NF Z 43-120-8
Couverture inférieure mandante
COUVERTURE SUPERIEURE
RECTO ET VERSO
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LITTERATURE
LITTÉRATURE
.(nU~CŒUl
GRMUE PAR
mauriCe"croiset
^APPD GRQKSET
Professeur
V" Doyen 'de ftAoultS des lettres Mt
TOME TROISIÈME;
MAURICE CROISET
S&VXl'éBIB ÉDITION
HEVDB ET ADOUENTÉE
1899 w
Droits do traduction et de reproduction réserves. v
HISTOIRE
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DE LA
LITTÉRATURE
GRECQUE a
PAR
ALPRED CROISET MAURICE CROISET
Membredel'institut Professeur
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)!), de1%, Collège de Franoe.
ATTIQUE
/fo /ERIODE –
TRiGEÔm COMÉDIE GENRESSECONDAIRES
PAR
MAURICE CROISET
DEUXIÈME ÉDITION
RBVDK ET ADOMENTÉE
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE THORIN ET FILS
ALBERT FONTEMOING, ÉDITEUR
Libraire des écoles Françaises d'Athènes at de Rome
du CoUège de France, de racole Normale Supérieure
et de la Société des Études historiques.
4, mUE LIE G4I>IFlF, 41
1899
Droits de traduction et de reproduction réservés.
AVERTISSEMENT
DE LA NOUVELLE ÉDITIOJN
SOMMAIRE
I. Le génie attique antérieurement an vu siècle. II. Athènes
§,' aprèsles guerres modiques. – III. Athènes au iv siècle. –
IV. L'atticismo. V. La langueattique.
Il
III
IV
V
Athènes, comme les autres régions do la Grèce, a eu
son dialecte propre. Elle l'a introduit à son heure dans
la littérature, oà il s'est trouvé associé à la prééminence
do son génie, et ello a réussi à on faire la langue com-
mune de la Grèce.
L'histoire primitive du dialecte nous est encore
attique
fort pou connue. Faute de documents, ses rapports avec
I11IH.IOQRAPHIE
SOMMAIRE
II
III
1. Pausanias,II, 13.5.
2. TomeII, p. 8, note 1. Pour le texte, voir Bergk, Poèteslyricl
uneci,Ht, p. 577et snrv. (4«éd.)
3. Suidas, $pûvi;(o;.
4.Hôrodot3,VI, 21 *E;8ix?uxtmeitô 8ir,tpov. Cf. Strabon, XIV,
]'. 635 Plat. Moralia,p. 814B Élien, Bist.variée,XIII, 17 Schol.
Oué.m.v. 1490;Am-nienMarcellin,XXVÎII,1,
48 CHAPITRE«. – ORIGINESDE LATRAGÉDIE
Thémistoclo, tout fier de sa récente victoire, romplis-
sait les fonctions de chorègo do sa tribu. Une pièce de
Phrynichos fut représentée par ses soins et remporta le
prix. Tout fait supposer que c'étaient les Phéniciennes,
véritable do circonstance,
tragédie qui célébrait la vic-
toire do Salaroino, et par conséquent le glorieux chorègo,
sans le nommer >. Phrynichos était alors âgé. Nous
ignorons la date de sa mort, qui eut lieu en Sicile 1. Il
disparait pour nous au moment où Eschylo entre dans
tout l'éclat de sa renommée.
Neuf seulement do ses pièces nous sont connues da
nom les Égyptiens, Alcecte, Antéc ou les Libyens, les
Danaïdes, là Prise de Mile t, les Femmes de Pleuron, Tara-
tale, Troilos, les Phéniciennes3. La somme des fragments,
en y joignant ceux qui proviennent d'autres tragédies
inconnues, est minime. Toutefois, quelques-uns d'entre
eux nous permettent de deviner, d'après la grâce ot la
variété dos mètres employés, lo talent lyrique de Phry-
niches
1. Plutarque Thémistocle, c. 5.
2. Anonyme Usp\ xcoiiwfiiot;.III, 10. Le mot tronqué. <?pdt8|iovoc,
débris de HoXupp<i8|iovoc, montre qu'il s'agit bien là do Phrynichos
le tragique et non du poète comique du même nom.
3. Suidas, <6pdvixo{.Scol. Aristoph. Guépes, 1481 Glaucos, Arg.
des Perses Athénée, XIII. p. S64 f. Hosych., 'E?é8p«v«. Cf. Welcker,
Vie gvlech. Tragced., I, p. 18 et suiv. et E. von Loutsch, Phihgogus,
t. XIV (1859). Nous laissons de côté à dessein la question de sa-
voir si quelques-unes de ces pièces, les Égyptiens et les Danaïdes par
exemple, étaient groupées en trilogies. En l'absence de tout frag-
ment de valeur et de témoignages, il ne peut y avoir là-dessus
que des discussions de pure fantaisie.
4. Voyez particulièrement, dans Nauck, les fragments 8, 10, 11,
14. – Sur la variété du lyrisme de Phrynichos. on peut consulter
le témoignage d'Àristote, dans un passage, d'ailleurs obscur, des
Problèmes (XIX, 3t). Dans une épigramme rapportée par Plutarque
(Propos de lable.Vlll, 9, 3), Phrynichos vante lui-même la variété
des danses de ses chœurs. Cela touche de près à colle des airs et
des rythmes
Sxr.iiwca S'opxrjott xiax (tôt nipsv, fiero*ivl kAvtu
xjtuttct soufrai -/îliiaît vùSàXoij.
pnmixiCHOs 40
Lui seul, dans cetto génération antérieure à la gloire,
est resté longtemps glorieux. Au siècle suivant,
quand
la tragédie et la comédie sont en pleine floraison, son
nom demeure populaire. II vit, associé à des chants
quo
tout le monde connait et répète. Aristophane y fait
mainte allusion Qu'étaient cos chants? Des mélodies
détachées des drames pour lesquels le poète les avait com-
posées. Chantées d'abord par los chœurs tragiques qu'il
avait formés lui-même, elles avaient charmé l'oreille du
public athénien. On les avait retenues, et on aimait à leu
redire. Cet hommage gracieux et spontané do tout un
peuple nous permet de mieux apprécier ce que valait
le poète. Nature délicate, mais non sans force ni har-
diesse, Phrynichoi ressemble à son illustre contempo-
rain, Simouide. Il eut comme lui la grâce, la suavité na-
turello du chant, la tendresse, Je pathétique. Ses
tragé-
dies n'étaiont que des élégies, plus dramatiques et
plus
variées. Peu d'action, nulle conception grandiose ou
saisissante, point de hautes idées ni de personnages
surhumains, à la manière d'Eschyle. Un seul événement
•ouloureux comme fond do tableau, ordinairement uno
catastrophe légendairo, parfois une ville prise, une ar-
mée détruite, et sur le devant un chœur de femmes
désespérées. Avec Phrynichos, la tragédio s'attendris-
sait. Elle se remplissait des sentiments les plus hu-
mains. Ignorant encore l'art do les mettre on action, elle
les exprimait lyriquement, d'une manière touchante.
De là l'importance des rôles de femmes, dont on lui at-
tribua plus tard, sans doute à tort, l'introduction sur la
scène tragique De là aussi, ces sujets pris en pleine
1.Aristoph., Guêpes,220,1490Grenouilles,
1299;Oiseaux,750;pas-
sage charmant qu'il faut citer:
£v8evoxntepsi (jiîurra
*p«vixo; àfrôpoac'cov peXcuv oiteêioxexo xapitôv, àel çépMv YXuxsîav <i8ocv.
2. Suidas, «&pyvij(O{.
Hisl. de la Litt. grocque. T. III. 4
50 CHAPITRE II. – ORIGINES DE LA TRAGÉDIE
réalité contemporaine, ces épisodes do l'histoire du jour,
tableaux émouvants de la lutte des Grecs contre les Per-
ses. Le drame proprement dit y était pou de chose.
Dans les Phéniciennes, où Phrynichos, avant Eschyle, re-
traçait la défaite de Xorxès, cette défaite, le saul évé-
nement do la pièce, était annoncée dès le prologue. Que
restait-il dès lors pour l'action? Ce qui remplissait la
tragédie, c'étaient, avec quelques récits sans doute, les
chants des femmes de Sidon qui formaient le chœur,
tours plaintes, leur .admiration involontaire pour la
Grèce, mélodieuse et pathétique lamentation qu'on
chantait encore soixante ans plus tard.
Nous voici arrivés au grand essor de la tragédie. Sor-
tie de l'enfance, elle existe désormais comme un genre
distinct, à côté de la poésie lyrique et en dehors d'elle.
Avant do l'étudier chez ses grands représentants du ve
siècle, il est indispensable do la considérer en elle-même
et d'essayer d'en tracer à grands traits une imago aussi
fidèlo que possible.
CHAPITRE III
SOMMAIRE
i. Mommsen,Heortologie, p. 60.
