée ; une
guerre qui toujours finissait par une transformation révolutionnaire de la sociététout entière ou
par la destruction des deux classes en lutte . »
La question est alors de savoir si :
• comme l’affirme les libéraux , avec la révolution française, avec la destruction
du mode de production féodale est apparue une nouvelle ère de prospérité,
d’égalité dans laquelle la lutte des classes ne serait plus nécessaire .
• Marx rétorque que « la société bourgeoise moderne élevée sur les ruines de la
féodalité, n’a pas aboli les antagonismes de classe. Elle n’a fait que substituer aux
anciennes de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles
formes de luttes »
• Par contre le mode de production capitaliste a introduit une simplification des
antagonismes de classe. En effet dans la société féodale il existait une pluralité de
classes (les serfs, les compagnons , les maîtres de jurandes , les seigneurs, etc.)
alors que dans le mode de production capitaliste on va vers une
bipolarisation de la lutte : « « la société se divise de plus en plus en deux
grands camps opposés, en deux classes ennemies, la bourgeoisie et le
prolétariat ». Il poursuit « de toutes les classes actuellement adversaires de la
bourgeoisie, le prolétariat est la seule classe vraiment révolutionnaire, les autres
classes se désagrègent et disparaissent par le fait de la grande industrie : le
prolétariat au contraire est son produit particulier »
• Mais en renforçant l’exploitation du prolétariat, afin de compenser la chute des
taux de profit (tendance structurelle du mode de production capitaliste selon
Marx), la bourgeoisie accélère la prise de conscience de la classe ouvrière,
renforce ses capacités de luttes et ainsi : « la bourgeoisie produit avant tout ses
propres fossoyeurs. Sa chute et le triomphe du prolétariat sont inévitables ».
Conclusion : Warner après avoir longuement examiné la vie de ces cités en arrive à la
conclusion qu’ :
• il existe bien des classes sociales aux Etats-Unis.
• Mais il en donne une définition très différente de celle de Marx : « par classe, on
doit entendre deux ou plusieurs ordres de personnes qui sont supposés être et qui
sont effectivement rangés, d’un commun accord par les membres de la
communauté dans des positions socialement supérieurs ou inférieures »
Le conflit social nécessite deux conditions apparemment opposées mais qui sont en réalité complémentaires :
• le conflit est une relation d’opposition entre au moins deux acteurs sociaux ( classes sociales, syndicats,
classes d’âge,...). Le conflit n’est donc jamais solitaire. Ces deux acteurs entrent en lutte, cherchent à l’emporter
l’un sur l’autre afin de dominer le champ social de leur rapport.
• mais en même temps, pour qu’il y ait conflit social, il faut que les acteurs sociaux soient interdépendants et
appartiennent au même système social. Ils ne luttent pas seulement l’un contre l’autre ; ils luttent parce qu’ils
ont des conceptions opposées sur le fonctionnement de la société. Quand ils luttent, ils entrent donc dans un jeu
qui les lient.
• le conflit ne peut être assimilé seulement à la tension qui existe entre les acteurs sociaux pour la possession de
biens.
• Il a une dimension plus fondamentale ; le conflit suppose une remise en cause du pouvoir de domination
qu’exerce un acteur social sur un autre acteur social.
Conclusion : le conflit a redonné son identité et son existence à la commune en ranimant des oppositions et en
réinventant des enjeux. Plus généralement, on peut en conclure que le conflit va créer du lien social entre les individus
qui vont intégrer un des deux groupes en opposition.
Depuis que les sociétés sont entrées dans la modernité, depuis le 18 ème siècle environ, l’essentiel des conflits sociaux
s'est déroulé sur le terrain du travail et de l’emploi. On peut essayer de comprendre pourquoi : le travail occupe,
directement ou indirectement, l’essentiel de la vie des individus, en temps d’abord (et bien plus au 19ème siècle
qu’aujourd’hui) et aussi parce qu’il est à l’origine de certaines des inégalités dont nous avons parlé dans le dernier
chapitre (revenus en particulier). C’est aussi dans le travail que se noue une bonne partie des relations sociales qui
entourent (et intègrent) l’individu. Pour toutes ces raisons, auxquelles il faut ajouter la valeur hautement
symbolique du travail, les conflits sociaux sont bien souvent nés dans le monde du travail depuis la naissance du
capitalisme.
C’est la première question qu’il faut se poser : pourquoi le travail est-il une source de conflit social ? Nous allons
pour cela réutiliser ce que nous avons vu dans les chapitres précédents, tant sur les inégalités que sur la division du
travail - la division, c’est déjà un peu le conflit ! Mais nous verrons qu’il y a un autre facteur de conflit social, c’est ce
que l’on appelle la capacité de mobilisation d’un groupe social, c’est-à-dire la capacité des individus qui le composent
à agir en commun, de façon coordonnée et au profit de buts communs.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que les sociétés modernes, et a fortiori les entreprises, sont traversées par des
inégalités nombreuses qui, même si elles tendent à se réduire sur le long terme, restent encore très importantes. Il y a là
un premier motif de conflit dans le monde du travail. Analysons-le plus en détail :
• Les inégalités suscitent le conflit quand elles ne sont pas acceptées.. Les inégalités font partie du
fonctionnement de l’économie, mais on a vu qu’il est très difficile de leur trouver une justification consensuelle.
Il n’est donc pas étonnant que les avantages accordés à une personne ou à un groupe entraînent la jalousie – ou
les justes récriminations ! – de ceux qui en sont privés. Les inégalités sont souvent l’enjeu des conflits
sociaux : on se bat pour accroître la part des salaires dans la valeur ajoutée au détriment des profits, ou pour
améliorer sa rémunération par rapport aux autres métiers de l’entreprise.
• Mais les inégalités ne suffisent pas à engendrer un conflit social, parce qu’elles peuvent susciter une
compétition entre les individus plutôt qu’entre les groupes. C’est une analyse somme toute assez classique et
assez simple. Si un individu n’est pas satisfait de sa situation sociale, il peut l’améliorer de deux façons : soit en
changeant de position dans la société en obtenant une promotion individuelle, soit en agissant pour améliorer le
sort de tous ceux qui ont la même position sociale que lui – c’est-à-dire de son groupe social. Dans ce dernier
cas, il y a effectivement un conflit collectif. Mais dans le premier cas, il n’y a qu’une compétition entre individus
pour parvenir aux meilleures places offertes par l’entreprise ou la société. On ne peut pas parler à ce moment-là
de “ conflit social ”.
• La plus ou moins grande mobilité sociale entre les métiers joue aussi sur la capacité de mobilisation. S’il
existe une grande fluidité entre les positions dans l’entreprise, si l’on peut facilement obtenir une promotion
individuelle, alors un individu peut espérer améliorer sa situation personnelle par son seul mérite, sans agir au
profit de l’ensemble de son groupe social. Mais si la mobilité sociale est faible, si les métiers restent fermés les
uns aux autres, alors les revendications personnelles passeront d’autant plus par une revendication collective.
C’est en substance ce que l’on a vu au chapitre 2 sur la crise du système fordiste : les OS, de plus en plus
qualifiés, se sont révoltés collectivement contre une organisation du travail qui ne leur laissait entrevoir aucune
possibilité de promotion, qui ne témoignait guère de considération pour leurs mérites professionnels.
• Vous voyez donc pourquoi les inégalités ne sont pas à elles seules la cause des conflits sociaux. Ce point-là est
important, parce qu’il permet de dissiper un préjugé un peu simpliste qui associe les gros conflits aux grosses
injustices. Or, ce n’est pas toujours – loin s’en faut ! – là où il y a les plus fortes inégalités qu’il y a les conflits
les plus durs. Par exemple, il y a plusieurs millions de mal logés en France mais on ne les voit jamais protester.
2 - Ces inégalités et ces conflits finissent par constituer les individus en groupes rivaux.
Les différentes organisations du travail aboutissent toujours à différencier et hiérarchiser les tâches dans l’entreprise,
mais cette division horizontale et verticale du travail est aussi une division des travailleurs, donc une source de conflits
potentiels. Comment passe-t-on de la division au conflit social ? Ce n’est pas si simple qu’on peut le croire. Le point
essentiel est que la division du travail peut renforcer la conscience d'appartenir à un groupe social.
