Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Dossier Euro
_
L’euro,
dissolution ou sortie
_
Partie 1: L’euro, une relique barbare: ses effets sur
l’économie française
1
Dossier Euro
Sommaire
L’euro nous condamne-t-il à l’austérité ? p. 3
Sources et bibliographie p. 19
2
Dossier Euro
L’euro n’est pas simplement incarné par des billets et des pièces en circu-
lation. C’est aussi un mode de gouvernance particulier mis en place par les diri-
geants européens au fil des années. Ainsi, un cadre réglementaire précis, spécifique
et supra-national (qui s’impose donc aux normes françaises) existe dans le but de «
sauver » la monnaie unique. Or, l’essentiel de ce cadre s’articule autour d’un noyau
austéritaire composé de deux grands corpus : le Six-pack et le Two-pack [1]
1. La nécessité du retour à l’équilibre budgétaire, c’est-à-dire, consacrer toutes les recettes impré-
vues à la réduction des déficits…
2. Retraites : la désindexation des pensions, l’augmentation l’âge légal de départ à la retraite, la
durée de cotisation, suppression des régimes spéciaux. Tout en « évitant une augmentation des
cotisations sociales patronales »
3. La réduction du «coût du travail» (réduction des cotisations sociales patronales, révision du
SMIC
4. La simplification de l’autorisation des ouvertures de commerces, fin des tarifs réglementés du
gaz et de l’électricité pour les clients autres que les ménages
5. La diminution des taux d’impôt sur le revenu et sur les sociétés, le rapprochement des taux
réduits de TVA du taux normal, TVA sociale…
6. La flexibilisation du marché du travail…
On retrouve étrangement ici des thèmes repris par le gouvernement Ayrault puis
Dossier Euro
Valls.
Bref, tout cet arsenal concourt à penser que l’austérité est juridiquement organisée,
ce qui laisse peu de place aux « relances » revendiquées par certains égarés du PS,
qui approuvent et votent le contraire de ce qu’ils clament, se passant ainsi des me-
nottes en plastiques.
4
Dossier Euro
Selon la
Au total, depuis 2010, la France a perdu 7 points de PIB en raison de l’austérité Commission
selon l’OFCE[4], et 4,8 (pour la période 2011/2013) selon la direction « EcFi » de
la Commission européenne [5].
L’austérité organisée par Bruxelles, faite de gel des salaires, des pensions de re-
traites, des dépenses de santé, de privatisations massives, n’est peut-être pas la voie
à privilégier en temps de crise.
Dossier Euro
Les origines
de la crise de la zone euro: la
faute aux dépenses publiques ?
La crise de la zone euro est une crise de l’endettement privé et non public,
Une crise
d’endettement permis par des taux d’intérêt réels faibles, comme le reconnait Vitor Constancio,
privé...
vice-président de la BCE[6].
-2007) en
120 points de PIB
100
80
60
40
20
0
Grèce Irlande Italie Portugal Espagne
-20
-40
En effet, l’euro a conféré des taux d’intérêt allemands aux pays périphériques, alors
que leur inflation (du fait que leur économie était en rattrapage, ce qui induit de
la croissance mais aussi de l’inflation) était supérieure à celle de l’Allemagne. Les
taux réels (qui sont les taux nominaux (ceux inscrits sur le contrat) moins l’infla-
tion) étaient donc négatifs.
En clair, emprunter rapportait de l’argent ! Les investisseurs ont donc été conduits à
s’endetter (vu que l’argent n’était pas cher). Le problème était alors que ces inves-
tissements ne nourrissaient pas des secteurs productifs et à forts gains de produc-
tivité, mais des secteurs à la forte rentabilité à court terme comme la construction
par exemple en Espagne, débouchant sur des bulles spéculatives. Le crédit coulant
à flot, la consommation des ménages augmenta, la demande intérieure également,
ce qui accrut les importations dans ces pays. Le déficit extérieur courant s’est alors
6
Dossier Euro
1 Il faut rappeler que les études financées par la Commission européenne avant l’introduc-
tion de l’euro, prédisaient que la monnaie unique permettrait de mettre définitivement un terme
aux crises des balances des paiements.
