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Leçon n° 1 : L’identification du droit de la fonction publique

I. Les sources du droit de la fonction publique

Les sources du droit de la fonction publique, et plus largement du droit administratif, ne sont
pas figées. Elles évoluent avec le temps. L’étude des sources du droit de la fonction publique
met en lumière trois mouvements :
- tout d’abord, un important développement des sources constitutionnelles ;
- ensuite, une montée en puissance conséquente des sources européennes ;
- enfin, un déclin indéniable de la jurisprudence au profit du droit écrit.

A. La constitutionnalisation du droit de la fonction publique

Il est évident que la constitutionnalisation du droit de la fonction publique n’est que relative.
La Constitution n’a, en effet, pas vocation à régir l’ensemble du droit de la fonction publique.
L’évocation d’une constitutionnalisation du droit de la fonction publique tend uniquement à
souligner que la Constitution détermine certains aspects du droit de la fonction publique. Les
bases constitutionnelles du droit de la fonction publique concernent tout particulièrement la
répartition des compétences. On évoquera également certaines règles de fond applicables
aux agents publics.

1. La constitutionnalisation des règles de répartition des compétences

La Constitution précise les domaines respectifs de la loi ordinaire et de la loi organique.


L’article 64 de la Constitution prévoit ainsi que le statut des magistrats judiciaires doit être
édicté par une loi organique.

La Constitution distingue surtout le domaine de la loi de celui du règlement. Aux termes de


l’article 34, la loi fixe les règles « concernant les garanties fondamentales accordées
aux fonctionnaires civils et militaires de l’État ». La notion de "garanties fondamentales"
est tellement floue qu’il est impossible d’en proposer une définition à l’aune de laquelle on
pourrait comparer les différentes garanties dont disposent les fonctionnaires. Même si cela est
profondément insatisfaisant on peut seulement affirmer que n’est une garantie fondamentale que
ce que le juge qualifie comme tel ! Il ressort de la jurisprudence que constituent notamment des
garanties fondamentales :
- la détermination des modes de recrutement, mais pas les modalités du choix du jury du
concours ;

1
- le droit, reconnu à tout fonctionnaire, de percevoir une rémunération après service fait
(CE, Ass., 11 juillet 1984, Union des groupements de cadres supérieurs de la fonction
publique, Rec. p. 258) ;
- le droit à pension reconnu aux anciens fonctionnaires...

L’article 34 de la Constitution fournit un autre titre de compétence au législateur.


Ce dernier est, en effet, compétent pour déterminer les principes fondamentaux «
de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de
leurs ressources ». Cette disposition a été interprétée comme constituant « un titre de
compétence du législateur dans le domaine de la fonction publique territoriale ». Le
législateur sollicite à l’excès cette disposition, ce qui le conduit à empiéter sur la
compétence réglementaire. Le gouvernement pourrait toutefois réagir en recourant à la
procédure de délégalisation prévue par l’article 37, alinéa 2, de la Constitution. Compte
tenu de cette attitude du législateur, le domaine du pouvoir réglementaire autonome
est, en pratique, très réduit. De la même manière, le pouvoir réglementaire d’exécution
des lois est généralement assez limité.

Enfin, la Constitution répartit, dans ses articles 13, al. 2, et 21, al. 1er, la compétence en
matière de nomination aux emplois civils et militaires de l’État.  Développer ce
point ???

2. La constitutionnalisation des règles de fond

Etant placés au service de l’Etat, et donc de l’intérêt général, les fonctionnaires sont placés
dans une situation distincte de celle des salariés de droits privés. Leur statut ou leur condition
juridique s’en ressent. Il convient de préserver un équilibre juste ou raisonnable entre les
droits des fonctionnaires et les obligations qui pèsent sur eux. Cet équilibre varie dans le
temps. Le Conseil constitutionnel a ainsi, à plusieurs reprises, hissé le niveau de protection
dont disposent les fonctionnaires. Pour cela, le juge constitutionnel a sollicité différents
éléments du bloc de constitutionnalité :
- la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (en matière d’égalité,
notamment, son article 6 posant le principe d’égale admissibilité aux places et
emplois publics, ou encore en matière de liberté d’opinion et de liberté de
conscience) ;

2
- le préambule de la Constitution de 1946 : directement (en matière de liberté
syndicale, de participation des travailleurs ou encore de droit de grève) ou plus
indirectement via les principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République (par exemple en dégageant le principe de l’indépendance des
professeurs d’université) ;
- et, bien sûr, le texte même de la Constitution (en matière de pouvoir hiérarchique
ou à propos de la neutralité des services publics par exemple).

B. L’européanisation du droit de la fonction publique

L’européanisation du droit de la fonction publique est contrastée : l’incidence du droit


communautaire sur le droit français de la fonction publique est beaucoup plus importante que
celle du droit européen (c’est-à-dire du droit issu du Conseil de l’Europe et forgé
essentiellement à partir de la Convention européenne des droits de l’homme).

1. L’impact considérable du droit communautaire

Cette influence apparaîtra de manière diffuse tout au long de ce cours. La dernière illustration
de cette influence est fournie par la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de
transposition du droit communautaire à la fonction publique.
Sans rentrer dans le détail, cette influence se concrétise via deux canaux privilégiés que sont
le principe de libre circulation des travailleurs et le principe d’égalité entre les hommes
et les femmes. Le principe de non-discrimination peut ainsi jouer en faveur des hommes. La
CJCE a notamment considéré que le système français offrant en matière de retraite une
bonification d’ancienneté aux fonctionnaires mères de 3 ans et non aux pères violait le principe
d’égalité.

2. L’incidence limitée du droit européen

L’influence du droit de la Convention européenne des droits de l’homme est moindre que
celle du droit communautaire. Pour ce qui est des garanties de fond offertes par la Convention, le
droit français semble offrir un niveau de protection satisfaisant très largement les standards
européens.
Le principe de non-discrimination posé par l’article 14 de la Convention a néanmoins joué
et pourrait encore jouer un rôle important en matière de pensions et d’égalité entre les hommes et
les femmes.
C’est toutefois en matière de garanties procédurales que la jurisprudence est la plus

3
abondante. La Cour européenne des droits de l’homme admet désormais très largement
l’applicabilité de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention au contentieux de la
fonction publique. Les fonctionnaires peuvent donc se prévaloir du droit à un procès
équitable dans le cadre des litiges qui les opposent à leur employeur public.  Evoquer
ici Pellegrin et Eskelinen ???

CEDH, 19 avril 2007, Eskelinen / Finlande

L’arrêt Pellegrin […] devait fournir un concept opératoire sur la base duquel on
vérifierait, au cas par cas, si compte tenu de la nature des fonctions et des responsabilités
qu’il comportait l’emploi d’un requérant impliquait une participation directe ou indirecte
à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions visant à sauvegarder les intérêts
généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques. Il fallait ensuite déterminer si le
requérant, dans le cadre de l’une de ces catégories de postes, occupait bien des fonctions
pouvant être considérées comme relevant de l’exercice de la puissance publique, c’est-à-
dire si la position de l’intéressé dans la hiérarchie de l’Etat était suffisamment importante
ou élevée pour que l’on puisse dire qu’il participait à l’exercice de l’autorité étatique.
11. Cependant, le cas d’espèce fait apparaître que l’application du critère fonctionnel peut
en soi déboucher sur des anomalies. A l’époque considérée, les requérants relevaient du
ministère de l’Intérieur. Cinq d’entre eux étaient policiers, emploi illustrant parfaitement
les activités spécifiques de l’administration publique telles que définies ci-dessus. Leur
poste impliquait une participation directe à l’exercice de la puissance publique et à des
fonctions visant à sauvegarder les intérêts généraux de l’Etat. Quant aux fonctions de
l’assistante, elles étaient purement administratives, dépourvues de compétence
décisionnelle ou d’exercice direct ou indirect de la puissance publique ; elles ne pouvaient
donc être distinguées de celles de n’importe quelle autre assistante administrative
travaillant dans le secteur public ou dans le secteur privé. […] l’arrêt Pellegrin
mentionnait expressément la police comme exemple manifeste d’activités relevant de
l’exercice de la puissance publique, et soustrayait ainsi toute une catégorie de personnes
du champ d’application de l’article 6. Il découlerait d’une application stricte de l’«
approche Pellegrin » que, dans la présente affaire, l’assistante administrative
bénéficie des garanties de l’article 6 § 1 alors que ce n’est assurément pas le cas pour
les requérants policiers, même si le litige est identique pour l’ensemble des intéressés.
22. En résumé, pour que l’Etat défendeur puisse devant la Cour invoquer le statut de
fonctionnaire d’un requérant afin de le soustraire à la protection offerte par l’article 6,
deux conditions doivent être remplies. En premier lieu, le droit interne de l’Etat
concerné doit avoir expressément exclu l’accès à un tribunal s’agissant du poste ou
de la catégorie de salariés en question. En second lieu, cette dérogation doit reposer
sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’Etat. Le simple fait que l’intéressé relève
d’un secteur ou d’un service qui participe à l’exercice de la puissance publique n’est
pas en soi déterminant. Pour que l’exclusion soit justifiée, il ne suffit pas que l’Etat
démontre que le fonctionnaire en question participe à l’exercice de la puissance
publique ou qu’il existe – pour reprendre les termes employés par la Cour dans l’arrêt
Pellegrin – un « lien spécial de confiance et de loyauté » entre l’intéressé et l’Etat
employeur. Il faut aussi que l’Etat montre que l’objet du litige est lié à l’exercice de
l’autorité étatique ou remet en cause le lien spécial susmentionné. Ainsi, rien en
principe ne justifie de soustraire aux garanties de l’article 6 les conflits ordinaires du

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travail – tels ceux portant sur un salaire, une indemnité ou d’autres droits de ce type – à
raison du caractère spécial de la relation entre le fonctionnaire concerné et l’Etat en
question. En effet, il y aura présomption que l’article 6 trouve à s’appliquer, et il
appartiendra à l’Etat défendeur de démontrer, premièrement, que d’après le droit
national un requérant fonctionnaire n’a pas le droit d’accéder à un tribunal, et,
deuxièmement, que l’exclusion des droits garantis à l’article 6 est fondée s’agissant
de ce fonctionnaire.

C. Le déclin des sources jurisprudentielles

En l’absence de statut général de la fonction publique jusqu’en 1946, le Conseil d’Etat était le
garant traditionnel des droits des fonctionnaires. Même s’il est resté sévère en matière de
droit de grève, le Conseil d’Etat s’est progressivement affirmé comme le protecteur des
fonctionnaires. D’une jurisprudence quantitativement très abondante est né une sorte de statut
jurisprudentiel relativement protecteur. Ce "statut général non écrit" portait sur « les
principes généraux auxquels doivent satisfaire […] les opérations de concours, les
décisions de nomination, le régime de l’avancement, celui de la répression disciplinaire ».

L’adoption du statut de 1941 et surtout celle du premier statut républicain en 1946 ont accru
évidemment la place du droit écrit. La place dévolue au juge s’atténue à mesure que les
lacunes du droit écrit se raréfient. La question qui se pose désormais est celle de la
codification du droit de la fonction publique. L’adoption d’un code général de la fonction
publique est prévue, mais le projet stagne.

II. La « banalisation du droit de la fonction publique »

Cette idée d’une « banalisation du droit de la fonction publique » a été mise en lumière par le
professeur Jacques Bourdon dans un article paru en 2005. L’idée était déjà dans l’air du
temps, mais cette expression s’est imposée en doctrine.
Il paraît intéressant d’étudier les instruments de cette banalisation du droit de la fonction
publique avant d’en dresser le constat.

A. Les instruments de la banalisation du droit de la fonction publique

Dans une chronique intitulée « Vers la fin du droit de la fonction publique ? » parue en 1947,
Jean Rivero relevait que le statut général des fonctionnaires de l’Etat rapprochait
paradoxalement le droit de la fonction publique du droit du travail. La même

5
constatation est suscitée par l’application du droit communautaire au droit de la fonction
publique.
Les instruments de cette banalisation sont, par conséquent, principalement le recours aux
principes généraux du droit et l’application du droit communautaire.

1. Le recours aux principes généraux du droit (les rapports du droit de la fonction


publique et du droit du travail)

Le Conseil d’Etat recourt aux principes généraux du droit afin de dégager des règles
applicables aux agents non titulaires et/ou aux salariés des entreprises publiques à
statut. Les agents non titulaires ne bénéficient, en effet, ni de l’application du statut
général de la fonction publique, ni des dispositions du code du travail. C’est la raison
pour laquelle le Conseil d’Etat a repris certaines règles protectrices du droit du travail.

Le droit du travail n’est pas totalement étranger aux agents publics. Par exemple, les comités d’hygiène et de
sécurité introduits dans le statut général de la fonction publique sont directement inspirés des mêmes organismes
implantés dans les établissements industriels, commerciaux ou agricoles.
Le recours accru par les personnes publiques à des agents non titulaires a accentué la
référence au droit du travail.

a. La législation du travail, source d’inspiration privilégiée

Lorsqu’il entend accroître les garanties dont disposent les agents publics non titulaires, le
juge administratif se tourne prioritairement vers le Code du travail. Le Conseil d’Etat a ainsi
dégagé les principes suivants :
- l’interdiction du licenciement d’une femme enceinte (CE Ass. 8 juin 1973, Dame
Peynet, Rec. p. 406) ;
- l’obligation de respecter un seuil minimum de rémunération (CE Sect. 23 avril
1982, Ville de Toulouse / Mme Aragnou, Rec. p. 152) ;
- l’obligation pour l’employeur de reclasser un salarié atteint de manière définitive
d’une inaptitude à exercer son emploi et, en cas d’impossibilité, de prononcer son
licenciement (CE, 2 octobre 2002, CCI de Meurthe-et-Moselle, Rec. p 319).

D’autres règles non écrites ont été dégagées pour s’appliquer aux salariés contractuels de droit
privé des entreprises publiques à statut :
- l’interdiction des amendes ou autres sanctions disciplinaires (CE, Ass., 1 er juillet
1988, Billard et Volle, Rec. p. 268) ;
- la prohibition de discriminations à l’encontre de grévistes en matière de rémunérations et

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d’avantages sociaux ;
- le principe subordonnant la modification des éléments essentiels du contrat
de travail à l’accord de l’employeur et du salarié (CE, Ass., 29 juin 2001, Berton,
Rec. p. 296).

Le juge administratif ne se réfère toutefois pas uniquement au Code du travail. Ainsi


s’est-il référé, dans l’arrêt Berton, simultanément au Code du travail et au Code civil. De
même, dans l’arrêt CCI de Meurthe-et-Moselle de 2002, le juge administratif a sollicité les
dispositions pertinentes du Code du travail mais aussi « les règles statutaires applicables
dans ce cas aux fonctionnaires ».

b. La retenue du juge administratif dans l’appréhension du droit du travail

Le Conseil d’Etat n’a jamais appliqué directement le code du travail. La nouvelle règle qu’il
consacre transite toujours par le canal des principes généraux du droit dont s’inspiraient les
dispositions concernées du code du travail. Cette attitude tend à marquer l’antériorité de la
règle à sa consécration textuelle dans le Code du travail. Autrement dit, la règle en cause
existait déjà lorsque le législateur l’a consacrée en droit du travail. Mais surtout, cette
méthode permet au Conseil d’Etat de ne pas être liée par la jurisprudence développée par la
Cour de cassation à propos de la disposition concernée. Le recours aux principes généraux du
droit dont s’inspirait le Code du travail correspond donc assurément à une fiction. Cette
fiction permet toutefois au juge administratif de conserver une marge d’appréciation
importante et, le cas échéant, d’adapter la règle nouvelle aux spécificités de la fonction
publique.
Le Conseil d’Etat a d’ailleurs, dès l’arrêt Dame Peynet, refusé de procéder à un renvoi global au
Code du travail. Son commissaire du gouvernement, Suzanne Grévisse, lui proposait, en effet,
d’adopter le principe selon lequel « Lorsque les nécessités propres au service public n’y font
pas obstacle et lorsqu’aucune disposition législative ne l’exclut expressément, les agents de l’État
et des collectivités et organismes publics doivent bénéficier quelle que soit la nature du lien qui
les unit à leur employeur, de droits équivalents à ceux que la législation du travail reconnaît à
l’ensemble des salariés ».

La retenue du Conseil d’Etat à l’égard du Code du travail se manifeste aussi lorsqu’il refuse de
consacrer de nouveaux principes généraux du droit. Le juge administratif a notamment refusé de
consacrer :

7
- le principe excluant que l’administration puisse avoir recours à des entreprises de travail
temporaire en cas notamment de grève dans les services publics (CE, Ass., 18 janvier 1980,
Syndicat CFDT des Postes et Télécommunications du Haut-Rhin, Rec. p. 30) ;
- ou encore, le principe interdisant de licencier des agents publics du seul fait qu’ils seraient
en congé maladie (CE, 22 octobre 1993, Chambre de commerce de Digne, Rec. p. 579).

c. Le caractère protecteur des principes généraux du droit du travail

Le recours à la théorie des principes généraux du droit permet au Conseil d’Etat de garantir
une protection sociale minimum aux agents publics non titulaires. Cette protection prétorienne
des agents publics en situation de précarité est d’autant plus importante qu’ « il n’existe aucun
principe général du droit imposant de faire bénéficier les agents non titulaires de règles
équivalentes à celles applicables aux fonctionnaires »1.

Les garanties ainsi offertes aux agents publics non titulaires et aux salariés de droit privé des
entreprises publiques à statut n’ont cependant pas un caractère absolu. Elles peuvent, en effet,
être limitées si les nécessités du service public confié à l’entreprise ou à l’établissement
l’exigent. Ainsi les nécessités du service public pourraient-elles justifier l’attribution d’un
pouvoir de modification unilatérale de certaines clauses du contrat de travail au profit de
l’employeur.

2. L’influence du droit communautaire (le jeu du principe de non-discrimination)

Avec l’intrusion du droit communautaire, le recours aux principes généraux du droit utilisé
par le Conseil d’Etat disparaît. La règle applicable aux agents publics ne découle plus d’un
principe général du droit mais d’une règle de droit écrit émanant de l’autorité communautaire.
En transposant les directives européennes, le législateur français soit fait référence
directement au code du travail, soit reprend les dispositions de ce dernier pour les appliquer
aux fonctionnaires et aux autres agents publics. Le principe communautaire de lutte contre les
discriminations produit ici des effets uniformisateurs dans la mesure où il ignore toute
distinction entre agents publics et agents privés.

La transposition en droit national des directives concernées conduit à effacer la différence


entre droit de la fonction publique et droit du travail. Il arrive ainsi qu’un régime unique soit
établi pour tous les travailleurs qu’ils aient la qualité d’agents publics ou de salariés de droit

1
CE, Avis, 30 janvier 1997, n° 359.964, EDCE 1998, n° 40, p. 185.

8
privé.
Pour définir la personne handicapée, la loi du 11 févier 2005 pour l’égalité des droits et des
chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées introduit dans le statut
général des fonctionnaires un renvoi à l’article pertinent du code du travail.

La loi 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la


fonction publique efface les mesures de discrimination positive du droit de la fonction
publique en faveur des femmes. Différents dispositifs législatifs adoptés dans les années 70
avaient introduit des dérogations aux conditions d’âge ou de diplôme pour l’accès à la
fonction publique en faveur de certaines catégories de femmes. Ces mesures ont été jugées
contraires à une directive communautaire2. La CJCE a condamné cette discrimination fondée
sur le sexe qui n’entre pas dans le champ des « mesures visant à promouvoir l’égalité des
chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait »3. Se
conformant au droit communautaire, le législateur supprime l’inégalité de traitement soit en
étendant aux hommes les dérogations dont bénéficiaient seules les femmes, soit en abrogeant
les dispositions concernées. L’originalité du droit de la fonction publique dans l’action
positive en faveur des femmes pour lutter contre les discriminations disparaît.

La loi du 26 juillet 2005 harmonise avec le droit du travail le régime des congés de maternité,
de paternité et d’adoption des agents publics.

B. Le constat de la banalisation du droit de la fonction publique

1. Un droit autonome ?

Une branche du droit est dite autonome lorsque l’autorité compétente pour légiférer est
libre d’y adopter des solutions spécifiques, propres à cette branche. Le droit de la fonction
publique s’étant clairement construit en opposition avec le droit du travail, l’autonomie du droit
de la fonction publique ne paraît faire aucun doute. Il est, en effet, acquis que le code du
travail n’est pas applicable aux agents publics, sauf dispositions particulières (par exemple
en matière de représentativité syndicale).
2
Directive n° 76/207/CEE du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement
entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles
et les conditions de travail.
Dans un avis motivé en date du 15 juin 2001 (C (2001) 1407), la Commission a estimé que la loi française
effectue une différence de traitement entre les candidats féminins et masculins se trouvant dans des situations
similaires car elle « réserve la suppression de la condition d’âge ainsi que de la seule condition de diplômes aux
seuls candidats féminins ».
3
CJCE, 30 septembre 2004, Briheche / Ministre de l’Intérieur, ministre de l’Education nationale et ministre de
la Justice, aff. C-319/03.

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Trois éléments limitent désormais fortement l’autonomie du droit de la fonction publique.
Les deux premiers tiennent l’un et l’autre à l’évolution des sources de la matière. Il s’agit, tout
d’abord, de la constitutionnalisation du droit de la fonction publique qui limite, quelque peu,
l’autonomie de ce dernier. Le juge constitutionnel a ainsi étendu aux fonctionnaires le principe
de participation des travailleurs issu du préambule de 1946.
Le deuxième élément, beaucoup plus tangible, correspond à l’européanisation du droit de la
fonction publique. En effet, le droit communautaire repose très largement sur une logique
d’indifférenciation de la fonction publique et du secteur privé. Les fonctionnaires sont ainsi,
comme les salariés, des travailleurs au sens du droit communautaire, bénéficiant en principe de
la libre circulation et des mêmes droits sociaux. Cette logique européenne d’indifférenciation
porte en germe ce que certains auteurs nomment la « banalisation » de la fonction publique.
Enfin, troisième et dernier élément, l’autonomie de la fonction publique semble de plus en
plus contestée d’un point de vue politique. La critique de l’originalité du droit de la fonction
publique rencontre aujourd’hui un écho plus large dans l’opinion publique et la classe
politique.

Les salariés du secteur privé soutiennent une forte revendication d’égalité au point que
l’égalité entre salariés du secteur privé et fonctionnaires devient un enjeu de société. Si la
présence de règles dérogatoires au droit commun était autrefois admise par l’opinion publique
au motif qu’il s’agissait de compenser les sujétions liées à l’accomplissement de missions de
service public, ces mêmes règles sont aujourd’hui assimilées à des privilèges. L’exemple de la
réforme des retraites en 2003 et la volonté d’aligner le secteur public sur le secteur privé est
sur ce point particulièrement éclairant tout comme l’est aujourd’hui le débat sur les régimes
spéciaux. Les syndicats n’ont pas manqué d’exprimer leur indignation après que M. Fillon a
déclaré que le projet de réforme était prêt. Le gouvernement n’a, en effet, pas encore procédé
à la moindre concertation.

Tandis que les salariés contestent les avantages consentis aux fonctionnaires, les syndicats de
fonctionnaires admettent de moins en moins que les réformes du droit du travail dont
bénéficient les salariés ne puissent être étendues aux agents publics. On peut ainsi voir
poindre un principe « d’équivalence » entre secteur privé et fonction publique, principe qui
n’est pas, pour l’instant du moins, une règle juridique mais une source d’inspiration pour
l’édiction de la règle de droit de la fonction publique.

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Ce mouvement invite à se demander si l’avenir du droit de la fonction publique ne se trouve
pas dans le Code du travail. Les expériences étrangères montrent que même dans les pays
comme l’Italie ou la Suisse qui ont tenté de réduire la portion de droit public qui régissait leur
personnel, il n’a pas été possible de le faire totalement disparaître, notamment pour les agents
exerçant les activités régaliennes de l’État. En Italie, depuis une loi du 3 février 1993, 90 %
des agents de l’Etat sont soumis au droit du travail. Les mêmes expériences montrent par
ailleurs que la privatisation du droit de la fonction publique, lorsqu’elle est importante, donne
naissance à un droit hybride, sorte de droit social public ou de droit public social, dérogatoire
au droit ordinaire du travail. Selon le conseiller d’État Marcel Pochard, « il ne s’agit pas de
faire basculer la fonction publique vers une sorte de banalisation. Il s’agit de revenir à une
conception du droit de la fonction publique qui limite les spécificités de ce droit à ce qui est
nécessaire à l’accomplissement des missions de la puissance publique et qui normalise la
place de la fonction publique dans la société ».

2. Un droit exorbitant ?

Le droit administratif est classiquement présenté comme un droit spécial ayant ses règles
propres exorbitantes du droit civil. Ces règles exorbitantes sont soit des prérogatives
exorbitantes (prérogatives d’action ou de protection), soit des sujétions exorbitantes.
On insiste le plus souvent sur les prérogatives exorbitantes de l’administration et non sur ses
sujétions exorbitantes. Or certaines branches du droit administratif sont probablement aussi
riches de sujétions à la charge de l’administration que de prérogatives à son profit. Tel est le cas
du droit de la fonction publique depuis 1946. En effet, l’administration dispose de moins de
prérogatives exorbitantes à l’égard de ces agents maintenant puisque ces derniers peuvent se
syndiquer, faire grève et participer par leurs représentants à la gestion de leur carrière. On peut
certainement estimer que l’administration peut exiger plus de ses agents qu’un employeur privé,
notamment en matière d’encadrement de leur liberté d’expression, d’obligation de neutralité,
d’obligation de moralité, d’obligation de ne se consacrer qu’à ses fonctions, de devoir
d’obéissance, de continuité du service. Cependant, l’administration est soumise à nombre de
sujétions exorbitantes, tels que l’obligation d’organiser des concours de recrutement ou le
strict encadrement des hypothèses de licenciement par exemple.

Désormais, seules deux différences sensibles, subsistent entre droit de la fonction


publique et droit du travail. En premier lieu, le droit du travail, dans la mesure où il reste
fondé sur le contrat, laisse un espace à la stipulation contractuelle. Le droit de la fonction

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publique ignore pour l’instant la contractualisation, même si un mouvement semble se
dessiner en sa faveur à la fois au niveau collectif et au niveau individuel. En second lieu,
la libre rupture du contrat de travail oppose la précarité de la situation du salarié à la
stabilité de la situation du fonctionnaire. Mais là encore, on ne saurait méconnaître
que le droit du licenciement est de plus en plus strictement encadré. Le licenciement doit
reposer sur une cause réelle et sérieuse. En outre, en droit privé, les hypothèses de
nullité de licenciement qui ont pour conséquence une obligation de réintégration se
multiplient.
Ces différences tendent donc à s’estomper. Droit de la fonction publique et droit du
travail s’efforcent, l’un et l’autre, de renforcer les droits des fonctionnaires et ceux des
salariés. Se forme ainsi insensiblement, à l’intersection du droit du travail et du droit de la fonction
publique un droit commun de l’emploi. Dès lors, le recours à la notion traditionnelle
d’exorbitance paraît de moins en moins justifié.

Désormais, le droit de la fonction publique et le droit du travail subissent l’un et l’autre


l’influence harmonisante du bloc de constitutionnalité et de la Convention européenne des
droits de l’homme. Il s’agit en toute hypothèse de concilier d’un côté les droits
fondamentaux du fonctionnaire ou du salarié avec de l’autre côté « les droits de l’Etat » ou
les droits de l’entreprise. Dans la balance, il n’est pas certain que « les droits de l’Etat » pèsent
plus lourds que les droits de l’entreprise.
Les jurisprudences relatives aux tenues vestimentaires en témoignent. La Cour d’appel de
Saint-Denis-de-La-Réunion a admis le licenciement d’une employée d’un magasin « d’articles
de mode pour femme » - au slogan évocateur de « Et Vogue la Mode » - alors que cette
employée avait adopté pour des motifs religieux une tenue vestimentaire « la couvrant de la tête
au pied ». Les impératifs de la mode ont donc les mêmes conséquences que le principe de la
laïcité !

3. La contractualisation du droit de la fonction publique

L’adoption du statut général au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avait assigné au


contrat une place modeste. Depuis 1946, « le fonctionnaire est vis-à-vis de l’administration
dans une situation statutaire et réglementaire ». Cette définition exclut que le déroulement
de la carrière puisse donner lieu à discussion entre l’employeur public et ses agents. Bien que
théoriquement condamnée, la formule contractuelle n’a pourtant jamais tout à fait
disparu de la sphère de la fonction publique.

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S’agissant de l’organisation des conditions de travail et des modalités de rémunération, des
pratiques de concertation et de négociation collectives se sont rapidement instaurées entre les
pouvoirs publics et les organisations syndicales, conduisant pour la première fois à parler de
politique de contractualisation de la fonction publique. Quant à l’accès à la fonction publique,
la consécration du principe du concours n’a pas abouti à l’élimination totale du procédé
contractuel.
Le changement tient à ce que désormais les pouvoirs publics ne dissimulent plus leur volonté
de s’inspirer des méthodes de la gestion privée et de prendre l’entreprise comme modèle pour
l’administration. S’agissant des procédés de recrutement dans la Fonction publique, l’heure
est donc venue d’étendre le champ des formules contractuelles. Tels est le cas avec
l’instauration des contrats à durée indéterminée dans la fonction publique avec la loi du 26
juillet 2005 ou encore avec l’adoption du PACTE (parcours d’accès aux carrières de la
territoriale – de l’hospitalière – et de l’Etat) qui s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans en
situation d’échec scolaire.

Les réformes en cours tendent ainsi à écarter ou à contourner les exigences statutaires.
Aussi peut-on se demander si ces diverses initiatives ne vont pas nous ramener 65 ans en
arrière. Ce faisant, on pourrait bien réactiver une distinction que l’on croyait pourtant
révolue entre deux catégories d’agents : d’un côté, ceux qui exercent des « tâches de
puissance publique » qui resteraient en tant que fonctionnaires recrutés par concours et
assujettis au statut général ; et, de l’autre côté, les agents effectuant des « tâches de
gestion » qui retourneraient à la condition d’employés des administrations, soumis à un
régime contractuel de droit public. L’unification statutaire proclamée en 1946 serait ainsi
sacrifiée.

La contractualisation a connu un nouvel élan avec le décret du 12 mars 2007. Celui-ci


concerne uniquement les agents non titulaires de l’État, soit tout de même environ 12 % des
effectifs de l’État.

Le texte aligne, tout d’abord, la situation des agents non titulaires sur celle des
fonctionnaires chaque fois que possible, notamment en matières de congés et de mobilité. Si
les pouvoirs publics poussent leur logique jusqu’au bout, ils finiront probablement par
reconnaître un jour l’existence d’un principe d’égalité entre non titulaires et fonctionnaires. La
formation progressive depuis une vingtaine d’années, par touches progressives, de ce qui
s’apparente à un véritable statut des agents non titulaires se révèle de plus en plus confortable

13
pour ces derniers. Cette évolution enlève une grande part des scrupules à l’Administration
lorsqu’elle recrute de tels agents plutôt que des fonctionnaires.

Le décret de 2007 institue, en outre, les premières normes constitutives de ce qui annonce une
véritable « carrière » des agents en CDI. Le décret emploie les termes les plus neutres
possibles afin d’éviter les critiques. Les agents en CDI constituent bien désormais une
catégorie à part d’agents non titulaires situés à mi-chemin entre les agents en CDD et les
fonctionnaires.
La rémunération des agents employés à durée indéterminée sera ainsi dorénavant réexaminer
« au minimum tous les trois ans », « notamment au vu des résultats de l’évaluation ». On n’a
pas voulu écrire en toutes lettres que la rémunération des agents en CDI devait être augmentée
tous les trois ans. Cela aurait été reconnaître un avancement automatique à l’ancienneté et
donc consacrer juridiquement l’existence d’une carrière comme pour les titulaires. Par
conséquent, tous les trois ans, la rémunération de l’agent en CDI sera seulement
théoriquement « réexaminée ». Il est difficile de croire en pratique que ce réexamen ne
donnera pas lieu systématiquement à une augmentation de rémunération, pondérée le cas
échéant, par les résultats de l’évaluation de l’agent. Autrement dit, malgré les précautions du
texte, dans la plupart des cas, la rémunération de l’agent en CDI augmentera au pire tous les
trois ans, probablement comme si l’agent était fonctionnaire et changeait d’échelon.

III. La distribution des compétences entre le législateur et le gouvernement


 Entre le législateur et l’exécutif
 Au sein de l’exécutif

14
Leçon n° 2 : Les conceptions de la fonction publique

Dans son ouvrage La fonction publique dans le monde, François Gazier a distingué « les
deux grands systèmes qui se partagent le monde contemporain : fonction publique de
structure ouverte et fonction publique de structure fermée ».
Chaque organisation nationale emprunte à l’un des deux grands modèles de fonction publique
et parfois même aux deux. Le premier modèle est le système de la carrière (ou fonction
publique fermée). Il implique que l’agent public consacre en principe sa vie professionnelle
au service de l’État ou d’une collectivité publique. Il n’a pas vocation à quitter la fonction
publique. Le second modèle est le système de l’emploi (ou fonction publique ouverte). Le
recrutement d’un agent est limité dans ce cadre à la durée nécessaire pour accomplir la
mission pour laquelle il a été recruté. Il n’a pas vocation à rester dans la fonction publique.
Cette distinction apparemment rigide s’atténue, s’assouplit.

I. L’opposition de la fonction publique de carrière et fonction publique d’emploi

A. Le système de la carrière

1. Présentation

Ce modèle de fonction publique de structure fermée repose sur une logique de


différenciation entre administration et secteur privé. Comme l’écrit François Gazier, «
structure fermée, cela veut dire que l’administration publique est considérée comme une
chose à part à l’intérieur de la nation, qui demande des spécifications particulières et un
personnel qui y consacre toute son activité professionnelle ». Selon l’auteur, ce modèle « a
essentiellement pour avantage de fournir des fonctionnaires qui sont mieux adaptés à l’esprit
d’une administration publique, qui ont véritablement consacré toute leur vie à cette tâche [et qui
ont pu de ce fait] acquérir l’expérience correspondante et ce qu’on appelle le sens du service
public, qui sont sensibles aux nécessités de l’intérêt général et non seulement de la rentabilité
immédiate […] ».
Ce système de fonction publique repose sur une conception spécifique de l’emploi public qui
n’est pas comparable à la situation du salarié dans une entreprise privée. L’idée qui se trouve à

15
la base du système de la carrière est la suivante : la fonction publique véhiculant des valeurs
qui sont étrangères à la réussite financière, l’accomplissement des missions d’intérêt général
suppose le recrutement d’un personnel atypique. Ce particularisme de la fonction publique par
rapport à une entreprise ordinaire implique que l’agent public consacre en principe toute sa
vie professionnelle au service d’une collectivité publique. Il est recruté jeune pour faire une
carrière au sein de la fonction publique. Le corps dans lequel il est intégré à l’issue du
concours de recrutement lui permettra, en effet, d’accéder à différents emplois.
Bien qu’il n’existe pas de cloisonnement étanche entre la fonction publique et le secteur privé,
l’agent public n’a pas vocation à alterner durant sa vie professionnelle des expériences en
administration et en entreprise. Lorsque sa mission arrive à son terme, il s’en voit confier une
autre au sein de la même administration.

Le choix du système de la carrière emporte plusieurs conséquences.


En premier lieu, le recrutement de l’agent public s’opère non en raison de la nature des tâches
à accomplir mais en fonction d’une aptitude générale. Cette aptitude générale est supposée
permettre au lauréat d’exercer les différents emplois qui lui seront successivement confiés au
cours de sa carrière. Les fonctionnaires ont vocation à passer toute leur vie professionnelle
dans la fonction publique.
En deuxième lieu, la garantie de la carrière permet en principe à l’agent de voir sa situation
professionnelle évoluer. Il n’occupe pas indéfiniment les mêmes fonctions. Une progression
lui est assurée au moins en matière pécuniaire et, le plus souvent aussi, quant aux
responsabilités qu’il assume.
En troisième lieu, le principe de la carrière a pour corollaire l’importante spécificité du droit
de la fonction publique par rapport au droit du travail. C’est ainsi que la relation
professionnelle qu’entretient l’agent avec son employeur public relève non du contrat de
travail mais d’un régime de droit public. Cette forte spécificité se manifeste aussi bien
formellement (l’agent est, en effet, dans une situation statutaire et réglementaire et non pas
dans une situation contractuelle) que matériellement (à propos des droits et obligations du
fonctionnaire et du déroulement de sa vie professionnelle).
Enfin, le système de la carrière garantit les fonctionnaires contre l’arbitraire administratif en
exigeant leur neutralité. Le système de la carrière est réputé permettre à l’agent de ne pas
être politisé. Les alternances politiques ne sauraient par conséquent avoir d’incidence sur le
déroulement de la carrière du fonctionnaire.

16
2. Champ d’application

Dans l’Union européenne, un nombre désormais restreint d’États pratiquent le système de


carrière. La France, l’Allemagne, l’Autriche ou encore l’Espagne pratiquent ce système avec
quelques aménagements. En revanche, l’Italie depuis 1996 et le Portugal plus récemment
l’ont abandonné au profit d’une fonction publique d’emploi.

Examinons rapidement le système allemand.


L’Allemagne est le premier État européen à se doter d’une fonction publique dont
l’organisation constitue pour ses agents une protection contre l’arbitraire politique (loi
impériale de 1873).
Cette tradition institutionnelle est aujourd’hui consacrée par la Loi fondamentale de 1949.
Elle garantit tout d’abord l’égal accès de tous les Allemands à toutes fonctions publiques,
selon leurs aptitudes, leurs qualifications et leurs capacités professionnelles. Elle affirme
ensuite : « En règle générale, l’exercice de pouvoirs de puissance publique doit être
confié à titre permanent à des membres de la fonction publique placés dans un rapport de
service et de fidélité de droit public ». Ce principe du fonctionnariat conduit à distinguer
au plan juridique deux catégories d’agents publics : les fonctionnaires et les employés ou
ouvriers.

Les fonctionnaires sont soumis à un régime statutaire et réglementaire de droit public. La


Loi fondamentale prévoit que les fonctionnaires exercent des fonctions liées à la puissance
publique (juges, policiers, diplomates, agents des finances par exemple). Une interprétation
extensive de cet article permet d’inclure dans le fonctionnariat nombre d’enseignants,
notamment ceux du supérieur. L’Allemagne compte environ 1,7 million de
fonctionnaires.

Les employés (Angestellten) ou ouvriers (Arbeiter) sont en revanche soumis au droit


commun du travail défini notamment par voie de conventions collectives. Celles-ci sont
négociées entre les syndicats de la fonction publique et les employeurs publics. Les
employés sont plus de 3 millions. Il convient toutefois de relativiser les effets de la
distinction entre fonctionnaires et employés. À l’exception de la sécurité de l’emploi, les
garanties accordées par la loi et les conventions sont équivalentes et l’accès aux mêmes
emplois est souvent possible.

B. Le système de l’emploi

17
1. Présentation

Ce modèle repose selon François Gazier sur l’idée suivant laquelle la fonction publique
est « un métier comme un autre, l’administration publique étant considérée comme une vaste
entreprise recrutant et gérant son personnel dans les mêmes conditions que toutes les autres
entreprises industrielles, commerciales ou agricoles de la nation ». Les avantages
généralement attachés à ce système sont la simplicité, la souplesse et l’efficacité économique ou
encore la rentabilité.
Ce système repose sur l’absence de différence entre le service de l’État et l’exercice de
n’importe quelle autre profession. Les emplois des administrations publiques sont, comme
dans le secteur privé, définis et hiérarchisés en fonction des tâches qu’ils impliquent, des
qualifications qu’ils requièrent et du salaire qu’ils procurent.
Hormis le fait que l’emploi public est rémunéré sur des fonds publics, l’agent public ne se
distingue nullement d’un employé de droit privé. Le système de l’emploi permet une grande
fluidité entre la fonction publique et le monde de l’entreprise. Il met en exergue la porosité
qui existe entre le secteur public et le secteur privé. Il est ici de coutume d’alterner les postes
dans l’entreprise et dans l’administration.
Ce modèle est beaucoup plus lié au pouvoir politique. Le fonctionnaire est ici dans la
situation plus précaire d’un contractuel, régi par les dispositions du Code du travail. Le
fonctionnaire est recruté certes pour ses compétences techniques, mais aussi pour sa fidélité
au pouvoir en place. Le risque est alors grand de le voir faire preuve de favoritisme à
l’égard de certains citoyens et de sacrifier quelque peu l’intérêt général, c’est-à-dire de
l’intérêt général en un intérêt partisan. Ce risque est d’autant plus important que la culture du
résultat est très répandue. Autrement dit, les promotions des fonctionnaires mais aussi
leur rémunération sont liées à l’atteinte des objectifs fixés par le pouvoir politique.

Conséquences.
Ce système présente trois caractères généraux.
 Il fonctionne tout d’abord sur la base du principe de l’emploi. Dans une fonction publique
d’emploi, le recrutement d’un agent se fait sur un emploi précis : il repose sur l’adéquation
entre les fonctions à exercer et le profil du candidat. L’agent recruté ne dispose d’aucune
garantie d’évolution au sein de l’administration et peut être amené à intégrer ensuite le secteur
privé, voire à procéder à différents aller-retour entre emplois publics et privés. L’agent ne
reste en principe dans l’administration que pour la durée fixée par son contrat : il n’a pas

18
vocation à y faire carrière. L’agent n’a ainsi nulle vocation à accomplir toute sa vie
professionnelle dans l’administration et à y évoluer de poste en poste même si rien ne
l’interdit.
L’agent occupe l’emploi sur lequel il est recruté sans pouvoir en changer. Seul un
recrutement sur un nouvel emploi ou le renouvellement du contrat peut faire évoluer sa
situation.

 Le deuxième caractère de la fonction publique ouverte est le corollaire du premier : le droit


applicable aux agents publics n’est que faiblement spécifique. Le système ouvert étant conçu
sur une logique d’indifférenciation entre fonction publique et secteur privé, il est normal
que le régime juridique applicable aux agents publics ne se différencie que marginalement de
celui applicable aux salariés. Comme dans le secteur privé, la relation de travail est définie
par voie contractuelle.

 Enfin, la neutralité de la fonction publique ouverte serait limitée ou plus exactement la


structure ouverte serait un facteur de politisation. En effet, l’origine historique de ce
modèle, le spoil system ou système des dépouilles) promue aux États-Unis au XIXe siècle,
illustre le fait que le principe de l’emploi facilite la politisation. Et dans la logique américaine
classique « les fonctionnaires sont réputés servir non pas l’Etat mais le peuple » et doivent
donc pouvoir être révoqués par ce dernier ou ses représentants.
En l’absence de toute garantie d’emploi, l’agent d’une fonction publique ouverte n’est
pas protégé contre les effets possibles des alternances politiques. Il peut perdre son emploi en
cas d’alternance politique.