2. Aristoph.,Nuées,310.Cf. Plat., Proposde table,VIT,9.
3. Pindare,fragm. 75,Bergk.
JOURS DE REPRÉSENTATIONS 57
II
111
multané de deux chœurs dans une môme pièce, par exemple d'un
choeur d'hommes et d'un chœur de femmes, comme dans la Lysis-
ti-ale d'Aristophane. Ce n'est pas là le sens naturel du passage de
Pollux.
1. Voyez Muff, C/torischc Technik des Sophokles, p. 11 et suiv. Les
deux textes principaux sur les parastates sont: Aristote, l'olilinue,
III, 4 et Métaphysique, IV, II.
2. Le fait est attesté pour la sortie. Il est prouvé pour l'entrée
par cette simple observation, qu'au temps d'Eschyle, elle était or-
dinairement accompagnée d'une récitation anapestique.
3. Pollux, IV, 99; Lucien, Danse mimique, 22 et 26. Sur son carac-
tère propre, Athén. XIV, 730 E; Platon, Lois, VII, p. 816 A.
4. Signalons, à titrn de simple rapprochement, le bas-relief n» 59
dans les Monuments figuré* du Voyage archéologique de Le Bas (éd.
Reinach). Ce monument représente probablement une nymphe (?)
dansant devant une t.jitup de Pan. Le mouvement de la danseuse
indique que le pied glisse sur le sol, dont il se détache à peine. L'ai-
titudo, droite sans raideur, est pleine de grâce et de dignité. Les
longues draperio» Ilottont légèrement autour du corps, qu'elles en-
80 CHAPITRE III. – CONCOURSTRAGIQUES
quo ce là
fût le type de l'emmôlio, il semble bien qu'elle
ait comporté do nombreuses variations. On nous parle
en effet des -figures (o^pxTx) qu'invontaient les poètes,
ou, plus tard, leurs ehorodidascales'. Au temps d'Es-
chyle encore, ces figures étaient mômo accompagnées
parfois d'une mimique expressive. Son chorodidascale,
Télestès, sut imaginer, dit-on, des gestes qui traduisaient
les paroles. Dans les Sept, il rendait visibles on quelque
sorte, par la pantomime qu'il enseigna au chœur, les
spectacles que décrivait le poète Plus tard, il est vrai,
le goût devint plus sévère et la danse du chœur tragi-
que so fil do moins en moins expressive s. Mais, à côlé
do l'cmmélie ainsi simplitiée, il y eut toujours dans la
tragédie d'autres danses plus vives, qualifiées du nom
général A'hypor chômes. Les anciens les caractérisaient
en disant que, dans l'hyporchème, le chœur dansait
tout enchantant cela prouve que, dans l'omniélio.sos
pas ressemblaient à une marche plutôt qu'à une danse
proprement dite. L'hyporchèmo tragique ne devait ôtre
en somme qu'une imago assez affaiblie de l'ancien
hyporchèmo. Il no pouvait en avoir ni l'ampleur ni la
mimique. Mais enfin, c'était une véritable danse, relati-
vement vive et rapide, qui formait comme un épisode
joyeux dans un drame sombre.
veloppentsans l'embarrasser. L'artisto udtk se souvenirde l'em-
mélio tragique; en tout cas, il nousen donne l'idée.
1. Plutarque, Proposde table,VIII, 9,3,.iO;Athénée,I, p. 21E.
Voyezplus haut, p. 43, note 2.
2. Athénée,I. p. 21E et p. 22 A. Cesecondpassage sembledire
que c'était Tél«stc3lui-mêmequi exécutaitcette pantomime;mais
il nepouvaitl'exécuterque devantle choeur,pour la l'ii enseigner
avant la représentatioi. puisqu'il était chorodidascale;à moins
qu'il ne fut en mêmetempscoryphée.
3. Fragmentd'un poètecomiqueanonyme (Platon ou Aristophane
chezAthén.XIV,p. 628F) NOvtï 6pw<r.v o-lih, i'il' ùnrepàx&itXr,-
xtoiotiîr,v êoTûie;wpùovTai.
4. Cramer, Anecdota Parie.I, p. 10.Athén.XIV, p. 631C.Proclus,
Chresiomalh.. p. 320P, Bekker.
CHANTS DU CHŒUR 81
i. Voir tomeII, p. m. ·
2. Voir à ce sujet Arnoldt (Cttorin Agamemnon des JEsehylos
$ce->
nischerlûulerl,p. 20 et 22)et contradictoirementGulu-auer(Bur-
sian's lakresbericht,XLIX, p. 32et suiv.) Les trois modesd'exécu-
tion indiquéspourraient bien avoir été employésselonles cas.
Hi»l.d» la Mit. gïacquo. T. III. 6
8â CHAPITRE III. – CONCOURS TRAGIQUES
beaucoup les plus importantes et les plus étendues, dans
le rôle total du chœur. Il ne parait guère douteux qu'el-
les n'aient comporté los divers modes d'exécution quo
nous venons d'indiquer. Elles pouvaient être chantées
en effet par des voix isolées, ou par des groupes qui se
succédaient et se répondaient, ou par le chœur tout en-
tier à l'unisson'. L'emploi do chacun de ces modes en
particulier est ou attesté ou probable pour un petit nom-
bre d'exemplos particuliers; mais il faut bien recon-
naître quo le plus souvent l'incertitude est à pou près
complèlo et quota fantaisie jouo le plus grand rôle dans
les hypothèses do la critique. Peut-être est-il sage,
quant à présent, do no pas trop croire à cette sorte
d'éuviettomcnt dis chœur dont on abuse aujourd'hui, et
qui aurait ou pour résultat de supprimer complètement,
dans ses chants, le genre d'otretle plus antique, le plus
simple et le plus naturel. Quand les anciens parlent
d'un chœur, c'est un ensemble qu'ils ont en vue; il est
bion diflicile d'admettre quo dans la plupart des cas,
l'ensemble ait été justement ce qui manquait le plus.
Chants et danses exigeaient un accompagnement
musical. La flùlo fut l'instrument de la tragédie comme
elle avait été autrefois colui du dithyrambe. Les aulètes
étaient répartis entre les chorèges, au moyen d'un tirage
au sort présidé par l'archonte 2. 11semble qu'on n'en ait
attribué qu'un seul à chaque chœur tragique. Sa place
était sans doute dans l'orchestra, près de la scène, sur
la thyméié. On a supposé qu'il entrait avec le chœur 3.
1. Il n'est pas de questionqui ait plus été agitéede nosjours que
celle-là.NotonsparticulièrementG.Hermann, Opuscula, II, p. 130
Otfr.Millier,Eumenid.p. 71-99 Bamberger,DecarminibusMscbyli
apartibus chorieantatls,Warburg, 1S33;puis les dIvers opuscules
de Muff,liense, Arnoldt,Heimsœtti.Les conclusionsmodéréesde
iVeckleinsemblentles plus solides(tarhrbùeherfur classische Philo-
logie,t. XIII suppl., p. 215).
2. Argument de la indienne.
3. C'est l'opiniond'A. Muller,ouw. cité,p. 210.
LES ACTEURS 83
IV
1. Aristote,Poétique,c. 25.
2. Démétr.,Uzp\èpimveîorç, 195 Speng.,curieux exemple de mi-
mique. tiré du rôle d'Ion dans Euripide. Ces gestes devenaient
ensuitetraditionnels; Schol.Eurip. Oresl.268et 643.
3. Alciphron,III, 48, t. Licymnios,dit-il, l'a emportésur ses ri-
vaux, dans les nponopnoid'Eachyle,topw«vl xal YsfravôiS, t}o>vfl-
p&tixpn»âl«vo«-
4. Plutarque, Ditnélrius, iS Ka9ùtsp Tpaytxôv facoxpreâv âps t$
94 CHAPITRE III. – CONCOURS TRAGIQUES
oxîuj ttîtorêaUivTMV xai pâStapa xal çtovriv xal xaréxXurtv xal vpoaafi-
peuaiv.
i. Aristote (Rhélor.m, 2, 4)loueThéodorede ce qu'il paraissait
toujours parler naturellement,tandis que la voix des autres ac-
teurs ne semblaitpas être leur proprevoix 'H |ùvysptoOUyovxoi
ëotxsvelvai,ai S' àXXAtperEt il ajoute qu'il faut |iJ| SoxetvXéyetv
KncXaepévu;, àVkàiteçux&Twj.
2. Aristote, Poétique, c. 26 "Oirep xa\ KaXXcmciSti 4nîTt(i5to xal vOv
S).).oi;. û; oùx 4Xe«6épa{ yinatiuti |u|iou|i{v<av.
3. Aristote, Rhétorigui, III, t, 4 MtÇov 8Jv«vt«i vûv t<»v ro>sr,Tfiv
01 ûitoxpitai.
4. Plutarque, Agésilas, 31 Ka\ x<5ie KaUutitîenc 6 tûv xfafi^t&v
iitoxptrn; ôvo|ia xa\ 6Aï«v ifxuv iv wî« "EXX»ii«xa't (TitouîaÇiJnevot 6ic»
ICIXVTtOV.
