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African Rights

Working for Justice

HISTOIRE DU GENOCIDE
DANS LE SECTEUR GISHAMVU

Janvier 2003

Dans le cadre de son travail de suivi des procès gacaca dans les douze secteurs pilotes initiaux, African
Rights vient d’achever la rédaction de son premier rapport sur l’histoire du génocide à Gishamvu.
Situé dans le district de Nyakizu, province de Butare, le secteur Gishamvu fait partie des premiers
secteurs ayant démarré les travaux Gacaca, en juin 2002. Ce rapport qui repose sur des témoignages
collectifs donnés par des groupes de personnes qui résidaient dans le secteur au moment du
génocide—prisonniers, survivants et autres témoins —cherche à faire le tableau de ce qui s’est produit
dans le secteur lors du génocide.

En vue de faciliter une discussion ouverte et d’obtenir un compte rendu équilibré sur l’histoire du
génocide, African Rights s’est entretenue tour à tour avec des suspects du génocide, des survivants et
des témoins du génocide. Les échanges se déroulaient en forme de débats sur ce dont les groupes
précités se souviennent de la tragédie de 1994 et African Rights jouait simplement le rôle d’animateur.

Dans de nombreux cas, il y a eu des divergences concernant les heures ou les dates qui pourraient être
attribuées en grande mesure au temps qui vient de s’écouler et à l’agitation de la période elle-même.
Inévitablement, les survivants et les présumés auteurs des crimes se concentrent sur des aspects
différents de la violence et les abordent sous des angles souvent opposés. En conséquence, il est
possible que certains faits restent contestés. Cependant, des mêmes points de vue se dégagent aussi, ce
qui fournit de fortes preuves sur de nombreuses atrocités commises.

A bien des égards, cet effort d’African Rights correspond à la tentative même des procès gacaca de se
laisser guider par la vérité telle qu’exprimée par les résidents locaux. De fait, nombre des voix qui y
ont contribué ont également été entendues dans les réunions gacaca. Il est, toutefois, essentiel de
présenter un rapport indépendant qui puisse accompagner celui qui sortira des juridictions gacaca.

Par ailleurs, certaines préoccupations pratiques comme les retards des réunions gacaca, les difficultés à
y assister, les intimidations et le fait que certains secrétaires des comités de coordination sont semi-
analphabètes affectent le progrès du processus gacaca dans certaines zones. De plus, comme le fait
remarquer ce rapport, les attributions et les compétences des juridictions de la cellule donnent lieu à un
compte rendu segmenté du génocide. Les audiences commencent par l’établissement de toute une série
de listes—liste des personnes qui habitaient la cellule avant le génocide, liste des personnes qui
l’habitent encore, liste des personnes qui habitaient la cellule mais qui ont déménagé, liste des
victimes du génocide, listes des biens endommagés, listes des auteurs présumés—ce qui est un
processus très long avant de passer au recueillement de témoignages sur les victimes et les autres
violations spécifiques.

Si l’on considère en particulier que les frontières communales ont été retracées, certains des
événements que les habitants locaux considèrent comme faisant partie de leur expérience sont
forcément omis. Les parties plaignantes requièrent des preuves précises, mais on risque de perdre de
vue la vue d’ensemble dans ce processus.

Cette série de rapports vise à fournir une toile de fond sur laquelle on puisse mesurer les résultats des
procès et à constituer un point de référence commun pour les membres de la population. Dans ce sens,
elle est destinée à soutenir le système gacaca et l’accent que ce dernier met sur la justice et sur
l’encouragement d’une compréhension mutuelle.
BP 3836, Kigali, Rwanda
Tél. : 00 250 501007 Fax : 00 250 501008
rights@rwandatel1.rwanda1.com
afrights@gn.apc.org
TABLE DES MATIERES

1. PRESENTATION DU SECTEUR GISHAMVU

2. HISTOIRE DU GENOCIDE PAR CELLULE

2.1. Cellule Gishamvu


a) Les détenus incarcérés au cachot de Gishamvu
b) Les détenus incarcérés à la prison centrale de Karubanda
c) Les survivants du génocide et autres témoins

2.2. Cellule Busoro


a) Les détenus incarcérés au cachot de Gishamvu
b) Les survivants du génocide et autres témoins

2.3. Cellule Muboni


a) Les détenus incarcérés au cachot de Gishamvu
b) Les survivants du génocide et autres témoins

3. COMMENTAIRES

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1. PRESENTATION DU SECTEUR GISHAMVU

Le secteur de Gishamvu compte trois cellules, à savoir : Busoro, Gishamvu et Muboni. Le récent
découpage administratif n’a pas modifié ses limites territoriales d’avant le génocide : le secteur
maintient la même superficie, le même nombre de cellules et les mêmes appellations. Le secteur de
Gishamvu se situe actuellement dans le district de Nyakizu alors qu’auparavant, il faisait partie de dix
secteurs qui composaient la commune de Gishamvu.

Au moment du génocide, le secteur de Gishamvu était déjà doté de beaucoup d’infrastructures sociales
bien viables telles que : le bureau communal de Gishamvu, celui de la sous-préfecture de Busoro
regroupant les communes de Gishamvu, Kigembe, Nyakizu et Runyinya, la paroisse catholique de
Nyumba, deux congrégations de soeurs religieuses dont l’une des Bernardines et l’autre des
Benebikira, l’école primaire et le centre de négoce de Busoro. A toutes ces infrastructures s’ajoutait
également la coopérative de forgerons de Gishamvu, (COFOGI) qui a produit une quantité suffisante
d’armes blanches pour exterminer les Tutsis de la contrée pendant le génocide. Cet arsenal
d’infrastructures se trouvait à moins d’un kilomètre du grand séminaire de Nyakibanda, sis dans le
secteur voisin de Nyakibanda.

Durant le génocide de 1994, la paroisse de Nyumba tout comme le grand séminaire de Nyakibanda ont
enregistré un chiffre record de victimes dans la région. Des milliers de personnes qui s’y étaient
repliées en quête de refuge furent massacrées par des tueurs accourus de quatre coins de la région.
Lors de notre recherche, le cachot de Gishamvu abritait 351 personnes accusées de génocide. Parmi
elles, environ 256 avaient adhéré au processus d’aveu de culpabilité. Les ressortissants du secteur de
Gishamvu s’élevaient à 28 détenus, les autres suspects de ce secteur étaient internés à la prison
centrale de Karubanda mais, selon le témoignage collectif des détenus interviewés à Gishamvu, il
existe un nombre important de présumés coupables de massacres perpétrés à Gishamvu qui a trouvé
asile à l’étranger notamment au Congo, au Burundi et en Tanzanie ou alors des présumés coupables
qui demeurent inconnus suite à ce qu’ils étaient venus de loin.

A Gishamvu, les activités des juridictions gacaca ont débuté le 19 juin 2002. C’était tout juste au
lendemain du lancement officiel des juridiction gacaca par le président de la république Paul Kagame.
Le choix du secteur Gishamvu comme secteur pilote en province de Butare a été motivé par plusieurs
facteurs notamment celui du nombre élevé de victimes tuées au cours du génocide, successivement au
sein de l’enceinte du grand séminaire de Nyakibanda et à la paroisse de Nyumba. Depuis le début des
activités, les juridictions gacaca de trois cellules qui forment le secteur Gishamvu sont à la sixième
assemblée générale qui a pour finalité de dresser la liste des accusés. Elle sera suivie de la septième
réunion qui, quant elle, vise à compléter la fiche individuelle de l’accusé avant la phase proprement
dite du jugement.

Pour pouvoir avoir une vue d’ensemble sur la façon dont le génocide s’est déroulé dans le secteur
Gishamvu, African Rights a pu interviewer différentes composantes de la population dudit secteur.
C’est ainsi que les détenus présumés avoir commis le crime de génocide ont été entendus. Les
survivants du génocide et autres témoins ont été également interviewés dans le dessein de voir s’ils
sont unanimes en décrivant les faits. Enfin, l’organisation a donné ses propres commentaires.

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2. HISTOIRE DU GENOCIDE PAR CELLULE

2.1 Cellule Gishamvu

a) Les détenus incarcérés au cachot de Gishamvu

Après la mort de Habyarimana en avril 1994, notre secteur a accueilli des réfugiés tutsis en
provenance de la région de Nyaruguru notamment des communes de Mubuga et Rwamiko de la
préfecture de Gikongoro. Les uns ont campé à la paroisse de Nyumba et dans les milieux
environnants, les autres se rendaient au grand séminaire de Nyakibanda, d’autres encore prenaient la
direction de la paroisse de Kansi située dans la commune de Nyaruhengeri, sans doute, pour tenter de
se réfugier au Burundi. Ces réfugiés disaient qu’ils fuyaient les menaces de mort des personnes
habillées en feuilles de bananiers qui les attaquaient et brûlaient leurs habitations. De chez nous, on
voyait dans le ciel de Nyaruguru, des couches noires épaisses qui y déferlaient ; il s’agissait de la
fumée issue de maisons brûlées. A Gishamvu, la population restait calme. A part les informations
diffusées par la radio Rwanda et la RTLM selon lesquelles les inyenzi avaient tué notre président de la
république et que les FAR étaient aux prises avec eux, nous n’étions pas encore informés sur le
déroulement du génocide dans tout le pays.

Par ailleurs, depuis le début de la guerre d’octobre 1990, les autorités administratives locales de
Gishamvu avaient instauré le système de patrouilles nocturnes en vue de faire face aux éventuelles
infiltrations des inyenzi. Hutus et Tutsis faisaient ensemble de telles patrouilles et jamais, ils ne
s’étaient confrontés pour des raisons d’appartenance ethnique. Après la mort de Habyarimana, les
patrouilles ne se sont pas arrêtées ; la cellule de Gishamvu en comptait deux : celle de Birambi et de «
Mu Kabuga ka Gishamvu » où se trouve le bureau de secteur.

Le mercredi, nous ne nous rappelons pas exactement de la date mais, nous pensons que c’était le
premier mercredi après la mort du président, Théodore Sindikubwabo a visité les autorités
communales de Gishamvu. La rencontre s’est passée au bureau communal en présence de Pascal
Kambanda, bourgmestre de Gishamvu depuis 1971, le sous-préfet de Busoro en la personne d’Assiel
Simbarikure qui avait remplacé à ce poste Placide Koloni depuis plus de quatre ans, les conseillers de
tous les secteurs dont le nôtre, en la personne de Célestin Kubwimana alias « Cyuma ». Celui-ci était
devenu conseiller de Gishamvu en 1990 et était auparavant un ancien agent de la police à Gishamvu.
Le reste de la population n’était pas convié à la réunion raison pour laquelle nous ignorons le contenu
exact du message apporté par Sindikubwabo. Mais, ce qui s’est passé après sa visite de quelques
minutes seulement, nous permet d’affirmer qu’il était porteur d’un message incendiaire : celui de
demander aux autorités communales de Gishamvu de débuter le génocide. La réunion s’est passée
dans les heures de midi, et en début d’après-midi, le bourgmestre et le sous-préfet ont fait des tournées
de sensibilisation au génocide à bord de leurs camionnettes respectives. Après s’être partagés les dix
secteurs que comptaient la commune de Gishamvu, chacun a sillonné les rues des secteurs choisis
entrain de dire que les Tutsis devraient tous mourir et que la population hutue avait le devoir
obligatoire de faire ce travail communautaire « umuganda », dans le but de les pourchasser. Le sous-
préfet, accompagné de policiers communaux commençait d’un côté à bord de la camionnette bleue,
simple cabine qui appartenait à la sous-préfecture tandis que le bourgmestre prenait la camionnette
HILUX de couleur kaki et roulait de l’autre côté, en compagnie de policiers également pour la
diffusion du même message. Les deux hautes personnalités utilisaient des mégaphones pour faire
parvenir leurs voix le plus loin possible.

Entre-temps, les conseillers de tous les secteurs étaient rentrés chez eux afin de transmettre le message
reçu à leurs subalternes. Ils ont réunis les responsables de cellules pour leur expliquer que le président
avait donné l’ordre d’exterminer tous les Tutsis. Selon Jean-Baptiste Habyarimana, responsable de la
cellule de Gishamvu pendant le génocide, en détention à Gishamvu, le conseiller Célestin Kubwimana
alias « Cyuma » lui a demandé d’exhorter la population hutue de sa cellule à se rencontrer le samedi
au bureau de secteur très tôt le matin pour aller tuer les Tutsis réfugiés à la paroisse de Nyumba.

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Jean-Baptiste lui a exprimé ses inquiétudes liées au fait que les réfugiés étaient de loin supérieur en
nombre. D’où la population hutue de sa cellule ne pouvait pas faire le poids. Mais le conseiller le
rassurait qu’ils auraient d’autres renforts venus d’ailleurs.

La paroisse de Nyumba se trouvait dans la cellule de Gishamvu, son responsable se sentait plus
concerné par la situation, mais le fait que sa cellule abritait les anciens bureaux de la commune et de la
sous-préfecture lui donnait l’impression qu’il n’était pas le seul à rendre des comptes. Les réfugiés
occupaient la nouvelle et l’ancienne église de Nyumba, les locaux de l’école primaire et les cours. Ils
étaient très nombreux. Les prisonniers interrogés estiment le nombre de réfugiés autour de trois mille.
C’est à partir de cet après-midi que les Tutsis de Gishamvu ont commencé à quitter leurs habitations
pour joindre la paroisse de Nyumba ; peu avant cette date, ils s’y rendaient pour ravitailler les Tutsis
venus de Nyaruguru. La nuit du même jour, une bande de réfugiés tutsis a été attrapée et fusillée à
Birambi. Les victimes n’étaient pas de ressortissants de notre commune et s’évaluaient à plus de
soixante-dix personnes. Nous pensons qu’elles ont été tuées par des policiers communaux et des
militaires réservistes dont Claude Ntibazumunsi, en détention à Karubanda ou au cachot de Nyakizu et
Grégoire Habyarimana alias « Kamango », en exil.