2. Champ d’application

La fonction publique d’emploi trouve son origine aux États-Unis. Elle est pratiquée par un
nombre croissant d’États de l’Union européenne : Danemark, Italie, Finlande, Pays-Bas,
Royaume-Uni et Suède.

a. Les Etats-Unis

De leur fondation jusqu’en 1883, les États-Unis développent la pratique du spoil system. C e
système des dépouilles implique l’attribution des emplois publics au niveau fédéral comme
dans les États fédérés selon des critères politiques. Au lendemain d’une victoire électorale, les
partis politiques se répartissent les postes dans l’administration. Le spoil system impliquait le

19
renouvellement de l’administration, même aux niveaux les plus modestes, avec l’arrivée
aux affaires d’un nouveau parti politique. Selon une célèbre formule du président américain
Jackson (1829-1837), on considérait, en effet, « Il y a plus à perdre en maintenant les
fonctionnaires en place qu’il y a à gagner en profitant de leur expérience ». Cette pratique
repose à l’origine sur une conception démocratique de la fonction publique : le spoil system
permet en effet un contrôle populaire sur l’administration afin d’éviter la formation d’une
caste de fonctionnaires irresponsables.

À partir de 1883, certains emplois fédéraux sont progressivement pourvus au mérite.


L’objectif est de soustraire une petite partie des emplois publics à l’influence des partis
politiques. Le Pendleton Act autorise en effet le Président à « classifier » par voie
réglementaire les catégories d’emplois qu’il convient de pourvoir au mérite. Ce Classified
Service ne cesse de croître jusqu’à atteindre près de 90 % des effectifs. Un processus
comparable est observé dans l’administration des États fédérés.

Réforme permanente. Critiquée dans les années 1960/1970, la fonction publique fédérale fait
l’objet d’une profonde réforme. La réforme conduite par le président Carter en 1978
(Civil Service Reform Act) tendait à professionnaliser et à dépolitiser la haute fonction
publique. Cette réforme s’est traduite par la création du Senior Executive Service (SES). Ce
service regroupe les responsables les plus importants de l’administration fédérale.
Depuis cette date, l’administration fédérale se divise en trois catégories d’agents :
- l’Excepted Service réunit les quelques milliers de fonctionnaires choisis sur critère
politique ;
- le Senior Executive Service regroupe la dizaine de milliers d’emplois supérieurs
apolitiques. Ces emplois de direction bénéficient par conséquent d’une certaine
stabilité ;
- et le Competitive Service désigne les deux millions de fonctionnaires qui travaillent
dans les ministères et au sein des agences gouvernementales.

Les réformes dans la fonction publique fédérale sont récurrentes. L’une des dernières date
de 1993. Elle est l’œuvre du président Clinton. Cette réforme a consisté à introduire un
système de gestion par la performance dans l’administration fédérale américaine. Il ne
cesse depuis lors d’être développé.



20
4

Les composantes du « statut » ainsi répudié – ensemble hétérogène de dispositions


réglementaires, législatives ou « déduites » de la Constitution fédérale par la Cour suprême
des États-Unis – s’analysent comme une série de garanties qui jouent pour l’essentiel au stade
du recrutement et du licenciement des agents.
Elles sont constitutives du merit system qui regroupe, dans chacune des trois fonctions
publiques états-uniennes (fédérale, étatique et locale) les emplois publics dont l’attribution est
régie par des procédures de type méritocratique.
Les premiers jalons de ce système furent posés dans le droit fédéral, en 1883, par le célèbre
Pendleton Act. La finalité initiale du dispositif n’était pas de créer ex nihilo une fonction
publique professionnalisée et politiquement neutre, mais, plus modestement, de soustraire 10
% des emplois fédéraux au contrôle qu’exerçaient sur eux les partis politiques dans le cadre
du système du patronage (patronage system). La loi de 1883 a toutefois permis le reflux
progressif du système des dépouilles, en accordant au Président des Etats-Unis la faculté de «
classifier » par voie réglementaire les catégories d’emplois qu’il lui semblait opportun
d’intégrer au merit system. Sans avoir été linéaire, la croissance du secteur des postes protégés
n’en a pas moins a été continue jusqu’aux années cinquante (elle atteindra son point
maximum en 1952, avec 86 % d’emplois publics « classifiés »).

La permanence d’un large secteur d’emplois « exemptés » (excepted) ou d’emplois


« discrétionnaires », ainsi que la fidélité de nombreux États au principe de l’élection d’une
proportion parfois élevée de fonctionnaires, est à cet égard une caractéristique notable du
système politico-administratif des États-Unis. La neutralité politique de la fonction publique,
en outre, n’a jamais été unanimement considérée comme une valeur ou un principe
fondamental. La philosophie politique sous-jacente au système des dépouilles reste
profondément ancrée dans la mentalité collective : dans un pays où les fonctionnaires sont
réputés servir non pas l’État mais le peuple, on se résigne mal à les voir échapper à toute
sanction électorale directe ou indirecte.

L’entreprise de « Réinvention de l’État » conçue et pilotée, entre 1993 et 2000, par le Vice-
Président Al Gore vise à construire « un État qui marche mieux et coûte moins cher » en
créant « une administration plus svelte et plus productive ».

4
G. CALVÈS, La réforme de la fonction publique aux Etats-Unis : un démantèlement programmé ?, in Conseil
d’Etat, Perspectives pour la fonction publique. Rapport public 2003, EDCE n° 54, 2003, p. 389.

21
Cette réforme s’est traduite par la disparition, en cinq ans, de 272 000 emplois civils (hors
secteur postal) – chiffre qui représente, en 1993, environ 12 % du volume des emplois civils
fédéraux. Cet objectif sera atteint et même dépassé puisque l’Administration fédérale, pour la
première fois depuis 1965, descendra dès 1996 sous la barre des deux millions d’agents
employés à plein temps, et aura finalement perdu, en 1998, près de 330 000 emplois. Les
emplois supprimés à partir de 1993, dans leur très grande majorité, correspondaient en effet à
des postes laissés vacants par le départ en retraite de leur titulaire, mais aussi et surtout à des
postes qui avaient pu leur être « rachetés » (attribution d’une somme pouvant aller jusqu’à
25 000 dollars aux employés disposés à quitter le secteur public).

Dans son rapport-programme de 1993, Al Gore soulignait qu’un objectif central de la


Réinvention de l’État consistait à accorder aux managers du secteur public une latitude aussi
large que possible pour « recruter les agents dont ils ont besoin », « récompenser ceux qui
font du bon travail », mais aussi « renvoyer les autres ».
Les fonctionnaires américains ne sont nullement protégés contre le licenciement. Celui-ci
interviendra automatiquement, si le poste occupé par l’agent est supprimé pour des raisons
budgétaires ; il pourra également être décidé par le chef de service, si l’agent s’est avéré
incapable d’atteindre les objectifs fixés par sa hiérarchie, ou pour tout autre « motif légitime »
lié la volonté « d’accroître l’efficacité du service ».
La spécificité du droit de la fonction publique en matière de licenciement réside dans une
série de garanties exclusivement procédurales dégagées par la Cour suprême au cours des
années soixante-dix.

L’effort du mouvement de réforme de l’État a consisté, dans un tel cadre, à introduire des
méthodes d’évaluation de la performance individuelle des agents permettant d’asseoir de
façon plus nette la décision de licenciement.
La jurisprudence de la Cour aboutit à poser que les libertés d’opinion et d’association
garanties par le Premier Amendement interdisent les révocations pour motif politique dans
tous les cas où « l’autorité de nomination [n’]est [pas] en mesure de démontrer que
l’appartenance à un parti politique est une condition requise pour que les fonctions
considérées soient accomplies de façon efficace »5. Cette solution sera étendue, en 1990, à
l’ensemble des décisions affectant la situation juridique ou matérielle des agents.

5
Branti v. Finkel, 445 U.S. 507, 1980.

22
Ces solutions ont peut-être accéléré le mouvement de création d’emplois « déclassifiés »
échappant à l’empire des règles du merit system – auxquelles sont aujourd’hui soustraits plus
de la moitié des agents fédéraux.
La forte minorité de membres de la Cour suprême qui prônent un rééquilibrage des
composantes « politique » et « professionnelle » de l’Administration renouent avec la vision
jacskonienne d’une Administration dont la composition reflète l’évolution du paysage
électoral. Les juges dissidents insistent sur la fonction structurante, pour la vie politique
américaine, du principe de la « rotation of office ».

Le patronage revêt à leurs yeux trois séries de fonctions. En dotant les partis politiques d’un
stock de postes à distribuer, il leur permet d’abord d’appâter des permanents dont il va de soi
qu’ils n’acceptent d’être bénévoles qu’à condition de pouvoir espérer être récompensés un
jour. En détournant les citoyens de « partis anti-système qui ont peut-être une philosophie
politique séduisante mais peu de chances d’arriver au pouvoir », il consolide ensuite le
bipartisme et rend ainsi possible l’alternance. En offrant aux nouveaux entrants dans le champ
politique la possibilité d’étoffer leur clientèle électorale et de construire des alliances, le
patronage ouvre enfin aux minorités ethniques la voie de l’intégration économique et sociale :
tous les groupes qui ont accédé au pouvoir dans une ville américaine ont usé de ce levier.

Le merit system aux États-Unis n’a pas été institué pour créer une Administration de type
européen, mais pour lutter contre les dérives d’un système des dépouilles progressivement
gangrené par la corruption, le gonflement artificiel du volume des emplois publics et la
nomination d’agents incompétents. L’adoption d’un droit spécifique gouvernant le régime des
emplois publics a constitué en 1883 un pis-aller, « un expédient auquel on se résigne pour des
raisons pratiques ». Doit-il être maintenu par l’Amérique du XXIe siècle ? Le développement
de la presse, la technicisation accrue des tâches et le renforcement des garanties offertes par le
droit du travail comme par le droit des affaires militent peut-être en faveur d’une réponse
négative.

b. L’Italie6

Au début du XXe siècle, seuls les agents de l’État étaient soumis à un régime de droit public.
L’essentiel des agents des collectivités locales, et notamment les instituteurs dans les écoles

6
Roberto CARANTA, Point de vue sur les réformes récentes en matière de fonction publique en Italie, EDCE n°
54, 2003.

23
élémentaires, étaient régis comme des salariés privés et étaient liés à l’administration par un
contrat.
Les choses vont changer de façon radicale dans les années 20. Le régime fasciste soumet
l’ensemble de la fonction publique au droit public. Seuls les salariés des personnes publiques
dont l’activité relevait du commerce ou de la production industrielle étaient maintenus sous un
régime de droit privé.
Une étude publiée à la fin des années 70 par M. Giannini, alors ministre de la Fonction
publique, stigmatise le régime du droit public, auquel sont soumis les agents publics, comme
l’une des causes du mauvais fonctionnement de l’administration publique italienne.
D’où, la proposition d’une réforme de l’administration et de la fonction publiques permettant
l’introduction de règles plus proches de celles du droit privé voire une privatisation
substantielle du droit de la fonction publique.
Après avoir été un moment abandonnée, la question de l’efficacité de l’administration
redevint centrale dans les années 90. La réforme poursuit deux objectifs :
- relever les défis de l’intégration européenne en hissant l’efficacité de l’administration
italienne au niveau de celles des autres Etats de l’Union européenne ;
- lutter contre une corruption jusqu’alors endémique.

La réforme menée entre 1993 et 2001 a fait basculer l’essentiel de la fonction publique d’un
système fermé au système ouvert. Cette politique de « privatisation de l’emploi public » a
consisté à substituer des conventions collectives aux règles statutaires antérieures. Désormais,
seul environ un agent de l’administration sur dix est un fonctionnaire. Le statut n’a été
conservé qu’à propos de certaines activités régaliennes : magistrats (judiciaires et
administratifs), militaires, policiers, diplomates, professeurs d’université...

Les agents publics sont recrutés par contrat individuel ; leurs droits et obligations sont réglés
en principe par les dispositions du Code civil applicable aux contrats de travail entre
particuliers.
Si le concours est encore la modalité prévue généralement pour accéder aux emplois publics,
on peut désormais s’en passer dans le cas d’emplois qui ne nécessitent aucune spécialisation
de la part du travailleur. Dans cette hypothèse, l’administration est tenue d’engager les
personnes qui ont une position prioritaire dans les listes officielles des chômeurs.
Enfin, la privatisation entraîne la compétence de la juridiction judiciaire.

24
Le juge administratif conserve sa juridiction seulement en ce qui concerne les procédures de
concours.

À l’origine les dirigeants du plus haut niveau de l’administration de l’État étaient aussi exclus de la privatisation.
La situation a changé en 1998 : les dirigeants sont aujourd’hui soumis aux mêmes règles que la plupart des autres
agents publics. Désormais, en règle générale, le contrat de travail des dirigeants de l’administration publique est
un contrat à durée déterminée (5 ans). Ces contrats sont dissous de plein droit – même avant leur échéance
(quatre-vingt-dix jours après le serment d’un nouveau gouvernement). Le contrat peut être renouvelé à
l’échéance.

Du point de vue du statut, la réforme revient à une privatisation. La privatisation a été avant
tout une opération idéologique.
Sous l’influence de la pensée économique, l’idée que les organisations privées sont plus
souples et donc plus efficaces que les organisations publiques s’est répandue. Le mérite du
droit privé serait d’être plus souple que le droit public et donc plus prêt à s’adapter pour faire
face aux nouveaux défis d’une société qui change sans cesse.
On doutait de l’efficacité d’un droit public de la fonction publique qui avait établi un système
qui donnait essentiellement une garantie de stabilité dans l’emploi. On a donc privatisé avec le
but d’améliorer l’utilisation des ressources humaines.
Il est douteux que la privatisation de la fonction publique ait conduit à un surcroît
d’efficacité de l’action publique.
En effet, en Italie comme partout dans le continent européen, le droit (privé) du travail n’est
pas tellement souple. Aujourd’hui, en Europe, les salariés privés jouissent eux-mêmes d’un
régime de stabilité substantielle. Des raisons politiques empêchent presque toute forme de
licenciement collectif dans la fonction publique.
En ce qui concerne la plupart des agents publics, la privatisation n’a eu d’autre effet que de
rendre plus facile l’accès au juge (les juges judiciaires étant beaucoup plus dispersés que les
juges administratifs), avec comme conséquence une véritable explosion des contentieux. Il est
douteux qu’il s’agisse d’un progrès.
C’est plutôt en ce qui concerne les dirigeants que la privatisation a eu des effets importants.
L’affaiblissement substantiel du statut des dirigeants a été motivé par le souci des élus d’avoir
des collaborateurs qui, craignant pour leur futur, soient prêts à mettre en œuvre efficacement
les politiques arrêtées par les organes élus à tout niveau territorial. Les préoccupations
d’efficacité l’auraient donc emporté sur l’impartialité.
Bien que les dirigeants aient tout intérêt à suivre les indications et suggestions qui leur
viennent des élus, les agents publics que les dirigeants sont appelés à mobiliser jouissent
d’une garantie de stabilité qui n’a pas été atteinte par la réforme ; ces agents ne sont donc pas
nécessairement très motivés à être performants.

25
En conclusion, les réformes récentes en matière de fonction publique en Italie semblent plutôt
être le résultat redoutable de la conjonction entre le préjugé selon lequel le droit privé serait
doté de l’efficacité plus grande et la volonté mal dissimulée des milieux politiques de rester
les décideurs réels même dans les cas particuliers, et même si c’est de façon indirecte.
Il est difficile donc de croire que ce modèle mérite d’être suivi en Europe.

Conclusion du I :
Le f o n d ement de cette distinction est de nature politique et tient à la réponse apportée à la
question suivante : peut-on (ou même doit-on) concevoir les relations de travail dans la
fonction publique de la même manière que dans le secteur prive ? Si l’on répond
positivement alors on en vient logiquement à considérer que les fonctionnaires doivent être
traités comme des salariés et le système de l’emploi s’impose. Si l’on répond négativement,
on est amené à estimer qu’il convient que les fonctionnaires aient une formation et un état
d’esprit différents de ceux des salariés. Leur mission est d’une essence différence : le service
de l’intérêt général ne se confond pas avec celui des intérêts privés ou particuliers. Les
fonctionnaires devant être spécialement adaptés à leur mission particulière, ils sont normalement
destinés à y consacrer toute leur vie professionnelle et sont soumis à des obligations
spécifiques. En contrepartie de ces sujétions et afin d’assurer leur neutralité et dans une certaine
mesure leur indépendance, certaines garanties de stabilité et de carrière leur sont assurées.

II. L’atténuation de l’opposition7

A. L’introduction de la notion d’emploi dans la fonction publique française

1. La consécration d’une conception européenne de l’administration publique

L’article 39 CE consacre le principe de libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la


Communauté. Ce principe n’est toutefois pas applicable « aux emplois dans l’administration
publique » (art. 39, § 4). Cet article se prêtait à deux interprétations diamétralement opposées.
Selon la première, que l’on qualifie d’institutionnelle, l’administration publique doit être
entendue dans son acception organique. Cette conception extensive de la réserve d’emplois
dans la fonction publique conduit à exclure l’ensemble des personnels administratifs du champ
d’application du principe de libre circulation. La seconde interprétation, dite fonctionnelle, est,
quant à elle, beaucoup plus restrictive. L’objectif est évidemment de réduire le champ des
emplois réservés aux nationaux afin d’accroître le champ d’application de la libre circulation.

7
J. CAUDEN, Fonction publique de carrière ou d’emploi : un débat dépassé ?, CFP avril 2007, p. 18.

26
Cette interprétation entend garantir l’effet utile, c’est-à-dire l’effectivité de la libre circulation des
travailleurs.
La Cour de justice des Communautés européennes a évidemment opté pour la seconde
interprétation dans deux arrêts extrêmement importants : les arrêts Sotgiu du 12 février 1974
et Commission / Belgique du 17 décembre 1980. Il résulte de ces deux arrêts que la notion
d’administration publique est une notion autonome. Autrement dit, elle reçoit une définition
spécifique, propre au droit communautaire. Par conséquent, les emplois dans l’administration
publique sont uniquement ceux « qui comportent une participation, directe ou indirecte, à
l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des
intérêts généraux de l’État ou des autres collectivités publiques ». La Cour justifie le choix
de ce critère par le fait que « de tels emplois supposent (...) de la part de leurs titulaires,
l’existence d’un rapport particulier de solidarité à l’égard de l’État ainsi que la réciprocité des
droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité ».
Forte de cette définition, la Commission européenne a proposé l’adoption d’une directive censée
opérer, secteur par secteur, la répartition des emplois ouverts et des emplois fermés aux
ressortissants communautaires. Ne parvenant à faire adopter ce projet de directive, la
Commission s’est résignée à édicter deux communications. Il s’agit d’actes dépourvus de valeur
juridique. Dans sa communication de 1988, la Commission annonce qu’elle introduira
systématiquement un recours en manquement contre tout Etat qui empêche les travailleurs des
autres Etats membres d’accéder « aux emplois de certains secteurs publics bien déterminés ».
La Commission inaugure ici son approche sectorielle. Selon elle, l’exception de l’article 39,
paragraphe 4, est notamment applicable aux emplois dans l’armée, les autres forces de
l’ordre ; la magistrature ; l’administration fiscale et la diplomatie. Sont également exclus de
libre circulation, d’autres activités telles que l’élaboration d’actes juridiques, l’exercice d’une
tutelle sur des organismes dépendants… A contrario, la Commission estime que les transports
publics, distribution d’électricité ou de gaz, santé, enseignement, recherche civile... doivent être
ouverts aux ressortissants des autres Etats membres. Dans une jurisprudence abondante, la Cour
de justice a avalisé l’approche sectorielle préconisée par la Commission. Le juge communautaire
a ainsi considéré que n’entraient pas dans l’administration publique les emplois dans les
secteurs publics de la distribution d’eau, de gaz et d’électricité, les services opérationnels de santé
publique (infirmier par exemple), les secteurs de l’enseignement public, des transports
maritimes et aériens, des chemins de fer, des transports publics urbains et régionaux, de la
recherche effectuée à des fins civiles, des postes, des télécommunications et de la
radiotélévision…

27
La seconde communication, celle de 2002, se montre encore plus précise. La
Commission entend, en effet, identifier au sein des secteurs jusqu’alors inclus dans la
réserve d’emplois dans l’administration publique, « les postes [… qui] n’impliquent pas
[…] l’exercice de la puissance publique et la responsabilité de la sauvegarde des
intérêts généraux de l’État ». La Commission affine ainsi sa démarche initiale. Elle
raisonne désormais emploi par emploi et non plus secteur par secteur.
Une telle évolution semble ainsi indiquer que dès lors qu’un emploi auquel le membre
d’un corps de fonctionnaires peut prétendre n’entre pas dans le champ de l’exception, il
convient que le corps soit ouvert aux ressortissants communautaires. C’est ainsi
l’organisation de la fonction publique en corps qui se voit remise indirectement en cause
ou tout au moins ébranlée par la logique de l’emploi de la Commission, logique qui heurte
frontalement celle de la carrière qui sous-tend le droit français.

Il peut exceptionnellement arriver qu’un emploi dans l’administration publique soit


occupé par le salarié d’une personne privée. Dans cette hypothèse, la conception
matérielle de l’administration publique s’avère ainsi plus large que la conception
institutionnelle ou que la conception française. La Cour de justice a en ce sens jugé que
les emplois de capitaine et de second de navires marchands peuvent sous conditions être
réservés aux nationaux sur la base de l’article 39 § 4.
La Cour indique en effet que « la circonstance que les capitaines sont employés par une personne physique ou
morale de droit privé n’est pas, en tant que telle, de nature à écarter l’applicabilité de l’article 39 §4 dès lors qu’il est
établi que, pour l’accomplissement des missions publiques qui leur sont dévolues, les capitaines agissent en qualité
de représentants de la puissance publique, au service des intérêts généraux de l’État du pavillon ». En effet, la Cour a
constaté que ces marins peuvent se voir conférer « des prérogatives liées au maintien de la sécurité et à l’exercice de
pouvoirs de police, notamment en cas de danger à bord, assorties, le cas échéant, de pouvoirs d’enquête, de
coercition ou de sanction, allant au-delà de la simple contribution au maintien de la sécurité publique à laquelle
tout individu peut être tenu, et, d’autre part, des attributions en matière notariale et d’état civil, qui ne sauraient
s’expliquer par les seules nécessités du commandement du navire. De telles fonctions constituent une participation à
l’exercice de prérogatives de puissance publique aux fins de la sauvegarde des intérêts généraux de l’État du
pavillon ». Toutefois, pour que de tels emplois soient qualifiés d’emplois dans l’administration
publique, il convient « que ces prérogatives soient effectivement exercées de façon habituelle
par lesdits titulaires et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités » (CJCE, 30
septembre 2003, Colegio de Officiales de la marina mercante espanola / Asosiacion de navieros espanoles (ANA
VE), JCP A, 2003, 2052, obs. O. Dubos).
Une telle solution intéresse la France puisque l’article 3 du Code du travail maritime dispose
qu’« à bord des navires battant pavillon français, le capitaine et l’officier chargé de sa
suppléance doivent être français ». L’article 39, paragraphe 4, CE ne paraît pas avoir vocation
à jouer au motif que les capitaines ne font pas un usage suffisamment fréquent de leurs
prérogatives de puissance publique.

28
2. Les incidences de la conception européenne de l’administration publique en
droit français

 La réforme de 1991. La France a été condamnée en 1986 pour avoir réservé à ses
nationaux la nomination et la titularisation dans des emplois permanents d’infirmier ou
d’infirmière dans les hôpitaux publics. Les pouvoirs publics français ont réagi en insérant, par
une loi du 26 juillet 1991, un article 5 bis dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et
obligations des fonctionnaires. L’article 5 précise en effet les conditions générales nécessaires
pour prétendre avoir la qualité de fonctionnaire. La première est la possession de la nationalité
française sous réserve des dispositions de l’article 5 bis.
« Les ressortissants des États membres de la Communauté européenne ou d’un autre État partie à
l’accord sur l’Espace économique européen autres que la France ont accès, dans les conditions
prévues au statut général, aux corps, cadres d’emplois et emplois dont les attributions soit sont
séparables de l’exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou
indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’État ou des autres collectivités
publiques » dans les mêmes conditions que les nationaux. « Ces corps, cadres d’emplois et
emplois doivent être désignés par leurs statuts particuliers respectifs ».
• On relèvera que les termes utilisés par le législateur ne sont pas les mêmes que
ceux utilisés en droit communautaire, le législateur ayant opté pour la reprise
d’expressions plus usuelles en droit français. Alors que la Cour de justice exige
deux conditions cumulatives (l’exercice de la puissance publique et la
contribution à la sauvegarde des intérêts généraux de l’État ou des autres
collectivités publiques), le droit français use quant à lui de deux conditions
présentées comme alternatives, celle d’attributions séparables de l’exercice de la
souveraineté ou ne comportant aucune participation à l’exercice de prérogatives
de puissance publique de l’État ou des autres collectivités publiques. Les deux
formulations peuvent néanmoins être tenues pour équivalentes.
• Ce dispositif repose sur la logique du maintien d’une prohibition de principe
de l’accès des ressortissants communautaires au statut de fonctionnaire. En
effet, les corps sont réputés fermés sauf si les statuts particuliers ont prévu
expressément leur ouverture. La loi du 26juillet 1991 a donc été suivie d’une
série de règlements aboutissant à l’ouverture progressive des trois grandes fonctions
publiques. Plus de 80 % des emplois des trois fonctions publiques sont ainsi
théoriquement ouverts aux ressortissants communautaires. Les ressortissants

29
communautaires à la fonction publique se heurtent cependant à différents
obstacles, spécialement la barrière de la langue et l’appréciation de
l’équivalence des diplômes et des formations8.

 Le dispositif issu de la loi de 1991 paraissait malgré tout insuffisant.


• Un principe d’interdiction, certes assorti d’exceptions, n’était plus conforme aux
exigences du droit communautaire.
• En outre, on pouvait se demander s’il était encore possible de raisonner par
corps ou s’il ne faut désormais raisonner emploi par emploi. Si l’on tire toutes les
conséquences de la position adoptée par la Commission dans sa communication de
2002, alors il ne sera plus possible de fermer un corps dès lors qu’un seul des
emplois auquel il permet d’accéder ne rentrera pas dans l’exception de l’article
39, paragraphe 4.

On aurait pu être tenté de supprimer l’exigence de la nationalité française. Bernard Stirn a ainsi
souligné que « l’opportunité de maintenir (...) la réserve des emplois de souveraineté » est discutable dès lors que le
statut général prévoit « des sanctions disciplinaires à l’encontre de ceux qui viendraient manquer à leur obligation
de loyauté ».
 La loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit
communautaire à la fonction publique renverse le principe énoncé par l’article 5 bis.
Dorénavant, le principe n’est plus celui de la fermeture des corps aux européens sauf si leur
statut particulier prévoit leur ouverture. Désormais les corps sont en principe ouverts. En
outre, le législateur ne raisonne plus par corps mais par emplois. Dès lors, les européens
auront accès aux corps, cadres d’emplois et emplois, sauf aux emplois inséparables de
l’exercice de la souveraineté ou qui comportent une participation à l’exercice de prérogatives
de puissance publique par une collectivité publique.

 Finalement, cette réforme ressuscite la distinction agents d’autorité/agents de gestion que


Henry Berthélemy avait proposée au début du XXème siècle. Berthélemy part de la distinction,
courante à la fin du XIXe siècle, entre les actes d’autorité et les actes de gestion. Les actes
d’autorité sont ceux que l’administration accomplit « comme dépositaire de la souveraineté »
tandis que les actes de gestion sont « les actes ordinaires de la vie civile, comme un
8
Cette appréciation, encadrée par le droit communautaire, est assurée par des commissions administratives
d’assimilation. Décret du 30 août 1994 (fonction publique de l’État), décret du 30 août 1994 et arrêté du 20 janvier 1999
(fonction publique territoriale) et décret du 21 juillet 1994 (fonction publique hospitalière). Pour la constatation de la
contrariété entre le décret du 30 août 1994 et les exigences communautaires (le décret ne permettant pas de tenir
compte des acquis de l’expérience) voir CE, 4 février 2004, Leseine et Warnimont (AJFP 2004, p. 68). Voir
également sur la contrariété de ces décrets par rapport au droit communautaire CJCE, 7 octobre 2004, Commission
/France, AJDA 2005, p. 1066, note Gh. Alberton).

30
particulier pourrait le faire dans l’administration de son patrimoine ». Et il opère alors une
césure entre les agents publics suivant qu’ils édictent des actes d’autorité ou des actes de gestion.
Les différences constatées ne conduisent pas à une division en supérieurs (qui commandent) et
subalternes (qui exécutent). Il y a, en effet, des fonctionnaires subalternes dont le rôle est de ne
faire que des actes d’autorité : un garde champêtre, par exemple. Il y a, en revanche, des supérieurs
dont le rôle est de ne faire que des actes d’exécution, comme un ingénieur en chef.
L’utilisation de la dichotomie autorité/gestion conduit Berthélemy à opposer les
fonctionnaires sur la base d’un critère qui n’est pas sans rappeler le droit européen, celui de
la mise en œuvre de la puissance publique, de « la participation au pouvoir de comman-
der ».
On ne peut que constater que le droit européen s’inscrit dans la même logique. D’ailleurs
Nézard considérait dans sa thèse que « la puissance publique ne peut être exercée que par des
nationaux ; ce principe ne s’applique pas du tout cependant aux fonctions de gestion ».

B. La politisation des élites administratives9

On assiste à double phénomène : les élites administratives sont de plus en plus politisées
tandis que le personnel politique est de plus en souvent issu de cette même élite
administrative.

1. La politisation de l’administration

L’interpénétration des pouvoirs politico-administratifs est un trait caractéristique de


l’actuel régime politique français. Ces rapports de proximité intéressent essentiellement
les rapports entre les élites administratives et les hauts responsables politiques.
L’essentiel de l’administration française n’entretient pas, en effet, de rapport avec la
politique. En revanche, pour les fonctionnaires qui ont appartenu à un cabinet ministériel,
l’engagement dans une carrière politique apparaît comme le prolongement naturel d’un
apprentissage de la politique à haut niveau. La question n’est plus alors celle de la
politisation de l’administration mais celle de la fonctionnarisation de la politique.
Avant la cinquième République, les sphères administratives et politiques étaient
relativement imperméables. Depuis la fin des années 1870, l’exécutif est perçu comme un
auxiliaire du parlement.

9
P. JAN, La symbiose contemporaine entre élites administratives et politiques, CFP mars 2006, p. 5.

31
La mise en place de nouvelles institutions en 1958 bouleverse radicalement cette
situation. La restauration de l’Etat passe la restauration d’une administration
subordonnée. Ce nouvel état d’esprit se traduit progressivement par une politisation
accrue des emplois supérieurs de l’Etat et des activités administratives. Les alternances
politiques ouvrent d’ailleurs des périodes propices à une « reprise en main » des leviers de
commande de l’État. Cette politisation apparaîtra au grand jour lors de la première alternance
et de la première cohabitation. Cette politisation offre aux gouvernants les moyens de
s’assurer de la loyauté des fonctionnaires d’autorité placés à des postes stratégiques dans
l’exécution des politiques gouvernementales. La politisation permet également aux
fonctionnaires d’intégrer les cabinets ministériels et d’espérer de la sorte donner un sérieux
coup d’accélérateur à leur carrière. Dans le premier cas, la politisation intéresse les emplois,
dans le second, la politisation à l’activité administrative elle-même.

a. La politisation des emplois supérieurs de l’État

La politisation des emplois emprunte deux formes. La première est stratégique. Il s’agit
pour le pouvoir exécutif de placer à la tête des emplois administratifs stratégiques (directeurs
d’administration centrale ; préfets, recteurs...) des hommes et des femmes qualifiés
partageant leurs objectifs politiques et réputés fiables pour promouvoir et défendre leurs
entreprises. La fidélité politique entre évidemment en jeu mais ce n’est pas le critère exclusif. La
politisation partisane ou de « revanche » (D. Lochak) conduit, en revanche, à l’éviction des
fonctionnaires placés par l’équipe exécutive précédente, surtout à la suite d’une alternance.
L’aspect politique est davantage marqué. Au plan national, la banalisation des alternances
politiques régulières et la nécessité pour l’Etat de disposer de managers de haut niveau
relèguent cette forme de politisation au second plan. Cette politisation partisane est, en
revanche, plus vivace au niveau local.

L’emprise du politique sur l’administration se manifeste notamment par les nominations au


tour extérieur. Après quelques abus, il a été décidé de ne plus pourvoir qu’un cinquième
des emplois vacants de la sorte. En outre, la décision du politique est soumise obligatoirement à
l’avis d’une commission compétente publié au Journal officiel conjointement à la décision de
nomination. Cet avis public représente une garantie de la compétence des personnes nommées.
Les emplois à la discrétion du Gouvernement constituent une autre voie de politisation
administrative. Toutes les alternances politiques se concluent donc par un mouvement
important sur ces emplois (2/3 des préfets et des recteurs...).

32
Ce système des dépouilles à la française est la conséquence directe d’une politisation
importante mais acceptée des emplois stratégiques. Il emporte des conséquences pratiques
comme la mise au placard des élites administratives temporairement « mal pensantes ».

b. La politisation accrue des activités administratives

L’accroissement de la politisation des activités administratives se traduit par l’inflation des


effectifs des cabinets ministériels et surtout par leur omnipotence.
Les cabinets sont pléthoriques. Ils sont composés de personnes souvent peu expérimentées, ce
qui ne les empêche pas de s’imposer face aux directions, pourtant plus expertes des
problématiques du ministère concerné. Le cabinet maîtrise notamment les nominations des
cadres supérieurs du ministère et des directeurs des établissements publics sous tutelle, ce qui
accroît la politisation. Les administrateurs sont démotivés car systématiquement coiffés par le
cabinet qui a toujours le dernier mot, d’où aussi un renforcement du sentiment d’impuissance et
de subordination excessive.

Mais le ministre français occupe un siège éjectable. Il se doit de constituer autour de lui une
force de frappe supplantant le pouvoir de l’administration, toujours suspectée de lenteur, de
corporatisme, de résistance même. Aussi, les directeurs dont la nomination échappe aux ministres
sont bardés de conseillers techniques. Le temps politique est plus bref que le temps administratif.
La construction d’un projet politique pensé, réfléchi et porté par l’administration cède devant les
nécessités de l’urgence des résultats et des effets d’annonce.

Le passage en cabinet ouvre la porte à des grands corps de l’État. Il constitue aussi une étape
décisive dans la formation politique du fonctionnaire qui est alors tenté par la conquête du pouvoir
politique.

2. L’"élitisation" administrative du pouvoir politique

On observe une spectaculaire fonctionnarisation de la politique ou, plus exactement, une


"élitisation" administrative du pouvoir politique national.
Une grande partie des personnels de la fonction publique qui accède à des postes de
responsabilités politiques nationales est issue de ses cadres supérieurs (administrateurs
civils et enseignants notamment) ou des grands corps de l’État (Inspection des finances, Conseil
d’État, Cour des comptes). Sur les dix-sept premiers ministres que la France a connus
depuis 1958, quatorze sont issus de la fonction publique. En moyenne, plus de la moitié des

33
membres de chaque gouvernement sont des fonctionnaires, le maximum étant atteint par le
deuxième gouvernement de Lionel Jospin avec 100 % de ministres issus de la fonction
publique. Autrefois domaine des professions libérales, principalement avocats et médecins,
les fonctions électives ou ministérielles sont désormais majoritairement détenues par les
fonctionnaires10.

La Ve République n’a pourtant pas innové dans la haute fonctionnarisation du personnel


politique de haut niveau. Cependant, plus les affaires de l’État se complexifient, plus la
compétence administrative est sollicitée.
Les présidents français sont issus de l’élite administrative civile (Pompidou, Giscard
d’Estaing, Chirac) et militaire (général De Gaulle). Seuls François Mitterrand et Nicolas
Sarkozy sont issus du barreau. Pour ne prendre que les Etats-Unis, aucun président depuis
1945 n’est issu de la haute fonction publique.
Même l’Assemblée nationale est devenue un lieu de pouvoir apprécié des fonctionnaires.
La figure du député-fonctionnaire est une réalité. 40 % des députés sont des fonctionnaires
et 18 % des enseignants. En moyenne depuis 1958, un député sur trois est issu de la
fonction publique, les hauts fonctionnaires représentant 11 %. C’est 5 fois plus qu’au
Canada, qu’aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Même l’Allemagne qui connaît
pourtant une forte fonctionnarisation de son personnel politique n’accorde pas une telle
place à son élite administrative (7 %). Cette représentativité d’une catégorie sociale n’est
donc pas un phénomène propre à la France, même s’il est particulièrement accentué.

10
Cet état de fait est régulièrement dénoncé. Dans son ouvrage Le Nœud gordien, Georges Pompidou avait
pointé du doigt la fragilité de notre système politique : « La République ne doit pas être la République des
ingénieurs, des technocrates, ni même des savants. Je soutiendrais qu’exiger des dirigeants du pays qu’ils
sortent de l’ENA ou de Polytechnique est une attitude réactionnaire qui correspond exactement à l’attitude du
pouvoir royal à la fin de l’Ancien régime... La République doit être celle des "politiques" au vrai sens du terme, de
ceux pour qui les problèmes humains l’emportent sur tous les autres, ceux qui ont de ces problèmes une
connaissance concrète, née du contact avec les hommes, non d’une analyse pseudo-scientifique de
l’homme... ».

34
35
Leçon n° 3 : L’agent public
La présentation des agents publics pose un double problème de délimitation. Il convient, en
effet, en premier lieu, d’identifier l’agent public, c’est-à-dire de le distinguer du salarié de
droit privé.
Mais il importe également, en second lieu, de distinguer au sein des agents de
l’administration soumis au droit public entre différentes catégories, la principale d’entre
elles étant celle des fonctionnaires.

I. L’identification de l’agent public

En l’absence de définition législative, c’est au juge qu’est revenue la charge de


définir l’agent public. Les critères jurisprudentiels sont cependant parfois neutralisés par le
législateur.
Il convient également d’évoquer les incidences éventuelles d’un changement de mode
de gestion d’un service public sur son personnel.

A. Les critères jurisprudentiels

Les critères de définition de l’agent public sont au nombre de deux et sont cumulatifs.
L’un est organique, l’autre est matériel.
Un agent public doit en principe être employé par une personne publique. C’est
l’élément organique de la définition (A). Il importe ensuite de prendre en considération
la nature de l’activité gérée par la personne publique employeur : SPA ou SPIC. C’est
l’élément matériel de la définition. Si elle gère un SPA, tous ses agents sont des agents
publics. S’il s’agit d’une personne publique gérant un SPIC, seul le directeur du
service (et le comptable s’il a la qualité de comptable public) est un agent public (B).

1. L’élément organique : l’emploi par une personne publique

Seule une personne publique peut employer un agent public.


CE, 19 juin 1996, Syndicat général CGT des personnels des affaires culturelles (RFDA 1996, p.
850) : « Considérant que l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN)
régie par la loi du 1er juillet 1901, est une personne morale de droit privé ; qu’il suit de là
qu’alors même qu’elle concourt à l’exécution d’un service public de l’État, et quelles que
soient ses modalités de fonctionnement et de financement, les rapports entre elles et les agents
qu’elle recrute pour son compte ne peuvent être que des rapports de droit privé ».

36
De façon assez paradoxale, une telle solution vaut également dans l’hypothèse où le
fonctionnaire est mis à disposition d’une personne privée (alors même que la mise à
disposition est une variante de la position d’activité puisque le fonctionnaire est réputé
occuper son emploi) 11 .

Le critère organique est le plus souvent très aisé à mettre en œuvre. La qualité de personne
publique de l’employeur est, en effet, généralement facile à établir. Il suffit ensuite de
vérifier l’existence d’un lien de travail entre l’agent et cette personne publique. Il
arrive toutefois que la qualification de personne publique ne soit pas évidente.

Il arrive ainsi qu’une personne publique use de stratagèmes, notamment afin de


bénéficier de montages contractuels de droit privé auxquels elle ne peut prétendre. Tel
était le cas de l’État lorsqu’il a cherché à bénéficier des contrats emploi-solidarité alors
même que le code du travail le lui interdisait expressément. Il a pour cela utilisé les
services d’associations (donc de personnes morales de droit privé) qu’il chargeait de
recruter des personnels sur la base d’un tel contrat. Ces associations n’étaient ainsi que
l’employeur apparent de ces personnes dans la mesure où ces dernières étaient en fait
affectées dans les services de l’État et où celui-ci versait à l’association une somme
correspondant à leur rémunération. Cette pratique permettait de bénéficier d’une main
d’œuvre à bon marché (dans la mesure où ces contrats étaient fortement aidés). Le juge
administratif a admis la possibilité de requalifier de tels contrats s’il s’avérait que le
véritable employeur n’était pas l’association mais l’État12.

2. L’élément matériel : le service public

11
TC, 10 mars 1997, Préfet de la région Alsace (Rec. p. 526) : « nonobstant le fait que Mme Foesser ait, dans la
situation de mise à disposition, continué à dépendre de la communauté urbaine de Strasbourg et à percevoir son
traitement de fonctionnaire territorial, le contrat qui l’unissait au centre européen de développement régional
[association à but non lucratif exerçant une mission d’intérêt général] est un contrat de droit privé ».
12
Le Conseil d’État a précisé qu’il convenait pour cela d’utiliser la technique dite du « faisceau d’indices » afin de
déterminer si l’État pouvait être désigné comme l’employeur : « Ces indices pourront être trouvés dans les conditions
d’exécution du contrat : affectation exclusive et permanente dans un service de l’État, tâches confiées relevant des
missions habituelles du service... Ils pourront également être recherchés dans l’existence ou non d’un lien de
subordination vis-à-vis du chef de service concerné : responsabilité et surveillance de ce chef de service ;
directives, conditions et horaires de travail imposés par ce dernier. Ils pourront provenir, le cas échéant, de l’examen
des conditions dans lesquelles l’État a dédommagé l’employeur apparent pour les salaires qu’il a versé à la personne
recrutée sous la forme d’un contrat emploi-solidarité » (CE, Avis, 16 mai 2001, Joly et Padroza, AJFP 4-2001, p. 1).
Étaient en cause dans cet avis les contrats passés par deux personnes avec un centre de formation professionnelle, structure
associative, alors même qu’elles étaient affectées dans les services de la préfecture de la Haute-Garonne. Comme
l’a souligné Pascale Fombeur dans ses conclusions sur cet avis, il s’agit alors d’ « un montage qui vise délibérément à
contourner la loi ».

37
Une personne publique ne peut employer des agents publics que si elle assure une
mission de service public. Si tel n’est pas le cas, ses agents sont des agents de droit
privé 13 . Ce cas de figure n’est toutefois pas très fréquent dans la mesure où la
jurisprudence retient une conception très large de la notion de service public.
La proportion d’agents publics employés par une personne publique varie considérablement
selon qu’elle gère un SPA ou un SPIC14.

Les agents des SPA

La jurisprudence a longtemps été source d’incertitudes.