8. Voirla liste des principauxacteurs grecs, avec l'indication
des plus notablestémoignages,dans A. Müll3r,ouvr.cité,p. 185.
LES PRIX 05
: V
SOMMAIRE
Il
III
Tout cela se rapporte à la forme de l'action tragique.
Si nous passons maintenant à sa structure intime, nous
constatons d'abord que, selon 2a loi même du drame,
elle implique un progrès à partir d'une situation initiale
vers une situation finale. Mais ce qui importe, c'est de
faire ressortir ce qu'il y a de particulier dans la façon
dont les Grecs ont conçu ce progrès. Mettons-nous pour
le moment au-dessus des différences propres aux divers
poètes, et considérons sous ce rapport l'art hellénique
dans son développement.
1. Artatote, Poétique, c. 7.
2. Voir plus loin, chap. vhi, il, ce qui est relatif à Aristarquo
de Tégée.
PROGRESSION DE L'INTÉRÊT 119
Dans sa période d'essai, la tragédie grecque s'offre à
nous sous un aspect d'une simplicité presque naïve. C'est
avant tout une lamentation, mais une lamentation ac-
tive, en quoique sorte, on ce sens qu'elle se prépare et
qu'elle s'accroît. Au fond, elle a toujours gardé ce carac-
tère primitif, bien qu'elle soit devenue de plus en plus
habile et savaoto dans la préparation et la progression.
Comme toute pièce de théâtre, elle débute par une ex-
position qui est contenue en général dans le prologue
et dans la parodos. Ce que le poète y expose, ce sont
los faits qui constituent la situation initiale. En cela,
l'exposition, telle que les Grecs la comprennent, ressem-
ble à celle do la tragédie moderne. Elle en diffère en ce
qu'elle estbeaucoup moins complète. JamaislesGrecs ne
se sont imposé a eux-mêmes ta loi d'enfermer, pour ainsi
dire, toute la pièce dans son premier acte, comme l'em-
bryon de laplanto est enfermé dans sagraine.A l'origine,
ce débutn'était réellement poureux que l'introduction du
premier épisode. On ymettait le spectateur en état de le
comprendre et de s'y intéresser, voilà tout. Chaque épi-
sode se greffait ensuite sur le précédent, comme les évé-
nements dans la vie se greffent les uns sur les autres,
sans être annoncés. En suivant l'histoire de la tragédie
grecque chez ses principaux représentants, nous verrons
qu'il y a eu progrès constant à cet égard. Euripide, en
particulier, fait un effort manifeste pour donner dans
quelques-unsde ses prologues un aperçu de toute sa pièce.
Mais,alors même, l'ancien principe se maintient toujours,
en ceci du moins, que des personnages étrangers à l'ex-
position surgissent çà et là, à mesure que la pièce che-
mine. C'était là d'ailleurs une nécessité résultant du petit
nombre des acteurs. Cetteliberté de l'épisode, cotte sorte
de sans-gène dansl'emploi d'éléments dramatiques nou-
veaux et inattendus, voilà ce que les Grecs n'ont jamais
abandonné. L'exposition chez eux prépare sans doute la
430 CHAPITRE IV. – LA TRAGÉDIE ET SES LOIS
IV
V
C'est le choeur, nous l'avons vu, qui eut dans la tra-
gédie primitive lo principal rôle. L'acteur, créé par
Thespis, ne venait d'abord qu'au second rang. Par une
série de changements, ce rapport primitif finit par être
complètement interverti. La personnalité du chœur alla
ROLE DU CHŒUR 133
toujours en s'effagant à mesure que son importance di-
minuait au contrairo, celle de l'acteur, attirant de plus
en plus l'intérêt, se subdivisa d'abord en plusieurs rd-
les, puis, dans chacun de ces rôlos, elle prit chaquejour
plus de variété.
Cette première vue nous explique immédiatement la
divergence d'opinions des critiques au sujet du chœur.
Horace, traduisant évidemment des idées plus ancien-
nos, veut que le chœur agisse, qu'il ait son rôle à lui,
comme un véritable acteur'; mais quand il définit ce
rôle, il le réduit à énoncer des maximes générales K
Aristote d'autre part fait du chœur une sorte de specta-
teur bienveillant, qui n'agit pas 3. La vérité est que le
rôle du chœur a varié sans cesse, et qu'aucune formule
par suite ne peut en rendre compte exactement. Les
différentes phases decette variation seront mieuxcarac-
térisées plus tard, lorsque nous étudierons successive-
ment la conception dramatique propre à chacun des
mattres de la tragédie. Quant à la raison qui explique
ce déclin uniforme et constant du chœur, elle ost évi-
dente. Le principe d'action qui était dans la tragédie se
dégageant de plus en plus, il fallut de toute nécessité
qu'elle sacrifiât ceux de ses éléments qui étaient impro-
près à l'action. Le chœur fut condamné par là même.
S'il se défondit jusqu'à la Gn de la période classique, Il
dut cette force de résistance, qui n'était pas en lui-même,
à la tradition, d'une part, et à l'art des
maîtres, d'autre
part.
Sauf de très rares exceptions, dont la plus notable
nous est offerte par les Euménides d'Eschyle, le chœur
tragique se composede personnes d'un rang inférieur
t. Horace,ad Pisones,
t93.
2. Ibid.. 196.
3. Problème*,ÎU. 48 KsjBsuïJjîSspsnuoi.
4. Aristote, Problèmes, XIX, 48.
184 CHAPITRE IV. – LA TRAGÉDIE ET SES LOIS
VI
t. Plutarque. de Musica,16.
2. Eschyle,Suppliante»,
v. 69.
8. Viede Sophocle.
4. Aristote, Problèmes,
XIX,48.
DIALOGUE ET RÉCITS 151
VII
Après lo chant, le second mode d'expression des sen-
timents chez les poètes tragiques, c'est la parole sim-
ple, soit dans le dialogue, soit dans les récits.
On a coutume do dire que les scènes parlées représen-
tent dans la tragédie l'élément épique. Cela n'est juste
que dans une certaine mesure. L'épopéo grecque se
composait de récits, de discours, d'entretiens. Or sans
doute, dans la partie des tragédies qui était parlée,
on retrouve aussi des récits, des discours et des en.
trotiens. C'est une ressemblance incontestable, mais
qui n'implique pas une filiation directe. Il est à remar-
quer d'abord que la partie lyrique de la tragédie con-
tient aussi des éléments analogues, et que l'influence,
au moins indirecte, de l'épopée, n'y est pas non plus
insensible. La question est donc do savoir si cette
influence s'est fait sentir plus directement sur le dialo-
gue proprement dit. Jamais la tragédie n'a emprunté,
pour sa partie narrative et dialoguée, le mètre de l'é-
popée, l'hexamètre dactylique. Ce seul fait met hors de
doute que, dès l'origine, bien des morceaux que nous
jugeons plus ou moins épiques ne l'étaient pas pour
les contemporains. Le mètre primitif dos entretiens ou
des monologues tragiques fut le tétramètre trochaïque.
Ce rythme vif, courant, satyrique n'avait rien de la
gravité d<=.l'épopée. Quand nous le retrouvons encore,
çà et là, dans les pièces d'Eschyle ou dans celles
d'Euripide, il sert à traduire des échanges rapides de
paroles, questions inquiètes et pressées, disputes, pro-
vocations. Issu do la poésie bachique, il en gardait le ca-
ractère. Évidemment, quand les emprunts faits par la
tragédie à la tradition épique se présentaient sous cotte
forme, c'était tout autre chose que des morceaux d'é-
453 CHAPITRE IV. – LA TRAGÉDIE ET SES LOIS
VIII
IX
ESCHYLE
BIBLIOGRAPHIE
Manuscrits. Sur les manuscrits d'Eschyle, consulter prin-
cipalement la préface de Dindorf, en tête du tome II, 4™partie,
de son édition, et aussi- les préfaces de MM. Wecklein et Weil
dans leurs éditions respectives.
Il est pou près établi que tous les manuscrits connus d'Es-
chyle procèdent d'un même archétype, qlli est le Mediceus de
la bibliothèque Laurentienne de Florence (plut. 32, 9). Ce ma-
nuscrit, du Xe ou du xi" siècle, contient les sept pièces subsis-
tantes, mais avec trois lacunes (Agam. 323-1050,4459-1673, et
Choéphores,début). Le texte est de deux mains différentes. Il
y a des additions ou des corrections dues encore à d'autres
mains. Malgré sa valeur, le Medieeusest fort imparfait. Il offre
beaucoup de passages inintelligibles ou manifestement alté-
rés.
Les autres manuscrits n'ont qu'une importance secondaire.
Mentionnons seulement le Plorentinus (Bibl. Laur. 31, 8) du
xiv» siècle, qui a servi à compléter le texte de VAgamemnon.
Ce manuscrit et quelques autres abondent en corrections con-
jecturales dues à divers grammairiens; la critique moderne
en a souvent profité. Un grand nombre de manuscrits ne
contiennent que trois pièces (Prométhée,les Sept, les Perses) ce
sont celles qu'on étudiait communément dans les écoles byzan-
tines.
