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Histoire et analyse de la construction du concept de développement durable : de la

primauté de l’économie à la reconnaissance de la transversalité des savoirs

Bionote : L’auteur est docteur en socioéconomie du développement (EHESS, 1997), professeur à


l’Ecole d’Administration Publique de l’Université Fédérale de Bahia (UFBA, à Salvador), chercheur
au Centre de recherches sur le pouvoir et les organisations locales (NEPOL/UFBA), professeur invité
au DEA de Relations Internationales de l’Université Fédérale de Rio Grande do Sul (UFRGS, à Porto
Alegre) et professeur invité au Doctorat de Développement régional de l’Université de Santa Cruz do
Sul (UNISC). Ses publications les plus récentes portent sur l’environnement et les relations
internationales, ainsi que l’analyse critique du discours et des pratiques de la coopération
internationale en matière de gouvernance démocratique, de participation de la société civile et de
renforcement du capital social. Avec le soutien financier de la Fondation de la recherche scientifique
de Bahia (FAPESB), il mène actuellement un projet de recherche sur les connections entre le capital
social et le développement local (email pour contact : cmilani@ufba.br).

Résumé : Le concept de développement durable a gagné à nos jours, un statut d'importance qui
dépasse le débat sur l'environnement global et s'insère dans le cadre plus général des politiques de
développement, surtout à partir de la publication du Rapport Brundtland de 1987. Les définitions de
développement durable sont très variées , pourtant il y a un certain consensus autour de l'équilibre
nécessaire entre les trois axes société, économie et environnement, mais également en ce qui concerne
les rapports entre les générations présentes et futures. Un certain mode de développement, fondé sur le
recul à l'infini des limites physiques de la planète, serait devenu caduc et sa poursuite aux différentes
échelles spatiales et temporelles serait clairement impraticable pour l'humanité toute entière. Le
développement durable est rentré définitivement dans l'ordre du jour international de l'économie du
développement. La question centrale reste, néanmoins, celle de la densité de cette révolution dans la
pensée sur le développement. Y a-t-il eu une véritable révolution épistémologique à partir de la notion
de développement durable ? Quelles sont les bases théoriques de ce concept ? Dans quelle mesure
représente-t-il un élément central du renouvellement de la pensée économique ? Quels sont les
« savoirs » qui intègrent la définition de ce qui est durable et de ce qui ne l’est pas ? Comment s’établit
le dialogue entre les savoirs académiques (« solaires ») et les savoirs autochtones (« lunaires ») ? Voilà
des questions essentielles dont nous débattrons au cours de cet article.

Table des matières :

L’affirmation historique, politique et scientifique du développement durable ................................................1


Les années 1960-1980 et les transformations du développement..........................................................................2
La pensée socioéconomique sur le développement durable....................................................................................4
L'économique et le vivant : la bioéconomie...............................................................................................................7
Le développement durable dans le World Conservation Strategy....................................................................... 10
L'éco-développement ................................................................................................................................................... 12
L'Ecological Economics .............................................................................................................................................. 17
Le Rapport Brundtland ................................................................................................................................................ 17
La Conférence de Rio de Janeiro et après ................................................................................................................. 21
Quelques limites du concept de développement durable....................................................................................... 24
La structure des savoirs dans les relations sociales : les savoirs de l’écologie ................................................. 29
Les savoirs solaires et les savoirs lunaires dans la définition du développement durable ........................... 33
Le développement durable entre l’universel et le particulier.............................................................................. 39
Références bibliographiques......................................................................................................................................... 40
L’affirmation historique, politique et scientifique du développement durable

La notion d'un développement durable 1 était déjà à l'ordre du jour de la Conférence


des Nations Unies sur l’Environnement Humain, tenue à Stockholm en 1972. Tout de suite
après, il a été repris et retravaillé par plusieurs économistes et sociologues, dont Sachs,
Riddell et Glaeser. Les définitions de développement durable sont très variées ; il y a
néanmoins un certain consensus autour de l'équilibre nécessaire entre les trois axes société,
économie et environnement, mais également en ce qui concerne les rapports entre les
générations présentes et futures. Un certain mode de développement, fondé sur le recul à
l'infini des limites physiques de la planète, serait devenu caduc et sa poursuite aux différentes
échelles spatiales et temporelles serait clairement impraticable pour l'humanité toute entière.
Les différents programmes et agences spécialisées des Nations Unies (dont notamment
le PNUE et l'UNESCO), ainsi que l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature et
des Ressources Naturelles (IUCN, appelé aujourd'hui World Conservation Union) ont soutenu
ce concept dès le début. Le développement durable a également été au centre des discussions
et conclusions de la Stratégie Mondiale pour la Conservation (World Conservation Strategy,
IUCN, 1980), ainsi que du Rapport de la Commission Mondiale sur l'Environnement et le
Développement (Rapport Brundtland, "Notre avenir à tous", avril 1987).
Il est vrai, néanmoins, que le concept de développement durable a gagné à nos jours,
un statut d'importance qui dépasse le débat sur l'environnement global et s'insère dans le cadre
plus général des politiques de développement, surtout à partir de la publication du Rapport
Brundtland de 1987. Cette même année, l'Institut International pour l'Environnement et le
Développement organisa, à Londres, une conférence au cours de laquelle le Président de la
Banque Mondiale, à l'époque Louis Preston, annonça les premiers changements de leur
politique en matière de développement et d'environnement. Le développement durable (ou
soutenable, ou viable) rentrait définitivement dans l'ordre du jour international de l'économie
du développement.
L'harmonisation des intérêts à la fois des agences de développement et des groupes de
pression pour l'environnement est remarquable, mais pas vraiment accidentelle . Cette
démonstration très médiatisée de la coalition entre ces deux domaines de la coopération
internationale peut être considérée comme le résultat des pressions écologiques et de la
montée d'un processus de conscientisation mondiale, notamment autour de s changements
climatiques (dont la disparition de la couche d'ozone), de la protection de la biodiversité, des
dangers du nucléaire (surtout à la suite de Tchernobyl) et, plus récemment, des risques
associés à l’utilisation économique des organismes génétiquement modifiés (OGMs).
La question centrale reste, néanmoins, celle de la densité de cette révolution dans la
pensée sur le développement. Dans quelle mesure y a-t-il eu vraiment un "greening" du
développement ? Y a-t-il eu une véritable révolution épistémologique à partir de la notion de
développement durable ? Ce concept a-t-il de véritables bases théoriques ? Ou alors
reposerait-il seulement sur des truismes qui tombent l'un après l'autre comme châteaux de
cartes ? Dans quelle mesure représente-t-il un élément central du renouvellement de la pensée
économique ? Quels sont les «savoirs » qui intègrent la définition de ce qui est durable et de
ce qui ne l’est pas ? Comment s’établit le dialogue entre les savoirs académiques et les savoirs

1
L'expression en anglais sustainable development a été traduite comme "développement soutenable", "développement
durable" et, plus récemment, "développement viable". L'usage s'est imposé de parler de "développement durable", devenue
l'expression la plus courante dans le milieu international. Nous utilisons les trois expressions comme étant synonymes.

1
dits traditionnels ? Voilà des questions essentielles dont nous voulons débattre au cours de cet
article.

Les années 1960-1980 et les transformations du développement


Les résultats de la première Décennie des Nations Unies pour le Développement ont
été très mitigés : les pays du Sud ont connu un taux de croissance du PNB de 6% par an en
moyenne aux années 1960-1970. Par la suite, après la période d'instabilité monétaire
internationale, qui a débuté en 1970, et avec l'augmentation des prix du pétrole en 1973, la
croissance diminuait progressivement. En Afrique sub-saharienne, où les désastres
écologiques aggravèrent la situation économique et sociale, la croissance a été fortement
réduite au milieu des années 1970. Néanmoins, grâce, en partie, à l'augmentation des prix du
pétrole dont bénéficièrent quelques pays d'Afrique du Nord, du Moyen Orient et d'Amérique
Latine, le taux de croissance moyenne des pays du Sud a été de 5%, entre 1970 et 1980. Ces
taux élevés de croissance économique n'ont pas été accompagnés d'un ensemble de politiques
sociales strictement nécessaires à la réduction des inégalités et aux objectifs de bien-être de la
population.
Pour la plupart des pays en développement, la période 1960-1980 correspondait, en
fait, à un ensemble de "politiques de croissance" fondées sur un modèle de dépendance
technologique et scientifique et sur l'oubli de la dimension socioculturelle et
environnementale du développement. Les effets sur l'environnement ont été d'une envergure
considérable; du coup, les mouvements écologistes se sont nourris des difficultés des
politiques de développement pour essayer d'en engendrer une nouvelle. La fin des années
1970 est marquée par l'inscription définitive de la crise à l'ordre du jour mondial : la deuxième
crise du pétrole de 1979, l'augmentation des taux d'intérêt internationaux, l'explosion de la
dette externe des pays du Sud. Les problèmes financiers constitueront le noeud des relations
Nord-Sud et la décennie 1980 sera marquée par les problèmes liés à l'endettement extérieur.
A cette crise économique et financière est venue se greffer la conscience d'une crise
écologique. De la désertification au manque de combustible naturel, de la déforestation à la
problématique de l'énergie, du réchauffement de la planète à l'éventuelle disparition de la
couche d'ozone, les politiques de développement seraient analysées, elles aussi, dans la
perspective des ressources disponibles, de la gestion de l’environnement, des modes de
production et des styles de consommation. Cela ne veut pas dire que l'environnement et le
développement se soient unifiés en tant que problématique de façon immédiate au cours des
années 1970 : ils ont maintenu (et, dans une large mesure, maintiennent encore) de façon
indépendante et séparée, leur propre cadre d'analyse théor ique, leur métalangage, leur
littérature, leur agenda scientifique et leur agenda politique. Jusqu'à très récemment, le
préjugé disciplinaire séparant le développement de l’environnement a été très fort. Le clivage
institutionnel entre l’environnement et les finances ou le développement industriel est encore
à nos jours central dans l’organisation des ministères et dans le processus de prise de
décisions politiques 2.
Aux années 1960/1970, notamment dans les pays en développement, l'économie du
développement - discipline économique née au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et
très influencée par le contexte historique de décolonisation et l'optimisme sur l'efficacité de
nouvelles formes de solidarité et de coopération internationales - avait fondé ses premiers
2
Au Brésil, par exemple, au sein du gouvernement Lula, les discussions sur l’utilisation économique des plantations de soja
transgénique tendent à l’emporter sur les éventuels dégâts provoqués à la santé de l’homme et à la biodiversité environnante :
le Ministère de l’agriculture défend la libération du soja transgénique, alors que le Ministère de l’environnement adopte le
principe de la précaution et la délibération sur la loi de la biosécurité.

2
principes sur la formation du capital, présenté comme moteur de la croissance économique.
La première grande rupture au sein de l’économie du développement a eu lieu avec la Théorie
de la Dépendance : d'inspiration structuraliste, l'école de pensée fondée par Raúl Prebish et
Hans Singer s'est considérablement développée au sein de la Commission économique des
Nations Unies pour l'Amérique Latine (CEPAL) et soutenait que le nouveau paradigme du
développement soulevait principalement le problème de la détérioration des termes de
l'échange des PVD.
Pour les cépaliens, les problèmes d'environnement trouvent leur origine dans une
longue histoire des structures sociales et physiques basées sur de fausses prémices. Les
premières critiques d'un développement économique laxiste en matière écologique et sociale
sont venues, elles aussi, d'une pensée structuraliste, dont le point de départ a été le combat à la
mainstream economics. Brièvement résumée, cette pensée structuraliste considère les
préférences et les facteurs technologiques comme étant endogènes au système économique et
accorde une place centrale au social dans l'analyse économique. C'est le cas de différentes
versions structuralistes de la pensée sur le développement : l'économie de l'innovation, l'école
de la régulation et l'approche nord-américaine à la "Social Structure of Accumulation" en sont
des exemples.
Une autre version de cette stratégie de rupture a été développée par les auteurs
soviétiques dans le cadre de la théorie de la voie non capitaliste du développement. Énoncée à
la Conférence des 81 partis communistes réunis en novembre 1960 à Moscou, cette théorie
devient, à partir de 1970, l'axe principal du discours soviétique sur le monde en
développement. Appelant à un rejet du capitalisme en tant que système, cette nouvelle voie
défendait le développement d'abord dans le domaine politique par l'éviction du pouvoir des
"forces pro-impérialistes" et par une politique de coopération avec les pays du bloc socialiste.
Depuis l'implosion du socialisme réel, il est difficile de préciser ce que sera l'héritage de ces
visions du développement, si héritage il y en a.
Alors que les instances économiques de Bretton Woods maintenaient encore la
promesse illusoire du développement faite aux pays du Tiers Monde au cours des années 1950
et 1960 au moyen de la mobilisation d'un volume croissant de capitaux et du transfert des
technologies, le début des années 1970 a été marqué par la remise en question – il s’agit d’une
troisième rupture importante au sein de l’ économie du développement – des politiques
classiques de développement. Le bilan des résultats obtenus en partie grâce aux analyses,
voire aux conseils des économistes du développement était très négatif : la croissance du
revenu n'avait pas bénéficié à l' ensemble de la société, les riches étant devenus plus riches et
les pauvres plus pauvres. Autrement dit, les promesses du très connu "ruissellement des
produits de la richesse" (trickle down theory), tant attendues, ne s'étaient donc pas réalisées.
Comme le souligne Nasser Pakdaman, c'est à partir de ces trois catégories de rupture
que commence un long mouvement vers l'élargissement du champ d'étude de l'économie du
développement, illustré par toute une série d'efforts d'évaluation critique et de dépassement
des acquis – ceci afin de prendre en considération des objectifs moins strictement
économiques et plus multidimensionnels. Les économistes se rendent compte que la
complexité du concept de développement demeure lui-même l'un des sujets essentiels de la
science économique; d'où le besoin de repenser l'objet même de la politique de
développement (Pakdaman, 1994). L'emploi, la lutte contre la pauvreté, la stratégie des
besoins essentiels (basic needs) sont les nouveaux éléments d'analyse des problèmes du
développement. Les initiatives orientées vers un autre développement ne cessèrent de se
multiplier : le développement endogène respectueux de l'identité culturelle et des modes de
vie de chaque société (UNESCO), le développement autosuffisant (self-reliant),
écologiquement juste et fondé sur la transformation des structures sociales (Fondation Dag

3
Hammarskjöld), ainsi que le nouvel ordre économique international (CNUCED) en sont des
exemples.
D'autres tentatives de reformulation de la problématique du développement se sont
fondées sur le besoin de prise en compte de l'environnement. Le sujet écologique est venu
réaffirmer l'échec d'un modèle économique trop laxiste en matière de protection de la nature,
qu'il soit basé sur le marché ou sur la planification centralisée. C'est pourquoi les postulats de
la rationalité traditionnelle et illimitée sont remis en cause et une nouvelle pensée économique
se bâtit sur l'harmonisation entre la société, l'environnement et le développement, ainsi que le
besoin d'internalisation des coûts écologiques.
La question de l'environnement interpelle donc également l'économiste du
développement et cela pour une triple raison : d'abord, la multiplication des pollutions est le
produit d'une mise en synergie toujours plus importante de l'activité économique et du progrès
technologique; ensuite, le nombre croissant des problèmes d'environnement (pollutions en
général, destruction du milieu naturel, dégradation de la qualité de la vie) et de société
(chômage, précarité de l'emploi, exclusio n) remettent en question les finalités du
développement économique; enfin, les économistes sont appelés à concevoir des instruments
susceptibles de résoudre le problème des atteintes au milieu (Maréchal, 1995).
Toutefois, il ne faudrait pas, non plus, faire l'impasse sur le caractère souvent
dramatique et fragile des informations et des causalités établies, ni sur le manque de clarté sur
la relation entre environnement et développement. Grosso modo , la conscience de la nécessité
de repenser le statut de l'environnement dans les processus économiques n'a pas été, dès le
début, accompagnée d'analyses scientifiques de la réalité économique, sociale et
environnementale des régions en développement comme de celles des pays industrialisés. Les
savoirs académiques, trop disciplinaires, ont au début connu une difficulté importante à
appréhender l’environnement dans sa complexité et richesse. Les savoirs non-scientifiques ont
souvent fait l’objet d’exclusion de ce débat, notamment pendant cette période historique.
Nous allons examiner, ci-après, les différentes initiatives et écoles de la pensée sur le
développement qui - à partir des années 1970 jusqu'à la publication du Rapport de la
Commission Brundtland - ont préparé l'entrée définitive du concept de développement
durable dans l'agenda international à la Conférence des Nations Unies sur le développement
et l’environnement, tenue à Rio de Janeiro en juin 1992.