Dans un premier temps, elle a semblé mêler plusieurs critères. Elle prenait en
particulier en considération la nature de l’emploi, la durée et les conditions de
l’engagement de l’agent. Concluant sur l’arrêt Affortit et Vingtain, le commissaire du
gouvernement Chardeau déclarait en 1954 que « la qualité d’agent de droit public ou de
droit privé est déterminée en fonction de la nature des clauses du contrat, sauf si
l’agent, en raison de l’importance des fonctions qui lui sont confiées, apparaît
nécessairement attaché au service par un lien de droit public ».

Cette jurisprudence ayant abouti à des distinctions « byzantines », le Conseil d’Etat a


opté, dans un deuxième temps, pour un critère apparemment moins complexe. La nature
publique ou privée de la situation juridique de l’agent varie suivant que l’agent en cause
participe directement ou pas à l’exécution du SPA.
Cependant, à l’usage, ce critère s’est révélé incapable de simplifier l’état du droit. Il a ainsi
donné lieu à des solutions difficilement compatibles entre elles. Le Tribunal des conflits a
ainsi jugé en 1982, à propos d’une serveuse dans un restaurant universitaire, « que la nature
de son emploi ne la faisait pas participer directement à l’exécution du service public dont le
CROUS a la charge »15. Quatre ans plus tard, le Conseil d’État a estimé, à propos d’une aide-

13
TC, 18 juin 2001, Lelaidier : « lorsqu’une personne publique gère son domaine forestier à seule fin de procéder à
la vente de bois abattu et façonné, elle accomplit une activité de gestion de son domaine privé, qui n’est pas, par elle-
même, constitutive d’une mission de service public ; que les agents recrutés par cette personne publique pour participer
à l’exécution d’une telle activité sont par suite, et à défaut de texte législatif en disposant autrement, soumis à un régime
juridique de droit privé ».
14
Cette dichotomie est exhaustive et exclusive. Autrement dit, tout service public est soit un SPA, soit un SPIC. La
jurisprudence exige depuis 1956 (CE, Ass., 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques,
D. 1956, p.759) la réunion de trois éléments cumulatifs pour qu’un service public soit qualifié de SPIC. L’objet
du service, ses modalités de financement et enfin ses modalités de fonctionnement doivent être les mêmes que ceux
d’un industriel ou d’un commerçant ordinaire. Si ces trois conditions ne sont pas remplies, le service
public est alors un SPA sauf à ce que le législateur en décide autrement, une telle qualification législative
s’imposant au juge.
15
TC, 19 avril 1982, Dame Robert / CROUS de Rennes (Rec. p. 561).

38
cuisinière d’une cantine scolaire, que ces fonctions « faisaient participer cet agent
contractuel à l’exécution même du service public de la cantine scolaire et lui conférait donc la
qualité d’agent public »16.

Pire, cette jurisprudence engendrait, à son tour, des distinctions byzantines ! Les arrêts Dame
veuve Mazerand (TC, 25 novembre 1963, Rec. p. 792) et Bungener (TC, 29 juin 1987, Rec. p.
451) fournissent des exemples éclatants.
Dans l’affaire Mme Mazerand, la requérante a successivement été employée comme
femme de service chargée du nettoyage des locaux scolaires ainsi que, pendant l’hiver, de
l’allumage et de l’entretien des appareils de chauffage de l’école » avant d’être chargée
de la garderie. Il a donc fallu scinder le litige l’opposant à son ancien employeur, le juge
judiciaire étant compétent pour la première période et le juge administratif pour la seconde.
Dans l’affaire Bungener, le requérant donnait des cours de français et de calcul au personnel
paramédical et au personnel de ménage. Les enseignements dispensés au personnel paramédical
le faisaient participer directement au service public de la formation du personnel paramédical
prévu par la loi alors que ceux d’alphabétisation dispensés au seul personnel de ménage ne le
faisaient pas participer directement au fonctionnement du service public hospitalier.

Une telle situation était d’autant plus critiquable qu’elle touchait des agents aux revenus
modestes, le « petit personnel d’exécution » pour reprendre l’expression de Chardeau.
Cette solution a fait l’objet au début des années 1990 de deux aménagements permettant
de limiter la survenance des hypothèses les plus choquantes :
- tout d’abord, le Tribunal des conflits a considéré que lorsqu’un agent a
successivement été chargé de tâches différentes il convient de se référer, afin
de déterminer le juge compétent pour apprécier les conséquences d’une rupture
de son lien d’emploi, « aux fonctions qu’exerçait l’intéressée au cours de la
période précédant immédiatement le licenciement ».
- ensuite, il a jugé que lorsque des fonctions temporaires s’ajoutent aux fonctions
primitives de l’agent cela n’a pas pour effet de modifier sa situation juridique et
que dès lors c’est le juge compétent à propos des fonctions initiales qui l’est
aussi au sujet des litiges relatifs aux fonctions temporaires.

Le juge a fini par abandonner, en 1996, la jurisprudence Affortit et Vingtain. L’arrêt


Berkani marque ainsi le troisième et dernier temps de sa jurisprudence. Il résulte de cet
16
CE, 10 décembre 1986, Mlle Rousseau, Rec. p. 278.

39
arrêt que « les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public
à caractère administratif sont des agents contractuels de droit public quel que soit leur
emploi ». Si la simplification opérée pare cette décision doit être saluée, la rédaction de ce
considérant de principe est critiquable. Le Tribunal des conflits omet, en effet, de préciser
que le service public administratif doit être géré par une personne publique. La
rectification a été effectuée par le Conseil d’Etat dans un arrêt Commune de Cereste : « les
agents contractuels d’une personne publique affectés à un service public à caractère
administratif sont des agents contractuels de droit public quel que soit leur emploi » (CE,
26 juin 1996, Rec. p. 246).

Les agents des SPIC

Le juge administratif ne peut être saisi des litiges d’ordre individuel opposant l’agent
d’une personne publique gérant un SPIC à son employeur « à l’exception de celui des-
dits agents qui est chargé de la direction de l’ensemble des services de l’établissement,
ainsi que du chef de la comptabilité lorsque celui-ci possède la qualité de comptable
public » (CE, Sect., 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, Rec. p. 157).

La jurisprudence initiée par l’arrêt De Robert Lafrégeyre en 1923 a vu son champ


d’application se réduire, puisqu’on est passé des agents exerçant des fonctions de
direction, à l’agent chargé de la direction de l’ensemble des services de l’établissement
(et éventuellement le comptable).

Selon René Chapus, une formule applicable à l’ensemble de « l’état-major » de


l’établissement, à ceux qui sont « à sa tête », « serait mieux adaptée à la réalité des
entreprises publiques et à la préoccupation d’intérêt général dont procède la
détermination des agents placés dans une situation de droit public ». Une telle analyse
correspond à la rédaction de jugements et arrêts plus ou moins récents. Il semble
toutefois que le critère de l’équipe dirigeante est certes « attrayant mais complexe »
alors que celui du plus haut emploi retenu par le juge est peut-être « brutal » mais il est
« simple et clair » (A. de Laubadère).

Cas particuliers. On peut estimer que la jurisprudence Affortit et Vingtain n’est pas
entièrement obsolète s’agissant des agents employés par une personne publique exerçant à la
fois une mission de SPA et de SPIC, tels par exemple les établissements publics à « double
visage ». En effet, pour déterminer à propos d’un agent s’il agit d’un agent public ou d’un

40
salarié de droit privé il convient que le juge s’interroge sur ses fonctions, qu’il vérifie qu’il
participe ou pas à la mission de SPA ou à celle de SPIC.

B. La neutralisation des critères jurisprudentiels par le législateur

Il arrive qu’une loi prescrive, de façon redondante, l’application des critères


jurisprudentiels (tel a notamment été le cas à propos des adjoints de sécurité, inutilement
qualifiés de contractuels de droit public).
L’intervention du législateur sert toutefois plus fréquemment à écarter les critères
jurisprudentiels. Elle peut être soit directe (en qualifiant expressément les agents en cause),
soit indirecte en qualifiant leur employeur (spécialement dans l’hypothèse d’un établissement
public « à visage inversé » à propos duquel le législateur affirme qu’il gère un SPIC alors
même qu’il gère un SPA).
Ces tempéraments ne peuvent être que le fait du législateur et non du pouvoir réglementaire
dans la mesure où la répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions relève du
domaine de la loi.

La reconnaissance de la qualité d’agent public

Le législateur a choisi de maintenir le statut de fonctionnaire au personnel de l’Imprimerie


nationale ou encore de La Poste en dépit de leur transformation respectivement en une société
privée et en un exploitant public (EPIC).
Le cas de France Télécom est également très intéressant. Il s’agit, en effet, aujourd’hui
d’une personne privée qui n’a plus pour objet essentiel l’exécution de missions de
service public et qui est, désormais, du point de vue de ses missions, une entreprise
commerciale presque comme les autres. Pour autant, les fonctionnaires de France
Télécom (106 000 au 31 décembre 2002, étant précisé que l’entreprise ne peut plus en
recruter depuis le 1er janvier 2002) conservent cette qualité.

Saisi dans le cadre de sa compétence administrative, le Conseil d’État a dégagé un principe


constitutionnel « selon lequel des corps de fonctionnaires de l’État ne peuvent être
constitués et maintenus qu’en vue de pourvoir à l’exécution de missions de service
public » (Ass. générale, 18 novembre 1993). Selon cet avis, « ce principe ferait obstacle à
ce que des corps de fonctionnaires de l’État puissent se trouver placés auprès
d’organismes dont l’objet essentiel ne serait pas d’assurer l’exécution de telles missions ».

41
Saisi de la question de la constitutionnalité de la loi du 31 décembre 2003, le Conseil d’État a
considéré que le dispositif prévu était conforme à la Constitution dans la mesure où la situation
était purement transitoire (les corps de fonctionnaires de France Télécom sont en extinction) et
serait réévaluée d’ici quinze ans, en 2019.

L’exclusion de la qualité d’agent public

La négation de la qualité d’agent public est fréquemment défavorable aux intérêts des
salariés. L’objectif du législateur est généralement d’assurer une certaine souplesse dans
la gestion de personnels en phase d’insertion ou de réinsertion professionnelle et
bénéficiant pour ce faire d’emplois aidés ou subventionnés. Tel a été le cas des
contrats emploi-solidarité. Ces contrats « sont des contrats de travail de droit privé à
durée déterminée » alors même que l’employeur peut parfaitement être une personne
publique (sauf l’État) gérant un SPA.
De la même manière, les contrats emplois-jeunes qui peuvent être conclus sous
conditions par les personnes publiques (sauf l’Etat) sont eux aussi des contrats de droit
privé.

Négation de la qualité d’agent public et emplois pérennes. Il arrive que d’autres


hypothèses de qualification soient nettement moins défavorables pour les agents que
celles ci-dessus évoquées. Tel est le cas d’une partie du personnel des caisses nationales de
l’assurance maladie, des allocations familiales, d’assurance vieillesse, et de l’agence centrale
des organismes de sécurité sociale alors même qu’il s’agit d’établissements publics à
caractère administratif. Mérite également mention, tant sa situation est particulière, la
Banque de France. Mais existe de longue date une curieuse distorsion entre la compétence
juridictionnelle et le fond, le juge administratif étant compétent pour connaître des litiges
d’ordre interne à la Banque depuis 1806 mais appliquant à la résolution des litiges l’opposant à
son personnel les règles du droit du travail.

C. L’incidence de la reprise d’activité sur le statut du personnel

1. La reprise sous la forme d’un SPIC

C’est l’hypothèse la plus classique et la moins problématique. Les agents de la personne


privée gérant initialement le service étaient liés à elle par des contrats de droit privé et
continueront à l’être avec leur nouvel employeur.

42
TC, 15 mars 1999, Faulcon / Commune de Châtellerault (Dr. Soc. 1999, p. 673) : « La
commune de Châtellerault, qui a repris en régie directe l’exploitation des abattoirs municipaux
antérieurement affermés à une société, doit, pour la poursuite de l’exploitation du même
service public industriel et commercial être considérée comme un nouvel employeur au sens
de l’article L. 122-12 du code du travail, tenu en conséquence de respecter les contrats de travail
en cours ».
Le principe de la reprise de l’agent vaut également pour le directeur du service.
Cependant, compte tenu « des prérogatives dont dispose une personne publique à l’égard
des services publics placés sous son autorité, le maintien de l’intéressé à ce poste de
responsabilité requiert la mise en œuvre d’un régime de droit public » (Faulcon /
Commune de Châtellerault). Dès lors, la personne publique qui reprend l’activité peut
soit confirmer le directeur dans ses fonctions par un contrat de droit public, soit le licencier
(et ce licenciement sera soumis aux règles du droit du travail puisqu’il n’aura pas acquis la
qualité d’agent public).

2. La reprise sous la forme d’un SPA

Classiquement, la jurisprudence estimait que l’article L. 122-12 n’était pas applicable à une
telle situation. La jurisprudence exigeait en effet, depuis le début des années quatre-vingt dix, la
réunion de deux conditions : le transfert d’une entité économique autonome et le maintien de
l’identité de l’entité transférée. La conséquence logique de la seconde de ces conditions était donc
que l’article L 122-12 n’était pas applicable à la reprise d’une entité économique par un
service public administratif.

Dans un arrêt Mayeur du 26 septembre 2000, la Cour de justice a jugé que la directive 77/187
n’exclut pas de son « champ d’application le transfert d’une activité économique d’une
personne morale de droit privé à une personne morale de droit public, en raison du seul fait que
le cessionnaire de l’activité est un organisme de droit public ». La personne publique est donc
tenue de reprendre les salariés de droit privé en toutes circonstances.

Les juridictions françaises se sont, l’une après l’autre, alignées sur cette solution 17.

17
Le Tribunal des conflits indique clairement que les dispositions de l’article L. 122-12 « n’ont pas pour effet
de transformer la nature juridique des contrats de travail en cause, qui demeurent des contrats de droit privé tant
que le nouvel employeur public n’a pas placé les salariés dans un régime de droit public » (TC, 19 janvier
2004, Devun e. a. / Commune de Saint-Chamond). La Cour de cassation a jugé « que la seule circonstance que le
cessionnaire soit un établissement public à caractère administratif lié à son personnel par des rapports de droit public ne
peut suffire à caractériser une modification dans l’identité de l’entité économique transférée ». En conséquence, l’article L.
122-12 trouve à s’appliquer dans cette hypothèse (Cass. soc., 25 juin 2002, AGS de Paris / Hamon).

43
Le Conseil d’Etat a ensuite jugé, dans son arrêt Lamblin (CE, Sect., 22 octobre 2004), que
« lorsque l’activité d’une entité économique employant des salariés de droit privé est reprise
par une personne publique gérant un service public administratif, il appartient à cette
dernière, […] soit de maintenir le contrat de droit privé des intéressés, soit de leur proposer
un contrat de droit public reprenant les clauses substantielles de leur ancien contrat dans la
mesure [...] où des dispositions législatives ou réglementaires n’y font pas obstacle [et] que,
dans cette dernière hypothèse, le refus des salariés d’accepter les modifications qui
résulteraient de cette proposition implique leur licenciement par la personne publique, aux
conditions prévues par le droit du travail et leur ancien contrat ».

Il appartient donc à la personne publique soit de maintenir le contrat de droit privé


des intéressés, soit de leur proposer un contrat de droit public reprenant les clauses
substantielles de leur ancien contrat dans la mesure où des dispositions législatives ou
réglementaires n’y font pas obstacle 18 . L’effet simplificateur de la jurisprudence
Berkani s’en trouvait ainsi contrarié. En dépit de son apparente simplicité, cette solution posait
des difficultés pratiques considérables. En particulier, la collectivité publique est-elle tenue de leur
conserver tous les avantages dont ils bénéficiaient dans leur situation antérieure ? Qu’en est-il lorsque
les règles du droit public ne permettent pas de maintenir ces avantages, notamment le montant de leur
rémunération ?

La loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à


la fonction publique est venue écarter la jurisprudence Lamblin en précisant qu’il
appartient en principe à la personne publique de proposer aux agents un contrat de
droit public substantiellement équivalant à leur précédent contrat de travail. En cas de
refus de cette proposition, la personne publique procède au licenciement des agents en
application des règles du droit du travail19.

18
CE, Sect., 22 octobre 2004, Lamblin (RFDA 2005, p. 187, concl. E. Glaser).
19
L’article 20 de cette loi dispose que « Lorsque l’activité d’une entité économique employant des salariés de
droit privé est, par le transfert de cette activité, reprise par une personne publique dans le cadre d’un service
public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit
public à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires .
Sauf disposition législative ou réglementaire ou conditions générales de rémunération et d’emploi des
agents non titulaires de la personne publique contraires, le contrat qu’elle propose reprend les clauses
substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulière celles qui concernent la rémunération.
En cas de refus des salariés d’accepter les modifications de leur contrat, la personne publique procède à leur
licenciement, dans les conditions prévues par le droit du travail et par leur contrat ».

44
La loi n’oblige par conséquent la personne publique qu’à proposer un contrat de travail
éventuellement à durée indéterminée si les salariés concernés disposaient d’un tel contrat. Le
maintien de la rémunération ou des autres avantages résultant du contrat et du statut
antérieurs n’est dû, en revanche, que si les dispositions législatives ou réglementaires, voire
les conditions générales de rémunération et d’emploi de la personne publique d’accueil ne s’y
opposent pas.

Le décret du 12 mars 2007 autorise, quant à lui, la prise en compte des services antérieurs
effectués au sein du précédent employeur, ce dernier étant le plus souvent une association ou
une entreprise. La durée des services effectués chez la personne privée, dont l’activité a été
reprise par une personne publique, comptera comme autant de services publics effectifs
accomplis auprès de l’employeur public. Cette prise en compte des services antérieurs était de
toute façon exigée par le droit communautaire20.

La question de l’application de l’article L. 122-12 est aujourd’hui d’actualité en raison


de la nécessité d’organiser le transfert des personnels des aérodromes jusque-là gérés
par les CCI. En effet, jusqu’à présent, nombre d’aérodromes (150) étaient gérés par des CCI
auxquelles l’État avait concédé l’exploitation commerciale. Mais la loi du 13 août 2004 opère
un transfert aux collectivités territoriales de la gestion et de la propriété des aérodromes
appartenant à l’État.

L’une des questions est de savoir quel sera l’avenir des personnels de ces aérodromes
employés jusqu’alors par les CCI. Or, la difficulté tient à ce que la loi du 13 août 2004
n’apporte aucune solution21.

II. La catégorisation des agents publics


20
CJCE, 11 novembre 2004, aff. C-425/02, Delahaye.

21
Trois grandes catégories de personnels travaillant à l’aéroport peuvent être identifiées : le personnel de la CCI
bénéficiant du statut des personnels administratifs des CCI ; les personnes bénéficiant de l’extension du statut ;
les salariés soumis au droit commun du travail.
 Malgré la fin de la concession, les personnels administratifs consulaires conservent le même employeur (la
CCI) qui doit les réaffecter à d’autres emplois et missions ou éventuellement les placer en détachement ou les
mettre à disposition. Cependant, les emplois seront vraisemblablement supprimés si la CCI ne conserve pas à
terme l’exploitation de l’aérodrome car elle n’aura probablement pas d’autres emplois à proposer à ses agents.
 Les personnels bénéficiant de l’extension du statut sont des agents de droit privé dont le contentieux relève des
juridictions judiciaires. Par conséquent, l’application à leur égard de l’article L. 122-12 du Code du travail ne
devrait pas poser de difficulté.
 Les salariés soumis au droit commun du travail et affectés à des missions de service public industriel et
commercial bénéficieront également de l’article L. 122-12 du Code du travail. Par conséquent, les contrats de
travail devraient être transférés à l’État, dans un premier temps, puis à la collectivité territoriale ou au
groupement qui assurera la gestion de l’aérodrome dans lequel ces agents travaillaient.

45
Les agents publics se trouvent dans des situations très variées bien qu’ils soient tous soumis à
un régime de droit public et que les litiges qui les opposent à leur employeur relèvent de la
compétence du juge administratif.
Le droit de la fonction publique distingue nettement deux grandes catégories d’agents
publics : les fonctionnaires ou agents publics titulaires, d’une part, et les agents publics
non titulaires, d’autre part.
Un agent public est en principe un fonctionnaire. L’article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant
droits et obligations des fonctionnaires dispose que « sauf dérogation prévue par une
disposition législative, les emplois civils permanents de l’État, des régions, des
départements, des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont, à
l’exception de ceux réservés aux magistrats de l’ordre judiciaire et aux fonctionnaires des
assemblées parlementaires, occupés soit par des fonctionnaires régis par le présent titre, soit
par des fonctionnaires des assemblées parlementaires, des magistrats de l’ordre judiciaire ou
des militaires dans les conditions prévues par leur statut ». Cette disposition pose ainsi un
principe de valeur législative d’occupation des emplois civils permanents de
l’administration par des fonctionnaires. L’agent non titulaire ne peut donc théoriquement être
recruté que de manière exceptionnelle. Pourtant, cette exception est devenue, en pratique, très
courante. On estime qu’environ 12 % des agents publics ne sont pas des fonctionnaires.
Marcel Piquemal a pu dire des non-titulaires qu’ils « sont les mal aimés et les mal nommés de
la fonction publique. Mal aimés parce que sous-estimés de l’administration et admis avec
difficulté par les organisations professionnelles. Mal nommés parce que définis de manière
négative par rapport à une situation de référence dont on leur refuse l’accès ».

A. L’agent public titulaire : le fonctionnaire

1. La notion de fonctionnaire

La définition du fonctionnaire se déduit de l’article 2 de la loi du 11 janvier 1984 portant


dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État. Cet article dispose en
effet que « le présent titre s’applique aux personnes qui, régies par les dispositions du titre
Ier du statut général, ont été nommées dans un emploi permanent à temps complet et
titularisées dans un grade de la hiérarchie des administrations centrales de l’État, des
services extérieurs en dépendant ou des établissements publics de l’État ». Cette
disposition pose trois éléments cumulatifs permettant de caractériser un fonctionnaire : le

46
fonctionnaire est un agent nommé ; il occupe un emploi permanent ; il est titularisé
dans un grade de la hiérarchie administrative.

a. Les éléments de définition du fonctionnaire

 La nomination. L’acte de nomination est, d’un point de vue matériel, un acte-condition. Cet
acte attribue à un individu déterminé une situation juridique légale et réglementaire. D’un
point de vue formel, l’acte de nomination est un « acte unilatéral soumis à une condition
résolutoire ». L’acte de nomination entre, en effet, en vigueur et crée des droits au profit
de son destinataire dès sa signature22. Pour autant, cette nomination ne vaut que si son
destinataire l’accepte. S’il la refuse, l’administration est tenue de retirer l’acte de
nomination qui sera ainsi réputé n’être jamais intervenu.

 L’occupation d’un emploi permanent. L’expression "emploi permanent" signifie non


seulement que l’emploi doit être permanent mais aussi qu’il doit être occupé à titre
permanent. Les agents occupant un emploi non permanent (les journaliers par exemple)
et ceux occupant un emploi permanent de manière non permanente (à l’instar d’un
intérimaire ou d’un vacataire) ne remplissent pas cette condition nécessaire pour être
qualifié de fonctionnaire.
La permanence de l’occupation de l’emploi ne va toutefois pas jusqu’à exclure la
possibilité pour un fonctionnaire de travailler à temps partiel dans chacune des
trois fonctions publiques23.

 La titularisation dans un grade de la hiérarchie administrative. Le grade correspond au


« titre qui confère à son titulaire vocation à occuper l’un des emplois qui lui
correspondent ». L’appartenance à un corps de fonctionnaire est l’élément décisif de
distinction du fonctionnaire du simple agent public 24. La titularisation dans un grade
permet au fonctionnaire, en cas de suppression de son emploi, d’être affecté dans un nouvel
emploi. A la différence du fonctionnaire, l’agent non titulaire doit, en pareil cas, trouver un
autre employeur.

22
Son retrait est donc impossible (sauf à ce qu’il ait été illégal) avant même qu’il ait été notifié (ou le cas
échéant publié) et le fonctionnaire peut, dès sa nomination, occuper son nouvel emploi.
23
Cependant, dans la fonction publique de l’État, les emplois permanents à temps complet sont en principe
occupés par des fonctionnaires tandis que ceux à temps partiel devraient l’être par des agents contractuels.
24
Le corps, ou le cadre d’emplois dans la fonction publique territoriale, est un ensemble comprenant un
ou plusieurs grades ; groupant les fonctionnaires soumis au même statut particulier et ayant vocation aux
mêmes grades, autrement dit à occuper les mêmes types d’emplois, à faire des carrières proches.

47
b. La nature juridique de la situation du fonctionnaire

C’est le statut de Vichy qui a consacré la conception statutaire et réglementaire en des termes
solennels : « le fonctionnaire est soumis, dès son entrée dans les cadres, aux dispositions
législatives et réglementaires régissant la fonction publique. Les modifications ultérieures lui
sont applicables dès leur publication, sans que l’intéressé puisse se prévaloir de prétendus
droits acquis résultant des textes antérieurement en vigueur ». La loi du 19 octobre 1946 contient
une formule plus sobre mais équivalente que l’on retrouve aujourd’hui dans la loi du 13
juillet 1983 : « Le fonctionnaire est, vis-à-vis de l’administration, dans une situation statutaire et
réglementaire ».
Cette situation légale et réglementaire est la conséquence du fait que « la fonction publique
n’est pas un métier, une profession comme les autres. Des intérêts publics, supérieurs
aux intérêts privés, sont ici en cause (...) Le lien qui unit l’administration et le
fonctionnaire ne saurait donc être considéré comme un contrat librement et entièrement
débattu entre les parties et dont chaque clause peut être discutée et éventuellement
adaptée aux situations personnelles » (Y. Fagon).

Les conséquences de la situation légale et réglementaire des fonctionnaires.


Tout d’abord, les fonctionnaires ne peuvent invoquer aucun droit acquis au maintien de
leur statut. Le statut peut, en effet, être modifié à tout moment par le législateur et le
pouvoir réglementaire. D’un point de vue théorique, cette mutabilité peut très bien jouer en
défaveur des agents. Le débat politique et syndical sur la défense des prétendus droits
acquis de telle ou telle catégorie de fonctionnaires est ainsi juridiquement infondé.
Ensuite, ce caractère légal et réglementaire de la situation du fonctionnaire exclut que le
fonctionnaire puisse être uni à son employeur par un contrat.
Enfin, les accords collectifs passés entre l’administration et les représentants des agents sont
dépourvus de valeur juridique. Sur ce point, le décalage entre le droit et le fait est tout à fait
saisissant. En droit, ces accords n’ont aucune valeur. Cependant, en pratique, on voit mal, pour
des raisons politiques évidentes, un gouvernement signer un accord pour ensuite ne pas le
mettre en œuvre via des dispositions réglementaires ou le dépôt d’un projet de loi. En outre, un
débat est aujourd’hui lancé sur le fait de savoir s’il ne faudrait pas reconnaître, au moins
indirectement une valeur juridique à ces accords par exemple en instaurant une procédure
d’homologation des accords collectifs.

2. La récurrence des plans de résorption de l’emploi précaire

48
Juridiquement, les agents publics non titulaires n’ont aucun droit à acquérir la qualité de
fonctionnaire, ils n’ont nullement vocation à être titularisés. Cependant, en pratique, cette
titularisation est courante. Cela n’est guère surprenant pour les fonctionnaires stagiaires, pour
lesquels le stage n’est qu’une période probatoire avant une prévisible titularisation. Les
stagiaires peuvent donc être présentées comme des fonctionnaires « en devenir
» (a). La titularisation est plus surprenante pour les autres agents non titulaires. Néanmoins, ils
font régulièrement l’objet de plans successifs de titularisation. Cela fait d’eux des
fonctionnaires « en puissance » (b).

a. Les fonctionnaires stagiaires, fonctionnaires « en devenir »

Notion de fonctionnaire stagiaire. Les fonctionnaires stagiaires sont les « personnes


qui ont satisfait à l’une des procédures de recrutement (...) et qui ont vocation à être
titularisées après la période probatoire ou la période de formation qui est exigée par le
statut particulier du corps dans lequel elles ont été recrutées ».
Il existe ainsi deux catégories de stagiaires : ceux, les plus nombreux, qui sont véritablement
nommés dans leur futur emploi permanent et doivent y faire leurs preuves et ceux qui suivent
une formation dans une école administrative durant toute la durée de leur stage.
Marcel Waline a justifié l’existence d’un stage en affirmant que « les parchemins délivrés après
les examens, de même que le succès à un concours prouvent seulement l’étendue des
connaissances théoriques ou livresques des candidats, non leur valeur humaine, leurs qualités
d’action ; c’est au pied du mur que l’on juge le maçon ».

Le stage est en principe obligatoire, même s’il existe des exceptions (professeurs
d’université par exemple, ou conseillers de TA et de CAA). Sa durée est normalement
d’un an. Le fonctionnaire stagiaire est en principe soumis aux textes particuliers qui lui sont
consacrés et à titre secondaire aux dispositions du statut de la fonction publique « dans
toute la mesure où les dispositions de ce statut sont conciliables avec la nature particulière
de la qualité de stagiaire ». Il n’existe en fait qu’une différence essentielle entre le titulaire et
le stagiaire. Ce dernier se trouve, en droit au moins, dans une situation de précarité alors que le
fonctionnaire bénéficie de la garantie de l’emploi.

La fin du stage. C’est lorsque le stage s’achève que la précarité de la situation du stagiaire
apparaît pleinement. Cette fin peut être anticipée ou intervenir au terme du délai prévu.

49
 Un licenciement est susceptible d’intervenir pour insuffisance professionnelle mais
uniquement si le stagiaire a accompli au moins la moitié de son stage. Le licenciement est aussi
possible pour inaptitude physique ou pour motifs disciplinaires. Tout licenciement en cours de
stage est en effet soumis à un contrôle normal. Il doit être motivé. En outre, l’agent a droit à la
communication de son dossier. C’est parce que le stagiaire ayant droit à accomplir l’intégralité
de la période probatoire prévue, que son licenciement anticipé est strictement encadré par le
juge administratif.
 Le stagiaire non titularisé, et donc licencié en fin de stage, bénéficie en
comparaison d’une moindre protection. Le juge se limite à un contrôle de l’erreur
manifeste d’appréciation du licenciement pour insuffisance professionnelle. Le
licenciement n’a pas à être motivé et l’agent ne bénéficie pas de la communication de
son dossier 25 . Cette dissymétrie entre les garanties offertes à l’agent contre le
licenciement en cours de stage et l’éviction en fin de stage est révélatrice du fait que
si l’agent a le droit de faire ses preuves (et donc à mener son stage à son terme), il n’a
nul droit à la titularisation.

Le nombre de licenciements en fin de stage est aujourd’hui dérisoire, de l’ordre de


quelques dizaines par an. Cela résulte indéniablement de la frilosité de nombreux
employeurs publics qui n’assument pas leurs responsabilités. Dans ces conditions,
accroître la protection des stagiaires accentuerait encore ce phénomène et aurait
immanquablement pour effet de réduire encore davantage le nombre de refus de
titularisations.

b. Les autres agents publics non titulaires, fonctionnaires « en puissance »

Fréquence des plans de résorption de l’emploi précaire. A partir de la première guerre


mondiale, la croissance de cette « sous-fonction publique, ne bénéficiant ni des garanties
du statut des fonctionnaires, ni de celles du droit du travail, [a été] cause de malaises
et de constantes revendications syndicales » (R. Chapus). Les plans de titularisation se
sont succédés à partir du moment où le nombre d’agents non titulaires est devenu
suffisamment important pour s’organiser, constituer une sorte de fonction publique
parallèle et, finalement, de faire pression sur les pouvoirs publics.

25
CE, Sect., 3 décembre 2003, Syndicat intercommunal de restauration collective (à propos d’un « stagiaire de
droit commun ») et CE, Sect., 3 décembre 2003, Mansuy (à propos d’une « stagiaire par détermination de la
loi »).

50
Marcel Pochard considère ainsi que les non-titulaires « sont à l’extérieur de ce que l’on pourrait
qualifier de forteresse, sans autre avenir, pour une large partie d’entre eux, que d’entrer un jour
dans cette forteresse. Ce qui explique la revendication périodique des organisations syndicales
de titularisations exceptionnelles de ces non-titulaires […]. Les fonctionnaires sont trop
conscients de la différence de situation, selon que l’on est à l’intérieur ou à l’extérieur de la
forteresse, notamment en terme de mobilité, pour ne pas vivre mal cette présence à leur côté
d’agents ne bénéficiant pas de leurs avantages et qui sont en quelque sorte leur mauvaise
conscience, même s’ils savent rappeler aux contractuels qu’ils auraient eu tout loisir de rentrer
dans la Fonction publique par la voie du concours ».

On dénombre une quinzaine de plans de titularisations depuis la loi du 19 octobre 1946. Depuis
1983, trois vagues législatives se sont succédées.
 Tout d’abord, la loi du 11 juin 1983 est venue autoriser l’intégration des agents non titulaires
qui occupaient des emplois civils permanents de l’Etat et de ses établissements publics. Ce plan
de titularisation a été mis en place avant même l’édiction du nouveau statut de la fonction
publique (loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires).

 La loi du 16 décembre 1996 relative à l’emploi dans la fonction publique et à diverses


mesures d’ordre statutaire est consensuelle. Ce texte est la traduction législative d’un
accord conclu par l’État et différentes organisations syndicales représentatives.
S’appliquant aux trois fonctions publiques, il a prévu d’ouvrir, pour une durée maximale de
quatre ans à compter de sa publication, des concours réservés aux agents non titulaires
(exerçant des fonctions du niveau de la catégorie C ou des fonctions d’éducation ou
d’enseignement) remplissant une série de conditions (spécialement justifier de quatre années
de services effectifs au cours des huit dernières années). Ce plan de titularisation a abouti à
environ 55 000 titularisations. Il a cependant fallu mettre en place un nouveau plan d’intégration
dès que le délai de quatre ans prévu par la loi de 1996 a expiré.

 La loi du 3 janvier 2001 a également fait l’objet d’un large consensus. Issue, elle aussi,
d’un accord entre le gouvernement et les syndicats représentatifs, ce texte prévoit tout d’abord
l’organisation de concours réservés aux candidats remplissant les conditions suivantes :

- avoir exercé, en tant qu’agent public contractuel, pendant au moins deux mois au cours
des douze mois précédant l’accord passé entre le gouvernement et les syndicats des
missions normalement dévolues à un fonctionnaire ;

- justifier d’une durée de services publics effectifs au moins égale à trois ans

51
d’équivalent temps plein au cours des huit dernières années (au plus tard à la date de
clôture des inscriptions au concours) ;

- justifier des titres ou diplômes requis des candidats au concours externe d’accès aux
corps concernés.

Ces mesures ne suffiront pas. Rien n’y fait : le nombre d’agents non titulaires ne diminue
pas sensiblement.

Un bon moyen d’éviter la répétition périodique de plans de titularisation de grande


ampleur est peut-être de recourir plus souvent au contrat à durée indéterminée dans la fonction
publique. Le principal argument en faveur de la titularisation disparaît ainsi puisque les non-
titulaires ne se trouvent alors plus dans une situation précaire. L’intégration de ces agents
dans la fonction publique apparaît donc beaucoup moins justifiée.

3. Les bénéficiaires du PACTE26

Le PACTE prend place dans un contexte favorable au développement de l’entrée dans la


fonction publique sans concours. Constatant que les concours ont « des effets pervers » en
attirant au sein de la catégorie C de plus en plus de diplômés, le Premier ministre, Dominique
de Villepin, en conclut que « la fonction publique laisse de côté les moins favorisés et qu’elle
doit jouer un rôle plus actif en matière de lutte contre les inégalités et les discriminations ».
Avec le PACTE, l’objectif est donc selon le ministre de la Fonction publique de l’époque,
Renaud Dutreil, de « remettre en marche l’ascenseur social » et de rendre la fonction
publique « plus représentative de la société qu’elle sert » en favorisant les jeunes non
qualifiés.
Dans le cadre de la fonction publique d’Etat, l’objectif affiché est l’accession d’ici 2008 de la
moitié des agents au corps de catégorie C par l’apprentissage et la formation en alternance.
Pour ce faire, des incitations financières ont été instituées27.

L’ordonnance du 2 août 2005 relative aux conditions d’âge dans la fonction publique et
instituant un nouveau parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale, de la
fonction publique hospitalière et de la fonction publique de l’Etat vise ainsi plus
spécifiquement les jeunes sans qualification. Le PACTE s’adresse aux jeunes de 16 à 25
révolus sortis du système éducatif sans diplôme et sans qualification professionnelle
26
Isabelle Muller-Quoy, Le « PACTE » : une voie contractuelle d’intégration à la fonction publique, AJFP
2007, p. 129.
27
Exonération des cotisations patronales de sécurité sociale + prime en cas de recrutement d’un fonctionnaire à
l’issue d’un PACTE.

52
reconnue. Ces recrutements sociaux sont critiqués dans la mesure où ils paraissent valoriser
l’échec scolaire. On peut également se demander s’ils sont compatibles avec le souci
d’efficacité et d’excellence que revendique la fonction publique. Le risque est également
important d’introduire une discrimination à rebours au détriment des candidats diplômés. Il
n’est pas sûr que ce dispositif de discrimination positive, fondé non pas sur des critères
sociaux mais bien sur l’échec scolaire soit conforme au principe d’égal accès aux emplois
publics.

L’autre difficulté posée par le PACTE tient aux modalités concrètes de cette nouvelle
possibilité d’entrée dans la fonction publique « hors concours ». Elle se traduit, en effet, par
une procédure complexe qui combine contrat puis statut. Le PACTE est, en effet, un contrat
de droit public dont la finalité est la titularisation dans un cadre d’emplois de la fonction
publique.
Avertis par une large publicité, les jeunes doivent présenter leur candidature décrivant leur
parcours de formation et leur expérience éventuelle auprès de l’agence de l’ANPE dont relève
leur domicile. Une fois sélectionnés, ces jeunes sont liées à l’administration par un contrat de
droit public, dont la durée varie entre un et deux ans. La période d’essai est de deux mois.
Leur rémunération est calculée en pourcentage du minimum de traitement de la fonction
publique : 55 % au moins de ce minimum si l’agent a moins de 21 ans ; 70 % au moins si
l’agent a plus de 21 ans.

Ce contrat se présente comme un "prérecrutement" et la situation du bénéficiaire s’apparente


sur de nombreux points à celle d’un stagiaire. L’objectif est en effet d’acquérir une formation
en alternance qui doit permettre l’intégration en tant que fonctionnaire titulaire sans concours
mais après vérification des aptitudes.
Un mois avant la fin du contrat, après obtention de la qualification, du titre ou du diplôme
requis pour l’accès au cadre d’emplois, l’aptitude professionnelle du candidat est examinée
par une commission de titularisation.
Pour être titularisé, l’agent doit être déclaré apte à exercer les fonctions et avoir obtenu le titre
ou le diplôme requis pour l’accès au cadre d’emplois qui correspond au poste occupé. La
titularisation est subordonnée à l’engagement d’accomplir une période de services effectifs
dans la collectivité ou l’établissement public ayant procédé au recrutement (deux fois la durée
du contrat). En cas de rupture de l’engagement, l’intéressé doit normalement rembourser les
frais de formation engagés par la collectivité ou l’établissement public.

53
En cas de défaillance de l’agent, le stage est prorogé. En cas de nouvel échec, l’agent est
licencié. Il pourra alors prétendre à des indemnités chômage.

B. Les agents publics non titulaires

1. Des agents indispensables

Personne ne conteste la nécessité de recourir à des agents non titulaires pour faire face
à des besoins urgents ou imprévus, l’organisation d’un concours étant trop lourde pour
faire face à de tels besoins. Le recours aux agents non titulaires s’impose également
pour embaucher des agents sur des emplois très spécialisés.

Le débat porte ainsi moins sur le principe même de l’emploi d’agents non titulaires que sur
le nombre de ces non-titulaires. Le recours aux non-titulaires est, en effet, fréquemment
dévoyé. Il permet tantôt de réaliser des économies (les non-titulaires étant pour la plupart
moins bien traités que les titulaires), tantôt d’échapper aux contraintes du concours et de
recruter dans une perspective clientéliste.

Le recours aux agents non titulaires est strictement encadré par les statuts dans la mesure
où il constitue une dérogation au principe de l’occupation des emplois permanents par des
titulaires.

Le nombre d’agents non titulaires demeure malgré tout important. La proportion d’agents non
titulaires est cependant très variable entre les trois fonctions publiques, et au sein même de
chacune d’entre elles. Ils sont au total plus de 700 000, soit environ 12 à 15 % des effectifs
totaux de la fonction publique :

- 6 % dans la fonction publique hospitalière ;

- plus de 20 % dans la fonction publique territoriale. Les disparités sont importantes d’une
filière à l’autre : ainsi la filière incendie-secours a une part de titulaires supérieure à 95 %
tandis que la filière animation n’en a que 20 %) ;

- 15 % environ dans la fonction publique de l’État. Les disparités par ministères sont ici
parfois spectaculaires : plus de 40 % de non-titulaires au ministère des Affaires
étrangères, moins de 5 % au ministère de la Justice par exemple).

2. Des agents unis à l’administration par un "contrat d’adhésion"

« L’aspect proprement contractuel est illusoire dans la mesure où le contenu du contrat est
le plus souvent prédéterminé par des dispositions réglementaires qui s’imposent aux parties.

54
Derrière le contrat il y a en fait un statut qui se dessine » (B. Genevois).
Le Conseil d’État a ainsi posé le principe suivant lequel « l’autorité administrative peut […]
fixer et modifier librement les dispositions réglementaires qui régissent les agents des
services publics, même contractuels, et notamment celles qui sont relatives aux conditions de
leur rémunération »28. Le contrat n’a qu’une vocation supplétive ou accessoire : il ne joue
qu’à la marge lorsque les dispositions réglementaires le permettent.

Les contrats de recrutement d’agents publics sont donc de « faux contrats »29. Les agents
publics non titulaires sont donc dans une situation essentiellement réglementaire.
La compétence législative ne valant que pour les fonctionnaires, le Conseil d’État a considéré « qu’il ne
résulte pas de l’article 34 de la Constitution que le législateur doive fixer les principes fondamentaux
applicables aux agents non titulaires de l’État ; le Premier ministre, en vertu du pouvoir réglementaire qu’il
tient de l’article 21 de la Constitution peut […] fixer et modifier les dispositions statutaires qui régissent
ces agents »30.

3. Le contenu de la situation juridique des agents publics non titulaires

Dans l’ensemble, la situation des agents non statutaires est moins avantageuse que celle des
fonctionnaires. Il n’y a guère qu’une minorité de « contractuels de luxe » qui échappent à ce
constat. Il ne faut pas occulter que les agents non titulaires « échappent au passage d’un concours
[…] mais […] aussi, et peut-être surtout, à l’affectation aléatoire et au principe de mobilité » (J.-L.
Bodiguel)
Les garanties offertes aux agents non titulaires s’accroissent régulièrement, de sorte que la
précarité de leur situation s’atténue.

a. Des garanties croissantes

Garanties textuelles. Les statuts de la fonction publique établissent, dans certains domaines,
une égalité de traitement entre fonctionnaires et agents publics non titulaires. Les agents
publics non titulaires bénéficient ainsi « des règles de protection sociale équivalentes à
celles dont bénéficient les fonctionnaires, sauf en ce qui concerne les régimes d’assurance
maladie et d’assurance vieillesse ». Sur certaines questions, les textes applicables ne distin-
guent pas entre non titulaires et titulaires. Tel est le cas en matière de mise en œuvre
d’aménagement et de réduction du temps de travail.