SCOLIES. Avec le texte d'Eschyle, la plupart des manuscrits
conservés nous ont transmis des scolies. Le premier recueil
de ces annotations anciennes a été publié par les Aides en
4548,Mais il faut mentionner surtout l'édition de Robortellus,
Venise, t552. Cette collection a été augmentée peu à peu et
BIBLIOGRAPHIE 165
SOMMAIRE
I. Via et caractère d'Eschyle. n. Ensemble de son œuvre. Ce
qui en reste. III. Ses idées religieuses et philosophiques.
IV. Comment Eschyle conçoit la tragédie. Structure de ses pièces
an point de vue théologique et au point de vue dramatique.
V. Grandeur et simplicité des personnages. VI. Le poète lyri-
que. VII. L'écrivain. – VIII. Influence d'Eschyle.
II
Les Sept contre Thèbes (oi 'Emà Irô Qr)6«;) ont été
mis à la scène eu 467 C'était la troisième partie d'une
tétralogie liée comprenant folios, OEdipe, les Sept, et
terminée par le Sphinx 8. Le poète y montrait l'accom-
plissement final de la malédiction héréditaire posant
sur la race des Labdacides. Un seul fait remplit son
drame, la mort des deux frères, Étéocle et Polynice,
armés l'un contre l'autro. Mais ce fait unique, il le fait
attendre par un art assez nouveau jusqu'au dernier
tiers de la pièce, on montrant Étéoele dans Thèbes as-
siégée, son courage sombre et impatient, son humeur
hautaine, sa brusquerie, l'épouvanto des femmes qui
forment le chœur, lei préparatifs de l'attaque et de la
défense, enfin l'exaltation furieuso qui pousse le jeune
prince au combat fratriciJo. Un bruf récit nous fait con-
naître la catastrophe, suivio d'une lamentation lyriques.
Dans une scèna finale, où le crieur public proclame la
défense d'ensevelir Polynico, ennemi do son pays, An-
tigono, sa sœur, déclare qu'elle bravera cette interdic-
tion 4. Aristophane a loué, comme il convient, ce sombre
drame, « tout plein de l'esprit d'Arès 5 ». Le premier
stasimon, où se peint l'effroi des femmes, compte parmi
les plus beaux morceaux lyriques d'Eschyle. En outre,
sa puissance d'imagination et de composition se révèle
i. Argumentde la pièce.
2. Ibid.
3. La brièveté du récit, tout à fait coatraire aux habitudes
«l'Eschyleet aux besoins de l'action, est surprenante. On peut se
demandersi un morceau important n'a pas disparu ici dansles
remaniementsdontla finde cette tragédie sembleavoir été l'objet.
4. Sur la question de l'authenticitétrès controverséede cette
scènefinale,consulterl'étude de M.,Weilsur les Interpolations dans
lestragédiesd'Eschyle(RovuodegÉtudes grecques,1888,1,p. 17-21.)
Le premier acteura 'o r<îlod'Étéocle et celui d'Antigone,le se-
condcelui du messager et du héraut. Quelquesvers lyriques mis
dans la bouched'Iamôuo,ont du être chantéspar un choreute.
8. Ari«to|ih,,Grenouilles,
v. 1021.
Mut. do la Mit. ttrocqui). T. III, 12
178 CHAPITRE V. – ESCHYLE
in
IV
VI
Avant Eschyle, la tragédie était le chant d'un chœur,
màlé çà et là de dialogue. Eschyle, dit Aristoto dimi-
nua la part du chœur et fit. du dialogue le protagoniste
du drame Cela est certainement vrai, mais il faut le
bien comprendre. En fait, il est probable
qu'Eschyle,
bien loin d'amoindrir absolument l'élément
lyrique que
lui léguaient ses prédécesseurs, l'agrandit
plutôt, à la
fois par l'élan propre de sa poésie et par l'étendue des
développements8. Mais comme il agrandissait on même
temps lo dialogue, et d'une manière bien plus sensible
encore, la proportion se trouva changée. Il sembla dès
lors qu'il avait diminué l'un des éléments de la tragédie,
tout simplement parce qu'il avait eu moins à faire pour
l'adapter aux proportions de son génie.
Sans cette étendue des développements, le
lyrisme •
d'Eschyle eût été gêné. Il avait besoin d'espace pour dé-
ployer tout ce quo contenait chacune de ses conception?,
il en avait besoin pour la variété de ses
rythmes, pour
1. Poétique,e. 4.
2. Aristoph., Grenouilles,
914 "O ^opi;y' 5p«8sv«p(i«floùc «v(is-
X<5viftZhitfctopaî Çuvtxûç«v. Les xop«*d'Eschyle ont souvent
de huit &aeuî «ti'opltes, qualqnes-uns en ont jusqu'à treize et
seize.Consulterle tableau dressépar R. Westphal,Prolegomena zu
JEschylus Tragttdien(Leipzig,tE69),p. 10.
Hist. de la Lilt. grqcque. T. in. 1i
310 CHAPITRE V. ESCHYLE
] abondanco dos images qui lui venaient à l'esprit, pour
l'expansion complète de ses idées.
Héritier direct des maîtres du lyrisme grec, Eschyle
se plaît à faire valoir comme oux.dans de largos
compo-
sitions musicales sa -.cionce et son instinct profond des
rythmes». Nulle comparaison à cet égard entre lui et ses
successeurs. Chez lui. le chant a encore tout son élan et
toute sa liberté. Une certaine uniformité prolongée no
l'effraye pas, quand elle est justiGée par le sujet. Il en
tire môme d'admirables effets. Nul no sait comme lui
soutenir un rythme fondamental à travers une longue
série de strophes, en le variant légèrement. Il a par ex-
emple des chants dactyliques de toute beauté. Dans les
Perses, quand Darius vient do rentrer pour jamais dans
son tombeau, ses Fidèles chantent la gloire qu'il a don-
née jadis à l'Asie. Leur citant a quelque chose d'épique;
et voilà pourquoi il se déroule avec une sorte de mono-
tonie antique comme un récit d'épopée, mais un récit
découpé en strophes, qui tour à tour s'élancent en
énumérations superbes et retombent, appesanties par la
douleur, sur les mômes notes graves
« 0 dieux, qu'elle était grande et bonne, notre vie d'autre.
fois dans la paix des cités, au temps où notre vieux roi,
le très puissant et très bon, l'invincible souverain, Darius
égal aux dieux régnait sur nous t
» Avant tout, la gloire brillait sur nos armes, et nos lois,
solides forteresses, – tenaient tout sous leur empire; et les
retours, ramenant de la guerre nos soldats sans fatigue et
sans blessures, les faisaient rentrer triomphants au foyer.
» Combien de villes il a prises, sans franchir les eaux cou-
rantes de l'Halys, sans quitter son foyerroyal, cités la.
custres des étangs du Strymon, – non loin des villes de
Thrace,
» Et, hors de ces étangs, combien d'autres sur la terre
t. F. Maury, De cantuain JStehyteia
trag&diisdislributione,Paris,
1891.
LE POÈTE LYRIQUE 311
posant en maître ses lois, fait sentir aux dieux du vieux monde,
l'apretê vive de son orgueil
» Partout, au loin, un long gémissement sur cette terre;
partout la plainte des peuples sur ta grandeur d'autrefois, sur
ton antique dignité, sur tes honneurs perdus et sur ceux de tes
frères. Car tous les hommes qui, près d'ici, vivent sur le sol
de la sainte Asie, au lamentable spectacle de ton supplice,
souffrent avec toi, bien que mortels.
» Et de même, sur les rivages de Colchos, les vierges qui y
font leur demeure, combattantes intrépides; et, dans la Scy-
thie, cette foule de peuples, assis aux confins du monde, au-
tour des eaux stagnantes du Méotis.
» Puis, en Arabie, toute cette floraison de guerriers, qui, der-
rière les remparts abrupts de le.ir ville, habitent non loin du
Caucase, armée qui attend le combat, dans le frémissement de
ses lances acérées.
» Une seule fois jusqu'ici, j'avais vu déjà un Titan en proie
au supplice, dans les liens de fer de la souffrance, le dieu in-
comparable par la force de ses membres puissants, Atlas, qui
prête à la terre et à la niasse du ciel ses épaules pour unique
appui.
» Une clameur monte des flots de la mer avec le fracas des
vagues qui gémissent. Enveloppés de ténèbres, les abîmes
d'Adès mugissent sous la terre; et les sources des fleuves au
courant sacré murmurent au loin leur plainte lamentable. »
VIII
IX
UIDI.IOORAPflIB
SOMMAIRE
I. Vie et caractère de Sophocle. – Il. Son œuvre. Les tragédies
perdues et les tragédies subsistantes. III. Conception nou-
velle .lu drame, La volonté humaine érigée en principe d'ac-
tion. IV. Psychologie dramatique. Les caractères. V. Ré-
duction des parties lyriques. Charme et noblesse du lyrisme d9
Sophocle. VI. Comment il modifie la langue de la tragédie.
