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NATURE, GÉOGRAPHIE, ENVIRONNEMENT.

ENSEIGNEMENT DE LA GÉOGRAPHIE ET NATURE

Yvette VEYRET
Professeur à l'Université Paris 7
La géographie naturaliste :
La géographie s'est affirmée au cours du XIX ème siècle comme une science étudiant l'homme et la société dans son milieu physique. Le
milieu physique qui occupe une place alors fondamentale est considéré comme déterminant les modes de vie et l'organisation du groupe
social. Cette première étape accorde donc aux facteurs physiques une place majeure. C'est le temps du déterminisme. Les approches
géographiques d'alors font la part belle aux données physiques qui constituent toujours le préalable à l' étude humaine et le point fort de
l'approche géographique.
En dépit de nuances introduites par Vidal de la Blache à l'origine du "possibilisme" qui reconnaît au groupe social un certain degré de liberté
face à la nature, le discours géographique demeure très empreint de déterminisme physique. Néanmoins quelques travaux géographiques font
alors figure de novateurs, c'est notamment le cas de ceux de M. Sorre (1943) dans son ouvrage "Les fondements biologiques de la géographie
humaine" où l'auteur définit ainsi son
but "suivre entre l'nomme et le milieu naturel ce jeu passionnant d'actions et de réactions , de luttes et d'alliances, régi par la loi de la
biologie".
En dépit de cet ouvrage, par ailleurs fort peu suivi, la prépondérance des facteurs physiques va perdurer plusieurs dizaines d'années dans le
cadre d'une géographie qui ne sait plus toujours clairement comment traiter des facteurs physiques mais dont bien des caractères demeurent
très proches de la géographie déterministe. Ainsi la démarche que l'on suit dans beaucoup de programmes et dans nombre d'ouvrages
évoque-t-elle ce que l'on nomme parfois la géographie à tiroirs, dépourvue de problématique et qui voit se succéder un discours
systématiquement repris, rythmé par les éléments suivants: relief, climat, végétation, population, géographie rurale, géographie urbaine. La
juxtaposition des données, l'ordre quasi immuable de celles-ci valent explications. La nature constitue alors ce cadre figé, ce support
faiblement intégré aux activités humaines et réciproquement. Des relations linéaires entre le milieu physique et certains aspects du
développement ou du mai développement ont trop souvent été envisagées de manière simpliste.
Cette géographie, longue litanie des données physiques puis des aspects "humains" subsiste jusqu'aux années 1970 au travers en particulier
de certaines études régionales.
La géographie "sans milieu",
Dans les années 1970, la géographie rompt avec cette approche traditionnelle Elle rejette parfois de manière catégorique les données
physiques. Il est vrai que durant la période de J'après-guerre, la société des pays riches en pleine expansion économique et technique se croit
capable, de se dégager des contraintes naturelles, d'aménager tous les supports, de dominer la nature. Désormais on traite de l'espace et non
plus du cadre ou du milieu physique, R. Brunet 1989 souligne alors que "l'espace a ses lois qui ne sont évidemment pas indépendantes de
l'action humaine mais ont toutes, au contraire, leur logique sociale, les plus radicales ont trait à !'espacernent, à la distance , à la gravité". En
développant l'analyse spatiale largement issue des travaux des économistes ou d'autres tenants des sciences sociales, de nombreux
géographes ont pour ainsi dire mis la nature à distance. Les théories, les méthodes et les résultats de la nouvelle géographie ont été élaborés
en mettant entre parenthèses le milieu (J.-L. Tissier 1992)
Désormais la géographie est ancrée dans les sciences sociales et un certain nombre d'auteurs de manuels scolaires appliquent cette nouvelle
approche qui exclut les données physiques.
La géographie : une science sociale qui utilise des données physiques.
De manière concomitante, se développent dans les médias et au travers de discours politiques des mouvements écologistes qui mettent en
avant l'importance et la place à accorder aux éléments de la Nature et qui insistent sur des relations nature/société envisagées au travers des
dysfonctionnements, des catastrophes, des effets systématiquement négatifs des sociétés sur le milieu physique et notamment sur la flore, les
formations végétales et la faune. Il est important de rappeler que l'objectif poursuivi par les sociétés industrialisées après la Seconde Guerre
Mondiale et pendant ce que l'on a nommé "les trente glorieuses" a été avant tout la croissance économique dont certains acteurs politiques
vont dénoncer les excès contribuant ainsi à alimenter ces nouvelles réflexions sur les rapports nature/société.
A partir des années 1980 un certain nombre de travaux géographiques réexaminent ces relations aboutissant à l'analyse environnementale qui
a désormais trouvé sa place en géographie.