28
CE, Sect., 24 avril 1964, Syndicat national des médecins des établissements pénitentiaires, Rec. p. 242.
29
Pour reprendre le mot du commissaire du gouvernement Jacques-Henri Stahl dans ses conclusions sur l’arrêt Ville
de Lisieux.
30
CE, 30 mars 1990, Fédération générale des fonctionnaires Force Ouvrière, DA, 1990, n° 264.

55
Le décret du 12 mars 2007 qui concerne seulement les agents non titulaires de l’État marque
une nouvelle étape. Ce décret aligne, en effet, la situation des agents non titulaires sur celle
des fonctionnaires chaque fois que cela est possible31. Il en va ainsi en matière de congés ou
dans le domaine de la mobilité et sur bien d’autres aspects encore : déontologie, obéissance
hiérarchique, sanction disciplinaire…32

On frôle ici la reconnaissance d’un principe d’égalité entre non-titulaires et


fonctionnaires. L’instauration de ce véritable « statut » des agents non titulaires vient
paradoxalement ôter les derniers scrupules que l’Administration pouvait avoir à
recruter de tels agents plutôt que des fonctionnaires.

Le décret de 2007 laisse entrevoir, en outre, la possibilité pour les agents en CDI de
mener une véritable « carrière ». Ceux-ci bénéficieront notamment d’un droit à
l’avancement. Leur rémunération devrait ainsi augmenter tous les trois ans, ce qui ressemble
fort au délai permettant aux fonctionnaires de franchir un échelon. Les agents en CDI
constituent bien désormais une catégorie à part d’agents non titulaires situés à mi-chemin
entre les agents en CDD et les fonctionnaires.
En définitive, le décret du 12 mars 2007 témoigne de la naissance d’un droit dérogatoire aux
agents non titulaires de droit commun et spécifique aux détenteurs de CDI.

Garanties jurisprudentielles. Les textes relatifs aux agents non statutaires sont moins
complets que ceux relatifs aux titulaires. Aussi les garanties textuelles doivent-elles être
complétées par des garanties jurisprudentielles. Par le biais de la théorie des principes
généraux du droit, le juge administratif est souvent intervenu au soutien des agents publics
non titulaires.  Renvoi aux développements de l’introduction consacrés aux rapports entre le
droit de la fonction publique et le droit du travail.

b. Une précarité déclinante

L’affirmation de la précarité de la situation des agents non titulaires n’a véritablement de


sens que si ces agents ne sont liés à leur employeur public que par un contrat à durée déterminée.

Outre le remplacement momentané de titulaires, le statut de la fonction publique prévoyait à


titre dérogatoire des possibilités de recours aux non-titulaires dans des hypothèses
limitativement énumérées : les contractuels peuvent être recrutés « lorsqu’il n’existe pas de
31
D. JEAN-PIERRE, Les agents en CDI : du statut à la carrière, JCP A 16 avril 2007, 2105.
32
Mais aussi de mise à disposition des contractuels en CDI (et non pas des personnels en CDD) ; création de
commissions consultatives paritaires sur le modèle des commissions administratives.

56
corps de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes » et pour les «
emplois du niveau de la catégorie A, lorsque la nature des fonctions et les besoins du service
le justifient ».

Les agents recrutés pour faire face à ces situations ne pouvaient avant la loi du 26 juillet 2005
être engagés que par des contrats d’une durée maximale de trois ans renouvelables de façon
expresse. Les contrats à durée indéterminée n’étaient envisageables que dans le cadre
d’habilitations restrictives. Le Conseil d’Etat en déduisait que les contrats passés par les
personnes publiques en vue de recruter des agents non titulaires devaient, sauf disposition
législative spéciale contraire, être conclus pour une durée déterminée et ne pouvaient être
renouvelés que par reconduction expresse33. Les termes du débat ont évolué à la faveur de la
transposition de la directive n° 1999/70/CEE sur le travail à durée déterminée.
Cette directive a été transposée par la loi du 26 juillet 2005. Cette loi introduit le contrat à
durée indéterminée dans la fonction publique. L’introduction du CDI dans la fonction
publique a paru offrir une réponse à l’obligation posée par la directive d’établir un cadre pour
prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée
déterminée successifs.

Le recours aux contrats à durée indéterminée interviendra probablement afin de prolonger des
contrats à durée déterminée qui, ayant atteint par reconduction successive une durée de six
ans, ne pourront plus être renouvelés à l’issue de cette période maximale que par décision
expresse et pour une durée indéterminée.

Différents arrêts rendus en 200634 par la Cour de justice des Communautés européennes
soulignent l’erreur d’analyse du législateur français.

La Cour de justice rappelle certes que les Etats membres sont tenus de prendre des mesures efficaces pour
prévenir le recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée successifs. Les Etats n’ont cependant pas
une obligation générale de requalifier ces contrats de travail en contrats à durée indéterminée à titre de sanction
d’un abus. Cette position ébranle l’argument avancé au soutien de la loi de 2005. Le caractère inévitable de
l’introduction des contrats à durée indéterminée était en effet souvent avancé apparaît ici particulièrement
fragilisé. L’affirmation trop rapidement écartée lors des débats parlementaires, selon laquelle la fonction
publique française possédait déjà, avec le statut des fonctionnaires, ses propres relations de travail à durée
indéterminée sort, en revanche, renforcée de l’argumentation de la Cour de justice.

33
Le Conseil d’État estime qu’ « il ne résulte d’aucun principe général du droit applicable aux agents publics
contractuels que les contrats de travail les liant à leurs employeurs seraient conclus sans limitation de durée »
(CE, 14 mars 1990, CCI de Strasbourg ; CE 27 oct. 1999, Bayeux, Rec. p. 335 ; CE avis 16 mai 2001, Mlles Joly
et Padroza, Rec. p. 237).
34
CJCE 4 juill. 2006, Konstantinos Adenelaer, aff. C-212/04 ; CJCE 7 sept. 2006, Andrea Vassalo, aff. C-180/04
; CJCE 7 sept. 2006, Cristiano Marrosu, Gianluca Sardino, aff. C-53/04.

57
La Cour de justice reconnaît que rien ne s’oppose à ce qu’un Etat membre prévoit des règles
différentes en ce qui concerne l’abus de recours à des contrats successifs, selon que
l’employeur appartient au secteur privé ou au secteur public. La Cour admet par conséquent
dans ces deux arrêts la possibilité qu’une réglementation nationale interdise la transformation
en contrat à durée indéterminée d’une succession de contrats, à condition que dans le secteur
concerné il existe « une autre mesure effective pour éviter et le cas échéant sanctionner
l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs »35. Le législateur français a
donc choisi la solution de facilité. Il a rompu en tout cas avec la tradition de la
titularisation comme réponse à la précarité.

Le recours au contrat, a fortiori à durée indéterminée, heurte la conception traditionnelle


d’une fonction publique statutaire et de carrière. L’introduction du CDI de droit public peut
certes contribuer à améliorer la situation de certains agents pris individuellement, mais
contribue aussi à une fragmentation statutaire qui porte atteinte à l’égalité. Cette évolution va,
en outre, considérablement affecter le principe du concours.

La généralisation des contrats à durée indéterminée qui n’annule pas les autres formes de
contrat existantes accroît l’hétérogénéité de la catégorie des agents publics. Il faut également
souligner le risque de voir apparaître de nouveaux déficits de protection. La transformation en
contrats à durée indéterminée ne peut, en effet, intervenir qu’au bout de six ans. Certains élus
notamment risquent de recourir plus fréquemment au contrat, pour bénéficier, sans
engagement à long terme, d’une main-d’œuvre choisie. L’agent non titulaire engagé pour une
durée déterminée ne dispose en effet d’aucun droit à renouvellement de son contrat.

35
Lorsque l’avocat général Poiares Maduro dans ses conclusions relatives à l’affaire Marrosu, admet pour
justifier l’interdiction italienne de transformer en contrats à durée indéterminée les contrats à durée déterminée
dans la fonction publique, « qu’il y aurait lieu de craindre que la transformation systématique de certains
contrats à durée déterminée conclus avec l’administration publique en contrats à durée indéterminée ait pour
effet de réduire la portée de règle constitutionnelle selon laquelle l’accès aux emplois publics a lieu, en principe,
par voie de concours » (point 42), il souligne en creux l’une des faiblesses du choix français.

58
Leçon n° 4 : L’organisation de la fonction publique

I. La période antérieure à 1946

A. L’absence initiale de statut général de la fonction publique

L’élaboration d’un statut de la fonction publique a été une entreprise de longue haleine
restée infructueuse tout au long de la IIIe République.
Le manifeste affiché sur les murs de Paris au printemps 1920 par la Fédération des
syndicats de fonctionnaires indiquait que « Les fonctionnaires […] ne veulent plus être
des citoyens diminués. Ils ne peuvent admettre qu’on leur impose un texte élaboré contre
leur volonté et affirment une fois de plus qu’ils ne veulent pas de statut. Ils entendent
bénéficier du droit commun et veulent que leur contrat de travail fasse l’objet de
conventions collectives, passées entre les administrations et leurs syndicats ».
Certains s’opposent à toute idée de statut, d’autres à un statut trop libéral et d’autres enfin à un
statut trop autoritaire. Le résultat est que tous les projets échoueront : « Tout s’est passé comme

59
si le statut avait fait figure d’épouvantail, pour les gouvernants comme atteinte à leur pouvoir,
et pour les fonctionnaire comme encadrement de leur liberté ».

Cette revendication des syndicats de fonctionnaires d’obtenir l’alignement de leur situation sur
celle des salariés de droit privé surprend aujourd’hui. Elle s’explique par le contexte de
l’époque. A ce moment-là, le fonctionnaire était appréhendé comme « un citoyen diminué, un
citoyen de seconde classe »36. Le fonctionnaire était, en effet, alors soumis à un "statut
négatif", ensemble de « restrictions à la situation normale du citoyen ».
Leur liberté d’expression était ainsi strictement encadrée. Le respect du principe de
neutralité des services publics se doublait d’une exigence de loyalisme strictement
entendue à l’égard du pouvoir politique. Il en résultait que le fonctionnaire ne pouvait pas
être un travailleur comme les autres. Deux traits essentiels, consubstantiels à la logique
hiérarchique la plus stricte, distinguent jusqu’en 1946 le fonctionnaire du salarié : l’absence
de liberté syndicale et l’interdiction de faire grève.
S’agissant de l’exclusion de la liberté syndicale, le fait s’est progressivement écarté du droit.
En effet, « si le syndicalisme demeure prohibé en droit, il va s’établir et se développer en
fait ; le gouvernement va se montrer plus libéral que la jurisprudence et que la loi elle-
même »37. Le gouvernement va d’abord pratiquer la politique des yeux fermés, puis une
politique d’acceptation formelle et même de soutien et d’encouragement. Prenant appui sur la
loi de 1901 reconnaissant la liberté d’association, des associations de fonctionnaires se sont
développées. Cette loi a permis aux associations de fonctionnaires de prospérer, le juge
reconnaissant leur aptitude à défendre devant lui les intérêts collectifs de leurs membres.
Par contre, le législateur de la IIIe République s’est toujours refusé à admettre la possibilité
pour les fonctionnaires de se syndiquer. Hauriou se félicitait de cette prise de position car il
estimait « inadmissible (...) que le principe de la lutte des classes soit posé à l’intérieur de la
hiérarchie administrative ».

Concernant la prohibition du droit de grève, la jurisprudence se montrait ferme. Le Conseil


d’Etat voyait dans la grève une rupture unilatérale par le fonctionnaire du contrat de fonction
publique. Or, cette rupture du contrat de fonction publique justifiait le congédiement du
fonctionnaire (CE, 1909, Winkell). Un an plus tard, à l’occasion d’un contentieux suscité par
la grande grève des chemins de fer de l’automne 1910, le Conseil d’État affirma la

36
Maxime Leroy, 1907.
37
Christian Chavanon.

60
légalité d’une convocation de grévistes pour une période militaire 38. Ce moyen était
assurément radical de briser la grève et de remettre les grévistes dans le « droit chemin ».
Le Conseil d’État a réaffirmé cette prohibition jusqu’à la fin des années 1930. Comme
le résume Henry Puget en 1936 : « À moins de se résoudre au suicide, l’État ne peut
pas admettre le droit de grève des fonctionnaires ».

Le Conseil d’Etat, protecteur des fonctionnaires. Même s’il est resté sévère en matière de
droit de grève, le Conseil d’Etat s’est progressivement affirmé comme le protecteur des
fonctionnaires39.
D’une jurisprudence quantitativement très abondante est né une sorte de "statut général non
écrit" portant sur « les principes généraux auxquels doivent satisfaire […] les opérations de
concours, les décisions de nomination, le régime de l’avancement, celui de la répression
disciplinaire ».
Certains auteurs ont même pu en déduire que le statut de 1946 consistait pour l’essentiel en une
codification de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Cette affirmation est cependant excessive
dans la mesure où le statut de 1946 rompt avec des éléments essentiels de la jurisprudence
administrative (la reconnaissance de la liberté syndicale en particulier).

B. Vichy : rupture ou continuité ?


On a longtemps entretenu une fiction à propos des années 1940-1944 : celle de l’inexistence
juridique du régime de Vichy. Ce régime était considéré comme une simple « autorité de
fait » pour reprendre les termes de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la
légalité républicaine sur le territoire continental.
Cette analyse est désormais abandonnée. Pour l’essentiel, le statut de 1941 se situait dans la
continuité de la jurisprudence antérieure. Selon un auteur de l’époque, ce statut constituait
« une consécration et une codification de l’œuvre de la jurisprudence » 40 . Il
conviendrait donc davantage de parler de continuité plutôt que de rupture.

38
CE, 18 juillet 1913, Syndicat national des chemins de fer de France et des colonies, Rec. p. 882.
39
Il va toutefois, aux débuts du XXe siècle, sensiblement évoluer. Cet activisme, tranchant avec la frilosité
antérieure du juge, aboutit au développement d’une sorte de statut jurisprudentiel relativement protecteur. On
peut d’ailleurs estimer que le Conseil d’État a alors avant tout souhaité développer son rôle de "tuteur" de
l’administration. Ainsi, c’est en quelque sorte par ricochet de cette volonté de "moralisation" des
pratiques administratives que les intérêts des fonctionnaires font l’objet d’une protection renforcée.
Désireux de limiter les effets de la politisation de la fonction publique, le Conseil d’État a décidé d’ouvrir
largement son prétoire.
40
Roger G RÉGO IRE .

61
La seule différence, et elle suffit, à elle seule, à condamner ce statut, tient à l’intolérable
incapacité d’accès aux fonctions publiques qui frappe certaines catégories de personnes,
spécialement celles qui sont de confession juive.
Ce statut est resté largement lettre morte en raison notamment de l’absence de
textes d’application. Il a, de surcroît, été déclaré nul et non avenu à la Libération.

II. L’élaboration du premier statut républicain : la rupture de 1946

L’élaboration d’un statut républicain de la fonction publique est entamée début l946. Le statut
a alors « changé de sens » : d’instrument de domination au service des gouvernants, il
dévient au contraire pour les syndicats le moyen de réaliser l’émancipation des
fonctionnaires. Ce revirement s’explique par le fait que le rapport de force politique a
considérablement évolué. Les communistes sont désormais au gouvernement. Le statut doit
permettre la conquête et la protection de nouveaux droits.
Le texte a d’abord été élaboré par le cabinet de Thorez en étroite collaboration avec la CGT.
L’ensemble du projet fut adopté à l’unanimité le 5 octobre 1946 et le texte promulgué le 19
octobre suivant. Ce vote à l’unanimité témoigne de ce que le statut de 1946 est un texte de
compromis. Sans cela, l’unanimité n’aurait jamais pu être obtenue dans une assemblée
composée de personnalités représentant des sensibilités politiques très différentes.

A. Les apports essentiels du statut


On dénombre trois apports majeurs.
 Tout d’abord, le statut opère un travail de codification du droit antérieur, de « coordination des
textes et de la jurisprudence relatifs aux fonctionnaires » (par exemple en matière
disciplinaire).
 Ensuite, le statut précise la nature du lien entre le fonctionnaire et l’administration, en
posant dans son article 5 que « le fonctionnaire est vis-à-vis de l’administration dans une
situation statutaire et réglementaire ». Est ainsi confirmé un principe déjà posé par le statut de
1941 (article 4) et adopté par le Conseil d’État en 1937. Le statut met dès lors fin à une longue
controverse notamment entretenue par le Conseil d’État sur le thème du « contrat de fonction
publique ».
 Enfin et surtout, le statut développe la « participation organique au fonctionnement des
services publics ».
Le statut repose sur une logique participative via la reconnaissance de la liberté syndicale et la
création d’organes consultatifs composés à parité de représentants de l’administration et de ses

62
agents : les commissions administratives paritaires et les comités techniques paritaires. Pour
reprendre le mot de Maurice Thorez, le législateur fait prévaloir « l’idée démocratique »
sur « l’idée hiérarchique ».
La conception moderne de la fonction publique devient donc davantage participative
qu’autoritaire.
Le statut de 1946 ne se prononce toutefois pas sur la question du droit de grève. Ce silence a alors été
interprété comme confirmant la position restrictive de la jurisprudence administrative.
En dépit de son intitulé (loi relative au statut général des fonctionnaires), la loi du 19
octobre 1946 ne s’appliquait qu’à certains agents de l’État. Certains d’entre eux, tels
les magistrats de l’ordre judiciaire, les militaires et les agents des services publics industriels
et commerciaux étaient exclus de son champ d’application.

B. Un compromis critiqué mais durable


La doctrine a, d’une manière quasi unanime, contesté ce statut. Ainsi Jean Rivero a
intitulé une de ses célèbres chroniques « Vers la fin du droit de la fonction publique ? ».
Selon Jean Rivero, « plusieurs des dispositions essentielles de la loi du 19 octobre 1946, et plus
généralement son inspiration profonde, tendent à opérer, entre le droit de la fonction publique
et le droit commun des travailleurs, des rapprochements qui atténuent la traditionnelle
autonomie du droit public en ce domaine ». La loi de 1946 marquerait l’affaiblissement de l’idée
hiérarchique au profit de l’idée démocratique et aboutirait ainsi à ce que, entre droit de la
fonction publique et droit du travail, la frontière s’efface « de telle manière qu’ils n’apparaîtront
plus, l’un et l’autre, que comme des modalités d’application différentes d’un corps de règles
identiques ».
« Au fond des choses, on peut considérer que c’est le même statut général qui, depuis
1946, s’applique aux fonctionnaires civils de l’État et que les textes actuels ne sont qu’une
troisième édition, revue et corrigée, de la loi du 19 octobre 1946 » (R. Chapus).
Effectivement, si le droit de la fonction publique a connu d’innombrables réformes depuis
1946, ses équilibres fondateurs n’ont guère été atteints et son inspiration générale demeure la
même.
Deux grandes périodes de réforme méritent ici mention : 1959 et 1983-1986.
La réforme de 1959 est la conséquence du changement de régime constitutionnel et est, avant tout, de nature formelle.
L’article 34 C se contente de poser que la loi fixe les règles concernant « les garanties fondamentales accordées
aux fonctionnaires civils et militaires de l’État ». Dans cette perspective, la loi du 19 octobre 1946 empiétait
assez largement sur le domaine réservé au pouvoir réglementaire et le gouvernement, agissant par ordonnance sur la
base de l’article 92 de la Constitution, a été amené à nettement réduire le champ des dispositions statutaires de nature
législative, cette réduction étant aussi bien qualitative que quantitative (la loi de 19 octobre 1946 comportait 145
articles, l’ordonnance du 4 février 1959 uniquement 57).

63
Pour autant, la réforme revient à une nouvelle « présentation » et non à une nouvelle
« orientation ».
La réforme de 1983-1984 repose sur une logique différente de celle de 1959 sans pour autant aboutir à une
remise en cause du fond de la réforme de 1946. Cette réforme a abouti à une extension du champ du statut de la
fonction publique et à la relative uniformisation de cette dernière. On ajoutera que cette réforme comporte un
renforcement des garanties offertes aux fonctionnaires, spécialement en matière d’action syndicale, et
comprend un important volet relatif à la titularisation de nombreux agents n’ayant pas la qualité de fonctionnaires.
L’édifice statutaire est dès lors le suivant. La loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires
vaut pour les trois fonctions publiques et constitue, à une exception près, le titre 1er du statut général des
fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales. La loi du 11 janvier 1984 portant dispositions
statutaires relatives à la fonction publique de l’État constitue quant à elle le titre II de ce statut général. La loi du 26
janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale en constitue le titre III et la loi
du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière en constitue enfin le titre
IV.
Très régulièrement réformée, cette construction statutaire est toujours debout. On peut toutefois se demander si elle
n’est pas dépassée, certains critiques considérant que les problèmes de gestion de la fonction publique sont le résultat
des lourdeurs de ce système. A l’heure de la mondialisation et du tournant néo-libéral, au moment où les services
publics sont de plus en plus soumis au droit du marché, un tel système considéré comme exagérément
égalitariste, corporatiste, rigide, inefficace, improductif, prenant insuffisamment en compte les exigences
managériales et celles de la gestion des ressources humaines serait devenu un très lourd fardeau.

III. Les statuts républicains

A. Le statut de la fonction publique d’Etat


L’Etat emploie environ 1,8 million de fonctionnaires. La fonction publique de l’Etat est
qualifiée, âgée et féminine :
- qualifiée dans la mesure où les agents de catégorie A représentent environ 50 % des
effectifs. Toutefois, si l’on exclut les enseignants, les fonctionnaires de catégorie
A ne représente plus guère que 20 % des effectifs. Les fonctionnaires de catégorie B
correspondent environ à 20 % et ceux de catégorie C à peine à 30 % ;
- âgée. Le problème du vieillissement de cette fonction publique se pose avec une
grande acuité ;
- féminisée. 57 % des fonctionnaires de l’Etat sont des femmes. Cette féminisation est
variable suivant les catégories (57 % des agents de catégorie A, 65 % de ceux de
catégorie B et 52 % des agents de catégorie C). Si l’on ne tient pas compte des effectifs
d’enseignants, les statistiques montrent que l’égalité n’est pas aussi bien respectée qu’il
n’y paraît de prime abord. Les femmes ne représentent plus alors que 36 % des
fonctionnaires de catégorie A, 50 % de ceux de catégorie B et 46 % de ceux de
catégorie C. Cette sous-représentation des femmes dans la catégorie A est encore plus
importante dans la haute fonction publique.  Introduire article sur la parité dans la
fonction publique.

64
La fonction publique de l’Etat est moins homogène qu’il n’y paraît. L’examen du champ
d’application de la loi du 11 janvier 1984 (1) et l’analyse de ses modalités d’application
(2) soulignent davantage la complexité de ce statut que sa cohérence. Cette complexité tient en
particulier au fait que 60 % des agents de l’Etat ne sont pas au soumis au statut général.

1. Le champ d’application du statut

Tous les fonctionnaires civils de l’Etat ne sont pas soumis aux prescriptions de la loi du 11
janvier 1984. La détermination des fonctionnaires qui relèvent du statut général s’obtient de
manière négative : en déduisant les fonctionnaires qui échappent au statut général.
Cette exclusion du champ d’application du statut entraîne la soumission à des statuts
autonomes qui contiennent des dispositions souvent très comparables à celles du statut général.
Sont notamment exclus du champ d’application du statut général : les agents des chambres
consulaires, les magistrats, les militaires ou encore les médecins hospitaliers.

a. Les agents des chambres consulaires

La « situation du personnel administratif des Chambres d’Agriculture, des Chambre de


Commerce et des Chambres des Métiers de France est déterminée par un statut établi par des
commissions nationales paritaires nommées, pour chacune de ces institutions, par le ministre
de tutelle ». Les décisions de ces commissions nationales sont exécutoires et ne doivent pas
être homologuées par les ministres compétents. Les statuts de ces agents ne résultent donc pas
d’une loi ou d’un règlement classique mais d’une sorte de convention collective.
Le Conseil d’État a jugé que ces commissions nationales paritaires « doivent, pour élaborer
le statut de ces personnels, faire application des principes généraux sur lesquels s’appuient
les dispositions textuelles applicables aux agents de l’État ». Dès lors, c’est davantage son
mode d’élaboration que son contenu qui distingue le statut des agents des chambres consulaires du
statut général de la fonction publique de l’État

b. Le statut des magistrats

C’est le seul statut autonome expressément exigé par des dispositions


constitutionnelles. L’article 64 alinéa 3 de la Constitution prévoit en effet qu’ « une loi
organique porte statut des magistrats ». Les magistrats ainsi visés sont uniquement « les
magistrats de carrière de l’ordre judiciaire », soit environ 7 000 personnes. Le statut de la
magistrature résulte d’une ordonnance du 22 décembre 1958.

65
Ses principaux particularismes visent à concrétiser l’exigence constitutionnelle d’ «
indépendance de l’autorité judiciaire ». L’ordonnance prévoit ainsi que « les magistrats du
siège sont inamovibles. En conséquence, le magistrat du siège ne peut recevoir, sans son
consentement, une affectation nouvelle, même en avancement ». La "placardisation" des
magistrats est donc théoriquement impossible. Par ailleurs, le Conseil supérieur de la
magistrature (CSM) joue un rôle important en matière de déroulement des carrières et en
matière disciplinaire.
L’exigence d’une loi organique portant statut des magistrats ne signifie cependant pas que seul
le législateur organique ait compétence pour déterminer ce statut. Il arrive, en effet, que
l’ordonnance de 1958 laisse au pouvoir réglementaire le soin de régler telles ou telles
questions, telles que le traitement des magistrats.

c. Le statut des médecins hospitaliers

Les médecins hospitaliers publics ne sont pas soumis aux dispositions statutaires relatives
à la fonction publique hospitalière (loi du 9 janvier 1986). La plupart d’entre eux ne
sont pas fonctionnaires mais simplement agents publics. En effet, seuls les professeurs des
universités-praticiens hospitaliers et les maîtres de conférences des universités-praticiens
hospitaliers ont la qualité de fonctionnaires. Ils sont environ 10 000. Parmi les autres
médecins hospitaliers, environ 90 000 personnes, certains sont nommés et titularisés dans
un emploi et non dans un grade (il s’agit des praticiens hospitaliers) et d’autres sont des
contractuels de droit public, qu’il s’agisse des attachés ou autres assistants.

2. Les modalités d’application du statut

L’article 34 de la Constitution exige seulement du législateur qu’il fixe les règles


concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils de l’Etat. Cette
solution ouvre la voie à une application différenciée du statut. Dans ces conditions, deux types
de statuts peuvent voir le jour :
- certains entendent concrétiser des règles statutaires. On parle alors de statuts particuliers
"ordinaires"
- d’autres visent à s’écarter des règles posées par le statut général. On parle ici de statuts
particuliers "dérogatoires" ou "spéciaux". Attention, les deux expressions ne sont pas
synonymes.

a. La concrétisation des exigences statutaires : les statuts particuliers "ordinaires"

66
La loi du 11 janvier 1984 prévoit que « des décrets en Conseil d’État portant statuts
particuliers précisent, pour les corps de fonctionnaires, les modalités d’application des
dispositions de la présente loi ». Ces décrets doivent être délibérés en conseil des ministres
s’ils concernent des corps comportant des emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres
ou certains corps pour lesquels le président de la République dispose du pouvoir de nomination.
 Principe du parallélisme des compétences.
Le statut particulier précise le classement du corps (catégorie A, B ou C), décrit à grands traits
les emplois auxquels ont vocation les membres du corps, détaille sa structuration interne
(nombre de grades, classes, échelons) ainsi que les modalités de recrutement, d’avancement et
de détachement.

b. La mise à l’écart des exigences statutaires : les statuts particuliers dérogatoires et


spéciaux

α. Les statuts particuliers des magistrats administratifs et financiers


La singularité des statuts des magistrats administratifs et financiers est d’être fixé par une loi. Les membres du corps des
tribunaux administratifs (TA) et des cours administratives d’appel (CAA) et les membres du corps des chambres
régionales des comptes (CRC) sont dans une situation statutaire relativement originale résultant de la nécessité
de garantir leur indépendance. C’est pourquoi ils sont soumis à des dispositions législatives et réglementaires qui
leur sont propres. Ce particularisme doit cependant être nuancé pour deux raisons. Tout d’abord, dans le silence des
dispositions spécifiques aux magistrats administratifs et financiers, les dispositions du statut général leur sont
applicables. En outre, certaines de ces prescriptions se bornent à opérer un simple renvoi au statut général.

β. Les statuts particuliers "dérogatoires"


Ces statuts ont un champ d’application limité. Ils sont prévus par la loi du 11 janvier
1984. « En ce qui concerne les membres des corps recrutés par la voie de l’École
nationale d’administration, des corps enseignants et des personnels de la recherche,
des corps reconnus comme ayant un caractère technique, les statuts particuliers (...)
peuvent déroger, après avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l’État (...), à
certaines des dispositions du statut général qui ne correspondraient pas aux besoins
propres de ces corps ou aux missions que ces membres sont destinés à assurer,
notamment pour l’accomplissement d’une obligation statutaire de mobilité ».
La technique du statut particulier dérogatoire a progressivement vu son champ
d’application s’étendre alors même que sa constitutionnalité est problématique. Il est
douteux que la Constitution permette au pouvoir réglementaire de déroger aux
garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils. La détermination de ces
garanties fondamentales exige, en effet, conformément à l’article 34 de la Constitution, une

67
intervention législative. Or, le principe du parallélisme des compétences conduit à réserver le
pouvoir de déroger à ces garanties fondamentales au législateur.
C’est probablement en raison de cette fragilité constitutionnelle que le Conseil d’État
soumet à un contrôle drastique le champ d’application et le contenu des dérogations.

γ. Les statuts spéciaux


C’est la loi du 28 septembre 1948 relative au statut spécial des personnels de police
qui a créé cette catégorie. L’apparition de cette catégorie était justifiée par la
volonté d’interdire aux agents d’un corps de bénéficier du droit de grève et de leur
accorder en contrepartie différents avantages, en particulier leur classement hors
catégorie pour la détermination de leurs indices de traitement.

B. Le statut de la fonction publique territoriale

La fonction publique territoriale emploie environ 1,6 million d’agents dont plus de
1,1 million de fonctionnaires.

- 60 % des agents sont employés par les communes contre à peu près 10 % pour les
départements et moins de 1 % pour les régions ;

- La fonction publique territoriale est ensuite peu qualifiée, ou plus exactement moins
qualifiée que la fonction publique de l’État. Les fonctionnaires territoriaux de
catégorie A représentent environ 7,5 % des effectifs, ceux de catégorie B 13,5 % et
ceux de catégorie C 79 %. La qualification des agents non titulaires des
collectivités territoriales est plus élevée que celle des titulaires (plus de 13 %
d’agents non titulaires assimilés à la catégorie A). Les statistiques varient
cependant considérablement d’une collectivité à l’autre. C’est ainsi qu’un tiers du
personnel appartient à la catégorie A dans les régions par exemple.

- La fonction publique territoriale emploie une proportion élevée d’agents non-


titulaires (25 % environ). Ce taux est, lui aussi, très variable. Il atteint 70 % dans la
filière animation, 40 % dans la filière culturelle et moins de 5 % dans la filière
sapeurs pompiers professionnels par exemple. Ce taux supérieur à celui observable
dans les autres fonctions publiques tient notamment à la réticence de nombre de
décideurs locaux à l’égard du recrutement par concours.

- Le problème du vieillissement se pose avec un peu moins d’urgence dans la


fonction publique territoriale que dans les deux autres fonctions publiques civiles.

68
- Enfin, la fonction publique territoriale est largement féminisée, 60 % des agents
territoriaux étant des femmes.

1. Historique du statut de la fonction publique territoriale

Le statut de la fonction publique territoriale résulte de la loi du 26 janvier 1984. Cette loi
constitue le titre III du statut général des fonctionnaires. L’édiction de ce statut est
indissociable du mouvement de décentralisation initié en 1982. La loi de 1984
constitue le terme d’un siècle d’évolution.

La publicisation de la situation des agents territoriaux a commencé avec l’arrêt Cadot /


Ville de Marseille de 1889. L’arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel marquant le
passage de nombreux agents communaux d’une situation de droit privé (où les juges
judiciaires sont donc compétents) à une situation de droit public (où le juge administratif est
compétent).

La loi du 13 juillet 1972 marque une étape vers le système de la carrière au détriment de celui
de l’emploi puisqu’elle permet à un agent communal de changer de collectivité sans
démissionner de sa collectivité d’origine et en conservant son ancienneté.

La réforme de 1983-1984 a opposé deux courants de pensée. Certains défendaient une


conception unitaire de la fonction publique, cherchant à obtenir l’alignement le plus
complet possible de la fonction publique territoriale sur la fonction publique de l’État. Tel
était en particulier le cas d’Anicet Le Pors, ministre puis secrétaire d’État chargé de la
Fonction publique. D’autres, à l’instar du ministre de l’Intérieur Gaston Deferre, ont
cherché à préserver la spécificité de l’emploi local et la latitude d’action des élus
locaux. La première tendance, uniformisante, a initialement prévalu. Cependant,
l’alternance politique intervenue en 1986 a alors conduit à une valorisation de la logique de
spécificité, à travers la loi du 13 juillet 1987.

Alors que les tenants de l’unité auraient souhaité un texte unique pour l’État et les
collectivités territoriales et que les partisans de la spécificité militaient pour deux
législations distinctes, la solution adoptée a été l’élaboration d’un socle commun (la loi
du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) puis de deux textes
séparés (respectivement les lois du 11 janvier 1984 pour l’État et du 26 janvier 1984 pour les
collectivités territoriales).

69
Reposant sur des principes difficiles à concilier (unité et spécificité), le statut de la fonction
publique territoriale a subi de multiples révisions (une quarantaine en 20 ans)41.

Deux textes doivent être signalés.

Le premier est la loi du 13 juillet 1987 modifiant les dispositions relatives à la fonction
publique territoriale dite loi Galland. Ce texte est une réaction au statut de 1984 et
privilégie la spécificité de la fonction publique territoriale. Cette loi :

- accroît la liberté des élus locaux et allège un système institutionnel très lourd ;

- réforme les organes de gestion et assouplit les conditions d’embauche (extension


des hypothèses de recours à des agents non titulaires, renouveau du concours de
réserve où les lauréats du concours sont simplement inscrits sur une liste d’aptitude
et librement recrutés par les collectivités territoriales à l’inverse de la logique du
concours au mérite) ;

- ce texte substitue la notion de cadres d’emploi à celle de corps.

Cette loi aboutit à limiter grandement la comparabilité entre les fonctions


publiques. Le législateur supprime en effet la grille commune de traitement. La loi
Galland rend également plus difficile la mobilité entre les fonctions publiques.
Le second texte, beaucoup plus consensuel, est la loi du 27 décembre 1994 modifiant
certaines dispositions relatives à la fonction publique territoriale dite loi Hoeffel. Cette
loi réalise un assouplissement des procédures de recrutement par une extension des
recrutements sans concours. Elle développe les compétences des centres de gestion au
détriment de celles du centre national de la fonction publique territoriale et réforme les
modalités de formation des agents tout comme celles relatives à la perte d’emploi. Il
s’agit non d’une réforme du cadre de la fonction publique territoriale mais d’une
évolution au sein de ce cadre tel qu’il a été amendé en 1987.

2. Les principes structurants

Le statut de la fonction publique territoriale repose sur trois grands principes qui ne coexistent
pas toujours harmonieusement : l’unité, la comparabilité et la spécificité.

41
Cette fréquence est également entretenue par le fait que le champ de compétence du législateur est plus
large en matière de fonction publique territoriale qu’en matière de fonction publique de l’État dans la mesure
où le législateur ne doit pas se contenter de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées
aux fonctionnaires territoriaux mais doit déterminer les principes fondamentaux de la libre administration
des collectivités territoriales (articles 34 et 72 de la Constitution).

70
a. Le principe d’unité
Ce principe se matérialise par la loi du 13 juillet 1983 qui contient des dispositions aussi
essentielles que l’affirmation du principe de l’occupation des emplois permanents par des
fonctionnaires, l’affirmation de la situation statutaire et réglementaire du fonctionnaire, les
principales conditions d’accès à la fonction publique, les garanties, l’énoncé des grands
principes de la carrière (distinction du grade et de l’emploi, principe du recrutement par
concours, notation, dossier, discipline, rémunération...) ainsi que la présentation des
obligations des fonctionnaires.
L’unité est également perceptible dans le fait que les textes de 1983-1984 traitent indistinctement
des agents communaux, départementaux et régionaux alors même qu’ils étaient jusque-là
soumis à des textes différents.

b. Le principe de comparabilité
Ce principe se décline en deux volets. La comparabilité s’entend de la comparabilité de la
mobilité et de l’égalité. La comparabilité permet donc de passer d’une fonction publique à
l’autre et cela n’est possible que parce que les agents disposant de qualifications et
d’attributions équivalentes sont dans des situations proches.
Le volet mobilité du principe de comparabilité, considérablement réduit dès 1987, est
consacré par la loi du 13 juillet 1983. « L’accès des fonctionnaires de l’État, des
fonctionnaires territoriaux et des fonctionnaires hospitaliers aux deux autres fonctions
publiques, ainsi que leur mobilité au sein de chacune de ces trois fonctions publiques,
constituent des garanties fondamentales de leur carrière. A cet effet, l’accès des
fonctionnaires de l’État, des fonctionnaires territoriaux et des fonctionnaires hospitaliers aux
deux autres fonctions publiques s’effectue par voie de détachement suivi ou non d’intégration.
Les statuts particuliers peuvent également prévoir cet accès par voie de concours interne et, le
cas échéant, de tour extérieur ».
Le volet égalité du principe de comparabilité prend la forme du principe dit de parité.
« Chaque collectivité territoriale ou le conseil d’administration d’un établissement public
local fixe (...) les régimes indemnitaires dans la limite de ceux dont bénéficient les
différents services de l’État ». Ce principe de parité vaut à la fois pour la rémunération
proprement dite mais aussi, et sauf dispositions législatives contraires, pour les
avantages financiers indirects ou en nature. Le respect de ce principe est scrupuleusement
vérifié lors du contrôle de légalité des délibérations locales par les services
préfectoraux. Il est d’ailleurs révélateur d’une certaine asymétrie entre les deux

71
fonctions publiques dans la mesure où les fonctionnaires territoriaux ne peuvent, sauf
exception législative, obtenir plus que leurs homologues de l’État mais peuvent
parfaitement être moins bien traités.
Au fil des réformes, le principe de comparabilité a été affaibli au profit du troisième et
dernier grand principe, celui de spécificité.

c. Le principe de spécificité

Ce principe est étroitement lié au principe de libre administration des collectivités


territoriales garanti par la Constitution (article 72). Cette spécificité se justifie par la
situation particulière des employeurs publics locaux (plus de 50 000 collectivités et
établissements publics). Ces derniers réclament souvent une plus grande marge de manœuvre
dans le recrutement de leurs agents et dans la gestion de leurs carrières (et militent pour un
assouplissement du cadre statutaire au profit d’une logique contractuelle).

Le particularisme se rapporte essentiellement au recrutement et à la gestion des carrières.


 Pour ce qui est du recrutement :
- le principe du concours est souvent court-circuité. Les possibilités de recourir à
des agents non titulaires sont ainsi plus variées que dans la fonction publique de
l’Etat. Le recrutement direct est facilité, tout particulièrement pour les
emplois supérieurs. « Les collaborateurs de cabinet sont ainsi recrutés et nommés
directement par l’autorité locale […] pour exercer auprès de lui des fonctions qui ne leur
permettent pas d’être regardés comme intégrés à la hiérarchie des administrations de la
collectivité concernée et qui doivent prendre fin, au plus tard, en même temps que le mandat
de l’autorité qui les a recrutés » (CAA Paris, 27 novembre 2003, Ville de Paris, AJFP
2004, p. 124). Les emplois fonctionnels, qui correspondent aux postes
hiérarchiquement les plus élevés, sont également pourvus par la voie du détachement. Il
peut y être mis fin pour une simple perte de confiance.
Voir pour une illustration symptomatique CE, 7 janvier 2004, Broulhet. Est jugé légal
l'arrêté mettant fin au détachement d'un fonctionnaire territorial occupant un emploi de
secrétaire général d'une commune, fonctionnaire qui avait été molesté par un adjoint au
maire (qui avait été déclaré coupable de violences volontaires à son encontre par le juge
pénal et condamné à quinze jours d'emprisonnement avec sursis et 8 000 F d'amende pour
un violent coup de tête). Le Conseil d'État constate que les « différents d'ordre
professionnel » (sic) observés étaient de nature à entraîner une perte de confiance de

72
l'autorité territoriale et à justifier sa décision.
- Le principe du concours est également régulièrement atténué. L’autorité
territoriale ne peut se voir imposer un recrutement et est amenée à choisir dans une
liste d’aptitude dressée par le jury du concours. La liste des lauréats est présentée par ordre
alphabétique et demeure valable en principe trois ans. Il s’agit donc de concours
de réserve qui permettent de présélectionner un vivier de personnes compétentes au
sein duquel les collectivités feront leur choix. Le concours au mérite dans lequel les
candidats sont classés par ordre de mérite et sont nommés dans la fonction publique
dans cet ordre-là et peuvent le cas échéant choisir leur affectation sur cette base est
donc exclu. Les concours de la fonction publique territoriale génèrent ainsi un
nombre significatif de « reçus-collés » qui ne favorise pas leur attractivité.

 Le second volet du particularisme a trait à la gestion des carrières. Nous


verrons ce point lors de la leçon n° 5.

C. Le statut de la fonction publique hospitalière


La fonction publique hospitalière est la plus récente des trois grandes fonctions publiques
civiles puisqu’elle n’a été consacrée qu’avec la loi du 9 janvier 1986. Elle est aussi la
moins importante du point de vue de ses effectifs.