Dossier Euro
des pays européens, le marché du travail est plutôt rigide, et les salaires baissent
difficilement.
(source OCDE)
4 Licenciement individuel
3
3
2
2
1
1
0
8
Dossier Euro
En effet, si dans un pays, les prix et les coûts progressent plus vite, sa compétitivité
se dégrade.
Coût unitaire de la main d'oeuvre Coût unitaire de la main d'oeuvre en monnaie
(1999 = 100 ) 105,00 commune (France = 100)
140
Italie
135 100,00 France
130 Pays-Bas
125 95,00 Allemagne
France
120 90,00 Italie
115 Espagne
85,00
110 Espagne
105 Grèce 80,00
100
Portugal 75,00
95
90 Allemagne 70,00
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
On s’aperçoit que les coûts salariaux unitaires (rapport entre coût du travail et la
productivité) ont augmenté moins vite en Allemagne qu’ailleurs. Ainsi, cette der-
nière a gagné en compétitivité-prix (compétitivité par rapport au prix des produits
vendus) au détriment de ses « partenaires », suivant une politique non-coopérative
« d’exploitation du voisin » ( beggar-thy-neighbour ) en « mangeant » les parts de
marché et les capacités de production manufacturière[12].
120 140
Dans une moindre mesure, les écarts d’inflation ont aussi joué un rôle suivant le
même mécanisme (une inflation plus élevée diminue la compétitivité-prix)[13].
Dossier Euro
L’importance Cependant, une taux de change unique interdit de répliquer par une dépréciation
de conserver du change (ce que le « Prix Nobel » d’économie James Meade préconisait[14]), et
un taux de
change l’unique solution est alors la course à la « dévaluation fiscale » (baisse des charges
flottant
pour les entreprises, augmentation des impôts pour les ménages, par exemple), ou à
une politique déflationniste (baisse des salaires).
Deuxièmement, et contrairement à ce qu’on entend y compris dans la bouche d’éco-
L’euro affecte nomistes, le taux de change de l’euro affecte le commerce intra-zone euro par un
les parts de
marché intra mécanisme simple. Prenons l’exemple d’une automobile : si l’euro s’apprécie, il
zone-euro
devient plus avantageux pour un allemand d’acheter une voiture coréenne que fran-
çaise (de même niveau de gamme)2
Il y a donc un lien évident entre l’euro et la perte des parts de marché déjà révélé en
2008 dans une étude de l’INSEE[15].
)
(source: INSEE)
105
Part de marché
100 TCER (courbe
inversée)
95
90
85
80
1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Forte sensibi- Ceci s’explique par la forte sensibilité au prix des exportations françaises (qui se
lité des
exportations mesure par « l’élasticités-prix ») : la demande étrangère est très sensible au prix des
au taux de produits français et au taux de change. Si le taux de change de l’euro augmente de
change
1%, les quantités de biens exportés français diminuent de 0,6 à 0,9% contre 0,2%
en Allemagne ! [16]
12
Dossier Euro
La déflation: Par ailleurs, la déflation peut être difficilement résoluble. En effet, lorsque l’infla-
problème
difficilement tion diminue trop, la banque centrale a tendance à réduire ses taux directeurs en
résoluble espérant une relance du crédit aux ménages et aux entreprises (étant donné que les
taux d’intérêt payés les agents pour investir ou consommer baissent par l’action de
la BCE) et éviter les mouvements d’épargne.
Cependant, la BCE est arrivée à des taux directeurs quasiment
nuls et ne peut descendre en dessous de ce que l’on appelle la
« Zero lower Bound » (la borne inférieure zéro) : elle ne peut
abaisser ses taux en dessous de 0 ! (cf graphique plus bas)
Par ailleurs, comme cela est une rémunération pour le préteur ou le déposant, un
taux d’intérêt réel en hausse incite à l’épargne.
L’épargne est donc encouragée (ce qui comprime la demande intérieure puisque
qu’on ne consomme plus, favorise les exportations, d’où l’énorme excédent exté-
rieur de la zone euro) au détriment de l’investissement, déprimant l’activité écono-
mique à long terme[26]
Non, la crise n’est pas finie !