La pensée socioéconomique sur le développement durable


Le concept de développement durable est au centre des essais visant à remettre en
question cette division entre le développement et l'environnement. Son histoire est étroitement
liée à l'évolution de la conscience écologique et des comportements des populations envers la
nature. Différents concepts de développement durable étaient à la base de l'idéologie
environnementaliste en Europe et en Amérique du Nord dans les années 1960/1970, bien que
ses sources les plus anciennes puissent être retrouvées dans les politiques de conservation de
la nature au XIXe siècle et, également, dans l'évolution de l'écologie tropicale au XXe siècle.
Au courant des années 1950, une vision globaliste de l'environnement et de la
problématique démographique a orienté le débat mondial sur le développement. En 1954,
Fairfield Osborn, par exemple, écrivait que l'homme prend conscience des limites de la
Planète; l'isolement d'une nation, voire d'une tribu, n'est plus envisageable dans le monde
actuel (Osborn, 1954, p. 11). A cette même époque, sous la direction de Julian Huxley,
l'UNESCO s'est mise à produire des recherches scientifiques sur les relations entre population
et développement. Grosso modo, les analyses des interrelations entre la population,
l'environnement et le développement sont parties du constat suivant : la population ne cesse

4
de croître, tandis que l'environnement est limité et, au surplus, se détériore. Les relations entre
les deux facteurs fondamentaux (environnement et population) seraient d'ordre quantitatif et
qualitatif : à partir d'une certaine échelle, les changements quantitatifs induisent des
changements qualitatifs sans précédents (Tabah, 1994). La détérioration de l'environnement
conjuguée à un accroissement excessif de la population pourrait ainsi entraîner à son tour des
changements dans la qualité de la vie des populations.
Les dérives néomalthusiennes qui ont découlé du relief mis sur les relations
population-développement dans l’analyse de la problématique environnementale sont très
connues : la revue Nature, par exemple, publiait en 1952 que l'augmentation de la fertilité des
sols était absolument nécessaire face à l'explosion démographique de la race humaine. Des
thèses néo-malthusiennes relatives aux dangers d'explosion démographique ont été
développées sans que soient abordées les questions essentielles du partage des richesses et des
différences entre les styles de vie. Daniel Joseph Hogan, de l'UNICAMP (Universidade
Estadual de Campinas, Brésil), par exemple, a dénoncé la domination des visions néo-
malthusiennes dans la bibliographie sur la problématique population-environnement : la
pression du nombre sur les ressources, la responsabilité de la pression démographique dans
les processus de désertification, de famine, d'épuisement des ressources, de dégradation du
milieu naturel sont à la base des analys es plus courantes sur les rapports population-
environnement ; rares sont les auteurs qui considèrent le facteur démographique comme
faisant partie d'un ensemble socio-économico-écologique, ce qui pourrait ouvrir la porte à une
analyse empirique et plus glo bale du rôle des dynamiques démographiques (fertilité, mortalité
et migration) dans le processus de développement (Hogan, 1994). Cet appel à la raison émis
par le démographe brésilien démontre que les cris alarmistes des néo-malthusiens, en effet,
ont été à l'origine du développement des théories du Club de Rome dans les années 1970 et de
la révolution verte dans les pays du Tiers Monde. L'image du spectre malthusien de
l'épuisement des ressources alimentaires fut renforcée par les ouvrages Les limites de al
Croissance, écrit à la demande du Club de Rome (Meadows, 1972), et L'encerclement, de
Barry Commoner (Commoner, 1972).
Or, en même temps, ces études à tendance néo-malthusienne ont contribué à ce que la
dimension humaine de la problématique de l'environnement ne soit pas oubliée. Serait-il
possible de parler de l'environnement en faisant abstraction de la population humaine? Les
démographes ont collaboré, eux aussi, à ce que le terme "environnement" ne soit pas amputé
de son "qualificatif humain" : pour parler d’environnement et non seulement de nature ou de
conservation, il ne faudrait pas négliger la dimension humaine du développement durable. La
durabilité inclurait également une dimension sociale et humaine, ce que les "écologistes
profonds" (les deep greens) dénonceraient comme intrinsèquement « anthropocentrique ».
Plus tard, pendant les années 1960, avec la montée en flèche des problèmes de
pollution transfrontalière et la menace nucléaire, la pensée globalisante de l'environnement
était en plein essor et les débats ont porté essentiellement sur les limites naturelles imposées
au politiques de croissance soutenue. On abandonne le relief mis sur les effets de la
population pour donner davantage d’importance à l’aspect global de l’environnement. En
1966, Kenneth Boulding créa l'expression "spaceship earth ", qui deviendrait lieu commun
quelques années plus tard (dans son article "The economics of the coming spaceship Earth").
Là aussi, le Rapport Meadows de 1972 propose un modèle à l'échelle planétaire (le premier),
fondé sur le fait que l'espace extérieur illimité ne résiste plus à un processus de
« civilisation prédatrice ».
Le moment de la Conférence de Stockholm est arrivé en 1972 sans que le début du
processus de prise de conscience écologique des années 1950/1960 n'ait contribué à atténuer
l'opposition entre le développement et l’environnement. L'alliance intellectuelle entre les

5
mouvements écologiques du Nord et les économistes néoclassiques autour de la question
démographique ne prenait pas en considération les réalités sociales des pays moins
développés ou les différences au niveau de la consommation énergétique et celles des styles
de vie. En réponse au Rapport Meadows – qui prévoyait de façon alarmiste le danger
d'épuisement des ressources naturelles et, du coup, la nécessité d'un contrôle démographique à
l'échelle mondiale – un modèle tout opposé a été élaboré par la Fondation Bariloche
(Argentine) : son titre était Les limites de la misère. A l’opposition simpliste entre
développement et environnement se créa donc une autre, également linéaire, entre
environnement et pauvreté.
En conséquence, le débat économique s'envenimait du fait de l'opposition entre les
politiques de contrôle de la croissance économique (excessive) et celles de lutte contre la
pauvreté. Le "moyen terme", c'est-à-dire le compromis politique entre les points de vue néo-
malthusiens, économicistes, écologistes radicaux et développementalistes, serait dégagé en
1972 à la Conférence de Stockholm. L'équité sociale, la prudence écolo gique et l'efficacité
économique seraient à la base d'un nouveau paradigme de développement à rechercher.
En fait, le Rapport de Founex avait, dès 1971, identifié les thèmes essentiels de la
problématique "environnement-développement" en rejetant les approches biocentriques
adoptées par l'écologisme intransigeant et l'économicisme classique. Ce Rapport établissait
une voie moyenne, à égale distance des propositions extrêmes des malthusiens et des chances
d'abondance illimitée de la nature. Les bases du rapprochement entre l'environnement et le
développement étaient posées. Cette tendance s'est confirmé, par la suite, avec la Déclaration
de Stockholm et la Déclaration de Cocoyoc, issue d'un symposium organisé par le PNUE et la
CNUCED au Mexique en 1974 (Sachs, 1993). L'épilogue de la Déclaration de Cocoyoc, par
exemple, affirme : "nous croyons à la possibilité d'établir des modes de vie et des systèmes
nouveaux plus justes, moins arrogants dans leurs exigences matérielles, plus respectueux de
l'environnement de la planète entière" 3.
C'est ainsi que, à partir de Stockholm en 1972, le développement ne pourrait plus être
vu comme une référence universelle : le droit à la différence est devenu le cri de ralliement de
ceux qui prônent une économie alternative, un autre mode de développement. Tel qu'il avait
été prêché, le développement reproduisait un modèle culturel typiquement occidental,
indépendamment des régions géographiques et des réalités locales, produisant ainsi une
confusion évidente entre développement et rattrapage du Nord. L'identité culturelle est
importante non pas parce qu'elle favorise l'exotisme, mais parce qu'elle constitue le fondement
de la confiance en soi, parce qu'elle donne un sens à la vie, parce qu'elle offre des solutions
concrètes aux problèmes quotidiens.
Cette démarche nouvelle est à la base de la self-reliance, défendue par la Commission
Sud et le G-77 dans la CNUCED. L'objectif du réenracinement culturel se fonde sur la
capacité que possède chaque peuple de donner un sens à la vie, aux changements sociaux, au
développement. Cette redécouverte des racines socioculturelles du développement permet à
chaque société de trouver dans son propre savoir-faire les solutions les plus faciles à adopter.
Contrairement à ce que présuppose la rationalité économique, les cultures locales recèlent des
moyens d'action qu'il est important d'étudier avant de faire appel aux techniques étrangères.
A la fin des années 1970, l'influence des problématiques globales dans le débat
international s'est réduite de façon impressionnante : même les Rapports Global 2000 (1979,
Jimmy Carter) et Brandt (1980) n'ont pas pu éviter la perte d'importance de l'environnement et
du développement dans l'agenda économique mondial. C'est ainsi que les années 1980 ont
3
Citation à partir du document publié par le PNUE, In Defence of the Earth, The Basic Texts on Environment, Founex,
Cocoyoc, Nairobi, 1981, p. 119.

6
connu un renforcement des positions néo-malthusiennes et néo-libérales. Friedrich von
Hayek – prix Nobel très admiré de Ronald Reagan et Margareth Thatcher – affirmait avec un
aplomb incroyable que "l'inégalité n'est pas déplorable, mais plutôt satisfaisante et
nécessaire" et défendait carrément le contrôle restrictif de l'accroissement de la population
des pays moins développés.
Dans un registre très différent et à l'opposée de la vague retentissante du
néolibéralisme du début des années 1980, les essais de conceptualisation d'un développement
alternatif, viable et socialement juste se sont multipliés. La recherche de nouveaux
paradigmes de développement est, à nos jours, encore inscrite au titre des priorités des
agences internationales. Cette recherche exige le dépassement de l'économicisme et de la
surestimation de l'importance de la compétitivité, comprise dans le cadre d'une mondialisation
qui serait inévitable et exclusivement positive dans ses impacts.
L'Agenda pour le développement, lancée par le Secrétaire gé néral des Nations Unies
en 1995, commence, dans sa préface, par reconnaître que la tâche la plus importante à laquelle
l'humanité doit faire face aujourd'hui n'est autre que le développement. D'après ce document,
le développement serait le résultat de l'alliance entre la croissance économique, considérée
comme le moteur économique indispensable pour accroître la base des ressources des pays en
développement et l'éthique de l'égalité des conditions d'accès aux ressources et de la
répartition. L'Agenda pour le développement insiste sur cinq facteurs principaux du
développement : la paix, l'économie, l'environnement, la justice sociale et la démocratie
politique. C'est ainsi que, dans la proposition du Secrétaire général de l'ONU, l'environnement
et le développement sont réconciliés et le concept de développement durable est évoqué
comme moyen de s'engager à utiliser les ressources renouvelables et à éviter la
surconsommation des ressources non renouvelables.
Or, la pensée sur le développement durable – invoquée dans ce document des Nations
Unies – connaît des difficultés théoriques, car ce concept renvoie aussi à la variété de visions
du développement. Nous avons choisi cinq écoles théoriques représentatives, non
nécessairement contradictoires, mais plutôt complémentaires, qui illustrent la diversité et la
richesse de la recherche de nouveaux paradigmes du développement durable. Ces réflexions
constituent toutes le résultat de l'évolution d'une conception axée sur la croissance
économique vers un concept de développement en tant que processus social par lequel les
êtres humains améliorent progressivement leurs capacités et libèrent leur énergie afin
d'atteindre des niveaux plus élevés de succès matériel, de progrès social et culturel et de
plénitude psychologique. Les cinq moments historiques de la pensée sur le développement
durable que nous avons retenus sont les suivants : l'économie du vivant et la bioéconomie; le
concept de développement durable du World Conservation Strategy; l'éco-développement;
l'Ecological Economics; et le Rapport Brundtland.

L'économique et le vivant : la bioéconomie


La bioéconomie (de l'anglais bioeconomics) est définie comme l'économie des
ressources naturelles renouvelables. Ses adeptes adoptent comme point de départ la
distinction traditionnelle entre croissance et développement : en les distinguant, Darwin
opposait l'adulte à l'embryon sous les deux rapports de la dimension et de la structure. Tout
être vivant, au début de son évolution, peut continuer à croître en cessant de se développer ;
comparable à un adulte, en poids et en volume, il restera fixé à tel ou tel stade de son enfance.
Il sera un être ayant connu la croissance, sans être développé. Il y a dans la pensée
bioéconomique une transposition métaphorique à l'organisme économique et social d'une
conception évolutionniste empruntée à la biologie.

7
Par conséquent, la représentation du développement et celle du sous-développement
restent marquées de façon indélébile par cette origine. Georgescu-Roegen affirmait, par
exemple, qu'il faut comprendre l'aspect bioéconomique de l'entropie : "because of the entropy,
a dialectical link exists between the economic development and the environment, in such a
way that the economic process modifies irrevocably the environment, the first one being
modified in return by the secon one" 4. Georgescu-Roegen appartient à l'école de l'économie,
avec Kenneth Boulding (1950), Herman Daly (1968), René Passet (1979), Paul Ekins et
Manfred Max-Neef (1992), qui prône la reconstruction de la connaissance et de la pratique en
économie afin d'aboutir à une «science de la vie » (évidemment plus globale). Nous nous
restreindrons, dans cet article, aux études de René Passet en la matière.
L'analyse de René Passet sur l'intégration de l'économie dans le système plus général
de la biosphère adopte une grille de lecture alternative au paradigme économique dominant,
c’estr-à-dire le rationalisme classique (Passet, 1983). Cette démarche devrait permettre de
comprendre l'ensemble des atteintes portées au milieu naturel et à l'environnement, et par
conséquent rendrait possible d'étudier les solutions que les différentes crises d'environnement
appellent. Il s'agit en fait de mettre en oeuvre une démarche systémique pour faire face à la
pensée fragmentée et mécaniciste classiquement en vigueur dans le milieu de la recherche
économique sur le développement.
René Passet s'insurge contre la vision du monde héritière de Newton et de Descartes,
selon laquelle le monde posséderait un seul niveau de réalité et serait régi en totalité par une
seule logique – mécanicienne – appliquée tantôt au mouvement des planètes et aux
phénomènes du système solaire, tantôt aux dynamiques des prix et aux analyses des
comportements des acteurs sociaux et des opérateurs économiques. Ce cadre rationaliste, suivi
par nombreuses écoles économiques (notamment néoclassiques), présuppose que la question
des atteintes au milieu naturel s'analyse et se règle par le recours à la logique du marché,
censée ne différer en rien de celle gouvernant les autres compartiments du réel. De plus, le
paradigme de l’individualisme méthodologique y règne sans aucun questionnement.
Or, comme le souligne Jean-Paul Maréchal, l'observation des faits prouve
l'inadéquation d'une telle approche : les différentes formes de pollution, en engendrant des
dommages à l'homme et/ou à la nature, mettent en évidence l'existence d'interdépendances, de
finalités incompatibles, de niveaux distincts (Maréchal, 1995). Pour paraphraser René Passet,
les incohérences (liées à ces dommages, à ces interdépendances et à ces incompatibilités) font
apparaître le réel comme un système dont l'économie ne constituerait qu'un sous -système ;
autrement dit, l'économie ne serait qu'une des parties du tout, et son existence serait
conditionnée par celle du système global de la biosphère. On arrive ainsi à la notion d'aspect
économique d'une activité : le statut de l'agir économique s'expliquerait essentiellement par le
fait qu'il ne saurait y avoir d'acte économique "pur". Comme l’indique la figure 1, les trois
sphères – la biosphère, les activités humaines et l'économie – constituent le système global et
engendrent des rapports basés sur des régulations primaires (interactions dynamiques) et
secondaires (rétroactions).

4
Citation à partir de VIVIEN (Franck-Dominique), 1994, Bioeconomics and Sustainable Development, International
Symposium "Models of Sustainable Development, exclusive or complementary approaches of sustainability?", Paris, mars,
volume II, p.881.

8
FIGURE 1 : LES TROIS SPHERES DU SYSTEME REEL

SPHERE
ECONOMIQUE

BIOSPHERE
SPHERE DES
ACTIVITES
HUMAINES

La sphère économique posséderait un caractère à la fois entropique qui se manifeste


sous la forme d'atteintes à l'environnement (par exemple, les rejets continus ou accidentels de
substances polluantes ou les prélèvements massifs de matières premières), et néguentropique
(entropie négative), par l'incorporation de l'information-structure dans la matière (par les
activités de production qui opèrent en son sein), et d'autre part, par sa complexification grâce
au phénomène de développement. Comme l'a affirmé Georgescu-Roegen, les physiciens nous
ont rappelé que l'homme ne peut pas créer ou détruire matière ou énergie, une vérité qui
découle de la Première Loi de la Thermodynamique. Dans cette perspective, la matière-
énergie entre dans le processus économique à un niveau de basse entropie et en sort sur un
plan plus élevé. A travers le processus économique, l'homme transforme l'énergie libre ou
disponible, sur laquelle il a complète domination, en énergie non-disponible ou liée à une
utilisation précise. Ce processus, irréversible, s'aggrave à partir de la montée en flèche des
nouvelles technologies.
Sa dimension néguentropique, par contre, résulterait de la contradiction entre la réalité
(de la sphère des activités humaines et de la biosphère) fondée sur une causalité circulaire aux
rythmes lents, et l'imposition par l'économie d'une causalité linéaire, aux rythmes brefs et
basée sur le court terme. Cette dimension de la sphère économique, en raison de sa logique de
fonctionnement et du caractère pluriel des actes économiques, met ainsi en péril la pérennité
du système naturel (la biosphère) qui la comprend.
Par conséquent, le développement doit être reconsidéré sous un angle différent de
celui qui affirme la causalité entre l'accroissement de l'avoir et l'augmentation du bien-être.
René Passet prône le renouveau de l'économique par une critique de l'approche néoclassique
de l'environnement, en essayant de définir les caractéristiques d'une économie respectueuse de
la logique du vivant. Opposé à l'économie "scientiste et équilibrée", cet économiste français
n'admet pas la notion d'effets externes (ou d’externalités), appréhendés par les économistes
néoclassiques comme tous les phénomènes hors -marché (qu’ils soient positifs ou négatifs).
Dans sa proposition d'internalisation efficace des effets externes (parmi lesquels, les coûts
écologiques), l’économie néoclassique qualifie les "externalités" comme un dépassement, un
non respect d'une limite de type qualitatif par une activité économique quelconque. Il ne s’agit
pas d’une démarche nouvelle, car déjà aux années 1920, l’économiste anglais Pigou avait
essayé d'intégrer explicitement la problématique de coûts sociaux dans le cadre des analyses
classiques de l'équilibre général (les coûts sociaux en tant qu’externalités). Les pollutions et
les dégradations de l'environnement sont ainsi considérés comme des effets externes négatifs
(ou des coûts non compensés), et leur existence met en évidence que les décisions individuels
visant à maximiser le profit ne conduisent pas systématiquement à un état efficient de

9
l'économie. La recette néoclassique nous conseille donc de les intégrer dans le calcul
économique, de leur donner une valeur économique : il s’agit d'internaliser des coûts externes.
René Passet dénonce cette approche, car elle se fonde sur les mêmes mécanismes du
marché tenus pour capables de résoudre les problèmes posés par les atteintes à
l'environnement. Comme l'affirme Henri Bartoli, il est impossible de parler de rationalité
d'actions économiques destructrices d'êtres humains, voire de certaines dimensions du milieu
naturel; la rareté ne se limite pas à ce qu'expriment le marché et les prix. Elle est
fondamentalement sociale et politique, entendons déterminée par les données naturelles et la
connaissa nce que l'on en a, la technologie, les institutions, les règles du jeu, les us et les
coutumes, la hiérarchie des valeurs (Bartoli, 1991). Les phénomènes hors marché ne pouvant
être pliés à la logique de l'offre et de la demande, une nouvelle approche de l'économique
s'impose qui fonde la pluridimensionnalité de l'agir économique sur l'économique du sens.
La clef de voûte de l'acte économique, reprenant les termes de Passet, est dans la
gestion du patrimoine énergétique en vue d'en assurer la reproduction et le développement
dans le temps et de structurer, grâce au travail, les flux énergétiques par l'information à fin de
satisfaire, au moindre coût, aux impératifs individuels et sociaux de l'être. Cela signifie ouvrir
le raisonnement économique à l'écologie scientifique (afin de déterminer les conditions de
reproduction de la biosphère) et le soumettre au crible de la réflexion éthique. L'économiste
serait ainsi obligé de concevoir de nouveaux modes de régulation. Dans un tel cadre, Passet se
rapproche un peu des préoccupations de Hans Jonas sur le principe de responsabilité, dont les
postulats seront analysés lorsque nous traiterons de la structure des savoirs et des savoirs de
l’écologie.