1. Traits généraux

Si on exclut les médecins qui ne relèvent pas du statut de la fonction publique hospitalière, les
effectifs de la fonction publique hospitalière sont estimés à environ 800 000 agents.
Comme pour l’État, le vieillissement de la fonction publique hospitalière est
particulièrement marqué.
La répartition par catégories hiérarchiques est par contre plus proche de celle de la fonction
publique territoriale (environ 4 % des titulaires de la fonction publique hospitalière
appartiennent à la catégorie A, 43 % à la catégorie B et 53 % à la catégorie C). Cette
faible qualification doit être nuancée compte tenu notamment de l’exclusion des médecins des
statistiques.
La fonction publique hospitalière est très fortement féminisée (environ 80 %). Les non-
titulaires ne représentent guère que 5 % des effectifs.
La loi du 9 janvier 1986 constitue le titre IV du statut général des fonctionnaires. La
réforme de 1986 marque l’alignement de la situation juridique des agents du service

73
public hospitalier sur celle des fonctionnaires de l’Etat.
L’intervention du législateur, qui n’est pas expressément exigée par la Constitution (à l’inverse de la
fonction publique de l’État), était sans doute nécessaire eu égard à la nature juridique des employeurs hospitaliers.
En effet, s’agissant essentiellement d’établissements publics locaux et compte tenu du lien très ténu avec le
principe de libre administration des collectivités territoriales, une intervention législative était préférable.
Le champ de compétence du législateur est toutefois plus réduit en matière hospitalière qu’en matière de fonction
publique territoriale. Ainsi, et par exemple, la réduction du temps de travail a été opérée par décret en matière hospitalière
alors qu’elle a nécessité une intervention du législateur à propos de la fonction publique territoriale.

2. Particularismes limités

Les spécificités de la fonction publique hospitalière résultent tout d’abord des


particularités de l’activité hospitalière. Le temps de travail et son organisation sont ainsi
soumis à des règles originales, la mise en place de la réduction du temps de travail dans les
hôpitaux s’avérant d’ailleurs très problématique du fait du manque de personnel
chronique.
« La durée hebdomadaire de travail effectif, heures supplémentaires comprises, ne peut
excéder 48 heures au cours d’une période de 7 jours. Les agents bénéficient d’un repos quotidien
de 12 heures consécutives minimum et d’un repos hebdomadaire de 36 heures consécutives
minimum. Le nombre de jours de repos est fixé à 4 jours pour deux semaines, deux d’entre eux, au
moins, devant être consécutifs, dont un dimanche ».
Les agents doivent satisfaire à des conditions d’aptitude physique renforcées et à des
exigences strictes en matière de vaccination.
On peut hésiter à affirmer le particularisme des règles relatives au secret et à la
discrétion professionnels dans la mesure où il s’agit d’obligations pesant sur tous les
fonctionnaires.
Un raisonnement analogue peut être conduit au sujet du principe d’obéissance hiérarchique, posé par
l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 pour tous les fonctionnaires mais concrétisé de manière originale
par la loi du 9 janvier 1986 pour les fonctionnaires hospitaliers42.

D’autres particularismes tiennent à la nature juridique et au nombre des


employeurs. Le caractère d’établissement public local de la quasi-totalité des
employeurs publics hospitaliers a des incidences sur la composition des structures de
la fonction publique hospitalière. Cf. leçon n° 5.

D. Le statut des militaires43


42
« En cas d’empêchement du fonctionnaire chargé d’un travail déterminé, et en cas d’urgence, aucun autre
fonctionnaire ayant reçu l’ordre d’exécuter ce travail ne peut s’y soustraire pour le motif que celui-ci n’entre pas dans
sa spécialité ou n’est pas en rapport avec ses attributions ou son grade. Toutefois, l’application de cette disposition
ne peut faire échec aux règles d’exercice des professions réglementées par des dispositions législatives ».
43
Ramu de BELLESCIZE, La réforme du statut général des militaires (Loi no 2005-270 du 24 mars 2005
portant statut général des militaires), RDP 2006, p. 313.

74
Le statut des militaires est désormais fixé par la loi du 24 mars 2005. La loi de 2005
modernise le statut de 1972 sans le bouleverser.
Le principe d’unicité du statut militaire est renforcé dans la mesure où le statut s’applique
désormais également aux contractuels. Cette extension du champ d’application du statut
était inévitable dans la mesure où près de la moitié des militaires servent en vertu d’un
contrat.
Dès lors que la loi de 2005 n’entend pas rompre avec le statut de 1972, on aurait dû se
contenter de modifier ce dernier. On a pourtant préféré l’abroger. Le facteur décisif réside
dans la profonde mutation du rôle de l’armée depuis 1972 :
- mutation quant au mode de recrutement. L’armée est aujourd’hui tributaire des
candidats à l’engagement. Cela suppose donc qu’elle propose des métiers attractifs.
Cependant, il faut aussi, et dans le même temps, que l’Armée continue d’être
essentiellement composée de jeunes gens. S’il est indispensable de fidéliser les
personnels, il est par conséquent tout aussi crucial qu’elle ait la possibilité de
renouveler ses cadres.
- mutation du contexte géopolitique. Le statut de 1972 avait été rédigé durant la
guerre froide.
- mutation du contexte social. Certaines dispositions étaient devenues anachroniques.
Telle était le cas par exemple, de l’obligation de demander une autorisation avant
d’épouser un étranger ou de l’obligation de déclarer la profession de son conjoint.

Les militaires demeurent soumis à un statut spécifique (1) de sorte que leur cantonnement
juridique est maintenu (2). Ce statut, et c’est la grande innovation, leur offre une protection
pénale et médicale renforcée en opération extérieure (3).

1. Le maintien d’un statut spécifique

 L’on s’est interrogé sur l’opportunité de maintenir un statut spécifique aux militaires.
Certains soulignaient que les militaires ne constituent qu’une variété de fonctionnaires et
suggéraient de les soumettre au statut général. Le choix a néanmoins été fait de conserver un
statut spécifique tout en le rapprochant autant que possible du statut des fonctionnaires
civils.

a. La fin programmée du conditionnalat


Le conditionnalat désigne un procédé consistant à promouvoir des officiers généraux à la

75
condition qu’ils signent une lettre de démission non datée. Par cette lettre, l’officier promu
offrait la garantie au ministère de la Défense de quitter l’armée avant la limite d’âge, s’il
était promu au grade supérieur. À chaque passage de grade, la lettre était renouvelée.
Le conditionnalat a pris une ampleur considérable puisqu’au sein de l’armée de terre, la
totalité des officiers généraux servaient à titre conditionnel. Cette règle avait été introduite
afin d’accélérer l’avancement et le rajeunissement des officiers supérieurs. Permettre à
certains officiers d’accéder au grade d’officier général très jeunes et pour une longue durée
risquait d’entraîner un blocage de l’avancement au grade de général. Or, un tel blocage
aurait affecté de proche en proche l’ensemble de l’avancement des officiers. En restreignant
artificiellement la durée de service moyenne des officiers généraux, le conditionnalat évitait
d’avoir à durcir des conditions de sélection déjà rigoureuses.
Le conditionnalat existait donc tant dans l’intérêt des officiers, en ce qu’il permettait de faire
progresser le plus grand nombre que de celui de l’institution militaire à laquelle il offrait une
certaine souplesse de gestion des officiers.
Cependant, la contrariété du conditionnalat avec le droit en vigueur rendait son maintien
difficile. Il s’affranchissait des limites d’âges statutaires définies par le statut de 1972. En
2000, par sa décision Bavoil, le Conseil d’Etat constata l’illégalité du conditionnalat. Seule
la reconnaissance des mérites des intéressés doit être prise en compte. Dès lors, la
subordination de l’inscription au tableau d’avancement à l’acceptation d’une mise à la
retraite anticipée était illégale.
Cette condamnation imposait une réaction du législateur. Le statut de 2005 opte pour une
solution médiane. L’abandon pur et simple du conditionnalat paraissait impossible. En
conservant les limites d’âge actuelles des officiers généraux, un tel abandon conduirait à
réduire le volume des listes d’aptitude d’un tiers.
Le conditionnalat sera par conséquent progressivement remplacé par un dispositif plus
transparent. Le statut détermine pour les généraux des limites d’âge légèrement supérieures
à celles des colonels. Les intéressés pourront être maintenus en activité au-delà de cette
limite d’âge pour une durée déterminée en fonction des emplois à pourvoir. Cette solution,
posée par la loi, donnera ainsi aux officiers généraux la certitude de servir jusqu’à leur limite
d’âge statutaire, les prolongations étant accordées en fonction des seuls besoins d’emploi.

b. Les effets de la construction européenne sur le statut des militaires


« L’armée de la République est au service de la Nation ». Certains parlementaires
souhaitaient profiter de la révision pour officialiser l’insertion de la défense française au sein

76
de la défense européenne. Un amendement proposait d’ajouter que la défense de la France
participe, dans le cadre des traités européens en vigueur, à la politique de défense de l’Union
européenne ». La ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, rejeta l’amendement au
motif que « la référence à l’Europe aurait un caractère restrictif par rapport aux opérations
menées actuellement dans le cadre de l’OTAN ».
La question essentielle s’agissant du nouveau statut est de savoir quelle valeur la CJCE
acceptera de donner à l’article 20-1 au terme duquel « nul ne peut être militaire s’il ne
possède la nationalité française ».
La Direction générale de l’administration et de la fonction publique dans une note du 31
janvier 2003 a estimé qu’un grand nombre de postes en état-major devraient être ouverts aux
ressortissants de l’Union européenne au motif que les fonctions d’étude ou d’analyse ne
mettent pas en œuvre des prérogatives de puissance publique44.

2. La permanence du cantonnement juridique


Il n’est plus question d’appliquer aux militaires la formule prononcée par le député Reille-
Soult en 1937 selon laquelle « dans le service, le fonctionnaire se dépouille de sa qualité de
citoyen pour servir ». Sur le plan des libertés individuelles le statut ne marque pas de
changement fondamental.

a. Les manifestations du cantonnement juridique


 L’interdiction d’adhérer à un syndicat a été maintenue. Le débat a, cette fois-ci, pris un
tour nouveau. Classiquement, les partisans de la syndicalisation s’attachaient à dénoncer la
faiblesse voire l’absence de fondement juridique de l’interdiction ainsi que son
anachronisme. Ses adversaires soulignaient, en revanche, que l’introduction du syndicalisme
risquerait de porter atteinte à l’unité et à la neutralité de l’armée et de remettre en cause la
discipline.
En 2005, les partisans de la reconnaissance d’un droit syndical aux militaires se sont
prévalus de l’attribution d’un tel droit dans les armées avec lesquelles l’Armée française
collabore (Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Royaume-Uni).
Cette présentation de la réalité est cependant quelque peu faussée. En effet, il n’y a pas de
syndicat dans les grandes armées qui nous sont comparables, comme l’armée américaine ou

44
Dans l’arrêt Sirdar du 26 octobre 1999, la Cour de justice a admis un recrutement exclusivement masculin au sein
d’un régiment des Royal marines de l’armée britannique. La présence de femmes dans le corps des Royal
marines ferait obstacle à l’interopérabilité et à l’efficacité de soldats qui doivent tous être aptes à assurer aussi
bien une fonction de soutien que de combat. Dans la mesure où les Royal marines constituent le fer de lance de
l’armée britannique, les femmes peuvent en être exclues.

77
britannique. En outre, le fonctionnement des syndicats de militaires pose parfois des
difficultés. En Suède, seuls les militaires volontaires peuvent être envoyés en opération
extérieure. Certains militaires refusent systématiquement de partir. L’armée suédoise doit
souvent se contenter d’envoyer des officiers au sein d’états-majors multinationaux.

 L’interdiction d’adhérer à un parti politique peut sembler anachronique. L’argument


tiré de l’obligation de neutralité qui pèse sur les militaires n’emporte pas l’adhésion dans la
mesure où une telle obligation incombe à tous les fonctionnaires. En outre, les militaires ont
d’ores et déjà le droit d’être candidats à une fonction élective. En cas de succès, ils peuvent,
pendant leur mandat, adhérer à un parti politique. Ils sont certes dans une situation de
disponibilité, mais peuvent réintégrer l’armée à l’issue de leur mandat.
Dans ces conditions, si l’on interdit aux militaires d’adhérer à un parti politique, c’est
uniquement pour éviter qu’un parti se prévale publiquement de l’adhésion de militaires. Une
telle attitude serait, en effet, préjudiciable à l’image même de neutralité de l’Armée.

b. Les tempéraments au cantonnement juridique

 Le dispositif de concertation est renforcé par le nouveau statut. Ce dispositif poursuit un


double objectif : éclairer le commandement et permettre à la communauté militaire de
s’exprimer.
Les organismes de concertation demeurent des organismes de consultation. Cependant, leur
existence et leur fonctionnement sont désormais inscrits dans le statut lui-même et non plus
dans un texte distinct. En outre, la loi garantit dorénavant la liberté d’expression des
membres de ces organismes.
Enfin, un Haut comité d’évaluation de la condition militaire est institué. Ce haut comité sera
chargé d’estimer dans les domaines juridiques, économiques, sociaux, culturels et
opérationnels les évolutions favorables ou défavorables qui pourraient avoir une influence,
notamment sur le recrutement, la fidélisation, les conditions de vie des militaires et de leurs
familles et les conditions de réinsertion dans la société civile. Ce Haut comité remettra un
rapport annuel dans lequel il pourra formuler des avis et émettre des recommandations sur
ces questions. Ce rapport sera adressé au président de la République et transmis au
Parlement.

 Le renforcement de la liberté d’expression. Le statut de 1972 obligeait les militaires à


obtenir une autorisation préalable du ministre lorsqu’ils désiraient évoquer publiquement des

78
questions de politique ou mettant en cause une puissance étrangère ou une organisation
internationale. Le contrôle a priori est désormais remplacé par un contrôle a posteriori. Les
militaires pourront donc désormais s’exprimer librement sans autorisation préalable pour
évoquer, dans le cadre de conférences, exposés ou articles dans la presse, des sujets
politiques ou des questions internationales militaires non couverts par le secret.

3. L’amélioration du régime juridique des militaires en opération extérieure

Le régime juridique des militaires en opération extérieure constitue l’innovation la plus


importante du statut. La transformation radicale des missions de l’armée l’avait rendue
indispensable et même urgente. Alors que la menace de guerre s’éloigne de plus en plus de
leur horizon quotidien, nos militaires sont, pour leur part, de plus en plus souvent exposés au
feu. La guerre est donc sortie de son cadre traditionnel.
Or il n’existait aucun régime juridique spécifique pour ce type d’opération, l’état du droit
reposant entièrement sur la distinction entre la guerre et la paix.
Les militaires se retrouvaient de ce fait face à une double incertitude à laquelle remédie le
statut : d’une part, ils n’étaient pas assurés d’être couverts en cas d’accident ou de blessure,
d’autre part, ils ne possédaient pas de garantie d’être pénalement protégés au cas où ils
faisaient usage de leurs armes45.

II. La structure interne de la fonction publique


Le système de la carrière repose sur l’existence des corps ou cadres d’emploi (A) et sur la règle

45
Lorsqu’un militaire faisait usage de la force en opération extérieure le fondement devait en être trouvé dans
le droit du temps de paix, c’est-à-dire dans les dispositions relatives à la légitime défense des personnes et des
biens. La règle nouvelle prévoit que la responsabilité du militaire en opération n’est pas engagée lorsqu’il
pourra faire valoir, d’une part, qu’il a agi dans le cadre du droit international et d’autre part, que l’usage de la
force était nécessaire à l’accomplissement de sa mission. Cette dernière condition couvre un nombre de
situations beaucoup plus large que la légitime défense.
S’agissant de la protection médicale des militaires en opérations extérieures, deux conditions devaient être
réunies pour qu’une blessure soit reconnue imputable au service. Il était nécessaire que l’accident soit survenu
d’une part à un moment et en un lieu où le militaire était requis par les nécessités du service, d’autre part à
l’occasion d’un fait lui-même en relation avec les nécessités du service.
Cette double condition excluait en principe la couverture des actes de la vie courante et de toute activité de
détente, y compris sur le théâtre d’une opération extérieure.
L’inadéquation, voire l’injustice auquel pouvait aboutir ce régime, a été illustrée par deux affaires qui, en leur
temps, ont provoqué des remous au sein de la communauté militaire. La première est l’affaire Manoni, du nom
d’un quartier maître principal. Le 10 mars 1996, le transport de chaland de débarquement au sein duquel il sert
est en escale à Casablanca. Au cours de l’excursion organisée conjointement par la marine nationale et
l’ambassade de France, dont le programme était fixé par un « ordre de circonstance », signé par le commandant
du navire, le car se renversa, le quartier-maître principal éjecté mourut quelques heures plus tard. Sa veuve obtint
une pension. Les ministères des Finances et de la Défense firent appel du jugement du tribunal des pensions au
motif que la présence dans le bus du marin décédé n’était pas « imputable au service ». L’État perdit en appel
mais se pourvut en cassation et obtint gain de cause. Non seulement la veuve Manoni perdit sa pension mais, à la
suite du jugement défavorable, la trésorerie générale lui réclama le « trop perçu ».

79
de la séparation du grade et de l’emploi (B).

A. Les corps et cadres d’emplois

1. Définitions
 L’expression corps de fonctionnaires est apparue en 1959. Elle s’est substituée à la notion de
« cadre ». La notion de corps est essentielle. Il s’agit du cadre juridique auquel appartiennent
les fonctionnaires et dans lequel va se dérouler leur carrière. Un corps regroupe en effet des
fonctionnaires soumis au même statut particulier et ayant vocation aux mêmes
grades. Par principe, les fonctionnaires recrutés par concours au premier grade d’un corps
ont vocation à accéder à l’ensemble des grades de ce corps.

L’organisation d’une fonction publique en corps est caractéristique d’une logique de


carrière. Le corps est « l’ossature mentale et technique » de la gestion des fonctionnaires.
Sur le plan juridique comme sociologique, un fonctionnaire ne fait pas carrière dans la
fonction publique mais dans le corps auquel il appartient. Comme le souligne René Chapus,
« cette notion de corps est essentielle. Normalement, un fonctionnaire est voué à faire carrière,
non pas dans la fonction publique en général, mais plus étroitement dans le corps où il a été
admis et son destin normal est d’y demeurer, en y avançant, jusqu’à sa sortie de la fonction
publique ». Les fonctionnaires ne sont toutefois pas condamnés à rester dans leur corps
d’origine, différentes techniques (concours interne, tour extérieur ou encore détachement
suivi d’une intégration) leur permettant de mettre en œuvre deux garanties fondamentales
de leur carrière : l’accès aux autres fonctions publiques civiles ainsi que leur mobilité au
sein des trois grandes fonctions publiques. En fonction du prestige, de la spécificité des
fonctions exercées, l’appartenance à un corps développe chez ses membres des réflexes
corporatistes plus ou moins prononcés.

La multiplication des corps. Il existe pour l’État environ 1 500 corps de fonctionnaires
dont 900 corps qui recrutent encore, les autres sont en voie d’extinction. On mesure ainsi que
la multiplication des corps a pris des proportions spectaculaires. Si certains corps
présentent des effectifs substantiels (spécialement dans l’éducation nationale et en
matière de police), la plupart sont peu fournis et certains sont uniquement composés
d’une poignée d’agents : près de 120 000 professeurs des écoles mais seulement 760 inspec-
teurs du permis de conduire, 138 préfets, 36 géomètres de l’Institut géographique national,
48 ouvriers du service des alcools, 9 maîtres graveurs aux Monnaies et médailles...

80
Cette situation est problématique parce qu’elle rigidifie et éparpille la gestion des
fonctionnaires en la soumettant à autant de régimes et de procédures qu’il y a de corps.
Elle oppose, en outre, un frein à la mobilité. Les corps constituent en effet autant de
cloisons que les agents doivent franchir s’ils veulent accéder à un emploi relevant d’un
autre corps. Enfin, elle interdit, sauf pour les quelques corps à forts effectifs, toute
véritable déconcentration de la gestion.
Devant cette situation très préjudiciable en terme de gestion publique, une réforme s’impose. A
cet égard, la fonction publique territoriale pourrait servir d’exemple avec sa soixantaine de
cadres d’emplois répartis au sein de huit filières.

 Depuis 1987, la notion de cadres d’emploi remplace celle de corps dans la fonction
publique territoriale. « Un cadre d’emplois regroupe les fonctionnaires soumis au
même statut particulier, titulaires d’un grade leur donnant vocation à occuper un
ensemble d’emplois » (v. administrateurs territoriaux, agents de police municipale). Cette
définition est très proche de celle du corps. La seule différence tient au fait que la gestion
du cadre d’emplois est parcellisée, ce qui l’oppose à la gestion unitaire du corps. Chaque
collectivité ou établissement définit et applique sa politique à chaque cadre d’emplois dont elle
ou il dispose.
La création des cadres d’emploi permet de concilier la liberté de gestion de leurs personnels
par les collectivités territoriales et le maintien pour les fonctionnaires d’une perspective de
carrière. Les cadres d’emploi sont pris par décret en Conseil d’État. Il revient à chaque
collectivité de gérer ses agents dans le cadre juridique ainsi défini. Il existe un nombre restreint
de cadres d’emploi (une soixantaine). Ils sont organisés en huit filières professionnelles selon
la nature des missions exercées (administrative, technique, sanitaire et sociale...). Cette logique
de métiers (280 environ) se distingue nettement de l’organisation de la fonction publique
d’État cloisonnée en plusieurs centaines de corps.

 La classe. Contrairement au grade, la classe n’est pas définie dans le statut général
mais simplement mentionnée. Il s’agit d’une division du grade. La division d’un corps en
classes n’est obligatoire que si le corps est constitué d’un seul grade. Elle permet de
valoriser le mérite dans le déroulement des carrières et dans l’obtention d’un avancement
par les fonctionnaires. En effet, l’avancement de classe (comme celui de grade) se fait
sur la base d’une appréciation des mérites des agents. Ainsi, à l’inverse d’un avancement

81
de grade, un avancement de classe ne modifie en rien le niveau hiérarchique du
fonctionnaire. L’agent continue, en effet, à occuper le même type de fonctions.

 L’échelon est une subdivision du grade et, le cas échéant, de la classe. L’échelon
joue un rôle essentiel dans la détermination du traitement du fonctionnaire. Le
montant du traitement est en effet fixé en fonction du grade de l’agent et de l’échelon
auquel il est parvenu. L’avancement d’échelon n’entraîne aucun changement de
niveau hiérarchique de l’agent (à l’inverse de l’avancement de grade mais comme
l’avancement de classe) et uniquement une modification du traitement (comme
l’avancement de classe). Il est normalement fonction à la fois de l’ancienneté et de la
valeur professionnelle des fonctionnaires, ce qui le distingue de l’avancement de classe
(comme de grade) qui est lui supposé être avant tout fonction de la valeur des agents.
Ainsi, avancements d’échelon et de classe ne conduisent pas à une élévation du niveau
hiérarchique du fonctionnaire mais simplement à une amélioration de son traitement, le
premier étant fonction de l’ancienneté et le second du mérite.

 L’emploi. Si le fonctionnaire est titulaire de son grade, il ne l’est pas de son


emploi. Dès lors, et sauf le cas particulier des fonctionnaires inamovibles (magistrats
du siège et professeurs d’université notamment), l’administration dispose d’une grande
latitude d’action dans le changement d’affectation des fonctionnaires sur tel ou tel
emploi. « Si l’intérêt du fonctionnaire justifie qu’il ne soit pas abusivement privé des avantages
attachés à son grade, l’intérêt du service commande qu’il exerce ses fonctions au poste où il
sera le plus utile. Conséquence tenue de respecter le grade, l’Administration sera dans une
large mesure maîtresse de l’emploi » (Robert Savy).

2. Le classement des corps


Les corps et cadres d’emploi sont classés, par ordre hiérarchique décroissant, en trois
catégories : A, B et C. Traditionnellement, on distinguait quatre groupes de fonctions
administratives correspondant à quatre degrés distincts de qualification professionnelle et,
par suite, à quatre niveaux moyens de recrutement : fonctions de conception (catégorie
A) ; fonctions d’application (catégorie B) ; fonctions d’exécution, spécialisées (catégorie
C) ou non spécialisées (catégorie D).
L a catégorie A correspond aux tâches de conception et de direction. Le niveau de
recrutement des corps concernés est celui des diplômes d’enseignement supérieur (licence
ou master 1).

82
La catégorie B correspond aux tâches d’application (contrôleurs du Trésor, secrétaires
d’administration scolaire et universitaire, rédacteurs territoriaux). Les corps sont recrutés
au niveau du baccalauréat.
La catégorie C correspond aux tâches d’exécution spécialisées (adjoints administratifs,
préposés des postes, chauffeurs). Le niveau de recrutement est le brevet des collèges.
Jusqu’en 1990, il existait une catégorie D qui regroupait les tâches d’exécution non
spécialisées (agents d’entretien, agents techniques). Le niveau de recrutement était
l’ancien certificat de fin d’études primaires. Cette catégorie a disparu par incorporation
des corps concernés dans la catégorie C.
Le statut particulier de chaque corps précise de quelle catégorie celui-ci relève.
L’appartenance d’un corps à une catégorie détermine à la fois le niveau de recrutement et
celui de la rémunération. Ce classement doit toutefois être relativisé pour deux raisons : tout
d’abord, les candidats qui se présentent aux concours, notamment pour les corps de catégorie B,
sont surqualifiés ; ensuite, les corps classés en catégorie A sont très hétérogènes.
Les textes contemporains ne mentionnent plus pour classer les corps que « leur niveau de
recrutement ». Il est toutefois évident que ce niveau et la nature des fonctions exercées
par les membres du corps sont corrélés : les deux éléments continuent donc à servir
conjointement de base au classement des corps et cadres d’emplois. La catégorie A
correspond aux corps pour lesquels un diplôme d’enseignement supérieur est
nécessaire, la catégorie B à ceux où est simplement exigé le baccalauréat et les
catégories C et D à l’obtention respective du BEPC et du CEP. Il convient toutefois
de ne pas se méprendre sur ces niveaux d’exigences. Bien souvent, les candidats
possèdent des diplômes nettement supérieurs à ceux exigés pour se présenter aux concours
de recrutement.
Ainsi et par exemple, pour ce qui est de la fonction publique de l’État, pour les concours
ouverts aux candidats titulaires du baccalauréat, la moitié des personnes recrutées est titulaire d’un
diplôme au moins égal à la licence alors que 17 % ne disposent que du baccalauréat. 65 % des
recrutés en catégorie C sont bacheliers alors que le niveau de diplôme exigé est celui du brevet.
De même, il convient de souligner « que ce phénomène de surqualification est plus marqué au sein
de la fonction publique que dans le secteur privé.
Une conséquence importante du classement d’un corps dans une catégorie a trait au
traitement des agents appartenant à ce corps puisqu’à chaque catégorie correspond une
fourchette de niveaux indiciaires (et que c’est l’indice atteint par l’agent qui permet de
déterminer son traitement).

83
La catégorie C occupe l’espace compris entre les indices nouveaux majorés 253 et 415, la
catégorie B les indices compris entre 288 et 513, la catégorie A à partir de l’indice 347.
Les fonctionnaires soumis à un statut spécial sont classés hors catégorie pour leurs indices
de traitement.

B. La séparation du grade et de l’emploi


La distinction entre le grade et l’emploi est instituée par la loi du 19 mai 1834 sur l’état des
officiers. Le maréchal Soult, son rapporteur, explique à la Chambre des députés que le grade
relève de « l’état » de l’officier, alors que l’emploi appartient « au commandement
supérieur des armées dont était investi le roi ». On dit souvent aujourd’hui que le grade
appartient à l’agent et l’emploi à l’administration. Après avoir été réservée aux militaires
durant un siècle, cette séparation a été introduite dans la fonction publique civile de
l’Etat en 1945.

1. Le lien entre le grade et l’emploi


Le lien entre le grade et l’emploi se résume en deux propositions :
- le grade confère un emploi qui lui correspond ;
- l’absence d’emploi ne prive pas de grade.

 Le grade confère un emploi qui lui correspond

Le grade est « le titre qui confère à son titulaire vocation à occuper l’un des emplois qui
lui correspondent ». Il est l’expression du droit à une carrière. L’emploi n’est donc pas
sans lien avec le grade dans la mesure où « un fonctionnaire public ne peut, en règle
générale , être affecté qu’à un emploi correspondant à son grade » (CE, 8 février 1961,
Bourianne). Il y a là une application de la définition même du grade qui précise que
les fonctionnaires ont vocation à occuper un emploi correspondant à leur grade. Mais
« vocation à » ne signifie pas « droit à » et c’est pourquoi, si l’intérêt du service
l’exige, un agent peut occuper un emploi correspondant à un grade supérieur ou inférieur
au sien et ainsi, et suivant les cas, être le supérieur hiérarchique d’un agent de grade
supérieur ou le subordonné d’un agent de grade inférieur. Le Conseil d’État souligne ainsi qu’
« aucune disposition, non plus qu’aucun principe général applicable aux fonctionnaires
civils, n’interdisent à l’administration de prévoir qu’un fonctionnaire puisse être placé sous
les ordres d’un agent de grade inférieur au sien » (CE, 11 décembre 1996, Département du
Val-d’Oise /Lacombe).

84
Le fonctionnaire en activité dispose d’un droit à recevoir une affectation dans un délai
raisonnable. Autrement dit, s’il n’a pas droit à un emploi en particulier il a par contre droit
à un emploi (correspondant en principe à son grade).
Il existe en principe plusieurs grades dans un corps. Le corps des tribunaux administratifs et cours administratives
d’appel comprend ainsi trois grades conseiller, premier conseiller, président. Certains corps ne comprennent
qu’un seul grade (préfet, professeur des universités ou administrateur civil). La hiérarchie se marque alors
au moyen de classes : professeur de seconde classe, de première classe, de classe exceptionnelle. Le statut
particulier de chaque corps détermine la hiérarchie des grades (ou classes) dans le corps, les règles
d’avancement d’échelon et de promotion de grade (ancienneté et choix). L’attribution de son premier
grade (ou titularisation) traduit l’appartenance définitive d’un fonctionnaire jusque-là stagiaire à la fonction
publique. Chaque grade (ou classe) est lui-même divisé en un certain nombre d’échelons. Chaque échelon
correspond à un indice majoré qui permet de calculer le traitement. Le grade influe donc directement sur la
rémunération du fonctionnaire.

Le statut ne définit pas la notion d’emploi. L’emploi désigne une fonction administrative
permanente, juridiquement distincte des autres : chef de bureau, directeur d’administration
centrale, chef de service... L’emploi permanent correspond à un besoin prévisible et
constant d’une collectivité publique : il doit en principe être occupé par un fonctionnaire.
L’emploi non permanent satisfait en revanche des besoins saisonniers ou occasionnels. Il ne
peut être occupé que par un agent non titulaire.
Un emploi permanent peut être à temps complet ou à temps non complet. Tout emploi à
temps complet doit être confié à un fonctionnaire, tandis qu’un emploi à temps non complet
doit être assuré par un agent non titulaire. Cependant, les spécificités des petites communes
justifient le recrutement d’un fonctionnaire territorial sur un emploi à temps non complet.
Si le grade appartient à l’agent, l’emploi est à la disposition de l’administration.
Cette affirmation traduit la liberté relative dont cette dernière jouit, sous le contrôle du
juge, pour affecter les agents suivant les nécessités du service dans la limite toutefois des
emplois correspondant à leur grade. L’intérêt du service peut justifier des dérogations à ce
principe. Affecter un agent à un emploi où il se trouve sous les ordres d’un autre agent
de grade inférieur au sien n’est ainsi pas illégal.

 L’absence d’emploi ne prive pas de grade

En cas de disparition de son emploi, le fonctionnaire est affecté dans un nouvel emploi. Cette
règle résulte de la séparation du grade et de l’emploi. Dans la fonction publique d’État,
seule une loi spéciale de « dégagement des cadres » peut licencier des fonctionnaires.
Dans les autres fonctions publiques, le licenciement pour suppression d’emploi ne nécessite
pas l’intervention de la loi. Aussi n’est-il pas totalement exclu. Le fonctionnaire territorial
notamment peut connaître des interruptions de carrière en raison de la suppression de son

85
emploi ou de la fin de son détachement sur un emploi fonctionnel. Si la collectivité ou
l’établissement territorial d’affectation ne peut lui offrir un emploi équivalant à l’emploi
supprimé, l’intéressé est maintenu en surnombre pendant un an. Au terme de ce délai, le
fonctionnaire sans emploi est pris en charge par le centre de gestion compétent. Cette prise en
charge cesse après trois refus d’emplois correspondant à son grade. L’agent est alors licencié
ou admis à faire valoir ses droits à la retraite.

Lorsqu’un fonctionnaire reste sans affectation pendant un délai prolongé, il perçoit son
traitement sans avoir de service à accomplir. En n’attribuant aucun emploi à cet agent,
l’administration engage sa responsabilité pour faute (CE, Sect., 20 juin 1952, Sieur Bastide).
Tout fonctionnaire en activité tient en effet de son statut le droit de recevoir, dans un délai
raisonnable, une affectation correspondant à son grade. Si elle estime l’agent inapte,
l’administration doit engager une procédure de licenciement. Le préjudice moral et matériel
subi par l’intéressé en raison de la carence de son employeur doit être indemnisé. Celui-ci a
droit en principe à une indemnité tenant compte de la différence entre les sommes qu’il a
perçues et la rémunération qui aurait été la sienne s’il avait reçu une affectation.
L’absence de démarche du fonctionnaire pour alerter l’administration sur sa situation
constitue une faute de l’agent. Elle est prise en compte pour le calcul de l’indemnité compte
tenu du rang de l’agent dans la hiérarchie administrative et de la durée de son inactivité (CE,
Sect., 6 nov. 2002, Guisset : un conseiller des affaires étrangères, privé d’affectation durant
douze ans, qui se borne à produire une lettre adressée à son administration à une date à
laquelle il était sans affectation depuis plus de six ans, exonère l’État du tiers de sa
responsabilité).

2. L’altération du lien entre le grade et l’emploi


L’altération du lien entre le grade et l’emploi se rencontre dans deux situations particulières.
La première correspond aux emplois sans grade, c’est-à-dire aux emplois pourvus
discrétionnairement (a). La seconde forme d’altération est constituée par les fonctionnaires
inamovibles (b).

a. Les emplois sans grade


Bien que fondé sur la carrière, notre système laisse une place résiduelle à la logique de
l’emploi. Il persiste en effet une logique d’emploi pour les fonctions supérieures qui se situent
à la charnière des sphères politique et administrative. Deux catégories d’emplois sont
concernées : les emplois à la décision du gouvernement dans la fonction publique d’État et

86
les emplois fonctionnels dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Par
dérogation au principe du concours, les nominations à ces emplois sont laissées à l’appréciation
du gouvernement et de l’exécutif territorial. Ce choix quasi discrétionnaire s’explique par le
loyalisme absolu dont ces responsables administratifs doivent faire preuve à l’égard de
l’autorité qui les nomme. Ils sont en effet étroitement associés à la préparation et à la
mise en œuvre de la politique nationale ou locale. La nomination à l’un de ces emplois ne
confère enfin nullement à l’intéressé la qualité de fonctionnaire s’il en est jusque-là dépourvu.

 Emplois à la discrétion (ou à la décision) du gouvernement. Le statut général prévoit


l’existence des emplois supérieurs de l’État. Leur liste est fixée par décret en Conseil d’État.
Ils sont pourvus par décret en Conseil des ministres. Cette haute hiérarchie administrative
comprend, entre autres, les emplois de secrétaire général du gouvernement et de la Défense
nationale, de directeur d’administration centrale et de secrétaire général de ministère,
d’ambassadeur, de préfet, de recteur d’académie. Le juge ne s’estime toutefois pas lié par
cette liste. Pour définir le contenu de cette catégorie d’emplois publics, il se fonde en effet
sur la nature des fonctions considérées (CE, 10 déc. 1948, Lavaud).
Ces emplois sont pourvus « à la décision » du gouvernement, c’est-à-dire à sa
discrétion. L’exécutif peut nommer un fonctionnaire ou une personne étrangère à la fonction
publique. L’accès de cette dernière à ces emplois n’entraîne pas sa titularisation dans un
corps. Le choix des autorités se porte le plus souvent sur des fonctionnaires qui occuperont
l’emploi par détachement. Il peut être mis fin au détachement à tout moment. Le juge précise
le cadre juridique dans lequel s’exerce cette compétence. Le retrait d’un tel emploi, lors-
qu’il constitue une mesure prise en considération de la personne, implique ainsi l’accès au
dossier. Lorsqu’il s’agit de fonctionnaires, le choix de l’exécutif est limité par les
dispositions statutaires fixant les conditions d’accès aux emplois concernés. Le Chef de
l’État ne peut ainsi nommer ambassadeur un diplomate que si son statut le permet (CE, Ass.,
31 mai 2006, Synd. CFDT du ministère des Affaires étrangères, AJDA, 2006, p. 1899, concl.
Olson : nomination illégale d’un secrétaire aux affaires étrangères comme ambassadeur car il
n’a pas été préalablement détaché dans le grade de conseiller des affaires étrangères hors
classe qui est l’une des situations permettant cette désignation).

 Les emplois fonctionnels désignent les emplois de direction les plus élevés dans la
territoriale. Ils sont pourvus par la voie du détachement ou, à défaut par recrutement direct
par contrat. Ils sont énumérés par la loi du 26 janvier 1984. Il s’agit, par exemple, des

87
emplois de directeur général et directeur général adjoint des services d’une région, d’un
département ou d’une commune de plus de 3 500 habitants ; de directeur général des services
techniques d’une commune de plus de 20 000 habitants, de directeur général de certains
établissements publics territoriaux (v. communauté urbaine, syndicat intercommunal).
L’autorité territoriale peut mettre fin au détachement d’un agent occupant un tel emploi. La
fin de fonctions ne peut intervenir qu’après un délai de six mois suivant soit leur
nomination dans l’emploi, soit l’élection de l’autorité territoriale. Cette décision doit être
motivée, par exemple par la simple perte de confiance de l’exécutif territorial dans son
subordonné. Enfin, la loi précise les possibilités s’offrant à l’intéressé (reclassement, prise en
charge, congé spécial, licenciement) dans le cas où la collectivité ou l’établissement ne
peut lui offrir un emploi correspondant à son grade.

b. Les fonctionnaires inamovibles


Certains fonctionnaires sont inamovibles. Il s’agit notamment des magistrats du siège et des
professeurs d’université. L’inamovibilité contribue à garantir leur indépendance. La
distinction entre grade et emploi perd alors de son sens. Les agents concernés ne peuvent être
soumis à un pouvoir hiérarchique classique. Ils doivent être protégés contre une éventuelle
mutation décidée par l’autorité administrative. L’administration ne peut par conséquent pas
disposer de leur emploi comme elle l’entend. Même s’il répond à l’intérêt du service, un
changement d’affectation n’est possible qu’avec l’accord de l’agent concerné ou sur sa
demande.

Les magistrats du siège tirent leur inamovibilité de la Constitution. Pour les autres
fonctionnaires, l’inamovibilité résulte normalement de la loi. Tel est le cas pour les
magistrats financiers et pour les membres des tribunaux administratifs et cours
administratives d’appel. Cette inamovibilité est, en revanche, une garantie réglementaire
pour les professeurs des universités et maîtres de conférences.

88
Leçon n° 5 : La gestion de la fonction publique

Nous étudierons les organes de gestion et les organes de participation avant d’exposer les
défauts majeurs du système actuel de gestion de la fonction publique.

I. Les organes de gestion


La définition des grandes orientations et des réformes d’ensemble relève de la définition de
la politique générale du gouvernement. La gestion au quotidien de la carrière des agents
appartient aux organes spécifiques des trois fonctions publiques.

A. La définition gouvernementale de la politique générale

1. Le rôle central du gouvernement


 Le Premier ministre joue un rôle fondamental d’impulsion en matière de fonction
publique. En tant que chef du gouvernement, il détermine et conduit la politique
nationale en matière de fonction publique, sous réserve des choix du président de la
République (réforme des retraites par exemple). Le Premier ministre est titulaire du pouvoir
réglementaire de droit commun. A ce titre, il signe les décrets portant statut particulier des
corps ou cadres d’emploi. Il dispose de l’initiative des lois pour faire modifier le statut
général par le Parlement.

 En pratique, le Premier ministre confie l’exercice de ses compétences de gestion au ministre


chargé de la Fonction publique. Ce dernier exerce les compétences dévolues au Premier
ministre en matière de fonction publique. Il prépare et met en œuvre la politique du
gouvernement en ce qui concerne la fonction publique. La direction générale de
l’administration et de la fonction publique lui est rattachée. Il veille au respect tant des
droits et obligations de l’ensemble des fonctionnaires que des principes régissant leur
carrière. Le ministre conduit la politique salariale dans la fonction publique et assure la
coordination des règles statutaires et indiciaires particulières. Il préside le Conseil supérieur
de la fonction publique de l’État.

89
 Bien qu’il ne dispose pas d’attributions générales en matière de fonction publique, le
ministre de l’Économie et des Finances est nécessairement associé aux réformes de la fonction
publique en raison des fortes implications financières qu’elles comportent.
- L a direction du Budget apprécie l’incidence sur le budget de l’État des mesures
statutaires (échelonnement indiciaire des corps, réforme des retraites). Cela suppose
de lui reconnaître un droit de regard lors des négociations salariales dans la fonction
publique.
- Créée par un décret du 30 décembre 2005, la direction générale de la modernisation
de l’État participe à la conception et à la promotion des nouveaux modes de
gestion de l’État dans le cadre de la mise en œuvre de la LOLF.

2. L’appoint nécessaire des administrations spécialisées


 Créée en 1945, la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP)
dépend directement du Premier ministre. En pratique, la DGAFP est mise à la disposition du
ministre de la Fonction publique. Ses effectifs sont limités puisqu’elle ne comprend que
150 agents. Traditionnellement, son rôle était centré sur la gestion du statut général des
fonctionnaires de l’État. Il s’étend désormais à tous les aspects transversaux de la politique du
gouvernement en matière de fonction publique. La DGAFP occupe aujourd’hui une place
centrale dans le renouveau de la gestion publique des ressources humaines.
Depuis 2007, la DGAFP est composée de trois sous-directions. Cette nouvelle organisation rend
plus visible les trois principales orientations de son action :
- la DGAFP assure la cohérence statutaire (élaborer les textes, simplifier les règles de
gestion, prévoir les évolutions) ;
- elle prépare et conduit le dialogue social dans la fonction publique, notamment en
matière de rémunération. Elle élabore et pilote la nouvelle politique des ressources
humaines.
- la DGAFP exerce enfin la tutelle de l’État sur l’ENA et les cinq instituts régionaux
d’administration (IRA).
La Direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l’Intérieur et celle de
l’hospitalisation et de l’organisation des soins du ministère de la Santé constituent les pendants de
la DGAFP dans leur fonction publique respective.

 Créé en avril 2006, le secrétariat général de l’administration est rattaché au Premier ministre.
Le secrétariat général de l’administration est chargé de préparer les orientations de la

90
politique de gestion des cadres supérieurs de l’État et de ses établissements publics. Il recense les
emplois vacants et renseigne les autorités compétentes sur le profil des hauts fonctionnaires
susceptibles de les occuper. Il suit le développement de la rémunération à la performance dans
l’encadrement supérieur de l’État. Il est associé au processus de sélection de ces cadres.

B. La gestion quotidienne des agents

1. Les organes de gestion de la fonction publique d’Etat

Le processus de déconcentration n’y change rien, la gestion des agents publics demeure
largement centralisée. La gestion centralisée est destinée à garantir un meilleur respect de
l’égalité de traitement. Elle assure en effet que les décisions individuelles concernant les
agents sont prises de façon coordonnée par un petit nombre d’autorités. L’inconvénient est
toutefois que les mécanismes décisionnels sont lourds dans la mesure où toute décision doit
être approuvée au niveau ministériel. La gestion des agents de l’État relève donc en principe
du ministre et, à titre subsidiaire, d’autres chefs de service.

