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La rencontre
- Au revoir
Le souvenir
Le Film
- Madame la Ministre, cela semble important.
Le Fax
La Confession
Le Piège
- Pourquoi tu ne m’emmènes jamais avec toi en
voyage.
Béatrice avait attendu que Philippe prenne une
douche pour l’interroger. Il était d’une humeur de
chien. Son retour de Dubaï avait été chaotique.
Deux heures de retard au départ, un orage
épouvantable avait plongé tous les passagers dans
leur sac à vomi, le quintal de son voisin débordait
largement de son siège... Et un contrat en passe
d’être perdu face aux Japonais. Cette conne de
Ministre de la Défense avait été incapable de
convaincre les Arabes d’exiger de Toshiho une
cotation plus précise de son offre. Ils auraient vu à
coup sûr qu’elle ne tenait pas la route. Philippe
l’avait pourtant longuement briefée à l’aller dans
l’avion. Les Japonais feraient tout pour décrocher
une référence dans le Golfe avec leur nouveau
matériel de surveillance. Dubaï était une superbe
porte d’entrée.
Le Complot
- On a peut-être un truc, chef.
Ces Français nous emmerdent. Shlomo Epstein, le
responsable des opérations extérieures du Mossad
fulminait. Depuis trois mois, il cherchait un moyen
d’empêcher les Emirats de passer contrat avec
Thomfils pour leur surveillance sous-marine. Mais
rien n’y faisait. Et cette ministre de la Défense qui
s’acharnait commençait à le gonfler sérieusement.
Ses agents sur place qui l’avaient suivie pendant sa
visite à Dubaï étaient formels : malgré l’aide qu’ils
fournissaient officieusement aux Japonais pour
emporter le morceau, c’était loin d’être gagné.
Il sentait que cette réunion allait comme
d’habitude se terminer en eau de boudin. Les
raisons de ces insupportables piétinements
n’étaient pas seulement techniques. Il sentait bien
que son équipe avait du mal à se mobiliser. On
pouvait la comprendre. Pour la première fois de sa
carrière, Epstein s’était vu interdire de lui donner la
moindre indication à ses sur les raisons d’un tel
déploiement de moyens pour un simple contrat.
Bien sûr, ils avaient réalisé après quelques
semaines d’enquête, que le matériel de Thomfils
était sensiblement plus performant que celui de
son concurrent japonais. Mais jusqu’à plus amples
informés, les Emirats n’étaient pas une cible
potentielle de Tel-Aviv. Alors, pourquoi chercher
des noises aux Français ?
Quand, convoqué à la Défense pour se voir
reprocher son manque de résultats, il avait appris
de la bouche même du ministre le motif de cet
acharnement, Epstein s’était liquéfié. Et fût
convaincu que, pour une fois, il était condamné à
mentir à ses équipes.
- On a peut-être un truc, chef.
Il avait à peine entendu David Rosen qui ouvrait
son micro portable et le tournait vers les cinq
agents assis autour de la table de réunion de son
bureau. Epstein aimait bien ce jeune type repéré à
la sortie de l’école. Il devait avoir à peu près 25 ans
aujourd’hui, mais il travaillait avec le calme et la
rigueur d’un vieux briscard. Coriace, sans
fanfaronnade, il lui arrivait de tenter des trucs dans
son coin en oubliant de prévenir sa hiérarchie. Une
façon de ne jamais la décevoir s’il échouait.
- Je tenais un type dans l’hôtel où était descendue
Michèle Pascal. Il ne pouvait rien me refuser, je
l’avais surpris en train de télécharger des images
sans grand rapport avec la pudeur musulmane,
encore moins avec les lois occidentales. En
échange de la clef usb sur laquelle j’avais
enregistré toutes les traces de son surf, il m’a
donné les codes d’accès aux lignes Internet
satellitaires sécurisées qu’ils ouvraient à certains
clients exigeants de l’hôtel. Je m’étais dit que ça
pourrait toujours servir. Et voilà.
Le bateau
La rencontre
La peur
Une vidéo extravagante qui déjoue tous les filtres
de sécurité, Georges qui disparaît. Cela commençait
à faire beaucoup. Elle l’aimait beaucoup Georges.
En six mois de vie commune, Michèle s’était
attachée à cet homme discret, subtil. Son épaisseur
de caractère avait fait naître entre eux une
complicité qui parfois lui donnait le vertige. Il était
de ces gens un peu cabossés par la vie, mais dont la
force morale assure une grandeur d’âme, une
fidélité à toute épreuve. Et puis, il y avait ce petit
bout de jardin secret qu’ils partageaient. Celui où se
jouent « les vraies choses de la vie », comme ils les
appelaient. Michèle n’avait pas tardé à déceler chez
son chauffeur cette part d’ombre que seuls les
initiés savent distinguer de la concupiscence
masculine naturelle
Ils étaient coincés boulevard Saint Germain juste
avant que la nuit tombe sur ce vendredi de début
d’un printemps encore incertain. Une fille superbe,
ceinturée dans un imperméable rouge vif en vinyle,
perchée sur des boots parfaitement assorties tentait
se frayer un chemin entre les voitures bloquées.