Le développement durable dans le World Conservation Strategy


Le World Conservation Strategy (WCS), publié en 1980, a été préparé par l'IUCN 5
avec le soutien financier de l'UNEP et du WWF. Des amendements ont été proposés (et inclus
a posteriori) par l'UNESCO et la FAO. Pour la première fois dans l'histoire des documents
officiels des agences des Nations Unies, le développement a été suggéré comme l'un des
moyens pour que la préservation de l'environnement soit assurée, et l'on cherchait les moyens
par lesquels la conservation pourrait contribuer aux objectifs de développement des
gouvernements. La Stratégie a recherché un compromis, inédit dans des documents
internationaux, entre le développement et l’environnement.
Le WCS identifiait trois objectifs principaux de la conservation. En premier lieu, le
maintien des processus écologiques fondamentaux, qui sont soutenus et fortement modérés
par les écosystèmes et sont donc essentiels pour la production alimentaire, la santé et les
autres aspects de la survie humaine et du développement durable. Ces processus sont appelés
"life-support systems", et comprennent les terres arables, les forêts, les écosystèmes côtiers et
l'eau fraîche. Le deuxième objectif du WCS est celui de la préservation de la diversité
génétique, considérée comme une assurance contre les nouvelles maladies agric oles, et
également une source d'investissement à l'avenir. Son troisième et dernier objectif reste celui
de promouvoir le développement durable des espèces et écosystèmes.
Ces objectifs sont ensuite sous-divisés en différentes priorités, établies selon les
critères d'importance, d'urgence, d'irréversibilité. L'influence du Programme MAB de

5
L'IUCN, actuellement connu sous le nom de "World Conservation Union", est une ONG internationale qui travaille en
étroite collaboration avec le Centre du Patrimoine Mondial (UNESCO) dans la classification et conservation des sites
sélectionnés. Basé à Gland (Suisse), cette ONG compte plus de 650 membres et retrouve ses origines déjà en 1948.

10
l’UNESCO est centrale dans la définition d'une série de priorités à la protection des habitats
d'espèces rares et à la constitution de réserves de préservation écosystèmes menacés. L'IUCN
s'est donné pour objectif, par exemple, de promouvoir la mise en oeuvre de la "stratégie
mondiale de conservation" tant au niveau national qu'international, reprenant ici l'un des
principes de base des réserves de biosphère (système en réseau).
Pour la période 1985-87, le développement durable a été l'un des sept champs
d'actions du programme. Les différents plans nationaux mis sur pieds par les branches
nationales et régionales, ainsi que les répercussions sur le plan des médias ont beaucoup
contribué à la diffusion du terme "développement durable" à l'échelle mondiale.
Pouvant être considérée comme l'enfant né des mouvements écologiques des années
1970, le WCS a été fortement influencé par les craintes néo-malthusiennes de croissance
démographique incontrôlée. Les systèmes naturels imposeraient des limites à l'action
humaine, et la notion de capacité de charge (carrying capacity) est lancée comme le
fondement d'une politique de développement écologiquement durable : "human beings, in
their quest for economic development and enjoyment of the riches of nature, must come to
terms with the reality of resource limitation and the carrying capacities of
ecosystems" (IUCN, 1980). Cette vision du développement adopte des scénarios du genre
"conservation ou désastre", pas très loin de la polémique classique autour des catastrophistes
écologiques des années 1970.
Certes, il faut reconnaître que le WCS constitue une tentative, comme le Programme
Biologique International et le Programme Homme et Biosphère de l'UNESCO, de bâtir un
cadre international pour l'action écologique. Ses concepts et la mise en place de ses
formulations retrouvent les préoccupations globalistes de la pensée environnementale du
début des années 1970. Les facteurs qui marquent la de scription de la problématique dans le
WCS sont notamment les interrelations, les responsabilités, les stratégies au niveau mondial.
Le WCS fait également écho de l'éthique et la morale environnementaliste des
années 1970. Par exemple, quand il s'agit de justifier la préservation des espèces sauvages,
deux arguments sont présentés : l'un de l'ordre de l'utilitarisme scientifique (parce que ces
espèces peuvent être utiles à l'homme dans la recherche), l'autre sur le plan d'un holisme
presque romantique (parce qu'il est correct de le faire). La préservation des ressources
animales et végétales serait ainsi une question de responsabilité et de prudence vis-à-vis de
nouvelles générations.
Point fondamental : le terme clef du WCS est celui de durabilité. Néanmoin s, il n’y a
pas le moindre effort de définition précise du développement durable. La préservation des
ressources et le développement sont présentés de telle façon que leur compatibilité devient
inévitable. La Stratégie reflète un certain « consensualisme » ainsi que la négation de la
conflictualité des relations sociales dans la définition de la durabilité : comment et pourquoi
les hommes et les sociétés se mettent d’accord pour définir la durabilité ? La Stratégie ne
répond pas à cette question. Le développement est considéré comme étant "the modification of
the biosphere and the application of human, financial, and living and non -living resources to
satisfy human needs and improve the quality of human life", alors que la conservation de la
nature est définie comme "the management of human use of the biosphere so that it may yield
the greatest sustainable benefit to present generations while maintaining its potential to meet
the needs and aspirations of future generations" (IUCN, 1980, paragraph 1.4).
Tout se passe donc comme si le développement ne pouvait être que durable,
indépendamment des pratiques du passé et des inégalités des structures sociales et
économiques. C'est cette démarche pour ainsi dire naïve et romantique du développement qui

11
serait durement critiquée par la suite. De nouvelles tentatives d'appréhension de l'idée de
durabilité seraient mis en oeuvre, tel que l'éco-développement et l'ecological economics 6.

L'éco-développement
En 1972, le Secrétaire de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement
Humain (à Stockholm), M. Maurice Strong, a lancé le terme "éco-développement" dans le but
de suggérer l'idée d'une stratégie de développement fondée sur l'utilisation judicieuse des
ressources locales et du savoir-faire paysan applicable aux zones rurales isolées du Tiers-
monde 7. Déjà à Founex – réunion convoquée à la veille de la Conférence de Stockholm
(1971) – les thèmes essentiels de la problématique avaient été identifiés : tout en rejetant les
approches réductionnistes de l'écologie radic ale et de l'économie classique, le rapport de
Founex a défini une voie moyenne, à égale distance des propositions extrêmes des
malthusiens et de celles des prôneurs de l'abondance illimitée de la nature (Sachs, 1993).
En 1974, la Déclaration de Cocoyoc – résultat d'une réunion internationale tenue à
Morelos (Mexique) – a préconisé une interprétation plus générale et plus riche de
l'éco-développement, comprenant aussi l'éducation et l'organisation socio-économique. Un an
après, la Fondation Dag Hammarskjöld a publié le rapport "Que faire?", dans lequel les
auteurs introduisent le concept de développement endogène et dépendant de ses propres
forces ("self-reliant"), soumis à la logique des besoins de toute la population et non de la
production économique érigée en fin en soi.
Par la suite, l'éco-développement a été largement promu par le Programme des Nations
Unies pour l'Environnement; il a fait l'objet de différents colloques internationaux, dont ceux
de Belo Horizonte (Colloque international sur l'éco-développement et les technologies
appropriées, 1978), de Berlin (Conference on ecofarming and ecodevelopment, 1979) et
d'Ottawa (IUCN Conference on Conservation and Development, 1986). Il a également été
adopté par la Commission du Pacifique Sud et le South Pacific Bureau for
Economic Co-operation in a Comprehensive Environmental Management Programme.
Au fur et à mesure que la définition de l'éco-développement s'est élargie, une
conscience s'est formée que le conflit de plus en plus dramatique entre le modèle économique
en vigueur et l'état de la nature pourrait se résoudre autrement que par l'arrêt pur et simple de
la croissance économique. En novembre 1976 – à la suite du "Primer simposio sobre
ecodesarrollo", organisé par l'Association mexicaine d'épistémologie – on arrivait à une
importante conclusion : les solutions à ce conflit mettraient en oeuvre des éléments de la
science et de la technique, mais, pour l'essentiel, dépendraient des choix de société qui
relèvent de l'institutionnel et du politique.
Voilà la première contribution à la science économique des approches de
l'éco-développement, à savoir la crise de l'environnement est une crise de civilisation (Sachs,
1980). Deux gaspillages seraient à la base de cette crise et résulteraient d'une part, des formes
de consommation à la fois artificielles et superflues, et de l'autre, de la production qui ne tient
pas compte de procédés : une production qui utilise plus de matériaux qu'il n'aurait fallu pour
élaborer son produit, ou alors analyse de façon inadéquate les possibilités du marché en
termes de vente de la marchandise. L'éco-développement dénonce ainsi à la fois l'économisme

6
Dix ans après le WCS, les mêmes trois organisations lancent le Programme "Caring for the Earth", bâti sur l'expérience de
la décennie précédente. Une série d'activités a été lancée en Afrique, Amérique Latine et Asie. Un Congrès mondial s'est tenu
en octobre 1996, à Montréal. Les résultats concrets de ces initiatives sont pourtant restrients (et de façon inégale) à l’échelon
local du développement durable.
7
Selon Boardman, Maurice Strong lui-même aurait donné naissance au terme d'éco- développement, inspiré des conclusions
de Founex et des travaux préparatoires de Stockholm. Voir R. BOARDMAN (1981), International Organisations and the
Conservation of Nature, Indiana University Press, Bloomington, Indiana, introduction.

12
étroit et l'écologie intransigeante, qui négligent ces deux genres de gaspillages et attribuent à
la croissance économique pure et simple l'étiquette de destructrice de l'environnement.
C'est pourquoi, à la fin des années 1960 – avec la publication de l'étude du Club de
Rome "Halte à la croissance" – et pendant la décennie 70, les pays développés et les pays en
voie de développement se confrontaient dans ce qu'appelle Ignacy Sachs le "faux débat des
zéristes" autour de la croissance minimale. Dans la perspective opposée à celle de
l'éco-développement, les chantres de la croissance zéro défendaient la réduction radicale de la
croissance car elle était nécessairement le germe de la dégradation de l'environnement. Du
coup, la "croissance zéro" était considérée comme la solution aux problèmes écologiques. Or,
postuler la croissance zéro de l'économie impliquerait préconiser également celle de la
population, sans que la question essentielle de la consommation des énergies non
renouvelables soit réellement remise en cause. En outre, la croissance zéro de l'économie et de
la population ne signifierait pas automatiquement l'absence de dégradation de
l'environnement, car elle ne remettrait pas en question les modes de production et de
consommation en vigueur.
Au cours des années 1979-80, en coopération avec les commissions économiques et
régionales de l'ONU, le PNUE organisa une série de séminaires consacrés aux styles de
développement et à l'environnement. Ces séminaires ont approfondi cette ligne de pensée qui
trouverait ensuite un écho dans le Rapport Brundtland et finalement à Rio de Janeiro. A la
quête de modèles alternatifs pour le développement, la société civile organisée est considérée
comme un acteur fondamental des transformations sociales. "Ni prince, ni marchand, mais
citoyen" : c'est-à-dire, à la base de la nouvelle structure économique, politique et
institutionnelle du développement durable se retrouve le tiers secteur, composé par les
individus ayant acquis une conscience importante de leur capacité d'organisation, de
transformation des institutions et de changement des modes de consommation 8. Ils sont à la
base de la remise en cause de la productivité et de l'efficacité en économie.
Inspirés de ces questionnements – mais également des enseignements de Gandhi à
propos du rôle de l'éthique dans la constitution des postulats normatifs de l'économie
politique – les partisans de l'éco-développement défendent une alternative concrète à la notion
dominante de productivité : contrairement à l'idéologie de la compétition effrénée et à la force
physique comme stratégie politique, Gandhi prônait comme valeur fondamentale le service
que les hommes se rendent les uns aux autres, l'auto-contrôle des besoins et la frugalité. C’est
ainsi que Sachs introduit le concept de compétitivité fallacieuse (Sachs, 1993) : les processus
de mondialisation exigent de tous les pays qu'ils soient suffisamment compétitifs dans une
gamme toujours plus large de produits, afin de gagner une plus grande part de marché. Les
pays se voient ainsi obligés à opter pour une compétitivité «fallacieuse » qui, en dernière
instance, s’avère contre-productive, fondée sur des très bas salaires, sur les sous -estimations
du coût des ressources naturelles et de l’énergie. La compétitivité authentique reposerait sur
des avantages comparatifs dynamiques obtenus par un savoir supérieur, par une
main-d’oeuvre qualifiée et par la recherche, mais aussi par un bon usage des ressources
naturelles et environnementales. Ce processus de surestimation de la productivité est le
résultat d'une importance excessive accordée à la compétitivité interne de l’entreprise, à
l’opposé de la compétitivité systémique, qui dépend de l’efficacité des infrastructures, de la
banque et des assurances, des télécommunications, etc.
Cette idéologie de la compétitivité – fortement dénoncée par les partisans de
l'éco-développement – néglige, dans le processus de la croissance entraînée par l’exportation,

8
Principe développé par NERFIN en "Ni prince, ni marchand, mais citoyen : une introduction au tiers système", cité par
CHESNEAUX (Jean), "Que peuvent les O.N.G.?", in Le Monde Diplomatique, supplément de juin 1992, p.VIII.

13
l’extrême importance du marché interne, particulièrement dans les pays de grande taille. Elle
provoque également la ruine de toute la structure industrielle des PVD par un dérèglement
total des importations au lieu d’une libéralisation sélective. Ces pays ne se montrent pas
suffisamment sélectifs dans les politiques scientifiques et technologiques qui exigent un
équilibre entre les importations des "boîtes noires", l’acquisition de technologies suivies d’une
adaptation et un effort beaucoup plus grand de recherche endogène.
Ce véritable acte d'accusation est échafaudé autour de six postulats de
l'éco-développement, qui reflètent clairement l'influence de l'économie alternative, à savoir :
1. Dans chaque éco-région, il faut mettre en valeur les ressources spécifiques pour la
satisfaction des besoins fondamentaux de la population en matière d'alimentation, de
logement, de santé et d'éducation, ces besoins étant définis de façon réaliste et autonome.
2. L'homme au centre de l'approche d'éco-développement, et les soucis pour l'emploi,
la sécurité, la qualité des rapports humains, le respect de la diversité des cultures sont tenus
comme prioritaires.
3. La solidarité diachronique avec les générations futures.
4. La réduction des impacts négatifs des activités humaines sur l'environnement.
5. La nécessité de développement technique associé à une nouvelle modalité
d'organisation sociale et un système d'éducation.
6. Le besoin d'une autorité horizontale capable de dépasser les particularismes
sectoriels et d'assurer la participation des populations concernées.

La lecture de ces postulats nous révèle également l'influence de la pensée néo-


populiste du développement 9 sur les propositions de développement communautaire
("village-based") épaulé par les petites et moyennes entreprises, ainsi que par l'industrie et
l'agriculture. D'abord l'éco-développement met en évidence le concept de besoins de base
(basic needs), établi à partir des débats de la Deuxième Décennie pour le Développement des
Nations Unies : l'éco-développement se réfère à un processus fondé sur la satisfaction des
besoins humains essentiels, commençant par les besoins des plus pauvres et des démunis de la
société 10. La difficulté sous-jacente à l'adoption du concept de besoins de base par les adeptes
de l'éco-développement reste l'imprécision de son contenu intellectuel, très lié à la morale et à
la politique. De surcroît, le concept repose la question de moyens à mettre en place afin de
pouvoir hiérarchiser les besoins de l’homme.
Dans le cas spécifique de la théorie développée par Ignacy Sachs, l'influence de la
pensée de Michal Kalecki est reconnue par l'économiste franco-polonais lui-même,
notamment en ce qui concerne la définition du rôle des économies mixtes. D'après l'auteur,
l'économie mixte se fonderait sur l'importance des secteurs public et privé, où la répartition du
revenu est un élément central dans la mise en œuvre des politiques de développement. Prônant
une symbiose entre l'homme et la terre – qui dépendrait de l'organisation plus rationnelle de la
société, de la croissance soutenue à long terme, d'une série d'options ouvertes à l'avenir, et
évidemment de la protection de la biosphère – Sachs, dont les enseignements sont repris par la

9
La définition du néo-populisme est très variée, comprenant une série d'initiatives qui ont émergé notamment en Russie et en
Europe orientale dans la période qui a suivi la Première Guerre Mondiale, dont celles de Kropotkin, Chayanov et Gandhi. La
critique des modèles d'industrialisation capitaliste a été à la base de cette pensée, et a nouri l'application de thèses alternatives
dans les pays du Tiers Monde, surtout la Tanzanie et la Chine.
10
Ces idées sont soutenues dans l’article écrit par GLAESER (B.) et VYASULU (V.), 1984, "The obsolescence of
ecodevelopment?", in GLAESER (B.), org., Ecodevelopment: concepts, projects, strategies, Oxford, Pergamon Press, p. 25.

14
suite par Glaeser, ressaisit les arguments d'ordre moral du WCS. Toutefois, au-delà de la
Stratégie, sa démarche débouche sur une proposition de planification
participative (participatory development), contractuelle et contextuelle. La dimension éthique
et politique du dévelo ppement se base sur l'augmentation de l'avoir des pauvres, leur
garantissant l'accès (entitlement) à des droits de base, tels que le logement, l'alimentation,
l'éducation, la santé et le transport.
Au cours des années 1970, le projet développé par le PNUD et le "Instituto de
Planificación" en Amazonie péruvienne a constitué l'exemple concret de cette approche, qui a
permis une nouvelle organisation des activités économiques dans cette région du Pérou.
L'utilisation des indicateurs comprenant les différentes dimensions de l'éco-développement en
est une autre. A l'opposé de ce qu'a fait le PNUD dans l'indicateur du développement humain,
Sachs propose l'adoption d'indicateurs différents pour les domaines social, économique et
écologique, bien que leur interpré tation soit rendue plus difficile en raison de la multiplicité
de données en jeu (Guillaud, 1993).
A cet égard, il faut rappeler que l'éco-développement présuppose une pratique
politique axée sur quatre éléments, à savoir : le long-terme doit devenir opéra tionnel;
l'explication des futurs possibles et le choix des futurs voulus acquièrent droit de cité;
l'approche à la fois globale et normative de la planification doit commencer à se substituer à
l'extrapolation; la démarche systémique supplante les découpages sectoriels légitimés par le
cartésianisme. La figure 2, ci-après, en résume les dimensions principales.

FIGURE 2 : LES CINQ DIMENSIONS DE L’ECO-DEVELOPPEMENT

La durabilité est le rapport entre des systèmes économiques dynamiques et des


systèmes écologiques dynamiques plus importants mais aux changements plus lents,
dans lesquels la vie humaine peut durer indéfiniment; les individus peuvent s’épanouir;
les cultures humaines peuvent se développer. Toutfois, dans ces systèmes, les effets de
l’activité humaine restent à l’intérieur de certaines limites afin de ne pas détruire la
diversité, la complexité et la fonction du système qui sert de base à la vie écologique.

DURABILITE DURABILITE DURABILITE DURABILITE DURABILITE


SOCIALE ECONOMIQUE ECOLOGIQUE SPATIALE CULTURELLE

Il existe, évidemment, un certain chevauchement ent re ces cinq formes de durabilité.