1. Plutarque,An«en»,etc., c..3.
286 CHAPITRE VI. SOPHOCLE
II
Nous no savons qu'approximativement combien So-
phocle avait composé de pièces. Il semble que le criti-
que alexandrin Aristophane de Byzanceen reconnût cent
vingt-trois pour authentiques. On peut admettre en tout
cas que ce nombre ne s'éloigne guère de la vérité».
Fidèle à la tradition do ses prédécesseurs, et surtout
aux exemples d'Eschylo, Sophocle n'eut certainement
pas la pensée de renouveler la matière dramatique. Un
grand nombre des sujets qui avaient été mis avant lui
sur la scène lui parurent bons à
reprendre, et il
a pas lieu de croire que son théâtre» s'il nous eût n'y
été
conservé dans son ensemble, eût offert, quant aux évé-
nements choisis, un aspect très différent de celui d'Es-
chyle •. La guerre de Troie et les Retours y étaient re-
présentés par environ trente-cinq pièces, tragédies ou
drames satyriques*: c'était à peu près le
quart de l'en-
iitfflavsv,
jû8a(|iwv
àv^.pxalSegcic,
ftoUic Mt~ctt MA1IGl1&c ·
spaTq~Bta~
xaXâc 8* tn&iirrp' oùS&v4no(w{v«çxaxiv.
1. Les leçons des mes. du Bfo; varient enjre 104 et HO le Lauren-
ûmua porte 13». De ces 139, la biographe dit
qu'# faut défalquer
17pièces non authentiques resteraient donc 113. Mais Suidas (Sooo-
«%> dit 188. Dindorf accorde les denx témoignages en substituant,
dans le chiffire des pièces non authentiques donné le Bfoç, 7 à
17 (C*au lieu de tç'). Le même savant a dressé une par liste de 115 ti-
tres connus.
2. Welcker. Die Griechische Trago*lie*t 1 1, p. 59 et sste
8. Voici les titres des pièces que l'on
on moins de certitude à cette catégorie peut Lerapporter avec plus
Jvgement de Pâtis,
â38 GHA.PITRE VI. – SOPHOCLE
III
pour centre une seule âme et dans cette âme une vo-
lonté.
Si cette façon de conduire l'action rejette, comme nous
l'avons dit, la puissance des dieux ou do la fatalité au
second plan, en revanche elle lui réserve des retours
soudains qui sont admirables, parce qu'elle pousse l'illu-
sion humaine à l'extrême Tecmesso et les matelots sa-
laminiens croient sauver Ajax de lui-même, et c'est au
moment où ils raisonnent leur espoir que le coup sou-
dain les frappe.Créon. en condamnant Antigone, se dit
à lui-même qu'il agit en roi, il fait parler les lois, il im-
poso à tout son autorité à tout, excepté aux dieux, qui
soudain lui révèlent sa folie et l'accablent. Clytemnes-
tre triomphe dans le succès de son crimo, elle se voit
assurée do l'impunité par la mort d'Oreste, quand tout
à coup Oreste parait et la perce do son poignard.
Œdipe,
fier do sa hauto clairvoyance, est sur de trouver le cri-
minel dont la présence souille le sol do Thèbos il mar-
cho à lui malgré les résistances, il brise ou il écarte tout
ce qui l'arrête, et quand il a dégagé la voie, le malheu-
reux qu'il découvre, c'est lui-même. Cette sorto d'iro-
nie cruelle no provient point chez Sophocle du dédain
de la raison humaine. Loin do la mépriser, il l'honore
en tous ses personnages, mais, en grand poète plein
d'intuition, il sait aussi avec quelle facilité elle se trompe
elle-même, et il rend cotte duperie spontanée d'autant
plus tragique qu'il la fait plus réiléchie.
Cette valeur morale du drame de Sophocle doit être
tout particulièrement prise en considération lorsqu'on
veut juger ses dénouements. Conformément à l'ancien
usage, il prolonge souvent l'action au delà do la catas-
trophe. Cela est contraireà nos habitudes et nous étonne.
Il nous semble qu'Ajax se terminerait mieux par la mort
du héros, Antigoue par celto de la jeune iiile, Œdipe
roi par la révélai ion qui acculile le criminel involon-
SES PERSONNAGES g37
IV
Et dans l'antistrophe
l. Œdiperoi, m&.
Il Il LE POÈTE 281
LYBIQUfi
le malheureux, après s'êlre crevé les yeux dans un
transport de rage, sort de son palais, le visage ensan-
glanté, cherchant sa route, épouvanté des ténèbres
qui l'environnent et do l'espace vide où se pord sa voix.
Toute la partie lyrique de cette scène se réduit à deux
couples de strophes, précédées d'une sorte d'introduction
anapestique, où le chœur, qui aperçoit OEdipe encore
caché au public, exprime son effroi. Chaque strophe se
partage entre ÛEdipo et îa chœur, de façon à faire res-
sortir, par l'opposition et le rapppochement des rythmes,
la souffrance d'une part et la compassion de l'autro. Cet
artifice élémentaire est le seul dontSophocle ait voulu se
servir. Pour traduirel'horreur de la situation, îo lyrisme
du grand poète s'est fait aussi simple que possible. Le
chant d'GBdipe n'est qu'un long cri de souffrance, une
sorte de gémissement, tumultueux et prolongé; des
phrases à peine faites, où les mots se pressent, entre-
coupés; dea sensations poignantes, qui peu à peu se
fixent dans un sentiment désespéré.
VI
EURIPIDE
VIULiaORAPHIË
SOMMATOE
vie et caractère d'Euripide. II. Son oeuvre. Pièces subsistan-
tes. – II], Liberté d'esprit d'Euripide. Mobilité de sa pensée. Son
Imagination et sa sensibilité. Sa personnalité. IV. Absence de
théorie dramatique proprement dite. Tendances diverses. Variété
et unité. –V. Peinture dramatiquedes souffrances. des instincts ut
des passions, Affectifs naturelles.– VI. L'observation. Euripide
père de la comédie nouvelle. VII. Infériorité du lyrisme d'Euri-
pide. Grâce légère et fantaisie. VIII. La langue d'Euripide,
Il
1. Scol.Aristoph.Grenouilles,
53.Lesecondargumentdela pièce,
attribué à Aristophanede Byzance,contient une didascalie fort
altérée,qui rapporte les Phéniciennes
à l'archontatde Nausieratès.
Cenomd'archonteest inconnu.
2. Apoll.de Synt.T, 26 At $aivwroatEùpntiSoumpiixovaitôv®r,«
(SaïxbvniXlnov.
3. Protagoniste,
Jocaste,Créon;deutéragtmiste.
Antigone,Polynice,
Menacée;tritagsnisie,pédagogue, Éléoeltt,Tirésias, messagers,
Œdipe.
3i0 CHAPITRE VII. EURIPIDE
III
IV
Une nature de poète aussi capricieuso ne pouvait
produire un système dramatique bien arrêté. No cher-
chons donc pas dans lo thé&tre d'Euripide co que nous
avons trouvé dans celui do Sophocle, un type de tragé.
die, toujours le mémo malgré la variété des sujets. Se.
phocle imposait aux légendes épiques, en les mettant
sur la scène, la forme générale qu'il avait une fois pour
toutes cuuçuo comme la meilleure. Euripide n'a rien à
imposer, car il n'a pas de méthode flxo. Il n'apporte
dans le travail préliminaire par lequel il organise ses
drames que des instincts, pou à peu transformés en ha-
bituilos, et, selon qu'il est ému uu inspiré, il construit
sa tragédie. Tout co qu'on peut se proposer, quand on
l'étudié à co point do vue, c'est do montrer à quelles
tendances il obéit le plus souvent.
Sophocle, ce semble, cherchait d'abord l'unité du
drame, et il n'y introduisait la variété qu'au fur et à
mesure, en développant l'idée tragique Euripide pro.
cède précisément à l'inverse. Son imagination mobile,
sa sensibilité vivo et capricieuse lui créent avant tout
un besoin impérieux de variété, et s'il ramène ensuite
son drame à l'unité, c'est souvent par un artifice ima-
giné après coup, qu'il superpose tant bien que mal à
ses inventions premières. De là cette différence frap-
pante, que la tragédie de Sophoclosort d'une conception
vivante qui s'épanouit au souffle do l'inspiration en
scènes diverses, tandis que celle d'Euripide pullule d'a-
bord comme une floraison spontanée de scènes diver-
ses, que l'art réunit on une gerbe.