3 - Les conflits portés par ces groupes finissent par déborder du cadre du travail proprement dit pour
concerner l'ensemble de la société
• L’opposition entre ouvriers et bourgeoisie a pris une valeur politique. Au début du 20ème siècle, le clivage
entre la gauche et la droite s’est progressivement confondu avec le clivage entre travailleurs et capitalistes. Au
fur et à mesure que les ouvriers devenaient numériquement plus importants (au détriment notamment des
agriculteurs, qui avaient une toute autre vision du monde), le conflit politique s’est cristallisé sur la question de la
propriété, la gauche, représentant les salariés, voulant “ nationaliser ” le capital, c’est-à-dire exproprier les
capitalistes pour qu’ils ne contrôlent plus les entreprises, et donc pour résoudre le conflit social par la disparition
d’un des adversaires ! Symétriquement, la droite défendait le droit de propriété comme principe, et donc le
pouvoir des actionnaires dans l’entreprise. Moins radicalement, l’enjeu politique entre la droite et la gauche était
aussi l’adoption de lois et de règlements qui limitaient le pouvoir des employeurs sur les salariés (Semaine de
40h, Congés payés, Droit du travail, protection contre les licenciements, mais aussi indemnisation du chômage).
• L’opposition entre ouvriers et bourgeoisie a pris une valeur culturelle. Chaque groupe a affirmé ses valeurs,
et son mode de vie. La “ culture ouvrière ” était nourrie de la fierté du métier : essentiellement masculin, le
travail ouvrier supposait souvent la force physique, des connaissances et astuces, essentiellement pratiques, qui
se transmettaient au sein de l’atelier. La “ culture bourgeoise ” était ce qu’on appellerait aujourd’hui la culture
savante, celle qu’on transmet à l’école et à l’université (littérature, musique classique, sciences, beaux-arts, …).
Les loisirs des deux groupes n’étaient pas non plus les mêmes, d’ailleurs l’obtention d’un droit aux congés payés
en 1936 avait une valeur conflictuelle symbolique : jusque-là les vacances étaient l’apanage de la bourgeoisie.
• L’opposition entre ouvriers et bourgeois a engendré une véritable ségrégation sociale. Elle était visible dans
la structure des villes, où les “ quartiers ouvriers ” – généralement les banlieues où la périphérie des villes –
s’opposaient aux “ beaux quartiers ” – le centre-ville. Mais on la retrouvait aussi à l’école, puisque les enfants
des classes populaires et supérieures ne fréquentaient pas les mêmes cursus scolaires. Il a fallu attendre 1975 et
la création du collège unique pour que tous les écoliers suivent la même scolarité obligatoire.
• On voit donc que le conflit social, initialement circonscrit à l’entreprise, s’est étendu à toute la société, ce qui
justifie que l’on parle de classes sociales plutôt que de groupes sociaux, puisque les groupes ne rassemblent plus
seulement, par exemple, les ouvriers d’une entreprise, mais tous les ouvriers de la société. De même, le conflit
social mérite l’appellation de “ lutte des classes ” parce qu’il prend une valeur générale.
SECTION II : LES THEORIES SOCIOLOGIQUES DU CONFLIT.
I - LES ANALYSES INTERACTIONNISTES DU CONFLIT
Conclusion : Simmel a donc une vision très positive du conflit, le conflit est vital pour assurer
un bon fonctionnement de la société.
• ne considère pas que le conflit soit la preuve d’une pathologie sociale. Bien au contraire
selon lui, le conflit est, comme le crime, un phénomène normal dans la société.
• Il lui paraît donc illusoire d’espérer une disparition du conflit et l’avènement d’une société
consensuelle. En particulier, il ne croit pas que la croissance et le développement
économique se produisant dans une économie de marché assureront la suppression du
conflit.
Comme le notent H Mendras et M Forse, Marx est à l’origine de 4 idées fondamentales pour une
sociologie du conflit :
• le conflit de classe n’est pas un épiphénomène mais un trait structurel de la
société, il est inhérent à sa nature et à son fonctionnement. Toute société est donc
caractérisée par la permanence des conflits.
• le conflit ne met jamais en présence que deux groupes ; en effet, dans une société,
tout conflit d’intérêt se ramène toujours à l’opposition entre ceux qui désirent le
changement et ceux qui ont intérêt au maintien du statu quo
• Marx a vu dans les conflits le moteur principal des changements sociaux.
• Marx est un des premiers à s’être intéressé aux facteurs endogènes qui
expliquent le changement social. Il considère que toute société produit elle-même les
éléments qui vont produire sa propre transformation. Ainsi, l’analyse de la lutte des classes
explique le changement par les contradictions structurales des sociétés et non par
l’intervention d’un quelconque deus ex machina.
Relativisation : Engel après la mort de Marx relativisera cette conception ultra déterministe
en écrivant:
• « D’après la conception matérialiste de l’histoire, le facteur déterminant dans l’histoire
est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi
n’avons jamais affirmé davantage. Si quelqu’un dénature cette position en ce sens que le
facteur économique est le seul déterminant, il la transforme ainsi en une phrase vide,
abstraite, absurde ».
• Engel rajoute même dans une autre lettre : « Il y a action et réaction de tous les facteurs
au sein desquels le mouvement économique finit par se frayer son chemin comme une
nécessité à travers la foule infinie des hasards ».
Critiques de l’analyse marxiste : Il n’en reste pas moins qu’ une des principales critiques qui
sera faite à Marx, en particulier par Weber dans l’éthique protestante du capitalisme , sera :
• d’avoir surévalué l’importance du déterminisme technologique , de
l’infrastructure ( cf. la phrase de Marx : « l’ensemble des rapports de production
constitue la structure de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une
superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience
sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus
de vie sociale , politique et intellectuelle dans son ensemble »)
• et d’avoir sous-estimé le rôle de l’individu , les modes de pensée ,les valeurs en
particulier religieuses (la superstructure au sens marxiste).
Définitions : Chaque société peut se caractériser à un moment donné par son mode de
production qui désigne la combinaison de deux éléments :
• les forces productives qui regroupent les instruments de production: la force de travail,
les sciences et les techniques en vigueur, l’organisation du travail .
• les rapports de production qui correspondent eux au rapport de propriété des moyens
de production (machines, usines) et permettent de donner une définition des classes
sociales selon la place qu’elles occupent par rapport à la propriété de ces moyens.
La succession des modes de production : Marx caractérise alors les modes de production
qui se sont succédés au cours de l’histoire par des rapports de production spécifiques qui sont
des rapports entre deux classes principales antagonistes :
• le mode de production asiatique se caractérise par des sociétés quasi esclavagistes
dans lesquelles la population est subordonnée à l’Etat qui est relativement développé,
centralisé et fort. Ce mode de production se définit par l’opposition entre des cultivateurs
et des éleveurs asservis d’une part et, une classe nobiliaire contrôlant la production et
s’appropriant le produit par le moyen d’appareil d’Etat d’autre part. Ce mode est
caractéristique de l’Egypte de la Perse ou de la Chine antique.
• Le mode de production antique est caractérisé par l’opposition entre les esclaves et
les maîtres propriétaires d’esclaves comme en Grèce ou dans l’Empire Romain.
• Le mode de production féodal ou servagiste se définit lui par l’opposition entre les
serfs et les seigneurs comme dans l’Europe occidentale et centrale du Moyen Age.
• Le mode de production capitaliste oppose les capitalistes ou bourgeois ( propriétaires
des moyens de production ) aux prolétaires qui sont contraints de vendre leur force de
travail contre un salaire et d’engendrer ainsi la plus-value du capital .
* Selon Marx seul le capital variable qui correspond au salaire que reçoit le travailleur crée
de la valeur , le capital constant (machines, matières premières) ne fait que transmettre sa
valeur sans rien ajouter. Or les capitalistes qui se livrent une concurrence effrénée sont
obligés pour ne pas faire faillite d’être compétitifs et de remplacer le capital variable par le
capital constant . Ce qui correspond à une augmentation de la composition organique du
capital
pl pl / V Taux de plus-value
Taux de profit = --------- = -------------------- = ------------------------------------------------------
C+V C/V+V/V Composition organique + 1
Conclusion :
• constate à partir de ce rapport qu’en augmentant la composition organique du capital (le
dénominateur) le capitaliste ne peut maintenir le rapport (le taux de profit) qu’en élevant
le taux d’exploitation .