- Un peu provocante, vous ne trouvez pas,
Georges ?
- Madame la ministre, j’ai personnellement
beaucoup de respect pour une jeune femme qui se
promène dans une telle tenue boulevard Saint
Germain. Je peux vous dire quelque chose de
personnel, madame la ministre ?
- Allez-y Georges.
- Je pense que ça vous irait bien mieux en noir.
- Je suis assez d’accord, Georges.
Une autre fois, elle rentrait de chez Maurice Frank
avec Max. Un samedi. Michèle avait pris l’habitude
d’emmener son amant pour ses essayages. Drôle et
indispensable amant. Parmi tous les partenaires de
jeux sexuels à son actif, il était à n’en pas douter le
plus imaginatif et le plus libre. Sans état d’âme,
sans tabous mais aussi formidablement féroce,
distancié. Son ordinaire s’encombrait suffisamment
de fétichistes à forte dominante cérébrale et donc
très souvent laborieux dans l’action, pour ne pas
tenter d’apprivoiser Max. D’ailleurs, elle n’avait pas
vraiment eu le choix.
Cela devait remonter à environ cinq ans, une
époque particulièrement chaude. Michèle avait pris
l’habitude de fréquenter, seule la plupart du temps,
les soirées les plus sélectes des amateurs de plaisirs
jugés déviants au regard de la loi d’une majorité
sexuelle au demeurant bien fragile. Son équilibre
physique et mental en dépendait. Ce soir-là, sous le
masque de cuir strié de fines bandes de tulle noir
qu’elle portait à la fois pour le sentiment de
domination que lui assurait cet anonymat, mais
aussi pour des raisons évidentes de confidentialité,
Michèle jubilait. Quelle tête feraient ses collègues –
elle n’était alors que secrétaire d’Etat à l’industrie –
la voyant descendre de sa Mini Cooper au pied du
perron de ces prestigieuses demeures qui abritaient
toujours ces festivités!
La party s’annonçait singulière. Le thème imposé
par l’organisateur -la rumeur disait qu’il s’agisse
d’un grand banquier londonien - n’aurait pas
détonné dans un catalogue de perversions dont les
anglais ne sont pas avares: « sexy but no sex, the
frustration night ». En d’autres termes, le maître des
lieux attendait des participants qu’ils se prêtent à
tous les jeux possibles de la séduction, des plus
softs aux plus hards, mais il était hors de question
de conclure. Tout contrevenant s’exposait à une
interpellation immédiate par l’un des nombreux
vigiles en faction, tous vêtus de combinaisons
transparentes, dont les éléments féminins n’étaient
pas les moins impressionnants de muscles. Les
menottes noires qui leur servaient de collier en
disaient suffisamment sur leur motivation à faire
respecter la loi du banquier.
Mais avant d’être exclus sans autre forme de
procès, les contrevenants devaient répondre
physiquement de leur faute. Homme ou femme, les
soumis se voyaient condamner à une séance de
domination qui n’était pas à mettre en toutes les
mains. Scénario inverse pour les dominateurs.
Quant aux simples amateurs d’uniformes fétichistes
sans penchant affiché, un tirage au sort décidait de
la nature de leur sanction. La soirée devant se
montrer riche en punitions de tous poils,
l’organisateur s’était assuré les services d’une
équipe mixte d’animateurs chargée de ranimer les
libidos paresseuses. Pour expliquer les poussées de
fièvre parfois impressionnantes de certain(e)s le
bruit circulait que le Ruinart rosé servi à volonté
avait été relevé par des substances beaucoup plus
efficaces que les 13 degrés réglementaires.
Michelle s’était jusqu’à présent fort bien tenue. Elle
ne pouvait lâcher ses yeux de cette petite brune qui
venait de dézipper l’arrière du pantalon en cuir d’un
géant noir agenouillé sur une table basse d’acier.
Ses mains étaient menottées aux chevilles d’une
femme blonde dressée sur des bottes effrayantes
dont la minijupe rouge cachait à peine une toison
que l’on devinait abondante. La laisse qui pendait
au cou de la petite brune prouvait qu’elle ne jouait
pas là son rôle habituel. Une de ses mains gantée
de latex tentait de se frayer un chemin dans l’anus
du géant, tandis que l’autre lui malaxait les
testicules plus brutalement. Dès qu’elle relâchait un
peu son effort, un vigile venait la rappeler à l’ordre,
poliment mais fermement.