 L’exercice par le ministre de ses responsabilités en matière de gestion des agents de son
ministère est étroitement encadré. Toute velléité de politique personnelle se heurte à trois
obstacles majeurs.
- La Constitution confie tout d’abord au Premier ministre l’exercice du pouvoir
réglementaire.
- Le statut général renvoie principalement, pour définir ses modalités d’application, à
des décrets simples ou en Conseil d’Etat.
- Enfin, le Premier ministre ne peut sans méconnaître la Constitution subdéléguer aux
ministres une compétence que celle-ci lui attribue (CE, Ass., 13 juill. 1968, Moreau).

 Le ministre ne peut donc intervenir que dans trois hypothèses. Ses services assurent tout
d’abord pour l’ensemble des agents du ministère l’exécution des lois et de leurs décrets
d’application. Il peut aussi, à l’occasion, être directement habilité par la loi pour prendre
certaines mesures d’exécution (à propos de la déconcentration des concours). En l’absence de
loi, il dispose enfin, comme tout chef de service, d’un pouvoir réglementaire autonome qu’il
peut exercer si la matière en cause n’est ni législative ni statutaire. Le ministre peut ainsi
réglementer l’exercice du droit de grève par les agents placés sous ses ordres (v. CE, Ass., 7
juill. 1950, Dehaene). Le ministre de la Défense de prendre une instruction qui rend
obligatoires certaines vaccinations pour les militaires (CE, Ass., 3 mars 2004, Assoc. Liberté,

91
Information, Santé, Rec. p. 113). Le droit en vigueur laisse ainsi peu de place à l’initiative
ministérielle en matière de fonction publique.
 L’implication des chefs des services déconcentrés dans la gestion de leurs agents dépend de
l’ampleur des délégations de compétences intervenues en leur faveur. Celles-ci varient
considérablement d’un ministère à l’autre. La gestion des corps de professeurs des écoles et
d’instituteurs relève entièrement des rectorats. D’une manière générale, la déconcentration
reste toutefois un processus limité. Dans la plupart des corps, la déconcentration se limite
aux actes de gestion les plus courants qui ne nécessitent pas la consultation de la Commission
administrative paritaire du corps (congés, autorisations d’absence...). Pour tous les autres actes,
la compétence continue de relever du ministre et de la CAP nationale.

Établissements publics nationaux. Au sein des établissements publics de l’État, le chef d’établissement et son
conseil d’administration sont compétents, dans le respect des statuts particuliers des différents corps, pour prendre
les mesures individuelles de gestion. La situation est toutefois là aussi assez contrastée. Il existe souvent au sein
d’un même établissement des corps de fonctionnaires gérés par des autorités différentes. Dans une université par
exemple, les enseignants-chercheurs relèvent pour leur gestion de la direction générale de l’enseignement
supérieur du ministère de l’Éducation et les personnels administratifs dépendent du rectorat de l’académie. Il
n’y a guère que les personnels techniques qui sont gérés par l’université.

2. Les organes de gestions de la fonction publique territoriale


 Le statut général reconnaît l’autonomie de gestion des collectivités territoriales sur
leurs personnels. Les décisions individuelles relatives à la gestion des personnels sont
néanmoins transmises au préfet pour permettre le contrôle de leur légalité.
L’assemblée délibérante décide la création et la suppression des emplois de la collectivité
concernée, ce pouvoir étant lié à sa compétence budgétaire. Elle précise aussi les éléments
du statut des fonctionnaires qui ne sont pas fixés par la loi ou les règlements : par exemple,
le régime indemnitaire des agents dans le respect du principe de parité. Si l’emploi créé
doit être pourvu par un contractuel, l’assemblée établit les règles qui lui sont applicables.
L’autorité exécutive (maire, président de conseil général ou régional) met en œuvre les
délibérations adoptées par l’assemblée. Elle prend aussi les mesures individuelles
concernant la carrière des fonctionnaires (nomination, titularisation, avancement, sanctions)
comme la situation des contractuels. Elle fixe les modalités de fonctionnement du service
(heures d’ouverture, congés).

 Les centres de gestion sont des établissements publics spécialisés dans la gestion et la
formation des fonctionnaires. En les créant en 1984, la loi a entendu répondre à un double

92
objectif : aider les collectivités qui en ont besoin dans la gestion de leur personnel et garantir
aux fonctionnaires la stabilité inhérente au système de la carrière.
Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) est un établissement public
administratif de l’État qui regroupe la totalité des collectivités et établissements
territoriaux. Il est dirigé par un conseil d’administration composé à part égale de
représentants des collectivités et des organisations syndicales des agents territoriaux. Il
dispose d’une trentaine de délégations régionales ou interdépartementales qui sont chargées de
l’organisation matérielle des concours et examens. Il exerce des fonctions de gestion et de
formation. Au titre des premières, il prend ainsi en charge les fonctionnaires de catégorie
A momentanément privés d’emploi et favorise leur reclassement. Au titre des secondes, il
organise la formation initiale des lauréats de certains concours (administrateur territorial) et la
formation continue d’un grand nombre d’agents.
Les centres départementaux de gestion sont des établissements publics locaux. Chaque centre est
dirigé par un conseil d’administration composé d’élus qui représentent les collectivités et
établissements territoriaux qui en sont membres. Sont obligatoirement affiliés à un centre de
gestion les communes et leurs établissements publics employant moins de 350 fonctionnaires,
celles qui n’employant aucun fonctionnaire titulaire ou stagiaire à temps complet,
emploient au moins un fonctionnaire à temps non complet et celles qui n’emploient que des
agents non titulaires. Les autres collectivités sont libres de s’affilier ou non à un centre de
gestion. Pour l’essentiel, ces centres assurent la tenue des bourses d’emplois, la publicité des
créations et vacances d’emplois et des listes d’aptitude. Ils organisent aussi certains concours et
examens professionnels. Ils prennent enfin en charge les fonctionnaires de catégorie B et
C privés d’emploi.

Réforme des centres de gestion. cf. BOURDON


Le projet de loi relatif à ‘la fonction publique territoriale entendait réformer
profondément ces organes territoriaux. Le texte adopté en première lecture par le Sénat le
16 mars 2006 s’écarte sensiblement de celui du gouvernement. L e CNFPT, qualifié désormais
d’ « instance représentative de la fonction publique territoriale », en sort plutôt conforté.
Il conserve la plupart de compétences dont le gouvernement voulait le priver. Il se voit
confier en outre des attributions en matière de reconnaissance de l’expérience
professionnelle et de validation des acquis de l’expérience. Quant aux centres de gestion
locaux, leur coordination grâce à la création d’un nouvel établissement public national
spécialisé est abandonnée en raison de son coût.

3. Les organes de gestion de la fonction publique hospitalière


Cadre général. Les corps et emplois de la fonction publique hospitalière sont pourvus et gérés dans le cadre
de chaque établissement (titre IV, art. 4, al. 5). Par dérogation, les corps et emplois des personnels de
direction sont recrutés et gérés au niveau national. Il existe donc bien deux niveaux de gestion des carrières dans

93
la fonction publique hospitalière. Le niveau national pour les personnels de direction et le niveau local pour
tous les autres personnels.
Attributions du ministre de la Santé. Il est en principe pourvu aux emplois de directeurs d’établissements publics
hospitaliers par arrêté ministériel (C. santé publ., art. L. 6141-1). Les directeurs des établissements les plus
importants (Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Hospices civils de Lyon et Assistance publique de
Marseille) sont toutefois nommés par décret sur proposition du ministre de la Santé.
Attributions du chef d’établissement. Le directeur est chargé de l’exécution des décisions du conseil
d’administration : il met en œuvre la politique définie par ce dernier. Il exerce à titre exclusif, son autorité sur
l’ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s’imposent aux
professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l’administration des soins et de l’indépendance
professionnelle du praticien dans l’exercice de son art (C. santé pub., art. L. 6143-7). Il lui appartient,
sous réserve de l’intervention des organismes paritaires, de décider des recrutements, des avancements et des
affectations de l’ensemble des agents. Il détient le pouvoir disciplinaire à l’égard des personnels non médicaux
de son établissement.

II. Les organes de participation

C’est en 1946 que les fonctionnaires se sont vu reconnaître, pour la première fois, le droit
d’être consultés, au moyen de leurs représentants, sur les principales décisions qui les
concernent (projet de textes généraux ou de décisions individuelles). Le statut de 1946
concrétise pour la fonction publique le principe affirmé par le huitième alinéa du
préambule de la Constitution de 1946 selon lequel tout travailleur participe, par
l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi
qu’à la gestion des entreprises. L’actuel statut général proclame que « Les fonctionnaires
participent, par l’intermédiaire de leurs délégués siégeant dans des organismes consultatifs, à
l’organisation et au fonctionnement des services publics, à l’élaboration des règles
statutaires et à l’examen des décisions individuelles relatives à leur carrière ».
Afin de donner corps à ce principe de participation, le statut de 1946 a créé les instances
paritaires de concertation, instances qui existent toujours. Le statut de 1983 procède à
l’extension de leurs compétences et généralise leur présence dans toutes les fonctions
publiques.

A. Les conseils supérieurs des fonctions publiques

Le Conseil supérieur de la fonction publique a été créé en 1946. Il assure la participation des
agents à la définition de leurs conditions de travail en favorisant la concertation entre
employeur public et représentants syndicaux.

1. Le conseil supérieur de la fonction publique d’Etat

Cette instance nationale comprend en nombre égal des représentants de l’administration et


des représentants des organisations syndicales de fonctionnaires. Elle est présidée par le

94
Premier ministre que supplée le ministre chargé de la Fonction publique. Outre son prési-
dent, le Conseil supérieur comprend 40 membres nommés par décret pour trois ans
renouvelables. Les 20 représentants des fonctionnaires sont désignés par les syndicats
représentatifs.

Cet organisme paritaire peut connaître de toute question d’ordre général intéressant la
fonction publique de l’État ou les fonctionnaires de l’État. Ses attributions sont
consultatives. Son intervention est tantôt obligatoire tantôt facultative. Il est obligatoirement
consulté sur quatre types de projets de textes généraux : les projets de loi qui modifient les
deux premiers titres du statut général ; les projets de décret portant statut particulier des
corps qui dérogent au statut général ; les projets de classement indiciaire des grades et emplois
des fonctionnaires civils et militaires de l’État et les projets de décret comportant des
dispositions communes à plusieurs corps de fonctionnaires. Dans les autres hypothèses, l’avis
du Conseil est demandé à titre facultatif. Celui-ci est alors saisi soit par le Premier ministre
soit à la demande écrite d’au moins un tiers de ses membres.
Le Conseil supérieur connaît aussi de certaines situations individuelles. Il remplit en effet le
rôle d’organe supérieur de recours en matière disciplinaire, d’avancement et de licenciement
pour insuffisance professionnelle. Sous certaines conditions en effet, les fonctionnaires
de l’État disposent d’une voie de recours administratif devant lui contre la décision prise à
leur encontre par leur supérieur hiérarchique après consultation du conseil de discipline.
L’exercice de ce recours ne fait pas obstacle à l’exécution de la décision ; il suspend
néanmoins le délai de recours contentieux.
Le Conseil entend enfin un rapport annuel sur l’état de la fonction publique de l’État qui
porte notamment sur les conditions générales d’emploi et de rémunération des femmes et des
hommes. Il en débat. Le rapport, accompagné de l’avis formulé par le Conseil, est transmis
par le Premier ministre aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.
L’avis rendu par le Conseil est adopté à la majorité. En raison du fréquent clivage entre
représentants de l’administration et syndicats, le Conseil est souvent dans l’impossibilité de
statuer. Dans cette hypothèse, la procédure suit son cours même si l’avis est obligatoire. Il
suffit que les membres du Conseil aient été en mesure de délibérer sur le projet de texte qui
leur est soumis pour que la formalité soit considérée comme remplie (CE, Ass., 21 avr.
1972, Synd. chrétien du corps des officiers de police).

2. Le conseil supérieur de la fonction publique territoriale

95
Le conseil supérieur de la fonction publique territoriale est un organisme paritaire national. Il
s’agit du pendant du précédent pour la territoriale. Il est composé de 40 membres : 20 re-
présentants élus des collectivités territoriales et 20 représentants du personnel désignés par les
syndicats de fonctionnaires territoriaux. Ils élisent leur président. Ce Conseil dispose
d’attributions consultatives (avis sur les projets de loi et de statut particulier) et d’un
pouvoir de proposition (initiative en matière statutaire). Depuis 1987, il est privé de toute
compétence en matière de recours (disciplinaire, licenciement).

Conseil supérieur de la FPH. Cet organisme paritaire national présente quelques particularités (titre IV, art. Il
et s. et D. n° 88-981 du 13 oct. 1988). Il comprend de façon originale 38 membres dont 19 représentants
des organisations syndicales des fonctionnaires hospitaliers. Les 19 autres membres représentent les employeurs
: il y a six représentants des ministères concernés (directeurs d’administration centrale), huit représentants des
assemblées délibérantes des collectivités territoriales impliquées et quatre représentants des directeurs
d’hôpitaux. Il est présidé par un conseiller d’État. Ce Conseil supérieur détient une compétence consultative
(projet de loi et décret relatif aux statuts particuliers) et un pouvoir de proposition. Il est l’organe supérieur de
recours pour les sanctions disciplinaires les plus sévères et pour les licenciements. Cette compétence est
exercée par une commission des recours dirigée par son président et composée de façon paritaire.

B. Les commissions administratives paritaires

Les commissions administratives paritaires existent dans les trois fonctions publiques. Elles
jouent un rôle fondamental dans la vie professionnelle des fonctionnaires. Elles se
prononcent en effet, à titre consultatif, sur les décisions individuelles relatives à leur carrière.
L’existence de ces instances garantit la transparence de la gestion des agents et prévient
l’arbitraire.
 Dans la FPE, il y a en principe une commission administrative paritaire nationale par
corps de fonctionnaires. Un même corps peut toutefois justifier l’existence de plusieurs
commissions, l’une nationale, les autres locales, lorsqu’il y a déconcentration de certains
actes de gestion en raison des effectifs. Afin d’assurer l’égalité de traitement entre
fonctionnaires d’un même corps, le Conseil d’État s’oppose toutefois à la création de CAP
locale lorsque le nombre d’agents à gérer est inférieur à cinquante. En deçà de ce seuil, il
n’est en effet plus possible de prendre en compte de façon équitable les mérites respectifs des
agents. Dans la territoriale, il y a une commission par catégorie de cadres d’emploi (A, B
et C) dans chaque centre de gestion ou dans chaque collectivité territoriale si celle-ci n’est
affiliée à aucun centre. Dans la FPH enfin, il existe une commission nationale pour les
personnels de direction et des commissions départementales par catégorie professionnelle.

 Chaque commission comprend en nombre égal des représentants de l’administration et


des représentants du personnel. Les premiers sont désignés par l’autorité administrative (FPE :

96
arrêté ministériel ; FPT : décision de l’exécutif territorial ; FPH : arrêté préfectoral). Les
représentants du personnel sont élus à la proportionnelle par les agents. Les syndicats
représentatifs sont les seuls à pouvoir présenter des candidatures. Le principe de
l’élection des représentants du personnel aux CAP constitue une garantie fondamentale au
sens de l’article 34 de la Constitution. Les membres des CAP sont désignés pour une durée
variable (FPE : trois ans : FPT : six ans ; FPH : quatre ans).

 Les commissions administrations paritaire disposent d’attributions consultatives. Leur champ


de compétence est large. Les CAP sont saisies pour avis de la plupart des décisions
individuelles affectant la carrière d’un fonctionnaire : titularisation, promotion,
détachement, notation... L’avis rendu par la CAP ne lie pas l’autorité gestionnaire. Il
constitue néanmoins toujours une formalité substantielle : l’absence de saisine de la
commission peut être invoquée à l’appui de la contestation de la décision finale. Les CAP
jouent enfin, dans une composition particulière, le rôle de conseil de discipline et rendent
un avis avant que l’autorité administrative ne statue.

C. Les autres organes consultatifs

1. Les comités techniques paritaires

Contrairement aux CAP, les attributions consultatives des comités techniques paritaires portent
sur des questions générales : l’organisation et de fonctionnement des services, la
modernisation des méthodes et techniques de travail, les règles statutaires. Au niveau
national, il existe un CTP par département ministériel. Des CTP régionaux ou départe-
mentaux sont créés auprès des chefs de services déconcentrés dès que les effectifs sont égaux
ou supérieurs à 50 agents. Dans la territoriale, un CTP est créé dans chaque collectivité ou
établissement public employant au moins 50 agents. Un CTP est aussi créé auprès de chaque
centre de gestion.

2. Les comités d’hygiène et de sécurité

Les comités d’hygiène et de sécurité constituent une innovation du statut général de 1983.
Leur création dans les trois fonctions publiques s’inspire directement du droit du travail.
Les règles applicables aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de
la fonction publique hospitalière figurent d’ailleurs dans le Code du travail. Ces comités
assistent les CTP pour les questions relatives à la protection de la santé des agents et à leur sécu-
rité dans le travail. Ils veillent à l’observation de la réglementation dans ces domaines. Ils

97
sont consultés sur les projets de textes. Leur composition n’est paritaire que dans la
territoriale. Les représentants du personnel sont majoritaires dans les autres.

III. Les défauts actuels de la gestion de la fonction publique

A. Une gestion bureaucratique

La multiplicité des statuts particuliers, la complexité de la réglementation et la lourdeur des


procédures sont autant d’éléments qui favorisent le respect scrupuleux de la règle au
détriment de l’évaluation du profil d’un candidat ou de la performance du service. Le
caractère bureaucratique de cette gestion s’explique par son caractère impersonnel et la
place réduite qu’elle accorde à la négociation.

1. Une gestion impersonnelle

 La fonction publique ne conduit pas à gérer des agents mais à appliquer des textes. À
la place d’objectifs à atteindre, l’autorité compétente doit respecter des normes qui codifient
à l’avance son comportement. Le gestionnaire s’interroge peu sur l’adéquation entre un
emploi et un agent. Il consulte surtout le statut particulier du corps de l’intéressé pour
connaître les emplois auxquels celui-ci peut accéder. En raison du grand nombre d’agents et
de corps, les procédures de mutations, d’avancement ou de recrutement sont des tâches
lourdes. Elles absorbent chaque année beaucoup de temps et d’énergie au détriment d’une
approche plus qualitative. L’employeur public pâtit de cette situation autant que le
fonctionnaire. L’administration ne parvient fréquemment pas à affecter ses agents dans les
emplois les plus appropriés. Ainsi l’Éducation nationale envoie dans les ZEP ses
enseignants fraîchement émoulus des IUFM.

 Le rapport public du Conseil d’État pour 2003 propose comme perspective pour la
fonction publique d’État l’introduction d’une gestion « fonctionnelle » prenant mieux en
compte à la fois les missions à remplir, les emplois à pourvoir et les compétences
requises.

2. La place réduite de la négociation


 L’agent public est dans une situation légale et réglementaire. Sa condition ne saurait
donc résulter d’accords collectifs négociés entre l’employeur public et les syndicats. La
fonction publique n’ignore pourtant pas la négociation collective. Celle-ci apparaît en

98
1968 dans le domaine des rémunérations. Elle se diversifie en 1990 avec les « accords
Durafour » qui portent sur une refonte de la grille indiciaire. On y a également eu recours
afin de mettre en œuvre les 35 heures dans les fonctions publiques. L’employeur public n’est
nullement tenu d’engager, à intervalles réguliers, des concertations. La tenue de
négociations relève donc du bon vouloir de l’administration.

 Apparue en juin 1968, la négociation sur les rémunérations des fonctionnaires est la
seule à être reconnue par le statut général : « les organisations syndicales de
fonctionnaires ont qualité pour conduire au niveau national avec le gouvernement des
négociations préalables à la détermination de l’évolution des rémunérations et pour
débattre avec les autorités chargées de la gestion, aux différents niveaux, des questions
relatives aux conditions et à l’organisation du travail ». Il ne s’agit pas de négociation
mais de simples concertations préalables à la décision par le gouvernement de la hausse ou
non des traitements. Leur résultat n’est donc pas contraignant. Ces discussions concernent, en
outre, l’ensemble des trois fonctions publiques sans que les employeurs territoriaux ou
hospitaliers ne soient parties prenantes. Le ministre de la Fonction publique négocie sous
le contrôle étroit de son collègue des finances et du cabinet du Premier ministre. Une
évolution de 1 % du point coûte près d’un milliard d’euros au budget de l’État alors
que son incidence sur le traitement de bon nombre de fonctionnaires est négligeable.

B. Une gestion égalitariste

L’égal accès aux emplois publics, consacré par l’article 6 de la Déclaration de 1789,
implique à la fois l’égalité de traitement entre fonctionnaires et la distinction de leurs
mérites et de leurs talents. La mise en œuvre de la première conduit toutefois en pratique à
occulter la seconde. Dans la gestion de leur carrière, les fonctionnaires sont en effet
souvent traités de façon identique sans que leur manière de servir soit prise en compte.
L’égalitarisme gangrène l’ensemble des procédures de gestion.

1. Le principe d’égalité : un principe structurant


Le principe d’égalité de traitement entre les fonctionnaires d’un même corps n’est pas prévu
par le statut général. Il irrigue pourtant le système de fonction publique. Ce principe a d’abord
été dégagé par l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat sous la forme d’un principe
général du droit à l’occasion de l’arrêt Syndicat général CGT de l’administration centrale du
ministère des Finances du 6 mars 1959 (Rec. p. 163). Le principe d’égalité de traitement a

99
ensuite reçu l’onction constitutionnelle de la part du Conseil constitutionnel dans sa décision
du 15 juillet 1976, Loi modifiant l’ordonnance n° 59-244 relative au statut général des
fonctionnaires (Rec. p. 35). Le Conseil constitutionnel a alors déduit le principe d’égalité de
l’article 6 de la DDHC. Le principe d’égalité n’ayant vocation à s’appliquer qu’aux
personnes placées dans une situation identique, l’égalité ne vaut qu’entre les
fonctionnaires d’un même corps.
Au-delà des aspects purement juridiques, l’égalité constitue une revendication constante des
fonctionnaires. L’égalité de traitement apparaît comme « le maître mot qui caractérise [le]
fonctionnement [de la fonction publique mais aussi] la mentalité collective des agents et de
leurs représentants » (Marcel Pochard).

a. La conception classique du principe d’égalité de traitement

 En vertu de ce principe, les fonctionnaires qui appartiennent au même corps et qui ont été
titularisés dans le même grade, doivent être dans une situation juridique identique. Cette règle tend
à éviter que les agents ne soient exposés à l’arbitraire de l’administration. Ce postulat ne saurait
être remis en cause. Cependant, le principe d’égalité devient critiquable lorsque l’égalité conduit à
l’égalitarisme.
Chercher ces exemples : CE, Ass., 27 oct. 1989, Cottrel, Rec. p. 215 ; L’égalité s’applique
aux agents non titulaires se trouvant dans la même situation juridique (v. CE, 25 juin 1982,
Raveau e. a., Rec. p. 247).

 Il ne peut être dérogé que très difficilement au principe d’égalité de traitement entre les membres
d’un même corps. Il n’y a traditionnellement guère que deux, voire trois, hypothèses qui autorisent
à introduire des éléments de différenciation parmi les membres d’un même corps.
- Il s’agit, en premier lieu, de l’existence de « circonstances exceptionnelles »
légitimant l’édiction de règles discriminatoires dans l’intérêt du service.
- Il est, en second lieu, possible d’introduire une discrimination entre agents d’un
même corps lorsque les membres d’un corps exercent leurs fonctions dans des
conditions différentes. Ainsi l’agent qui assure correctement ses fonctions n’est
pas dans la même situation que celui qui les néglige (v. CE, 10 octobre 1990,
Min. des Postes / Mme Rivaleau, 96448 : réduction de moitié de la prime de
l’intéressé).
- Enfin, lors de la constitution d’un corps ou d’un cadre d’emploi par voie
d’intégration d’agents appartenant à des corps, cadres d’emploi ou emplois

100
différents (v. CE, 21 novembre 1984, Beyssac, Rec. t. p. 650).

b. L’esquisse d’un renouvellement du principe d’égalité de traitement

Dans l’arrêt Syndicat départemental CFDT de la DDE du Gard (CE, Section, 11 juillet 2001,
Rec. p. 339), la Section du contentieux du Conseil d’Etat a paru dégager une nouvelle
conception du principe d’égalité. Le syndicat requérant contestait la légalité de la modulation
d’une prime fondée sur une base territoriale. Cette prime était accrue dans les départements
géographiquement les moins attractifs (multipliée par un coefficient pouvant aller jusqu’à
1,2) et réduite dans les départements les plus attractifs (multipliée par un coefficient au
minimum de 0,85). S’il avait appliqué sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’État aurait dû
censurer cette modulation. Il n’y avait en effet ni circonstances exceptionnelles ni
conditions différentes d’exercice des fonctions. La Section du contentieux a toutefois admis
cette modulation : « Eu égard à l’intérêt général qui s’attache à ce que les agents publics
soient répartis sur le territoire en fonction des besoins de la population et des nécessités du
service, le gouvernement a pu, sans méconnaître le principe d’égalité entre agents d’un même
corps, prévoir que le montant de « l’indemnité spécifique de service » - qui est distincte du
traitement - varierait selon les départements et chercher ainsi à remédier par cette incitation
financière aux déséquilibres constatés dans les demandes d’affectation et les vacances
d’emplois ». Cet arrêt semble ainsi marquer un assouplissement de la jurisprudence antérieure et
ouvrir la voie à la mise en œuvre de politiques de discrimination positive.

L’arrêt Chaumet (CE, Ass., 28 juin 2002) rendu peu de temps après par l’Assemblée du
Conseil d’Etat renoue cependant avec la jurisprudence antérieure 46. La relative concomitance
de deux arrêts contradictoires émanant des deux formations les plus solennelles du Conseil
d’Etat rend incertain l’état du droit. Une interprétation possible est de considérer que l’arrêt
Syndical départemental CFDT de la DDE du Gard ne constitue qu’une nouvelle exception au
champ d’application strictement limité au principe d’égalité de traitement. Seules seraient

46
Le juge y use en effet d’un considérant très restrictif, affirmant que « sous réserve des cas où des
circonstances exceptionnelles peuvent justifier que de telles règles soient édictées dans l’intérêt du service, le
principe d’égalité entre les fonctionnaires appartenant à un même corps fait obstacle à ce que le statut particulier de
ce corps fixe des règles établissant une différence de traitement entre ces fonctionnaires ». Et, sur cette base,
l’Assemblée du contentieux annule partiellement un décret modifiant le statut particulier du corps des ingénieurs
des télécommunications, plus précisément un article qui modulait les possibilités de détachement des agents selon la
date de leur titularisation dans le corps. S’il n’y avait certainement pas circonstances exceptionnelles, on aurait pu
estimer qu’un substantiel motif d’intérêt général justifiait cette mesure (la volonté, dans le contexte très particulier
que constitue la transformation entamée par France Télécom en 1990 et poursuivie en 1996, de favoriser le
détachement d’ingénieurs auprès de personnes morales de droit public).

101
tolérées les discriminations fondées sur un critère territorial.

2. De l’égalité à l’égalitarisme
L’égalité conduit à l’égalitarisme. Ce mouvement constitue une perversion du principe
d’égalité. L’égalité a, en effet, tendance à entraîner le nivellement des situations et à interdire
de prendre en compte les différences de situation et les mérites des agents. L’égalitarisme est
en terme de gestion des ressources humaines très préjudiciable car il exclut toute valorisation
des efforts fournis par les agents et toute prise en compte de la diversité des affectations. Dans
le cadre de son rapport annuel 2003 consacré aux Perspectives pour la fonction publique, le
Conseil d’Etat a d’ailleurs stigmatisé « la tendance lourde [qui consiste à] traiter tous les
agents de la même façon, quelle que soit leur manière de servir, pour ce qui est de la
notation, des rémunérations ou du déroulement de carrière. Cet égalitarisme prend de
multiples formes : notations non discriminantes, avancement à l’ancienneté, forfaitisation des
primes, refus de mesures impliquant une différenciation selon les emplois occupés, absence
de sanctions... ».
Les syndicats n’ont, au sein des CAP, que l’égalitarisme comme principale ligne de
conduite. Les gestionnaires, par conformisme ou manque de courage, garantissent par leur
adhésion tacite à ce mot d’ordre la sérénité de leur service. Les agents acceptent pour la
plupart d’échanger la lenteur de leur avancement contre la certitude d’en bénéficier.

3. La nécessité de mieux récompenser le mérite dans la fonction publique47

Contrairement à ce que certaines présentations suggèrent, la prise en compte du mérite dans


la fonction publique constitue une obligation relativement ancienne pour
l’administration. Depuis 1946, dans tous les corps, l’avancement repose à la fois sur
l’ancienneté et sur le choix, donc sur le mérite. Dans cette optique, on a d’ailleurs institué en
1950 des primes de rendement dans le but de récompenser financièrement les meilleurs
fonctionnaires. On pourrait d’ailleurs remonter plus loin. Le mérite n'est-il pas une valeur
inhérente à l'administration publique depuis la Révolution française ? L’article 6 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n’affirme-t-elle pas que les citoyens peuvent
accéder aux emplois publics selon « leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs
vertus et de leurs talents » ?
La pratique de l’égalitarisme a cependant fini par estomper ces différenciations. Il a donc
fallu attendre 2002 pour que la réforme de la procédure d’évaluation et de notation des
47
S. Salon et J.-Ch. Savignac, La réforme de la notation des fonctionnaires de l'Etat, AJDA 2004, p. 958.

102
fonctionnaires permette de renouer avec la valorisation de leur travail. Elle favorise la
distinction des agents par l’octroi de bonifications d’ancienneté significatives et de hausses
de rémunérations en fonction de leurs résultats.

La présentation qui insiste sur l’absolue nouveauté que constitue l’accroissement de la


prise en compte des mérites de l’agent dans le calcul de sa rémunération est donc
théoriquement erronée. On doit néanmoins admettre que, sur ce terrain tout
particulièrement, le fait s’est considérablement écarté du droit. La réintroduction
contemporaine de la rémunération au mérite fait donc bien figure d’une véritable
révolution.

a. Les faiblesses de l’ancien système


Selon le décret du 14 février 1959, la notation annuelle des fonctionnaires se composait d'une
note chiffrée, établie selon une cotation de 0 à 20 et, en cohérence avec celle-ci, d'une
appréciation d'ordre général exprimant leur valeur professionnelle.
C'est après le retour de la fiche que le chef de service y inscrivait l'appréciation générale, dont
le fonctionnaire n'avait donc pas normalement connaissance. Cette disposition était devenue
contraire à la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont
l'article 17 prévoit que « les notes et appréciations générales attribuées aux fonctionnaires et
exprimant leur valeur professionnelle leur sont communiquées » mais elle n'avait pas, pour
autant, été modifiée.
Au vu de la note chiffrée définitive, il était attribué chaque année aux fonctionnaires, dans
chaque corps, des réductions ou des majorations du temps nécessaire pour accéder à l'échelon
supérieur. Par ailleurs, les notes exprimant la valeur professionnelle des candidats devaient
jouer un rôle essentiel pour l'établissement du tableau d'avancement de grade.
C système ne rendait pas réellement compte de la valeur professionnelle des fonctionnaires.
Les bonifications pour l'avancement d'échelon bénéficiaient naturellement aux plus anciens et
les avancements de grade, lorsqu'ils devaient intervenir au choix, étaient en fait prononcés
compte tenu de l'ancienneté. Il existait en fait une sorte de consensus pour priver la notation
de toute efficacité.
Le plus grand reproche fait au système de notation portait sur l'absence de dialogue entre le
fonctionnaire et l'autorité chargée de l'apprécier, dialogue dont on pensait à juste titre qu'il
pouvait donner à la notation transparence, sincérité, objectivité et dynamisme.
La notation apparaissait donc comme une procédure inutile et totalement inadaptée à

103
une gestion moderne des ressources humaines.

b. Un système rénové
Le décret du 29 avril 2002 relatif aux conditions générales d'évaluation, de notation et
d'avancement des fonctionnaires de l'Etat entend promouvoir le mérite du fonctionnaire. La
notation est désormais précédée d'une évaluation comportant un entretien conduit par le
supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Cet entretien porte principalement :
- sur les résultats professionnels obtenus par le fonctionnaire au regard des objectifs qui
lui sont assignés ;
- sur ses besoins de formation, compte tenu des missions qui lui sont confiées, mais
aussi dans la perspective d'une évolution de carrière ou d'une mobilité.
L'entretien donne lieu à un compte-rendu qui est versé au dossier du fonctionnaire après avoir
été signé par lui.
La notation, qui donne lieu à l'établissement d'une fiche, comporte toujours une appréciation
générale et une note chiffrée. La notation sera effectuée tous les ans ou tous les deux ans. Le
pouvoir de notation appartient au chef de service.
La fiche individuelle de notation est communiquée au fonctionnaire, qui peut y mentionner
des observations et des vœux quant à son évolution professionnelle et la renvoie à son chef de
service après l'avoir signée.
Enfin, comme précédemment, le fonctionnaire peut demander la révision de sa notation par
l'intermédiaire de la commission administrative paritaire.
La note chiffrée est prise en compte pour les avancements d'échelon. Cette note permet aux
fonctionnaires les mieux notés de bénéficier de réductions du temps prévu pour accéder à
l'échelon supérieur. Ces bonifications sont plus importantes que par le passé. En revanche, les
fonctionnaires dont la valeur professionnelle est jugée insuffisante se voient infliger des
majorations de temps.
Les critères sur la base desquels est arrêtée l'appréciation générale sont :
- les connaissances professionnelles,
- l'efficacité,
- le sens de l'organisation et de la méthode,
- les qualités particulières,
- les aptitudes spéciales.

Ce système ne constitue toutefois pas une panacée. Le pouvoir d’appréciation du notateur

104
est en effet bridé. La note chiffrée est ainsi théoriquement comprise entre 0 et 20. La première
note attribuée après titularisation ou nomination au choix doit cependant forfaitairement être
fixée à 13,5 ou 14 selon le corps auquel accède le fonctionnaire. Elle est de 14,25 ou de 15
pour les fonctionnaires de certains corps qui accèdent au grade supérieur. L'évolution de la
note chiffrée provisoire ne peut en outre être supérieure à 1/4 de point tous les deux ans. Il
n'est néanmoins pas interdit de proposer un dépassement de cette limite. Dans ce cas, il est
cependant exigé du chef de service qu’il motive expressément la proposition. Autant dire que
cela n’arrive pratiquement jamais.
Enfin, la plage de notation dont dispose le notateur juridique ne peut excéder deux points par
période de deux années. C'est l'évolution de la note chiffrée et non la note chiffrée elle-
même qui sert de référence pour la distribution des réductions ou majorations du temps
nécessaire pour accéder à l'échelon supérieur.

En dépit de ses imperfections, le champ d’application de la rémunération au mérite s’étend


dans la fonction publique. Désormais, pour les cadres supérieurs de l’Etat (recteurs, chefs de
services, préfets), 15 à 20 % de la rémunération sont conditionnés par les résultats.

Conclusion sur la rémunération au mérite : Nulle personne ayant exercé des


responsabilités de gestion d'un service ou d'un organisme public ne peut nier l'utilité de la
prise en compte du mérite comme élément de la rémunération. Parallèlement, nul connaisseur
du fonctionnement de l'administration ne peut ignorer la tendance générale à l'uniformisation
des rémunérations et à la perte de sens des différentes primes ou indemnités existantes (v. par
exemple, les avatars de la prime au mérite pour la police). La réutilisation du mérite pour
déterminer une part de la rémunération peut ainsi se révéler un simple gadget ou au contraire
un véritable instrument de gestion. Pour atteindre ce second objectif, elle doit remplir
plusieurs conditions. Il s'agit d'éviter le subjectivisme du « petit chef » et d'utiliser des critères
objectifs et transparents. Les encadrements intermédiaire et supérieur doivent être en premier
lieu formés aux techniques de définition des objectifs professionnels, de l'évaluation et des
entretiens. Les indicateurs de résultats collectifs et individuels doivent être déterminés à
l'avance, arrêtés de manière concertée et connus de tous les intéressés48.

48
Jacques Bourdon, La rémunération au mérite ou faire du neuf avec du vieux, AJFP 2004, p. 113.

105
Leçon n° 6 : La carrière du fonctionnaire

Nous retiendrons une approche chronologique pour présenter la carrière du fonctionnaire.


Nous verrons donc successivement : le recrutement, le déroulement et la fin de la carrière.

I. Le recrutement

106
L’examen du recrutement suppose d’étudier trois éléments :
- tout d’abord, quelles sont les conditions d’accès à la fonction publique ?
- ensuite, quelles sont les voies d’accès à la fonction publique ?
- enfin, comment est attribuée la qualité de fonctionnaire ?

A. L’admissibilité aux emplois publics

L’admissibilité aux emplois publics est régie par l’article 6 de la DDHC. Au terme de cette
disposition, « tous les citoyens […] sont également admissibles à toutes dignités,
places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de
leurs vertus et de leurs talents ». L’égale admissibilité aux emplois publics qui est ainsi
posée suppose donc que les candidats à la fonction publique soient tous soumis aux mêmes
conditions d’accès (1). Pour être véritablement effective, l’égalité d’accès à la fonction
publique exige également que l’administration apprécie ces conditions de manière non
discriminatoire (2).

1. Les conditions requises des candidats

a. La condition de nationalité

Cette exigence est ancienne. Elle a été exprimée au XVIIe siècle par Jean Domat dans une
formule restée célèbre : « On exclut les étrangers des charges publiques parce qu'ils ne sont
pas du corps de la société qui compose l'État d'une nation et parce que ces charges
demandent une fidélité et une affection au Prince et aux lois de l'État qu'on ne présume pas
dans un étranger ». L'aptitude à être fonctionnaire constitue un droit civique dont l'étranger n'a
pas la jouissance. Il n’est d’ailleurs pas illogique de confier à ses nationaux le soin
d'administrer un pays ou d'y représenter la puissance publique
Cette attitude n’est évidemment pas propre à la France. L’article 98 § 1 de la Constitution
italienne indique ainsi que les fonctionnaires sont au service exclusif de la Nation.

Bien que dans l’inconscient collectif, la fonction publique doive être assurée par des nationaux,
des exceptions ont toujours existé.
 S’agissant, tout d’abord, des agents non titulaires, le principe est renversé. Le Conseil d’Etat
a ainsi estimé dans un avis émis par l’Assemblée générale le 17 mai 1973 qu’ « aucune
disposition législative actuellement en vigueur ni aucun principe du droit public n'interdisent de
façon générale de recruter un étranger comme agent de l'État en qualité de contractuel ou
d'auxiliaire ». On exige évidemment de ces étrangers candidats à l’exercice des fonctions

107
d’agents publics non titulaires qu’ils respectent les conditions de moralité, qu’ils soient en
règle au regard de la législation sur l’immigration. En bref, ces étrangers doivent remplir
les critères requis des français à l’exception de la condition de nationalité.
 Il est ensuite possible de nommer des étrangers fonctionnaires dans deux hypothèses :
- l’accès à certains corps de fonctionnaires n’est en effet pas subordonné à la
possession de la nationalité française. Cette exception bénéficie essentiellement, pour
ne pas dire exclusivement, aux enseignants et chercheurs étrangers.
- la seconde exception bénéficie seulement aux ressortissants des Etats membres de
l’Union européenne. Elle a, en revanche, un champ d’application beaucoup plus
vaste. Cette dérogation à l’exigence de la nationalité française est fondée sur le
principe de libre circulation des travailleurs affirmé par l’article 39 CE. La loi du 26
juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la
fonction publique a renversé le principe énoncé par l’article 5 bis de la loi de 1991.
Désormais les corps sont en principe ouverts. Les citoyens européens (non
nationaux) peuvent, par principe, accéder à tous les corps, cadres d’emplois et
emplois. Cette liberté d’accès est toutefois écartée à l’égard des emplois inséparables
de l’exercice de la souveraineté ou qui comportent une participation à l’exercice de
prérogatives de puissance publique par une collectivité publique.

Compte tenu de la nécessité de conformer le droit français aux exigences du droit


communautaire, Bernard Stirn a proposé de supprimer l’exigence de la nationalité
française. Cet auteur, qui n’est autre que l’actuel président de la Section du
contentieux du Conseil d’Etat, soulignait que « l’opportunité de maintenir (...) la réserve des
emplois de souveraineté » est discutable dès lors que le statut général prévoit « des sanctions
disciplinaires à l’encontre de ceux qui viendraient manquer à leur obligation de loyauté ».

b. Les autres conditions


Les autres conditions d’accès à la fonction publique sont également mentionnées à l’article 5
de la loi du 13 juillet 1983. Elles sont au nombre de 4 :
 Nul ne peut avoir la qualité d’agent public s’il ne jouit de ses droits civiques. Le candidat à
l’accès à la fonction publique doit jouir de l’intégralité de ses droits civiques, c’est-à-dire du
droit de vote et d’éligibilité, du droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert
devant une juridiction, de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples
déclarations.

108
Une déchéance, même partielle, des droits civiques interdit à un individu de se porter candidat
à un concours d’accès à la fonction publique. Pour les fonctionnaires en poste, la déchéance des
droits civiques implique la perte de la qualité de fonctionnaire.
G. PEISER, La radiation des cadres pour perte des droits civiques face au nouveau code
pénal, AJDA 2007, p. 545.

M. N., régisseur des recettes au musée de Renoir à Cagnes-sur-Mer a organisé pendant cinq
ans une fausse billetterie, lui permettant de détourner 400 000 francs. Il a été condamné en
1998 par le tribunal correctionnel de Grasse, pour détournement de fonds publics commis par
une personne chargée d'une mission de service public, à deux ans d'emprisonnement dont six
mois ferme. Son épouse, agent d'entretien de la commune, a été condamnée à un an
d'emprisonnement avec sursis et trois ans de mise à l'épreuve pour recel, faits réprimés par les
articles 321-1, 321-3 et 321-10 du code pénal.
A la suite de ces condamnations Mme N. a été radiée des cadres, par arrêté du 19 avril 1999
en application de l'article 7 du code électoral et de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et
obligations des fonctionnaires. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal
administratif de Nice du 11 février 2002, lui-même infirmé par un arrêt de la cour
administrative d'appel de Marseille du l0 juin 2003.
En cassation, Mme N. soulève un seul moyen, qui a justifié le renvoi en Assemblée du
contentieux : la privation du droit de vote et d'éligibilité résultant de l'article 7 du code
électoral ne constitue pas une privation des droits civiques au sens de l'article 5 de la loi du 13
juillet 1983 du statut de la fonction publique et n'entraîne donc pas la perte de plein droit de la
qualité de fonctionnaire.