• Mais alors cela va être à l’origine selon Marx d’une deuxième forme de contradiction : les
ouvriers se rendant compte qu’ils sont exploités vont se constituer en classe sociale afin
de prendre le pouvoir.
Selon Marx l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’est que l’histoire de la lutte
des classes. Cette lutte qui dans tous les modes de production s’est caractérisée par
l’opposition entre les deux classes fondamentales conduit soit à une transformation
révolutionnaire de la société toute entière, soit à la disparition des deux classes en lutte :
• Le premier cas est celui de la lutte qui a opposé la bourgeoisie et la noblesse dans la
société féodale et qui a conduit à l’effondrement du mode de production féodal et à
l’instauration du mode de production capitaliste .
• Mais celui ci n’a pas fait disparaître l’exploitation , l’antagonisme de classe , il n’a fait que
le transformer .
Exemple : On peut prendre à titre d’exemple les raisons qui sont à l’origine du développement
de la classe ouvrière: Marx distingue 3 temps :
• 1er temps : les ouvriers qui entrent en concurrence pour obtenir un emploi sont
rassemblés par les bourgeois pour combattre les ennemis de la bourgeoisie , c’est à dire
les restes du mode de production féodal. Les victoires qui sont alors remportées le sont par
la bourgeoisie elle seule.
• 2ème temps : à mesure que les forces productives s’accumulent , que l’industrie se
développe ( on retrouve le matérialisme historique) les ouvriers dont les conditions de vie,
les intérêts s’égalisent vont peu à peu prendre conscience de leur force , ils vont alors se
coaliser pour maintenir les salaires . C’est le stade de la classe en soi durant laquelle la
classe ouvrière se définit par rapport à la bourgeoisie , dans son opposition à la
bourgeoisie .
• 3ème temps : c’est celui de la conscience en soi ou classe en soi : la classe
ouvrière se définit non plus seulement dans son opposition avec la bourgeoisie, mais par le
projet de société qu’elle porte et qui va à terme conduire à la disparition du mode de
production capitaliste .
Postulat : Marx considère que la disparition du mode de production capitaliste est inéluctable :
• Il est pris dans ses contradictions internes : principalement la baisse du taux de profit ,
qu’il essaye de résorber en élevant le taux d’exploitation
• Mais alors il se heurte à une seconde limite historique : la constitution de la classe ouvrière dans la
lutte , sa prise de conscience qui va conduire à une révolution amenant la fin du mode de
production capitaliste .
Conséquences :La nouvelle société qui apparaîtra alors présentera deux caractéristiques
essentielles :
• aliénation de l’ouvrier , qui selon Aron est imputable à la propriété privée des moyens
de production, peut-elle aussi se décomposez en deux types :
- ouvrier est d’abord aliéné par rapport à son produit qui lui échappe, dont-il
est dépossédé aussitôt qu’il l’a créé. Non seulement il perd le fruit de son travail ,
mais en sus le produit se présente en face de lui comme une présence hostile:
transformé en capital, il devient l’instrument d’exploitation de sa force de travail.
- L’ouvrier est aussi aliéné dans l’acte même de la production. Son travail
n’est pas volontaire mais forcé, le travail est abaissé à un moyen permettant de
survivre . L’ouvrier ne considère plus alors que durant son travail il s’appartient, il
appartient à celui à qui il a vendu sa force de travail . Alors que le travail aurait du
caractériser l’humanité de l’homme, l’enrichir, il lui enlève une partie de ce qu’il est
.
Selon Marx :
• La révolution prolétarienne amènera la fin du mode de production capitaliste sous l’égide
de la classe ouvrière, comme la révolution bourgeoise a entraîné la disparition du mode de
production féodal .
• Mais il existe une différence notable entre les deux , contrairement à la bourgeoisie, la
classe ouvrière ne va pas confisquer la révolution , elle va abolir les classes en général .
• il remarque que la société capitaliste du 20ème siècle ne correspond pas du tout aux
prévisions de Marx
• les changements structuraux qui ont eu lieu sans révolution au sein des sociétés
industrielles ont orienté les conflits de classe dans une direction bien différente de
l’archétype de la lutte des classes . ils appellent donc l’élaboration d’une théorie plus large
des classes sociales et des conflits sociaux.
Conséquences : Dahrendorf cherche à trouver aux conflits sociaux une autre origine que la
seule propriété des moyens de production . Pour cela il va faire appel à la sociologie de Weber
en particulier à deux concepts qui occupe une place importante chez Weber : le pouvoir et
l’autorité :
• « Le pouvoir est la probabilité pour qu’un acteur engagé dans une relation
sociale soit en position d’imposer sa volonté, en dépit de toute résistance , et
ceci indépendamment des raisons qui fondent cette probabilité » (Weber). Le
pouvoir s’attache donc à la personne
• L’autorité est « la probabilité pour qu’un ordre ayant un contenu spécifique soit
suivi par un groupe donné de personnes »(Weber). L’autorité contrairement au
pouvoir n’est pas attachée à la personne mais à un rôle ou à une position sociale.
Conséquences : Cette opposition crée à son tour un autre type de conflits : les conflits
d’intérêts entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui y sont soumis. Dahrendorf va
distinguer deux types d’intérêts:
• les intérêts latents qui sont des intérêts communs mal explicités qui provoquent des
conflits, mais ne correspondent pas à un degré de conscience collective suffisante pour
donner lieu à des groupes d’intérêts. Ils ne constituent que des catégories sociales
composées d’individus dont les intérêts sont identiques, mais qui ne sont pas capables de
les défendre de façon organisée.
• Les intérêts manifestes, eux, donnent naissance à des groupes d’intérêts organisés et
capables d’agir sur ces bases .
Une dernière différence notable entre la conception des conflits de Marx et celle de
Dahrendorf réside dans le fait que :
• les individus appartiennent à des structures différentes (Dahrendorf reprend ici une
analyse de Weber qui distingue la classe, le groupe statutaire et le parti , cf cours de
première),
• et qu’ils peuvent donc être tantôt dominants, tantôt dominés.
Conséquences : De la sorte :
• il existe une pluralité de conflits sociaux.
• Les conflits entre groupes étant de nature très variée , on ne peut plus les ordonner
comme chez Marx entre deux grandes classes sociales .
• C’est une des erreurs de l’analyse de Marx que de penser que la domination industrielle
implique nécessairement la domination dans les autres domaines de la société, Etat,
Eglise, organisations, etc.
Conséquences :
• On passerait ainsi d’une société de classes à une société caractérisée par une
stratification complexe. Il en découle une augmentation générale du niveau de
compétence politique et une demande accrue de participation au processus de décision
.Les citoyens n’accorderaient plus leur confiance aux organisations traditionnelles ( parti,
syndicat )censées assurer dans le modèle pluraliste une médiation efficace entre le
pouvoir et eux.
• Dans le même temps , on assiste parmi les nouvelles générations de la classe
moyenne à l’apparition de nouveaux enjeux qui proviennent plus de différences
dans le style de vie que de besoins économiques. On peut citer par exemple la
protection de l’environnement, le rôle de la femme, la redéfinition des valeurs qui se
substitueraient au conflit entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.
Il va s’efforcer de montrer que les conflits sociaux sont caractéristiques d’un type de société et
donc , que quand les sociétés se transforment, les conflits sociaux évoluent :
2° ) LA SIGNIFICATION DU CONFLIT
Dans une société , les conflits sociaux sont très divers. Touraine distingue ainsi :
• les conflits d’intérêts qui cherchent à modifier la relation coûts-bénéfices en leur faveur.
• Les mouvements sociaux qui mettent en cause ,au-delà de l’organisation sociale
et du système de décision, les relations de domination au niveau de la société.
• Les mouvements révolutionnaires qui sont plus globaux encore puisqu’ils identifient
une domination sociale à un régime politique .