Il est assez généralement admis que la zone euro n’est pas une « zone monétaire
optimale », c’est-à-dire qu’elle ne répond pas aux conditions énoncées notamment
Dossier Euro
L’une des solutions souvent évoquée est le recours à des transferts budgétaires, par
un fédéralisme budgétaire[28].
En clair, les Etats en bonne santé financeraient les Etats en mauvaise situation.
Cependant, ce fédéralisme (en dehors de son irréalisme politique) a un coût. P.
Artus le chiffre à 12,7% et J.Sapir à 8% du PIB [29], l’essentiel étant assuré par
l’Allemagne (en clair, il faudrait augmenter la pression fiscale en Allemagne de 8 à
12 points pour subventionner les pays du Sud !).
Ceci est souvent avancé comme une solution par les économistes ayant des œillères
idéologiques et qui ne s’aperçoivent pas de l’inexistence de peuple européen, de
l’absence de vivre ensemble et d’affectio societatis. Ceci fut d’ailleurs rappelé par
le Tribunal Constitutionnel de Karlsruhe dans un arrêt du 30 juin 2009 : « Il n’existe
pas de « peuple européen » souverain, par conséquent la souveraineté primordiale
demeure aux mains des peuples »[30].
16
Dossier Euro
La baisse de l’euro
Une autre solution proposée serait de faire baisser l’euro. Outre le fait qu’elle ne
rétablirait que peu la santé économique et la balance extérieure de certains pays, il
faudrait[31] :
- Inverser les flux de capitaux entrants et sortants dans la zone euro :
en clair, que les investisseurs non-résidents en zone euro vendent les actifs qu’ils
détiennent en euro pour les investir hors zone euro. Or, c’est l’inverse qui se passe.
Ce serait en outre contradictoire avec la volonté de diminuer les taux d’intérêt
payés par l’Espagne, l’Italie, la Grèce (etc…) sur leur dette publique. En effet, si le
flux s’inverse, c’est-à-dire s’il y a plus de sorties que d’entrées, les taux d’intérêt
sur la dette publique augmenteront.
- L’excédent extérieur de la zone euro est trop fort pour que l’euro se
déprécie franchement. Il faudrait le baisser drastiquement pour que le taux de
change varie à la baisse durablement.
- La BCE n’a pas d’instrument suffisant pour le faire (baisser les taux
directeurs jouerait à la marge, et l’effet du quantitative easing (assouplissement
quantitatif : en clair, la banque centrale inonde le marché de liquidité et rachète des
titres) est impossible à prévoir : il peut inciter les investisseurs étrangers à acheter
davantage d’actifs et donc à faire monter l’euro, comme on l’a vu au Royaume-Uni
et aux Etats-Unis).
- racheter une quantité énorme de dollars, ce qui est politiquement im-
pensable.
Dossier Euro
La baisse La récente baisse de l’euro ne résout rien. En effet, l’euro a baissé depuis mai 2014
de l’euro ne de 10% par rapport au dollar. Or, comme près de 50% de notre commerce se fait à
résout rien
l’intérieur de la zone euro, le taux de change effectif de la France (celui à l’égard de
l’ensemble de nos partenaires commerciaux) n’a baissé que de 5%.
Par ailleurs, cette dépréciation est seulement due à des positions courtes spécula-
tives des investisseurs et pourrait donc se réapprécier à court ou moyen terme [32].
Enfin, une baisse durable de l’euro n’est pas à même de satisfaire les économies
des pays périphériques à la zone. En effet, ces pays auraient le plus besoin de dé-
valuer par rapport aux pays du nord de la zone euro. Or, ils ne peuvent pas. C’est
ce qu’il ressort d’une étude économétrique menée par Alberto Bagnai, qui montre
que le gain d’une dépréciation de 20% de l’euro sur la balance commerciale est né-
gligeable, quand celui d’une dévaluation de la Lire du même niveau permettrait de
dégager un excédent de 100 milliards [33]
120 €)
100
80
60
40
20
0
-1 5
-20
18
Dossier Euro
Sources et bibliographie
[1] Sofia Fernandes, Budgets nationaux et surveillance européenne: clarifier le dé-
bat, Notre Europe, 2014.