-Vous aimez Erik Satie, madame la ministre ?
Elle sursauta comme si quelque vulgaire venait de
lui mettre une main aux fesses.
- Ne vous en faites pas, je ne vais pas hurler à cette
sympathique assemblée qu’elle se trouve en ce
moment sous surveillance gouvernementale. Je me
demandais juste si, comme moi , vous pensiez que
le charme de cette soirée tenait pour beaucoup à sa
bande musicale. Les Gnossiennes pour encourager
des danseurs n’osant rien faire d’autre que de
s’exciter, et accompagner les gémissements de
ceux qui ont cédé à la tentation cela a quelque
chose d’ensorcelant, non?
- Vous vous foutez de moi, lâcha Michelle en
observant la femme blonde uriner sur le visage du
géant noir qu’elle avait forcé à se retourner.
- Non, ce n’est pas mon genre, répondit Max qui
jouait avec la fermeture éclair de son blouson en
daim glacé dont il était particulièrement fier. Son
short, auquel Michelle ne put s’empêcher de jeter
un œil, moulait avantageusement son sexe. Il était
pieds nus. Ce type étrange, séduisant, se distinguait
du profil-type des participants à ce genre de
soirées. Comme elle, d’une certaine façon.
- Que faites-vous ici ? gronda-t-elle au moment où
la femme blonde qui prenait en étau dans ses
bottes vernies la tête inondée du géant noir,
commençait à se masturber.
- J’observe. Une coupe de champagne? lui demanda
t il en avisant un serveur seulement vêtu d’un
harnais de cuir qui lui maintenait le sexe en une
érection laborieuse.
- Merci. Je me méfie des breuvages que je ne
contrôle pas. Vous comprendrez qu’il faut que je
garde un minimum de contrôle. Comment m’avez-
vous reconnue ?
- Une femme seule, masquée… Cela ne pouvait être
que vous.
- Arrêtez les balivernes ou je vous mets entre les
mains de cette blonde qui a l’air de savoir ce qu’elle
veut.
- Oh, oui s’il vous plait, répondit Max en riant à
peine. Si vous acceptez de danser, je promets de
vous livrer le secret qui me permet de voir à travers
les masques.
Le sexe de Max se colla à la combinaison de Michèle
qui empruntait beaucoup à celle portée par la
catwoman Michelle Pfeiffer dans « Le retour de
Batman ».
- J’aime prendre ma vieille Norton Commando pour
venir à ces soirées. Je n’ai pas besoin de vous
expliquer les sensations que la moto procure, vous
avez certainement lu Pieyre de Mandiargues, lui
glissa-t-il à l’oreille. Et puis, sous le casque, on voit
sans être vu. A l’instant où je dépassais votre Mini
Cooper juste après la grille d’entrée du château,
vous tentiez maladroitement d’enfiler votre masque.
Pas très prudent. Le visage que j’ai deviné me disait
quelque chose.. Ensuite, votre allure, appuyée
légèrement contre ce mur, a levé tous mes doutes.
La ministre que rien n’empêche jamais de porter
des hauts talons et une jupe ajustée était bien là.
A trois heures du matin, sur la route de retour vers
Paris, ils s’arrêtèrent dans la forêt de Rambouillet.
Michèle s’installa derrière Max et le clair de lune sur
leurs visages tendus. La vibration du moteur mal
suspendu de la Norton lui remontaient dans les
cuisses. Elle descendit la fermeture éclair de sa
combinaison suffisamment bas pour pouvoir se
caresser le sexe et s’empara de celui de Max. Dix
kilomètres plus tard, dévorés tous feux éteints sur
un chemin habituellement réservée aux chevaux, le
foutre de Max s’égara dans les cheveux de Michèle.
Enroulée autour de son épaule pour le voir jouir, elle
lui ordonna de s’arrêter.
- Laisse le moteur tourner et penche-toi en avant,
les mains posées sur la selle. Elle ouvrit entièrement
sa combinaison et écarta les jambes. De son sexe,
elle retira un godemiché ruisselant pour le planter
dans l’anus de Max.
- Branle-toi.
Cette fois, ils jouirent tous les deux ensembles. Le
hurlement de Michelle fit fuir tout ce que la forêt
comptait d’animaux en vadrouille dans un rayon d’à
peu près trois cents mètres.
Le garde-chasse se demande encore pourquoi tout
trace de vie a disparu de cette zone pendant une
semaine.
De cette nuit-là est né le pacte de Rambouillet.