Dans les jours qui ont suivi, Cyuma a tout fait pour mobiliser la population hutue à répondre à l’appel
du samedi. Il circulait dans toutes les cellules de son ressort avec un fusil pour dire que le Hutu qu’il
trouverait chez lui samedi après sept heures du matin subirait de terribles conséquences dont la
fusillade. Il a dit que tout le monde devrait être présent au bureau de secteur Gishamvu avant sept
heures du matin.

Le samedi matin, nous nous sommes présentés au bureau de secteur Gishamvu. On dirait que tous les
Hutus de la commune de Gishamvu s’y étaient rassemblés ; des ressortissants de chaque secteur
étaient là. Cyuma nous a divisés en deux groupes : il a demandé au premier groupe d’encercler le
grand séminaire de Nyakibanda et au second, la paroisse de Nyumba. Nous avons attaqué vers huit
heures du matin. Nous étions armés de machettes, de lances, de massues, de gros bâtons. Mais les
policiers qui étaient avec nous portaient des armes à feu. Parmi eux, figuraient Joseph Nyamwasa, en
exil ; Félicien Mazimpaka, décédé ; et Emile Ntagugura, en détention à Karubanda. Cyuma portait lui
aussi un fusil. Ce jour-là, les réfugiés nous ont opposé une forte résistance ; nous avons longuement
échangé des jets de pierre ; nous pensons qu’il n’y a pas eu de morts dans leur camp.

Le dimanche, il n’y a pas eu d’attaques. Mais le bourgmestre de Gishamvu, le sous-préfet de Busoro et


un autre sous-préfet de Butare qui était domicilié à Gishamvu du nom de Laurent Kubwimana se sont
occupés à mobiliser des renforts en provenance d’autres communes notamment les policiers
communaux de Kigembe, Runyinya et Nyakizu ainsi que les grands miliciens de ces communes.

Lundi à l’aube, des attaques de grande envergure ont été lancées, simultanément à Nyakibanda et à
Nyumba. La tactique était la même que le samedi : encercler les deux endroits, puis ouvrir le feu sur
les réfugiés, ensuite achever avec des armes blanches ceux qui tenteraient d’échapper. Vers 16 heures
du soir, le carnage était presque fini. Les corps de victimes gisaient partout. Les vaches et les biens des
victimes étaient pillés. Une partie des vaches a été destinée aux tueurs venus d’autres communes en
guise de récompense. Les victimes étaient trop nombreuses. De la paroisse de Nyumba au grand
séminaire de Nyakibanda, en passant par les cours du bureau communal, de la sous-préfecture et du
centre de négoce de Busoro, les corps des victimes jonchaient le sol. Dans l’enceinte de la paroisse, il
y avait un local qu’on avait détruit sur les victimes.

Tous les corps sont restés là pendant au moins une semaine. Les mêmes autorités qui nous avaient
demandé d’aller tuer les réfugiés, nous ont ordonné de participer à leur enterrement. Nous avons
refusé parce que les corps se trouvaient dans un état de décomposition et sentaient beaucoup. Le sous-
préfet est allé importer la main-d’œuvre des prisonniers de Karubanda mais celle-ci s’est montrée
incapable ; les victimes étaient innombrables.

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Il est retourné à Butare emmener une machine bulldozer « caterpillar » pour creuser deux grandes
fosses communes : l’une en face de l’église de Nyumba dans la cour, l’autre entre le bâtiment de
l’ancienne église de Nyumba qu’on appelait communément célébration et l’école primaire. Le
bourgmestre, le conseiller et le sous-préfet nous suppliaient en vain de venir enlever les corps de
victimes qu’ils qualifiaient de saleté. Ils ont utilisé les policiers communaux pour nous intimider mais
non plus cela n’a pas marché ; quand les policiers se présentaient, on les fuyait. Les autorités
communales ont finalement instauré un système de payement pour ceux qui voudraient bien venir les
aider. Certains hommes ont alors accepté d’aller les aider. Deux camions de l’université nationale de
Butare sont venus épauler dans le transport et le jet des corps ; ils portaient la mention UNR/Butare ;
nous pensons qu’ils étaient de marque « HINO ».

Quelques jours plus tard, le conseiller de Gishamvu nous a convoqués en réunion. Il y avait aussi le
sous-préfet et le bourgmestre. Ils nous ont demandé d’organiser des fouilles de brousses et de forêts
afin de traquer les rares rescapés de massacres de Nyumba et de Nyakibanda. Les policiers
communaux nous ont aidés dans cette action et les personnes débusquées étaient tuées sur-le-champ.
Jusqu’à l’arrivée du FPR à Gishamvu, pareilles opérations se poursuivaient.

Hormis les fusils et les grenades, les autres armes utilisées pendant le génocide à Gishamvu sont les
machettes, les massues et les lances.

S’agissant des actes de pillage, ils n’étaient pas organisés. Celui qui trouvait le premier le bien d’une
victime s’en appropriait. Les réfugiés avaient emmené de grands troupeaux de vaches à la paroisse de
Nyumba tout comme à Nyakibanda. Ils ont été tous pillés dans un laps de temps car il n’y avait pas de
partage organisé du butin ; on appliquait la loi du plus fort. Mais, pour ce qui est des cultures et des
parcelles de victimes, le conseiller de secteur les vendait à la population à un prix très bas ; certaines
personnes pouvaient se procurer des hectares de bananeraie ou des champs de colocases à des prix
insignifiants ne dépassant pas mille cinq cents francs rwandais. Connaissant la valeur des terres avant
le génocide, un tel prix était vraiment cadeau. Les maisons de victimes ont été également détruites.
Les pillards prenaient toute chose de valeur pouvant être transportée : tuiles, tôles, briques, arbres,
portes, fenêtres, etc.

Dans notre cellule, des viols systématiques de femmes ou de jeunes filles n’ont pas eu lieu.
Néanmoins, il existe des garçons qui ont exploité les circonstances du génocide pour se marier
illégalement avec les filles tutsies sans le consentement de celles-ci. Nous connaissons deux cas dans
notre cellule et les couples cohabitent toujours. Si nous devions citer les noms de grands auteurs du
génocide à Gishamvu nous donnerions :

• Théodore Sindikubwabo, porteur du message incendiaire ;


• Assiel Simbalikure, sous-préfet de Busoro arrêté à Karubanda ;
• Laurent Kubwimana, sous-préfet à la préfecture de Butare domicilié à Gishamvu au centre de
Busoro ; en exil au Congo ;
• Pascal Kambanda, bourgmestre de Gishamvu, réfugié au Congo ;
• Célestin Kubwimana alias « Cyuma », conseiller de Gishamvu, en exil au Congo ;
• Gabriel Murara, assistant médical à l’hôpital universitaire de Butare, service interne, en refuge
au Congo ;
• Jean Niyizurugero, inspecteur scolaire de Gishamvu, en exil au Congo.

Nous les prenons pour des ténors du génocide à Gishamvu car c’étaient des hommes que la population
respectait beaucoup ; les uns étant nos autorités, d’autres nos éducateurs, d’autres encore nos
médecins. Nous leur obéissions. Mais, durant le génocide, plutôt que de nous prodiguer de bons
conseils d’unité, ils nous ont beaucoup sensibilisés pour l’extermination des Tutsis. Ils sont allés
jusqu’à trouver des renforts dans des communes avoisinantes, toujours dans le souci de décimer tous
les Tutsis.

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Liste des détenus interviewés au cachot communal de Gishamvu :

• Jean-Damascène Ruzibiza, né en 1954, ancien encadreur de la jeunesse à la commune de


Gishamvu et ex-agent recenseur communal. Au moment du génocide, il travaillait pour le
projet de développement global de Butare, DGB ;
• Théoneste Kagame, né en 1955, agent recenseur de la commune de Gishamvu pendant le
génocide ;
• Thomas Nyamwigendaho, né en 1957, paysan avec quatre ans d’études primaires ;
• Viateur Kabalira, né en 1977, paysan avec cinq ans d’études primaires ;
• Ntezilyayo alias « Kagarara », né en 1963, vendeur de la bière ;
• André Muvunandinda, né en 1962, commerçant ;
• Pierre Nyabyenda, né en 1955, paysan membre du comité de la cellule de Gishamvu, cinq ans
d’études primaires ;
• Jean-Baptiste Gafaranga, né en 1948, cultivateur ayant quatre ans d’études primaires ;
• Tharcisse Ndagijimana, né en 1971, paysan analphabète ;
• Kadende Mutirende qui s’est collé le prénom d’Emmanuel, né en 1968, paysan analphabète ;
• Laurent Havugamungu, né en 1957, paysan avec quatre ans d’études primaires ;
• Jean-Baptiste Habyarimana, né en 1961, responsable de la cellule de Gishamvu avec six ans
d’études primaires.1

b) Les détenus incarcérés à la prison centrale de Karubanda

Les détenus qui ont été interviewés sont les suivants :

• Emile Ntagugura, policier communal de Gishamvu depuis février 1990 jusqu’au 13 juillet
1994 ;
• Assiel Simbarikure, né en 1966, fils de Kangesha et Ntakababaro. Sous-préfet de Busoro
depuis le 2 novembre 1984 jusqu’au 4 juillet 1994. Il est originaire de la commune Kirambo,
préfecture de Cyangugu ;
• Claude Ntibazumunsi, ancien ex-FAR depuis 1985, réserviste à partir de mars 1993,
opérateur- radio à la préfecture de Busoro jusqu’en juillet 1994 ;
• Joseph Rwandanga, forgeron à Gishamvu ;
• Simon Nahayo, forgeron à Gishamvu ;
• Théogène Mulindantwari, forgeron à Gishamvu ;
• André Ntakirutimana, forgeron à Gishamvu ;
• Gaspard Berinyuma, forgeron à Gishamvu ;
• Jean Twagirayezu, forgeron à Gishamvu ;
• Jean-Baptiste Uwihanganye, maçon à Gishamvu ;
• Callixte Bakundukize, agriculteur de Gishamvu ;
• Bénoît Niyonzima, aide- vétérinaire à Gishamvu.

Onze détenus plaident coupables de tous les chefs d’accusation qui pèsent contre eux. Assiel
Simbarikure plaide coupable seulement d’un seul chef d’accusation. Ci-après leur témoignage :

Avant la mort de Habyarimana, les Hutus et les Tutsis vivaient paisiblement sur leurs collines de telle
sorte qu’ils entretenaient de bonnes relations entre eux notamment dans le domaine du mariage et du
social en général. Après la mort de Habyarimana, les Tutsis ont eu peur qu’ils allaient mourir et les
Hutus avaient également le même pressentiment. Après trois jours, la situation est restée relativement
calme à part les commentaires et les rumeurs de certains habitants qui disaient que les inkotanyi
venaient d’abattre l’avion de notre président, et de ce fait, étaient à la base de sa mort. Toutefois, la
radio RTLM ne cessait dans ses émissions d’inciter les Hutus à exterminer les Tutsis.

1
Témoignage recueilli à Gishamvu, le 21 octobre 2002.

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Le 10 avril, nous avons vu venir les premiers réfugiés tutsis en provenance de Rwamiko dans la
préfecture de Gikongoro. Ils portaient sur leurs têtes des nattes, des ustensiles pour la cuisson et
certains d’entre eux avaient des chèvres et des vaches. Ces réfugiés nous narraient qu’ils provenaient
des collines avoisinantes de l’usine à thé de Mata en commune Rwamiko, Gikongoro. Ils nous
racontaient également comment ils fuyaient des hommes habillés en feuilles de bananiers. Ces derniers
tuaient les Tutsis, incendiaient leurs maisons et pillaient leur bétail. Les premiers réfugiés ont trouvé
asile dans la grande maison appelée communément «ku mangazini» sise près du secteur Gishamvu. Le
lendemain, les réfugiés sont arrivés en masse et se sont installés dans la maison abritant le secteur,
d’autres sont allés camper sur la colline de Bitare en secteur Sheke et sur les hautes collines de
Gishamvu. Etant donné que leur nombre ne cessait de s’accroître du jour au lendemain, d’autres
réfugiés se sont alors installés à la paroisse de Nyumba et au grand séminaire de Nyakibanda. Parmi
ces réfugiés, certains empruntaient de petits sentiers qui mènent vers le Burundi ; d’autres encore
étaient accompagnés par les habitants de Gishamvu jusqu’à la paroisse de Kansi dans le but de
parvenir au Burundi. Jusque là, les réfugiés circulaient comme ils voulaient dans tout le secteur et
allaient même au marché de Busoro sans aucune entrave.

Vers le 16 ou 17 avril, nous avons aperçu une colonne de fumées de l’autre côté de Gatobwe. La
rivière Gatobwe sépare Nyakizu et l’ancienne commune de Runyinya. Au cours de cette nuit, le même
scénario s’est observé à Musumba non loin des collines avoisinantes de Butare. Les Tutsis de la
cellule Gishamvu ont vite compris qu’ils allaient subir le même sort et que leur mort était imminente.
C’est pourquoi, ils ont demandé à leurs voisins hutus de les accompagner au grand séminaire et à la
paroisse Nyumba pour rejoindre les autres tutsis qui s’y étaient réfugiés en provenance de Gikongoro.
Ils ont laissé quelques biens à leurs voisins comme par exemple des chèvres ou des meubles de la
maison. Pendant ce temps, les autorités communales avaient affiché une certaine neutralité, raison
pour laquelle les Hutus ne se sont pas empressés pour s’en prendre aux Tutsis de Gishamvu.