Elles présupposent toutes une croissance différente fondée sur une autre vision de la société.
La durabilité économique, par exemple, doit être évaluée en termes macro-sociaux, en tenant
compte d'un équilibre villes-campagnes, des possibilités d'industrialisation décentralisée liée à
la nouvelle génération des techniques (spécialisation flexible), et aussi des diversités et

15
continuités culturelles. Par conséquent, l'éco-développement présuppose la responsabilité
intergénérationnelle, qui n’est envisageable que dans la mesure où il y a responsabilité envers
les déshérités d’aujourd’hui. Dans cette perspective, le contrat naturel (entre l’humanité et la
Terre, et entre les différentes générations) dont parle Michel Serres ne serait qu’un
complément au contrat social entre les hommes.
La question cruciale qui se pose aux sociétés d'aujourd'hui est celle des stratégies de
transition vers l'éco-développement : c'est-à-dire qu'il faut penser concrètement à la façon
d'aboutir à un modèle économique basé sur la croissance, socialement équilibré et respectueux
de l'environnement. Sachs, qui considère ces stratégies comme les pièces maîtresses de la
mise en oeuvre de l'Action 21 de la Conférence de Rio-92, nous propose quatre prémices à la
réalisation de la transition (Sachs, 1993) :
1. la durée : les transformations imposées par les stratégies d'éco-développement sont
nécessairement de longue haleine, étant donné qu'elles impliquent la restructuration des
industries, la modernisation et l'expansion des infrastructures, des changements culturels et
comportementaux, la production et la dissémination de nouvelles techniques agricoles, etc. De
plus, ces mutations n'ont pas, dans leur mise en oeuvre, un caractère linéaire; elles se
définissent plutôt comme une succession de priorités changeant avec le temps.
2. la responsabilisation des pays industrialisés : les pays industrialisés se doivent
d'assumer une part plus importante dans le calcul des coûts de transition, par exemple, en
matière de transformation et d'adaptation technologique 11.
3. l'audace dans la mise en place des projets alternatifs : les stratégies de transition se
fondent sur des politiques multidimensionnelles, mises en oeuvre dans une perspective
interdisciplinaire par différents acteurs (État, secteur privé et tiers secteur), et capables de
revoir et de redéfinir le progrès technologique.
4. la coordination des initiatives : développement de politiques de production (p.e.,
dans l'incorporation de nouvelles techniques "vertes"), mais également de stratégies de
réorientation de la demande (styles de vie et modes de consommation).

L'éco-développement se veut ainsi une alternative à l'économie classique et vise à


redimensionner le rôle de l'homme et de son environnement dans l'économie . Fondant leur
analyse sur l'articulation entre les différents espaces de la prise de décision, les rapports
triplement gagnants entre économie, société et environnement ("win-win -win alternatives"),
ainsi que les modalités créatives de partenariats entre le public, le privé et l'associatif, les
auteurs de l'école de l'éco-développement introduisent dans leur réflexion institutionnelle sur
le développement les modes de régulation des sociétés et des économies mixtes. Dans un
contexte d'après-guerre froide et suite à la chute du mur de Berlin, l'éco-développement
évolue, change et n'accepte les modèles extrêmes ni de l'économie centralisée et dirigiste, ni
ceux de l'idéologie néo-libérale : d'après Sachs, la voie médiane serait ainsi entre
l'économisme et l'écologisme et nous serions tous obligés à affiner les diverses modalités
d'application de l'économie mixte 12.

11
Le Rapport Mondial sur le Développement Humain (1994) nous rappelle, dans son chapitre 4, qu'il n'y a aucune raison de
privilégier le partage actuel de l'héritage commum de l'humanité entre les pays riches et les pays pauvres. L'environnement
étant considéré comme une ressource gratuite, les pays industrialisés en ont profité pour devenir les principaux pollueurs de
la planète. Le chemin de l'éco-développement présuppose ainsi l'équilibre mondial entre les utilisations de l'environnement et
la répartition des systèmes de consommation actuelle.
12
Propos tenus par SACHS (Ignacy), "Ces temps et ces espaces qui s'emboîtent", in Le Monde Diplomatique, Collection
Savoirs, p. 33.

16
L'Ecological Economics
La publication, en 1987, de Ecological Economics de Juan Martinez Alier a renforcé
les tendances, en économie, à repenser le statut de l'environnement dans les processus
économiques. Héritière des efforts de nombreux théoriciens – qui depuis la fin du XIXe siècle
ont cherché à conceptualiser l'énergie dans l'économie – cette école de la pensée économique
fait une critique incis ive du discours économique traditionnel et des limitations de
l'attachement de l'économie écologique orthodoxe au calcul des mouvements du marché 13. La
durabilité de l'environnement dépendrait de quatre éléments principaux : la pauvreté, la
population, la technologie et les styles de vie. Par conséquent, il ne serait plus souhaitable de
faire de la croissance économique le seul objectif majeur du développement économique.
Le courant inauguré par Martinez Alier défend l'idée que l'on ne peut pas exclure du
domaine du calcul économique les problèmes "non économiques", sujets à des déterminations
morales et politiques. L'économie humaine et l'écologie politique sont ainsi les sources
d'inspiration de l'ecological economics : la mise en pratique des politiques de développement
durable n'échapperait pas à la nécessité de prendre des décisions morales et politiques sur
l'utilisation et la distribution des ressources entre populations, classes sociales, échelles
spatiales et temporelles (Rosenwarne, 1995).
Contrairement aux idées de Pigou (1920), Pearce et Turner (1990), qui fondaient leur
analyse sur des modèles économétriques et des méthodes d’évaluation mathématique et
quantitative des problèmes d’environnement, Martinez Alier reconnaît que, à la dimension
économique du développement viennent s'ajouter une base sociale, politique et culturelle. La
durabilité exige que l'existence matérielle de l'humanité soit assurée et, pour la plupart de la
population mondiale, améliorée; or la durabilité exige surtout d'assurer à long terme la
capacité – écologique, sociale et culturelle – à supporter l'activité économique et le
changement structurel. En 1989, la Société Internationale d’Economie Ecologique a été créée,
ayant défini ce champ transdisciplinaire comme l’étude des interfaces entre les écosystèmes et
les systèmes économiques.

Le Rapport Brundtland
Sous la présidence de Gro Harlem Brundtland, alors Premier Ministre de la Norvège,
et la sous-présidence de Mansour Khalid, ancien Vice-Premier Ministre du Soudan, la
Commission Mondiale sur l'Environnement et le Développement s'est, entre 1983 et 1987,
attachée à étudier les différentes relations entre la pauvreté, l'inégalité, les politiques de
développement et la dégradation de l'environnement. Le Rapport final de la Commission se
voulait un document qui établirait une distinction sémantique définitive entre développement
et croissance : en prônant un changement qualitatif de la croissance, ses signataires veulent
rendre cette dernière moins matérielle, plus économe en énergie et plus équitable en termes
d'impact social.
La Commission mondiale sur l'environnement et le développement (CMED) a été
créée par l'Assemblée générale des Nations Unies (résolution 38/161) et a fonctionné comme
un organisme indépendant au sein duquel les membres siégeaient à titre individuel et,
strictement, en raison de leur compétence professionnelle. L'indépendance de la CMED fut
clairement affirmée par Gro H. Brundtland 14, ce qui n'a pas empêché les compromis
diplomatiques - par exemple, en ce qui concerne la croissance et la protection de

13
C’est le cas de l’ouvrage de MARTINEZ ALIER (Juan) et alii, Economie politique écologique : énergie, environnement
et société, Oxford, New York, Basil Blackwell, 1987.
14
"En tant que commissaires, nous n'avons pas siégé en fonction de nos responsabilités nationales, mais en tant qu'individus
(...)". Voir Rapport "Notre avenir à tous", p. XXIV et ss.

17
l'environnement. Selon la bonne tradition des Commissions des Nations Unies (notamment la
Commission Brandt sur les rapports Nord-Sud et la Commission Palme sur Sécurité et
Désarmement) , le mandat de la CMED se centrait autour d'un "global agenda for change" et
de la proposition de stratégies mondiales et régionales pour le développement durable pour
l'année 2000 et les années suivantes (Rapport, p. ix). La CMED se donnait pour objectif
secondaire (mais non sans importance dans le contexte des années 80) de promouvoir le
retour au multilatéralisme économique et à la coopération internationale.
Du point de vue de sa structure, la Commission a constitué trois conseils scientifiques
("Advisory Panels ") sur l'énergie, sur l'industrie et sur la sécurité alimentaire, présidés,
respectivement, par Enrique Iglesias (Uruguay), Umberto Colombo (Italie) et M.S.
Swaminathan (Inde). La première réunion de la Commission s'est tenue à Genève en octobre
1984. Suite à cette réunion, fut publié le document de travail "Mandat pour changer"
("Mandate for Change"), qui regroupait une série de thèmes servant de base à la poursuite des
activités de la Commission, à savoir : les perspectives des rapports entre population,
environnement et développement durable; l'énergie, l'environnement et le développement;
l'industrie; la sécurité alimentaire, l'agriculture et les activités forestières; les établissements
humains; les relations économiques internationales; les systèmes de décision et la gestion de
l'environnement; et la coopération internationale.
Afin d'appréhender les différents visions sur les rapports entre l'environnement et le
développement, la Commission a organisé une série de réunions régionales, suivant la
pratique traditionnelle des Nations Unies : Europe et Amérique du Nord, Amérique Latine et
Caraïbes, Afrique, Région Arabe, Asie et Pacifique, Europe de l'Est. Ces rencontres
permettaient une première approche de la question du développement durable au niveau
régional et ont été suivies de "Séances Publiques" ("Public Hearings"); y participaient des
représentants d'agences gouvernementales, des scientifiques, des experts, des leaders du
monde industriel et des ONG. Ces séances sont devenues le trait particulier de la
Commission : plus de dix mille pages de contributions écrites lui ont été envoyées par les
membres de la "société civile organisée" 15.
La notion de développement durable proposé par la Commission Brundtland contient
deux aspects centraux, à savoir : les "besoins fondamentaux" qui sont considérés
essentiellement dans la perspective des plus démunis 16 ; et l'idée de limites imposées par
l'État de la technologie et l'organisation sociale sur la capacité que peut avoir l'environnement
de répondre aux besoins des générations présentes et futures ("capacité de charge"). Selon le
rapport, la notion de développement soutenable implique certes des limites. Il ne s'agit
pourtant pas de limites absolues mais de celles qu'imposent l'État actuel des techniques et de
l'organisation sociale ainsi que de la capacité de la biosphère de supporter les effets de
l'activité humaine.
Le Rapport considère ainsi la stabilisation démographique comme la condition sine
qua non d'un développement durable : celui-ci ne serait donc possible que si la démographie
et la croissance évoluaient en harmonie avec le potentiel productif de l'écosystème. Mais
l'équité dans la répartition des produits de la croissance est associée à la stabilisation

15
Les séances publiques ont été organisées à Jakarta (mars 1985), Oslo (juin 1985), São Paulo (octobre 1985), Brasília
(novembre 1985), Vancouver, Edmonton, Toronto, Ottawa, Halifax, Québec (mai 1986), Harare (septembre 1986), Naïrobi
(septembre 1986), Moscou (décembre 1986), et à Tokyo (février 1987). Le Rapport a publié quelques extraits des
contributions provenant de ces séances.
16
L'affirmation initiale de la CMED à propos du développement durable repose, en fait, sur une petition de principe : la
Commission souhaite que le nécessaire devienne possible et, très souvent, elle tient pour vrai ce qui reste encore à démontrer.
En ce qui concerne les besoins, on ne sait pas comment les identifier, comment les qualifier de fondamentaux ou comment
espérer connaître les besoins de base des générations à venir. On aurait pu espérer que la CMED accorderait plus d'attention
au développement de ce concept, au lieu de mélanger des affirmations du domaine du normatif avec certaines contrevérités.

18
démographique : pour satisfaire les besoins essentiels, il faut non seulement assurer la
croissance économique dans les pays où la majorité des habitants vivent dans la misère, mais
encore faire en sorte que les plus démunis puissent bénéficier de leur juste part des ressources
qui permettent cette croissance.
La notion de capacité de charge ("carrying capacity ") présuppose l'inclusion de la
problématique démographique dans le cadre écologique. La capacité de charge est définie
comme le nombre d'habitants d'une région donnée par rapport à ses ressources et à la capacité
de l'environnement à supporter les activités humaines qui y sont exercées. Strictement
associée aux facteurs biophysique de la planète, cette définition, proposée par Paul et Anne
Erlich dans leur ouvrage The Population Explosion (en 1990), implique la reconnaissance du
surpeuplement de la Terre et de l'épuisement de sa capacité de renouvellement. Point
fondamental, la capacité de charge ne peut pas être considérée comme étant statique,
notamment si l'on la considère dans ses deux aspects : le côté productif (dans le sens de
production de ressources, telles que les aliments et les minéraux) et l'aspect d'absorption et de
recyclage des déchets produits. De ces deux aspects le deuxième est moins souple : bien que
l'homme trouve souvent des moyens d'augmenter sa productivité ou de diversifier ses sources
en substituant une ressource disponible à une ressource épuisée, la capacité d'absorption des
déchets est plus rigide. Par conséquent, la notion de capacité de charge devrait tenir compte
des réalités dynamiques et éviter de donner une image figée du monde et des ressources
disponibles.
Un autre aspect important du Rapport dans l'essai de conceptualisation du
développement durable est l'inclusion de la pauvreté comme source de dégradation de
l'environnement. L'inclusion de la thématique de la pauvreté dans la notion de développement
durable visait, en effet, à concilier le respect de la nature et le souci de la justice. Nous
n'allons pas revenir sur le débat politico-diplomatique à propos de la pauvreté et de ses effets
pervers sur l'environnement, débat très en vogue lors de Stockholm, mais également à Rio de
Janeiro. Il est évident que la lutte pour la protection de l'environnement passe nécessairement
par le combat contre la pauvreté.
Il faudrait seulement revenir sur les relations de cause à effet suggérées par le Rapport
dans les considérations sur pauvreté-environnement : la pauvreté est dénoncée comme l'une
des raisons majeures du désordre écologique global et les pauvres sont considérés comme à la
fois les victimes et les agents de la dégradation. Dans l'analyse des symptômes et des causes
de la dégradation de l'environnement (chapitre 1 du Rapport), la Commission fait les
considérations suivantes à propos de la pauvreté : "(...) la pauvreté en soi est aussi une
pollution qui, à sa façon, agresse l'environnement. Les malheureux qui ont faim sont
facilement amenés à détruire leur environnement immédiat pour survivre (...) L'effet cumulé
de ces changements est tellement énorme que la pauvreté devient un véritable fléau mondial".
En ce sens, afin d'assurer leur survie, les pauvres seraient, selon ce raisonnement,
obligés de consommer de façon non-durable ("short term maximizers" ), compromettant ainsi
la qualité de la vie des générations à venir. Comme l'a af firmé le Département de
l'Environnement de la Banque mondiale, "the poor have a small margin for curbing or
foregoing present consumption in order to avoid damaging or depleting the natural resources
on which they depend for survival". D'où le besoin de promouvoir la croissance économique
afin d'arrêter la logique du "riche=écologique versus pauvre=non écologique", la réduction de
la pauvreté étant à la base d'une politique de l'environnement dans une vision plus holiste et
intégrée. En ce sens, le Rapport Mondial sur le Développement de la Banque Mondiale (1992)
considérait la réduction de la pauvreté ("poverty alleviation") comme un impératif d'ordre
moral, mais également d'ordre écologique (Broad, 1994).

19
Cette vision de la pauvreté, même si elle est compréhensible parce qu'elle vise à
inclure la problématique de la pauvreté dans le débat sur l'environnement et le
développement, sous peine d'édifier une problématique qui ne relève pas de l'homme et des
besoins de l'humanité toute entière, ne semble pas correspondre à la toute la réalité des faits.
D'abord, la question préalable à celle de l'identification des pauvres comme étant les "short-
sighted squatters and slash-and-burn agriculturists" , est, en fait, celle de l'origine de leur
pauvreté.
Ce questionnement révèle que les facteurs à la base de la logique de la pauvreté sont
également à la base de la dynamique de destruction continue de l'environnement : les modèles
économiques se concentrent exclusivement sur la croissance et la richesse, impliquant des
modes de production et de consommation matérielles non reproductibles et inadéquats. En
dernière analyse, les pauvres n'étant pas responsables de leur propre pauvreté ne devraient pas
être considérés comme agents destructeurs de la nature. Ceci rejoint l'hypothèse du
développement humain du PNUD, selon lequel le dilemme entre croissance économique et
protection/régénération de l'environnement n'a pas forcément lieu d'être. La croissance
économique et la répartition des ressources sont vitales pour les sociétés à fort taux
d’inégalité, dont l'environnement se dégrade pour beaucoup en raison de la limitation des
choix possibles (PNUD, 1994).
De surcroît, le Rapport Brundtland ne combat pas le préjugé selon lequel les pauvres
agissent nécessairement dans une perspective contraire à celle de la protection de la nature et
des espèces végétales et animales. Des enquêtes de terrain réalisées aux Philippines, pendant
les années 1987-89, dans les régions de Luzon, Visayas et Mindanao, ont révélé que les plus
pauvres s'inquiétaient d'une catastrophe écologique et des moyens de subsistance de nouvelles
générations (Ostrom, 1990). Les activistes séringaliers en Amazonie et les mouvements
écologiques au niveau local – dont la figure emblématique, Chico Mendes, a paru dans al
presse du monde entier – sont très soucieux de la durabilité de leur environnement, dont ils
dépendent largement pour leur survie au quotidien. Sans tomber dans le piège d’une vision
romantique et passéiste, il faut raconnaître que le point de départ de ces logiques de survie, de
permanence et de citoyenneté des groupes sociaux défavorisés surtout dans le milieu rural est
la relation historique entre les communautés locales et leur environnement.
La notion de développement durable proposée par la Commission Brundtland a connu
un essor médiatique grâce à sa flexibilité et sa versatilité. D'autres diraient que c'est à son
ambiguïté que l'expression "développement durable" doit son succès. Elle a permis un usage
généralisé par différents hommes politiques, le aders internationaux, ONG, etc. sans que son
contenu ait été vraiment passé en revue. D'une part, les environnementalistes nous ont
présenté des documents (par exemple, le World Conservation Strategy) dans lesquels le
développement durable est perçu comme le concept qui intègre pleinement les soucis de
protection de l'environnement dans la planification du développement. Dans l'esprit des
écologistes, l'interprétation de la durabilité est claire : elle implique prévoir un volume de
production qui soit supportable pour l'écosystème et qui, par conséquent, puisse être envisagé
à long terme.
D'autre part, ce concept a été très bien accepté par les administrations nationales et
internationales, car ce nouveau label accordé au développement suggérait à la fois l' utilisation
d'une approche participative ("participatory approach" dans le jargon des Nations Unies) et
un changement apparent du modèle économique, sans que pour autant les transformations
sociales et économiques nécessaires s'accomplissent. La pensée dominante voit dans le
développement durable une possibilité de faire durer la croissance à long terme, car la
"durabilité" est comprise dans le sens trivial de "pérennité".