De 1810 jusqu'à une date récente, le Conseil d'Etat avait toujours jugé que ceux qui ne
jouissent pas de l'intégralité des droits civiques se voient interdire l'accès à un emploi public
ou le maintien dans un tel emploi ; il s'agit d'un principe général applicable à tous les emplois
publics.
Mais le nouveau code pénal a complètement modifié le système. Du fait de leur automaticité,
les peines accessoires ont toujours été fortement critiquées. L'article 132-17 alinéa 1er du
nouveau code pénal prévoit de façon nette qu'« aucune peine ne peut être appliquée si la
juridiction ne l'a expressément prononcée ». L'article l32-21 prévoit que « l'interdiction de
tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l'article 131-26 ne peut
nonobstant toute disposition contraire résulter de plein droit d'une condamnation pénale ».
Selon l'article 131-10, le juge peut assortir la condamnation pénale de peines accessoires, en
particulier de celles de l'article 131-26. Quant à l'article 131-26, il prévoit que l'interdiction
des droits civiques, civils et de famille porte sur le droit de vote, l'éligibilité, l'exercice de
fonctions juridictionnelles, le témoignage en justice, l'interdiction d'être curateur ou tuteur. La
juridiction peut prononcer l'interdiction de toutes ou de parties de celle-ci. Mais surtout
l'interdiction du droit de vote ou d'inéligibilité prononcée en application de cet article emporte
l'interdiction ou l'incapacité d'exercer une fonction publique.

La notion de peine accessoire automatique est ainsi apparemment totalement rejetée.

Or le problème se pose justement avec l'article 7 du code électoral, issu de la loi du 19 janvier
1995 relative au financement de la vie politique et donc postérieur à la modification du code
pénal. L'article L. 7 du code électoral constitue un bel exemple de création de peine
accessoire par delà de la rupture constituée par le nouveau code pénal. Aux termes de l'article
L. 7 : « Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale pendant un délai de cinq ans à

109
compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes
condamnées pour l'une des infractions prévues par les articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2
du code pénal ou pour le délit de recel de l'une des ces infractions, défini par les articles 321-1
et 321-2 du code pénal ». Cette énumération recouvre aussi bien des atteintes à
l'administration commises par des personnes exerçant des fonctions publiques (concussion,
corruption passive et trafic d'influence, prise illégale d'intérêt, violation des règles de
passation des marchés et délégations de service public et soustraction ou détournement de
biens ; les agents publics sont bien inclus dans cette définition). Il y a aussi les atteintes à
l'administration commises par les particuliers (corruption active, trafic d'influence, menaces et
actes d'intimidation contre les personnes exerçant une fonction publique et détournement de
biens contenus dans un dépôt public...).

Le Conseil d'Etat a admis à plusieurs reprises l'applicabilité de l'article L. 7 du code électoral.


Le Conseil d'Etat estime que la peine complémentaire ainsi instaurée n'est pas incompatible
avec l'interdiction résultant de l'article 4 du protocole additionnel à la CEDH de poursuivre ou
de punir pénalement une personne à raison d'une infraction pour laquelle elle a déjà été
condamnée ou acquittée par un jugement définitif (CE Sect. 1er juillet 2005, Gravier, AJDA
2005, p. 1824, chron. C. Landais et F. Lenica ).

Si on tient compte de toute cette jurisprudence, c'est donc apparemment à juste titre que la
cour administrative d'appel a tenu le raisonnement suivant : la condamnation de Mme N. pour
recel, entraîne, sur le fondement du code électoral, sa radiation des listes électorales, qui
entraîne la perte du droit de vote et d'éligibilité, qui entraîne, sur le fondement du statut
général de la fonction publique, la perte de la qualité de fonctionnaire.
Mais on peut avoir une autre vision des choses si on s'en tient non pas à la lettre des textes,
mais à leur esprit. L'article L. 7 du code électoral a été voté dans le cadre des mesures qui ont
pour objet de mettre fin aux illégalités souvent très graves, qui ont émaillé en France le
système de financement des partis politiques. Lors de la discussion de l'article L. 7, le débat
était entièrement concentré, même si cela ne ressort pas du texte lui-même, sur la corruption
en matière politique et le statut électoral.
Aussi le Conseil d'Etat choisit-il une solution audacieuse : se faisant respectueux du code
pénal, il souligne « qu'il ressort des dispositions du nouveau code pénal, éclairées par leurs
travaux préparatoires, que l'intention du législateur a été de réduire le nombre de peines
accessoires dont l'intervention découle obligatoirement de l'application de la peine principale
». Surtout, il va donner une interprétation très restrictive à l'article L. 7 en considérant « que si
par les dispositions de l'article L. 7 du code électoral le législateur a dérogé au principe posé
par l'article 131-21 du code pénal selon lequel l'interdiction des droits civiques ne peut
résulter de plein droit d'une condamnation pénale, il a entendu limiter les effets de cette
dérogation à l'application de la loi électorale ». Par conséquent « la déchéance des droits
civiques de nature à entraîner la radiation des cadres de la fonction publique par application
de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983 ne peut quant à elle résulter que d'une condamnation
prononcée sur le fondement de l'article 131-26 du code pénal ». Ainsi le maire de Cagnes
n'était pas tenu à la radiation des cadres de Mme N. alors que le juge pénal n'avait prononcé

110
aucune peine complémentaire.

Une privation des droits civiques au sens du code pénal et du code électoral « n'est pas
nécessairement une privation des droits civiques au sens du statut de la fonction
publique » (concl. Glaser dans l'affaire N.).

Deux remarques.
Rien n'empêchera l'administration d'exercer son pouvoir disciplinaire. Et c'est une bonne
chose de séparer ainsi le pouvoir disciplinaire de l'administration, de le rendre autonome par
rapport à la procédure pénale et même de l'exercer antérieurement à toute sanction pénale.
Cela d'autant plus que, contrairement à la sanction pénale, la sanction disciplinaire peut être
modulée entre le simple avertissement et la révocation avec suspension des droits à pension.
L'individualisation des « peines » y trouvera certainement son compte.

Encore faut-il que l'administration ait la volonté - ou le courage - de sanctionner. Ce n'est pas
sans raison que l'on a souligné à maintes reprises, le caractère trop systématique de l'absence
de sanctions dans la fonction publique.

L'arrêt du Conseil d'Etat constitue un bon moyen pour responsabiliser l'administration et lui
permettre de repenser l'exercice de son pouvoir disciplinaire.

 La loi du 13 juillet 1983 a substitué à l’exigence de bonne moralité qui était posée par les
statuts de 1946 et 1959 une condition plus objective. Le candidat doit établir que les mentions
portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire ne soient pas incompatibles avec l'exercice
des fonctions.
 Le candidat doit ensuite justifier qu’il est libéré de ses obligations militaires. Il suffit
désormais d’avoir simplement satisfait à l'obligation de recensement et d'avoir participé à
l'appel de préparation à la défense pour la satisfaire.
 Enfin, le candidat doit remplir les conditions d'aptitude physique exigées pour l'exercice de
la fonction. L’aptitude physique est appréciée au regard des possibilités de compensation du
handicap. Une taille minimale est ainsi exigée des candidats aux emplois de gardien de la pax
ou de lieutenant de police (1,68 m pour les hommes et 1,60 m pour les femmes).
L'appréciation portée par l'administration sur l’aptitude physique des candidats est
soumise à un contrôle normal de la part du juge administratif. Constitue ainsi une inaptitude
physique le fait d'être amputé de l'avant-bras pour les fonctions de chef de service de maternité. Ne
constituent, en revanche, pas une inaptitude physique : la cécité pour un professeur de médecine
(CE, Sect., 25 juillet 1952, Loubeyre) ou pour assurer les fonctions de principal adjoint ; le
fait d'être appareillé d'un avant-bras artificiel pour un inspecteur des postes et télécommunications ;
une invalidité à 80 % pour déficience visuelle pour le professorat d'histoire et géographie ; un
handicap correspondant à un taux d'incapacité de 80 % pour le professorat d'éducation physique.

111
 Enfin, un mot sur les personnes handicapées qui postulent à un concours d’accès à la fonction
publique. Leur situation est réglée par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et
des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Les employeurs
publics qui emploient au moins vingt agents à temps plein (ou en équivalent temps plein)
sont soumis aux obligations du code du travail en matière d'emploi des travailleurs
handicapés. A ce titre, ils doivent employer au moins 6 % de travailleurs handicapés.
Cette obligation peut cependant être acquittée en versant une contribution annuelle au
fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.

2. L’interdiction pour l’Administration de discriminer les candidats


Le principe constitutionnel d'égale admissibilité aux emplois publics est, d’après Gaston
Jèze, « à la base de l'organisation politique et administrative de la France moderne ». le
principe d’égalité est en effet un principe cardinal de notre société ainsi qu’en témoigne sa
consécration par trois textes à valeur constitutionnelle : l’article 1 er de la Constitution 49 ,
l’article 6 de la DDHC50 et, enfin le préambule de la Constitution de 194651.
Dans son arrêt Barel (CE, Ass., 28 mai 1974, GAJA n° 72), le Conseil d’Etat a érigé
le principe d’égalité au rang de principe général du droit. Cette qualification
entendait écarter tout rattachement textuel du principe. Le Conseil d’Etat a, depuis
lors, fait évoluer sa jurisprudence et se fonde sur une source constitutionnelle (CE,
Ass., 16 décembre 1988, Bléton, Rec. P. 451).

La jurisprudence administrative renferme de grands arrêts qui ont permis au Conseil


d’Etat de prendre position sur les discriminations fondées sur les croyances
religieuses (a), sur les opinions politiques (b), ou encore sur le sexe (c).

a. L’interdiction des discriminations fondées sur les croyances religieuses


La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 affirme que « la République assure la
liberté de conscience ». La liberté de conscience ne saurait toutefois être absolue. Il faut
parvenir à trouver juste équilibre entre cette liberté, d’une part, et les principes de neutralité et
de laïcité, d’autre part.
49
La France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou
de religion » et ajoute qu' « elle respecte toutes les croyances ».
50
« Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et
emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs
talents ».
51
« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à l'homme » (al. 3) et que
« nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses
croyances » (al. 5).

112
 Rien ne s’oppose au recrutement d’un candidat qui « professe [seulement] en son for
intérieur » ses convictions religieuses. L’appartenance à la fonction publique n’est pas
réservée aux personnes athées ou agnostiques. Dans un arrêt demeuré célèbre, Demoiselle
Weiss de 1938, le Conseil d’Etat a annulé le refus de titularisation d’une institutrice au
motif qu’elle invité, par une correspondance privée, une de ses collègues à assister pendant les
vacances à des conférences à caractère religieux52. Sont également censurées les refus de
candidature fondés sur le fait qu’une candidate a suivi ses études dans un établissement
confessionnel53 ou que ses enfants y sont scolarisés54.
 La question la plus délicate est celle de savoir si les ministres du Culte peuvent accéder à la
fonction publique. Ce n’est alors plus la conduite privée d’un candidat qui est en cause mais bel
et bien son comportement public. Une vieille loi de 1886 prévoit que « dans les établissements
du premier degré publics, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel
laïque ». Dans le silence de la loi, le juge a dû se prononcer pour l’enseignement
secondaire et supérieur. Dans le supérieur, les étudiants sont suffisamment matures de
sorte que des cours peuvent leur être dispensés par un ministre du Culte. La difficulté
se focalise donc sur l’enseignement secondaire.
Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la possibilité pour un ministre du Culte d’intégrer la
fonction publique dans son célèbre arrêt Abbé Bouteyre (CE, 10 mai 1912, GAJA n°
25). En l’espèce, l’abbé s’est vu privé du droit de passer le concours d'agrégation de
philosophie. La matière enseignée a indéniablement joué un rôle décisif. Il est évident
que cette solution n’est pas (et n’a jamais été) transposable à d’autres matières telles
que les mathématiques, voire l’histoire. Il n’est d’ailleurs pas sûr que cette solution
reflète toujours la position du Conseil d’Etat. Un jugement rendu par le Tribunal
administratif de Paris en 1970 et un avis rendu par l’Assemblée générale du Conseil
d’Etat en 1972 suggèrent en effet que cette position initiale a été abandonnée.

b. L’interdiction des discriminations fondées sur les opinions politiques


Une forme de discrimination consiste à favoriser un candidat en raison de ses
opinions politiques. L’hypothèse est tout à fait envisageable mais il ne semble que
l’on dispose de jurisprudence sur ce point.
Dans ces conditions, la discrimination la plus courante consiste à pénaliser un
candidat en raison de ses opinions politiques. L’arrêt de principe est ici l’arrêt Barel
52
CE, 28 avril 1938, Demoiselle Weiss, Rec. p. 379.
53
CE, 25 juillet 1939, Demoiselle Beis, Rec. p. 524.
54
CE, 4 janvier 1944, Dame Tétaud, Rec. p. 1.

113
(CE, Ass. 28 mai 1954, GAJA n° 73). Dans cet arrêt d’Assemblée, le Conseil d’Etat
affirme que l'administration « ne saurait, sans méconnaître le principe de l'égalité de
tous les français aux emplois et fonctions publics, écarter de [la] liste [des candidats
admis à concourir au concours de l'ENA] un candidat en se fondant exclusivement sur ses
opinions politiques ».
En l’espèce, M. Barel et quatre autres candidats avaient été empêchés de passer le
concours d’accès à l’ENA. Le gouvernement n’avait pas justifié ses décisions et refusait
de transmettre au juge les dossiers constitués au sujet de ces candidatures. Devant la volonté
d’obstruction évidente du gouvernement, le Conseil d'État a estimé, de façon rarissime, que le
motif allégué par les candidats devait être regardé comme établi. Différents indices (notamment
des fuites dans la presse), permettaient de conclure que le motif fondant ces refus était leur
appartenance vraie ou supposée au parti communiste.

c. L’interdiction des discriminations fondées sur le sexe


D’un point de vue juridique, l’égalité hommes / femmes est parfaitement garantie dans la
fonction publique depuis la loi du 6 mai 2001. Un article spécifique de la loi est ainsi
consacré à l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe (art. 6 bis). Ce motif
de discrimination a donc été disjoint des autres formes de discrimination (qui relèvent
quant à elles de l'article 6). L’existence de cette loi ne doit pas occulter que la marche
des femmes vers l’égalité de traitement par rapport aux hommes a été un long "chemin
de croix".
Il a ainsi fallu attendre l’arrêt d'Assemblée Bobard de 1936 pour que le Conseil d’Etat
reconnaisse que « les femmes ont l'aptitude légale aux emplois dépendant des
administrations centrales des ministères ». Ce progrès est presque un trompe-l’œil dans la
mesure où le juge permet néanmoins au gouvernement de restreindre l’accès et
l’avancement des femmes si des raisons de service le nécessitent. Ces exceptions ont pu
jouer dans le cas d’espèce alors même que le litige concernait des emplois
administratifs du ministère de la guerre.
Le statut élaboré par le régime de Vichy en 1941 a renversé la perspective. « Les
femmes ont [en effet uniquement] accès aux emplois publics dans la mesure où leur
présence dans l'administration est justifiée par l'intérêt du service ». Le principe dégagé
par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Bobard est ainsi condamné.
Sous la IVème République, le Conseil d’Etat disposaient de deux fondements textuels pour
établir une véritable égalité entre les hommes et les femmes. Le préambule de la

114
Constitution du 27 octobre 1946 dispose, en effet, que « la loi garantit à la femme, dans
tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ». Quant au statut du 19 octobre
1946, il prévoit qu’ « aucune distinction pour l'application du présent statut n'est faite
entre les deux sexes sous réserve des dispositions spéciales qu'il prévoit ». Or, le statut ne
contient aucune disposition spéciale relative à l'accès des femmes à la fonction
publique. Il aurait paru logique que le Conseil d’Etat consacre une égalité effective entre
les hommes et les femmes.
Le Conseil d’Etat, pour des raisons inconnues55, va cependant préférer s’inscrire dans la
logique de l’arrêt Bobard. Par un arrêt d’Assemblée Syndicat national autonome du
cadre d'administration générale des colonies (Ass. 6 janvier 1956), le Conseil d’Etat réaffirme
le principe de l'aptitude des femmes à occuper tous les emplois publics. Le
gouvernement conserve toutefois la possibilité de restreindre l’accès des femmes à
certains corps si « la nature des fonctions » ou leurs « conditions d'exercice » le justifie.
L’arrêt Syndicat national autonome du cadre d’administration générale des colonies ne
constitue toutefois pas un retour en arrière. La situation des femmes s’améliore quelque
peu dans la mesure où le contrôle porté par le juge administratif sur les justifications
avancées par le gouvernement s’accroît.

Les véritables progrès n’interviendront finalement qu’à l’initiative du législateur. La loi du 10


juillet 1975, adoptée afin de rendre possible la publication de la Convention de l'ONU sur les
droits politiques de la femme limite ainsi les possibilités de discriminations aux cas où
l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante de l'exercice des
fonctions. La loi du 7 mai 1982 a affiné ce dispositif en interdisant le recrutement exclusif
d'hommes ou de femmes et en autorisant uniquement des recrutements distincts56.
Le droit positif résulte désormais de la loi du 9 mai 2001. Cette loi précise notamment que les
possibilités de recrutement distinct doivent être exceptionnelles. Surtout, la loi de 2001 permet
la constitution de quotas de femmes dans les jurys. Cette représentation féminine est supposée
favoriser l'accession des femmes aux emplois publics.
La Cour de justice admet une telle discrimination positive si elle n'accorde pas de manière automatique et
inconditionnelle la priorité aux candidats féminins ayant une qualification égale à celle de leurs concurrents
masculins et si les candidatures font l'objet d'une appréciation objective qui tient compte des situations
particulières d'ordre personnel de tous les candidats (CJCE, 28 mars 2000, Badeck ; CJCE, 6 juillet 2000,
Abrahamsson et Anderson). Il importe que la législation nationale oblige l'administration à prendre en
55
Au mieux d’attachement à sa jurisprudence ou de cohérence de celle-ci  conservatisme.
56
Tous les corps et cadres d'emplois de la fonction publique civile doivent donc être mixtes. Cependant,
lorsque l'appartenance à un sexe constitue une condition déterminante d'exercice des fonctions assurées par les
membres du corps en cause, une différenciation est légale en particulier via l'instauration de quotas (corps des gradés
et surveillants des services extérieurs de l'administration pénitentiaire).

115
considération, lors de l'engagement, en ce qui concerne les candidats qui ne bénéficient pas de l'action
positive, des circonstances et situations particulières d'ordre personnel qui peuvent être l'indice de situations
sociales ayant la même importance que celles que doivent normalement affronter les femmes.

B. Le principe du recrutement par concours


1. Généralités

 L’importance du concours dans la tradition française. « La pratique administrative


française s'est depuis longtemps orientée vers la généralisation du procédé du concours
de recrutement. Elle y voit le double avantage d'éliminer les risques d'arbitraire dans le
choix des agents et d'assurer au maximum les garanties de qualification par les moyens
d'une sélection technique » (André de Laubadère et Yves Gaudemet). La loi du 13 juillet
1983 dispose ainsi que « les fonctionnaires sont recrutés par concours sauf dérogation
prévue par la loi ». Le principe du recrutement par concours constitue une garantie
fondamentale des fonctionnaires. Il n’a cependant pas valeur constitutionnelle. Des
exceptions peuvent donc lui être apportées par le législateur.
Des exceptions au recrutement par concours sont cependant nécessaires. Le concours
n’est en effet pas adapté pour pourvoir aux emplois fonctionnels qui supposent un
rapport de confiance et de dépendance très étroit entre l'autorité politique et l'agent.
L’organisation d’un concours ne paraît pas non plus pertinente en raison de sa lenteur, de
sa lourdeur et de son coût lorsqu’il s’agit de recruter des agents sans qualification.
Le principe du concours est aujourd’hui de plus en plus souvent écarté. Aux reproches
traditionnels tirés de son coût et de sa lourdeur, s’ajoutent de nouveaux griefs. Le
concours reposerait sur une logique trop scolaire. Il ferait barrage à l'accès des plus
modestes à la fonction publique.
On en finirait presque par oublier l’affirmation du doyen Duguit selon laquelle « malgré
les inconvénients que présente ce système de recrutement, c'est encore celui qui offre le
plus de garanties contre l'arbitraire et le favoritisme ».

 Critères du concours. Le critère essentiel d’identification d’un concours administratif


sont au nombre de quatre. Il est d’ailleurs possible de les hiérarchiser. Il existe ainsi un
critère principe et trois critères complémentaires. Le principal critère réside dans le
caractère déterminant des épreuves dans le choix des agents. Ce premier critère a pour
conséquence de limiter la liberté d'appréciation de l'autorité de nomination. Les trois
critères complémentaires sont : l’appréciation des mérites des candidats par un jury
indépendant de l'autorité hiérarchique ; le nombre limité des mises au concours ; le

116
classement des candidats par ordre de mérite. Ce dernier élément est évidemment écarté
dans les concours d’accès à la fonction publique territoriale57.
 Diversité des concours. Le concours peut être sur épreuves ou sur titres. Il peut également
être externe ou interne. On dit aussi qu’il peut être étudiants ou fonctionnaires. La loi du 3
janvier 2001 permet de valoriser l’expérience professionnelle acquise aussi bien en France
qu’à l’étranger, dans la fonction publique que dans le privé. La validation des acquis
professionnels permet ainsi à des salariés ou fonctionnaires de convertir leur ancienneté en
un diplôme. Les candidats disposant d'une expérience professionnelle conduisant à une
qualification équivalente à celle sanctionnée par le diplôme requis peuvent ainsi, lorsque la
nature des fonctions le justifie, être admis à se présenter à un concours.
Il existe enfin un « troisième concours » ouvert à des personnes justifiant d'une expérience
particulière, d'une durée d'au moins huit ans en principe, qu'elle soit professionnelle,
associative ou politique (élus locaux). Cette troisième voie d'accès, initiée à propos de l'ENA,
a ensuite été étendue à d'autres écoles (IRA, ENM...). Elle vaut désormais pour les trois
fonctions publiques. Elle ne permet toutefois d’accéder qu’à certains corps et dans les conditions
fixées par leur statut particulier. Le troisième concours est ainsi une formule hybride, à
mi-chemin entre le concours externe et le concours interne.
Enfin, un concours peut être soit spécialisé soit généraliste. Ce qualificatif ne désigne pas tant
la nature et le programme des épreuves que les débouchés offerts aux candidats reçus. En effet,
certains concours donnent accès à un seul- corps de fonctionnaires alors que d'autres ouvrent la
voie à différents corps.

2. Les préliminaires du concours


 Le concours constitue une opération complexe au sens du contentieux administratif,
autrement dit est formé d'un ensemble d'actes solidaires. Le premier de ces actes consiste
en l'ouverture du concours. L’administration dispose d'une grande latitude d'action, pou-
vant même retirer sa décision d'ouvrir un concours alors même que des candidats se seraient
manifestés. Il s'agit en effet d'un acte non créateur de droits.

 L’avis d'ouverture du concours, qui doit faire l'objet d'une publicité suffisante (en principe
par une publication au Journal Officiel s'il s'agit d'un concours national), est un acte
insusceptible de recours pour excès de pouvoir mais sa légalité peut être contestée par voie
57
Voir pour une illustration de l'identification d'un concours par le juge administratif CE, Ass., 13 juillet 1967, Geslin
(Rec. p. 316) : « Considérant que le nombre des emplois d'externe des hôpitaux offerts aux candidats est, chaque année,
limité ; qu'il est pourvu à ces emplois d'après un classement qui résulte des notes obtenues' par les intéressés ; qu'ainsi les
opérations qui aboutissent à la nomination des externes des hôpitaux ont le caractère d'un concours ».

117
d'exception à l'occasion de la contestation des résultats du concours.
Il contient généralement l'ensemble des informations permettant de s'inscrire au concours et de
concourir : date limite de retrait des dossiers ; date limite de dépôt des candidatures ; calendrier
des épreuves ; centres où se déroulent les épreuves ; rappel des conditions particulières du
concours ; nombre de places offertes au concours...

 La réglementation du concours ne peut être modifiée après la date de clôture des


inscriptions à l'inverse du nombre de places offertes qui peut être changé jusqu'au
commencement des épreuves.
Le jury est nommé par l'autorité organisatrice du concours. Il est cependant indépendant.

 La vérification de l’admission à concourir. L'administration chargée de l'organisation


du concours doit vérifier que les candidats remplissent bien les conditions générales posées
par les articles 5 et 5 bis de la loi du 13 juillet 1983 ainsi que les conditions
particulières relatives au concours en cause. L'administration dispose aussi, sans base
législative générale, d'un pouvoir d'agrément des candidatures. Elle doit alors apprécier,
dans l'intérêt du service, si les candidats présentent les garanties requises pour l'exercice
des fonctions auxquelles ils prétendent. Ce pouvoir ne porte pas sur les compétences
professionnelles des candidats, qui doivent être exclusivement appréciées par le jury2,
mais sur leur comportement général. Le juge administratif opère depuis 1983 un contrôle
normal sur les refus d'admission à concourir opposés par l'administration, refus qui
semblent d'ailleurs peu nombreux et limités à ces fonctions régaliennes (maintien de l'ordre,
justice).
Condition d'accès à un emploi public, l'aptitude à exercer la fonction postulée ne se limite pas
à la condition physique du candidat ; elle s'étend également à l'adéquation de son « profil »
aux fonctions. L'aptitude peut être définie comme la vérification, par l'autorité
compétente, de la compatibilité entre les qualités personnelles du candidat et les
exigences fonctionnelles de l'emploi auquel ce dernier postule ; instaurant une « relation
de compatibilité », l'aptitude suppose une appréciation individuelle qui ne doit toutefois
pas créer de discriminations fondées, par exemple, sur le handicap du postulant58.

Ont été jugées légaux les refus d'agrément suivants : celui d'un candidat à l'ENM ayant participé
lors de son service militaire à la rédaction et à la diffusion, dans l'enceinte d'une base aérienne, du

58
Emmanuel AUBIN, La cécité, l'aptitude à exercer toutes les fonctions judiciaires et l'intégration directe dans
la magistrature, AJDA 2005, p. 489.

118
journal d'un comité de soldats, le contenu de certains passages du journal était une manifestation
publique d'opinion incompatible avec la réserve et la pondération qui s'imposent à un candidat à
l'exercice des fonctions de magistrat (CE, Sect., 10 juin 1983, Raoult) ; celui d'une candidate aux
fonctions d'inspecteur de police ayant vécu en concubinage avec une personne ayant été ensuite
placée en détention en raison de divers délits ; celui d'un candidat aux fonctions d'officier de
gendarmerie ayant été condamné pour conduite sous l'emprise d'un état alcoolique ; celui d'une
candidate aux fonctions d'agent de surveillance de Paris ayant commis trois ans plus tôt un vol à
l'étalage dans un centre commercial.

Emmanuel AUBIN, La cécité, l'aptitude à exercer toutes les fonctions judiciaires et l'intégration
directe dans la magistrature, AJDA 2005, p. 489.

L’arrêt Chopard retient l'attention en raison du moyen principal tiré de l'erreur de droit qu'aurait
commise l'administration en se fondant sur la cécité de M. Chopard et sur son inaptitude à exercer
toutes les fonctions judiciaires pour refuser son intégration directe. Le juge exerce un contrôle normal
depuis 1979 sur les décisions motivées par l'existence d'une inaptitude physique (CE 6 avril 1979,
Picot, Lebon tables p. 785). Le contrôle sur les avis de la commission d'avancement est, en revanche,
restreint.

Après avoir affirmé que la cécité du candidat n'a pas justifié, à elle seule, le rejet de son intégration
directe, le Conseil d'Etat s'est livré à une interprétation constructive en jugeant que l'inaptitude à
exercer toutes les fonctions judiciaires justifiait légalement la décision prise par la commission
d'avancement qui n'a, dès lors, commis ni d'erreur de droit ni d'erreur manifeste d'appréciation.

La cécité n’est pas un obstacle dirimant à l'accès direct à la fonction de magistrat.


En refusant de donner une suite favorable à la demande d'intégration directe dans la magistrature d'une
personne non voyante, l'administration n’a pas méconnu les dispositions du code du travail relatives à
l'obligation d'emploi, par les personnes publiques et leurs établissements publics autres qu'industriels
et commerciaux, de travailleurs handicapés dans la proportion de 6 % de l'effectif total.
L’administration n’a pas non plus créé une discrimination contraire aux stipulations de l'article 14 de
la Convention européenne des droits de l'homme.

Dans la magistrature, le Conseil d'Etat a déjà jugé dans l'affaire Hubac, que le garde des Sceaux tenait
un pouvoir d'appréciation lui permettant de refuser de nommer un magistrat - aveugle - inscrit sur la
liste d'aptitude des juges d'instruction et des substituts de procureur de la République (CE 20 avril
1988, Hubac, Lebon p. 144 ; CE 11 octobre 1989, Hubac, req. n° 90000) laissant sous-entendre qu'un
magistrat souffrant de ce handicap ne pouvait pas occuper un poste du siège qui amène le magistrat -
inamovible - à juger. Le commissaire du gouvernement Guionin soulignait, dans ses conclusions sur
l'arrêt Loubeyre, que « la cécité, comme toute infirmité physique, comme un quelconque défaut
intellectuel, est un élément de la valeur du candidat. Elle doit donner lieu, comme tous les autres
éléments, à l'appréciation qu'il appartient à l'autorité compétente de faire des titres respectifs des
divers candidats ». De son côté, Mattias Guyomar a pu préciser que « la commission non seulement
pouvait mais encore devait prendre la cécité de M. Chopard en considération dans l'appréciation
globale de sa valeur ». L'arrêt s'inscrit dans cette logique en soulignant que la commission a
légalement intégré, dans son appréciation de l'aptitude, le handicap physique du requérant ; en
revanche, elle ne s'est pas fondée « exclusivement sur la cécité » de M. Chopard pour refuser son
intégration directe, la période probatoire imposée n'ayant pas été probante.

Pouvait-on envisager l'existence d'aménagements de poste qui auraient eu pour effet de compenser le

119
handicap de M. Chopard ? La commission pouvait-elle nuancer son appréciation en prenant en compte
la possibilité de tels aménagements ? Le Conseil d’Etat avait déjà affirmé que des aménagements de
poste « auraient permis de compenser les conséquences du handicap » d'une candidate à l'emploi de
professeur d'éducation physique (CE 30 avril 2004, Mlle Monnier, AJDA 2004).

La question de la compensation n'a pas été abordée dans l'arrêt Chopard ; en pratique, l'on imagine
difficilement la présence d'un assistant qui ferait part de ses impressions visuelles à un magistrat
souffrant de cécité afin d'amener ce dernier à forger son intime conviction. L’impression est, en effet,
nécessairement subjective.

L’inaptitude du requérant n'a pas été déduite de son seul handicap qui ne peut faire obstacle, en lui-
même, à l'intégration directe du requérant ; la prise en compte de la cécité était un élément
supplémentaire qui a pu conforter le sentiment global, éprouvé par les membres de la commission, que
le candidat n'était pas en mesure d'exercer l'ensemble des fonctions judiciaires. C’est donc l’inaptitude
du requérant à exercer toutes les fonctions judiciaires qui s’est révélée rédhibitoire.

Admettre l'idée d'une aptitude « à géométrie variable » (M. Guyomar, concl. préc.) reviendrait à
rompre l'unité du corps judiciaire et à consacrer plusieurs catégories de magistrats ; ceux dont
l'aptitude est générale pourraient exercer n'importe quelle fonction alors que ceux qui ne sont pas
pleinement aptes - en raison, notamment, d'un handicap - seraient cantonnés, comme cela aurait été le
cas pour le requérant - à une fonction de magistrat du siège, d'assesseur d'une formation civile ou de
magistrat du parquet chargé de travaux d'étude et de rédaction.

Le Conseil d’Etat a élargi les caractéristiques de l'aptitude à exercer la fonction de magistrat judiciaire
et en passant de la fonction à « l'ensemble des fonctions judiciaires ».

La logique de la discrimination positive - qui apparaît en filigrane - doit logiquement s'arrêter là où


commence celle de la polyvalence fonctionnelle qui suppose la mobilisation, par l'agent, de sens (la
vue et l'ouïe essentiellement) dont l'ineffectivité, aussi malheureuse soit-elle pour l'individu, ne peut
être compensée par des aménagements de poste et la présence d'un assistant et ne saurait, pour cette
raison, justifier la création d'un droit préférentiel. La cécité de M. Chopard n'était pas la seule raison
fondant juridiquement l'appréciation à laquelle la commission s'est livrée; il reste à savoir si la logique
de cet arrêt sera étendue à d'autres emplois publics au risque de créer des zones d'exclusion de
personnes handicapées dans le secteur public au moment même où le législateur entend lutter contre
ce phénomène.

Ont au contraire été jugés illégaux les refus suivants : celui d'un candidat à l'ENM au motif
qu'il avait participé plusieurs années avant le dépôt de sa candidature à des manifestations
d'étudiants de caractère véhément mais qui ne s'étaient accompagnées d'aucune violence (CE,
18 mars 1983, Mulsant) ; celui d'un candidat aux fonctions de gardien de la paix qui avait été, à
l'âge de 17 ans et une dizaine d'années plus tôt, poursuivi pour des cambriolages et un vol de
voiture, ces faits n'étant pas, eu égard à leur ancienneté et à la circonstance que le comportement
de l'intéressé n'a ultérieurement donné lieu à aucun reproche, de nature à établir qu'il n'offrait
pas les garanties exigées pour exercer ces fonctions ; celui d'une candidate aux fonctions d'agent
administratif de la police nationale impliquée quinze ans plus tôt dans des affaires de vol et
d'usage de stupéfiants…
Les candidats doivent remplir les conditions statutaires en principe au plus tard à la date

120
de la première épreuve ou de la première réunion du jury s'il s'agit d'un concours sur
titres. C'est donc leur situation juridique à cette date qui permet d'apprécier leur aptitude
à concourir. Pour autant, et étant donné les difficultés matérielles que suscite la vérification
de milliers de dossiers dans des délais souvent réduits, l'administration se contente
généralement d'un examen superficiel des dossiers qu'elle n'approfondira qu'après la
proclamation des résultats. Autrement dit, l'administration ne va véritablement établir
qu'un candidat pouvait concourir qu'après que le jury l'ait proposé à la nomination ! Cette
pratique a été admise par le législateur qui accepte que la vérification intervienne au plus
tard à la date de la nomination.
3. Le déroulement du concours

Le jury est indépendant. Une fois nommé par l'autorité organisatrice du concours, il n'est
uni à cette dernière pas plus qu'à aucune autre autorité administrative ou politique par un
quelconque lien de subordination.
Le jury est ensuite souverain. Dans les limites posées par les textes généraux encadrant
l'organisation du concours, son appréciation de la valeur des candidats est juridiquement
incontestable, s'impose à l'administration et ne peut être directement contrôlée par le
juge. Il lui appartient d'opérer librement une comparaison et une sélection des candidats
sur leurs valeurs et leurs mérites respectifs. Ainsi, le jury est tenu de respecter le
programme des épreuves, leur notation. Il ne peut pas fixer une note éliminatoire,
d'élever un seuil d'admissibilité ou encore d'ajouter une épreuve supplémentaire ou un
nouveau critère d'appréciation. De même, il ne doit pas se prononcer sur l'aptitude
physique des candidats, cette appréciation relevant de la seule compétence de l'autorité
administrative. Sous ces réserves, le jury, qui n'a pas à motiver ses délibérations,
dispose d'une totale latitude d'appréciation. Le juge administratif se refuse en effet, fort
prudemment, à contrôler si le jury a correctement apprécié la valeur des titres du
candidat ou des épreuves qu'il a subies.

Le jury est un organe collégial, cette caractéristique offrant assurément « une double
garantie de compétence et d'honnêteté » et l'absence de l'un de ses membres à l'une des
épreuves orales a pour conséquence de l'empêcher de participer à la suite du concours.
Plus largement, il se doit de respecter une conception exigeante des principes d'égalité et
d'impartialité. L'unicité du jury est ainsi une importante garantie de l'égalité de traitement
des candidats. Et si, eu égard au nombre de candidats et aux contraintes matérielles, le
jury doit se subdiviser pour certaines épreuves en groupes d'examinateurs, il se doit

121
alors d'opérer, si besoin est, une péréquation des notes attribuées par chaque groupe
d'examinateurs.

Le jury est enfin soumis à une obligation d'impartialité, sa partialité étant régulièrement
mise en doute devant le juge. La partialité du jury, ou plus exactement d'un ou plusieurs de
ses membres, peut résulter en particulier des liens personnels' ou professionnels les
unissant à certains candidats.

 La proclamation des résultats du concours. Au terme du concours, le jury, après


en avoir délibéré collégialement, établit une liste des candidats reçus. Cette liste classe les
candidats par ordre de mérite dans les fonctions publiques de l'État et hospitalière mais pas
dans la fonction publique territoriale où il s'agit d'une liste d'aptitude par ordre
alphabétique. Afin de pouvoir faire face à d'éventuels désistements ou à des vacances
imprévues dans le corps avant que soit organisé un nouveau concours, le jury établi
également une liste complémentaire.
Le jury n'est toutefois jamais tenu d'attribuer toutes les places mises au concours. Il peut en
effet, s’il estime que le niveau des candidats est insuffisant, ne pas pourvoir tous les postes
ouverts voire n'en pourvoir aucun.

C. Les résultats du concours

1. L’attribution de la qualité de fonctionnaire

L'administration n'est nullement tenue de nommer les candidats proposés par le jury. Elle peut
parfaitement n'en nommer aucun ou seulement certains d'entre eux. Toutefois, si elle opte
pour cette dernière solution elle doit respecter l'ordre d'inscription sur la liste principale, puis
le cas échéant sur la liste complémentaire.
Les collectivités locales bénéficient d'une latitude d'action beaucoup plus importante
puisqu'elles ne sont tenues par aucun ordre de mérite. Dès lors, elles peuvent puiser librement
dans la liste d'aptitude établie par le jury, liste en principe caduque au bout de trois ans.
Ainsi, d'un point de vue strictement juridique, le succès à un concours administratif n'offre
aucune certitude d'être recruté mais une simple vocation.

2. La contestation des résultats du concours

Un candidat malheureux, un membre d'un corps ou cadre d'emplois ouvert aux lauréats ou
encore une association ou un syndicat de fonctionnaires peut chercher à obtenir l'annulation des

122
opérations du concours (ou des nominations effectuées sur sa base). Il faudra au requérant
contester la délibération du jury dans son ensemble. En effet, il s'agit d'un acte indivisible et
l'on ne peut dès lors se limiter à contester tel ou tel résultat.
L’annulation du concours est régulièrement envisageable. Pour autant, elle est souvent
platonique, le législateur se hâtant alors d'opérer une validation législative des résultats du
concours ou des nominations prononcées sur leur base afin de sécuriser la situation juridique des
agents nommés suite au concours illégal. Ce contentieux est peut-être amené à évoluer
maintenant que le juge administratif se reconnaît la possibilité de moduler les effets dans le
temps de ses annulations.
Même en cas de validation législative, le candidat malheureux n'aura cependant pas
nécessairement tout perdu. L'illégalité du concours ou d'une décision le concernant
n'imposeront certes pas à l'administration d'organiser un nouveau concours. Par contre elle
pourra permettre l'indemnisation du candidat en application de la théorie dite de la perte de
chance.

II. Le déroulement de la carrière

A. Les positions du fonctionnaire


Les positions du fonctionnaire désignent « les situations diverses qu'un agent public peut être
amené à occuper par rapport à son emploi et à son grade ». La position d'activité est la
position normale du fonctionnaire. Environ 95 % des fonctionnaires de l’Etat se trouvent dans
cette position.

1. La position d’activité
L’activité est la position du fonctionnaire qui exerce les fonctions de l'un des emplois
correspondant au grade dont il est titulaire. Parfois, le bénéfice de la position d’activité repose
sur une fiction. Sont ainsi réputés en position d’activité les agents qui bénéficient d'une
décharge de service pour l'exercice d'un mandat syndical, les agents en congé ou encore
les agents provisoirement incarcérés.

2. Les autres positions


a. La mise à disposition59
 La mise à disposition était traditionnellement considérée comme une variante de l'activité.
La loi de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007 l’a cependant autonomisée.
59
Ph. LAGRANGE, La réforme des mises à disposition : nouvelle étape vers une fonction publique ouverte ?,
AJDA 2007, p. 524.

123
Son régime est unifié pour les trois fonctions publiques. La mise à disposition permet à un
fonctionnaire d'exercer des fonctions dans une autre administration, voire dans d'autres
organismes publics ou privés chargés d'une mission d'intérêt général, tout en continuant
à demeurer dans son corps d'origine, à être rémunéré par son administration d'origine
et à y acquérir des droits à l'avancement et à la retraite. En raison de sa souplesse et de
son formalisme réduit, cette position est prisée tant des fonctionnaires que de
l'administration.
La mise à disposition de fonctionnaires a été initialement définie par l'article 41 de la loi du 11
janvier 1984 comme « la situation du fonctionnaire qui demeure dans son corps d'origine, est
réputé occuper son emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais qui
effectue son service dans une autre administration que la sienne ». La loi du 2 février 2007
est venue apporter une modification. La mise à disposition se définit désormais comme « la
situation du fonctionnaire qui demeure dans son corps d'origine, est réputé occuper son
emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais qui exerce des fonctions
hors du service où il a vocation à servir ». Cette nouvelle rédaction a pour effet d’autoriser
les mises à disposition internes à chaque ministère.
 La mise à disposition constitue un instrument intéressant tant pour les agents que pour
l'administration. La mise à disposition est une manière de renforcer temporairement, en
fonction des besoins, les ressources humaines d'une administration ou d'un établissement
public qui ne dispose pas d'emploi budgétaire lui permettant de nommer un fonctionnaire ou
de l'accueillir en détachement. Cette pratique permet au surplus à l'administration de favoriser
la mobilité de son personnel et de développer les échanges entre les différentes
administrations publiques, ainsi qu'entre le secteur public et le secteur privé.
Un fonctionnaire peut être mis à disposition auprès :
- d'une administration de l’Etat,
- d'une collectivité territoriale,
- d'un établissement public,
- d'une organisation internationale,
- d'un organisme contribuant à la mise en œuvre d'une politique publique pour
l'exécution des seules missions de service public qui lui sont confiées. Cette dernière
précision restreint le champ des mises à disposition de fonctionnaires auprès
d'organismes privés,
- d’Etats étrangers, sous réserve que « le fonctionnaire conserve, par ses missions, un
lien fonctionnel avec l'administration d'origine ».