Pacte dans lequel Marx Ernest et Michèle Pascal, par
delà l’amitié qui allait les rapprocher, s’engageaient
à satisfaire dans les meilleurs délais les désirs
sexuels exprimés par l’une des deux parties.
Elle mesurait que trop le risque à cultiver une telle
relation. Et Max savait fort bien qu’elle avait besoin
de lui, de sa discrétion, de sa fantaisie. Par jeu
autant que par récompense, Michèle lui livrait
régulièrement des informations confidentielles. A lui
d’en faire le meilleur usage. Elle le jugeait
suffisamment intelligent pour ne pas la griller.
Ce samedi là, donc, Max semblait ailleurs.
- Tu as un problème, lui demanda-t-elle en
examinant avec délectation la culotte qu’elle venait
de sortir du sac noir sans estampille qui signait la
marque Maurice Franck. Ces deux zips sur les fesses
la ravissaient.
- Tu connais Philippe Caubère, le patron de
l’international de Thomfils ?
- Oui, je l’ai vu il y a une quinzaine de jours. On
devait préparer un voyage à Dubaï à qui il veut
vendre un système de surveillance sous-marine.
C’est important pour la boîte mais aussi pour tout le
reste de l’industrie militaire. Ca marquerait notre
retour dans la région. Pourquoi ?
- C’est un vieil ami. Il se passe des choses bizarres
autour de lui. Des coups de fil anonymes, des clics
sur sa ligne, l’impression d’être suivi, des courriers
incompréhensibles. Comme si on voulait le
déstabiliser. Un moment, il a pensé que c’était lié à
sa prochaine installation à la présidence du groupe.
Il est détesté par une bande de vieux grognards de
la boîte qui n’ont pas accepté sa progression
fulgurante. Mais ça me semble un peu gros. Tu
pourrais voir si on sait quelque chose chez toi ?
- Je vais essayer. Mais tu sais, en ce moment, tout le
monde est sur le qui-vive. Au ministère aussi, je
sens des manœuvres, mais je n’ai pas encore
vraiment trouvé d’où elles venaient.
- Oh, et puis en plus c’est le printemps, ça me
déprime.
- Tu perds la tête ou quoi ?
- Tu sais bien que le printemps, c’est les mini-jupes,
les jambes nues, la déprime quoi !
Georges qui essayait toujours d’écouter sans
entendre les conversations entre Max et Michèle
leva un œil vers son rétroviseur
- On peut même plus s’entraîner à deviner si les
filles portent des collants ou des bas, des bas-
jarretières ou des vrais bas. Plus de présélection par
les bas, enfin je veux dire le bas.
C’est juste insupportable.
- Dis donc, tu serais pas un peu fétichiste, lui lança
Michèle en lui caressant le visage avec sa nouvelle
culotte en cuir,
Max avait vu le regard de Georges se réveiller à
l’énoncé de sa théorie du printemps-tue l’amour.
-Qu’est ce que vous en pensez, vous, Georges ?
- Je dois admettre que je suis assez d’accord avec
vous Monsieur Ernest.
Ces deux confessions convainquirent définitivement
Michèle Pascal que Georges Armand faisait partie du
club. Sa disparition en était d’autant plus
inquiétante.
Le dilemme
Les deux types avaient été courtois mais fermes.
Votre fils Richard est à nouveau dans de très sales
draps, monsieur Armand. Sa mise à l’épreuve après
l’affaire d’Ukraine, ne lui a pas servi de leçon. Cette
fois, c’est beaucoup plus sérieux. Alors, voilà. On va
être très directs.
Un grand dégarni, un petit brun mal rasé. Ils
s’étaient invités à l’arrière de sa voiture au moment
où il sortait du ministère pour rentrer chez lui, en lui
jetant sous le nez une carte d’agent de la DGSE.
Cette affaire vous dépasse, Monsieur Armand, et
d’une certaine façon nous aussi. Alors, voilà. On
soupçonne en haut lieu, une infiltration de l’appareil
d’Etat. La question est d’en découvrir les canaux. La
ministre est sur la sellette. Vous la connaissez bien,
vous la voyez tous les jours. C’est elle qui vous a
choisie, vous devez donc avoir sa confiance.
Comprenez bien monsieur Armand, nous parlons là
peut-être d’une affairer d’Etat, de la sécurité même
du pays. Alors, débrouillez pour savoir si la ministre
la met en péril ou non. Et comment. Vous avez bien
compris que l’avenir de votre fils Richard dépend
beaucoup de la qualité de votre collaboration. Même
jour, même heure, la semaine prochaine, monsieur
Armand. C’était le grand dégarni qui avait parlé. Le
petit mal rasé donna le signal de départ sous le
métro aérien à la station Dupleix.