Remarque : Ces différents types de mouvements sont largement autonomes mais en même
temps ils portent la marque du conflit social central de la société .
Exemple :Touraine prend l’exemple du mouvement ouvrier qui occupe dans les sociétés
industrielles une place centrale :
• même quand les ouvriers revendiquent pour des augmentations de salaire , pour la
reconnaissance d’un droit syndical, pour une reconnaissance institutionnelle,
• derrière se trouve la marque du mouvement ouvrier basée sur la lutte des classes .
Conclusion : Il faut donc pour Touraine rechercher derrière tout conflit le conflit social central
caractéristique de la société dans laquelle il se déroule .
définition : Selon Touraine les mouvements sociaux correspondent à une action collective
organisée par laquelle un acteur de classe lutte pour définir les grandes orientation
culturelles de la société (ce que Touraine appelle l’hi storicit é ). Sa définition suppose
donc la conjonction de trois éléments :
• un acteur de classe (ex: la classe ouvrière): c’est le pri ncip e d’id entit é.
• un adversaire de classe (ex: la bourgeoisie) : c’est le prin cipe d’o pp ositio n.
• un enjeu : c’est le pri ncip e d e tot alité.
Rappel historique : Les corporations sont dissoutes par la loi d’Allarde , en 1791. La même année la loi Le Chapelier
interdit toute association en vue de défendre les intérêts communs car l’association des travailleurs est considérée
comme une entrave au fonctionnement du marché. Les syndicats demeurent interdits en France durant la majeure partie
du 19ème siècle.
Le droit de grève n’est légalisé qu’en 1864. Et il faut attendre encore 20 ans (1895) avant que le droit syndical ne soit
reconnu en France .
Conséquences : Le syndicalisme s’est donc développé tardivement par rapport à la révolution industrielle. Il faut
attendre 1906 pour que la CGT fixe ses principes d’action dans la charte d’Amiens :
• le syndicat est l’outil des améliorations immédiates, arrachées au patronat dans les luttes quotidiennes
(demandes d’augmentation de salaires, journée de 8 heures, etc.)
• Le syndicat à néanmoins un objectif plus ambitieux (cf. le principe d’historicité de Touraine) : renverser la
société capitaliste, il dispose pour cela d’une arme : la grève générale .
• Le capitalisme disparu , le syndicat sera le groupement de base de production et de répartition.
Constat : Néanmoins le syndicalisme aura des difficultés à s’implanter en France : il connaîtra deux âges d’or :
• les grandes grèves de 36
• les années 50 durant lesquelles selon A Beuve-Mery : « le syndicalisme a le vent en poupe. Se syndiquer est alors
la norme. Dans une France à reconstruire, à l’échelon local dans une usine, ou une administration, les syndicats
sont une structure d’accueil, un lieu de formation et d’éducation ».
• Mais l’échec des grandes grèves de la fin des années 40, les répercussions de la guerre froide, le manque de
cohérence de l’action syndicale qui hésite entre l’action directe et la négociation par branche vont entraîner un
tassement des effectifs qui seront divisés par deux durant les années 50, avant de se stabiliser jusqu’à la crise
actuelle.
Constat :
• Une érosion de la participation aux élections professionnelles qui se traduit par une montée de l’abstention , un
accroissement du pourcentage des votes en faveur des non syndiqués .
• une hausse de la part des votes en faveur des non syndiqués lors des élection aux comités d’entreprise qui
passe de 12% en 1966 à 30% en 1993 avant de redescendre à 25% en 1999.
• Une diminution des conflits du travail (1 à 4 p 164-165) après le record de mai 68 : 15 millions de journées
perdus pour fait de grève ; on observe dans les années 70 , une moyenne autour de 3,5 millions de journées , dans
les années 80 la moyenne passe à 1,5 millions , dans les années 90 elle passe à 500 000 , mais remonte légèrement
lors de la reprise économique de 1998-2000 pour atteindre en 2000 : 800 000( p 188)
La chute est encore plus spectaculaire si l’on ne retient pas les salariés de la fonction publique :
• On constate que les salariés sont certes majoritaire à considérer que les syndicats jouent un rôle irremplaçable
dans la représentation des salariés (63%des ouvriers, 54%des cadres). Mais un pourcentage fort de salariés
considèrent que les syndicats font passer leurs intérêts avant ceux des salariés (55% des ingénieurs,48 % des
employés)
3°) La crise de la classe ouvrière (p 148 à 150) : repris du manuel en ligne brise
a - Les mutations du travail ont réduit le poids des ouvriers, brouillé leur identité
professionnelle et diminué leur capacité de mobilisation.
Les transformations du travail et les mutations de la classe ouvrière remettent-elles en cause la division de la société
française en classes sociales antagonistes ? C’est ce que pensent certains sociologues, et nous allons présenter leurs
principaux arguments.
• La diminution de la part des ouvriers dans la population active. Le recensement de mars 1999 en France
met en évidence la poursuite du mouvement amorcé dès le milieu des années 1970 : les ouvriers étaient encore
plus de 7 millions en 1982, ils étaient 6.5 millions environ en 1990 et 5.9 millions seulement en 1999. Cela
représente une diminution de plus de 15% des effectifs ouvriers entre 1982 et 1999, alors que, dans le même
temps, la population active occupée augmentait. Résultat : la part de la P.C.S. “ ouvriers ” dans la population
active occupée a encore plus nettement diminué que ses effectifs : elle est passée de 32.8% de la population
active occupée en 1982 à 25.6% en 1999 (Insee, recensements de la population), soit une diminution de 22%
environ. Aujourd’hui, la part des ouvriers dans la population active est inférieure à celle des employés.
• La transformation de la nature du travail des ouvriers : la première grande transformation est que les
ouvriers travaillent de plus en plus souvent dans les services, comme les chauffeurs routiers, par exemple.
Ainsi, en 2001, il y a plus d’ouvriers travaillant dans le tertiaire que d’ouvriers travaillant dans le
secondaire (attention, si ce résultat vous étonne parce que vous pensiez que les ouvriers travaillaient
forcément dans le secteur secondaire, cela signifie qu’il faut que vous revoyiez comment on répartit les actifs
occupés dans les trois secteurs d’activité) en France. Ces ouvriers sont en particulier des ouvriers d’entretien et
de maintenance. “ La classe ouvrière est désormais disséminée dans les rouages de la société de services et non
plus soudée au cœur du système industriel ” (E. Maurin, Sciences humaines n°136, mars 2003). Même dans le
secteur secondaire, les ouvriers font beaucoup moins souvent qu’avant des tâches de production au sens strict
car celles-ci sont de plus en plus automatisées. On a donc un développement des tâches de tri, d’emballage et
de manutention en général d’un côté, et un développement des tâches de surveillance, contrôle et réglage des
machines automatisées d’un autre côté. La deuxième transformation touche la qualification des ouvriers : la
qualification personnelle des ouvriers s’est plutôt élevée (il y a davantage de diplômes professionnels) mais ils
exercent souvent un emploi dont la qualification est inférieure à celle qu’ils possèdent (31% des salariés
embauchés pour un emploi ne nécessitant pas officiellement de qualification sont titulaires d’un CAP ou d’un
BEP). Le nombre des emplois d’ouvriers non qualifiés avait beaucoup diminué entre 1982 et 1994 mais il a
réaugmenté entre 1994 et 2001. Au total, la part des emplois d’ouvriers qualifiés dans l’ensemble des emplois
ouvriers progresse cependant.
• Taille des entreprises et du collectif de travail( 6 p 185) : parce que la nature du travail a changé, la taille des
entreprises dans lesquelles travaillent les ouvriers a beaucoup diminué. Cela s’explique d’une part par
l’automatisation des tâches de production proprement dites : certaines usines sont aujourd’hui quasi
“ désertes ”, d’autre part par le fait que les ouvriers travaillent de plus en plus souvent dans des entreprises du
tertiaire qui sont traditionnellement, en moyenne, de taille inférieure à celle des entreprises industrielles. Le
cadre de travail des ouvriers a donc été bouleversé : les grands rassemblements ouvriers à l’ouverture des
grilles de l’usine ne font bien souvent plus partie de l’expérience vécue par les ouvriers. Mais le fait que la
taille de l’entreprise diminue ne signifie pas que les ouvriers seront plus proches du patron : en règle générale,
ces petites entreprises appartiennent à de grands groupes industriels et financiers et le pouvoir est en général
bien loin du lieu de production.
