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Tuez-les tous !

1h 11 mn
De 90 à 94, la guerre est de moins en moins une affaire strictement militaire. La différence
entre civils et soldats s’estompe très vite. Les masses hutu sont militarisées et les civils tutsi
deviennent les cibles légitimes de la guerre contre le FPR. Il ne s’agit pas là d’une dérive mais
d’une véritable stratégie politique du régime hutu. La France est bien plus qu’un témoin passif
de cette évolution. Dès le 11 octobre 90, le ministère de la Défense français envoie sur place
un expert des luttes anti-guérilla le Colonel Canova. Voici son ordre de mission : « aider les
autorités rwandaises à améliorer la capacité opérationnelle de leur armée. (…) Fournir conseil
et expertise au chef d’état major rwandais et à son équipe. L’arrivée du Colonel Canova, puis
de son successeur le Lieutenant-Colonel Chollet coïncide avec une réorientation stratégique
radicale de l’armée gouvernementale hutu. Les liens entre les états-major français et rwandais
sont de plus en plus étroits, et le Lieutenant-Colonel Chollet est nommé Conseiller militaire
personnel du Président Habyarimana.

Document officiel :
« à compter du 1er janvier 1992, le Lieutenant-Colonel CHOLLET, Chef du détachement
d’assistance militaire et d’instruction exercer simultanément les fonctions de Conseiller du
Président de la République ».

A ce titre , il rencontre régulièrement le colonel Serubuga, chef d’état-major adjoint du


Rwanda. Et c’est cet homme, le Colonel Serubuga, qui va profondément transformer l’armée
rwandaise. Il crée un pôle de commandement officieux avec le Colonel Théoneste Bagosora.
Sous leur impulsion, l’armée va progressivement quadriller l’ensemble du pays. Ils vont
organiser les structures d’autodéfense populaire et pousser à une politisation à outrance des
soldats de l’armée.

Patrick de Saint-Exupéry : « groupes d’autodéfense, formation de milices, guerre


psychologique, guerre médiatique, quadrillage territorial, structure de commandement
adapté, hiérarchie parallèle : on retrouve tous ces éléments-là au Rwanda. Tous. Ils sont tous
présents. Et là je viens d’énoncer les piliers de la doctrine de la guerre révolutionnaire. La
doctrine de la guerre révolutionnaire un guerre politico-militaire, ce n’est pas une guerre de
soldats entre soldats, c’est l’extension ultime de la notion de guerre totale. »

La doctrine de la guerre révolutionnaire est héritée des guerres coloniales françaises. Elaborée
en Indochine et en Algérie pour lutter contre le Viet-minh et le FLN, elle est conçue comme la
forme la plus aboutie de la lutte anti-guérilla. Appliquée par l’armée rwandaise contre le FPR,
elle va permettre aux extrémistes hutu d’organiser une guerre populaire et raciale. Lorsque le
gros des troupes françaises se retirent du Rwanda fin 1993, l’armée gouvernementale est
profondément réorganisée. Elle s’est transformée en une arme redoutable, aux mains des
fanatiques du Hutu Power. Pendant toutes ces années de guerre, les choix politiques de Paris
auront été dictés jusqu’au bout par la nécessité de barrer la route au FPR et la volonté de
défendre l’influence française en Afrique. Pourtant, la France savait mieux qu’aucun autre
pays que la vie des Tutsi du Rwanda ne tenait qu’à un fil. Les dirigeants français étaient les
premiers témoins de la radicalisation du régime rwandais, et le risque d’un génocide fut
envisagé très tôt par Paris : lorsque le leader du FPR Paul Kagamé se rend au Quai d’Orsay en
janvier 1992, il y rencontre le directeur des affaires africaines et malgaches, Paul Dijoud.

Paul Kagamé : « (…) Il me disait : [tout d’abord vous ne pouvez pas vaincre les forces
gouvernementales et prendre le pouvoir, vous perdez votre temps, mais de toute façon, (PK :
et c’est là le plus intéressant, et c’est Dijoud lui-même qui me l’a dit), de toute façon, si
jamais vous arriviez à Kigali et preniez le pouvoir, vous ne trouveriez plus aucun des vôtres
en vie. ] Selon vous, ça voulait dire quoi ? Cela voulait dire que tuer notre peuple, que ce
génocide, a toujours été une éventualité. »

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