Le pire moment de sa vie avec l’explosion de la gare
Saint- Lazare.
Un quart d’heure prostré, sans entendre le
grondement des rames, sans entendre les coups de
klaxon d’énervés par ce jean-foutre, sans entendre
les insultes de piétons en pétard contre cette
bagnole campée sur leurs clous. La violence du choc
le sortit de sa catalepsie. Comme si un pavé avait
atterri sur le toit de la 605 ministérielle. Il devina le
visage d’un type qui devait tutoyer les trente ans à
travers son pare-brise. La barbe blondasse
incertaine, une veste de velours pendouillante
comprimée par la bandoulière usée d’une sacoche
incertaine. Le genre qui l’exaspérait. L’harangue du
marcheur haineux, gesticulant, ses petites mains de
rouquin tendues vers les bandes blanches peintes
sur la chaussée qu’il estime lui donner tous les
droits. Connard !
Georges sortit de la voiture. Lentement. Il n’avait
aucune envie de parler. Il se dirigea vers son
agresseur avec la tranquille détermination d’un
candidat au suicide, qui sait que la moindre
hésitation face au vide serait fatale à son dessein,
et lui balança une gifle à assommer un deuxième
ligne. En se réinstallant tout aussi calmement à son
volant sous le regard stupéfait de passants à la
recherche de la caméra filmant ce qui ne pouvait
être qu’une scène d’un méchant polar, Georges prit
sa décision. Il n’avait pas le choix. L’avenir de son
petit salopard de fils et l’hypothèse de dérapages de
sa ministre préjudiciables à l’intérêt national
primaient sur tous les vœux de loyauté qu’il avait
formulés. Même si, en regardant dans son
rétroviseur le connard se relever péniblement avec
l’aide de sa copine déformée par une salopette, il
crût deviner l’image de Michèle Pascal assise sur la
banquette arrière en train de déboutonner ce
manteau de cuir pourpre qu’il aimait tant.
La séance
Max Ernest, lui, ne titubait pas sous l’effet de
l’alcool. Il était simplement rompu après une après-
midi de soudure dans le jardin de sa grand-mère
Géraldine née et établie depuis toujours à Saint-
Prix, en bordure de la forêt de Montmorency. Elle
s’appellerait Maxella. Une géante de 17 mètres,
tout en poutrelles d’acier mangé par la rouille, qui
en remontrerait à l’arrogante église du village. Sa
deuxième jambe prenait enfin forme. Il hésitait à la
laisser brute. Géraldine, qui n’avait plus ses yeux
mais encore toute sa tête, était venue la toucher,
la caresser. « Elle a de jolies chevilles ».
En grimpant ses escaliers, il se demandait si
Maurice serait capable de confectionner une parure
pour Maxella. A sa hauteur. L’écran de son
ordinateur éclairait le loft de sa lumière bleuâtre.
L’image s’anima. Une silhouette dansait, face à un
mur blanc. Cette pièce immaculée lui disait
quelque chose. La musique aussi. La silhouette se
retourna. « Je veux que tu viennes ici,
maintenant ». La voix grave de Corinne, son allure
et la chanson sans fin de Cure : Killing an Arab. Il
ne lui connaissait pas ce tailleur de cuir rouge
verni, mais c’était bien le salon de l’appartement
dont elle avait hérité de sa mère. A Fécamp, au
dernier étage d’un vieil hôtel revendu à la découpe.
Avec une formidable vue sur la mer grise. Elle avait
donc tout préparé. La connexion Internet, la
webcam et le micro activés, tournés vers l’entrée
du loft pour surveiller son arrivée.
Deux heures plus tard, Max entrait dans Fécamp au
volant de la Chrysler PT Cruiser qu’il avait fait
transformer en cabriolet. Ils mangèrent d’abord les
17 paires de spéciales N°2 que Corinne avait
déposées tous les deux mètres sur le parquet, le
long des lambris ouvragés du séjour. Max rampait
de l’une à l’autre, se renversant sur le dos à
chaque halte pour tendre une huître à Corinne qui,
les jambes écartées au-dessus de son visage, se
penchait et la lapait. En équilibre sur le lit recouvert
de soie noire, deux superbes Gillardeau les
attendaient en regardant la Manche.
Ils se levèrent tôt le lendemain matin. Corinne avait
rendez-vous pour une échographie de contrôle à
Paris et Max devait retrouver un vieil ami marchand
d’art plein aux as depuis la vente à un milliardaire
chinois de sa plateforme de cotation d’œuvres en
ligne.
- Merde, je vais finir par être en retard, grogna un
peu fort Max qui tentait de retrouver son chemin
sur une autoroute noyée par la pluie. Les gouttes
s’abattaient avec une telle violence que le bruit de
leur impact lorsqu’elles mourraient sur la capote
rendait approximative une conversation suivie.