20
Le Rapport ne réduit pas la problématique de l'environnement à une analyse de la
rareté des ressources (ou de leur épuisement); il reprend également les menaces qui pèsent sur
les écosystèmes globaux ou les questions de capacité d'absorption et de régénération (une
interprÉtation plus vaste des rapports cause-effet). Ces menaces globales, associées à la
pauvreté et à la sous -consommation de la plupart des régions du monde, imposeraient de
nouvelles stratégies de développement, basées sur quatre prémices fondamentales :
1. L'environnement et le développement sont inséparables et constituent un seul défi,
2. Les dégradations de l'environnement sont interactives et impliquent une révision de
la notion de politiques sectorielles,
3. Les dégradations de l'environnement sont liées aux modèles de développement, et
l'environnement et le développement in teragissent avec des facteurs politiques et sociaux,
4. Ces facteurs de développement ne sont plus limités aux frontières nationales; ils
possèdent des débouchées au niveau mondial et international (Rapport, 1987).
Il faut ainsi reconnaître que la Commission a accompli sa tâche de vulgarisation des
rapports environnement-développement, non seulement en tant que problématique des pays
plus avancés, mais aussi comme une question de survie de l'humanité toute entière.
L'élargissement du contenu axiologique (et politique) de la problématique écologique a été un
résultat concret de ses travaux. Le problème serait par la suite de définir quelles stratégies et
quels programmes de développement mériteraient le label de la durabilité, du fait qu'elle
n'avait pas été suffisamment travaillée dans sa perspective théorique.

La Conférence de Rio de Janeiro et après


La résolution 44/228 de décembre 1989 de l‘AGNU convoquait la Conférence des
Nations Unies sur l'Environnement et le Développement, pour juin 1992. La proposition
brésilienne d'avoir le Brésil comme pays-hôte de cette Conférence a été acceptée par la même
occasion. Dès le début, l'UNCED (United Nations Conference on Environment and
Development) est considérée comme une rencontre au sommet de nature diplomatique et
juridique à laquelle divers processus de négociations en matière d'environnement aboutiraient.
Grâce notamment à la pression des pays en développement, la problématique de
l'environnement n'est pas elle -même au cœur de la Conférence - c'est plutôt son insertion dans
les politiques de développement qui intéresserait les négociateurs.
Les principaux résultats de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement et le
Développement ont été les deux Conventions sur les changements climatiques et la
biodiversité, la Déclaration de Principes, la Déclaration sur les forêts et l'Action-21 (voir
encadré 1). Les divergences entre le Nord et le Sud se sont perpétuées dans la préparation de
ces documents : au-delà des clivages traditionnels entre l'environnement et le développement,
la régulation internationale et l'exercice de la souveraineté sur les biens dits communaux, ou
alors entre les conditionnalités et les financements additionnels à la protection de
l'environnement, le Nord privilégia l'inclusion du principe pollueur-payeur, du principe de la
précaution (precautionary principle), des thèmes comme la préservation des ressources
naturelles et le contrôle de la natalité dans les différents documents de la Conférence. Le Sud,
par contre, préconisa le principe du partage des responsabilités (notamment en matière
financière), le transfert des technologies nouvelles selon des bases plus favorables que celles
du marché, et l'augmentation de l'aide publique au développement (selon le but fixé par
l'ONU de 0,7% du PNB).

21
Parmi les défis posés par l’Action-21, celui des financements additionnels et des
technologies avancées a été au cœur des débats entre le pays industrialisés et les pays moins
développés. D'après les termes de la résolution 44/228 – afin de mettre en œuvre les politiques
de développement et d'environnement sur la base du concept de développement durable,
comme l'avait défini la Commission Brundtland – les PEDs avaient besoin à la fois
d'assistance financière nouvelle et additionnelle et d'accès à la technologie occidentale à des
conditions concessionnelles et préférentielles.
Du côté des pays du Nord, les Etats Unis répondaient qu'il faudrait – par exemple, en
ce qui concerne les technologies - respecter les règles de la propriété intellectuelle et les
normes du marché, étant donné que les technologies "vertes" les plus avancées sont sous
contrôle des entreprises privées. Ici, il est intéressant de noter que ce même argument n'avait
pas été utilisé dans le cas des technologies d'armements dites "sensibles" : les pays
occidentaux, réunis au sein de différents "clubs de contrôle" (dont le Comité de coordination
des contrôles multilatéraux à l'exportation - le COCOM - est un exemple) interdisent le
commerce de technologies duales, indépendamment des règles du marché 17.
Dans le domaine des finances, le GEF (Global Environmental Facility) constituerait la
seule contribution significative des PIs à la gestion des problèmes d'environnement, mais
exclusivement dans leur perspective globale. Les raisons invoquées par les PIs pour
l'impossibilité d'un engagement plus important relevaient des coûts de la réunification pour la
RFA, ou alors du déficit public pour les EUA et le Royaume Uni. L'OCDE a complètement
écarté la possibilité d'un fonds pour l'environnement (green fund ), tel que l'imaginaient les
PEDs. Le seul compromis accepté par les PIs était celui du barème de l'ONU de 0,7% du PNB
consacré à l'aide publique au développement, mais ceci à caractère indicatif et non
contraignant. Quelques pays ont annoncé une augme ntation du niveau de leur aide dans la
mise en œuvre de l'Action-21, parmi lesquels les CEE (4 milliards de dollars) et le Japon (1,5
milliard annuels pendant cinq ans).
Le processus de Rio (qui comprend Rio-92, Rio+5 et Rio+10) renouvelle, une fois
encore, le dialogue Nord-Sud; les intérêts divergents pour l'environnement global et la
pauvreté sont de nouveau à l'ordre du jour. La lutte pour sauver la planète ne supplante pas la
lutte économique en tant que thème directeur de l’ordre mondial. En Amérique latine, par
exemple, les années 1995 et après sont très marqués par les politiques d’ajustement
macroéconomique, la problématique environnementale jouant un rôle mineur dans la
négociation. Le dialogue Nord-Sud se répète sans que le vieux problème du rôle
complémentaire du financement international dans le cadre d'économies de plus en plus
mondialisées ne soit sérieusement discuté. D'une part, les PEDs ne veulent guère reconnaître
l'importance capitale de la mobilisation des ressources locales pour le fina ncement du
développement durable. De l'autre côté, l'on n'a pas fait les distinctions nécessaires entre les
différentes formes de coopération financière : l'on a assimilé toute sorte de financement
international à l'aide au développement. Le "dialogue de Rio" n'a pas adressé les questions
fondamentales, par exemple, celle du fait que l'APD ne dépasse guère la moitié du seuil de
0,7% des Nations Unies.

17
Le COCOM, fondé en 1949, est un mécanisme de contrôle des exportations basé sur les listes d'embargo obligatoire (le
matériel de guerre, le matériel à usage nucléaire) et la liste industrielle (comprenant des produits industriels à usage civil). La
technologie est ainsi contrôlée, même si elle est sous le contrôle des sociétés privées, selon la catégorie à laquelle appartient
le pays: les pays membres du Comité (les membres de l'OTAN sauf l'Islande, plus l'Australie et le Japon), les pays
coopérants (qui suivent les recommandations du Comité sur le régime de contrôle, sans avoir de pouvoir de décision), les
pays visés (auparavant, les pays du bloc socialiste) et les pays tiers (qui doivent présenter la garantie de non-exportation des
produits sous contrôle). Il s'agit d'un exemple évident de régulation du marché selon les intérêts stratégiques des puissances
occidentales.

22
ENCADRE 1 : LES DOCUMENTS PRODUITS A RIO DE JANEIRO

La Déclaration de principes est destinée à poser les bases d'un partenariat mondial pour
l'environnement. A l'origine, elle avait été pensée comme une Charte de la Terre, proposant des principes
d'action également au niveau national. Suite aux négociations de différents PrepComs, le document final ne
prévoie pas d'instruments opérationnels en faveur d'un développement durable. Les 27 principes incluent des
éléments-clef de l'agenda politique des PIs et des PEDs, dans un pêle-mêle qui s'étend du droit souverain des
Etats dans la gestion de leurs ressources naturelles (principe 2), passant par le droit au développement (principe
3), par l'accès à l'information et la participation des citoyens (principe 10), par le principe de la précaution ou
precautionay principle (15) jusqu'au principe du pollueur-payeur (numéro 16).
Lorsque les négociations autour d'une Convention sur les forêts ont échoué, le PrepCom a mis sur son
agenda la signature à Rio d'une Déclaration sur les forêts. L'idée d'une convention n'a jamais aboutit pour
différentes raisons : l'Inde et la Malaisie étaient farouchement contre l'idée d'une convention sur les forêts,
notamment si elle ne concernait que les forêts tropicales; les PIs ne voulaient pas inclure les forêts des zones
tempérés et boréales dans la convention.
La Convention sur les changements climatiques a été le résultat des négociations amorcées du point de
vue scientifique en 1988 (avec l'instauration de l'IPCC-International Panel on Climate Change) et du point de
vue politico-diplomatique en 1991 (avec l'établissement du Comité Intergouvernemental de Négociation, CIN).
Signée à Rio par 153 pays, elle ne fixe ni objectif précis ni échéancier contraignant en matière de réductions des
émissions de CO² - pour le plus grand intérêt des EUA et des membres de l'OPEP. Or, les pays de la CEE
insistaient sur un engagement sérieux en ce qui concerne les émissions. Le président do CIN, le français Jean
Ripert, a proposé le compromis, finalement accepté, qui exige des PIs de présenter un rapport sur le progrès des
restrictions nationales des émissions afin d'essayer d'atteindre un "seuil tolérable", et ceci avant la fin du XXe
siècle. Le mécanisme financier d'aide aux PEDs est géré par le GEF.
La Convention pour la protection de la biodiversité, a été conclue en mai 1992 à Nairobi. Les thèmes
de la biodiversité et des biotechnologies avaient été traités séparément, mais à partir de 1991 le Comité
Intergouvernemental de Négociations a décidé de les intégrer dans un seul processus - ceci malgré les
objections des EUA et des pays industrialisés en général. Cette convention a posé la règle que les Etats abritant
les espèces protégées doivent être aidés à les protéger, notamment par le biais des crédits et des transferts de
technologies. Les EUA ne l'ont signée que quelques mois après l'UNCED, car fondamentalement elle n'assurait
pas la protection des droits de propriété intellectuelle et accordait un degré inacceptable de contrôle financier
aux PEDs. La France et le Japon, respectivement, avaient menacé de ne pas la signer parce que le texte ne
prévoyait pas une liste des régions riches en biodiversité et que ses règles allaient à l'encontre de la régulation
en matière de biotechnologie; ils n'ont pourtant pas maintenu la pression qui régnait à Rio. 153 signatures à la
Convention ont été obtenues à Rio de Janeiro.
L'Action-21, comprenant plus de 500 pages, 40 chapitres et 115 programmes, inclut des domaines
aussi divers que la pauvreté, le commerce mondial, la population, les villes, la pollution atmosphérique, la
déforestation, la désertification, l'agriculture, la biodiversité, la gestion des déchets, le rôle des femmes et de la
jeunesse, entre autres. L'Action-21 est devenue le document dépositaire de tous les vœux de différents pays,
surtout ceux qui n'étaient pas satisfaits de la non-inclusion de quelques-uns des thèmes dans l'ordre du jour
principal de la Conférence. En principe, la négociation d'un document pareil ne pose pas trop de problèmes,
surtout qu'il s'agit d'un document à caractère de recommandation essayant d'établir un plan de débats
internat ionaux pour l'après-Rio. Toutefois, la tension entre le Nord et le Sud était devenue presque un obstacle à
la réalisation finale de l'Action-21 : le Nord visait à mettre en relief le partage de la responsabilité globale vis -à-
vis de l'action pour l'environnement et éviter ainsi de reconnaître une quelconque responsabilité historique de
laquelle découleraient des engagements financiers, pendant que le Sud insistait sur le lien entre la
surconsommation et la pauvreté - lien à partir duquel découlerait le gage de financements nouveaux de la part
des pays du Nord. La tension a été également présente dans les discussions sur le financement de cet Agenda
21, estimé à 625 milliards de dollars par an, dont 125 milliards devraient incomber aux PIs. Ce véritable plan
d'action est devenue soft law après son adoption en tant que résolution de l'AGNU en automne 1992. L'Action-
21 comprend quatre principales sections, consacrées respectivement aux dimensions sociales et économiques, à
la conservation et à la gestion des ressources pour le développement, au renforcement du rôle des principaux
groupes, ainsi qu'aux moyens de sa mise en œuvre.

La critique aux résultats peu contraignants de ce « processus de Rio » passe


nécessairement par l'incapacité de l'actuel modèle économique à résoudre les problèmes
sociaux et environnementaux qu'il engendre. Cela veut dire qu'il faut reconnaître que la crise

23
contemporaine de l'environnement ne peut pas être désignée comme un simple résultat de
l'action prédatrice du Nord. Les systèmes économiques en vigueur dans les pays du Sud sont
également responsables de la dégradation de l'environnement et de la non-satisfaction des
besoins de base de la population. La corruption, la mauvaise utilisation des fonds publics, la
mise en œuvre de politiques qui ne tiennent pas compte des effets sociaux et
environnementaux y sont également pour quelque chose. Certes, dans la plupart des cas, ce
sont des conséquences des politiques d'ajustement structurel imposées par les instances
financières internationales (Banque mondiale et FMI), mais ceci n'élimine pas complètement
la responsabilité nationale dans la conduite des affaires des PEDs.
Afin d'illustrer cet argument, prenons un thème complètement absent à Rio, celui de
l'agriculture et de ses effets en matière de développement économique et social 18. Les
impacts sur l'environnement à la fois dans les PIs et dans les PEDs engendrés par les modes
de production agricole sont intrinsèquement liés aux questions de la régulation internationale.
En premier lieu, dans le cas des pays développés, la destruction environnementale est la
conséquence directe, entre autres, du fameux plan Mansholt; ce dernier a été échafaudé
autour d'une série de mesures visant à moderniser les structures de manière à les rendre plus
compatibles avec les exigences de la politique des prix, les exploitations incapables de s'y
adapter étant vouées à la disparition (Steen, 1992). Les résultats de la révolution agricole
dans le Nord ont été, bien évidemment, l'augmentation de la productivité, mais aussi les
pollutions par les pesticides, par les nitrates des engrais de synthèse et des effluents
d'élevages intensifs; la perte partielle de la diversité biologique, tant des espèces cultivées
que des espèces qui ne le sont pas; la destruction des haie s et bocages; l'érosion et la perte de
la qualité des terres arables. En deuxième lieu, par rapport aux PEDs, il y a destruction de
l'environnement, par exemple, lorsque les paysans locaux, en réaction contre l'exportation
des excédents agricoles exportés du Nord à des prix très faibles, très souvent subventionnés,
vers le Sud, ne font que recourir à des méthodes de culture nuisibles aux ressources
naturelles.
Comme conséquence du modèle productiviste implanté sur les modes de production
agricole, la croissance de production a mené à la concurrence pour l'exportation d'excédents
et, en même temps, à la guerre commerciale entre les CEE, Etats Unis et grands pays
exportateurs du Sud (quelques-uns au sein du groupe de CAIRNS, pendant les négociations
de l'Uruguay Round). Certes, certaines expressions ont été introduites dans l'Action-21 afin
de couvrir cette problématique, mais aucune action concrète n'a été menée par les
gouvernements. Les délégués, ceux des pays du Nord et du Sud, semblent avoir oublié que,
même si nous vivons dans une culture urbaine fortement industrialisée, la société post-
agricole n'existera pas (WEISKEL, 1990).

Quelques limites du concept de développement durable


Le Rapport Notre avenir à tous a été préparé par une équipe composée de personnes
venues du Nord, Sud, Est et Ouest de la planète. Ceci a, certes, constitué un grand atout
politique, mais a produit un consensus et un compromis tels que le contenu du Rapport a été
vidé d’un sens précis. Le premier défaut du Rapport découle donc d' un de ses points forts. Cet
effort pour arriver à un consensus et pour éviter les oppositions politiques, ainsi que la
tentative de lier développement et environnement, écologie et expansion du commerce

18
Le chapitre 32 de l'Action-21est consacré au besoin de renforcement du rôle des agriculteurs, mais sans que des mesures
pratiques et concrètes soient vraiment prévues et mentionnées dans le document, par exemple, en ce qui concerne les
subventions européennes et nord-américaines et leur impact sur l’agriculture des pays du Sud.