• Les transformations récentes du travail et de l’emploi (précarisation du travail, suppression de certains emplois
non qualifiés, par exemple d’ouvriers, individualisation de la carrière des salariés, etc…) agissent aussi sur
l’identité professionnelle : les frontières de l’emploi sont plus floues, les métiers se transforment, les horaires
sont “ à la carte ”, l’individu semble triompher et les collectifs de travail semblent moins englobants, moins
contraignants pour les individus, mais aussi moins protecteurs. L’identité professionnelle semble donc moins
“ imposée ” à l’individu qui doit bien davantage trouver ses repères seul pour la construire. Dans ces
conditions, on voit bien que la mobilisation en vue d’un conflit sera sans doute plus difficile à obtenir.
• La culture ouvrière recule avec la transformation du travail ouvrier( 4 p149) . La précarisation du travail et
l’expérience du chômage (qui touche proportionnellement plus les ouvriers que les autres P.C.S.) dévalorisent le
travail ouvrier, tandis que le changement de la nature du travail ouvrier (moins directement en contact avec la
matière et la production) attaquent directement sa spécificité. De même, les conditions de vie des ouvriers se
sont transformées, semblant rejoindre celles d’une vaste “ classe moyenne ” : d’une part, les revenus, et donc la
consommation, se sont élevés rapidement durant les années 1960 et 1970, permettant aux ouvriers d’accéder aux
biens de consommation durables comme la télévision, la machine à laver ou l’automobile ; d’autre part, les
modes de vie des ménages ouvriers se sont également transformés par le développement du travail des femmes
d’ouvriers, l’allongement de la durée de scolarisation des enfants d’ouvriers et le développement de l’accession
à la propriété grâce au crédit. Au final, les conditions de vie semblent s’égaliser avec celles d’autres groupes
sociaux et les éléments qui contribuent à forger et à transmettre la culture ouvrière semblent peu à peu
disparaître.
Reportage chez le géant de l'acier Arcelor, au sein d'un monde où le bleu de travail a
disparu tout comme le mot ouvrier.
Ouvriers déboulonnéspar Sonya FAURE: lundi 29 mai 2006
Le jeune contre-maître mesure 1,55 m. Il sourit patiemment quand son aîné s'agite en le
montrant d'un revers de main : «Vous parlez d'un moustique ! Au paradis des fondeurs, ils vont
lui dire : "Mais t'es qui toi ?" On n'aurait jamais vu un fondeur comme ça avant : c'est bien la
preuve que le monde ouvrier a changé.» Charles Vincent est un ancien. «Sourd», apporte-t-il
comme une preuve. Il est entré dans les hauts fourneaux de Dunkerque à 15 ans. Arcelor
s'appelait alors Usinor. Charles Vincent a aujourd'hui 56 ans. Quand il parle des collègues qui
bouchent et débouchent les hauts fourneaux de 30 mètres de haut ou surveillent la coulée de la
fonte, il hésite à parler d'ouvriers. Plus les mêmes rapports de subordination : «Les jeunes
n'accepteraient pas qu'on leur donne des ordres. Maintenant, il n'y a plus de chefs, il y a des
managers.» Plus la même dureté : «Avant, si le gars n'était pas brûlé, c'était pas un vrai
fondeur. Quand j'ai commencé, on ne se voyait pas à 10 mètres à cause de la poussière. Je n'ai
aucune nostalgie de ce temps-là. Même moi, je mets des bouchons d'oreille maintenant.»
Dans la salle de contrôle du haut fourneau 4, deux techniciens en blouse claire fixent des
écrans. «Il y a vingt ans, c'est le type qui réglait les débits de vent et gérait l'enfournement des
matières. Aujourd'hui, tout est automatique, c'est une histoire de surveillance, d'affinement des
réglages», explique Jean-Claude, derrière son pupitre informatique. «On est passé d'un métier
de manutention à un métier de clavier», résume Patrick Genu, chef du service développement
des ressources humaines d'Arcelor. Sur les écrans qui retransmettent les images des planchers
de coulée, où se déverse la fonte sortie du haut fourneau, on distingue pourtant quelques
ouvriers en tenue métallisée.
«Faire rêver». C'est une rengaine de la France qui «se désindustrialise» : il n'y a plus
d'ouvriers. «Et c'est faux, rétorque Naïri Nahapétian, auteure de l'Usine à 20 ans (1). Les
ouvriers sont encore 6 millions en France, même si ceux de l'industrie, qui portaient la lutte
ouvrière pendant les Trente Glorieuses, sont de moins en moins nombreux. En fait, c'est
l'identité de classe qui se délite. La classe ouvrière doute d'elle-même.» Chez Arcelor, on ne
parle plus d'ouvrier. Le mot serait vieillot, presque insultant. Le directeur de la communication
de Dunkerque ouvre des yeux horrifiés en entendant le thème du reportage : «Mais il n'est pas
question d'identité ouvrière chez nous ! Il est question d'un site où nous sommes passés d'une
industrie de main-d'oeuvre à une industrie de process !»
Le PDG d'Arcelor, Guy Dollé, parle, lui, de «nouveaux talents» : «On n'a presque plus d'ouvriers
dans nos usines.» A Dunkerque, les chiffres du fichier du personnel confirment : 3 960 salariés
inscrits, 230 à la case «ouvriers». Et 2 700 agents de maîtrise, techniciens ou agents
d'exploitation, la nouvelle terminologie pour les anciens fondeurs et surveillants des hauts
fourneaux, qui travaillent en 3/8. En mal de recrutement, Arcelor a organisé au début du mois le
forum Planète acier, à Reims. Un grand salon de l'emploi pour redorer les métiers du secteur. «Il
faut faire rêver, justifie Jacques Dham, président d'Arcelor Distribution. Nos métiers s'appellent
encore chaudronniers, alors qu'on ne fabrique plus de chaudron. Plombiers, alors qu'on n'a plus
les mains dans le plomb. On n'a même pas été capable de leur inventer de nouveaux noms.»
Faute d'apprentis, des centres de formation ferment : «On valorise beaucoup les métiers du
tertiaire, regrette Gérard Fabiani, secrétaire général du Syndicat de la chaudronnerie, tuyauterie
et maintenance industrielle. Nos conditions d'emploi ne sont pourtant pas pires que celles de
l'hôtellerie ou de la restauration...» Ce qui ne porte pas la barre très haut.
«Parler de techniciens, ça fait bien, c'est la sidérurgie de demain. L'ouvrier a peut-être disparu
du jargon d'Arcelor, mais pas chez nos sous-traitants, contredit Philippe Collet, militant CGT. On
compte en permanence 2 000 salariés en sous-traitance : les métiers plus pénibles, ceux qui
réclament de la force physique.» D'un côté «l'élite des techniciens», de l'autre côté les
précaires et sous-traitants. «J'ai fait des stages hydraulique, des stages pneumatique... Mais je
n'ai récolté que des promesses d'embauche, témoigne Michel (2), intérimaire pour Arcelor
depuis quinze ans. Travailler pour Arcelor Dunkerque, ça serait un honneur : je pourrais monter,
évoluer et toucher les primes. Je n'ai pas du tout le même salaire que les gars en interne.»
En interne, «tous les opérateurs ont leur boîte mail», explique la direction des ressources
humaines. Sur le site de Fos, ils ont même reçu des cours d'économie «pour mieux comprendre
la stratégie et l'environnement économique du groupe». Dans les ateliers, la figure du
contremaître patibulaire a disparu. Depuis une quinzaine d'années, les ouvriers ont été formés,
«responsabilisés». «Jusqu'à la fin des années 80, ils étaient majoritairement non qualifiés,
parfois analphabètes. Condamnés à faire le même boulot jusqu'à la retraite», explique Patrick
Genu, des ressources humaines.