- Pourquoi tu dois voir Jean-Baptiste ?
- Je lui ai vendu un projet énorme. Le truc devrait te
plaire. La plus belle fête jamais organisée à la
Centrale.
Cette Centrale, Max en était fou. Il ne fallait pas
chercher bien loin l’explication de cette passion
pour les bâtiments industriels. Son père, Jean-
Pierre, s’était brûlé les vaisseaux à couler des
barres d’acier à Gandrange pendant plus de vingt
ans avant de claquer d’un arrêt du coeur. La
médecine du travail assura plus tard que c’était
évidemment imprévisible. Il avait quarante-trois
ans, Max vingt-deux. Sa mère, Jeanne, qui peignait
pour tuer l’ennui dans leur F3 de Thionville, se
défenestra le lendemain. Max retrouva dans le
cabanon de leur petit jardin ouvrier, une
cinquantaine de tableaux miniatures empilés au
fond d’un coffre en bois. Des yeux, des yeux,
encore des yeux. Tous en gros plan, tous en
amande. Comme ceux de Jeanne, qui faisaient
l’unanimité dans la communauté masculine de leur
petite cité. Et quelques sexes féminins béants, tout
simplement magnifiques. Il ne connaissait pas celui
de sa mère mais ne douta pas qu’il s’agissait là
aussi d’autoportraits. Seul son père aurait pu le
confirmer.
L’image de sa mère face au miroir, jambes
écartées, pinceau en main, le hanta pendant
plusieurs jours.
Ce viol post-mortem le poursuivait encore dans le
train qui le ramenait vers Paris. Il avait fui
Thionville juste après l’enterrement, confiant au
frère de son père, - sa mère était fille unique et
orpheline - , le soin de liquider les biens personnels
de ses parents et de lui expédier les tableaux. Le
petit livre trouvé au fond du coffre était tout corné.
Une biographie de Modigliani dont Jeanne lui avait
souvent parlé. Il la feuilletait en songeant à sa
mère essayant de percer le mystère de toutes ces
femmes. De leurs yeux. Elle lui en avait
souvent parlé: « tu vois Max, le génie de Modigliani
c’est qu’on ne le comprend pas. On ne comprend
pas comment il arrive à peindre des yeux
d’apparence aussi grossière et pourtant si
puissants. Ils te parlent comme si tu étais la
personne la plus importante au monde, et en
même temps ils te disent tout de celle qui te
regarde ».
En peignant ses yeux, Jeanne voulait peut-être
montrer de son âme davantage que sa timidité le
lui avait autorisé. Mais son sexe ? Personne ne
pourrait jamais en dire plus à Max qui se résolut à
explorer la littérature savante sur la question.
En attendant il se plongea dans le petit livre tout
corné. La gare de Reims venait d’être avalée par
l’express qu’il avait attrapé en changeant à Metz,
lorsque Modigliani succomba un soir glacial de
janvier 1920 au fond d’une soupente parisienne,
épuisé par le mauvais rhum et des poumons
dévastés. Il avait trente-cinq ans. Dans la nuit qui
suivit, Jeanne Hébuterne, sa dernière compagne, se
jeta par la fenêtre du cinquième étage de
l’appartement de ses parents.
Le voyage de David
Le lundi suivant l’interception de la vidéo sur
l’ordinateur de la ministre de la Défense française,
David Rosen atterrissait à l’aéroport de Roissy après
une nuit passée à Barcelone. Il utilisait toujours un
passeport espagnol en mission. Une bonne partie de
sa scolarité s’était déroulée à Madrid. Il y avait
rejoint ses grands parents diplomates après que son
père, garde-frontière, fut tué au début de la
première Intifada. Sa mère, fortement dépressive,
ne pouvait assumer seule son éducation. Des cinq
années passées ensuite à Paris où son grand père
avait été nommé conseiller militaire de l’ambassade
d’Israël, il gardait un français sans accent.
L’étude de la vidéo confiée aux techniciens du
Mossad n’avait pas apporté d’éléments
déterminants. Rien sur la date ni le lieu du
tournage, pas de trace de l’ « expéditeur ». Autant
dire que David débarquait en touriste. Les contacts
activés avant son départ ne l’enthousiasmaient pas.
Revenir à l’essentiel, donc : Michèle Pascal. Qui la
menace et pourquoi ? Comment va-t- elle réagir ?
A-t-elle informé quelqu’un de cette intrusion sur un
réseau à priori hyper-protégé ? Si oui, qui ?