LES DONNEES PHYSIQUES DANS L'ANALYSE GÉOGRAPHIQUE
La majorité des travaux géographiques considèrent aujourd'hui que les facteurs essentiels de
sont à chercher dans les actions multiples des sociétés humaines. Cela exclut naturellement de commencer l'analyse géographique d'un
espace par l'étude des données physiques, du cadre dit naturel qui, en fait, n'est plus le moteur, le déterminant des évolutions sociales qu'il a
pu être dans certaines situations anciennes. Il est donc nécessaire de partir d'autres logiques, qu'il s'agisse des besoins des groupes sociaux,
des distances, ou des données géopolitiques...
La géographie a-t-elle rejeté pour autant toute dimension physique? A cette question d'importance la réponse est non.
L'organisation spatiale et les aménagements effectués par les sociétés à la surface de la planète doivent tenir compte à des degrés divers des
caractères mêmes de la surface de la terre qui n'est pas une surface lisse dépourvue de rugosités.
Quelle que soit l'échelle d'analyse, mondiale, continentale, régionale ou locale, les facteurs physiques sont rarement neutres, ils demeurent
des facteurs d'analyse qui, s'ils ne sont pas toujours premiers dans la hiérarchie des explications, n'en sont pas moins importants voire très
importants.
Les facteurs physiques s'analysent en terme de ressources pour les sociétés, en terme de contraintes et de risques. Le cadre de vie des sociétés
constitue un élément important de préoccupations dans les pays riches au travers d'une législation sur les paysages destinée à leur gestion
voire à leur conservation.
Les questions d'aménagement qu'elles soient envisagées à l'échelle continentale au travers du thème de l'eau par exemple ou dans le cadre de
l'étude de la commune où vit l'élève impliquent toujours à des degrés divers de faire intervenir les données physiques par le biais de l'un ou
de plusieurs des volets précédemment évoqués. L 'analyse géographique prend en compte les choix effectués en matière de ressources, de
risques, de contraintes, de qualité du cadre de vie, pour répondre aux exigences des sociétés, elle s'appuie sur des logiques d'acteurs parfois
conflictuelles.
La science de la planète offre une grande variété de milieu qui ont été plus ou moins anciennement anthropisés et qui sont aujourd'hui plus ou
moins anénagés. On
pourra ainsi montrer le poids des contraintes et les manières de les dépasser utilisées par des sociétés plus ou moins nombreuses, par des
acteurs aux modes de vie traditionnels ou au contraire proche de celui des pays les plus riches, dans les hautes latitudes, les domaines
désertiques, ou les montagnes. A l'opposé il pourra sembler paradoxal d'envisager des facteurs physiques à propos des milieux les plus
artificiels tels les milieux urbains où la qualité de l'air, l'alimentation en eau potable et le traitement des eaux usées constituent des éléments
importants de la gestion et de l'aménagement. Dans la ville la place et le choix des espaces de "nature" qui participent à la qualité de la vie
urbaine, le poids des risques (technologiques, ou naturels) constituent autant de pistes de réflexion et d'études.
La nécessaire connaissance du fonctionnement du géosystème :
Pour parvenir à saisir le poids, la place véritable des facteurs physiques, il convient de connaître les fondements du fonctionnement de ce que
l'on nomme le géosystème composé des données physiques multiples qui interagissent les unes avec les autres: atmosphère, hydrosphère,
lithosphère, biosphère, et qui sont également en interrelations avec la société laquelle constitue le point central du géosystème.
Parmi les éléments à connaître, soulignons l' inégale répartition des températures et des précipitations qui affectent les différents domaines de
la planète et les raisons principales de telles situations. Ces éléments sont indispensables pour étudier les ressources en eau, les éventuelles
limitations à la croissance des végétaux, les ambiances climatiques perçues par les populations et les impacts de tels aspects sur les choix
d'aménagement, ainsi que les risques climatiques. Il devient alors utile de définir ce qu'est le climat par rapport au temps. de préciser la
notion d'irrégularité climatique, d'écart aux moyennes et de distinguer cela de la notion de fluctuation climatique, toute chose qui impose de
réfléchir sur les temporalités.
La connaissance du cycle de l'eau est indispensable à différentes échelles et dans divers domaines bioclimatiques, elle doit permettre
d'estimer l'importance de la ressource pour la société concernée. L'approche géographique ne peut se passer de définir les types de couverts
végétaux et leur importance en terme de ressource, de souligner le rôle protecteur que les couverts denses exercent sur les sols. Cela amènera
à définir la nature des sols, leur intérêt pour la compréhension du fonctionnement des agrosystèmes, ainsi éventuellement que leur fragilité.