Polyvalence. Sur les planchers de coulée, le premier fondeur assurait les taches les plus
nobles, le troisième exécutait les corvées. Et, pour monter en grade, pas d'autre moyen que
d'attendre la retraite du supérieur pour prendre sa place. Aujourd'hui, plus de premier fondeur,
mais des salariés polyvalents, qui décrochent alors souvent le fameux statut de technicien. «On
a organisé des groupes de travail, demandé aux gens de réfléchir à leur propre poste», poursuit
Patrick Genu. L'ouvrier est désormais comptable de l'entretien de sa machine. On lui demandait
de tenir des objectifs de production et des cadences, il doit maintenant considérer l'atelier qui
suit le sien comme un «client» et répondre à ses demandes, en fonction des variations de
production. «On leur demandait de faire du tonnage, et soudain, on leur a réclamé une valeur
ajoutée. Ça leur a ouvert des perspectives de carrières», rapporte Anne-Marie Baudoin, de la
CFDT. Une évolution typique de l'industrie, qui a effrité l'idée d'appartenance au monde ouvrier.
«Les nouvelles formes de management ont substitué le contrôle de la collectivité à la tyrannie
du chef, explique Naïri Nahapétian. Ce qui ne veut pas dire que le travail n'est plus parcellisé ni
répétitif.»
Ni l'évolution des métiers, ni les efforts pour changer le vocabulaire ne parviennent à séduire
les jeunes. A Dunkerque, la moyenne d'âge des salariés est de 52 ans. Une génération manque
: «Celle des 38-48 ans, rapporte Philippe Collet. Du coup, la transmission ne s'est pas faite.»
Arcelor s'est engagé à embaucher 500 personnes en France. 120 cadres mais essentiellement
des «techniciens» et du «personnel d'exécution». Bac pro minimum. «On a beau leur dire que,
pour des postes de pontonniers (qui conduisent les ponts, ndlr) un CAP suffit, la direction
refuse», regrette la CGT. «Le bac professionnel est le diplôme archétypique du nouveau monde
des techniciens et ouvriers, explique Henri Eckert, chercheur au Centre d'études et de
recherches sur les qualifications (Cereq) (3). Ce diplôme donne à beaucoup de jeunes l'illusion
qu'ils vont s'éloigner de la tâche, de la pénibilité. Or, arrivés dans le monde du travail, ils se
retrouvent souvent plongés dans la production pure et dure. Et deviennent de "simples
ouvriers", comme ils le disent souvent.»
«Usés». Les jeunes ne portent plus la fierté ouvrière. «Les plus de 55 ans pensent à leur
retraite, ils sont usés, souvent malades de l'amiante. Et ils voient arriver des jeunes qui ne
veulent plus appuyer sur un bouton, mais se former, progresser. Ça a souvent cassé les
solidarités», rapporte Philippe Collet, de la CGT Arcelor. Dans l'industrie, ce sont souvent les
anciens qui conseillent aux jeunes de fuir.
Sans doute, mais la signification est différente selon les générations. Les quinquagénaires, ça
leur colle à la peau. Ouvrier, ça évoque le rapport à la matière et à la machine. Mais ça
éveille aussi un sentiment de perte, une dévalorisation. Jusque dans les années 60, la classe
ouvrière, on aimait ou pas, mais on avait intérêt à la respecter. Elle existait dans les discours,
et pas seulement ceux du Parti communiste. L'ouvrier faisait partie de l'avenir. Aujourd'hui, le
message qu'on leur fait passer, c'est : «L'avenir peut se faire sans vous.» Il y avait les
«professionnels», ceux qui avaient le «métier», et ceux qui étaient «au statut» : les gaziers,
les cheminots... Ceux-là ont fait le mythe de l'ouvrier. Mais grâce à la croissance
économique, même les non-qualifiés pouvaient progresser. Il fallait être un peu manchot,
syndicaliste, femme ou immigré pour rester à sa place tout au long de sa carrière...
A l'usine, on est jeune de plus en plus tard. Qu'on ait 30 ou 35 ans, qu'on soit père de famille,
on vous appelle le «gosse». Généralement, vous êtes intérimaire. Les jeunes ont une
répulsion pour le mot ouvrier. J'ai rencontré de récents embauchés chez Peugeot. Ils étaient
contents de l'emploi à PSA des salaires plus élevés, un emploi relativement protégé , mais le
travail les ennuyait. La répulsion peut être plus violente : quand ils regardent les anciens, les
jeunes voient des hommes abîmés. Ils voient la résignation. Leur répulsion est aussi une
forme d'espoir : «Je ne veux pas être comme ça.» La société dans son ensemble construit
cette répulsion. Le PDG dit : «Je n'ai plus d'ouvriers, je n'ai que des techniciens.» Le qualifié
se considère lui-même sans état d'âme comme technicien, ce qui coupe la tête noble des
ouvriers. Les pères disent à leurs fils : «Si tu ne vas pas à l'école, tu tomberas ouvrier.»
Tout se grippe dans les années 70 et 80. Avec la crise industrielle, on réduit les effectifs, on
s'attaque aux garanties et aux statuts : les grosses entreprises fragmentent leur personnel
avec l'intérim et la sous-traitance, parfois même au coeur noble des métiers, là où le
syndicalisme était le plus fort. Avec le nouveau management des années 80, on raisonne en
«points» ou en «compétences». Mais les ouvriers ne sont pas dupes : les mots ont changé,
les étapes restent les mêmes. Idem pour le mythe de la polyvalence, qui serait apparue dans
les années 80. Dans les faits, la fabrication était tellement désorganisée qu'on demandait
déjà souvent à l'ouvrier de changer de poste ou de remplacer un collègue... Ces dernières
années, on a aussi embauché des jeunes femmes, souvent maghrébines, dans les secteurs
traditionnellement masculins. Manière de fragmenter le collectif.
«Un ouvrier, c'est un travailleur qui fait des richesses pour les patrons. Et un peu
pour subvenir à ses besoins. J'ai fait six ans de travail à la chaîne. Ils appellent ça
opérateur.»
«J'ai vu un documentaire à la télé : des hommes avec le poing levé et le béret. C'est plus du
tout ça. Il n'y a plus de solidarité. Moi, je ne suis pas syndiqué, je trouve que c'est utopique.
En revanche, j'ai bien aimé la grève de la faim du député (Lassalle, ndlr) contre la
délocalisation d'une usine. Au moins il le fait par la non-violence. Il y en a encore qui se
battent pour des gens comme nous.»
«J'emballe les biscuits. J'ai pas été beaucoup à l'école, alors, voilà : c'est la première
entreprise qui a voulu de moi. Maintenant, je fais partie des murs ! Je suis ouvrière, et
contente de l'être. C'est quand même mon entreprise qui me fait vivre depuis trente-cinq ans
! Il y a un côté familial. Faut dire qu'on n'est plus très nombreux. Pendant les pauses, on
mange, on parle des petits-enfants. Ou des sorties qu'on a faites avec l'entreprise : la
dernière fois, c'était la comédie musicale le Roi Soleil.
«Au début, c'était pour quelques mois. J'ai monté les moteurs, les joints de coffre... En six
ans, j'ai dû faire la moitié de la voiture. Chaque jour, j'en vois passer 320 : 320 fois les
mêmes gestes. Ouvrier, ouvrier... Ouais, je suis salarié, quoi. De toute façon, je n'ai pas de
métier. Ce que je fais, n'importe qui peut le faire. Même vous, vous pouvez le faire.»
«Au temps de mes parents, le travail, c'était une identité. Aujourd'hui, les gens préfèrent se
définir par leurs loisirs... Les chauffeurs de train, les conducteurs de camion, ça faisait rêver
les petits garçons. Maintenant vous dites que vous êtes conducteur routier, c'est assimilé à
manoeuvre.»
«Quand on m'envoie dépanner une chaudière, on dit au client : "On vous envoie un
technicien." Mais sur la fiche de paie, il y a marqué : "Statut : ouvrier." Bref, on ne sait pas
trop ce qu'on est. A part des pions.»
«Je désosse des volailles depuis trente-quatre ans. Je commence à avoir des douleurs aux
épaules. Quand une chaîne tourne à 2 000 pintades à l'heure, il n'y a pas droit à l'erreur.