124
- Un fonctionnaire pourra dorénavant être mis à disposition « auprès d'un ou de
plusieurs organismes pour y effectuer tout ou partie de son service ». Cette mise à
disposition "à temps partagé" présenterait le triple intérêt d'apporter une plus grande
souplesse dans la gestion des ressources humaines, de permettre la pluriactivité et de
favoriser la mobilité.
 La mise à disposition est, en principe, autorisée pour trois ans. Le plus souvent, c’est le
fonctionnaire lui-même qui en prend l'initiative. La mise à disposition ne saurait, de toute
façon, lui être imposée. L’administration se prononçait traditionnellement sur la demande
de mise à disposition en tenant compte des nécessités de service. La loi du 2 février 2007
innove sur deux points. En premier lieu, elle supprime l'exigence d'une « nécessité de
service ». En second lieu, disparaît l’obligation de confier à l'agent des « fonctions d'un niveau
hiérarchique comparable à celui des fonctions exercées dans son administration d'origine ».
 La loi du 2 février 2007 impose, en revanche, la conclusion d'une convention entre
l’administration d’origine et l'organisme d'accueil. Cette convention doit tout
particulièrement fixer les modalités de remboursement du coût de l'argent ainsi prêté. En
réalité, cette exigence préexistait. Elle n'avait cependant qu’une valeur réglementaire et était
presque systématiquement bafouée. Les raisons de la consécration de cette obligation de
remboursement sont multiples :
- tout d’abord, l’obligation de remboursement, qui devrait être un remboursement
intégral, est censée réduire la durée moyenne des mises à disposition qui s’élève
actuellement à 7 ans. Or, il y a ici un détournement manifeste de la finalité de la mise à
disposition. Cette pratique s'analyse avant tout comme un prêt temporaire de main-
d'œuvre, destiné à répondre à un besoin ponctuel précis. Dans la logique du statut, si le
besoin apparaît comme permanent, l'emploi devrait être occupé par un fonctionnaire
en position d'activité, soit en détachement. Les mises à disposition ne doivent pas
servir « d'expédient pour faire occuper de manière pérenne des emplois qui devraient
être pourvus d'une autre manière » (D. Jean-Pierre).
- ensuite, les mises à disposition non remboursées peuvent être qualifiées d’aides d'Etat
au sens du droit communautaire (CE, 26 septembre 2005, Mutuelle générale des
services publics).
- enfin, les mises à dispositions gratuites grèvent en effet le budget de l'État et ne
répondent plus aux nouvelles exigences budgétaires posées par la LOLF.
Ces raisons ont conduit le législateur à préciser que « la mise à disposition donne lieu à
remboursement ». Une dérogation à cette règle est cependant prévue pour le cas d'une mise à

125
disposition au sein de l'administration de l'Etat ou auprès d'un de ses établissements publics
administratifs ou bien encore auprès d'une organisation internationale intergouvernementale
ou d'un Etat étranger.
 La situation d'un fonctionnaire mis à disposition d'une personne privée (Croix-Rouge...) est
assimilée par la jurisprudence à celle du fonctionnaire détaché. Dès lors que le fonctionnaire
se trouve uni à un organisme privé par un rapport de subordination, la jurisprudence
considère qu’il est lié à cet organisme par un contrat de travail. En cas de contentieux entre
le fonctionnaire mis à disposition et son employeur, celui-ci relèvera de la compétence des
prud'hommes.

 La loi du 2 février 2007 confère une base légale aux mises à disposition entrantes. On dit
qu’une mise à disposition est "entrante" lorsque ce sont des salariés de droit privé qui sont mis
à disposition de l'administration. Cette possibilité s’était développée en marge des textes. La
loi de modernisation de la fonction publique la consacre. Une telle mise à disposition sera
possible « lorsque des fonctions exercées [...] nécessitent une qualification technique
spécialisée ».
L’administration devra rembourser à l’employeur privé le coût de la mise à disposition, c’est-
à-dire la rémunération, les charges sociales, les frais professionnels et les avantages en nature.
La loi ne précise pas si les conventions de mise à disposition doivent être soumises au code
des marchés publics. Aucune obligation de publicité préalable ou de mise en concurrence n’a
été posée. Cette lacune paraît d’autant plus étonnante que la convention de mise à disposition
entrante s'analyse comme une convention de prêt de main-d'œuvre spécialisée par une
entreprise. Or, une telle convention paraît évidemment relever des règles de la commande
publique.
Enfin, les salariés mis à disposition de l'Etat ou de l'un de ses établissements publics
administratifs « sont soumis aux règles d'organisation et de fonctionnement du service où ils
servent et aux obligations s'imposant aux fonctionnaires ». Cette innovation conduira à
confier, de plus en plus souvent, à des salariés de droit privé des emplois permanents de la
fonction publique, normalement réservés à des fonctionnaires titulaires placés dans une
situation statutaire.

 L’une des innovations les plus importantes de la loi de modernisation de la fonction


publique tient à l’affirmation du principe de la mise à disposition entre les trois fonctions
publiques. Jusqu'à la loi du 2 février 2007, seuls les fonctionnaires d'Etat pouvaient prétendre

126
exercer un temps dans la fonction publique territoriale ou hospitalière. L'inverse n'était pas
vrai. La réciproque est désormais possible. La loi prévoit en effet que « la mobilité des
fonctionnaires entre les trois fonctions publiques peut s'exercer par la voie de la mise à
disposition ».

 La loi du 2 février 2007 est donc importante dans la mesure où elle entend accroître la
mobilité entre fonctions publiques et intensifier l'ouverture sur le secteur privé.

b. Le détachement
Le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son corps ou de son cadre
d'emploi d'origine tout en continuant à bénéficier dans ce corps ou ce cadre de ses droits
à l'avancement et à la retraite. Cette position permet par exemple à un fonctionnaire d'État
de travailler dans une collectivité territoriale, un organisme privé ou un groupement d'intérêt
public pour exécuter des travaux de recherche et d'intérêt national, de dispenser un
enseignement à l'étranger ou d'occuper un emploi auprès d'une entreprise publique. Le
détachement de l'agent est parfois de droit. Il en va ainsi en cas de nomination à un emploi à
la décision du gouvernement ou à un emploi fonctionnel ou en cas d’exercice de fonctions
gouvernementales, d'un mandat public électif empêchant l'exercice normal de la fonction. Ces
deux dernières hypothèses sont très décriées car elles favorisent la surreprésentation des
fonctionnaires dans le personnel politique puisqu'ils sont assurés de retrouver leur corps
d'origine au terme de leur mandat.
Le détachement est une procédure très appréciée des fonctionnaires, tout particulièrement
parce qu’elle leur permet d’être mieux rémunérés que dans leur corps ou cadre d'emploi
d'origine. L'agent détaché peut en outre bénéficier d'un avancement dans le corps ou
l'emploi sur lequel il est détaché.
Le détachement est prononcé par l'autorité hiérarchique (ministre, exécutif local). Le
fonctionnaire doit en faire la demande. Dans la fonction publique d'Etat, le détachement peut
toutefois être décidé d'office dans l'intérêt du service au profit d'une autre administration
de l'État ou de l'un de ses établissements publics. La saisine de la CAP est alors obligatoire.
L'emploi de détachement doit de toute façon être équivalent à celui qu'occupait l'agent jusque-
là. Le juge exerce un contrôle restreint sur le refus opposé par l'administration.
Le fonctionnaire détaché est soumis aux règles applicables à la fonction qu'il exerce. Il
est sous l'autorité du supérieur hiérarchique du service ou de l'organisme d'accueil.

127
Celui-ci exerce le pouvoir de notation sauf détachement de courte durée. En revanche, le
pouvoir disciplinaire appartient toujours à l'autorité du corps d'origine.
Si le fonctionnaire est détaché auprès d'un EPIC ou dans une entreprise privée, il est
placé dans la situation d'un salarié de droit privé. La fin du détachement, sur demande de
l'employeur privé, peut même constituer un licenciement sans cause réelle et sérieuse donnant
droit à indemnités.

 Réintégration du fonctionnaire détaché. Les textes distinguent deux types de


détachement selon leur durée.
- Le détachement de courte durée (ou délégation) est en principe accordé pour une
période de moins de six mois. Il n'est pas renouvelable. Il peut être écourté à
l'initiative de l'administration d'origine, de l'organisme d'accueil ou de l'agent. À son
terme, le fonctionnaire est réintégré dans son emploi d'origine. L'administration ne
peut en effet pourvoir l'emploi temporairement libéré par l'agent détaché.
- Le détachement de longue durée ne peut excéder cinq années. Il est renouvelable par
période de cinq ans et peut être écourté dans les mêmes conditions que le cas
précédent. Il entraîne en revanche le remplacement de l'agent détaché sur son poste
d'origine. Trois mois avant la fin de son détachement, le fonctionnaire doit faire
connaître à l'administration sa décision de demander un renouvellement ou de
réintégrer son corps d'origine. Au terme de son détachement, le fonctionnaire est
réintégré de droit dans son corps ou cadre d'emploi d'origine, au besoin en surnombre.

Il existe enfin des régimes spéciaux de détachement.


- Depuis 2002, il existe ainsi une procédure de détachement qui permet l'accueil
dans la fonction publique française des fonctionnaires d'un Etat membre de la
Communauté. La durée de ce détachement ne peut excéder cinq ans. L'emploi auquel
peuvent prétendre les intéressés doit être étranger à l'exercice de la souveraineté et ne
comporter aucune participation à l'exercice de prérogatives de puissance publique. Il
doit correspondre au niveau de l'emploi précédemment occupé. Il est tenu compte pour
leur classement dans ce corps de l'expérience professionnelle acquise dans les
fonctions antérieures.
- Depuis 2004, il existe une procédure dérogatoire de détachement pour les
fonctionnaires de l'État dont les services sont transférés aux collectivités
territoriales. Les personnels techniciens, ouvriers et de service (Tos) de l'Éducation

128
nationale sont concernés en priorité. Mis temporairement à disposition des
collectivités territoriales ou de leurs groupements, ils ont vocation à être intégrés dans
la territoriale. Ils peuvent toutefois choisir leur maintien dans la fonction publique de
l'État. Par exception, dans cette hypothèse, le détachement s’effectue sans limitation
de durée dans les cadres d'emploi de la fonction publique territoriale.

c. La position hors cadre


La position hors cadre est un prolongement du détachement. Le fonctionnaire qui arrive au
terme de son détachement peut demander à continuer à servir dans l'administration ou
l'entreprise qui l'accueille. Cette faculté n’est ouverte qu’aux fonctionnaires qui justifient d’au
moins quinze années de service. La mise hors cadre ne peut excéder cinq années. Elle est
renouvelable par période de cinq ans maximum. Le fonctionnaire perd alors ses droits à
traitement, à l'avancement et à la retraite dans son corps d'origine. Il se trouve soumis aux
régimes statutaire et de retraite qui régissent les fonctions qu'il occupe. Le fonctionnaire peut
être réintégré dans son corps d'origine à l'expiration de chaque période de mise hors cadre.
Cette réintégration est obligatoire dès la première vacance d'emploi lorsque la mise hors cadre
n'est pas renouvelée.
Cette position est peu sollicitée (800 personnes en 2002) car le détachement qui en est très
proche est souvent plus avantageux. La position hors cadres n'a ainsi le plus souvent d'intérêt
que pour des fonctionnaires en poste dans une institution offrant un régime de retraite supérieur
à celui de la fonction publique.

d. La disponibilité
La disponibilité désigne la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration
d'origine, cesse de bénéficier de ses droits à rémunération, à l'avancement et à la retraite dans
son corps ou cadre d'emploi. Le lien qu’entretient l'intéressé avec son administration d’origine
s’atténue sans disparaître pour autant. Les règles déontologiques lui interdisent par exemple
d'exercer certaines activités professionnelles.
La disponibilité est prononcée d'office lorsque l'agent est temporairement inapte à
reprendre ses fonctions à l'expiration d'un congé de longue maladie ou de longue durée
et qu'il ne peut bénéficier d'un reclassement. Sa durée est d'un an maximum, renouvelable
deux fois. À la fin de cette période, l'agent est soit réintégré, soit mis à la retraite, soit, s'il n'a
pas droit à pension, licencié pour inaptitude physique.

129
La disponibilité peut également être sollicitée par l’agent qui souhaite poursuivre ses études,
créer ou reprendre une entreprise ou encore pour convenance personnelle. Elle est alors
accordée sous réserve des nécessités du service et après avis de la CAP. Sa durée ne peut
excéder dix ans pour l'ensemble de la carrière. L'intéressé peut alors exercer une activité
publique ou privée (avocat, banquier d'affaires...). Cette position est très décriée car elle
permet à certains fonctionnaires de rejoindre le secteur privé tout en gardant une sorte de
"filet de sécurité" dans la fonction publique.

Trois mois au moins avant la fin de la disponibilité, le fonctionnaire peut solliciter sa


réintégration. Celle-ci est alors de droit (CE, Ass., 11 juillet 1975, Ministre de l’Education
nationale / Dame Saïd : l'autonomie des universités ne peut s'opposer à la réintégration d'une
assistante). L'administration propose à l'intéressé l'une des trois premières vacances dans son
grade. Si celui-ci refuse successivement trois postes, il peut être licencié après avis de la CAP.
S'il ne demande pas sa réintégration dans les délais impartis, l'agent risque la radiation sans
qu'une mise en demeure soit nécessaire.
Cette position concernait 29 000 fonctionnaires en 2002 (70 % de femmes).

B. La dynamique de la carrière

1. L’avancement dans le corps


 Le statut général affirme que « L'avancement des fonctionnaires comprend l'avancement
d'échelon et l'avancement de grade ».
L’avancement d'échelon implique une augmentation du traitement sans changement
d'emploi. Tout fonctionnaire en bénéficie, même s'il est mal noté, car l'avancement d'échelon
est accordé en fonction de l'ancienneté dans l'échelon inférieur. La notation permet seulement
de hâter (réduction d'ancienneté) ou de retarder (majoration d'ancienneté) la date de cette
promotion.
L’avancement de grade se traduit par l'augmentation du traitement et, en principe, par
l'affectation à un emploi hiérarchiquement supérieur. Sauf s'il est subordonné à une sélection
professionnelle, cet avancement a lieu de façon continue de grade en grade. La valeur
professionnelle de l'agent conditionne l'avancement en grade.

 Le statut général actuel prévoit deux procédés pour apprécier les mérites des
candidats qui remplissent les conditions pour une promotion de grade ou de classe. Le
statut particulier précise, pour chaque corps, celui qui a été retenu.

130
- La technique classique est celle de l'inscription au tableau d'avancement. Le chef de
service établit chaque année la liste des agents qui au vue de leur notation peuvent
prétendre à une promotion. Le projet de tableau est ensuite soumis pour avis à la
CAP siégeant en formation restreinte aux membres du corps de grade égal ou
supérieur à celui des promouvables. Celle-ci soumet ses propositions au chef de
service. Lorsqu'il est arrêté, le tableau est porté à la connaissance des agents. L'autorité
compétente ne peut s'opposer deux années de suite à l'inscription d'un agent dont la
CAP propose la candidature. Le Conseil supérieur de la fonction publique peut être
saisi de ce refus, à l'initiative de l'intéressé ou de la CAP. Il peut recommander
l'inscription.
- Le procédé le plus complexe consiste en l'organisation de véritables épreuves de
sélection qui peuvent prendre deux formes : soit l'inscription au tableau
d'avancement est précédée d'un examen professionnel (le tableau des promouvables
est alors établi en fonction de la valeur professionnelle des agents et de leurs résultats
aux épreuves) ; soit la sélection repose uniquement sur les résultats obtenus aux
épreuves de ce qui constitue alors un véritable concours. L'institution d'épreuves de
sélection permet de lutter contre la tentation à laquelle l'autorité administrative
succombe trop souvent : dénaturer l'avancement au choix en établissant le
tableau d'avancement par ordre d'ancienneté.
Tout fonctionnaire qui bénéficie d'un avancement est tenu d'accepter l'emploi qui lui est
assigné dans son nouveau grade, faute de quoi il perd le bénéfice de cette promotion.

2. Les mouvements des fonctionnaires


La carrière d’un fonctionnaire peut être dynamisée par deux processus : la mobilité
fonctionnelle et les mutations.

a. La mobilité fonctionnelle
La mobilité des fonctionnaires au sein de chaque fonction publique (mobilité interne) mais
aussi l'accès des fonctionnaires aux autres fonctions publiques (mobilité externe) constituent
une garantie fondamentale de leur carrière. La mobilité fonctionnelle ne présente que des
avantages tant pour le fonctionnaire que pour l’administration : elle offre des perspectives
nouvelles de carrière pour les agents ; elle favorise ensuite leurs capacités d'adaptation, enfin,
elle enrichit leur connaissance de l'administration. C'est pourquoi les gouvernements tentent

131
régulièrement de la favoriser. La mobilité est en principe ouverte à tous les fonctionnaires.
Certaines de ses modalités sont cependant réservées à des catégories particulières d'agents.

 Le régime de droit commun : la mobilité au sein d'une fonction publique. Elle est
favorisée par les procédures qui permettent de changer de corps ou de cadres d'emploi :
concours internes, promotions internes ou tours extérieurs. Le détachement constitue
aujourd'hui le principal vecteur de la mobilité des fonctionnaires. Or, il n'est pas possible dans
tous les corps, certains demeurant encore fermés.
 La mobilité entre fonctions publiques peut s'effectuer dans l'une des deux autres
fonctions publiques nationales ou dans celle d'un autre État membre de l'Union européenne ou
de l'Espace économique européen. Le remplacement par la loi Galland du 13 juillet 1987 des
corps de la territoriale par des cadres d'emploi complique les échanges entre fonctionnaires de
l'Etat et fonctionnaires territoriaux en raison de la nécessaire comparabilité du cadre d'accueil
avec le cadre d'origine. Cette forme de mobilité est enfin subordonnée à l'accord des deux
gestionnaires concernés. Il est en règle générale assez facile pour un haut fonctionnaire d'État
d'occuper, sur la demande d'un exécutif territorial, un emploi fonctionnel dans une
collectivité. L'inverse est beaucoup plus délicat car les emplois supérieurs de l'État sont
considérés comme réservés, en pratique, aux membres de certains corps.

 La mobilité constitue parfois une obligation statutaire. Cette mobilité obligatoire est censée
diversifier l’expérience de certains fonctionnaires. Cette obligation concerne les
fonctionnaires des corps recrutés par la voie de l'ENA et les administrateurs des postes et
télécommunications. Cette mobilité statutaire doit être effectuée après au moins deux ans de
service effectif dans le corps d'affectation. Sa durée est fixée à deux ans. Au terme de sa
mobilité, le fonctionnaire est en principe réintégré dans son administration d'origine.

b. Les mutations
Les mutations sont décidées dans l'intérêt du service, à la demande du fonctionnaire ou
d'office. Elles impliquent un changement de résidence administrative ou une modification de
la situation administrative de l'agent qui demeure dans son corps ou cadre d'emploi.

 La mutation sur demande est sollicitée par le fonctionnaire qui souhaite changer
d'affectation. Les vœux formulés par l'agent sont pris en compte par l'autorité hiérarchique
dans la mesure où ils sont compatibles avec les nécessités du service. L'administration prend
en considération la situation familiale de l'agent en favorisant le rapprochement des

132
fonctionnaires séparés de leur conjoint pour des raisons professionnelles. Elle doit privilégier
les demandes des personnels handicapés. Les emplois vacants doivent être publiés afin de
permettre aux agents intéressés de postuler à la mutation. L'absence de toute publicité ou
d'une publicité suffisante entache la procédure d'irrégularité. L'autorité compétente procède
ensuite aux mouvements de fonctionnaires après avis des CAP.
Le rapprochement familial est prévu par la loi du 30 décembre 1921, dite Loi Roustan. Cette
loi permet aux fonctionnaires mariés de demander à être affectés dans le département où
exerce l'un des deux époux. Cette priorité de rapprochement s'applique même si l'un des
époux n'est pas fonctionnaire. Le statut général étend cette possibilité aux partenaires d'un
PACS qui sont séparés pour des raisons professionnelles.
Depuis 1991, la loi Roustan a été implicitement abrogée pour les fonctionnaires de l'État qui relèvent du statut
général. Ces derniers sont soumis aux dispositions similaires de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 (v. CE,
Sect., 23 nov. 2005, Mme Baux). La loi du 30 décembre 1921 demeure toutefois applicable aux autres agents
titulaires de l'État comme les magistrats ou les militaires. Une demande de mutation peut être refusée pour raison
de service.

 Mutation d'office dans l'intérêt du service. La distinction entre grade et emploi laisse en
théorie à l'administration une marge d'appréciation importante pour déterminer l'affectation
des agents aux emplois correspondant à leur grade. Elle peut donc prononcer leur mutation
d'office pour pourvoir un emploi dont la vacance compromet le bon fonctionnement du
service ou pour déplacer un agent dont le comportement, sans être fautif, nuit à sa bonne
marche.
L’administration est parfois tentée de substituer une telle mutation à la procédure disciplinaire
(mutation des directeurs d'hôpitaux). La mutation d’office d'un agent constitue alors une
sanction déguisée. La mutation d'office est en effet très proche dans ses effets du déplacement
d'office qui constitue une sanction disciplinaire. Comme le souligne Olivier Dord, « Souvent
par réalisme, parfois par faiblesse, l'administration ne se résout pas à engager une action
disciplinaire contre l'agent concerné. Sa mutation d'office constitue alors l'unique voie pour
rétablir la tranquillité au sein du service : le risque étant, bien sûr, de déplacer le problème
avec l'agent... ».
Le juge estime, par conséquent, que la décision de muter d'office un fonctionnaire doit
répondre à l'intérêt du service (CE, 15 avril 1996, Aubriet : mutation d'office du directeur d'un
aérodrome pour mettre fin aux différends qui l'opposent aux personnels de son service et qui
nuisent à la bonne marche de celui-ci). Elle ne doit pas conduire à déclasser l'agent, ni à
diminuer de façon sensible ses responsabilités (v. CE, 5 avr. 1991, Mme Imbert-Quaretta :
annulation de la décision qui prive un chef de bureau de ses fonctions et le nomme chargé de

133
mission auprès de son directeur pour exercer une partie de ses précédentes attributions). Le
comportement de l'agent muté ne doit pas non plus être fautif. Dans le cas contraire, le
caractère disciplinaire de la décision de mutation est avéré. Celle-ci est alors entachée
d’illégalité. Au plan procédural ensuite, la mutation d'office ne figure pas au nombre des
décisions dont la loi impose la motivation. Elle nécessite cependant non seulement la saisine
préalable de la CAP, mais encore l'accès de l'agent intéressé à son dossier (CE, Sect., 30
décembre 2003, Min. de l'Education nationale / Mme Tiraspolsky).

III. Le terme de la carrière

La radiation des cadres. La cessation définitive des fonctions entraîne la radiation des cadres
de la fonction publique et la perte de la qualité de fonctionnaire. L’édiction d'une décision
formelle et motivée est nécessaire (CE, 28 janvier 1949, Siboul). En vertu du parallélisme des
compétences, cet acte est pris par l'autorité investie du pouvoir de nomination. Les causes de
radiation des cadres sont énumérées par le statut. On trouve à titre principal l'admission à la
retraite (A) et, à titres exceptionnels (B), la démission et le licenciement.

A. Le terme ordinaire : l’admission à la retraite

 Détermination de l'âge légal. L’âge limite au-delà duquel l'agent est réputé ne plus
pouvoir remplir convenablement ses fonctions est fixé de façon générale par la loi, sans
égard pour les capacités réelles et la situation du fonctionnaire. Ce choix obéit à des
considérations d’ordre budgétaire, démographique et administratif. Cette limite légale
s'impose tant au fonctionnaire qu'à son administration.
La limite d'âge est actuellement fixée à 65 ans pour l'ensemble des fonctionnaires. Cette
limite n’est en réalité qu’un plafond. Il revient aux statuts particuliers d'arrêter les limites
d'âge pour chaque corps de fonctionnaires. Le pouvoir réglementaire dispose ainsi d'un
pouvoir discrétionnaire à l'intérieur des limites fixées par le législateur et dans le respect
du principe d'égalité de traitement des fonctionnaires. L'âge légal de départ du
fonctionnaire dépend surtout depuis 1936 du classement de l'emploi qu'il occupe dans
le groupe A des emplois dits « sédentaires » (65 ans) ou le groupe B des emplois dits
« actifs » (60 ou 55 ans). Ces derniers exposent les agents qui les exercent à des
risques particuliers ou à des fatigues importantes (personnels de police, douaniers, facteurs,
infirmiers et aussi instituteurs). La limite légale peut être plus élevée : 68 ans pour le
vice-président du Conseil d'État, le premier président et le procureur général de la Cour

134
des comptes comme pour le premier président et le procureur général de la Cour de
cassation. La limite est même de 70 ans pour les professeurs au Collège de France.
Sur leur demande présentée avant d'avoir atteint 65 ans, certains hauts fonctionnaires sont maintenus en
activité, en surnombre, jusqu'à 68 ans. Sont concernés les membres du Conseil d'État, les magistrats de la
Cour des comptes, les membres de l'inspection générale des finances. Les professeurs de l'enseignement
supérieur bénéficient aussi de cette faculté.

 L’admission à la retraite intervient de façon différente si le fonctionnaire a atteint ou non


la limite d'âge. Lorsque l'agent atteint la limite d'âge de son grade, l'administration a
compétence liée pour prononcer sa mise à la retraite, sauf dérogations prévues par la loi. La
prolongation temporaire d'activité peut aller de quelques mois (fin de l'année scolaire ou
universitaire pour les enseignants) à trois années. En vertu du principe de continuité du
service public, le maintien d'un fonctionnaire au-delà de la limite d'âge peut aussi être rendu
nécessaire par des circonstances particulières liées aux responsabilités qui lui sont confiées ou
à l'impossibilité de désigner immédiatement un agent chargé de l'intérim.
L'admission à la retraite peut aussi intervenir par anticipation sur demande du fonctionnaire
ou à l'initiative de l'administration. Celui-ci peut tout d'abord demander à faire valoir ses
droits à la retraite avant d'avoir atteint la limite d'âge s'il justifie au minimum de quinze
années de service. La jouissance effective des droits à pension est alors différée jusqu'à l'âge
fixé par les statuts. La mise à la retraite d'office d'un agent peut intervenir « dans l'intérêt du
service » en raison de son invalidité ou de la commission d'une faute. Si le service est à
l'origine de l'invalidité, l'agent a droit à une rente. La mise à la retraite d'office constitue
également une sanction disciplinaire du quatrième groupe. Elle ne peut être infligée que si
l'intéressé remplit les conditions légales de durée de service pour l'ouverture des droits à
pension.
 L'atteinte de la limite d'âge entraîne de plein droit la rupture du lien de ces agents avec le
service. En conséquence, les décisions administratives individuelles, prises en
méconnaissance de la situation née de cette rupture « sont entachées d'un vice tel qu'elles
doivent être regardées comme nulles et non avenues »60. Ne créant aucun droit au profit des
intéressés, elles sont retirées par l'administration sans condition de délai (CE, Sect., 3 février
1956, Sieur de Fontbonne). Sauf exception prévue par la loi, les services accomplis
postérieurement à la limite d'âge ne peuvent en outre être pris en compte pour le calcul des
droits à pension. L'application de la théorie du « fonctionnaire de fait », selon laquelle un
60
« Considérant que la survenance de la limite d'âge des agents publics, telle qu'elle est déterminée par les
dispositions législatives et réglementaires en vigueur, entraîne de plein droit la rupture du lien de ces agents avec le
service ; que les décisions administratives individuelles prises en méconnaissance de la situation née de la rupture de ce
lien sont entachées d'un vice tel qu'elles doivent être regardées comme nulles et non avenues » (CE, 8 novembre 2000,
Muzi, DA, 2001, n° 19).

135
agent irrégulièrement nommé aux fonctions qu'il occupe doit être regardé comme légalement
investi tant que sa nomination n'a pas été annulée (CE, 2 novembre 1923, Assocation des
fonctionnaires de l'administration centrale des P. & T., Rec. p. 699) peut parfois légaliser des
situations extrêmes.
Les décisions prises en matière de police des étrangers, par délégation d'un préfet de police maintenu
irrégulièrement en activité au-delà de la limite d'âge, ne sont pas entachées d'incompétence. La situation de ce
dernier n'a pas en effet été contestée au contentieux (CE, Sect., 16 mai 2001, Préfet de police de Paris / M.
Mtimet, AJDA, 2001, p. 643, chr. Guyomar et Collin).

B. Les termes exceptionnels

1. La démission61
La démission a été définie par le Doyen Bonnard comme « un acte unilatéral du
fonctionnaire comportant la condition suspensive de l’accord de l’administration ». Cette
définition ne convainc pas pleinement car elle suggère que l’agent disposerait seul du pouvoir
de décider de démissionner. Or, il n’en est rien. Aussi convient-il de préférer la définition
proposée par le professeur Jèze. Selon cet auteur, la démission s’analyse en une décision
provoquée par l’agent public mais prononcée unilatéralement par le chef de service.

a. Le rejet de la demande de démission de l’agent


 La décision de rejet de la demande de démission formulée par un agent doit être motivée en
application de la loi du 11 juillet 1979. Une telle décision a en effet pour objet de refuser une
autorisation. Cette décision peut faire l’objet d’un recours tant administratif que juridictionnel.
 Refuser une démission est illégal si un tel refus n’est pas motivé par les nécessités du
service. Le juge administratif exerce, sur ce point, un contrôle de l’erreur manifeste
d’appréciation.

b. L’acceptation de la demande de démission de l’agent


 L’administration détient un pouvoir discrétionnaire pour décider, dans l'intérêt du service
d'accepter ou de refuser la démission (v. CE, 19 mars 1997, Desmoineaux). Elle a quatre mois
pour prendre sa décision (un mois dans la territoriale et l'hospitalière). Dans l'attente de cette
acceptation, l'agent doit continuer à assurer son service. L'administration est même libre de
refuser cette démission si l'intérêt du service le justifie.
La démission ne devient irrévocable qu’à partir du moment où elle a été acceptée par
l'administration. Elle ne peut pas être retirée sauf illégalité (CE, 8 novembre 1985,
Chevallier). Elle entraîne la radiation définitive des cadres du fonctionnaire. S'il apparaît que

61
Cyril Laroche, La démission de l’agent titulaire de l’Etat, AJFP 2007, p. 219.

136
sa démission n'est pas raisonnée ou libre, l'agent radié est toutefois recevable à contester la
décision par laquelle l'administration accepte sa démission ou celle qui l'exclut des cadres.
L'acceptation d'une démission est ainsi illégale lorsque l'intéressé est dans l'incapacité
d'apprécier la portée de son acte (CE, 5 novembre 1971, Commune de Billère : illégalité de la
démission d'un agent communal en grave dépression nerveuse). Elle est aussi irrégulière si le
consentement de l'agent est vicié par l'exercice à son encontre d'une contrainte physique (v.
CE, 28 avril 1976, Ruy : démission d'un secrétaire de mairie en raison des menaces de la
nouvelle majorité sur sa carrière) ou psychologique (CE, 22 juin 1994, Commune de Lançon-
Provence : démission présentée et acceptée au cours d'un entretien avec le maire et sur
laquelle l'agent revient dès le lendemain).
 Aussi longtemps que l'administration ne s'est pas prononcée sur sa demande, l'intéressé peut
la retirer. Le refus de tenir compte de ce retrait donne à la démission acceptée le caractère
d'une révocation illégale faute de consultation du conseil de discipline (CE, 13 avril 1951,
Commune de Pommeuse). Un agent titulaire de l’Etat est fondé à solliciter par un recours
administratif gracieux ou hiérarchique le retrait de la décision qui accepte sa demande de
démission à la double condition d’agir dans le délai de 4 mois en application de la
jurisprudence Ternon et que cette décision d’acceptation de la démission soit entachée
d’illégalité.
 L’agent peut demander au juge d’ordonner sa réintégration dans le même emploi ou dans un
emploi équivalent à celui qu’il occupait à la date à laquelle il en a été illégalement privé. La
preuve de l’illégalité externe d’une décision d’acceptation d’une demande de démission est
cependant délicate à apporter dès lors qu’une telle décision n’a ni à être motivée, ni à être
précédée par la communication de son dossier à l’agent. Au fond, l’agent tentera d’établir que
sa demande est entachée d’un « vice de consentement » au motif qu’il n’était pas dans un état
qui lui avait permis d’en apprécier la portée à la date à laquelle il l’avait formulée.
 La démission régulièrement acceptée par l’administration entraîne la radiation des cadres de
l’agent et la perte de la qualité de fonctionnaire. Le fonctionnaire démissionnaire ne saurait
prétendre à l’allocation de l’assurance chômage. La reprise du service exige une nouvelle
nomination et donc un nouveau succès dans un concours d’accès à la fonction publique.
 L’agent ne peut plus se prévaloir des droits afférents à la qualité de fonctionnaire. Il a
toutefois droit au versement d’une pension de retraite s’il remplit les conditions requises.
 La démission de l’agent de l’Etat prend effet à la date fixée par l’autorité administrative qui
l’a acceptée. Ayant pour effet de rompre tout lien avec le service, la démission ne doit pas

137
constituer un moyen commode pour l’agent d’échapper à une sanction disciplinaire qu’il
aurait encourue s’il était resté en poste. Aussi l’acceptation de l’offre de démission ne fait pas
obstacle à l’exercice de l’action disciplinaire en raison de faits qui n’auraient été révélés à
l’administration que postérieurement à cette acceptation.

2. Le licenciement
La garantie de l'emploi dans la fonction publique n'exclut pas complètement toute forme de
licenciement pour les fonctionnaires. Le système de la carrière n'exclut en réalité que le
licenciement économique. Un agent peut donc être licencié pour insuffisance professionnelle
(a), inaptitude physique (b) ou abandon de poste (c).

a. Le licenciement pour insuffisance professionnelle


 L’insuffisance professionnelle n’est pas nécessairement constituée par un manquement à
une obligation textuelle (v. CE, 27 septembre 2000, CNRS : licenciement en 1992 d'un
chercheur n'ayant rien publié depuis 1986 ni établi de projet de recherche depuis 1988).
L'insuffisance professionnelle s'apprécie en fonction du comportement général de l'agent
(déficiences permanentes ou persistantes dans la manière de servir) et non à partir de faits
isolés. Son attitude doit conduire à la répétition d'actes graves de nature à troubler
l'environnement de travail de l'agent jusqu'à rendre difficile, voire impossible, le bon
fonctionnement du service (v. CE, 22 juillet 1994, Maison de retraite médicalisée de Cazouls-
les-Béziers, Rec. t. p. 989 : licenciement du cuisinier d'une maison de retraite qui, lors de la
confection des repas, fait preuve de graves et persistantes négligences dans la surveillance de
la date de péremption des produits et, dans les soins à apporter à leur conservation).
 Le constat de l'inaptitude de l'agent à exercer ses fonctions conditionne la régularité de la
procédure. L’administration doit prouver l'insuffisance professionnelle. L’administration ne
peut pas justifier le licenciement par l’insuffisance professionnelle, si ce licenciement est, en
réalité, fondé sur des faits qui sont disciplinairement sanctionnables.
 En cas d'insuffisance avérée, l'administration peut choisir de reclasser l'agent. S’il remplit
les conditions, le fonctionnaire est admis à la retraite avec jouissance immédiate de la
pension. Enfin, l'administration procède au licenciement de l'agent définitivement inapte. En
raison de la gravité de la mesure et pour éviter le détournement de procédure, le statut
impose le respect de la procédure disciplinaire avant le prononcé du licenciement pour
un tel motif. Le fonctionnaire licencié peut recevoir une indemnité.

138
b. Le licenciement pour inaptitude physique
 La qualité de fonctionnaire est subordonnée à l'aptitude physique à l'exercice de la fonction.
Cette condition, valable pour tout candidat à un emploi public, s'applique aussi au
fonctionnaire tout au long de sa carrière. Lorsqu'un agent est reconnu définitivement inapte à
exercer ses fonctions, à la suite de l'altération de son état physique, l'administration est tenue
de rechercher des solutions pour le maintenir dans son emploi ou lui en attribuer un autre. Si
aucune mesure d'adaptation ou de reclassement n'est possible, l'administration met l'intéressé
en disponibilité d'office s'il est titulaire ou le licencie s'il est contractuel. Au terme de la
disponibilité d'office, le fonctionnaire qui n'est toujours pas apte est licencié, sauf s'il remplit
les conditions pour être mis à la retraite pour invalidité.
 Obligation de reclasser l'agent sur sa demande.
 Garanties procédurales.
La décision de licencier un agent public pour inaptitude physique nécessite la saisine préalable du comité
médical départemental et de la CAP. Seul le comité médical peut reconnaître le caractère définitif et absolu de
l'inaptitude physique du fonctionnaire. Parce qu'il est décidé en considération de la personne, ce licenciement
doit aussi être précédé de la communication du dossier au titre de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 (CE,
Sect., 26 octobre 1984, Centre hospitalier général de Firminy / Chapuis, Rec. p. 342, RDP 1985, p. 209, concl.
Labetoulle). Conformément au principe général des droits de la défense, le respect de cette garantie implique
l'accès de l'intéressé à l'ensemble de son dossier individuel, et non à son seul dossier médical (CE, 27 septembre
1991, Ministre de la Défense / Hoffmann).

c. Le licenciement pour abandon de poste


 L'abandon de poste n'est pas défini par les dispositions du statut qui le mentionnent. Cette
construction d'origine prétorienne, antérieure à 1946, caractérise à l'origine la situation
illégale du fonctionnaire en grève. Le fonctionnaire qui abandonne son poste rompt de sa
propre initiative le lien qui l'unit à l'administration et se place en dehors du champ
d'application des lois et règlements édictés en vue de garantir l'exercice des droits inhérents à
son emploi (CE, 21 avril 1950, Gicquel). Son économie générale est définie par la circulaire
n° 463/FP du Premier ministre du 11 février 1960. La décision de radiation des cadres pour
abandon de poste n'a pas le caractère d'une sanction disciplinaire : elle n'est donc pas soumise
aux formalités prévues en la matière.
 La logique de l'abandon de poste implique que l'administration déduise de l'absence sans
motif licite d'un agent sa volonté implicite de rompre tout lien avec elle. Commet ainsi un
abandon de poste le fonctionnaire qui s'absente sans autorisation de son poste de travail ou qui
refuse de reprendre le travail au terme d'un congé.
Compte tenu toutefois de son caractère imprécis, la jurisprudence circonscrit, le champ
d'application de cette théorie. Le juge estime ainsi que sont des fautes disciplinaires : les

139
simples retards (CE, 10 janv. 1964, Demarcy), les absences ponctuelles sans autorisation ou
encore la participation à une grève illicite (CE, Sect., 11 déc. 1998, Samoy).
 Renforcement des garanties procédurales. Afin d'éviter les risques d'éviction arbitraire,
le juge impose à l'administration le respect de nombreuses règles de procédure qui constituent
autant de formalités substantielles. L'autorité de nomination doit tout d'abord adresser à
l'agent une mise en demeure. Elle constitue à la fois un ordre donné à un subordonné de
rejoindre son poste et une occasion pour l'agent de justifier son absence. Elle est prise par
lettre recommandée avec avis de réception. Elle fixe la date où l'agent doit avoir rejoint son
poste. Le délai fixé par l'administration doit être approprié pour que celui-ci puisse s'exécuter
(un délai de huit jours est suffisant ; CE, 25 juin 2003, Office départemental HLM de la
Haute-Vienne : la reprise des fonctions fixée le jour même à 13 h 30 par une lettre remise à 12
h 15 constitue un délai d'une « excessive brièveté »). La mise en demeure doit prendre la
forme d'un document écrit, notifié et informant l'agent du risque qu'il encourt une radiation
des cadres sans procédure disciplinaire préalable. La décision de radiation doit être
suffisamment motivée. Viser la seule lettre de mise en demeure est ainsi illégal au regard de la
loi du 11 juillet 1979 qui exige une motivation propre. La mise en demeure doit enfin porter,
en application de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, les nom et prénom de son auteur (CE,
15 novembre 2006, Mme Devois, AJDA 2007, p. 254, concl. Guyomar).

C. La sanction de l’éviction illégale du fonctionnaire


Dans l’hypothèse où un fonctionnaire est radié des cadres illégalement, trois obligations
pèsent sur l’administration :
- tout d'abord, l'administration doit réintégrer l'agent. Cette réintégration dans
un corps inclut également l'affectation du fonctionnaire dans un emploi. Le
fonctionnaire n'a toutefois droit à être réintégré dans son ancien emploi que s'il
s'agit d'un fonctionnaire inamovible ou lorsque l'emploi occupé n'a pas d'équivalent,
est unique ;
- ensuite, l'administration doit reconstituer la carrière de l'agent. Conformément à
l’arrêt Rodière62, il appartient à l'administration d'opérer cette reconstitution dans les
conditions où elle peut être réputée avoir dû normalement se poursuivre si aucune
irrégularité n'avait été commise. Cet exercice peut s'avérer parfois délicat. S'il n'est
guère malaisé de déterminer les avancements d'échelon dont le fonctionnaire aurait
bénéficié (puisqu'ils ont essentiellement lieu à l'ancienneté), il est plus difficile

62
CE, 26 décembre 1925, Rodière, RDP 1926, p. 32.

140
d'apprécier s'il aurait obtenu un avancement de grade (ou de classe) et à quelle date. Et il
est franchement aléatoire de présumer de ses chances de réussite à un hypothétique
concours interne ;
- enfin, pèse sur l'administration une obligation de réparation du préjudice subi par le
fonctionnaire. A d'abord été appliquée en la matière, au moins pour certains
fonctionnaires, la théorie dite du traitement. Autrement dit, le fonctionnaire avait droit
à toucher toutes les sommes qu'il aurait dû toucher si l'acte annulé n'était pas intervenu.
Cette application très stricte de la logique fictionnelle de l'annulation était beaucoup
trop favorable à l'agent qui, entre temps, avait pu retrouver un emploi et heurtait
frontalement le principe dit du service fait. C'est pourquoi le Conseil d'État a opté en
1933 pour la théorie dite de l'indemnité. Autrement dit, l'agent n'a plus droit qu'à la
réparation du préjudice qu'il a réellement subi. Ainsi, et par exemple, si l'agent a
retrouvé un emploi entre la date de sa radiation et celle de sa réintégration, il convient
de déduire les revenus obtenus du traitement qu'il aurait dû percevoir. Peuvent s'ajouter
d'autres chefs de préjudice, comme, par exemple, les éventuels troubles dans les
conditions d'existence du fonctionnaire (changement de résidence...). De plus,
l'indemnité versée à l'agent doit tenir compte de l'importance respective des
irrégularités entachant les actes annulés et des fautes éventuellement relevées à la
charge de l'agent. Ainsi, et par exemple, si l'agent est indemnisé suite à une
révocation annulée pour vice de forme alors même que les fautes qui lui étaient
reprochées sont avérées son indemnisation sera minime voire nulle.

La mise en œuvre effective de cette série d'obligations a évidemment été renforcée par la
reconnaissance au profit du juge administratif d'un pouvoir d'injonction par la loi du 8 février
1995. Le contentieux des évictions illégales était en effet, spécialement au niveau local, un
des domaines privilégiés des difficultés d'exécution.

Comparaison avec le droit du travail. On peut noter que le fonctionnaire illégalement


évincé est généralement mieux protégé que le salarié se trouvant dans une situation
comparable. Ainsi, le salarié licencié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse n'a pas pour
autant droit à être réintégré, son ancien employeur pouvant s'y opposer et préférer lui verser
une indemnité.

141

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