Les sols, sont certes des ressources renouvelables, mais selon un temps d'ampleur plunicentennale voire millénaire,
La dynamique des fonds de vallées et des cours d'eau associés constitue un indicateur précieux des données climatiques, des types de roches
et des formes de relief, des divers couverts végétaux et des activités humaines. C'est là un très bon intégrateur des multiples composantes des
bassins versants, composantes passées (héritages) et composantes actuelles, des ruptures (climatiques, anthropiques_) et des continuités.
Il est indispensable de pouvoir décrire et présenter l'originalité physique des milieux montagnards pour en comprendre "la mobilité " à
diverses échelles spatiales et temporelles, pour saisir le rôle majeur de la pente dans la dynamique de l'eau, dans celle de la neige. Tout cela
est nécessaire pour envisager les interrelations existant entre les types d'usages de la montagne et certains de ces caractères physiques. Par
contre les discours si souvent repris sur la tectonique des plaques ne concerne que de très loin le géographe auquel il suffit de constater qu'
existent sur la planète quelles lignes de forces qui justifient la mobilité de la surface terrestre au travers des séismes et des volcans. Il est
aussi utile de caractériser les formes et les dynamiques littorales nécessaire) à connaître pour analyser tout à la fois leur impact sur l'
aménagement des côtes et l'effet de celui-ci sur celles-là.
Des milieux stables tant à l'échelle géologique qu' historique et d'autres instables peuvent ainsi être distingués, le rôle des sociétés parfois
déclencheur de l'instabilité ou au contraire source de stabilité (des dunes par exemples..) apparaît alors clairement.
Sans ces bases indispensables, le risque est grand de se contenter d'un discours du type de celui diffusé par les média, souvent entaché d'à peu
prés et d'inexactitudes, et dans bien des cas non dépouvu d'idéologie.
La démarche systémique proposée qui n'est autre que l'analyse environnementale en géographie ne doit pas être conçue exclusivement
comme une longue litanie de drames et de dysfonctionnements. La société subit certes des risques voire des catastrophes (Seveso, Bophal..).
Il convient néanmoins de critiquer les sources, celles qui traitent de déforestation, qui évoquent l'érosion des sols voire la désertification sans
jamais définir clairement ces notions, sans envisager l'impact des sociétés en terme d'irréversibilité ou de réversibilité, sans tenter d'établir
des seuils, des indicateurs environnementaux dûment discutés et critiqués. Il s'agit aussi de montrer les acquis des sociétés obtenus grâce à
une meilleure maîtrise du milieu physique (maîtrise de l'eau..)
Les sociétés sont dans les pays riches au moins, à l'origine de progrès indéniables: quant à la qualité de l'eau consommée aujourd'hui par
rapport à l'eau bue par nos ancêtres, quant aux effets des écarts thermiques ou pluviométriques, sources de pénuries alimentaires voire de
famines jusqu'à des époques récentes et aujourd'hui jugulés grâce à la recherche agronomique (nouvelles variétés de plantes moins fragiles-)
à la maîtrise de l'eau (irrigation) et bien sûr très largement à l'organisation des marchés et aux possibilités financières des acteurs (l'Etat
notamment). Ces progrés rendent nos sociéts développées moins dépendantes des faits de nature mais paradoxalement aussi plus fragiles face
à certains risques (grosses pluies, tempêtes). Les facteurs naturels paraissent avoir aujourd'hui encore des impacts souvent dramatiques dans
les pays pauvres par le biais des pénuries alimentaires voire des famines, ou des catastrophes naturelles (séismes, volcans, cyclones...),
cependant, une telle situation ne tient pas seulement à la nature loin s'en faut, mais résulte bien plus de l'organisation sociale, des inégalités,
des facteurs géopolitiques qui exacerbent l'effet des irrégularités climatiques, l'impact d'un séisme ou d'une inondation. Tissier J.-L. in Robic
M.-CI (dir) Du milieu à l'environnement. Pratiques et représentations du rapport homme/nature depuis la Renaissance. Econorriica 1992, 344
p. Veyret Y, et Hugonie G. La France , milieux et environnement. la Documentation française.1995 n' 7027. Veyret Y. et Pech P. L'homme
et l'environnement. PUF 2ème édition 1997. 423 p. Veyret Y. Géo-environnement. SEDES 153 p.
Biographie Y.Veyret, professeur à l'Université Paris 7 a préparé une thèse de géographie physique, géomorphologie. Elle s'est ensuite
intéressée aux relations société/ nature, à la place des facteurs physiques dans l'analyse géographique et à l'environnement. Elle s'intéresse
aussi à l'enseignement de la géographie. Y. Veyret est membre du Conseil National des Programmes.

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