24
international, protection de l'environnement et technique, la théorie de la modernisation et la
théorie de la dépendance, le développement vers extérieur (les exportations) et le
développement vers l'intérieur (le marché domestique) ont débouché sur la production de
formules souvent vagues. Le Rapport n'a pas attiré l'attention sur les vrais coûts, les
différentes visions ou les projets possibles du développement durable.
La notion de "time lags" ou d'irréversibilité dans l'action en matière de développement
durable en est un exemple : les effets sur l'environnement ne sont très souvent perçus qu'à
long terme; d'où le besoin d'application immédiate du principe de la précaution. Cette
contradiction théorique et stratégique entre les effets futurs, le manque de certitude
scientifique et de capacité d'anticipation, d'une part, et l'action immédiate au niveau politique,
de l'autre, empêche une action concertée plus généralisée de la communauté internationale.
Un deuxième exemple : il s'est créée une certaine confusion entre les différents
niveaux de la valeur économique de l'environnement. La valeur économique totale de
l'environnement serait égale à la somme de sa valeur d'usage, de sa valeur d'option et de sa
valeur d'existence. La valeur d'usage est attribuée par les individus ou les groupes qui
profitent de l' environnement menacé; la valeur d'option correspond à la mise en attente d'un
environnement au profit des générations futures et en fonction d'une structure de valeurs non
orientée vers la consommation primaire des biens et services; la valeur d'existence,
finalement, est le résultat d'un droit de l'environnement qui serait indépendant de l'usage
présent ou futur des ressources. Comment mesurer ces valeurs ? Qui les détermine et au sein
de quels espaces de négociation ? Seraient-elles fongibles ?
De plus, au niveau de ses prémices, le Rapport Brundtland ne touche point à la
question de la distribution des richesses ; il mentionne seulement l'accroissement de la
richesse pour une redistribution future. Sur le plan international, remettre en cause la
distribution du revenu existant impliquerait ne pas accepter l'inégalité flagrante entre les pays
développés et les pays moins avancés. Quel serait le revenu de base nécessaire à l'avènement
du développement durable pour chacun des pays ? Cette interrogation était, dans les années
1970, à l’origine des discussions sur le nouvel ordre économique mondial, mais ses
fondements n'ont pas été repris par la Commission Brundtland, une fois de plus à mi-chemin
entre les compromis politiques et la rigueur intellectuelle et théorique. Sur le plan national,
lorsqu'on parle de changement de paradigme du développement, comme l’incite le concept du
développement durable, comment ne pas toucher au capital productif et aux ressources
naturelles en vue d'une réforme de la propriété de la terre ? Au Brésil, par exemple, la
question de l’accès à la terre productive (garantissant en même temps l’accès au marché pour
les produits) est au cœur des négociations politiques et des conflits entre les responsables du
gouvernement, les propriétaires fonciers et les mouvements sociaux (notamment le
Mouvement des Sans Terre). Il serait précaire de parler sérieusement d’un développement
durable au Brésil sans toucher la question-clé des inégalités sociales historiquement
construite.
En matière de population également, le Rapport Brundtland ne s'est pas prononcée
pour le contrôle de la natalité. Dans le domaine de l'énergie nucléaire, l'adoption de politiques
de développement durable ne semble pas être en contradiction avec les options énergétiques
de certains pays comme le Japon ou la France : pourquoi alors ne pas critiquer ces options ou
montrer leurs défaillances écologiques, voire économiques? De plus, le Rapport exagère
l’importance de la croissance économique et parle peu des difficultés concrètes qui se posent
à la construction d’une société durable. L’hypothèse de base du Rapport est la possibilité
qu’offre la modernité technologique en termes d’économie d’énergie et de préservation des
ressources naturelles : on croît que la technologie empêchera la croissance de nuire à la nature

25
et à l’environnement. Or, comment pourrait la seule innovation technologique expliquer les
dégâts produits par la surconsommation ou la mauvaise consommation?
Plusieurs questions, peu de réponses 19. Les limites du concept de développement
durable sont ainsi de plusieurs ordres : temporel, spatial, politique, économique, social,
culturel. Ici, nous n'en avons énuméré que quelques -uns. D'emblée, le concept tel qu'il est
présenté dans le Rapport Brundtland ne semble pas faire une distinction claire et nette entre
les différentes tournures et les expressions de la "durabilité". Comme nous le rappelle Wilfred
Beckerman, la durabilité peut être comprise dans deux perspectives principales : la durabilité
« forte » et la durabilité « faible ». Le Rapport a essayé de compatibiliser l'approche d'une
économie de marché avec la promotion de la durabilité faible, bien que quelques passages
prennent plutôt le parti de la conservation radicale (Beckerman, 1994). La justification donnée
à cette démarche « mixte » est notoirement économique, même si les valeurs éthiques,
esthétiques, scientifiques sont souvent mentionnées comme facteurs d'appui au raisonnement
de la préservation. On affirme dans le Rapport, par exemple, que les raisons économiques ne
sont pas les seules à justifier la conservation des espèces ; les raisons esthétiques, éthiques,
culturelles et scientifiques à elles seules suffiraient ; mais, pour ceux qui exigent des comptes,
la valeur économique du matériel génétique que renferment toutes les espèces justifie
largement leur conservation. Ce raisonnement est suivi de la recette des activités
économiquement prometteuses en matière de conservation de ressources
naturelles : l'industrie pharmaceutique, la médecine, l'agriculture (la Révolution génétique),
domaines dans lesquels le secteur économique pourrait puiser afin de garantir à la fois la
préservation des espèces et des gains considérables.
D’une part, il faut savoir que l'analyse des faits démontrent que la version de la
durabilité conservationniste (ladite durabilité «dure ») et adepte d’une croissance contrôlée
est moralement inacceptable, compte tenu des inégalités sociales et de l'exclusion croissante
provoquées par le modèle économique en vigueur. Elle est impossible du point de vue
pratique, étant donné que le développement a atteint un seuil à partir duquel le recul à l'âge
préindustriel n'est point envisageable, sauf pour les adeptes d'utopies radicales ou de
philosophies alternatives. Il faut faire un choix : accepter, à court terme, un niveau optimum
de pollution et de dégradation écologique plutôt que priver l’humanité de biens et services.
Ceci dans la perspective de ne pas être en mesure de trouver des alternatives triplement
gagantes, comme le dirait Sachs, en matière d’économie, d’environnement et de justice
sociale. Il n’y a pas de contradiction absolue entre croissance économique et réduction de la
pollution, à condition que le niveau optimal d’utilisation de ressources tienne compte de
considérations de distribution sociale.
D’autre part, l’adoption de cette démarche en accord avec une régulation économique
de l’environnement peut déboucher sur le maintien des inégalités au sein et entre des pays du
Nord comme du Sud. Sans vouloir préjuger de l'importance de la protection de la faune et de
la flore dans toute stratégie de développement, dans la pratique, la révolution biogénétique
(présentée comme l'un des facteurs de la préservation des espèces) ne profite guère aux pays
qui en ont vraiment besoin. Laisser l’environnement en tant que bien collectif à la seule
régulation du marché, et ceci dans la seule perspective de la conservation de la nature, peut
avoir des effets pervers sur la société toute entière, mais encore plus pour les couches sociales
les moins favorisées.

19
Il va de soi que le Rapport a attiré l’attention de la société en général (les médias, les entreprises, les citoyens, les
chercheurs) sur le besoin de penser pratiquement sur ce nouveau genre de développement. Les lacunes du concept et les
questions sur son caractère opératoire font aussi preuve de l’intérêt qu’il a provoqué. En examinant ces lacunes, nous ne
voulons aucunement méconsidérer l’importance du développement durable et du Rapport Brundtland pour sa diffusion. Mais
il nous semble important de mettre en relief ses ambiguïtés et ses ommissions.

26
Plusieurs sociétés américaines, canadiennes, japonaises et européennes, par exemple,
s'installent dans certains pays du Tiers Monde (surtout dans ceux situés en région tropicale)
afin d'investir en recherche sur la biodiversité. Dans le cas du Brésil, les accords entre les
institutions scientifiques nationales et internationales sont très courants, les premières
finançant la recherche et les secondes garantissant le transfert du germoplasme, ceci en toute
sécurité juridique 20. La société Merck – celle qui a signé un accord avec le gouvernement du
Costa Rica afin de rechercher la diversité biologique de ce pays d'Amérique Centrale – s'est
installée au Maranhão (Brésil), où elle possède le monopole de la production mondiale de
"policarpina" (obte nue à partir du "jaborandi", plante native de la région). Cela va sans dire
que les Indiens et les habitants de la région reçoivent un montant dérisoire pour la collecte
dans une propriété qui possède environ 7 milliards d'unités de "jaborandis", espèce
actuellement menacée d'extinction. A la FAO, le Conseil International de Ressources
Fitogénétiques a été créé dans le but de stocker et de diffuser le savoir mondial en matière de
biogénétique. Les PVD sont les donateurs de 91% du matériel collecté jusqu'à ce jour, tandis
que les pays industrialisés sont les bénéficiaires de 58% des résultats de la recherche. Il
n'existe aucun contrôle sur la recherche effectuée et ni sur les résultats produits.
Une deuxième version de la durabilité, que Bekerman appelle "durabilité faible",
préconise l'utilisation des ressources naturelles – même de celles menacées d’extinction –
pourvu qu’une compensation soit garantie du côté du capital humain (man-made capital). On
diminue le capital naturel, mais on augmente le capital humain, gardant la formule en
équilibre. Il s'agit, en fait, d'une approche explorée par l'analyse économique dominante
(l’économie néoclassique de l’environnemen), fondée sur la "soutenabilité parétienne". Cette
interprétation part du principe que le développement durable, en se donnant pour objectif de
préserver physiquement les ressources, s'intéresse au bien-être des générations futures.
L'augmentation du bien-être d'aujourd'hui ne peut pas avoir comme conséquence une
réduction du bien-être de demain : il s'agit de chercher une affectation efficace des ressources
dans une économie qui couvre plusieurs générations d'agents économiques. Cela implique que
le stock de ressources totales (le capital physique reproductible, la capital humain et le stock
de ressources environnementales) se maintienne ou croisse au cours du temps, bien que sa
composition puisse changer.
En effet, il s'agit d'une stratégie qui n’offre rien au-delà de la maximisation du bien-
être économique, car elle se fonde sur la logique d'interna lisation des coûts externes,
considérant les prix comme instrument de régulation de la "durabilité". La rationalité utilitaire
prime sur la rationalité substantive, de même que les agents priment sur les structures. Or,
comment définir cette « compensation » de la part du capital humain ? Comment décider de la
fongibilité des capitaux ? Traditionnellement la réponse a varié selon la contribution apportée
au bien être humain. La compensation ne peut avoir lieu que par une substitution du capital
physique ou du travail aux ressources naturelles. En général, tout en reconnaissant que pour
certaines ressources les possibilités de substitution sont très limitées, le remplacement du
capital naturel par du capital produit par l'homme est considéré comme étant toujours viable.
Le concept de développement soutenable serait ainsi logiquement difficile à appliquer.
La solution classique d'internalisation des coûts externes (basée sur la fiscalité, la distribution
des droits de propriété, ou sur la création des marchés de droits de propriété sur les milieux
naturels) n'est applicable que si l'émetteur et le récepteur de l'externalité peuvent être
identifiés, ce qui complique la solution des problèmes d'environnement, lorsque normalement
une multitude d'acteurs se trouvent impliqués de part et d'autre. De surcroît, seuls les impacts

20
La loi brésilienne (jusqu'en 1993) autorise ces accords, le CNPq (Ministère de la Science et Technologie) étant responsable
de l'autorisation et du suivi de ce genre de transaction. Une nouvelle loi sur la biosécurité est en cours de discussion au
Parlement (octobre 2003).

27
marchands peuvent être évalués monétairement à l'aide de prix de marché; pour les autres, les
économistes suggèrent l'établissement d'un prix fictif (shadow price) au moyen de méthodes
d'évaluation particulières.
Point fondamental : le Rapport Brundtland n'a pas pu éviter l’utilisation abusive d’un
langage scientifique au profit de valeurs sociales et de préférences politiques. Le concept de
développement durable proposé confond les caractéristiques techniques d’un développement
particulier avec l'impératif moral de cette modalité de développement. Il aurait fallu établir la
différence entre la durabilité (définie en tant que concept technique) et l’optimalité (concept
normatif); plusieurs activités économiques peuvent être non-durables et parfaitement
optimales, alors que d’autres sont durables, mais non désirables. Si la durabilité, notamment
dans sa version plus radicale, était vue comme une raison pour l'approbation d'un projet
quelconque, il n’y aurait pas d’activité minière ou d’industrie chimique dans le monde.
Il faudrait également s'interroger sur le concept d'optimalité : traditionnellement le
chemin « optimal » est celui qui maximise le bien-être pendant la vie, la valeur du présent
primant sur celle de l’avenir. John Pezzey, lorsqu’il fait une sélection des définitions de
développement durable (plus de 25 dans la littérature économique), affirme que la plupart de
ces définitions comprennent la durabilité comme un moyen de faire améliorer la qualité de
vie, et non comme un moyen de maintenir l’existence sur la Terre 21. Or, si on transpose cette
logique à l'échelle de la population et des générations différentes, le bien-être de la société
imposerait toujours des considérations de distribution et d'égalité. Est-ce que la durabilité
constitue une contrainte ? Y a-t-il une supériorité morale dans la poursuite du développement
durable ? Ou alors, revenant à la question de départ, comment concilier l’économie et
l’écologie ? Peut-on croire à la possibilité de compatibilisation entre le système économique
(traditionnellement jalonné par l'expansion quantitative) et le système naturel (expansion
qualitative) ?
Résumant notre analyse à l'extrême, nous pourrions dire que trois écoles se disputent
la bonne réponse à ces questions. D'abord, la perspective néoclassique et libérale : à partir de
la notion d’externalisation des coûts écologiques et du principe du pollueur -payeur, Denis
Lepage, par exemple, propose la privatisation des biens écologiques ou l’établissement des
droits à polluer. En deuxième lieu, les perspectives néokeneysiennes : augmenter la protection
de l’environnement – via la croissance économique – et la création d’emplois dans le domaine
de l’industrie de l’environnement. En dernier lieu, les perspectives radicales : l’économie,
suivant l’exemple de la nature, doit s’organiser selon les principes des circuits fermés qui
s’auto-régulent en parfaite autonomie. Parmi ces trois modèles (qui sont, en fait, trois
différents projets de société durable), seulement le premier accepte que la rationalité
écologique pourrait naître de l’économie et que la contradiction homme/nature serait résolue
par le système économique. Y aurait-il d’autres possibilités de régulation des rapports
économie -société-environnement ?
Pour Jurgen Habermas, il resterait une issue face au besoin de donner une réponse
politique aux dangers écologiques : à part les formes de régulation systémiques (par le marché
ou par la puissance étatique), la réponse pourrait venir de la conscientisation des citoyens, de
leur participation active et de leur vigilance. En ce sens, la notion développée par le
philosophe allemand de monde vital (en tant que source de rationalité communicative et
d’orientation sociale et écologique) est très utile : utiliser pragmatiquement les effets positifs
du marché et orienter la régulation basée sur l’opinion publique sensibilisée et mobilisée.
Devant l’absence d’un sous-système capable de promouvoir les changements nécessaires dans

21
A partir de l’article de PEZZEY (John), Economic Analysis of Sustainable Development, La Banque mondiale, mars
1989.

28
les relations société-économie-environnement, l’opinion publique et les secteurs atteints par
les dangers écologiques seraient les seules acteurs capables de jouer le rôle d’un organe social
qui s’apercevrait des interdépendances écologiques et donnerait la priorité à la protection de
l’environnement. Or, cela est sûr, cette orientation écologique se base sur une participation
démocratique et une justice sociale. Quant à l'État, il peut constituer à la fois un atout et un
risque : lorsqu’il établit son tutorat sur l’individu (le citoyen), il peut réduire l’importance de
l’axe majeur de la politique écologique durable (à long terme), à savoir la décentralisation et
la participation de l’individu (Habermas, 1994).
Pour Ivan Illich, Serge Latouche et Gilbert Rist, l’issue serait l’abandon tout
simplement du paradigme du développement, car il serait impossible de concilier le respect
des contextes locaux ou nationaux, d’une part, et l’équilibre entre développement économique
et protection de l’environnement, d’autre part. En dépit du bien fondé de plusieurs de leurs
critiques au développement (y compris au développement durable), il nous paraît difficile de
concevoir, à ce stade de nos réflections, une catégorie aussi globale et universelle pour lire,
comprendre et analyser les projets conscients de transformation sociale d’un territoire voulue
et mis en œuvre par des acteurs locaux. Le débat sur le post-développementalisme est, en ce
sens, proche de celui à propos du post-modernisme : le défi posé à ceux qui veulent sortir des
dichotomies traditionnelles et de pratiquer le paradigme holistique de l’inséparabilité serait, à
notre avis, de se porter actuellement comme le plus post-moderne des modernes et le plus
moderne des post-modernes.
Autrement dit, il faut dans la construction de nouveaux paradigmes, reconnaître
l’individu, le micro, les différences, le récit, l’agent, l’homme, sans négliger l’importance des
structures sociales, de l’économie, de l’Etat, l’environnement global où évoluent les hommes.
C’est ainsi que nous reconnaissons les trois dimensions du développement durable : les
dimensions analytique (pour lire et expliquer le monde), normative (pour établir des règles et
définir des valeurs pour le monde) et stratégique (pour agir dans le monde). Dans la
compréhension de ces trois dimensions, il nous reste, pourtant, quelques questions-clé au sujet
du concept de développement durable : quelle est la part des «savoirs » non-académiques et
non-scientifiques dans la refondation du paradigme du développement durable ? quels sont les
savoirs qui intègrent la définition de ce qui est durable et de ce qui ne l’est pas ? comment
s’établit le dialogue entre les savoirs académiques et les savoirs dits traditionnels ?

La structure des savoirs dans les relations sociales : les savoirs de l’écologie
L'écologie, longtemps tenue pour mineure dans le concert des sciences, considérée
comme une philosophie radicalement contestataire vis-à-vis de la société de consommation,
bénéficie depuis le Rapport Brundtland d'une large reconnaissance et d' une intégration
croissante avec d’autres domaines scientifiques (en économie, sociologie, anthropologie,
science politique). Les dangers dénoncés depuis bien longtemps par les écologistes ont acquis,
grâce entre autres à la recherche scientifique, une crédibilité nouvelle telle qu'ils s'imposent
aux dynamiques politiques et économiques. Il y a donc un processus d’écologisation de la
pensée scientifique. Le changement d'échelle des problèmes d'environnement posent à
l'évidence le problème d'une solidarité planétaire qui ne saurait être recherchée sans que
soient simultanément remises en question les stratégies de développement et la coopération
internationale. Il y a ainsi un changement profond des perceptions culturelles sur
l'environnement ; ce processus, loin de n'être qu'un épiphénomène, constitue une tendance
lourde de notre temps. Nous pourrions affirmer que la structure des savoirs est à la base de ce
deux processus, et ses mutations influent de plus en plus les conceptions possibles d’un
développement durable.

29
Comme nous le rappelle Susan Strange, la structure des savoirs (de l'anglais,
"knowledge structure") se constitue à partir des idées, des connaissances et des idéologies,
ainsi que les canaux à travers lesquels ces flux sont véhiculés (Strange, 1988) 22. Il est évident
que les savoirs constituent un niveau des relations sociales peu mesurable et très diffus, dont
la variété (savoirs académiques, savoirs traditionnels, savoirs autochtones, savoirs pratiques)
fait également l’objet d’un ensemble de hiérarchies souvent non-avouées. Dans le domaine du
développement durable, les savoirs académiques, universitaires et scientifiques (les « savoirs
savants ») tendend à s’approprier la seule légitimité du lire la réalité et du dire la vérité. Le
poids du capital symbollique de ces savoirs est considérable dans la construction du concept
de développement durable et dans le processus de prise de décision politique. L’appel aux
scientifiques en matière de développement durable est fréquent pour justifier la signature des
accords internationaux, pour la mise en place d’une politique nationale d’environnement ou la
définition d’une interdiction. Les «savoirs savants » sont souvent les seuls à jouer ce rôle de
légitimation dans l’espace public de discussion, négocia tion et décision sur le développement
durable.
Malgré l’importance symbollique et politique gagnée dans le monde occidental par la
raison scientifique, il n'est pas, à nos jours, de perception écologique cohérente et homogène
des rapports homme-nature et des choix économiques et sociaux en matière de développement
durable dans les pays du Nord comme du Sud. Jean Pierre Dupuy affirme que la composition
de cette perception est tellement hétérogène que l'on pourrait parler de "nébuleuse
écologique" 23. Plusieur s paradigmes et mouvements écologiques de traditions diverses
s'efforcent d'expliquer l'environnement, dont la crise de ces dernières décennies a
profondément modifié les idéologies, les valeurs, les croyances et en a créé de nouvelles.
En effet, l'environnement peut être considéré dans trois perspectives principales : le
milieu naturel, les technostructures créées par l'homme et le milieu social (Sachs, 1980). Ce
concept de l'environnement peut être interprété différemment, car il fait apparaître plusieurs
clivages philosophiques et tendances politiques basées sur diverses conceptions de l'écologie.
Celles-ci tombent d'accord néanmoins sur la critique aux idéologies traditionnelles, à la
pensée libérale et à l'utopie marxiste. En premier lieu, la pensée écologique se veut une
dénonciation du "laisser faire" typique du libéralisme économique qui aurait fait faillite
devant la montée de la crise de l'environnement. La lutte écologique serait une étape qui
obligerait le capitalisme libéral au changement, parce que l'impasse écologique serait devenue
inéluctable. Reprenant l'expression de Keynes, "à long terme nous serons tous morts", qui
signifie que l'horizon temporel de l'économiste ne dépasserait pas les dix ou vingt prochaines
années, étant donné que la scie nce découvrirait de nouvelles voies alternatives : la nature
présente en effet une limite à cette notion temporelle de l'économie de marché. L'homo
oeconomicus, celui qui sert de modèle aux raisonnements économiques traditionnels, possède
la caractéristique de ne pas consommer ce qu'il produit et de ne pas produire ce qu'il
consomme. Cela veut dire que la pensée classique et néolibérale ne tient pas compte des
questions de qualité, d'utilité, d'agrément, de beauté, de bonheur, de liberté et de morale, mais
seulement des questions de valeur d'échange, de flux, de volumes quantitatifs et d'équilibre
global.

