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OEUVRES DENAPOLÉON BONAPARTE.
TOME PREMIER.
C.L.F. PANCKOUCKE, Éditeur
MDCCCXXI.
NAPOLÉON BONAPARTE n'existe plus, sa vie appartient à l'histoire; peut-être ne convient-il pas de l'écrireencore, bien des faits doivent être appréciés, bien des passions calmées, bien des intérêts satisfaits, beaucoupd'affections et beaucoup d'inimitiés éteintes avant que l'on puisse parler avec impartialité et raison d'unhomme aussi remarquable dans une période d'événemens si extraordinaires.Beaucoup de faits sont connus, sans doute, mais leur origine est loin d'être éclaircie, et ces faits ne peuventêtre jugés qu'en appréciant sa position, qui l'a toujours commandé, la nature de son génie, qui lui a faitproduire de grandes choses et commettre des fautes.Ce qu'il a écrit, ce qu'il a dit dans les diverses circonstances de son existence militaire et politique, serviramieux à le faire connaître que les discours de ses amis ou de ses ennemis.Son génie est empreint tout entier dans ses lettres écrites durant les campagnes d'Italie et d'Égypte: les lettresse succédaient chaque jour, sa pensée était partout. Sa correspondance durant le consulat n'a pas été moinsactive; nous y avons réuni les notes qu'il faisait alors insérer dans les journaux, et que plusieurs guides sûrsnous ont fait connaître.Nous publierons ensuite ses messages durant le gouvernement impérial, ses ordres du jour, ses proclamations,ses réponses aux députations, ses lettres aux divers souverains, et ces bulletins écrits, sous sa dictée, sur lechamp même de bataille, un moment après la victoire.Nous y joindrons quelques actes émanés de sa seule volonté, et qui ont été comme les bases de songouvernement et de sa politique intérieure, soit pour récompenser ceux qu'il aimait, soit pour punir ceux qu'ilcraignait.Nous ferons connaître, dans la dernière partie, les détails de ses entretiens familiers lors de sa plus grandeélévation, ou dans son exil, et nous terminerons par plusieurs morceaux qu'il écrivit à Sainte-Hélène, et pardes lettres confidentielles qui lui furent adressées à diverses époques.Le premier volume, qui paraîtra plus tard, fera connaître sa généalogie; cette pièce assez étendue a été extraitedes registres de San-Miniato; elle se compose de vingt pièces, remonte jusqu'à 1268, et contient l'histoire detous ses ascendans, elle n'avait jamais été publiée; nous y placerons une histoire chronologique très-détailléede Bonaparte, et présentant tous les faits qui lui sont personnels, sans aucune observation critique. On pourraainsi faire concorder les faits avec ses lettres, ses messages et ses discours
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.OEUVRES DE NAPOLÉON BONAPARTE.1
 
Footnote 1:
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 Nous espérons aussi placer dans ce premier volume un discours que Bonaparte envoya fort jeune pour concourir à un prix proposé par l'Académie de Besançon. On nous a donné l'assurance de nous le faireconnaître. Ce retard nous a forcé à différer la publication du tome premier.
Ce Recueil pourra être placé à côté des Commentaires de César, et des oeuvres de plusieurs illustressouverains. Il rappellera aux militaires les ordres qui ont dicté la victoire; à beaucoup d'autres personnes, leslettres qui leur ont envoyé des faveurs et qui les ont élevées à un rang dont elles jouissent aujourd'hui.Sans doute sa carrière si brillante a été ternie par des actions blâmables; mais que ceux qui seront les moinsindulgens se rappellent cette captivité si longue supportée avec dignité, et cette mort reçue avec calme aumilieu de la solitude de l'Océan; cette mort de celui dont tous les rois et leurs cours devaient porter le deuil;qu'ils se rappellent ces paroles du souverain qui fera plus par sa sagesse et par le temps pour le bonheur de laFrance, que Napoléon ne fit par sa rapidité et par ses armes, qui eut réellement le plus à s'en plaindre, et qui,parlant au fils adoptif de Bonaparte, lui dit:
 J'ai souvent admiré celui que vous aimez
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OEUVRES
DE NAPOLÉON
BONAPARTE
LETTRE
DE M. BUONAPARTE
A M. MATTEO BUTTAFOCO,
DÉPUTÉ DE LA CORSE A L'ASSEMBLÉE NATIONALE.
MONSIEUR,Depuis Bonifacio au cap Corse, depuis Ajaccio à Bastia, ce n'est qu'un chorus d'imprécations contre vous. Vosamis se cachent, vos parens vous désavouent, et le sage même, qui ne se laisse jamais maîtriser par l'opinionpopulaire, est entraîné cette fois par l'effervescence générale.Qu'avez-vous donc fait? Quels sont donc les délits qui puissent justifier une indignation si universelle, unabandon si complet? C'est, monsieur, ce que je me plais à rechercher, en m'éclairant avec vous.L'histoire de votre vie, depuis au moins que vous vous êtes lancé sur le théâtre des affaires, est connue. Sesprincipaux traits en sont tracés ici en lettres de sang. Cependant, il est des détails plus ignorés: je pourraisalors me tromper; mais je compte sur votre indulgence et espère dans vos renseignemens.Entré au service de France, vous revîntes voir vos parens: vous trouvâtes les tyrans battus, le gouvernementnational établi, et les Corses, maîtrisés par les grands sentimens, concourir à l'envi, par des sacrificesOeuvres de Napoléon BonaparteMDCCCXXI.2
 