Quelques-unes de ses pièces ne sont guère que des
fragments de légende épiquo, mis en forme de drame
les Troyennes par exemple. Nous y voyons, devant les
SA CONCEPTION DU DRAME 319
murs do Troie livrée au pillage, Hécube ot les femmes
troyennes, qui attendent leur sort. Le héraut Talthybios
vient leur annoncer à quel maitro le sort a livré cha-
cuno d'elles. Puis parait Cassandre, qu'on va livrer à
son nouveau maître Agamemnon, et qui dans son dé-
lire dévoile quelques-uns des malheurs prochains ré-
servés aux vainqueurs. Après Cassandro, c'est le tour
il'Andromaque, emmenée à la suite de Néoptolème et
pleurant sur la ville d'Hector. Tandis qu'ollo gémit
avec Hécube, voici de nouveau le héraut il vient lui
prendre des bras son enfant, condamné par les Grecs
à périr scèno déchirante de protestations inutiles et
«l'adieux elle sort désespérée, et presque aussitôt Méné-
las et Hélène entrent en scène. Ménélas veut faire pé-
rir Hélène, et, pour exciter encore sa colère, Hécube,
avide du vengeance, accuse celle qui a été la cause
première do tous ses maux; à son accusation ardente,
Hélène répond; Ménélas l'entraîne, menaçant encore,
mais déjà vaincu. Dès qu'ils so sont éloignés, on ap-
porte à Hécube le corps brisé d'Astyanax, ot elle pré-
pare en gémissant la sépulture de l'enfant. Alors, le
héraut revient pour la dernière fois, et tandis que l'in-
condio s'allume, tandis que Troie s'écroule dans les
flammes, la malheureuse Hécubo est emmenée à son
tour pour aller servir Ulysse. C'est là, comme on te
voit, une série continue de scènes, ce n'est pas une
tragédie. Le poète a pris dans la légende une suite
d'événements douloureux, et tout son travail de com-
position s'est à peu près réduit à les resserrer dans un
court espace de temps, à les rassembler dans un môme
lieu et autour d'un même personnage, et à ménager,
en les retraçant, une certaine gradation d'effets!^ De
liaison intime il n'y en a point. Et pourtant, si la tra-
gédie n'est pas faite, la plupart des scèno» sont admi-
rables. C'est là justement ce qui révèle la tendance
820 CHAPITRE VU. – EURIPIDE
d'Euripido et sa manière do procéder. Lo sujet qu'il a
choisi n'existait pas en tant quo sujet tragique cola uo
l'a pas arrôlé; il a vu des scènes pathétiques à faire, et
il les a faites. Quant à l'unité intime et profonde, qui
est pour d'autres la condition môme du drame, il ne
s'en est pas soucié.
Il est vrai que, môme dans son théàtro, la pièce en
question fait exception. Mais, tout isolée qu'elle est,
elle nous révèle une manière do faire qui est caracté-
ristique ut que nous retrouvons, plus ou moins dissimu-
lée, dans presque toutes ses autros tragédies subsis-
tantes. Los]inieux liées abondent on scènes épisodiques.
Jamais, chez Euripide, la conception générale du sujet
n'est assez forte pour créer d'ollo-mômo tous les élé-
ments du drame à côté de coux qui sortent du fond
des choses, nous sommes toujours sûrs d'en rencontrer
d'autres qui viennent du dehors. Et ce n'est pas encore
là ce qu'il y a do plus frappant. Mais, dans les parties
mêmes qui sont vraiment du sujet, il est aisé do voir
que los inventions ne naissent guère d'une étude très
réfléchie de la situation morale, mais qu'elles se pro-
duisent avec une sorte do spontanéité passablement
capricieuse. Les scènes que }le poète crée ne sont pas
celles qui résultent le plus naturellement les unes des
autres, ni qui montrent le mieux la logique intime des
caractères ou des événements ce sont celles qui lui
offrent le plus de contrastes, de surprises, d'effets pa-
thétiques. En général, il n'aime pas à tenir l'esprit du
spectateur trop longtemps attaché sur un mémo per-
sonnage. Médée est à cet égard une exception dans son
théâtre. Sa tendance naturelle le porte bien plutôt à ti-
rer de chaque rôle successivement ce qu'il contient de
plus touchant et par conséquent à varier sans cesse
l'intérêt. C'est ainsi qu'il en use dans Iphigénie. à Atc-
lis ot dans Hippolyte par oxomplc, pour no mentionner
VARIÉTÉ INTIME DE SES DRAMES 321
V
Ce serait méconnaître la vraie tendance du génie
créateur d'Euripide que de chercher dans son théâ-
tre dos caractères à proprement parler. Les personna-
ges qu'il met en scène ontdes instincts et des passions,
ils souffrent, ils aiment ou haïssent, ils sont donc très
vivants et très intéressants, mais bien peu d'entre eux
PEINTURE DES SOUFFRANCES 837
I. Midte, 1021.
LES AFFECTIONS NATURELLES 333
Dans Eschyle, toute cette partia do l'âme humaine, hum-
ble, commune, familière, est presque négligée, ou elle
n'est indiquée qu'à grands traits, d'une façon tout été-
mentairo. Sophocle lui attribue déjà bien plus d'impor-
tance mais, quand il représente les sentiments de cette
sorte, il los subordonne à d'antres qui sont plus rares et
l»lus élovés. Antigono aime tendrement Polynice, mais,
dans cutlo affection fraternelle, il y a une piété à l'égard
«bs morts, une conception religieuse des devoirs de la
famille, qui sont d'un ordre supérieur. Électre a pour
Orosto les sentiments do la soour la plus aimante ello le
chérit parce qu'il est du même sang qu'elle, parce
qu'elle
l'a ru naître et qu'elle l'a sauvé, et tout cela est selon la
simple nature; mais à cet instinct du cœur se mêle une
espérance vivo qui tient à sa situation et à son caractèro
elle aime aussi on Oreste l'objot de sa longue attente, le
vengeur prédestiné de son père; voilà le tour particu-
lier que prend dans son cœur une inclination commune.
Il résulte de là que chez Sophocle, ce sont les sentiments
rares qui prédominent, ceux qui sont
propres aux per-
sonnages exceptionnels dont il fait ses héros; les autres,
par lesquels ils ressemblent à la grande foulo humaine,
sont partout présents sans doute, mais le poète ne leur
permet pas de se montrer seuls ni de s'étaler trop libre-
ment à nos yeux. Ce lier scrupule, qui donne à la tragé-
die une grandeur singulière,
Euripide ne l'a jamaisconnu.
Les sentiments les plus instinctifs, ceux de tous les
jours
et do tous les hommes, ceux
qui remplissent les exis-
tences los plus humhles comme les plus hautes, non
seulement il les accueille, mais il les recherche, et, pour
les faire mieux valoir, il écarte ou restreint les autres.
L'influence de l'esprit démocratique sur la tragédie
apparaît on cela. Elle continue par tradition à repré-
senter des rois et dos reines, des Gis et des filles de
grande race; mais, au lieu de les représenter sous l'as-
884 CHAPITRE VU. – EURIPIDE
VI
VII
i. Bacchantes,135 et suiv.
LE l'OÈTlî LYRIQUE 347
Plus souvent, c'est par l'élégance, par la grâce, par
une sorte de suavité du rythme et do l'image que se
recommandent ces chants. Le sentiment do la nature
est vif chez Euripide. Il excelle en décrire la sérénité,
comme dans ce beau choeur A' Hélène, où los jeunes fil-
les grecques se représentent la mer apaisée pour le
retour de Ménélas, puis s'imaginent qu'elles s'envolent
elles-mêmes & travers les airs comme les oiseaux de
passage qui rotournont au pays aimé
« 0 vaisseau phénicien, barque légère de Sidon, toi qui de
tes rames amies fais résonner les flots de Nérée, chorège du
chœur joyeux des dauphins, quand aucun souffle n'agite la
surface des mers, quand la flllo de Pontos, Galanéa aux yeux
bleus, parle ainsi Laissez vos voiles flotter étendues en atten-
dant la brise de mer, et prenez vos rames de sapin, matelots,
ô matelots, pour conduire Hélène vers le rivage hospitalier,
vers la terre des Perséides.
Ah 1 au travers des airs, que ne pouvons-nous prendre
l'essor comme ces bandes d'oiseaux de la Libye, quand,
fuyant la saison pluvieuse, ils s'en vont, dociles au chant du
plus âgé, qui les guide vers les plaines chaudes et fécondes,
par son vol et par sa voix. 0 troupe ailée, oiseaux qui passez,
le cou tendu, rivaux légers des nuages, allez, au lever des
Pléiades et d'Orion qui brille dans la nuit, allez porter vers
l'Eurotas la nouvelle que Ménélas a pris la ville de Darda-
nos et qu'il revient chez lui »
En général, point d'idée bien arrêtée dans ces chœurs,
pour en conduire et en limiter le développement. Les
motifs de plainte ou de description se succèdent libre-
ment, non pas toujours sans monotonie. De très petites
choses y tiennent leur place, au milieu de celles qui
touchent ou qui frappent; l'esprit s'y amuse, là même
où le sentiment seul devrait être en jeu. Quand les
Troyeunes dans Récube chantent les douleurs et l'effroi
de la nuit fatale où Ilion fut prise 2, leur chant débute,
l.Bflène.Wl.
