- Cette thèse est aujourd’hui largement contestée (ainsi que la notion même de révolution
agricole). D’abord, les mutations agricoles ne surviennent que tardivement : 1830 en Grande-
Bretagne et 1840-1850 en France (donc après le « décollage industriel »). Les enclosures
n’ont pas vraiment constitué une « armée de réserve » => il n’y a pas eu dans les faits de
véritable transfert massif et rapide de main d’œuvre vers l’industrie. Ainsi, les progrès de
l’agriculture n’ont pas engendré la Révolution industrielle mais l’ont plutôt accompagné => la
révolution agricole n’a pas été une condition préalable ni nécessaire à la croissance
économique. En revanche, la mutation industrielle a sensiblement accéléré la modernisation et
l’efficacité de l’exploitation du sol.
B/ La révolution démographique
- La Révolution démographique a pu apparaitre comme un élément déterminant pour
expliquer la Révolution industrielle. Les analystes marxistes ont vu dans l’essor
démographique, un élément de surpopulation des campagnes qui a permis de fournir une main
d’œuvre abondante et donc bon marché à l’industrie naissante. C’est un fait qu’il y ait une
forte croissance démographique à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle : début de la
transition démographique => producteurs et consommateurs, plus nombreux, stimulent la
mutation économique. En effet, la population double en Grande-Bretagne entre 1750 et 1800
=> période de forte croissance économique. La population augmente rapidement en
Allemagne et aux EU dans les années 1840-1850, pendant le décollage industriel. En Russie,
la population double dans la période 1850-1900 qui correspond aussi au décollage industriel.
- Mais malgré les coïncidences statistiques, le lien direct entre révolution démographique et
Révolution industrielle n’est pas si évident. Ainsi, le RU n’a pas été le pays le plus dynamique
démographiquement alors que son processus d’industrialisation a été le plus rapide et
important d’Europe. Les chronologies de la croissance économique ne sont pas toujours
concordantes avec celles de la croissance démographique (en Belgique, par exemple) => en
2
réalité on peut estimer que les deux Révolutions (industrielle et démographique) interagissent
l’une sur l’autre.
- En réalité, il faut ramener à de justes proportions les profits tirés de la traite négrière. Le
taux de profit (= profit / capital investit X 100) de ce commerce est estimé à seulement 7 –
15%. La place tenue par les profits de la traite dans l’investissement consacré à la révolution
industrielle est estimée à 0,1% par an. Lorsqu’elle a existé, cette accumulation du capital
agricole et commercial n’a guère pu contribuer à l’investissement industriel pour deux
raisons :
➢ L’inexistence ou l’inefficacité de l’appareil bancaire => ses structures ne permettent
pas en effet d’organiser de transfert financier en direction de l’industrie naissante.
➢ L’attrait considérable qu’exercent d’autres placements assurant une sécurité
incomparable : achats d’offices (métiers publics), acquisition de terres…
Ainsi, en France, il y a un véritable désintérêt du capital commercial pour l’investissement
industriel.
- Autre raison de la faiblesse des liens directs entre accumulation du capital et Révolution
industrielle => les investissements nécessaires au démarrage économique ont été très réduits.
Exemple : pour l’industrie textile, (la 1e à se développer) : très faible apport financier initial
nécessaire à la création d’une entreprise. Pourquoi ?
➢ D’abord parce que ces entreprises sont au début de taille très réduite
➢ Parce que les machines à l’époque ne coûtent pas très cher.
➢ Parce que les besoins en capital fixe sont réduits (installation fréquente des usines
dans des locaux déjà existants : maisons particulières, fermes, hangars…)
➢ Parce que de nombreux entrepreneurs ont plusieurs activités, ce qui leur procure des
revenus suffisants pour investir leurs fonds propres.
➢ Parce qu’au début de la Révolution industrielle, les profits sont très hauts : 20 à 30%
(faibles coûts techniques et la modicité du capital fixe) => ces profits sont
systématiquement réinvestis => autofinancement très fréquent.
L’industrie nourrit donc son propre développement. Exemple : l’industrie anglaise, finance
elle-même l’essentiel de sa mutation. Il faut attendre l’ère des chemins de fer et de l’industrie
lourde pour que des capitaux extérieurs soient nécessaires. Le système bancaire doit alors
s’adapter pour répondre à ces nouveaux besoins en termes d’investissement => cela se passera
plusieurs décennies après le décollage industriel.