 journaliers, à la prospérité de la chose publique. Vous ne vous laissâtes pas séduire par la fermentationgénérale: bien loin de là, vous ne vîtes qu'avec pitié ce bavardage de patrie, de liberté, d'indépendance, deconstitution, dont l'on avait boursouflé jusqu'à nos derniers paysans. Une profonde méditation vous avait dèslors appris à apprécier ces sentimens factices, qui ne se soutiennent qu'au détriment commun. Dans le fait, lepaysan doit travailler, et non pas faire le héros, si l'on veut qu'il ne meure pas de faim, qu'il élève sa famille,qu'il respecte l'autorité. Quant aux personnes appelées par leur rang et leur fortune au commandement, il n'estpas possible qu'elles soient long-temps dupes, pour sacrifier à une chimère leurs commodités, leurconsidération; et qu'elles s'abaissent à courtoiser un savetier, pour finale de faire les Brutus. Cependant,comme il entrait dans vos projets de vous captiver M. Paoli, vous dûtes dissimuler: M. Paoli était le centre detous les mouvemens du corps politique. Nous ne lui refuserons pas du talent, même un certain génie: il avaiten peu de temps mis les affaires de l'île dans un bon système: il avait fondé une université où, la première foispeut-être depuis la création, l'on enseignait dans nos montagnes les sciences utiles au développement de notreraison. Il avait établi une fonderie, des moulins à poudre, des fortifications qui augmentaient les moyens dedéfense: il avait ouvert des ports qui, encourageant le commerce, perfectionnaient l'agriculture: il avait crééune marine qui protégeait nos communications, en nuisant extrêmement aux ennemis. Tous ces établissemens,dans leur naissance, n'étaient que le présage de ce qu'il eût fait un jour. L'union, la paix, la liberté étaient lesavant-coureurs de la prospérité nationale, si toutefois un gouvernement mal organisé, fondé sur de faussesbases, n'eût été un préjugé encore plus certain des malheurs, de l'anéantissement total où tout serait tombé.M. Paoli avait rêvé de faire le Solon; mais il avait mal copié son original: il avait tout mis entre les mains dupeuple ou de ses représentans, de sorte qu'on ne pouvait exister qu'en lui plaisant. Étrange erreur! qui soumet àun brutal, à un mercenaire, l'homme qui, par son éducation, l'illustration de sa naissance, sa fortune, est seulfait pour gouverner. À la longue, un bouleversement de raison si palpable ne peut manquer d'entraîner la ruineet la dissolution du corps politique, après l'avoir tourmenté par tous les genres de maux.Vous réussîtes à souhait. M. Paoli, sans cesse entouré d'enthousiastes ou de têtes exaltées, ne s'imagine pasque l'on pût avoir une autre passion que le fanatisme de la liberté et de l'indépendance.Vous trouvant de certaines connaissances de la France, il ne daigna pas observer de plus près que vos paroles,les principes de votre morale: il vous fit nommer pour traiter à Versailles de l'accommodement qui s'entamaitsous la médiation de ce cabinet. M. de Choiseul vous vit et vous connut: les âmes d'une certaine trempe sontd'abord appréciées. Bientôt, au lieu du représentant d'un peuple libre, vous vous transformâtes en commis d'unsatrape: vous lui communiquâtes les instructions, les projets, les secrets du cabinet de Corse.Cette conduite, qu'ici l'on trouve basse et atroce, me paraît à moi toute simple; mais c'est qu'en toute espèced'affaire, il s'agit de s'entendre et de raisonner avec flegme.La prude juge la coquette et en est persiflée; c'est en peu de mots votre histoire.L'homme à principes vous juge au pire; mais vous ne croyez pas à l'homme à principes. Le vulgaire, toujoursséduit par de vertueux démagogues, ne peut être apprécié par vous, qui ne croyez pas à la vertu. Il n'est permisde vous condamner que par vos principes, comme un criminel par les lois; mais ceux qui en connaissent leraffinement, ne trouvent dans votre conduite rien que de très-simple. Cela revient donc à ce que nous avonsdit, que, dans toute espèce d'affaires, il faut d'abord s'entendre, et puis raisonner avec flegme. Vous avezd'ailleurs par devers vous une sous-défense non moins victorieuse, cas vous n'aspirez pas à la réputation deCaton ou de Catinat: il vous suffit d'être comme un certain monde; et, dans ce certain monde, il est convenuque celui qui peut avoir de l'argent sans, en profiter est un nigaud; car l'argent procure tous les plaisirs dessens, et les plaisirs des sens sont les seuls. Or, M. de Choiseul, qui était très libéral, ne vous permettait pas delui résister, lorsque surtout votre ridicule patrie vous payait de vos services, selon sa plaisante coutume, del'honneur de la servir.Oeuvres de Napoléon BonaparteDÉPUTÉ DE LA CORSE A L'ASSEMBLÉE NATIONALE.3

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