2. Béeube,908et suiv.
3i8 CHAPITRE VJI. – ËU1UPIDË
grave et triste, par de sombres images la villo décou-
ronnée de sas tours, ses murailles noircies par la fumée
de l'incendie. Puis une scène tout intinte le guerrier
troyen rentré chez lui après le banquet et endormi, sa
femme occupée à nouer ses cheveux on se regardant au
miroir, avant de se mettre au lit. Et soudain, le chant
des Grecs éclate elle fuit « à peine vêtue, comme une
vierge dorionne » elle est prise, elle voit massacrer
tous les siens, on l'emmène. Lo drame se mêle ainsi à
l'élégie, la haute poésie à la description curieuse et co-
quette.
On comprend aisément que ces chants capricieux, sans
motif profond, devaient avoir une tendance à dégénérer
on jolis bavardages 1. Il y en a un certain nombre dans
le théâtre d'Euripide qui ne sont pas autre chose. Volon.
tiers, il met en scène la curiosité vaine et le babillage
léger qu'il attribue aux femmes, et cela devient pour lui
un prétexte de poésie lyrique. Sa parodos d'Iphigénie «
Atdis nous montre des jeunes filles d'Aulis attirées dans
le camp des Grecs par le désir du voir et tout leur chant
n'est qu'une description de ca qu'elles ont observé en
curieuses pour venir jusqu'à la tente d'Agamemnon
Les compagnes de Creuse, daus Ion, vont de tableau en
tableau à travers le temple do Delphes, émerveillées et
multipliant les questions 3. Dans Hippolyte, les femmes
de Trézène arrivent au palais de Phèdre en rapportant
les bruits qui courent, ce qui se dit à la fontaine et au
lavoir, ce quo l'on suppose et ce que l'on répète Ces
propo3 ne sont pas sans grèee, ni surtout sans esprit.
1. Aristoph..Grenouilles, 1309et suiv. La parodie d'Aristophane
est du pur galimatias, mais il faut avouer que ce galimatiasoffro
une ressemblancetrès plaisante avec certaines descriptionslyri-
quesd'Euripide.
2. IpAigdsicd rlulis, t6~et suiv.
3. Ion, 184.
4. Hippolyte.121et suiv.
SA LANGUE 349
Mais on ne peut nier que ce ne soit une grâce un pou
enfantine, qui est très procho do l'abus.
Et, en fait, cet abus se produit plus d'une fois. La pen-
sée étant peu de chose dans ces chants, il est naturel
que la parolo y devienne trop souvent un simple sou-
tien do la mélodie. Il y a mainte composition lyrique
chez Euripide qui n'est vraiment qu'un libretto, auquel
manque aujourd'hui ce qui en faisait la valeur, à savoir
le chant et la musique. Les épithètes multiples, les
mots répétés, les sonorités vides, los longues phrases
capricieuses, pleines de choses inutiles, déconcertent le
lettré qui prond cela pour de la poésie. En réalité, ce
sont purement des fioritures, qui s'adressout non a
l'esprit, mais à l'oreille. Supprimez la iliUe, et il ne reste
que du verbiage.
Un toi lyrisme no demandait pas une grande variété
do rythmes. Aussi presque tous les chœurs d'Euripido
se ramènent-ils à un type uniforme. Ils sont formés de
membres Iogaédiqucs qui se succèdent indéfiniment
sans aucun effort de composition savante. L'invention
rythmique proprement dite a donc à peu près disparu.
Cen'est que par exception qu'on retrouve chez lui des
combinaisons plus rares Le procédé général est rapide
etsuporficiel, et il l'est de parti pris. La tragédie consent
encore à garder lo chœur par respect pour l'usage, mais
il est clair qu'elle ne considère plus ses chants que
comme une partie accessoire du drame.
C'est plutôt pour les monodies qu'Euripide réserve
tes ressources de son art. Nous avons dit déjà combien
l'usage de cos solos était devenu fréquent de son temps.
Les principaux acteurs, virtuoses de chant aussi bien
quo de déclamation, y déployaient tout leur talent. Mais
co talent, à vrai dire, était surtout musical, et beaucoup
des morceaux destinas à le faire valoir se prêtent fort
1.Par exempledans la parodos des Bacchantes.
850 CHA.PITBE VU. – EURIPIDE
cher.
peu à une étude littéraire. Ce qu'Euripide semble y
cher avant tout, c'est la variété pathétique. De brusques
changements, des contrastes, mais en général rien de
émouvants
profond; pour nous, les passages vraiment
ne sont pas ceux-là. Nous n'avons donc pas He*i d'y in-
sister ici, car nous ne saurions y trouver la révélation
d'un aspect vraiment distinct et nouveau do son génie.
VIII
BtBMOOBAPHIB
SOMMAIRE
I. Remarques générales. Nombre des poètes tragiques au v« et au
iv« siècle. Les familles de poètes. Part d'Athènes et des autres
villes grecques. II. Les successeurs d'Eschyle. Son influence.
Contemporains de Sophocle Aristarque, Néophron, Ion de
Chlos. Achéos. m. Temps de la guerre du Péloponnèse. Les
novateurs. Agathon. IV. Biclin de l'art tragique. La rhêto-
rique sur la scène. Influenco d'Euripide. Théodecte et Ghêré-
mon. V. Le Rfiéws.
III
Lo temps de la guerre du Péloponnèse doit être dis-
tingué dans l'histoire de la tragédie. Malgré la rareté
des documents, on peut aftirmor que l'art tragique,
sentant le besoin de la nouveauté, multiplia alors dos es-
sais quelquefois hasardeux, mais toujours intéressants.
Sophocle seul, sur de sa supériorité, fier de ses longs
succès, paisible dans la conscience do son génie, main-
tenait, à travers sa jnagnifiquo vieillosse, la forme
dramatique qu'il avait autrefois créée. Mais, à côté de
lui, Euripide donnait l'exemple de rechercher sans
cesse des effets nouveaux. H ne suffisait plus d'attacher
l'intérêt des spoctatours, on voulait le surprendre. Los
jeunes poètes rivalisaient d'invention, semblables à des
décorateurs ingénieux qui voudraient rajeunir un vieil
édifice.
Le prince de cette jeunesse était l'athénien Agathon s.
Élégant dans ses mœurs et affable, il aimait à s'entou-
rer d'amis qu'il recevait à sa table 4. C'est chez lui, à
l'occasion do sa première victoire au concours de tra-
1. ArUtote,Pàéliq.c. 24 ToyàpÔ|lq;ov
xaxùsXi|pi5vixxâmiv«o:eî
ti; Tpayip3:««.
2. Suidas, 'A-/«i(5;.
3. Sur Agatbon,voir Ititschl, Opuseul.phihlo.j.J;etl'txrt. Agt-
thon,de Dieterich,dans Pauly-Wiswwa, t. 1,p. 761.
L4. Suldas, *A^wv..
373 CHAPITREVIII.– TRAGIQUESDE SECONDRANG
gédios, qu'est censée so passer la scènoqui forme lo su-
jet du Banquet de Platon. Aristophane, dans son Géry-
tadès, et d'autres poètes comiques sans doute, dans di-
verses pièces, so moquaiontdocoqu'ils appelaiont.àtort
ou à r et' son,s» molIesse.Né un pou après le milieu du
siècle, vers 448. il remporta sa première victoire
en 417-416 Peu d'années après, il fut appelé par le
roi de MacédoineArchélaos et se rendit à la cour de
Pella. Quand Aristophane fit jouer les Grenouilles,
en 403, Agathon avait déjà quitté Athènes depuis quel.
que temps. Il dut mourir à Pella pou avant la der.
nière année du siècle, en pleine maturité par consé.
quent. Doses tragédies, sept ou huit titres seulement
nous sont connus Achille, Adrope, Alcméon, Anthos
ou Attthetis,Thyeste, la ~Me~o~ ?0~, les Mysiens,
Télèphe il n'est pas bien sûr que plusieurs de ces ti.
tres ne soient pas applicables à la même pièce ».
Le peu quo nous savons de ces diverses tragédies
nnus permet seulement d'entrevoir en quoi Agathon
s'écarta des usagos reçus. Sa Destruction d'Jlios, d'a-
près le témoignage d'Aristote, était une porte d'épopée
dramatique, où il avait réuni tous les événements prin-
cipaux de la guerre de Troio 8. Par suite, chaque évé-
nement en particulier ne pouvait être qu'effleuré il
n'y avait plus ni situations fortes, ni développements
de sentiments. Cette faute de structure, dit Aristote,
fut la seule cause de son échec; ce qui laisse supposer
i. Athénée,V. p. 217A.
2. L'existence de YAchilleet de la Destruction d'Ilios est contestée:
Dietorich, art. cité. Pour la première, le témoignage d'Aristote
(Pûét. c. 15) prête en effet à une autre interprétation; mais pour la
seconde, je crois qm le passage de la Poétique, c. 18, en atteste
clairement l'existence.
3. Aristote, Pçéttgw, C. 18: "Oooi «Spsiv 'IMou SXijvfoobpav x«\ pn
nota yipos. ixnfatouinv «entfflî iïwvlÇovtat Zml xal 'hf&Quv iU-
tte»ev dvsoûtû) |tiv<p.