L’arrivée du président Théodore Sindikubwabo à la sous-préfecture de Busoro marque le début des


tueries dans la commune Gishamvu. Les détenus y compris le sous-préfet de Busoro à cette époque,
sont unanimes en ce qui concerne la date de sa venue à Gishamvu. Il est venu le 21 avril, un jeudi dans
l’après-midi vers 15 heures à la sous-préfecture de Busoro. C’était une visite de courte durée car il n’a
pas fait plus de trente minutes. Le brigadier Emile Ntagugura affirme que ce jour-là, il montait la
garde à la commune Gishamvu située à quelque cinquante mètres de la sous préfecture. Il a vu trois
véhicules entrer dans la sous-préfecture et immédiatement, le bourgmestre Kambanda lui a dit de
l’accompagner à la sous-préfecture. La sous-préfecture était gardée par la garde présidentielle,
souligne le policier. Il s’est tenu à l’écart, seules les autorités administratives de la sous-préfecture y
compris quelques conseillers, ont eu l’entretien avec le président. L’ex sous-préfet de Busoro, Assiel
Simbarikure déclare ce qui suit :

Théodore Sindikubwabo est arrivé à mon insu dans les heures de l’après-midi et m’a rencontré dans
mon bureau. Nous avons parlé de la politique du pays. Il m’a dit que Habyarimana est mort pour des
raisons politiques. Puis, il m’a demandé ce que j’en pensais. Je lui ai signifié que mon poste n’avait
aucune relation avec la politique. La politique du président est assurée par le préfet dans la préfecture et
le cas échéant, le bourgmestre en est le responsable au niveau de la commune dans laquelle se trouve la
sous-préfecture de Busoro. Nous étions à deux. Il n’a rien ajouté à ce que je lui disais, et aussitôt, il est
sorti de mon bureau pour partir.

Les détenus ont hurlé, chahuté et le policier Emile lui a dit qu’il trompait car le message de tuer les
Tutsis leur avait été donné ce même jour. Emile poursuit en disant que le président est arrivé à Busoro
en provenance de Ndora où il avait donné l’ordre de tuer les Tutsis de la place comme le lui avait
révélé le brigadier de la commune Ndora. Les détenus ont qualifié les propos de l’ex sous-préfet
comme étant du pur mensonge et de ce fait, ont voulu entendre le témoignage de ce brigadier de
Ndora pour connaître la véracité des faits.

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Le brigadier de Ndora du nom de Vincent Twiringiyimana qui est aussi incarcéré à Karubanda nous a
donné le témoignage suivant :

Le président Théodore Sindikubwabo est venu à la commune Ndora le 21 avril 94 dans l’avant-midi.
J’étais brigadier de ladite commune et ce jour-là, j’y montais la garde. Il est venu avec trop de militaires
et a tenu une réunion avec le bourgmestre de Ndora Célestin Rwankubito (incarcéré à Nyanza), l’ex-
bourgmestre de Muganza Elie Ndayambaje (emprisonné à Arusha) et le bourgmestre de la commune
Nyaruhengeri en la personne de Kabeza qui a fui le pays. La réunion n’a duré que 30 minutes au plus.
Dès sa sortie de la commune, le président Sindikubwabo a salué une foule qui était venue à sa
rencontre. Il leur a dit qu’il était de passage et qu’il se rendait à Busoro pour une mission de travail. Le
message qu’il leur a livré était libellé en ces termes : «à partir de ce moment, nous allons bientôt
travailler comme nous l’avons fait en 1959.

Il a repéré au milieu de la foule un homme du nom d’Antoine Uhagaze et lui a demandé s’il ne se
souvenait pas de la façon dont ils avaient travaillé en 1959. Ce dernier lui a répondu par l’affirmative.
Alors, il leur a dit d’aller travailler et de faire attention à ceux qui disent «ça ne me concerne pas. Ça
ne me concerne pas ou cela ne me regarde pas signifie ceux qui ne sont pas avec nous, a-t-il poursuivi
le président dans son allocution . Ce sont les partisans de la radio Muhabura [la radio du FPR], je vous
les livre. Je suis pressé, d’autres messages, vous les aurez par le canal de vos autorités communales».
Assiel Simbarikure rétorque qu’il n’a rien à se reprocher puisqu’il n’avait pas d’autorité réelle en cette
période.

La responsabilité incombe à celui qui était bourgmestre de la commune Gishamvu. Toutefois, je plaide
coupable d’un seul chef d’accusation qui pèse contre moi en vertu de l’article 53, alinéa 2 de la loi
organique portant création des juridictions gacaca qui dispose que le fait que l’un quelconque des actes
visés par la présente loi organique a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa
responsabilité pénale s’il savait ou pouvait savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou
l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour en punir les
auteurs ou empêcher que ledit acte ne soit commis alors qu’il en avait les moyens.

Il figure sur la liste des personnes poursuivies ou accusées d’avoir commis les actes les rattachant à la
première catégorie prescrite par l’article 9 de la loi organique No 8/96 du 30 août 1996. Il porte le no
424. Son état d’avancement du dossier est au rôle du Ministère Public RMP No 41866/ S8 (enquêtes).

Les prisonniers poursuivent leur témoignage

Nous n’avons pas su que le président était arrivé dans notre contrée excepté les personnes qui se
trouvaient soit à la sous-préfecture, soit à la commune Gishamvu. Bien avant l’arrivée de ce président,
les autorités de la place avaient instauré les rondes pendant la nuit pour que les inyenzi ne puissent pas
s’infiltrer dans la population locale. Pendant le jour, des barrières étaient érigées surtout sur les grands
axes routiers en vue de vérifier les cartes d’identité ainsi que les véhicules qui n’avaient pas de
documents de voyage. Immédiatement après le départ de Sindikubwabo, Simon Nahayo qui montait la
garde à la barrière de «mu Kabuga» a reçu une petite note de la part du conseiller Cyuma. Il lui
signifiait qu’aucun réfugié n’avait plus la permission de circuler comme il voulait, plus de mouvement
de va et vient et que par conséquent, les réfugiés devaient rester à la paroisse et dans l’enceinte du
séminaire. Jean Twagirayezu déclare qu’il vendait aux réfugiés des articles de première nécessité
comme du sucre, du sel, de la nourriture déjà préparée comme les patates douce, de la bouillie. Ce jour
là, Cyuma lui a défendu de ne plus vendre aux réfugiés dans le but de les affamer afin qu’ils ne
puissent pas leur opposer une résistance. Pendant ce temps, Cyuma faisait une campagne de
sensibilisation et appelait les jeunes gens qui avaient de la force à venir très tôt le matin pour
commencer le travail. Il avait déjà donné le briefing aux responsables de la cellule, qui à leur tour,
transmettaient le message à la population. Le lendemain matin, nous étions présents au rendez-vous.
Nous étions nombreux ; c’était une foule immense que nous ne sommes pas en mesure de dénombrer.
Le rassemblement a eu lieu non loin du bureau de secteur Gishamvu. Les jeunes du secteur Gikunzi de
la cellule Kibo n’ont pas également manqué à ce rendez-vous.

9
Le conseiller a pris la parole et nous a dit ceci : «nous allons incendier les maisons de Tutsis pour
qu’ils prennent le chemin de l’exil, qu’ils ne trouvent plus de demeures». Il était entouré de
responsables de toutes les cellules, de l’agronome Aloys Sibomana (il a fui le pays) et de l’assistant
bourgmestre Hervaz Riberakurora (il est décédé). Gaspard Berinyuma révèle que la veille, Cyuma lui
avait donné quatre boîtes d’allumettes parce que ce dernier lui avait dit qu’il ne pouvait pas se les
procurer facilement.

Le travail a commencé à 6 heures 30. Les jeunes gens ayant de la force ainsi que les habitants de trois
cellules composant le secteur Gishamvu ont répondu massivement à cette invitation. Avant de brûler
les maisons, nous devions vérifier si à l’intérieur il n’y avait pas de choses abandonnées par leurs
propriétaires. Des tables, des ustensiles de la maison, des chaises étaient emportés. Nous avons
incendié toute la colline de Gashyankingi ; au moins 50 maisons ont été brûlées. Après ce travail, pour
nous consoler de nos fatigues, nous avons rançonné un handicapé de notre cellule en la personne de
François Mukimbiri la somme de 10.000 francs. C’était un Tutsi de la cellule Gishamvu qui était riche
et avait beaucoup d’argent. Damascène Ruzibiza a perçu cette somme ; nous avons étanché la soif.
Ruzibiza est détenu au cachot communal de Gishamvu. Ce divertissement une fois terminé, le
conseiller nous a remerciés pour la tâche accomplie et nous a informés qu’il nous restait le travail de
déloger les Tutsis réfugiés au grand séminaire et à la paroisse Nyumba. La consigne venait d’être
donnée et le nouveau rendez-vous venait d’être fixé au lendemain.

Le samedi matin en date du 23 avril, nous avons répondu à l’appel du conseiller. Les habitants étaient
nombreux. Nous n’avions pas de fusils sauf les policiers de la commune. Nous étions armés de
machettes, de lances, de pierres et de bâtons. Le policier Ntagugura raconte que la veille, le
bourgmestre l’avait appelé pour lui demander où étaient les autres policiers. Il lui a répondu qu’ils
étaient en repos chez eux et qu’ils n’avaient pas travaillé ce jour là. Il lui a donné le chauffeur
Gatabazi pour aller les emmener de chez eux. Le matin, Ntagugura a reçu 15 cartouches et ses
confrères Joseph Nyamwasa (en exil) et Félicien Mpazimpaka (décédé) en avaient également.

Nous, les policiers, nous avons envahi les réfugiés qui étaient assemblés à l’école primaire non loin de
la paroisse Nyumba. Nous avons ouvert le feu à partir du terrain de football pour donner le signal aux
autres personnes qui étaient parties faire l’attaque au grand séminaire. J’ai tué ce samedi une seule
personne car les quinze cartouches étaient épuisées. De l’autre côté, quand les habitants ont entendu les
coups de fusil retentir, ils ont lancé des pierres sur les réfugiés. Mais ceux-ci leur ont opposé une
résistance farouche. Le nombre de réfugiés était de loin supérieur à celui des assaillants.

Simon était de ceux qui lançaient des pierres sur les réfugiés. Il raconte qu’aucun réfugié n’a été tué ce
jour là par les habitants excepté les policiers communaux.

Le dimanche, nous avons observé une trêve car les autorités nous avaient promis qu’ils allaient nous
envoyer des renforts. Dans la soirée de dimanche, des minutions sont venues en provenance de Butare
comme l’indique Ntagugura. Frédéric Mugaragaza–décédé–, son camarade de service avait escorté ce
dimanche le bourgmestre ainsi que le sous-préfet. Il lui a signifié que ces munitions provenaient de
l’école des sous officiers de Butare (ESO). Le même dimanche, Cyuma a tenu une réunion au centre
de négoce de Busoro dans son bar où il a exhorté tous les responsables de cellules à mobiliser la
population pour venir massivement au travail qui était prévu le lundi matin.

Le lundi matin, à 7 heures et demi, les habitants de Gishamvu venaient de toutes parts et étaient armés
de machettes, de lances, de gros bâtons et de massues comme le déclare Ntagugura qui avait monté la
garde cette nuit de dimanche. A 8 heures, le premier véhicule en provenance de Kigembe, de marque
Toyota aux couleurs blanches, arrivait déjà dans la cour de la commune Gishamvu. Il était rempli de
policiers armés de fusils. Les véhicules du bourgmestre Kambanda de marque Hilux, d’Alexis
alias «CDR», du sous-préfet, de Bonaventure Nkundabakura alias «Nkabankwese» ont apporté des
renforts en provenance de Kigembe.

10
Ils scandaient des slogans «Hutu power», sifflaient et criaient. La cour de la commune Gishamvu était
remplie d’une foule innombrable prête à faire l’assaut. Le bourgmestre et le conseiller nous ont
dit : «le travail maintenant consiste à tuer les Tutsis réfugiés à la paroisse Nyumba et au grand
séminaire de Nyakibanda». La foule a applaudi et nous sommes montés en toute vitesse en criant et en
chantant. Arrivés près de l’école primaire, nous nous sommes divisés en deux groupes. Le premier
groupe est resté à l’école primaire et à la paroisse Nyumba et le second groupe a emprunté la route qui
mène au grand séminaire. Effrayés par les cris et la clameur des assaillants, certains réfugiés se sont
entassés et enfermés dans les salles de classe. Ceux qui étaient dans la cour ont été les premières
victimes à être lynchées. Pour pouvoir exécuter ceux qui s’étaient enfermés dans les salles de classe, la
tâche n’était pas facile car il eut fallu aller prendre des pics pour casser les portes. Cette méthode a été
utilisée à la paroisse et au grand séminaire. Les policiers et les militaires utilisaient leurs fusils, tandis
que les autres qui étaient armés d’armes blanches restaient aux aguets entrain d’épier ceux qui
pouvaient s’échapper. Le massacre a commencé à 9 heures et a pris fin aux environs de 16 heures ou
17 heures. Après ce carnage, ceux qui avaient de la force rentraient chez eux avec leur butin : les
vaches, les chèvres, les portes, les fenêtres et d’autres biens de valeur. Les gens de Kigembe sont
rentrés chez eux ivres de joie car ils avaient emporté beaucoup de choses. Les cadavres étaient
éparpillés çà et là. C’était un bain de sang sur les lieux de massacre.

Le mardi matin, les gens de Kigembe sont revenus pour parachever leur plan macabre. Les fusils n’ont
pas retenti ce jour là car leur objectif était de venir tuer ceux qui respiraient au milieu des cadavres et
piller des biens une fois de plus comme la veille. Les Tutsis qui se débattaient vainement au milieu des
dépouilles mortelles étaient automatiquement achevés au moyen des armes blanches. Les bourreaux de
ces massacres de la paroisse Nyumba et du grand séminaire sont les suivants :

• Les autorités administratives qui ont mobilisé les moyens matériels et humains pour bien mener
leur plan d’extermination ;
• Les policiers et les militaires venus de Kigembe pour prêter mains fortes aux autorités locales ;
• Les policiers communaux de Gishamvu ;
• La population de la commune de Gishamvu.