La seule piste dont disposait David était la
prestation de cette femme manchote sur un divan
de cuir violet. Pas besoin d’avoir fréquenté les
donjons spécialisés pour saisir son caractère
fétichiste. So what? Ceux qui cherchent à
déstabiliser Michèle Pascal avec une vidéo ont-ils
voulu lui montrer qu’ils connaissaient tout de ses
secrets ? Si tant est qu’elle aussi navigue dans ces
univers. Le message signifiait peut-être seulement
que les conspirateurs savaient qu’elle se faisait
analyser et que ses confessions étaient filmées.
Comme il devait y avoir à peu près autant d’écoles
de psychanalyse françaises que de tendances au
sein du parti travailliste israélien, David écarta vite
l’idée d’interroger une organisation professionnelle.
Restait la tactique de la surenchère. En d’autres
termes, se substituer à ceux qui ont porté la
première attaque. Avec un objectif simple : mettre
la main sur des documents suffisamment
compromettants pour convaincre Michèle Pascal
d’empêcher par tous les moyens Thomfils de
décrocher son contrat avec les Emirats. En termes
plus directs, il s’agissait de faire chanter la ministre
de la Défense de la deuxième puissance militaire
européenne, les tentatives de déstabilisation de
Philippe Caubère n’ayant jusqu’à présent pas
abouti. Tout simplement.
Le bluff. David ne voyait pas d’autre solution.
Mais pour cela, il lui fallait d’abord lever deux
incertitudes. La personnalité de Michèle Pascal était-
elle compatible avec la fréquentation d’une
psychanalyste au profil pour le moins singulier car,
soit il s’agissait d’elle sur la vidéo soit, plus
improbable, elle acceptait que des patients se
livrent à ce genre d’acrobaties dans son cabinet?
Ensuite, pouvait-il trouver un moyen d’entrer en
contact direct avec Michèle Pascal ?
Tombé amoureux de la France, son grand-père
coulait les jours paisibles de sa retraite dans un
délicieux petit pavillon du Vésinet. L’idée de revenir
seul au pays après que sa femme fut foudroyée par
une hémorragie cérébrale à trois mois de la date
prévue de leur départ, lui avait semblé
insupportable. David s’était jusqu’à présent refusé à
lui révéler la nature de ses activités. Mais il ne se
faisait pas d’illusion : cet homme discret se doutait
bien qu’il ne vendait pas des oranges de Jaffa lors
de ses nombreux voyages à l’étranger. Son intuition
hors du commun lui avait joué trop de tours lorsqu’il
s’était essayé à lui cacher ses frasques
d’adolescent.
Dans le RER souffreteux qui semblait chercher un
peu d’air en jaillissant du ventre de La Défense,
David s’interrogeait encore sur la tactique à
employer pour convaincre son grand-père de l’aider
en réactivant ses réseaux parisiens. La nuit, elle,
hésitait à tomber.
La caméra
Allongée sur le divan qui respirait encore le parfum
de Michèle, Annette pleurait. Les larmes dévalaient
son visage livide avant de former de minuscules
bulles sur le cuir incapable de les absorber.
L’épreuve, d’une violence extrême, l’obligeait à
reconsidérer toutes les raisons qui l’avaient
convaincue de mettre en place ce dispositif
d’enregistrement. Tant qu’il restait secret, elle
pouvait s’accommoder des scrupules en visite
régulière du côté de ses certitudes. Il en était
désormais tout autrement. Des gens savaient, et
elle ne savait rien de ces gens, ni de leurs réelles
intentions. Un ennemi pour le moment invisible,
imprévisible. Elle se sentit soudain épuisée. Et
terriblement seule, aussi seule que lorsque Philippe
lui avait annoncé son départ, vingt cinq ans plus tôt.
Ce n’était plus la culpabilité mais bien la peur qui
nourrissait des sanglots devenus incontrôlables.
Maintenant, la caméra tournait.
« Je me souviens encore de la tête du jeune
installateur de vidéosurveillance en découvrant mon
projet. Déjà, il n’avait pas dû mettre souvent les
pieds dans un cabinet de psychanalyste. Et en plus
cette manchote, quand même assez sexy, qui lui
demandait de placer une caméra pour enregistrer
ses patients…
-Madame, je ne sais pas si je dois… Mais enfin ça ne
me semble très légal ce que vous voulez faire là.
C’est quand même la vie privée des gens. Vous
savez, on doit respecter la réglementation.
« Je lui avais assuré que nous autres psys ne
pouvions pas non plus faire n’importe quoi. Et que
si je souhaitais dissimuler le dispositif, c’était pour
qu’il ne pèse pas sur le travail de mes patients.