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- Max Weber dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, (1905) établit un lien
entre religion protestante et esprit d’entreprise, entre niveau d’instruction et développement
économique. De la religion protestante puritaine (le calvinisme) aurait surgi une mentalité
économique rationnelle et moderne : le capitalisme => le travail dure et austère est le but
véritable de la vie. Entreprendre et rechercher la réussite sont des signes de l’élection divine
(les Calvinistes croient en la prédestination). Le profit et la réussite sont vécus comme un
devoir divin (alors que le luxe et la débauche sont condamnables). Max weber montre que les
protestants ont été les premiers à se lancer dans les affaires capitalistes en respectant des
valeurs puritaines : goût pour l’épargne (permettant l’accumulation de capital), pour l’effort,
pour la lecture (de la Bible) et donc la réflexion intellectuelle…
- Pourtant Weber ne prétend pas que l’éthique calviniste soit la condition nécessaire et
suffisante à l’avènement du capitalisme britannique. D’autres facteurs expliquent aussi la
mutation fondamentale des valeurs et des mentalités des Anglais dès le début du 18e siècle :
➢ Un Etat nation moderne et efficace
➢ une monarchie constitutionnelle stable et assez démocratique,
➢ une politique gouvernementale qui reconnait le profit individuel et le développement
économique comme un objectif suprême...
➢ les progrès de la science et de l’esprit rationaliste
On peut douter de la causalité mise en évidence par Weber : protestantisme et capitalisme ne
sont peut-être pas cause et conséquence mais deux conséquences d’une même cause.
- Si ces facteurs politiques, idéologiques ou culturels ont sans doute joué un rôle non
négligeable, il ne faut pas pour autant les considérer comme suffisants. En fait, la croissance
industrielle ne résulte pas d’une série de modernisations sectorielles (progrès successifs dans
l’agriculture, puis la démographie, puis le commerce extérieur, puis le capital accumulé, puis
la technique…) mais comme une croissance d’ensemble qui lie tous les progrès de façon
« irréversible et inter reliée » (Fernand Braudel : Le Temps du monde, 1979.) Il existe donc
un faisceau convergent d’éléments favorables à la Révolution industrielle.
- Douglas North (né en 1920) économiste américain, prix Nobel d’économie en 1993, montre
dans son étude sur La Croissance économique des USA, 1790-1860, (1961) que le capitalisme
suppose d’abord une économie de marché => il propose un modèle de croissance de type
néoclassique => la croissance n’est possible que si les agents économiques coopèrent et les
institutions créent un environnement favorable aux échanges. D’après lui, le marché est le
moteur essentiel du changement économique. A l’origine de la Révolution industrielle
américaine, il y a, non pas comme certains l’avaient prétendu la guerre civile, mais l’appel du
marché, c'est-à-dire la croissance accélérée de la demande à partir de 1750 (au contraire la
guerre a interrompu le processus de croissance déjà engagé). Cette extension du marché
s’effectue d’abord à l’intérieur du pays (importance de la croissance démographique).
- L’Angleterre à la fin du 18e siècle offre l’exemple d’un marché de type nouveau : le plus
grand marché homogène du monde avec 2 caractéristiques fondamentales :
➢ Une circulation aisée => l’Angleterre des années 1760 – 1800 ne connait déjà plus
les douanes intérieures (qui ralentissent la circulation dans les autres pays européens
et en augmentent les coûts comme c’est le cas dans la France d’Ancien Régime).
L’Angleterre dispose également d’un bon réseau de voies de communication (canaux
et routes) => rapide intégration des campagnes à l’économie de marché.
➢ Une consommation de masse : origine => hausse constante des revenus d’une
grande partie de la population. Exemple : progression des salaires pour la main
d’œuvre non qualifiée, 20% à Londres et 50% dans certaines régions comme le
Lancashire en valeur nominale. Le revenu moyen britannique est le plus élevé
d’Europe au début du 19e siècle : Anglais et Gallois sont les mieux alimenté
d’Europe (pain blanc, viande, produits laitiers).
Pouvoir d’achat en hausse + structure sociale plus égalitaire = augmentation de la
demande globale de biens de consommation (chaussures en cuir, habits en laine puis
en coton, meubles…) => début de standardisation des biens de consommation.
Jean Pierre Rioux, historien français né en 1939, écrit dans La Révolution industrielle,
(1999) :« au marché ancien où les produits de luxe sont absorbés par une minorité de
privilégiés se substitue le marché moderne de masse, géographiquement et socialement
étendu » => il existe un modèle britannique de consommation.