Les corps de victimes gisaient partout. Une forte pluie s’est abattue dans la région de telle sorte que les
cadavres se sont vite décomposés. La route depuis Busoro jusqu’au bureau du secteur Gishamvu était
presque impraticable ; les habitants préféraient emprunter les petits sentiers car une odeur
nauséabonde se faisait sentir de partout. Cinq jours après le massacre, les responsables de cellules ont
reçu les instructions provenant de leurs supérieurs hiérarchiques selon lesquelles la population devait
faire l’enterrement. Les habitants ont été réticents car les corps puaient de telle sorte qu’il nous est
impossible de vous le décrire. C’était plus affreux à voir qu’à dire. Le premier jour, le conseiller a
forcé les habitants à procéder à l’enterrement, certains d’entre eux ont même rebroussé chemin et ont
pris fuite puisqu’ils n’en revenaient pas à supporter cette odeur. Face à cette résistance de la
population, le travail devait être rémunéré. Les travailleurs recevaient 200 francs par jour. Vu que le
travail était délicat, ils ont majoré le prix à 300 francs, 500 francs, jusqu’à 700 francs. C’est le
bourgmestre qui avançait cette somme. Car l’argent faisait défaut, il a alors demandé du prêt aux
commerçants de Gishamvu pour faire face à ce problème d’enterrement. Le commerçant Innocent
Mutabaruka alias «Kazungu» l’a secouru en lui prêtant de l’argent ; il est en prison ici à Butare.

De l’autre côté, au grand séminaire, un prêtre qui y était resté faisait le même travail que le
bourgmestre qui consistait à nettoyer leur concession. Ce prélat du nom de Thaddée dont l’autre nom
nous échappe [Rusingizandekwe] donnait à la population du sorgho, des haricots. En contrepartie, la
population devait dégager les cadavres non seulement de l’enceinte du grand séminaire mais aussi
dans les parages comme dans les champs, les jardins. Le stock de vivres s’est épuisé, il a alors donné
aux travailleurs la somme de 500 francs par jour, mais hélas il n’arrivait pas à des résultats escomptés.
Il a fait appel à la Croix- rouge pour lui venir en aide. L’équipe de la croix- rouge a travaillé mais elle
a été à bout de souffle. Le prêtre Thaddée, de connivence avec le bourgmestre et le sous-préfet ici
présent, sont allés chercher des prisonniers à la prison de Karubanda à Butare. Ces derniers ont
travaillé simultanément au grand séminaire et à la paroisse Nyumba. Peine perdue.

11
Ces détenus n’ont pas completé la tâche comme leurs prédécesseurs. Pour terminer cette tâche qui était
devenue ardue, une machine bulldozer appelée «caterpillar» a été emmenée de Butare. Cette machine
a travaillé pendant trois jours à la paroisse Nyumba comme à Nyakibanda. La machine traçait des
sillons et creusait des fosses en vue d’enterrer les morts. En réalité, le nombre de victimes tuées
s’élève à plus de 3.000.

Vers le début du mois de juin, la guerre faisait rage. Les ex- FAR, les milices interahamwe ne
cessaient d’essuyer des échecs sur le champ de bataille face à l’avancée des inkotanyi. Pour cela, le
premier ministre Jean Kambanda, accompagné du préfet de Butare Nteziryayo et de notre bourgmestre
Kambanda sont venus à la coopérative des forgerons de Gishamvu (COFOGI) pour y passer une
commande des flèches et des arcs. Le lot était important et la coopérative ne pouvait pas satisfaire
seule ce marché de travail. Elle a fait la sous-traitance avec d’autres forgerons privés de la place. La
plupart d’entre nous sont des forgerons, nous nous sommes mis au travail. Le premier ministre nous a
dit que ces flèches et arcs étaient destinés à la population pour aider nos militaires à chasser les inyenzi
de notre territoire. Ces derniers venaient de s’emparer de toute la partie de Bugesera et poursuivaient
leur avancée sur Butare. Ces autorités ont laissé des fers à béton à la COFOGI pour terminer le travail
dans le plus bref délai possible. Le premier ministre nous a laissé une somme de 7.000 francs comme
avance sur la commande. La somme restante a été laissée au conseiller Cyuma pour nous la donner
une fois la commande livrée. Ces arcs et flèches n’ont jamais été livrés mais étaient déjà stockés à la
coopérative. La non livraison tient au fait qu’en date du 4 juillet, nous avons été obligés de nous
enfuir.

Pour ce qui est des lieux de grands massacres dans le secteur Gishamvu, deux sites importants sont à
mentionner : au grand séminaire de Nyakibanda et à la paroisse Nyumba. A côté de la paroisse
Nyumba, il faut faire mention qu’il y a une école primaire où un nombre de victimes non négligeable y
a laissé leur vie. Outre ces lieux, d’autres massacres ont eu lieu à l’endroit dénommé « mu Birambi»
en cellule Gishamvu où 200 à 300 Tutsis ont été exécutés. Ils ont été tués par les policiers et les
habitants. Ils étaient des rescapés de Nyakibanda et de la paroisse Nyumba qui s’y cachaient. Ils
tentaient à tout prix de se sauver en fuyant vers le Burundi. Ils ont été abattus à coups de fusils et de
massues, puis enterrés dans une fosse commune. D’autres victimes étaient jetées dans les latrines
notamment celle située près du bureau de secteur Gishamvu. Quant aux armes utilisées pendant le
génocide, nous citons : les fusils, les grenades, les machettes, les gourdins, les massues, les gros
bâtons, les flèches, les lances et les pierres.

Après les tueries de Nyumba et de Nyakibanda, le conseiller Cyuma et ses responsables de cellules
nous ont tenu une réunion laquelle consistait à détruire les maisons des Tutsis. Le conseiller l’a
exprimé en ces termes :

Nous devons démolir les maisons jusqu’à la fondation. Si vous les détruisez à moitié, ça donne une
mauvaise impression. La destruction doit être systématique.

Les portes métalliques ainsi que les fenêtres de chez François Mukimbiri ont été vite arrachées. Les
tôles, les tuiles ont été emportées. Le grand séminaire a été épargné car il était gardé jour et nuit par les
policiers communaux. Ceux qui avaient de la force emportaient beaucoup de matériels. C’était la loi
de la jungle. Démolir jusqu'à la fondation n’a pas été chose aisée car il y avait trop de maisons. Des
traces de maisons sont en certains endroits visibles.

Concernant le pillage de biens des victimes, les vaches, les chèvres et les porcs étaient emportés par
ceux qui avaient de la force surtout les personnes chargées de faire les rondes. Cependant, pour ce qui
est des champs ou des cultures de victimes, seul le conseiller Cyuma avait le dernier mot à dire. Les
meilleurs champs de sorgho revenaient au conseiller. Une fois le sorgho en maturité, la récolte a été
faite par la population pour être ensuite emmenée chez lui où il y avait un grenier ad hoc. Au bureau
du secteur, il y avait aussi une quantité suffisante de sorgho. Il nous disait que la consommation de la
bière du sorgho se ferait le jour des prémices et qui serait pour les Hutus power un jour de fête et de
joie. Ce jour n’a jamais eu lieu puisque nous avons fui bien avant.

12
Les champs de bananeraie, de manioc, de haricots ou des patates douces, étaient vendus à un prix
abordable. Une quittance communale était donnée à celui qui achetait ces champs. Cette somme était
versée dans la caisse de l’Etat d’après les dires du conseiller. Simon révèle que le véhicule de François
Mukimbiri qui était sous la responsabilité de Sabagirirwa (en prison à Karubanda) et Karasira (résident
à Gishamvu), transportait les biens pillés. Ce véhicule a transporté les biens ci-après : les haricots, les
patates douce, du riz pillé chez les Sœurs Benebikira de Nyumba, le moteur de la paroisse etc. Chacun
y chargeait son butin. Nous devions toutefois donner un compte rendu au conseiller.

Quand les hommes s’occupaient du pillage des biens ou des récoltes, les jeunes filles avaient reçu la
mission de monter la garde aux barrières pendant le jour. Deux barrières importantes étaient érigées
dans le secteur Gishamvu. La première était située tout juste à l’entrée du centre de négoce de Busoro
et la seconde se trouvait non loin du bureau de secteur connue sous l’appellation de la barrière de «mu
Kabuga». Les filles âgées d’au moins quatorze ans devaient faire la garde à la barrière. Elles
vérifiaient les cartes d’identité ; si la carte portait la mention tutsie, cette personne était aussitôt
présentée aux autorités communales qui devraient décider de son sort. En sus de cela, elles devraient
vérifier si les véhicules avaient tous les papiers de voyage comme la carte rose, l’assurance... Marte
était la cheftaine de filles dans la cellule Gishamvu. Elle travaillait avec Mukasine et Nyirabukara.
Cette dernière est emprisonnée ici à la prison de Karubanda à Butare.

Pour ce qui est des viols de filles et de femmes, nous n’en savons rien parce que de tels actes se
passaient la nuit en cachette. Tout de même, certains hutus donnaient refuge aux filles ou femmes
tutsies non parce qu’ils voulaient tout simplement les violer. C’est le cas d’un certain Rubondo qui a
pris pour femme une jeune fille universitaire pendant plus d’un mois. Malheureusement, elle est
décédée par la suite. Rubondo est interné au cachot communal de Gishamvu.

Le génocide a été bien planifié par les autorités qui nous gouvernaient à cette époque. Nous avons
accueilli les réfugiés en provenance de Gikongoro sans aucun problème. Ils vivaient dans leur
campement sans que personne ne s’attaque à eux car les autorités administratives étaient restées
muettes. Cependant, lorsque le président Sindikubwabo a foulé ses pieds dans la sous-préfecture de
Busoro, le lendemain, le massacre a automatiquement commencé.

Au lieu de garder la sécurité de personnes et de leurs biens, ces mêmes autorités ont été les premières à
inciter les habitants à tuer leurs semblables considérés comme leurs ennemis. Ce sont nos autorités qui
ont mobilisé les policiers, les militaires, les civils à s’en prendre aux Tutsis. Bref, leur rôle dans le
génocide de Tutsis de notre commune est indubitable. Voici la liste des planificateurs du génocide à
Gishamvu :

• Théodore Sindikubwabo qui a donné le feu vert pour commencer le génocide à Gishamvu ;
• Pascal Kambanda, bourgmestre de Gishamvu qui a fui le pays ;
• Célestin Kubwimana alias «Cyuma», conseiller de Gishamvu. Il serait au Congo ;
• Assiel Simbarikure, sous-préfet de Busoro, incarcéré avec nous ici à Karubanda ;
• Gabriel Murara, assistant médical à l’hôpital universitaire de Butare et président du MDR Power à
Gishamvu. Il est en exil ;
• Aloys Sibomana, agronome de la commune de Gishamvu qui a fui le pays ;
• Hervaz Riberakurora, assistant bourgmestre de la commune, décédé ;
• Alex alias «CDR», originaire de Ruhengeri. Il travaillait pour le compte du ministère des travaux
publics et de l’énergie (MINITRAPE) à Busoro. Nous ne connaissons pas ses traces ;
• Jean Niyizurugero, inspecteur scolaire de Gishamvu, réfugié au Congo.2

2
Témoignage recueilli à la prison centrale de Karubanda à Butare, le 25 octobre 2002.

13
c) Les survivants du génocide et autres témoins

Avant l’attaque du 1er octobre 1990 par les inkotanyi, les Hutus et les Tutsis vivaient dans un climat
d’entente dans la cellule Gishamvu. Au déclenchement de la guerre d’octobre, lorsqu’un Tutsi
emmenait paître ses vaches au pâturage, les Hutus lui disaient : garde-les-nous. Il est arrivé même où
les Hutus avaient refusé de cultiver disant qu’ils allaient profiter de ce que les Tutsis auraient fait.
Ceux de notre cellule avaient planifié de bénéficier surtout du patrimoine de Mukimbiri, riche Tutsi de
la cellule qui faisait du commerce.

Lors de l’avènement du multipartisme, on a commencé à maltraiter certains Tutsis tout en les


qualifiant des complices des inkotanyi. L’on disait que Mukimbiri, avec sa voiture, facilitait les jeunes
garçons à rejoindre les inkotanyi lesquels avaient envahi le Rwanda. Chose grave, ils ont exhumé la
tombe de son épouse sous prétexte qu’elle abritait des armes provenant de ses enfants qui avaient
rejoint les inkotanyi. Cela démontre à quel point le pluralisme politique avait engendré des conflits
entre Hutus et Tutsis.

Le matin du 7 avril 1994, la mort du président Habyarimana a été annoncée à la radio. Le lendemain,
les barrières ont été érigées. Le conseiller de notre secteur, Célestin Kubwimana alias « Cyuma » a
tenu des réunions à travers tout le secteur Gishamvu dont le but était de sensibiliser la population à
faire des patrouilles pour contrecarrer l’ennemi. Il disait que les inyenzi allaient attaquer tout le pays.
Le terme inkotanyi n’était pas utilisé chez nous ; on employait plutôt le terme injurieux d’inyenzi. La
cellule Gishamvu a été divisée en trois zones. Chaque zone avait au moins dix personnes qui devaient
faire la patrouille chaque nuit. Les barrières étaient au nombre de trois dont la plus importante était
installée devant le bureau du secteur Gishamvu. C’est juste sur la route menant vers l’ancien bureau
communal de Nyakizu.

Pendant les patrouilles, les hommes s’alternaient en équipe. Des responsables de cellules surveillaient
comment les patrouilles se faisaient. Les Hutus et les Tutsis patrouillaient ensemble. Quelques jours
après, nous avons vu les réfugiés tutsis en provenance de Gikongoro et de la commune de Runyinya.
Ils nous apprenaient que chez eux les maisons étaient brûlées et que les incendiaires étaient habillés de
sachets dans le visage de telle sorte qu’il leur était difficile de les identifier. Certains de ces réfugiés
avaient des vaches, portaient de petits enfants et quelques biens notamment des radios. Quand ils
arrivaient à la barrière, on leur subtilisait surtout des postes de radio.

Dans la semaine où les réfugiés sont arrivés, probablement entre le 14 et le 18 avril, certains Tutsis de
Gishamvu n’ont pas été conviés à faire des patrouilles. Evariste Murindwa, un rescapé, raconte ce qui
s’est passé.

Entre le 15 et le 16 avril, mon grand frère tué pendant le génocide, Pascal Ntandayera, est allé à la
patrouille. On avait dit à lui et à d’autres Tutsis comme Murenzi et Bosco Gakwandi, tous décédés, e
rentrer chez eux car personne ne les avait invités.