"Ouvrière d'usine", c'est devenu dévalorisant. Ça veut dire qu'on n'est pas capable de faire
autre chose. Nous, aujourd'hui, on est qualifiées d'"agents de fabrication". Ça n'évoque rien
et le travail, c'est le même. Mais c'est plus joli et, dans une assemblée, les gens vous
montrent un peu plus d'intérêt.»
Constat :Il montre que l’existence d’un groupe non organisé d’individus aux intérêts communs
, dotés de moyens d’action et conscients de leurs intérêts n’implique pas automatiquement ,
contrairement aux intuitions de type marxiste , l’apparition d’une action collective .
Explications : En effet , quand le produit obtenu par une telle action est un bien ou un service
collectif ( ex : une augmentation de salaire pour tous ) et lorsque le groupe est assez large pour
que des pressions ne s’exercent pas sur les individus afin de l’inciter à l’action , alors se produit
le phénomène du passager clandestin (Olson construit son analyse dans une perspective libéral
puisqu’il adopte le modèle de l’homo-oeconomicus égoiste et rationnel) :
• Chaque individu va se dire que puisqu’il peut profiter de l’action sans avoir à agir lui-même
,
• il aura intérêt à laisser les autres dépenser de leur temps et de l’énergie pour se procurer
les biens publics .
Conclusion : Pour que la syndicalisation se développe , il faut que les syndicats offrent à leurs
membres des incitations sélectives
• soit pénaliser le refus de participation à l’action ( ex : dans un petit groupe , rompre la
solidarité peut entraîner une mise à l’écart ) .
• soit accorder des avantages spécifiques : protection juridique du salarié , postes dans
l’organisation , ...
b ) le modèle d’OBERSHALL .
remarque : Son analyse se situe explicitement dans la perspective de celle d’Olson mais elle
est enrichie par une approche sociologique qui cherche à définir quelles sont les conditions
sociales susceptibles de favoriser l’émergence de mouvements sociaux au sein d’une
collectivité .
Présentation de l’analyse : Obershall croise deux dimensions pour expliquer la probabilité
d’une organisation et d’une mobilisation d’un collectif :
Remarque : Dans ces 2 premiers cas , le sentiment de solidarité du groupe et son potentiel de
mobilisation sont élevés
a ) la coordination
Constat : Depuis quelques années , on observe une montée des coordinations qui mettent en cause le monopole de
défense des droits des travailleurs dont disposaient jusqu’alors les syndicats . Les coordinations se sont multipliées dans
les années 80 : infirmières , cheminots , instituteurs , routiers , ...
Conséquences : Les salariés n’ayant plus de structures collectives qui le représentent , se constituent alors des
mouvements puissants mais éphémères qui sont corporatistes , c’est-à-dire qui ne mesurent pas les retombées de leurs
revendications .
Selon A.Pizzorno :
• le choix politique (ou syndical) est influencé par des sentiments de solidarité , de loyauté ,
• et non par le désir d’obtenir des avantages personnels . Il est déterminé par l’affiliation
sociale de l’individu et non par le calcul des utilités .
• Les solidarités sociales préexistent au choix politique , ce sont des expressions de la
structure sociale et elles renvoient donc à une identité ethnique ,linguistique , de classe ,
territoriale ou autre . La décision de voter pou tel ou tel parti est un supplément
symbolique qui vient renforcer les liens sociaux préexistants .
Pizzorno conteste donc :
• la logique du calcul coût-bénéfice fondée sur la rationalité des individus développée par
Olson .
• Il considère au contraire que l’action collective a pour but de resserrer les liens sociaux au
sein du groupe d’appartenance permettant ainsi de réaffirmer , de renforcer son identité
sociale
Selon Hirschman , les sociétés disposent de 2 mécanismes fondamentaux pour résoudre leurs
problèmes économiques et sociaux :
• la défection : la liberté d’entrée et de sortie qui correspond au mécanisme du marché
dans lequel l’individu fait librement un choix qui lui permet d’améliorer son bien-être
individuel en changeant de produit , en quittant un emploi par exemple . Dans ce contexte
, les syndicats sont considérés comme une entrave au bon fonctionnement du marché .
• mais il existe un second modèle d’ajustement : la prise de parole : le mécanisme
politique défini par Hirschman comme la voix . Il nécessite le recours à la communication .
Le parti politique est la voix du citoyen , le syndicat la voix du salarié qui permet aux
salariés de faire entendre leurs revendications .
3 °) UNE INSTITUTIONNALISATION DU SYNDICAT (1 à 3 p 168-169)
Constat : On assiste aujourd’hui à une situation paradoxale : le taux de syndicalisation en France n’a jamais été aussi
faible . Pourtant les syndicats n’ont jamais été aussi reconnus comme interlocuteurs privilégiés des patronats et de l’Etat
.
Comment expliquer ce paradoxe ?
• jusqu’aux années 30 , les syndicats n’étaient pas reconnus comme interlocuteurs privilégiés . Pour faire
entendre leurs voix , les syndicats devaient mobiliser un nombre important de salariés , en particulier dans des
manifestations . Le syndiqué était un adhérent qui militait et participait à la vie du syndicat . Le syndicat
développait une contre-culture qui avait pour objectif de détruire la société capitaliste .
• au contraire , à partir des années 30 mais surtout après 45 , avec la création de la Sécurité Sociale , des
comités d’entreprise, des ASSEDIC , enfin avec les lois d’Auroux en 82 , on va observer une évolution qui se
caractérise :
- par une reconnaissance institutionnelle des syndicats qui ont contribué à les légitimer et à les intégrer à la
société civile , qui ont donné aux syndicats une audience plus large , des ressources financières en les liant
étroitement à toutes les institutions de la société .
- Une autre conception du syndicalisme s’est développé : le syndicalisme essaye d’économiser la grève ; il
l’utilise comme un moyen de pression , il la brandit comme une menace .
conséquences : Ceci traduit une évolution de la stratégie syndicale : conformément à l’analyse de Simmel :
• jusqu’aux années 30 les conflits sociaux opposaient patronat et syndicats qui chacun développaient une culture et
c’était deux modèles de société qui s’opposaient .
• A partir des accords de Matignon au contraire , on passe de la dyade à la triade : de l’affrontement binaire où
chacune des 2 parties en présence pouvait avoir le sentiment qu’elle triompherait totalement et imposerait sa
manière de voir à l’adversaire terrassé , on passe à des rencontres tripartites où la grève n’est plus qu’un moment
de la négociation .
• La grève n’est plus alors qu’un signal avertisseur qui demande une intervention des pouvoirs publics .
Conclusion : dès lors les syndicats recourent de moins en moins à la mobilisation sous forme de grève ou de
manifestations : la grève est vue comme pathologique , comme l’échec d’une négociation ( ex : le modèle allemand de
référence ) .
Conséquence : Mais alors le syndicat a de moins en moins besoin de syndiqués . P.Rosanvallon pose même la question :
qu’arriverait-il si les syndicats n’avaient plus d’adhérents ?:
• « La légitimité syndicale serait-elle remise en cause ? Pas forcément : un taux marginal d’adhésion n’entraînerait
pas de basculement qualitatif par rapport à la situation actuelle , l’adhérent a en effet cesser de jouer un rôle
déterminant dans le phénomène syndical . »
• Dans la perspective d’une disparition des adhérents , la forme syndicale tendrait à se confondre avec la forme
politique , seul le domaine d’intervention de chacune d’elle les distinguant .
• La légitimité syndicale deviendrait , comme celle des partis d’essence purement électorale ( le parti politique n’a
pas besoin d’adhérents , le nombre d’adhérents n’est pas le critère de sa représentativité , seuls comptent les
résultats électoraux )
Apparition d’un nouveau modèle :On assiste d’ailleurs selon P Rosanvallon à une nouvelle conception du
syndiqué qui :
• n’est plus considéré comme un adhérent, partageant avec les autres membres du syndicat des valeurs, une culture,
• mais qui devient un client .
conséquences : dans ce contexte , étudier la crise du syndicalisme par rapport à la chute du taux de
syndicalisation n’est pas un bon choix , car l’indicateur n’est pas bon . Pour étudier la représentativité syndicale , il
faut étudier les résultats des syndicats aux différentes élections .
mais cela entraîne une nouvelle conception du syndiqué auquel le syndicalisme français n’est pas encore
complètement préparé :
• On aurait d’un côté le délégué syndical qui siégerait dans de multiples commissions , le syndicalisme devenant un
métier à temps plein ;
• et de l’autre côté , le syndiqué qui ne serait plus qu’un client qui adhère pour obtenir des services .