Mais, bien entendu, je leur demanderai
l’autorisation de conserver les enregistrements
lorsqu’ils me quitteraient. C’était tout l’objet de ce
projet. Une expérience in vivo visant à tester une
nouveau protocole psychanalytique. Pour moi, bien
sûr, qui pourrait enrichir le suivi de mes patients en
utilisant leur gestuelle, leurs regards. Avec cet
avantage énorme de pouvoir revenir sur des
moments passés de leur analyse. Mais aussi pour la
communauté de thérapeutes à qui j’envisageais de
projeter au cours de séminaires certains de ses
films sur lesquels j’aurais bien sûr pris la précaution
de flouter les visages. Dans mes rêves les plus fous,
j’imaginais même constituer une base de données
vidéo par thèmes ou par pathologies.
Pourquoi m’étais-je mis dans la tête cette idée
dangereuse et fort contestable ? Je traversais une
période pénible de ma vie. Ce sentiment de
profonde injustice qui régulièrement venait
déranger mon fragile équilibre m’avait plongé dans
un profond désespoir. Je venais d’avoir quarante
ans. Avec le temps qui passait, ce bras manquant
faisait de plus en plus mal. Une vieille mutilée, voilà
ce que j’allais devenir. Jusqu’à présent, j’étais certes
manchote, mais j’étais aussi une jolie fille. Et
j’aimais ça, j’aimais cette image ambiguë, sexuée, à
priori inadaptée à mon handicap. Un contraste
troublant, choquant, violent entretenu par cette
garde-robe pour le moins typée que j’adorai. Mais
quel plaisir cela me donnait de violer les
convenances.
L’eau
La piscine de la porte de Champerret présente une
anomalie majeure que son architecte, tout à son
obsession de lui conserver une ouverture sur le
monde extérieur, n’a pas voulu corriger. Sa plage
n’est pas complètement cernée de murs. Un simple
grillage planté sur des soubassements métalliques
sert de frontière avec la rue. Jean-Paul Hamon, le
directeur de l’établissement qui ce matin scrutait
l’eau du bassin remuée par une pluie battante d’un
mois de juillet décidément calamiteux, songeait
souvent au risque d’effraction. Mais, comme il
l’avait dit une demi-heure plus tôt à l’inspecteur qui
l’informait au téléphone de l’événement, jamais il
n’aurait imaginé que des nuitards abîmés puissent
fracasser un jour la clôture d’un coup de voiture.
L’interruption soudaine de l’averse lui permit
d’identifier le véhicule gisant au fond du grand
bain : une vieille Austin vert foncé dont la noyade
ne porterait pas un préjudice considérable à son
propriétaire. Là n’était pas l’essentiel. La scène
avait certes quelque chose de grotesque, de
presque drôle. Mais pour Jean-Paul Hamon, elle
consacrait à coup sûr l’issue pitoyable d’un combat
tout aussi absurde depuis des semaines. Pour s’en
convaincre, il n’eût pas à attendre de découvrir,
entassés dans le pédiluve, les slips de bains que la
piscine proposait désormais à la location.
Les inquiétants résultats des analyses
bactériologiques de l’eau de baignade avaient rendu
inévitables de strictes mesures d’hygiène dont il
n’avait pas tout de suite soupçonné le caractère
explosif. Fini les boxers, fini les shorts et bermudas
en jeans, le slip de bain moulant était désormais
obligatoire pour les hommes. La révolte avait été
immédiate. D’abord les provocations des petites
racailles qui viennent se baigner sans respecter le
nouveau règlement. Tony, le maître-nageur, avait
failli craquer plusieurs fois face à ces gamins ravis
de se mesurer sur ce nouveau terrain propice au
déferlement d’obscénités en tout genre.
Et puis, était tombée cette déclaration de l’imam de
la mosquée de Colombes mettant en garde ceux qui
ne comprenaient pas qu’une telle obligation puisse
être incompatible avec les règles de pudeur
prescrites par l’islam. La curée. Toutes les
grenouilles de bénitier musulmanes du coin étaient
montées comme un seul homme dans ce misérable
train de la vertu. Les petits loubards n’attendaient
que cela pour se motiver et donner une apparence
de substance à leur refus de céder.
La repentance
Max (ou Philippe) pour lui faire des révélations
concernant ceux qui en veulent à Michèle. Max en
parle à Philippe.
L’enterrement de Corinne
Enterrement dans le Béarn. Racontée par Annette
venue pour Max. Elle tombe sur Antoine qui trouve
le comportement de Maurice étrange. Annette
revoit Philippe pour la première fois depuis leur
séparation
La fête
Une partie du petit monde de l’enterrement s’y
retrouve ; Télescopage des évènements. C’et l’autre
histoire qui se joue là :
L’emmerdeuse
Béatrice va voir Max