Cet acte a eu lieu après que le conseiller Kubwimana ait tenu une réunion à Busoro où il avait dit aux
Hutus de se débarrasser de leur ennemi tutsi. Aucun Tutsi n’avait pas été invité à la réunion.
D’ailleurs, un tutsi a tenté de s’y faufiler mais a été chassé. Il s’agit de Théoneste Hakizimana qui est
actuellement militaire de l’APR. Lors des patrouilles, on était muni de lances, de massues et de
machettes. Ceux qui faisaient la patrouille devaient également avoir des torches car il était interdit
d’allumer le feu pour ne pas orienter l’ennemi.

Entre le 15 et le 16 avril, les Tutsis de Gishamvu ont commencé à quitter leurs maisons. Ils laissaient
leurs biens sur place. Certains d’entre eux se sont réfugiés dans les montagnes. Ils ont occupé
notamment la colline appelée Gishamvu, à l’endroit appellé Gasyankingi, tandis que les autres
choisissaient de rester pour tenter de voir si la situation allait se normaliser.

14
En date du 18 avril, on a commencé à incendier les maisons des Tutsis. Avant d’y mettre le feu, on
spoliait tout ce qui s’y trouvait. Chacun pillait pour son compte. Les ustensiles de maisons, les vivres
et les cultures qui n’étaient pas encore en maturation étaient pillés. Bref, tout objet de susceptible
d’être utilisé était emporté. Les vaches, les poules, les porcs, les chèvres et les lapins étaient écroulés
sur-le-champ. Ils ont aussi ôté les tuiles et les tôles. Une fois les charpentes restées, on les mettait en
flammes et on finissait par démolir les murs. Les bois qui formaient le tronc de la maison étaient
emportés pour servir de bois de chauffage. Le fait de raser les maisons visait à empêcher les inyenzi de
trouver une cachette. Dans toute la cellule de Gishamvu, les habitations de Tutsis étaient laissées en
ruines. D’ailleurs, il est difficile de localiser où se trouvait la maison sauf celles qui étaient construites
en ciment où le pavement reste comme trace. Les incendiaires étaient des hommes, des femmes, même
des enfants.

Après avoir fini le pillage et la destruction, les tueurs sont allés pourchasser les Tutsis qui étaient dans
les montagnes. Le 19 avril, ces Tutsis réfugiés dans des montagnes se sont ralliés à ceux de Gikongoro
et de Runyinya qui campaient au Grand séminaire de Nyakibanda et à la paroisse de Nyumba. Le 20
avril, les miliciens sont venus ravager la paroisse de Nyumba. Pour ne pas être confondus avec les
autres, ils s’étaient vêtus des feuilles de bananeraie. A la paroisse, ils ont pillé du riz, des haricots, des
pommes de terre, du sorgho, de l’argent, un groupe électrogène, etc.

Comme le pillage se faisait en désordre, l’un des travailleurs de la paroisse Nicodème Ruvugabigwi et
le grand frère du conseiller Kubwimana leur indiquait où se trouvaient des biens de valeur. Ce pillage
était l’œuvre des populations de Nyakibanda et de Gishamvu.

A six heures du matin, en date du 21 avril, ils sont revenus à la paroisse de Nyumba. Etant donné que
nous étions sur le terrain de la paroisse, ils ont commencé à lancer des pierres dans la foule. Ils étaient
arrivés à bord des véhicules de la commune Gishamvu conduit par Evariste Gatabazi, en exil et celui
qu’ils avaient pillé chez Mukimbiri. Nous essayions de nous défendre mais en vain car nous n’avions
pas assez de force à cause de faim. Certains d’entre nous parvenaient à s’évader. Les armes à feu ont
été aussi utilisées. Parmi ceux qui nous fusillaient, il y avait l’ex conseiller de Gishamvu, Kubwimana,
en exil ; le policier communal Joseph Nyamwasa, en exil ; Damascène Ruzibiza, détenu au cachot de
Gishamvu ; Emile Ntagugura, qui était policier communal de Gishamvu, interné à la prison centrale de
Butare. Ce jour-là, personne parmi les réfugiés n’est morte suite aux pierres qui nous étaient lancées.
Mais, en revanche, les fusils utilisés ont fait beaucoup de victimes. De façon générale, les réfugiés
venaient de tous les coins du pays et étaient nombreux. Au moment où nous avons accédé à la
paroisse, certains des réfugiés commençaient à chercher un autre endroit pour se camoufler.

Le matin du 22 avril, les meurtriers sont revenus pour completer leur plan d’extermination. Le travail a
été facilement accompli puisque les réfugiés étaient complètement affamés. Le massacre a commencé
à 8 heures. Les fusilleurs étaient secourus par les gens armés de machettes à double tranchants, de
massues et des haches. Parmi ces individus, il y a ceux qui étaient venus des secteurs voisins de
Gishamvu. Les personnes en armes traditionnelles assassinaient ceux qui essayaient de fuir alors que
celles qui avaient des armes à feu exécutaient les réfugiés où ils s’assemblaient. Le carnage a duré
toute la journée s’est terminé vers 17 heures. Toutefois, les miliciens continuaient à nous encercler
pour que personne ne puisse les échapper. En se défendant, les réfugiés ont assassiné un des tueurs qui
tentait de monter au dessus du toit pour accéder à l’intérieur de l’enclos des prêtres. Les réfugiés l’ont
d’abord lancé des pierres avant de l’achever à coups de machette. Il était venu du secteur Gikunzi
situé dans la commune Gishamvu. La nuit, certains d’entre nous ont pu quitter l’endroit aux environs
de 23 heures pour aller au Burundi avec tous les risques qu’il y avait. Le bilan des victimes était
estimé à plus de 2000 parce que tous les appartements de la paroisse étaient plein de cadavres.

Quelques Tutsis ont pu échapper aux tueries de Nyumba mais ont changé de résidence après le
génocide, c’est le cas notamment d’Alphonsine Yankulije qui reste actuellement à Kigali. En quittant
Nyumba, nous étions troublés par la peur de mourir en chemin comme les réfugiés qui avaient été tués
à la barrière de Gishamvu lorsqu’ils tentaient de fuir vers le Burundi. On entendait aussi que d’autres
réfugiés avaient été massacrés en cours de route sans pour autant parvenir à destination.

15
Nous étions à la file indienne ; ceux qui étaient devant ne pouvaient pas savoir ce qui se passait
derrière. Arrivés au Burundi, nous avons remarqué que notre effectif avait sensiblement diminué. Là-
bas se trouvaient d’autres réfugiés qui étaient arrivés avant nous.

Mis à part la paroisse de Nyumba et le grand séminaire de Nyakibanda, d’autres personnes ont été
tuées sur les collines quand elles étaient encore à la maison, par exemple Marcienne Karubera ; sa
belle fille Immaculée Mukakayonde et son enfant morts le 19 avril. On les a jetés dans la fosse anti-
érosive. D’autres ont été laissés sur les collines aux lieux de crimes. C’est le cas de Ngiziyabyo ;
Béatrice Mukankusi ; François Mukimbiri et son fils Lambert ; Jean Baptiste Bwana ; Anastase
Ntawiha ; Alexis Ntawuyirushamaboko ; Suzanne Muhimpundu qui avait accouché la veille et ses
trois enfants. Les victimes sont nombreuses. On utilisait des armes traditionnelles pour les achever. La
première victime de la cellule Gishamvu à être abattue s’appelait Nyabyenda Ngiziyabyo.

Les cadavres étaient jetés dans des latrines, dans des fosses communes ou anti-érosives. D’autres corps
de victimes étaient abandonnés sur les collines et finissaient par être dévorés par des chiens ou des
corbeaux. Les fosses communes les plus connues se trouvaient chez Mukimbiri où on a exhumé plus
de 1000 corps après le génocide et chez Nyirabagibumba de Busoro où pas mal de Tutsis ont trouvé la
mort. En fait, la fosse commune de chez Mukimbiri était une latrine non achevée. Les tueurs disaient
que cette fosse était destinée aux corps des Hutus. Une autre fosse commune se trouvait au lieu
dénommé « ku ibagiro », à l’abattoir, tout près du marché de Busoro. On y a jeté beaucoup de gens.
Les victimes plongées dans des latrines ou dans des fosses communes étaient soit mortes ou
inachevées.

Parmi les biens pillés à Gishamvu, on peut énumérer ce qui suit : les armoires, les chaises, les frigos,
les tables, les lavabos, les motos, les vélos… Il y avait également un Tutsi qui possédait un véhicule et
des machines à moudre. Les pilleurs ne laissaient rien derrière. Ils dépouillaient non seulement les
meules mais aussi les trois pierres supportant naturellement la marmite chez les paysans rwandais en
milieu rustique.

Les femmes participaient également au massacre. A titre illustratif, nous citons Espérance Nyandwi,
Primitive Mukagasana, Clotilde Mukarurangwa et Agnès Akimana qui résident toutes dans la cellule ;
Chantal Mukankusi, nous n’avons pas son adresse et enfin, Agnès Mukasoni qui se trouve dans la
cellule Muboni. Cette dernière faisait partie des criminels qui étaient venus dans l’attaque à la paroisse
Nyumba. Les femmes et les filles avaient la même méchanceté que les hommes.

Pour ce qui est du viol de jeunes filles ou de femmes, de tels cas ne se sont pas produits à Nyumba et à
Nyakibanda lors de notre campement. Toutefois, dans le village, des actes pareils ont été signalés. Les
autorités ont joué un rôle de premier plan dans les massacres. Le jour où le président Sindikubwabo est
arrivé à la sous-préfecture de Busoro marque le début de massacre dans notre commune. Après son
départ, la chasse aux Tutsis a immédiatement commencé. Le sous-préfet Assiel Simbarikure
fournissait des armes aux tueurs. Il est allé même demander du renfort à la population de Kigembe
pour mener à bien leur plan funeste d’extermination. Le bourgmestre Kambanda s’est rendu au poste
frontalier de Kanyaru pour empêcher les réfugiés qui tentaient de traverser jusqu’au Burundi.

De façon générale, les Tutsis de Gishamvu ont été massacrés par les policiers, la population et certains
réservistes ex-FAR qui détenaient des fusils. C’est le cas de Jean Karambizi qui restait à l’ESO et Jean
Mukurarinda qui vit à Kigali3.

3
Témoignage recueilli à Gishamvu, le 25 octobre 2002.

16
2.2. Cellule Busoro

a) Les détenus incarcérés au cachot de Gishamvu

Nous avons appris la mort du président Habyarimana dans la matinée du 7 avril 1994. La population
était consternée mais personne n’osait montrer son mécontentement. De petits groupes se formaient
pour en parler et on pouvait lire sur le visage des paysans qu’ils éprouvaient une certaine crainte.
Toutefois, la RTLM diffusait des émissions à caractère ethnique, ce qui faisait augmenter la colère de
la population hutue sur leurs collines. En dépit de ce message haineux, les habitants sont restés calmes.

Vers le 15 avril, des réfugiés venus de Gikongoro sont arrivés en masse dans notre secteur. Ils
provenaient de Kivu, de Rwamiko et de Kibeho. Ils nous contaient qu’ils fuyaient des hommes
habillés de feuilles de bananiers. Ces gens pillaient leurs biens et incendiaient leurs habitations.
Certains d’entre eux ont trouvé asile à la paroisse Nyumba, d’autres encore se sont installés dans les
locaux abritant le grand séminaire de Nyakibanda. Nous ne sommes pas capables d’estimer leur
nombre. Tout de même, leur nombre était très élevé de telle façon qu’on pourrait comparer les deux
sites à des camps de réfugiés. Entretemps, il y avait d’autres réfugiés qui se dirigeaient vers le
Burundi. Une colonne de réfugiés en provenance de la frontière de Kanyaru est passée par le centre
commercial de Busoro et nous ont dit qu’ils rentraient parce que les autorités douanières leur avaient
refusé de traverser la frontière. Ce groupe de réfugiés a rejoint les autres Tutsis à la paroisse et au
grand séminaire.

Entre le 18 et le 20 avril, le président du gouvernement intérimaire, Théodore Sindikubwabo est arrivé


à la sous-préfecture de Busoro. Nous n’étions pas là, mais d’après les ouï dires, il a tenu une réunion
avec les autorités communales ci-après :

• Le sous-préfet Assiel Simbarikure ;


• Le bourgmestre Pascal Kambanda ;
• Quelques agents de la commune et de la sous-préfecture ;
• Quelques conseillers de la commune Gishamvu y compris celui du secteur Gishamvu appelé
Célestin Kubwimana alias «Cyuma». Celui-ci assumait l’intérim en cas d’absence ou
d’empêchement du bourgmestre et on l’appelait bourgmestre suppléant. Le même jour de l’arrivée
du président, des bruits circulaient dans la soirée comme quoi les Tutsis devaient être exterminés
selon les directives qu’il venait de transmettre aux autorités de la sous-préfecture de Busoro. Ce
jour-là, notre conseiller Cyuma a exigé aux Tutsis de notre cellule à rejoindre leurs frères à la
paroisse Nyumba et au grand séminaire de Nyakibanda et lui-même les y a conduits. Voici la liste
de familles tutsies qui étaient ciblées dans la cellule Busoro :

• Famille Augustin Nzabakurana ;


• Famille Mushatse ;
• Famille Alfred Munyaneza ;
• Famille Romouald Nyirabugari ;
• Famille Joseph Nzigiye ;
• Famille Gasaza.

Deux ou trois jours après, vers 8 heures du matin, nous avons entendu des sifflets, des cris de gens qui
criaient «hutu power, hutu power». Ils étaient à bord des véhicules de marque Toyota et Hilux. Nous
avons pu reconnaître les camionnettes du sous-préfet de Busoro et du bourgmestre de la commune
Gishamvu. C’étaient des civils et des policiers en provenance de Kigembe. Après quelques heures,
nous avons entendu des explosions de grenades et des détonations de fusils. Le massacre de
Nyakibanda et de Nyumba venait de commencer. Les gens de Kigembe avec les policiers communaux
de Gishamvu ont tué les réfugiés pendant deux jours successifs. La population de Gishamvu a
également participé à ce massacre. Les corps de Tutsis gisaient partout ; le grand séminaire et la
paroisse Nyumba étaient devenus de véritables abattoirs.