22
Un exemple de structure des savoirs qui a façonné toute une civilisation a été la chrétienté au Moyen Age, lorsque le salut
éternel, utilisé comme instrument de légitimation de la puissance de l'Eglise, permettait le contrôle sur les moyens de
communications (index pour les ouvrages interdits, emploi du latin comme langue sacrée), ainsi que son influence au niveau
des finances (la question du crédit et de l'usure) et de la sécurité (la notion d'une guerre juste et sainte). Or depuis longtemps,
la chrétienté n'est plus la principale référence de la structure des savoirs. D'autres éléments sont venus s'y intégrer et
l'innover : des religions nouvelles, les flux culturels, les idéologies, les flux de communications, les sciences et la technique.
23
Dans la traduction brésilienne, l’expression utilisée est "nebulosa ecológica". DUPUY (J.P.), 1980, Introdução à crítica da
ecologia política, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, p. 100.

30
En deuxième lieu, l'utopie marxiste s'est basée sur l'hypothèse d'une possible
reconstruction de la société à l'échelle planétaire par la technologie déchaînée. Or les deux
objectifs de l'utopie marxiste se sont en effet prouvés difficiles à atteindre : d'abord celui de
l'abondance matérielle permettant de satisfaire les besoins de tous; deuxièmement, la facilité
de s'approprier cette abondance. L'accroissement de la production globale et le développement
d'une technique plus agressive sont les fondements de la disponibilité de l'abondance et de la
facilité d'en disposer (Jonas, 1979). Point fondamental, il ne faut pas confondre les lignes
théoriques de l'œuvre de Marx avec les pratiques écologiquement déséquilibrées dans les pays
qui ont vécu le socialisme réel. Il est intéressant de rappeler que Marx, dans La critique du
Programme de Gotha , affirmait qu'il est important de souligner que le travail est la source de
toute richesse; et que la nature est tout autant la source des valeurs d'usage que le travail, qui
n'est lui-même que l'expression d'une force naturelle, la force de travail de l'homme. Et dans
Le Capital, il précisait que "le travail est le père des richesses, mais la nature en est la
mère" 24. D'ailleurs, l'inspiration théorique du mouvement écologique s'est fondée sur les
travaux d'auteurs nettement influencés par la pensée marxiste, tels que Nicos Poullantzas,
Michel Bosquet, Ivan Illich ou André Gorz 25.
La crise écologique agit donc comme un révélateur des crises profondes de différents
paradigmes et sert de déclencheur à une nouvelle pensée "écologisée" (Kern, 1992).
L'écologisme serait ainsi incompatible avec le capitalisme néolibérale et le socialisme
autoritaire. A la base de la critique, gît la négation d'une rationalité qui est émerveillée par la
mission civilisatrice du développement technologique. Les résultats produits par la
technologie définitivement déchaînée, à laquelle la science confère des forces sans précédents
et l'économie son impulsion sans freins, réclament une nouvelle éthique. Les écologismes
prétendent représenter l'idéal de cette éthique qui empêcherait les pouvoirs de l'homme de
devenir une malédiction pour lui-même.
Car la problématique de l'environnement permet à l'homme moderne de se dégager
enfin du rapport de force qu'il a établi avec la nature et pour lequel il n'aurait constamment
inventé que des "correctifs", tels que la chrétienté, le libéralisme et le socialisme. La crise de
l’environnement permet à l’homme de rompre définitivement avec la vision
développementaliste traditionnelle, selon laquelle la nature serait à la fois une cornucopia
pourvoieuse inépuisable de ressources et un égout avec une capacité d’absorption des déjets à
l’infini. Avec cette rupture et devant l'intensification de la croissance économique démesurée,
la nature ne fait pas de différence entre le fait que l'attaque vienne de "droite" ou de "gauche",
que l'attaquant soit bourgeois-libéral ou social-marxiste. En dernière instance, la question n'est
pas de savoir ce que l'homme sera encore à même de faire – et ici nous reprenons quelques
arguments de Hans Jonas dans le premier chapitre de son ouvrage – mais celle de savoir ce
que la nature peut supporter. La promesse de la technologie – fondement de ces deux
utopies – s'est transformée en menace ou, du moins, celle-ci s'est nettement alliée à celle-là;
d'où le besoin d'anticiper la menace elle-même, ce que Jonas appelle une "heuristique de la
peur ".
Personne ne doute aujourd'hui du fait que la nature nous impose des limites de
tolérance, étant donné que l'humanité est rapidement passée d'une dynamique de

24
Citation à partir de LIPIETZ (Alain), 1993, Vert espérance, l'avenir de l'écologie politique, Paris, La Découverte, p. 21.
25
L'interprétation ultérieure de la pensée de Marx, basée sur la notion de valeur qui découle du travail de l'homme
(synonyme de "travail nécessaire à la production"), a considéré l'environnement comme un bien quasi-gratuit dans le
processus de développement libre, progressif et universel des forces productives. Dans les décennies qui suivirent la
révolution bolchevique, l'homme a été conçu comme une créature complètement sociale, l'essence humaine étant contenue
non pas dans les caractères et qualités individuels de l'homme, mais dans le système de relations sociales pris dans son
ensemble. Les lois biologiques liées à l'évolution humaine n'ont pas été pas prises en considération, les lois de développement
social ayant été considérées comme primordiales.

31
contemplation à la domination qui a entamé le thème du pouvoir et de son usage. Le pouvoir
se propulse par lui-même et se rend indispensable. Dans ce contexte, s'est ainsi posée –
notamment au début des années 1960 – la question de savoir si l'utopie écologique se situe à
l'intérieur ou à l'extérieur des idéologies libérale et marxiste.
Comment l'homme, partie intégrante de la nature, peut -il modifier son organisation?
Comment une nature si bien faite peut-elle être perturbée par l'action d'une de ses espèces?
Quel ordre constituer à partir de ce clivage fondamental en écologie politique? Les réalistes
et réformistes (en R.F.A., les réalos, aux EUA, les "environnementalistes"), tenants d’une
approche anthropocentrique, mettent en relief le besoin de protéger l'homme des dangers que
la crise de l'environnement lui amène. Courant moins dogmatique, moins doctrinaire (connus
aux États Unis comme les "dry greens" ), ses partisans affirment que l'environnement n'est pas
doté d'une valeur intrinsèque, car la nature n'est pas considérée comme un sujet de droit.
D'ailleurs, les partisans de ce courant idéologique ne parlent pas de protection de la nature
stricto sensu, mais plutôt de l'environnement, vu comme ce qui environne l'existence
humaine.
Grosso modo, c'est le courant qui recueille la plus large audience dans l'arène
intellectuelle internationale, car ses postulats ne visent aucunement à l'arrêt du développement
et la question de la pauvreté y est vue comme l'un ses éléments clef. Au niveau latino-
américain, par exemple, quelques intellectuels réunis à la première "Cumbre del
pensamiento", tenue au Guate mala en avril 1993, ont rappelé le droit des peuples d'Amérique
Latine à un développement soutenable et condamnèrent les radicalismes écologiques, "porque
lo que est en peligro de subsistencia son las generaciones venideras y la propia biosfera" 26.
La deuxième approche, écocentrique, révolutionnaire et fondamentaliste (les fundis
allemands ou les "écologistes profonds" américains), remet en cause l'humanisme occidental.
Des intellectuels tels que Aldo Leopold (EUA), Hans Jonas (RFA), Michel Serres (France)
défendent tous l'idée d'un "contrat naturel", au sein duquel tout l'univers est sujet de droit, y
compris les arbres et les pierres. Tout se passe comme si l'objet "monde" redevenait l'un des
acteurs principaux de notre temps. Cela signifierait la recherche non seulement du bien
humain, mais également celui des choses extra-humaines; il s'agirait donc d'étendre la
reconnaissance des "fins en soi" au-delà de la sphère de l'homme et intégrer cette sollicitude
dans le concept du bien humain. Point fondamental : la protection de la nature et la
reconnaissance de son droit d'existence indépendamment de l'homme s'accompagnent
toujours d'une dimension critique à l'égard de la "modernité", désignée comme capitaliste,
occidentale, technicienne, consumériste.
En effet, selon la pensée écologique "radicale", nous avons bien le droit de risquer
notre propre vie, mais non celle de l'humanité. Cela voudrait dire que nous n'avons pas le droit
de choisir le non-être des générations futures à cause de l'être de la génération actuelle
(principe de responsabilité intergénérationnelle). Et ceci est vu comme un axiome sans
justification, car il peut même être impossible, sans recours à la religion, de légitimer en
théorie l'obligation à l'égard de ceux qui n'existent pas encore. La nature est ainsi considérée
comme sujet de droit : Christopher Stone (1972) publie dans la très sérieuse Southern
California Law Review un article consacré aux droits des arbres, intitulé "Should trees have
standing? Toward legal rights for natural objects". Ses hypothèses sont reprises en France par
Marie-Angèle Hermitte. Dans ce même courant, on pourrait citer les délits qualifiés de crimes
contre l'écosphère (1985) : la Commission des réformes des lois, créée par le gouvernement
canadien en 1971, publie le rapport "Des crimes contre l'environnement", choisissant le camp
des réformistes (c'est-à-dire que la nature n'aurait pas de droit si ce n'est que pour la protection

26
Voir "La Cumbr e del pensamiento reunida en Guatemala reclama una cultura de la paz", in El País, 28.04.93, p.31.

32
de l'homme lui-même), mais admettant néanmoins la conception des crimes contre la na ture,
tels que la pollution des eaux et de l'air.
Les philosophes norvégiens Arne Naess et George Sessions (auteurs de "The Deep
Ecological Movement, Some Philosophical Aspects" ) ont tenté de regrouper les principaux
motivations de l'écologie profonde dans un texte qu'il faut citer en son entier puisqu'il vaut
comme l'un des manifestes les plus fiables du mouvement 27.
Inspiré du concept de deep ecology, et combinant les soucis contemporains vis-à-vis
de l'environnement global (liés à la nouvelle évaluation des conséquences environnementales
d'une guerre nucléaire, la Nuclear Winter Theory) et des catastrophes biotiques de l'histoire de
la Terre (les Mass Extinctions Theories), le promoteur de l'hypothèse Gaïa, James Lovelock
lance la théorie de l'existence d'une planète vivante, unique en son genre dans le système
solaire, autonome et auto-organisée. Considéré comme l'un des maîtres à penser d'un groupe
vouant une certaine vénération de la Mère Nature, Lovelock a retravaillé dans ses trois livres
principaux (en 1979, 1988 et 1991), les études très importantes du russe Vernadsky et de
Margulis (1974), promouvant la revitalisation (le greening) de la vision du monde à partir
d'une véritable renaissance de la traditionnelle conception organique de la Terre-Mère : après
plusieurs siècles de développement scientifique réductionniste caractérisé par la
"mécanisation de l'image du monde", l'hypothèse Gaïa représente - de l'avis de l'auteur - la
révolution scientifique et culturelle majeure de notre temps.
La diversité des visions et les alternatives d'action globale proposées par l'écologisme
mondial sont ainsi traversées par la pensée néo-hobbesienne, néolibérale et radicale, mais
aussi les conceptions conservatrices, anthropocentriques et biocentriques. A la base de la
pensée écologique gît, en fait, la critique de la modernité : les écologismes jugent très
sévèrement l'idée de modernité dont la forme la plus ambitieuse fut l'affirmation que l'homme
est ce qu'il fait, comme s'il existait donc une correspondance de plus en plus étroite entre la
production, rendue plus efficace par la science, la technologie ou l'administration,
l'organisation de la société réglée par la loi et la vie personnelle.

Les savoirs solaires et les savoirs lunaires dans la définition du


développement durable

Paul Taylor, pédagogue, philosophe et professeur à l’Université de Rennes 2, nous


rappelle l’existence de trois niveaux dans les relations entre les savoirs. Comme l’indique la
figure 3, ci-dessous, à un premier niveau, s’opposent les savoirs théoriques et universitaires
aus savoirs d’expérience. A un deuxième niveau, interviennent les savoirs d’agir,

27
Les principes de l'écologie profonde sont les suivants : 1-Le bien- être et l'épanouissement de la vie humaine et non-
humaine sur la terre sont des valeurs en soi, indépendantes de l'utilité du monde non-humain pour les fins poursuivis par
l'homme. 2-La richesse et la diversité des formes de vie contribuent à la réalisation de ces valeurs et sont, par conséquent,
elles-aussi des valeurs intrinsèques. 3-Les humains n'ont aucun droit de réduire cette richesse et cette diversité si ce n'est pour
satisfaire des besoins vitaux. 4- L'épanouissement de la vie et de la culture de l'homme est compatible avec une diminution
substantielle de la population humaine. L'épanouissement de la vie non-humaine exige une telle diminution. 5-L'intervention
de l'homme dans le monde non-humain est actuellement excessive et la situation se dégrade rapidement. 6-Il faut, par
conséquent, changer les orientations politiques de façon drastique sur le plan des structures économiques, technologiques et
idéologiques. Le résultat de cette opération modifiera profondément l'État actuel. 7-Le changement idéologique consiste
principalement dans le fait qu'il valorisera la qualité de la vie, plutôt que de viser sans cesse à un niveau de vie plus élevé. Il
faudra qu'il y ait une prise de conscience profonde de la différence entre ce qui est "gros" (big ) et ce qui est "grand" (great).
8-Ceux qui souscrivent aux points qu'on vient d'énoncer sont dans l'obligation directe ou indirecte de travailler pour ces
indispensables changements. Voir FERRY, L'écologie profonde: essai de critique philosophique, Paris, Fondation Saint-
Simon, mai 1992, pp. 21-23.

33
indispensables dans leurs relations avec les savoirs théoriques et les savoirs d’expérience :
car, en dernière analyse, ces savoirs d’agir mettent ces deux autres formes de savoir en
« mouvement », en contact avec les relations sociales, les individus et les groupes sociaux. De
ce mouvement surgissent les deux autres formes de savoirs : les savoirs scientifiques et les
savoirs d’engagement. A un troisième et dernier niveau, viennent s’ajouter les savoirs
spirituels, souvent exclus de la catégorie de savoirs, qui eux-aussi se mettent en relation avec
les savoirs théoriques et les savoirs d’expérience (engendrand les savoirs de la sagesse et les
savoirs du cœur). Le partage se fait en terme d’importance et de légitimité de ces différentes
catégories de savoirs : il y en a qui brillent, qui sont objectifs, vérifiables ; il y a d’autres (les
savoirs de la lune et de l’étoile) qui correspondent aux savoirs de la «grande joie », aux
savoirs de la « grande tristesse ». Pour les savoirs lunaires, l’homme sait beaucoup plus qu’il
ne le sait dire (Taylor, 2000).
Cette belle métaphore à propos de la lune, le soleil et les hiérarchies établies entre les
savoirs nous permet de comprendre le rôle que peuvent jouer ces différentes catégories de
savoirs dans la construction du concept de développement durable. La raison scientifique a
oublié que la relation homme-nature a traditionnellement été au centre des préoccupations
spirituelles et théologiques, notamment dans la perspective des rapports entre l'homme et
Dieu (ou les Dieux). Dès la nuit des temps et les débuts de la vie humaine sur Terre, les
Anciens avaient intimement compris qu'à moins de vivre en respe ctant la loi naturelle, ils ne
survivraient pas; et très fréquemment cette loi naturelle relevait de l'attention divine,
indépendamment de son origine. Comme le souligne Hanne Strong, les Anciens parlaient d'un
code d'instructions que leur avait donné le Créateur et obéissaient aux lois qui guident le
rapport de l'humanité aux quatre éléments – la terre, l'eau, l'air et le feu (Strong, 1995). Au
demeurant, en Grèce la quintessence de la pensée pré-socratique fut la recherche des origines
de la vie. Talles de Milleto (640-548 a.C.), créateur d'une cosmologie et pour ainsi dire
initiateur de la philosophie grecque, a exploré les explications des principes constitutifs de
l'univers : l'eau serait à l'origine de la vie. De la même façon, l'air est le principe fondateur
pour Anaximènes; le feu, la terre et l'eau (Apeiron ) selon Anaximandre; le feu en tant que
symbole de l'éternelle évolution pour Héraclite; le nombre pour Pitagores.
Les différentes religions et philosophies contemporaines structurent les systèmes de
valeurs qui orientent le comportement et les attitudes de l'homme dans ses rapports avec
autrui et la nature. Les religions sont aussi un instrument culturel moyennant lequel l'homme
s'est adapté aux environnements ; elles constituent un support capable de se renouveler et de
s'institutionnaliser continuellement ; elles sont l'une des sources principales des
transformations sociétales à nos jours. L'influence des facteurs religieux sur les taux de
croissance démographique et les activités socio-économiques est évident : les régions sous le
credo catholique ont traditionnellement présenté des taux de natalités très élevés; en Inde
l'application du principe de la non-violence ou "Ahimsa" aux animaux interdit aux jaïnistes la
pratique de l'agriculture, car celle-ci affecte la micro-vie des sols; la croyance des bouddhistes
à l'impermanence et à la réincarnation leur permet de réduire leur consommation, car ils
auront d'autres vies à vivre, et ainsi de suite.