[2] http://contrelacour.over-blog.fr/article-two-pack-le-mot-de-la-fin-decryptage-
des-textes-definitifs-votes-des-eurodeputes-accord-du-conse-116233645.html
[3] E.Heyer, Une revue récente de la littérature sur les multiplicateurs budgétaires,
OFCE, 2013. URL: http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/une-revue-recente-de-la-
litterature-sur-les-multiplicateurs-budgetaires-la-taille-compte/
[4] E.Heyer et al, France: moins d’austérité, plus de croissance, OFCE, 2013.
URL: http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/3-130.pdf
[5] Jan in ‘t Veld, Fiscal consolidations and spillovers in the Euro area periphery
and core, Economic Papers 506, 2013. URL: http://ec.europa.eu/economy_finance/
publications/economic_paper/2013/pdf/ecp506_en.pdf
[6] V. Constâncio, The European Crisis and the role of the financial system, 2013.
URL http://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2013/html/sp130523_1.en.html
[7] P.Artus, La séquence d’évènements dans la crise de la zone euro, flash natixis,
2013.
URL: http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=72919
[8] Gérard Mareek, Euro, la fin d’une illusion, les echos, 15/6/2014. URL:http://
www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-100233-euro-la-fin-dune-illu-
sion-1012950.php
[9] Emerson, M, Pisani-Ferry J. (1990) “One market, one money”, European Eco-
nomy.
[10] Paul Krugman, «en 2011, l’Europe peut-elle être sauvée ?», courrier interna-
tional, 2011. http://www.courrierinternational.com/article/2011/01/27/paul-krug-
man-en-2011-l-europe-peut-elle-etre-sauvee
[11] P.Artus, Qui a mangé les parts de marché de la France ?, Natixis, 2012
URL: http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=66648
Dossier Euro
[12] Bibow J., The Euro Debt Crisis and Germany’s Euro Trilemma, Working Paper
No. 721, Levy Economics Institute, Annandale-on-Hudson, NY, 2012
[13] Jacques Sapir et Philippe Murer, Les scenarii de dissolution de l’euro, Fonda-
tion Res Publica, 2013
[14] Alberto Bagnai, Un external compact per rilanciare l’Europa, 2014.
URL: http://www.asimmetrie.org/wp-content/uploads/2014/06/AISWP201401.pdf
[15] Franck Cachia, Les effets de l’appréciation de l’euro sur l’économie fran-
çaise, INSEE, 2008. URL: http://www.insee.fr/fr/indicateurs/analys_conj/archives/
juin2008_d2.pdf
[16] Serge Rey, L’impact du taux de change sur les exportations de l’Allemagne et
de la France hors zone euro, CATT.
URL:http://web-prod2.univ-pau.fr/gtl/travaux/86F_2010_2011_9DocWcattEu-
roExportationsAllemagneFranceSRey.pdf
[21] P.Artus, Est-ce la hausse de l’euro ou la baisse de l’euro qui permet à l’in-
dustrie française ou de la zone euro d’accroître ses marges bénéficiaires ?, Flash
Natixis, 2013
URL: http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=73783
[22] idem
[25] http://www.gaullistelibre.com/2014/04/larnaque-du-mode-du-calcul-de_26.
html
[26] P.Artus, A quoi conduit un excès très important d’épargne privée ?, Natixis, 2013.
URL: flash natixis
[27] Alberto Bagnai, CEEC Vs. PIGS: A comparative panel assessment of financial
sustainability and twin déficits, Working Paper No. 88, LLEE, 2010
[28] Alberto Bagnai, Un external compact per rilanciare l’Europa, asimmetrie, 2014
URL: http://www.asimmetrie.org/wp-content/uploads/2014/06/AISWP201401.pdf
[31] P.Artus, Pourquoi demander à la BCE d’intervenir pour déprécier l’euro n’a
pas de sens, Natixis, 2014. URL: http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=76588
[32] P.Artus, Ne pas compter sur la dépréciation de l’euro pour soutenir la croissance
de la zone euro, Natixis, 2014. URL: http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=80242
[33] Alberto Bagnai, The impact of an exchange rate realignment on the trade ba-
lance: Euro vs. national currency, Asimmetrie, 2014.