17
A Nyumba, il y avait deux grandes maisons, la nouvelle paroisse et l’ancienne que l’on désignait sous
le nom de «célébration». D’autres victimes étaient jetées dans des latrines ou laissées sur la voie
publique.

Après deux jours, les autorités de la commune ont ordonné à la population d’enterrer ces victimes.
Celui qui n’obéissait pas à cet ordre se voyait infligé une amende de 1.000 francs. La population a
travaillé une seule fois et c’était à contre coeur car elle n’était pas à la hauteur de la tâche à cause de la
mauvaise odeur. Face au refus de la population de procéder à l’enterrement de Tutsis, les autorités
communales ont rémunéré le travail mais en vain. Elles ont alors fait appel aux détenus de Butare qui
eux aussi n’ont pas fait grand chose. Pour venir au bout de ce travail, nos autorités ont recouru à la
machine bulldozer «caterpillar». Le nombre de victimes s’élevait à 5.000 personnes dont 2.000 à la
paroisse Nyumba et 3.000 au grand séminaire de Nyakibanda. Cette estimation n’est pas exhaustive
mais se veut plutôt approximative. Les armes utilisées pendant ce massacre sont les suivantes : des
fusils, des grenades, des massues, des lances, des bâtons et des gourdins.

Avant le génocide, les autorités administratives avaient instauré le système de patrouilles durant la
nuit. Le but de ces patrouilles était de faire face aux infiltrations des inyenzi. Les Hutus et les Tutsis
faisaient ce travail ensemble et cela ne posait aucun problème car il y avait un horaire bien établi.
Pendant le génocide, la structure est restée la même à part que les autorités de base nous demandaient
de redoubler plus de vigilance. Le chef de patrouilles était le responsable de la cellule, Nicodème
Ruvugabigwi. C’est bien lui qui planifiait l’horaire des patrouilles ; il serait en exil au Congo. Pour
chaque nuit, il y avait une patrouille. Une barrière était également érigée en cellule Busoro, sise à
l’entrée du centre de négoce et était connue sous la dénomination de « barrière Busoro-Sholi». Jean
Ushizimpumu était le chef de cette barrière ; il vit en exil. A la barrière, on vérifiait les cartes
d’identité des personnes qui y passaient. Si on attrapait un Tutsi, on le tuait sur-le-champ ou on le
conduisait à la commune. Le responsable de la cellule nous disait que nous devions chercher les
militaires inkotanyi non seulement pendant le jour mais aussi la nuit. Nous avons fui sans avoir attrapé
même un inkotanyi.

Voici la liste des personnes décédées dans notre cellule et dont nous reconnaissons avoir joué un rôle
actif pour les exécuter. Il s’agit de :

• Rose Vuguziga, âgée de 40 ans, a été tuée à coups de machette par Nsabimana alias «Kazaroho»
(décédé). Il était avec Jean Pierre Rucamurwango. Celui-ci affirme que Rose a été découverte par
la clameur de Théodosie (elle réside à Busoro). Le corps de Rose a été jeté dans sa latrine ;
• Julienne, tuée par Kazaroho et Rurangwa. Elle a été jetée dans le w.c de François Ntamuhanga
alias «Kiragi» ;
• Gasaza, tué par Etienne Gasana. Il avoue qu’il était avec Rugamba et Kimogi fils de Karengera de
Sholi et qu’ils l’ont tué à l’aide des houes usées. Son cadavre a été abandonné sur le lieu du
crime ;
• Une fille inconnue tuée à coup de bâtons et de gourdins par Emile Gasana. Elle a été aussi laissée
sur la route de Busoro ;
• Un homme inconnu tué par des personnes non identifiées. Son corps a été retrouvé sur le sentier
qui mène vers le centre commercial de Busoro ;
• Un homme inconnu tué par Etienne Gasana et Murego fils de Harinda ;
• Spéciose tuée à coup de machettes par Augustin Nshimiyimana. Ce dernier révèle qu’il était avec
Cyuma et qu’ils avaient abandonnée son corps sur la route de Busoro.

Les biens des victimes, les vaches, les chèvres, les porcs, même les poules, étaient pillés. Lorsque les
Tutsis de Busoro ont été contraints par Cyuma d’aller rejoindre leurs confrères au grand séminaire et à
la paroisse Nyumba, les Hutus n’ont pas tardé à emporter leurs biens. Dans les maisons, il n’y avait
pas de vivres car en avril, presque la majorité de la population vivait dans la disette. Cependant, une
fois que le sorgho était en pleine maturité, presque tout le monde e Busoro s’était adonnée à la récolte.
Les champs de bananeraie, de patates douce, n’étaient pas également épargnés.

18
Les Tutsis de Busoro n’avaient pas une situation économique confortable. Sont rares ceux qui
dormaient sur les matelas ; la plupart dormaient sur des nattes traditionnelles.

Les maisons de victimes ont été détruites. Cyuma avait ordonné qu’elles soient mises par terre. Les
portes et les fenêtres étaient arrachées par ceux qui avaient de la force. Les tuiles ont été enlevées et
emportées chez le conseiller. Dans sa parcelle, on dirait qu’il y avait installé une tuilerie. Certaines
maisons ont été démolies jusqu’à la fondation ; d’autres encore ont été détruites en partie de telle sorte
qu’il est possible d’y trouver les vestiges.

Pour ce qui est des viols de femmes et de jeunes filles, nous n’en savons absolument rien. Certains
hommes les conduisaient chez eux pour les protéger mais nous ne pouvons pas affirmer qu’ils les
violaient. De tels actes se commettaient dans la plus grande discrétion de telle manière qu’il est
pratiquement difficile de dire que telle personne a commis le viol à moins que la personne elle-même
se dénonce publiquement.

Enfin, le rôle joué par nos autorités administratives en commençant par les chefs de dix maisons
«Nyumba kumi» jusqu’au bourgmestre est évident pendant le génocide. Les tueries se commettaient
sous leurs yeux, et qui plus est, ces mêmes autorités ont été les premières à inciter la population à les
commettre. Le bourgmestre et le conseiller ne se séparaient jamais de leurs fusils. Ceux qui sont à la
base du génocide dans notre cellule et dans la commune Gishamvu en général sont les suivants :

• Assiel Simbarikure ;
• Pascal Kambanda ;
• Gabriel Murara ;
• Célestin Cyuma ;
• Alexis alias «CDR» ;
• Laurent Kubwimana ;

Pour d’autres informations complémentaires, les personnes reprises ci-dessous qui habitent dans la
cellule peuvent vous donner plus de détails sur les faits survenus dans notre cellule :

• Raymond Murundi ;
• Munyakazi Kimanuka ;
• Théodore Musana ;
• Segatashya Rwanyamihari ;
• Makwene, (il réside à Sholi).

b) Les survivants du génocide et autres témoins

Les relations entre les Tutsis et les Hutus étaient bonnes au point qu’on ne pouvait pas imaginer que le
génocide pourrait avoir lieu dans notre commune. Les deux groupes ethniques cohabitaient
pacifiquement sans aucune entrave. Lors de l’avènement du multipartisme, rien n’a changé dans leurs
modes de vie. Certes, il y avait beaucoup de partis politiques comme le MRND, PSD, PL et le MDR
Power. Toutefois, on voyait que le MDR Power exerçait une influence considérable sur les autres
partis politiques dans la sous-préfecture de Busoro et avait beaucoup de partisans. Au niveau
communal, ce parti était représenté par son président Gabriel Murara, fils de Semanyenzi et
d’Espérance. Il était assistant médical à l’hôpital universitaire de Butare.

La mort de Habyarimana nous a été annoncée dans la matinée du 7 avril 1994 par la Radio Rwanda.
Nous avons été fort surpris par cette mort inopinée de notre président à qui nous donnions le surnom
de «umubyeyi [parent]. Les commentaires étaient nombreux dans des bars et aussi dans des lieux
publics.

19
Vu cette situation qui prévalait, la population craignait que les massacres des Tutsis puisse survenir à
tout moment. Les Hutus ne regardaient pas les Tutsis d’un bon oeil. Cela se remarquait surtout dans
les bars. Quand un Tutsi y entrait, les Hutus qui prenaient leur bouteille de bière de banane affichaient
une attitude de mépris et certains préféraient changer de bar. Jusque là, la situation était calme.

Entre le 10 avril et le 14 avril, des réfugiés en provenance de Gikongoro sont arrivés dans notre
commune. Des malfaiteurs incendiaient leurs maisons et s’emparaient de leurs biens notamment des
vaches, des chèvres et des porcs. Les réfugiés nous racontaient que les maisons de Hutus étaient
épargnées. Ils n’avaient que des nattes, des casseroles et des jerricans. Très peu sont les réfugiés qui
venaient avec des vaches. Ils se sont réfugiés au grand séminaire de Nyakibanda, à la paroisse de
Nyumba et à l’école primaire située près de cette paroisse. D’autres Tutsis se dirigeaient vers le
Burundi. Ceux qui avaient des membres de famille à Gishamvu les rejoignaient sans aucun problème.
Ces réfugiés se trouvaient dans une situation critique ; ils étaient complètement démunis. Les gens de
bonne volonté leur donnaient de la nourriture ou des vêtements pour se protéger contre le froid. Se
réfugier au grand séminaire ou à la paroisse, cela n’était pas le fruit du hasard. En effet, les plus âgés
parmi les réfugiés faisaient comprendre aux autres qu’en 1959, ils avaient pu échapper au massacre
puisqu’ils avaient trouvé asile dans de tels lieux considérés comme sacrés.

La situation a brusquement changé avec l’arrivée du président Théodore Sindikubwabo à la sous-


préfecture de Busoro. Il est arrivé vers le 16 ou le 17 avril et a tenu une réunion avec les autorités
administratives comme le sous-préfet, le bourgmestre et les conseillers. Les paysans n’ont pas été
conviés à cette réunion. Après cette réunion, vers 17 heures, le conseiller Cyuma a rassemblé quelques
tutsis de la cellule Busoro et leur a tenu ce langage : « venez rejoindre vos frères au grand séminaire
car je ne suis pas en mesure d’assurer votre sécurité ». Vénuste Mudaheranwa était présent lors de
cette allocution et était le voisin de Cyuma. Il les a conduits par force sans qu’ils puissent emporter
leurs biens excepté les habits qu’ils portaient dans cette soirée. Le lendemain, le climat était devenu
confus. Nous avons appris que Masabo, fils de Segatwa venait d’être tué par Mandevu (décédé en
prison). Il l’a abattu à Nyanza dans le secteur Kibingo frontalier avec notre cellule. La situation est
devenue désastreuse au cours de cette soirée où des nuées de fumées montaient du côté de Kibingo.
Cyuma est passé dans les bars au centre de Busoro entrain de dire ouvertement que le travail allait
commencer le lendemain matin. Les maisons des Tutsis de la cellule Gishamvu ont été brûlées comme
il l’avait annoncé. Les maisons de Tutsis de Busoro ont été épargnées par le feu parce qu’elles étaient
moins nombreuses et les Tutsis de Busoro n’étaient pas riches comme ceux de Gishamvu.

Deux ou trois jours après, trois véhicules de marque Toyota sont arrivés dans la matinée en
provenance de Kigembe. Des hommes, des femmes, des filles qui étaient à bord de ces véhicules
scandaient le slogan de Hutu Power et certains d’entre eux étaient habillés de feuilles de bananiers. Ils
étaient armés de fusils, de grenades, des lances et d’armes blanches. Il y avait des militaires et des
policiers au sein de cette foule d’assaillants. A vrai dire, mis à part les gens qui côtoyaient les autorités
administratives, les habitants de Busoro n’étaient pas au courant de cette attaque. Vers 9 heures du
matin, le carnage avait déjà commencé. Il a été précédé par des détonations des grenades et des
retentissements des armes à feu. Les massacres de la paroisse Nyumba et du grand séminaire de
Nyakibanda venaient de débuter. Les gens de Kigembe sont rentrés dans la soirée et le lendemain, ils
sont revenus pour achever les Tutsis qui étaient encore en vie. Ceux qui respiraient au milieu des
cadavres étaient abattus à coups de machette et de gourdin. Ils ont exécuté les Tutsis pendant deux
jours successifs. Le grand séminaire et la paroisse de Nyumba étaient devenus de véritables
boucheries. Les cadavres gisaient partout, non seulement à l’intérieur de ces lieux pré-cités, mais aussi
à l’extérieur et dans les milieux environnants. Ce massacre était accompagné de pillage puisque les
assaillants de Kigembe ne rentraient pas mains bredouilles. Les vaches étaient abattues et d’autres
biens comme des haricots, du sucre ou du riz pillés chez les soeurs religieuses de Nyumba étaient
chargés dans leurs véhicules.

Etant donné que les cadavres commençaient à puer et à se décomposer, Cyuma et tous les
responsables ont fait appel à la population pour qu’elle fasse l’enterrement. La population n’a fait ce
travail qu’une seule journée à cause de la mauvaise odeur qu’elle avait mal à supporter.

20
Cyuma a cherché des gens pour faire ce travail moyennant un salaire. Le prix de la rémunération
s’élevait à 300 francs par jour, 500 francs et 700 francs. Cette variation de prix était due au fait que les
travailleurs devenaient moins nombreux, pour cela, il fallait une certaine majoration en vue de stimuler
les travailleurs. Deux chefs d’équipe nommés par le conseiller supervisaient ce travail. Il s’agit de
Balthazar Bizumuremyi et Aloys Kabandana de Sholi. Ils sont tous en exil. Le travail était devenu
difficile de telle sorte que les journaliers qui percevaient cet argent ont été à bout de souffle et ont
refusé de continuer le boulot. La sollicitation d’une machine bulldozer « caterpillar » à Butare a été
l’ultime solution. La machine y a travaillé pendant deux jours.