AGATHON â?3
qu'à son avis la pièce avait d'ailleurs des qualités re-
marquables. Autant que nous pouvons eu juger, ce sin-
gulier essai était une sorte de retour aux procédés de
composition de la tragédie primitive. Comme il arrive
souvent, l;s novateurs retournaient vers le passé. Bien
différente fut la tentative du mémo poète qui donna
naissance à la pièce intitulée Anthos ou Antheus. Les
uns ont traduit ce mot par la Fleur, les autres, avec plus
de vraisemblance, l'ont considéré comme un nom pro-
pre. Aristote nous apprend que tout y était purement
fictif, les personnages et le sujet >. Voilà donc un poète,
qui pour la première fois, se mettait en dehors de la
mythologie et de l'histoire. Dès lors, ses personnages
ne pouvaient ôtre ni des héros ni des rois; avait-il in.
venté la tragédie bourgeoise? Ou bien le drame d'Es-
chyle, de Sophocle et d'Euripide se transformait-iten
une sorte de féerie? Entre ces deux conjectures, il
est impossible de se prononcer nous soupçonnons' un
essai digne d'attention, nous n'avons aucun moyen ni
de le définir, ni de l'apprécier.
Une autre innovation bien curieuse d'Agathon fut de
substituer aux stasima du chœur, plus ou moins liés à
l'action, des morceaux de chant qui n'avaient plus au-
cun rapport avec le sujet de la pièces. C'étaient de sim-
ples intermèdes {ijf&okyut)qui pouvaient être transférés
sans inconvénient d'une tragédie à une autre. Il résul-
tait de là que les épisodes étaient bien plus isolés les
uns des autres, ce qui revient à dire que la division
future en actes commençait à se montrer sous l'ancienne
construction dramatique presque disjointe. Dans ces
intermèdes, comme sans doute aussi dans le chant des
1. Aristote, Poétique,e. 9.
2. Aristote,Poétique.c. 18 ToTfSàXottcot;t! àfi&iuvaoi (iSUtwtaQ
|iû6ou
ri tfXXn? fort*8iô{(igiXijia
TpaY<j>8ia{ afiouen,
itjxitoySpgavto;*At*-
îwoç toOTotoôtovi.
a?4 uiiÀPiïiiE vui.– tnÀdïôUKs ù& skc.ond iung
IV
.1.AnttphsBe,fr:t;m.t9tXock. Koc&.
2. Aristote, Poétique,cc.. 13.
Aatiphancfragm. 9t
DÉCLIN DE L'ART TRAGIQUE 881
« Dans les pièces do la plupart des poètes modernes,
écrit-il, les mœurs ne sont rien1. » Donc, vers lo temps
d'Alexandre, c'est là un fait acquis On met sur la scène
les mêmes aventuras tragiques qu'autrefois, toujours les
mêmes, mais on ne cherche plus à créer des personna-
ges ayant chacun leur physionomie propre. Les senti-
ments généraux de l'humanité suffisent on représente
une mère, une fille, une sœur, on ne sait plus ou on ne
veut plus peindre une Hécube, une Iphigénio, une Élec-
tre. Cela revient à dire qu'il n'y a plus de conception
profonde et méditée On fait de la tragédie facile, d'a-
près le goût du jour cela est agréable, élégant, ton-
chant même, mais sans originalité.
Et dès que le langage do ces héros do tragédie ne ré-
sulte plus d'une étude attentivede leur rôle, il devient
un langage d'école. « Autrefois les poètes faisaient par-
ler leurs personnages en citoyens de nos jours, on les
fait parler on rhéteurs 2. » Voilà ce qu'écrit un contem-
porain, et ce que confirment tous les témoignages et
tous les fragments. Débarrassés du souci d'exprimer les
sentiments particuliers d'un Œdipe ou d'un Oreste, les
poètes développent plus ou moins habilement des lieux
communs. Ils sortent de Pauditoiro d'Isocrate; ils se
sont exercés à l'éthos et au pathos; ils savent décrire,
raisonner, réfuter, conclure ils le savent môme trop
bien, car ils ne font plus que cela. Ne croyons pas néan-
moins que leurs œuvres fussent insipides. C'étaient des
contemporains de Ménandreet de Philémon ils devaient,
savoir observer comme eux ta vie et ils ne leur étaient
peut-être pas très inférieurs par l'esprit ni par le bien
LE BBAJIE SATYHIQUE
BIBMOOIUVBtB
Les fragments subsistants des drames satyriques se trou»
vent dans les recueils de fragments des poètes-tragiques. Voir
la bibliographie du chapitre II. – LeCyctope d'Euripide fait
partie de toutes les éditions de ce poète ênumèrêes en tête du
chapitre VII.
SOHMAIBE
I.Originosdudramesatyrique. Sesprlncipaasrepr^sentantsctreura
œnvros. – H. Les satyres, les dieux étiles hôroa tfans le drame
satyriqae. III. Structure da drame Baltique. Son langage.
qui avait joué son drame et dans une autre liste ana-
logue, qui-est du temps des empereurs, figure, parmi
les vainqueursdos Miisjeade Thespios, le satyrographe
M. iftmilius de Hyettos ». JI y avait longtemps alors
que le genre satyriquo était passé de Grèce en Italie et
qu'il avait pris place sur la scène latine à côté de l'Àtel-
lane proprement dito 3. Cela nous explique comment
Horace, écrivant son Art poétique, à pu le considérer
encore comme assez vivant pour en donner les règles
onune trentaine de vors
II
Ce rapide aperçu des principaux fails qui appartien-
nent à l'histoire du drame satyrique nous permet d'en
apprécier l'importance. Cherchons maintenant à on dé-
finir la nature propre et à en faire sentir les mérites
originaux.
Ce qui caractérise essentiellement le genre satyrique,
c'ost le mélange de la bouffonnerie et de l'héroïsme quo
nous no trouvons nulle part ailleurs dans la poésie
grecque. D'une manière générale, la bouffonnerie y est
représentée par Silène et par ses Gis, les satyres, ou par
les autres acteurs rustiques qui les remplacent quelque-
fois l'héroïsme, par les personnages de l'épopée. Mais
cette indication sommaire n'a, comme on va le voir, rien
d'absolu.
Les satyres forment normalement le chœur du drame
i. CIG,1584.
2. Ibidem,1385.
3 Porphyrion (schol.Ep. ad Pisones,22t) Satyricacoeperunt
scribere,ut PomponiusAlalantenvel Sisyphenvel Ariadnen.Voir
Teuffcl,Roem.Lit., 135.
4.Epist.a<LPismes,220-230.M. Boissier pense(ju'il s'agit tàpln-
tutd'un projet tendant&introduirece genre sur la scèneromaine
(flev.dePhilnl.,XXII,Janv. 1898).
404 CHAPITRE IX. – LE DRAME SATYRIQUE
i. Euripide, Cyclope,41-81.
SILÈNE 407
l. Cyclope.316-3(1.
410 CHAPITRE IX. – LE DRAME SATYRIQUE
Par celui-là nous pouvons juger des autres. Dans la
tragédie, les plus pervers ont do beaux discours à leur
service; dans le drame satyrique, l'impudence est sans
limite, parco qu'elle n'est pas assujettie à la vraisem-
blance. Il semble toutefois que certains poètes plus
délicats, Sophocle tout au moins, aient eu peu de goût
pour ces fanfarons d'athéisme et de cruauté. En revan-
che, nous remarquons, parmi les personnages do ses
drames satyriques, celui de Momos, ce dieu du blâme,
dont Lucien devait plus tard se servir si ingénieuse-
ment. Nous y trouvons aussi d'agréables inventions,
telles que le rôle do la coquette Aphrodite dans le Ju-
gement, où on la voyait se parer pour le concours de
beauté qu'elle allait affronter. Lo forgeron do Naxos,
Kédalion, qui enseigna son art à Héphostos, figurait
dans une autre de ses pièces. Ces noms seuls donnent
l'idée de tout un groupe do personnages fabuleux, qui,
n'ayant rien de monstrueux ni de sauvage, devaient
amuser le public par un tour d'esprit ou par des travers
assez voisins do ceux qui défrayèrent plus tard la co-
médie moyonne et nouvelle.
C'est par les héros proprement dits que lo drame sa-
tyriquo tenait à la tragédie. On retrouvait en effet dans
les pièces do ce genre un certain nombre de ceux que
l'épopée avait illustrés et que l'art tragique contempo-
rain ne cessait do mettre en scène. Au début môme, lors-
que le drame satyriquo n'était qu'un acte d'un caractère
particulier dans une ample tétralogio, il arrivait le plus
souvent que le héros de ce drame avait déjà figuré dans
une des tragédies du même groupe. En passant d'une
pièce à l'autre, il ne perdait pas sa dignité. Dans le
Sphinx d'Eschyle, le principal rôle appartenait néces-
sairement à OEdipe, qui avait déjà paru comme prota-
goniste dans la seconde pièce de la même tétralogie. Le
sujet du dramo exigeait qu'il s'y