• Ceci n’est pas sans danger car les délégués qui siègent dans les différentes commissions , ne sont plus sur le
terrain avec les salariés , ce qui engendre une coupure entre le mandant ( le syndiqué , l’adhérent ) et le mandataire
( le délégué) .
Conclusion : Dès lors plus que de disparition du syndicalisme ou de crise du syndicat , il faudrait parler d’une évolution
structurelle du syndicat qui s’adapte à une nouvelle forme de société plus complexe et c’est cette adaptation qui fait la
crise .
Constat : «La structuration du phénomène syndical et sa reconnaissance légale en 1884 a également répondu à une
contrainte de régulation sociale » :
• En ce sens , pour une partie des acteurs ( patrons , hommes politiques ) la reconnaissance du syndicat était vue
comme un moindre mal qui permettait d’éloigner le spectre de la révolution et plus prosaïquement de faire
disparaître les conflits violents qui avaient vu le jour depuis la légalisation en 1864 de la grève sans que soit
reconnu alors le droit de se syndiquer .
• La reconnaissance du syndicat a donc pour but en 1884 d’avoir un partenaire avec lequel on peut transiger , ce qui
rend la société plus facilement gouvernable .
Constat : Comme l’indique F.Dubet , « le thème des nouveaux mouvements sociaux émerge au milieu des années 60 au
moment où le mouvement ouvrier qui était situé au cœur de la société industrielle ne semble plus avoir le monopole des
grandes mobilisations » . Ces nouveaux mouvements sociaux présentent plusieurs caractéristiques :
• ils désignent les objets les plus divers , du moment qu’ils se distinguent de la figure classique du mouvement
ouvrier : mouvement noir , luttes étudiantes aux USA , et partout mouvements écologistes ,féministes ,
regroupements pacifistes .
• ils mettent en scène de nouveaux acteurs comme les femmes , les jeunes , les classes moyennes .
• ces mouvements ne concernent plus directement les problèmes de la production et de l’économie ; ils se
situent dans le champ de la culture , de la sociabilité , de la ville , des valeurs et paraissent bousculer les formes
classiques de gestion du conflit social et de la représentativité politique .Les NMS mettent l’accent sur
l’autonomie, la résistance au contrôle social
• les NMS inventent de nouvelles formes d’organisation et d’actions. Ils sont très méfiantsà l’encontre des
structures traditionnelles auxquelles les individus devaient déléguer l’autorité à des états majors constitués de
permanents très eloignés des préoccupations de la base
• Les NMS n’ont pas pour objectif de prendre le pouvoir, ils visent au contraire à se protéger de l’influence de
l’Etat (cf., les mouvements régionnalistes)et à construire des espaces d’autonomie protégeant les individus.
Conclusion : la sociologie des nouveaux mouvement sociaux est associée à une critique des paradigmes jusque là
dominants, principalement le marxisme .
1 - LE MOUVEMENT ANTINUCLEAIRE.
A Touraine dans « la prophétie antinucléaire » s’est intéressé aux mouvements antinucléaires car :
• il recherchait « les luttes sociales d’aujourd’hui pour y découvrir le mouvement social et le conflit qui pourraient
jouer demain le rôle central qui a été celui du mouvement ouvrier et des conflits du travail dans la société
industrielle. » .
• Il attendait « de la lutte antinucléaire qu’elle soit la plus chargée de mouvement social et de contestation, la plus
directement porteuse d’un contre-modèle de société ». Cela pour un certain nombre de raisons :
- Comme le mouvement ouvrier , elle lutte contre un appareil de production qui mobilise des ressources
matérielles et politiques considérables (on constate ici que TOURAINE reste encore marqué par le marxisme).
- dans la lutte antinucléaire , c’est l’image dominante de la modernité qui est mise en cause, c’est donc de
tout notre avenir qu’il est débattu : « notre organisation économique, notre manière de travailler et de vivre est
mise en question »
- La lutte antinucléaire apparaît comme la pointe du combat écologique
Conséquence : Pour toutes ces raisons , Touraine pensait que la lutte antinucléaire allait devenir la « figure principale du
nouveau mouvement social », que les opposants au nucléaire allaient lui opposer « un autre modèle de développement
« et allaient combattre « la fausse modernisation qu’apporte l’industrie nucléaire au nom d’une modernisation plus
profonde qui créerait les conditions sociales et culturelles nécessaires pour passer d’une société forte consommatrice
d’énergie à un société plus sobre mais plus forte utilisatrice d’information ».
Conclusion : On constate que la lutte antinucléaire correspond bien aux caractéristiques définissant les nouveaux
mouvements sociaux selon Dubet (qui travailla avec Touraine, en particulier dans l’analyse des luttes antinucléaires).
Néanmoins , parler de mouvement étudiant au singulier semble discutable, il semble nécessaire de distinguer deux
époques :
• la première serait celle de mai 1968 qui s’était cristallisée sur une revendication générale, qui était le
changement de la société, et ne pouvait donc être satisfaite par le pouvoir en place. Mai 68 avait donc un caractère
global et idéologique .
• Au contraire les mouvements de jeunes aujourd’hui présentent des caractéristiques nouvelles : selon D
Lapeyronnie :
- le mouvement étudiant à une forte dimension corporatiste, la production idéologique est réduite voire
inexistante . Ce qui mobilise les étudiants « c’est d’abord la menace ressentie sur la possibilité de faire
des études, la peur d’une sélection renforcée à l’entrée de l’université et la crainte de voir une
augmentation des droits d’inscription ».
- On constate donc que les revendications des étudiants n’ont aucun caractère global, ils ne veulent pas
changer la société. Ce sera encore plus vrai dans le mouvement contre le CIP dans lequel les jeunes
exprimeront non pas leur volonté de transformer la société mais de s’y intégrer, d’y avoir une place. On le
constate d’autant mieux que le mouvement étudiant ne concerne qu’une minorité de la jeunesse . Les
autres , ceux qui sont dans la galère n’ont que la rage pour se protéger de la violence de la société.
- Les jeunes ont exprimé durant la crise de 1986 leur désir d’être reconnus comme des individus
responsables et autonomes, comme des adultes finalement . Il ont refusé toute récupération politique ou
syndicale (cf. la faible place des syndicats étudiants ) . Ils ont imposé un fonctionnement démocratique et
indépendant.
Conclusion : Mais c’est justement cette « dualité de l’action étudiante (qui) explique l’incapacité du mouvement
étudiant à négocier et son extrême méfiance vis à vis à vis de la politique institutionnelle qui, par définition porte au
compromis ». Comme l’indique A Touraine : « ce sont des moments merveilleux pour les jeunes , et on comprend qu’ils
cherchent à les faire durer. Dans ces conditions , la volonté du pouvoir politique d’établir un dialogue avec eux sur un
point précis est inopérante. A ce stade, toutes les concessions sont jugées insuffisantes, toutes les promesses dilatoires. Il
faut comprendre le sens de ce rituel existentiel pour les adolescents, qui trouvent là une occasion de se poser en égaux
des adultes et de les impressionner ».
O Fillieule a étudié les formes actuelles de l’action collective et il a constaté que certains caractéristiques ressortent qui
semblent relativiser l’intérêt d’une analyse en termes de nouveaux mouvements sociaux , il remarque certes que :
• l’activité manifestante se diffuse aujourd’hui très largement dans toutes les CSP,
• que les acteurs des conflits interpellent directement les politiques , faute de croyance en l’efficacité des
représentants. Ceci semble bien traduire une crise de la représentation (cf. coordination).
Mais , contrairement à ce qui s’écrit le plus souvent, la période n’est pas marquée par un changement de nature de la
participation politique :
• l’analyse des revendications portées par les manifestations actuelles ne vient pas corroborer l’hypothèse
d’une modification des valeurs défendues : les valeurs matérialistes sont très largement dominantes : Emploi,
hausse du revenu.