En cellule Busoro, trois familles tutsies étaient ciblées. Il s’agit de la famille Augustin Nzabakurana,
de Romouald Nyirabugare et de Joseph Nzigiye. Les personnes décédées dans notre cellule sont :

• Romouald Nyirabugare, tué par Karangwa fils de Semana. C’est Cyuma qui le lui avait
emmené. Karangwa l’a abattu près du grand séminaire et l’a abandonné. Avant de
l’assommer, il lui avait ravi sa veste, son chapeau et ses souliers. Il n’avait pas honte de les
porter. (Il se trouverait en Tanzanie) ;
• Théoneste Gasana, tué par Tembasi Nzeyumutima (mort dans les camps de Gikongoro) ;
• Gasaza, tué par Jean-Pierre Nkundiye en complicité avec son grand-frère Nkurikiyinka. Celui-
ci est décédé, par contre Nkundiye réside dans notre cellule. Vénérande Mukagakwaya est la
soeur de la victime et affirme avoir été témoin de ce meurtre ;
• Julienne Kashara, tuée à coups de machette par Nsabimana alias « Kazaroho » (décédé) ;
• Rose Vuguziga, tuée à son domicile à coups de machette par Kazaroho ;
• Un homme inconnu venu d’ailleurs tué par Murego (décédé) et Gasana (emprisonné à
Gishamvu) ;
• Une fille inconnue venue également d’ailleurs, a été tuée par Jean Nushizimpumpu conseiller
de Sholi, (il réside à Sholi). Il était avec Félicien Ntibarutegeka et Habimana de Sholi (tous
deux résident chez eux à la maison).

S’agissant des lieux de grands massacres à grande échelle, la paroisse de Nyumba et le grand
séminaire de Nyakibanda en sont les sites les plus frappants. Toutefois, certaines personnes étaient
retrouvées dans des fosses anti-érosives ou dans la bananeraie. Nous les avons enterrées avec les
autres dans le mémorial du génocide. Les armes utilisées durant le génocide sont les suivantes : les
fusils, les grenades, les machettes, les massues, les lances et les pierres.

Les patrouilles au niveau de la cellule ont été renforcées durant le génocide. Une barrière était érigée
près du marché de bétail non loin de la pancarte de Nyakibanda. Le chef de cette barrière était le grand
frère du conseiller, Nicodème Ruvugabigwi qui est en exil. Les hommes y montaient la garde pendant
la nuit et étaient épaulés au cours de la journée par les jeunes filles de plus de 14 ans. Marthe
Ntakirutimana était la cheftaine de filles de la commune Gishamvu qui donnait les directives aux
autres filles. Marthe résiderait en cellule Gishamvu. A la barrière de Busoro se trouvaient les filles qui
restaient chez Déo. Celui-ci était un Burundais qui travaillait au grand séminaire comme agronome-
vétérinaire. Il serait rentré chez lui au Burundi. Ceux qui habitaient près de chez lui révèlent qu’il
serait un membre de la famille de l’ex-président Melchior Ndadaye. Ces filles qui habitaient sous son
toit savaient lire et écrire. Les personnes qui étaient attrapées à cette barrière étaient conduites à la
commune. Nous n’avons jamais su leur sort car nous ne les connaissions pas. Elles étaient aussi
chargées de vérifier les cartes d’identité ainsi que les véhicules qui passaient à cette barrière. Les
réunions se faisaient au domicile de Cyuma ou à son bar situé au centre de négoce de Busoro
dénommé « bar Umushyikirano ». C’est dans ce bar que l’on planifiait le massacre. Quand il y entrait
avec les autres autorités communales, les paysans devaient immédiatement vider le lieu. Tous les
prisonniers qui sont incarcérés à Butare ou à Gishamvu se réunissaient dans la soirée au bar
Umushyikirano où ils donnaient des comptes-rendus ou recevaient d’autres instructions de la part de
leurs chefs hiérarchiques.

21
Le conseiller avait ordonné que les maisons soient détruites jusqu’à la fondation. En premier lieu, les
fenêtres et les portes étaient arrachées. Les tuiles étaient emportées en second lieu et Cyuma en avait
pillé en abondance. Certaines maisons ont été complètement détruites, d’autres à moitié et l’on en
retrouve encore des traces. Les meubles, les ustensiles, les vêtements et même les jerricans étaient
emportés. Les Tutsis de la cellule n’étaient pas riches, ils étaient pour la plupart des agriculteurs-
éleveurs moyens qui dormaient sur des nattes sauf chez Thaddée où il y avait des matelas. Les maisons
des Tutsis qui se trouvaient au centre commercial de Busoro n’ont pas été démolies car Cyuma les
avait confisquées et les partageait à ceux qui lui donnaient de l’argent pour location. Ces maisons
étaient utilisées à des fins commerciales.

Les poules, les chèvres et les porcs étaient pillés par la population à titre particulier. Les vaches
revenaient aux grands génocidaires de la cellule qui les emportaient chez eux pour les manger ou les
élever. Lorsque nous avons fui, certains les avaient emmenés jusqu’à Gikongoro. Dans la bananeraie,
les régimes de banane étaient coupés. Les champs de patates douce, de haricots ou de maniocs
n’étaient pas épargnés. Par contre, les bonnes terres et les meilleurs champs de sorgho étaient réservés
au responsable de la cellule Nicodème et au conseiller Cyuma. Ce dernier disait à la population que ce
sorgho servirait à la préparation de la bière qui serait consommée par tous les habitants de la cellule.
Cette bière était baptisée « bière de prémices » qui symboliserait la victoire des Hutu Power. Cette
journée de prémices n’a jamais eu lieu puisque les habitants ont fui bien avant.

Dans la cellule Busoro, des cas de viols de femmes ou de jeunes filles ont été signalés. Les criminels
les prenaient comme butin de guerre. Certains prisonniers incarcérés à Gishamvu ont commis de tels
actes. Quand bien même les familles de victimes leur donnaient de l’argent, ils les gardaient dans leurs
maisons et les prenaient par force sans leur consentement.

Les autorités administratives ont joué un rôle de premier plan dans le génocide. Si elles n’avaient pas
emmené des renforts en provenance de Kigembe, les Tutsis réfugiés au grand séminaire et à la
paroisse Nyumba ne seraient pas morts. Si les agents de la force publique (policiers et militaires)
avaient reçu l’ordre de garder la sécurité des personnes et de leurs biens, aucun Tutsi ne serait exécuté.
Mais, vu que les ordres provenaient d’en haut, il est tout à fait normal qu’ils devaient obtempérer aux
ordres de leurs supérieurs hiérarchiques. Les concepteurs et planificateurs des massacres en commune
Gishamvu sont les suivants :

• Théodore Sindikubwabo. Son arrivée à la sous-préfecture de Busoro marque le lancement


officiel des tueries dans toute la commune de Gishamvu ;
• Assiel Simbarikure ;
• Pascal Kambanda ;
• Gabriel Murara ;
• Célestin Kubwimana alias « Cyuma », en exil en Tanzanie) ;
• Laurent, Kubwimana, en exil au Congo.4

4
Témoignage recueilli à Busoro, le 23 octobre 2002.

22
2.3. Cellule Muboni

a) Les détenus incarcérés au cachot de Gishamvu

C’est après le crash de l’avion du président Habyarimana que les gens ont commencé à être animés
d’une mauvaise volonté. Nous avons appris la nouvelle de l’attentat contre l’avion présidentiel dans la
matinée du 7 avril par Radio Rwanda. Nous avons entendu la radio Muhabura dire que les militaires
de la garde présidentielle–appelés communément GP–et les interahamwe étaient entrain de tuer les
Tutsis à Kigali. Mais cette information n’avait pas encore produit des conséquences négatives aux
relations qui existaient entre les Tutsis et les Hutus de Gishamvu.

Entre le 17 et 18 avril, la situation était toujours favorable. Après le 18 avril, nous voyions les Hutus et
les Tutsis ensemble fuyant Kigali, Bugesera et autres régions. Ils nous disaient que chez eux, on était
entrain de massacrer les Tutsis.

Entre le 18 et le 20 avril, nous avons vu les Tutsis de communes Mubuga et Rwamiko de Gikongoro
se réfugier chez nous car nous étions encore en sécurité. Ces réfugiés disaient que le directeur de
l’usine à thé de Mata, originaire de Gisenyi, envoyait des gens habillés de feuilles de bananiers pour
les attaquer. Ces personnes étaient accompagnées de GP, elles incendiaient les maisons de Tutsis. Les
premiers réfugiés qui sont arrivés chez nous s’évaluaient autour de 100 personnes. Mais, au fil des
jours, l’effectif augmentait de façon considérable. Arrivés à Gishamvu, certains de ces Tutsis sont
allés au grand séminaire de Nyakibanda, d’autres encore à la paroisse de Nyumba. Tous ont été bien
accueillis. Au grand séminaire, les réfugiés ont bénéficié d’une aide de la part du prêtre appelé
Mbonyintege, actuellement recteur du grand séminaire de Nyakibanda. Ce dernier a désigné un certain
Bosco, décédé, pour leur préparer de quoi manger. D’autres Tutsis venus de Gikongoro ont rejoint
leurs collègues au séminaire et à la paroisse. Certains Tutsis ont mieux jugé d’aller s’installer avec leur
bétail dans les hautes collines de Muboni.

Quelques jours après, un militaire originaire de Vumbi, Runyinya, est arrivé chez lui. Il avait déserté le
front. La population de Vumbi lui avait demandé de l’aider pour s’emparer de vaches des Tutsis qui
s’étaient réfugiés sur les collines de Muboni. Lorsque ce militaire est arrivé au lieu, il a disparu, tué
par les Tutsis. Il était accompagné par les habitants de Vumbi. Ces derniers se sont empressés pour
annoncer la nouvelle au conseiller. A son tour, le conseiller est parti solliciter le renfort des militaires
au camp Ngoma de Butare. Des jeeps pleines de militaires sont arrivées. Appuyées par un hélicoptère,
ils ont fusillé les Tutsis qui se trouvaient dans les montagnes de Muboni. Les rescapés sont allés au
grand séminaire et à la paroisse de Nyumba. Après deux jours, nous avons entendu que celui qui était
président du gouvernement intérimaire, Théodore Sindikubwabo aurait présidé une réunion à la sous-
préfecture de Busoro vers la fin du mois d’avril. Il aurait également tenu le même jour une réunion
semblable à Gisagara. Seules, les autorités sous-préfectorales étaient présentes à cette réunion. Il se
pourrait que c’était un vendredi. Le lendemain, probablement un samedi, les policiers communaux
sont allés exécuter les Tutsis qui étaient au grand séminaire de Nyakibanda et à la paroisse de
Nyumba. Etant donné que les policiers n’avaient pas assez de munitions, nous avons appris que le sous
préfet de Busoro, Assiel Simbarikure était parti demander des renforts de policiers et de la population
de Kigembe. Le dimanche, il n’y a pas eu de massacre.

Le lundi, beaucoup de policiers et de soldats sont arrivés. Les autorités ont appelé les Hutus pour aller
massacrer les Tutsis à Nyakibanda et à Nyumba. Il était dit que celui qui ne répondrait pas
favorablement à cet appel serait exécuté. Nous avons entendu des détonations d’armes. Les tueries
venaient de commencer. L’un des policiers qui a participé en témoigne davantage lors des juridictions
gacaca. Il s’appelle Emile Ntagugura et il est incarcéré à la prison de Karubanda.

Le mardi, le conseiller et les responsables de cellules ont interpellé la population pour ériger des
barrières dans le but d’empêcher aux Tutsis de faire les mouvements de va et vient.

23
Les responsables de cellules organisaient les patrouilles dont l’objet était de chercher
l’ennemi partout où il pouvait se cacher.

A Muboni, au moins cinq personnes, quatre hommes et une femme, ont été tuées par les policiers qui
faisaient les patrouilles. Elles ont été fusillées. Sylvestre Kabengera affirme qu’il a participé à
l’ensevelissement de ces victimes. Nous avons creusé un fossé dit-t-il, dans lequel nous avons mis
leurs dépouilles.

Nous plaidons coupable car nous faisions partie de la bande armée qui perpétrait des massacres au
grand séminaire de Nyakibanda et à la paroisse de Nyumba. Grégoire Gasasira accepte avoir assisté à
l’exécution de trois personnes.

C’était le 15 juin à 20 heures. Je venais du centre de Nyamirongo et j’étais avec Havugimana, interné au
cachot de Gishamvu. Nous avons trouvé deux femmes tutsies qui étaient mariées à des Hutus. Comme
on avait appris que le problème de l’ennemi devait être résolu, nous avons emmené ces femmes jusqu’à
Kabingo où nous les avons tuées à coups de machette. Elles étaient avec un petit garçon. Nous les avons
jetés dans le W.C. D’autres tueurs qui étaient avec moi sont les suivants :

Léopold Uzaramba, (à la maison) ;


Protogène Yaramba, (décédé) ;
Jean Marie-Vianney Havugimana, (en détention à la prison centrale de Butare) ;
Ndahimana, (il réside dans la cellule) ;
Ndikumana, (décédé) ;
Gabriel Gahigi, (décédé).

Kabengera a dit qu’il avait aussi participé au massacre de cinq Tutsis.

Je venais de Muyaga où je travaillais. A Muboni il y avait des personnes qui étaient encore en vie.
Notre responsable m’ayant aperçu, il m’a dit qu’il avait besoin de moi. Il m’a dit qu’il y avait des Tutsis
dont la femme du bourgmestre Kambanda était leur tante maternelle. Ils étaient au nombre de cinq,
c’est-à-dire deux hommes et trois femmes. Il voulait que nous les emmenions jusqu’à la maison du
bourgmestre. Nous formions un groupe de cinq personnes. Arrivés à Gishamvu, nous y avons rencontré
le sous préfet de Busoro appelé Assiel Simbarikure qui nous a dit de les embarquer dans le bus.
Le bus était une fosse commune creusée tout près de la maison de François Mukimbiri, un
Tutsi emporté par le génocide. Il aurait été tué avec certains membres de sa famille par Damascène
Ruzibiza qui est emprisonné au cachot de Gishamvu. Celui-ci les a jetés dans le W.C. Quant aux cinq
Tutsis, Sylvestre Kabengera les a exigés de s’asseoir par terre, puis, à l’aide d’une houe usée, il les a
exécutés avant de les propulser dans le w.c.