34
Figure 3 : Les savoirs solaires et les savoirs lunaires (Paul Taylor)

Premier niveau :
Savoirs
théoriques et Savoirs
universitaires d’expérience

Deuxième niveau :
Savoirs théoriques Savoirs
et universitaires d’expérience

Savoirs scientifiques Savoirs d’engagement

Savoirs d’agir

Troisième niveau :

Savoirs spirituels

Savoirs de la sagesse Savoirs du coeur

Savoirs théoriques et Savoirs d’expérience


universitaires

Savoirs d’engagement
Savoirs scientifiques

SAVOIRS LUNAIRES
Savoirs d’agir

SAVOIRS SOLAIRES

35
Dans le sous -continent indien, par exemple, l'importance de l'environnement a été mise
en relief déjà aux temps des Vedas. Les écritures religieuses soulignent que la nature et
l'homme (Pakriti et Prurush) forment un ensemble inséparable du système vital, qui contient
cinq éléments interdépendants principaux : l'air, l'eau, la terre, la faune et la flore 28.
L'homme et la nature seraient ainsi en harmonie parfaite et indélébile. Comme l'a souligné
Chaturvedi dans un numéro spécial de Indian Journal of Pulic Administration, publié en
1989 : "(...) folklore and scriptures of different religions, faiths and beliefs all speak of the
need for harmony with univers which is the habitat not only of man but also of all animals,
birds, insects, plants and vegÉtations. The mutually supportive rôle of all living things is often
mentioned as a crucial factor for a balanced social and harmonious existence. The ecological
balance is inherent in the very process of creation (...)" 29.
Par conséquent, la façon dont la nature et ses relations avec l'homme sont envisagées
dans le sous-continent indien diffère radicalement de l'optique occidentale. La dualité
homme/nature (l'environnement comme extérieur à l'homme et soumis à son contrôle et
souhait) est reconsidérée dans le sens d'un modèle de partenariat symbiotique homme-nature.
L'ethos indien du bien-être consiste à promouvoir l'harmonie entre l'environnement et les
potentialités humaines en son intérieur. Si les traditions jaïne, dédique et boudhique ont établi
il y a des siècles les principes de l'harmonie écologique, ce n'était pas par crainte d'une
catastrophe mondiale imminente ou de la destruction de l'environnement; ce n'était pas non
plus pour d'immédiates exigences utilitaires, mais parce que la quête d'une symbiose
spirituelle et physique s'était concrétisée en un système de prise de conscience éthique et de
responsabilité morale. L'hymne védique à la Terre, le prithvi Sukta de l'Atharva-Veda, est
sans aucun doute l'invocation écologique la plus ancienne et la plus évocatrice. Le prophète
védique y déclare solenellement l'allégeance filiale inaltérable de l'humanité à la Terre
nourricière : "Mata Bhumih Putroham Prithivyah" (la Terre est ma mère, je suis son enfant).
La philosophie écologique du jaïnisme, née de sa quête spirituelle, a toujours été
centrale à son éthique, son esthétisme, son art, sa littérature, son économie et sa diplomatie.
Elle est pratiquement synonyme du principe d'Ahimsa (non-violence) qui court le long de la
tradition jaïne comme un fil d'or. Aussi, le code de conduite jaïne est-il profondément
écologique : les violations contre le voeu de non-violence comprennent toutes les formes de
cruauté à l'égard des animaux et des êtres humains (par exemple, la pratique des sacrifices des
animaux aux dieux fut condamnée par le jaïnisme il y a bien des siècles). En outre, les jaïns
ne doivent pas procréer sans discrimination au risque de surcharger l'univers et ses ressources.
Dans le monde islamique, le croyant, baigné dans les ruisseaux de lait et de miel n'a
qu'à lever la main pour cueillir les fruits de sa subsistance 30. Cette facilité recréée tendrait à
expliquer pourquoi l'Islam, considéré comme "une éthique religieuse cherchant à modeler la
réalité collective", a favorisé plus l'échange que la production, pourquoi il s'est épanoui dans
des sociétés à vocation commerciale plus qu'industrielle 31. Cet "esprit de la cueillette" n'a pas
empêché néanmoins le développement de l'Islam dans une zone aride et semi-aride. Malgré
les images du Coran des jardins et des paysages verdoyants, l'Islam a exigé de ses paysans un

28
Eléments retirés de Ramakrishna Mission, 1972, The Cultural Heritage of India, Calcutta, Ramakrishna Ashram, vol. I.
29
Citation à partir de CHATURVEDI (T. N.), 1989, "Environment and Administration", in Indian Journal of Public
Administration, 35 (3), pp. I X-XXIV.
30
Eléménts à partir de Zakya DAOUD, "Islam et développement", in Histoires et développement, Cahiers de l'Institut
d'Etudes Sociales de Lyon, numéro 12, janvier 1991, p. 5.
31
On pourrait aussi y trouver des fondements plus récents, notamment le fait qu'aujourd'hui les mouvements islamistes sont
soutenus en priorité par les bourgeoisies locales, commerçantes et bazaristes. En Iran, le triomphe de la révolution
Khoméniste s'est appuyé à la fois sur la hiérarchie religieuse, marginalisée par les Pahlevi et sur le bazar, réduit par une
industrialisation forcenée et mal intégrée. En Algérie, également, les commerçants sont parmi les premiers financiers du FIS.
Voir Ahmed Rouadjia, Les frères et la mosquée, Paris, Karthala, 1990.

36
travail inlassable et acharné, grâce à un processus de transformation de l'environnement dans
lequel la technologie tient sa place.
C'est le cas, par exemple, des agriculteurs marocains des zones montagneuses qui
cultivent leurs parcelles, confortés par des murets de pierre qu'ils arrachent à l'érosion; ou
alors du travail de captage des crues annuelles du Nil pour rendre productive le mince ruban
de vallée qui constitue la partie fertile d'Egypte. Le tableau 1, ci-après, nous présente un
résumé schématique de quelques visions du monde sur la relation homme-nature et les désirs
humains.

Tableau 1 : Les religions e t les philosophies face à la consommation

Religions ou cultures Enseignement et source


Les cultures indigènes américaines "Miserable as we seem in thy eyes, we consider ourselves...much
happier than thou, in this that we are very content with the little that
we have" (Chef de tribu Micmac)
Boudhisme "Quiconque dans ce monde abandonne ses aspirations égoïstes
verra ses malheurs disparaître comme les goûtes d'eau qui tombent
de la fleur de lotus" (Dhammapada, 336)
Christianisme Il est plus facile "for a camel to go through the eye of a needle than
for a rich man to enter into the kingdom of God" (Mathieu, 19: 23-
24)
Confucianisme "Excess and deficiency are equally at fault" (Confucius, XI.15)
Grèce ancienne "Rien en excès" (Oracle de Delphus)
Hindouisme "Celui qui vit libéré de ses désirs ... aboutit à la paix" (Bhagavad-
Gita, II.71)
Islamisme "La pauvreté est mon honneur" (Mohammed)
Judaïsme "Donnez-moi ni pauvreté ni richesse" (Proverbes, 30 : 8)
Taoïsme "Celui qui sait qu'il en a assez est véritablement riche" (Tao Te
Ching)
source : Worldwatch Institute
Les religions peuvent donc être considérées comme des moyens de diffusion de
savoirs lunaires, comprenant des changements possibles des styles de vie et des modes de
consommation et de production. Fondés sur la magistrale analyse que Max Weber en avait
réalisée pour le protestantisme, il ne nous paraît pas nécessaire d'insister sur le rôle du
religieux et du spirituel dans le développement social, économique et culturel des
communautés humaines : le christianisme, par exemple, serait le support essentiel de
l'émergence pluriséculaire de la civilisation technicienne, les sciences de la nature étant
subordonnées à un projet de domination et de transformation du monde en vue de se
conformer a u plan divin. Comme le souligne François-André Isambert, la question que pose
l'histoire des religions est toujours celle du "désenchantement du monde" consécutif au
développement des religions monothéistes de salut 32. L'aboutissement de ce processus est
résumé dans la thèse de Weber sur l'éthique intramondaine du protestantisme et ses liens
avec l'essor du capitalisme : le monde désacralisé peut finalement être conquis et dominé à
travers l'action humaine (notamment dans L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme).
Concevant la nature en tant que maillon indispensable de la communion entre les êtres
humains et Dieu, quelques mouvements associatifs prônent une nouvelle cosmologie à partir
de l'absorption de la problématique de l'environnement par les acteurs religieux, c'est-à-dire

32
Cette expression wéberienne désigne le mouvement par lequel fut abandonnée l'explication magique (panthéistes) des
phénomènes naturels au profit d'une explication rationnelle d'un cosmos livré à la puissance transformatrice de l'homme. In :
François-André Isambert, "Le désenchantement du monde : non- sens et renouvellement du sens", in Archives des sciences
sociales des religions, numéro spécial, Société moderne et religion : autour de Max Weber, pp. 83-103.

37
un nouveau discours sur le monde et sur l'ordre. La présence significative d'un courant
chrétien au sein des mouvements écologistes s'explique par le lien créé entre les logiques des
courants écologiques et le militantisme chrétien dans le contournement du politique par un
engagement de type social, c'est-à-dire dans la fonction de médiation entre les individus et le
politique. Leonardo Boff, par exemple, défend que le holisme et le pan -en-théisme ("Dieu est
en tout") sont les bases de cette transformation de la société. Ceci signifierait l'abandon du
paradigme de la modernité en tant qu'instrument de domination de la nature et des peuples.
Ceci impliquerait aussi reconnaître les limitations de la raison dans l’explication du monde et,
en dernière analyse, dans la formulation de critères de durabilité. Mais il ne faut pas
confondre cet abandon relatif de la raison avec le culte quasi-religieux de la nature; il faut
reconnaître que les systèmes artificiels peuvent parfois être plus efficaces que la nature.
Le problème n’est donc pas de revenir aux modes de vie de nos ancêtres, ou de
repenser le monde à travers les seules valeurs religieuses. Il s’agit de reconnaître que la
sécularisation de la pensée a été l’une des conditions indispensables du progrès, entendu
comme le développement d’un modèle organisé par la raison instrumentale et fondé sur la
réalisation des intérêts individuels par opposition aux intérêts communs plus en rapport avec
la société et la nature. Il s’agit égale ment de considérer les savoirs des peuples sur les
écosystèmes, leurs codes et leurs lectures possibles déjà réalisées par les sciences
ethnologiques, comme un point de départ pour l’invention d’une civilisation écologique.
Toute civilisation comporte la natura et la cultura : la natura est l’une des circomstances
humaines ; la cultura en est une autre. La civilisation sera écologique et durable lorsqu’elle
soutiendra, en même temps, toutes ces deux circomstances de l’homme. Le cas, par exemple,
des Indiens Xikrin de l’Amazonie brésilienne nous rappelle que le temps circulaire est
fondamental dans le fonctionnement de la biosphère : l’exploitation de la forêt peut se faire de
façon durable et la gestion de la forêt peut servir à la préservation de l’environnement et à la
production de biens d’usage et de consommation. En tous les cas, la gestion forestière s’avère,
dans le cas précis des Xikrin, une alternative plus rentable et plus durable que l’élevage,
l’agriculture extensive ou l’exploitation de minerai (Magalhães, 1993).
Contre la vision newtonienne et cartésienne de monde, le nouveau paradigme du
développement durable devrait ainsi s'inscrire dans une mutation épistémologique et
anthropologique sans précédent, dont la signification nous échappe encore parce qu'elle ne
fait que commencer. Il s’agit d’un paradigme d’un autre développement : cet autre
développement serait endogène (par opposition au mimétisme des paradigmes exogènes),
auto-suffisant (et non dépendent), orienté vers les besoins, en harmonie avec la nature (une
éthique de respect de la diversité des flux de la nature), fondé sur une économie de la
permanence (respectant la pérennité des ressources, définies culturellement et historiquement)
et ouvert à des changements institutionnels (assurant la gouvernance politique du système).
Cet autre développement devrait aider dans la construction de «sociétés durables », car il
permettrait à chaque société de définir ses modèles de production et de consommation, de
qualifier le bien-être à partir de sa culture, son histoire et son environnement.
Dans le sens de cette mutation épistémologique, Gaïa ne serait pas une vie, c'est la Vie
définie physiquement : elle a commencé sans l'homme et pourrait s'achever
vraisemblablement sans lui. Ceci représente manifestement une blessure narcissique infligée à
l'orgueil humain par la science (Grinevald, 1992). L'innovation des partisans de l’hypothèse
Gaïa a été d'avoir placé l'autorégulation de la nature à l'échelle planétaire au coeur du débat
écologique. En même temps, la théorie de James Lovelock a attiré l'attention de philosophes
et théologiens du monde entier intéressés à l'analyse critique du contenu de son hypothèse
pour ainsi dire mythique, mais également de sa fonction dans une société industrialisée.

38
Cette mutation épistémologique nous appelle, en dernière analyse, à une nouvelle
vision de la réalité, à un changement profond de nos modes de penser, nos perceptions et nos
valeurs. Elle nous appelle également à une reconstruction politique profonde de la société. La
façon dont nous avons appris à penser le monde et à construire des problèmes du monde est
intrinsèquement liée à l’analogie de la division entre le corps et la psyché (l’objetif et le
subjectif) ayant fondé la raison moderne et celle du partage entre structure sociale et
cosncience/culture. D’où le besoin, par exemple pour des organisations comme l’UNESCO,
de réflechir et analyser le statut des savoirs scientifiques (leur problématique interne, leur
enracinement historique, leur fonction sociale) et leur relation avec les valeurs culturelles.
Comme l’a souligné le physician Henry Kendall du MIT (prix Nobel de physique), les êtres
humains et le monde naturel sont sur le chemin de la collision, d’où le besoin de reconnaître
que les problèmes d’environnement de cette fin de siècle et le concept de développement
durable ont un lien direct avec la critique de la pensée scientifique héritière des Lumières et
demandent une nouvelle perception de la science elle-même (Cavalcanti, 2001). Il s’agit d’un
des plus grands défis lancés par le besoin urgent de développement durable dans le monde à la
science contemporaine.

Le développement durable entre l’universel et le particulier


L'évolution du concept de développement durable depuis les années 1970 et,
notamment, sa mise en œuvre à l'échelle planétaire, nous ont révélé les maintes contradictions
dans l'action locale et internationale en la matière. Du jardin à la planète, le développement
durable nous impose à la fois de penser globalement/agir localement, et d'agir
globalement/penser localement 33. Traiter symétriquement les trois dimensions – écologique,
sociale et économique – est une démarche qui s'impose à partir de la communauté
international jusqu'à l'échelon local. Car, en effet, comme l'a souligné Edgar Morin, « le
particulier devient abstrait lorsqu'il est isolé de son contexte, isolé du tout dont il fait partie.
De même, le global devient abstrait lorsqu'il n'est qu'un tout détaché de ses composants. La
formation du concept de développement durable collabore à la formation d'une pensée
planétaire qui cesse d'opposer l'universel au concret, le général au particulier : l'universel est
devenu à la fois singulier – l'univers cosmique – et concret – l'univers terrestre » 34.
Mentionné sous les expressions les plus diverses expressions, telles que "sustainable
livelihoods" (Nations Unies), "human development" (PNUD), ou "socially sustainable
development" (PNUE), le développement durable est ainsi devenu le mot d'ordre de cette fin
de siècle; il est considéré comme un élément fondamental de différents agendas de la
politique internationale. Et pourtant, comme nous avons vu, il reste notoirement difficile à
qualifier, principalement en raison de méthodologies qu'il impose à l'échelle temporelle et
spatiale.
Dans un système dynamique comme la société humaine et compte tenu de ladite
responsabilité intergénérationnelle que présuppose le développement durable, la durabilité
peut être considérée comme une question d'équilibre dans le temps. Si les décideurs et les
planificateurs ont tendance à ne pas voir au-delà de cinq ans (l'échéance électorale), il
semblerait raisonnable et nécessaire d'envisager la durabilité à plus long terme, s'étalant dans
un avenir indéfini. Car la durabilité comprend des caractéristiques telles que la vitesse ou le
taux de changement, les dimensions de la masse concernée par les transformations et donc
l'inertie du processus, ainsi que l'incidence de l'ampleur et du taux de changement relatif aux

33
Expression utilisée par LIPIETZ (Alain), 1993, Vert espérance, l'avenir de l'écologie politique, Paris, La Découverte, 147
p.
34
Citation à partir de MORIN (Edgar) et KERN (Anne Brigitte), Terre Patrie, Paris, Editions du Seuil, 1993, page 192.

39
phases initiales et finales. Par conséquent, on ne saurait ni la calibrer ni la mesurer facilement,
étant donné qu'il s'agit d'une qualité de mouvement plutôt que d'un point fixe. En ce sens, elle
se définirait peut-être plus facilement comme l'absence de forces entraînant un déséquilibre
dans le temps.
Dans ce contexte, les indicateurs sont, en fait, des mesures de non-durabilité, de
l'importance ou de l'étendue des déséquilibres. La Division d'Evaluations et Informations
Ecologiques du PNUE s'est lancée dans un programme en ce sens 35. Il y aurait autant de
dimensions potentielles dans la durabilité qu'il existe de dimensions importantes dans la
société : du coup, on pourrait parler d'une durabilité écologique, humaine, sociale, fiscale,
morale, éthique et spirituelle. Et tout cela en essayant de rendre compte de la durabilité dans
le temps, car toute mesure du développement ne peut pas s'intéresser uniquement à la
situation statique à un moment donné; elle doit examiner les mesures intégrées dans le temps
pour classifier les procédures et les tendances 36.

Références bibliographiques
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BECKERMAN, Wilfred. Pricing for Pollution . Oxford, Institute of Economic Affairs,
deuxième édition, [première édition en 1975], 1990.
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2001.
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GRINEVALD, J. "Hypothèse Gaïa, une géophysiologie de la biosphère". In Troisième
Millénaire, no.26, 4e. trimestre 1992.
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mars 1993.
HABERMAS, Jürgen. « Tres modelos de democracia ». In Agora (Buenos Aires),
numéro 1, 1994.
HOGAN, Daniel Joseph. "Demografia e meio ambiente", in CLARKE & TABAH,
Population-environnement-développement: interactions, Paris, CICRED, pp. 132 et ss,
1994.
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Nature and Natural Resources, UNEP, WWF, Genève, 1980.
JONAS, Hans. Le Principe Responsabilité: une éthique pour la civilisation
technologique. Paris, Editions du Cerf., le chapitre sur "La critique de l'utopie", p. 248 et ss,
1979.

35
Voir, par exemple, Notre Planète, volume 8, numéro 1, pp. 29-33.
36
Pour les efforts plus récents de la Banque Mondiale en la matière, voir SERAGELDIN (Ismail), "Sustainability as
Opportunity and the Problem of Social Capital", in The Brown Journal of World Affairs, été/aut. 1996, III(2), pp. 187-203.

40
KERN, Anne-Brigitte. "A la recherche d'une pensée écologisée". In Le Monde
Diplomatique, supplément, juin 1992, p. IV.
MAGALHÃES, Antônio. Sociedades Indígenas e Transformações Ambientais. Belém :
Universidade Federal do Pará (Brésil), 1979.
MARECHAL, Jean-Paul. "Economie et environnement: questions de méthodes et
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