Il y a d’autres endroits où pas mal de Tutsis auraient été jetés comme à Birambi situé dans le secteur
Gishamvu. Ces victimes fuyaient les tueries en empruntant la direction vers le Burundi. Une autre
fosse commune se trouve à Nyakibanda. Bref, les corps de victimes étaient laissés sur les collines.
Toutefois, après quelques jours, on est venu les enterrer à l’aide des bulldozers « caterpillar ». Les
autres corps étaient mis dans les fosses anti-érosives ou dans les latrines. L’effectif des Tutsis
massacrés de la cellule Muboni peut atteindre facilement le nombre de 250. Le niveau de vie des
victimes était moyen. Certaines d’entre elles étaient des négociants, des techniciens, des éleveurs, des
cultivateurs, des fonctionnaires de l’Etat, des enseignants, etc.

Quant aux biens pillés, on emportait des armoires, des chaises modernes. Exceptionnellement, on
pouvait tomber sur un salon respectable. Pour ce qui est du pillage, chacun soustrayait pour son
compte. Les vaches, les chèvres, les moutons, les lapins et les porcs étaient pillés. Les vaches étaient
en grande partie abattues sur-le-champ et quelques-unes étaient gardées pour servir d’élevage. Avoir
une part sur une vache abattue, c’était comme un droit. Mais, il arrivait des moments où les moins
forts n’obtenaient rien à moins que l’on ait abattu trois vaches en une fois. Dans de telles
circonstances, nous pouvions facilement bénéficier de cinq kilos de viande. Les vivres se trouvant
dans les maisons et les objets de ménage n’étaient pas épargnés.

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Les cultures dans des champs étaient récoltées. En quelques jours seulement, les maniocs ; les
haricots ; les patates douces et les régimes de banane ont été consommés.

Après avoir enlevé les tuiles, on incendiait les maisons avant de les démolir complètement. Cette
action précédait celle de tuer. L’ordre de démolir complètement les maisons de Tutsis a été donné par
les autorités. Elles nous disaient que les maisons se trouvant à côté des routes devaient être rasées
puisque la communauté internationale pourrait se rendre compte de la gravité de la situation et
conclure qu’il y avait eu génocide au Rwanda. Les exemples typiques peuvent être observés chez
Justin, rescapé et chez Mukimbiri, mort au cours de ces atrocités.

Au sujet du viol commis à l’égard de jeunes filles et femmes, quelques accusés auraient déjà plaidé
coupable.

Ce sont les autorités et les militaires qui ont joué un rôle important dans le génocide. La preuve en est
que les conseillers avaient participé aux réunions qui avaient pour but de sensibiliser la population à
massacrer leurs frères tutsis. Les responsables organisaient aussi des patrouilles.

Si le président Sindikubwabo n’avait pas incité la population au massacre, le génocide n’aurait pas eu
lieu. Les tueries ont commencé chez nous avec retard par rapport aux autres contrées du pays. Les
détenus qui ont témoigné sont :

• Sylvestre Kabengera ;
• Grégoire Gasasira ;
• Evariste Havugimana.5

b) Les survivants du génocide et autres témoins

Avant la mort du président Habyarimana, les relations entre les Hutus et les Tutsis n’étaient pas
inquiétantes. Ce n’est que le matin du 7 avril 1994 que nous avons appris la mort de celui qui était
président du Rwanda. D’emblée, nous n’étions pas convaincus. Mais, lorsqu’on a communiqué les
autres comourants dont le président du Burundi, Cyprien Ntaryamira, la peur a envahi les cœurs des
Hutus et des Tutsis. Certains disaient que les Hutus allaient éliminer les Tutsis tandis que les Hutus
croyaient qu’ils allaient être massacrés par les Tutsis. En ce moment-là, les regards de Hutus envers
les Tutsis avaient négativement changé ; ils les regardaient d’un oeil méchant.

Le 14 avril, nous avons vu une foule nombreuse venue de Runyinya, Nyakizu et Gikongoro. Elle était
composée de Tutsis qui avaient des vaches, des chèvres, de petits sacs ainsi que des nattes. Nous avons
pu connaître certains d’entre eux comme Sirikari qui était venu de Gikongoro. Ce dernier est allé dans
la famille de François Munyantore pour demander de la nourriture et de vêtement à donner à son
enfant. Nous avons essayé d’approcher des réfugiés pour savoir les raisons qui les poussaient à quitter
leurs maisons. Ils nous ont répondu que chez eux, les militaires de la garde présidentielle avec le
concours de la population locale, tuaient les Tutsis et brûlaient leurs maisons. Les vieux nous disaient
que cela leur rappelait les événements sanglants de 1959 lorsqu’ils se réfugièrent au grand séminaire
de Nyakibanda et à la paroisse de Nyumba. En ce temps-là, un Tutsi qui confiait ses biens à un voisin
Hutu, dès son retour, il les récupérait sans aucun problème. Tel n’a pas été le cas en 1994.

Les réfugiés venus des coins différents sont allés au grand séminaire et d’autres à la paroisse de
Nyumba. Vu que la situation s’aggravait davantage, les Tutsis et certains Hutus de bonne volonté de
Muboni ont commencé à éprouver de la crainte. En date du 18 avril, les Tutsis ont été marginalisés par
les Hutus et ceux-ci les considéraient comme leurs ennemis. A 9 heures le lendemain on a commencé
à incendier leurs habitations. Le premier enclos qui a connu les flammes est celui de Brigitte
Mukamudenge, suivi par celui de François Nyiribambe. Nous entendions la clameur, les coup de
sifflets, le bruit de tambours et les gens qui criaient « power ».
5
Témoignage recueilli à Gishamvu, le 21 octobre 2002.

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Ceux qui faisaient cela étaient des voyous. Cependant tous les Hutus n’étaient pas encore mobilisés.
Avant de brûler les maisons, ils les saccageaient en commençant par les foyers aisés. Ils pillaient tout
ce qui s’y trouvait. Pour pouvoir s’accaparer des bien pillés, c’était la loi du plus fort qui était
appliquée. Le Tutsi qui apercevait les incendiaires prenait fuite.

Il arrivait que les Hutus venaient prévenir les Tutsis du danger. En ce moment-là, les Tutsis
cherchaient où se cacher le plus tôt possible. Les chaises, les tables, les ustensiles de cuisine, les habits
étaient pillés ainsi que les cultures abandonnées et des champs de café. L’opération de pillage était
suivie par celle d’incendier et de détruire les maisons. On les anéantissait complètement de façon que
même les fondations étaient démolies. Les briques, les tuiles et les tôles étaient partagées entre les
dévastateurs. Il est facile de localiser où habitait un Tutsi même si les maisons sont inexistantes. Ce ne
sont que des ruines que l’on observe. Le but de démolir les maisons était d’effacer les signes visibles
qui pourraient indiquer aux rescapés où demeuraient les frères. Après la destruction, venait la phase
qui consistait à vendre les champs de Tutsis. Les plus forts se choisissaient déjà les champs fertiles. La
vente de champs les intéressait moins. La bananeraie faisait l’objet de partage dans les premiers jours.
C’étaient les protagonistes des attaques et les autorités de base comme le conseiller et le responsable
Charles Birasa, qui marchandaient les lopins de terres. Le prix fixé pour acquérir la parcelle était
dérisoire. Pour en disposer, il fallait être parmi le rang de meurtriers. Celui qui refusait de travailler
avec les criminels se voyait redevable d’une somme de 1000 franc. Le petit bétail était acheminé aux
domiciles des malfaiteurs.

Le matin du 20 avril, on a massacré les Tutsis qui se trouvaient au grand séminaire. A la tête, il y avait
des policiers communaux. Chacun de nous empruntait son chemin, les uns se réfugiaient dans les
montagnes de Huye se trouvant à la frontière de Gishamvu et Runyinya ; d’autres partaient vers le
Burundi ; il est difficile de savoir leur sort. Le même jour, un Tutsi du nom de François Habimana a
été abattu à coups de machette par Jean-Bosco Kabiligi, il est emprisonné à Butare. Le pauvre homme
n’est pas mort immédiatement, il a été achevé à la paroisse de Nyumba. Le jour du 20 avril, il y eut
beaucoup de victimes notamment Joseph Rutanga et son grand frère Jean Paul Gasirabo. Parmi leurs
bourreaux, nous citons Sylvestre Kabengera, emprisonné au cachot de Gishamvu. Celui-ci l’a jeté dans
une toilette après l’avoir abattu avec une machette. Gasirabo a été assassiné par Hermas Ndererimana,
décédé. Il l’a assassiné au moyen d’une épée et l’a jeté dans le w.c. Nyirasoni, une dame hutue qui
était mariée à un Tutsi et veuve du génocide, elle était là au moment de leur mort.

J’ai essayé de sauver Joseph Rutanga en le soulevant de la toilette. Mais Jean Bosco Ndahimana me l’a
arraché et l’a fait retourner là dedans. Kabiligi a tué, sous mes yeux, un Tutsi appelé Justin Karegeya. Il
a dû d’abord utilisé une lance. Lorsque la lance s’était cassée en deux, il l’a achevé à coups de machette
et le renversa dans le w.c.

Les Tutsis barricadés au grand séminaire et à la paroisse de Nyumba ont été exécutés, pour la plupart
au moyen des fusils, des grenades, des massues, des pierres et des machettes. Ils ont été tués entre le
20 et le 27 avril. Nous connaissons des rescapés qui ont survécu au massacre de la paroisse de
Nyumba et au grand séminaire de Nyakibanda. Nous pouvons citer Immaculée Mukampunga de
Busoro et Mutoni de Musange, à Butare ville.

Les corps de victimes ont été jetés dans des latrines, des fosses communes, des fosses anti-érosives.
Les autres étaient laissés sur le lieu de crime. La fosse la plus connue est celle qui se trouvait chez
Mukimbiri. Parmi les victimes de Muboni, il y avait des commerçants, des enseignants et des
agriculteurs.

Le rôle des autorités dans le génocide est notoire. Chaque autorité devait donner le rapport de
l’évolution des tueries à son supérieur hiérarchique. Au moment où nous étions en cachette, nous
entendions les meurtriers dire que le soir était réservé au rapport journalier et aux nouvelles
instructions.

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Les miliciens interahamwe de Gishamvu avaient été entraînés. Le prêtre Thaddée Rusingizandekwe
qui était au grand séminaire de Nyakibanda apprenait aux jeunes garçons à manipuler les fusils.
Ntirushwa, fils de Nyangezi, en exil avait bénéficié de cette formation. Ces garçons disaient qu’ils
allaient combattre les inkotanyi.

Nous avons entendu dire que le président Sindikubwabo aurait tenu une réunion à la sous préfecture de
Busoro où il a exhorté les autorités à exterminer les Tutsis. Son message a eu trop d’impact et la
situation est devenue catastrophique. On dit souvent que « l’on ne peut pas résister aux ordres du
supérieur». Les autorités devaient respecter les instructions du président de la République. Si la
puissance publique ne s’y était pas investie, la population ne pourrait pas à elle seule éliminer les
Tutsis. Il est arrivé même où certains Hutus semblaient avoir pitié des victimes mais comme la police
avait été déployée, on ne pouvait pas faire autrement.

3. COMMENTAIRES

A propos de l’identification des victimes et des présumés accusés, il convient de signaler que
l’exercice soulève des difficultés particulières. D’un côté, les victimes du génocide à Gishamvu
n’étaient pas seulement des habitants de ce secteur ; la plupart d’entre elles étaient venues de secteurs
ou de communes voisines, de Butare ou de Gikongoro. Il en est de même pour les auteurs des tueries ;
ils venaient de différentes régions d’autant plus que les campagnes de mobilisation des tueurs
organisées par les autorités administratives ne se limitaient pas seulement dans leurs ressorts. Cela
étant, toutes les personnes tuées à Gishamvu ne se connaissaient pas toutes entre elles, non plus leurs
bourreaux ne se connaissaient pas tous.

D’autre part, l’actuelle délimitation de l’ancienne commune de Gishamvu complique la reconstitution


des faits notamment l’établissement de listes des victimes et des présumés accusés. Au moment du
génocide, le secteur Gishamvu et celui de Nyakibanda faisaient partie de la commune de Gishamvu.
Le récent découpage administratif les a séparés et a rattaché le secteur Nyakibanda au district de
Kibingo. L’histoire du génocide à Gishamvu est intimement liée à celle de Nyakibanda ; analyser
séparément ces deux histoires n’amène qu’à des résultats incomplets dans la mesure où il existe des
habitants de Gishamvu qui ont été tués à Nyakibanda surtout dans l’enceinte du grand séminaire et
dont les auteurs de leur mort étaient des ressortissants de Gishamvu et/ou de Nyakibanda. L’inverse
illustre également que les ressortissants de Nyakibanda ont trouvé la mort à Gishamvu notamment à la
paroisse de Nyumba assassinés par les populations venues de deux secteurs. Le problème ici est que
les juridictions gacaca dans le secteur Nyakibanda n’ont pas encore démarré leurs travaux et que la
juridiction gacaca du secteur Gishamvu est appelé à reconstituer des faits qui se sont passés
uniquement dans son ressort, c’est-à-dire dans le secteur Gishamvu. Il aurait été mieux si les deux
secteurs formaient une seule et même juridiction gacaca où alors si le ressort de la juridiction gacaca
de Gishamvu pouvait s’étendre à certaines parties du territoire du secteur de Nyakibanda. Sinon, telle
que la situation se présente aujourd’hui, les ressortissants de ces deux secteurs risquent d’être jugés
deux fois pour des mêmes crimes où alors se verront appeler pour aller témoigner maintes fois sur des
faits qui se sont produits dans les deux lieux alors que c’était possible d’harmoniser le travail de
collecte d’informations sur les victimes et leurs bourreaux en évitant de le dupliquer. Une telle
remarque nous paraît fondamentale étant donné que l’identification des victimes et des présumés
accusés constitue le préalable du bon déroulement des procès gacaca. Mais telle l’activité se passe
dans les secteurs où les juridictions gacaca ont démarré leurs activités, on constate que la
reconstitution des faits se limite au ressort de la juridiction et non sur leur déroulement complet dans le
temps et dans l’espace.

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