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OCTAVE MIRBEAU ET LES FRANCS-MAÇONS
 La franc-maçonnerie n’est-elle pas toujours de saison ? Elle l’était assurément à la findu XIX
e
 siècle et au début du XX
e
, qui furent le té!tre d’un essor sans précédent" #ettemaçonnerie-là $a dès lors représenter l’un des remparts, principau% et or&anisés, un recours pour ainsi dire, contre ce cléricalisme qui triompe depuis la 'estauration et s’appuis sur unimpérialisme culturel (le di$orce a été supprimé dès le mois de mai )*)+ et ne sera rétabliqu’a$ec la loi aquet du . juillet )**/0" 1n cléricalisme qui a fait main basse sur l’écolea$ec une cléricature con&ré&aniste et un cler&é séculier qui partout relè$e la t2te" La politiqueultra réactionnaire de #arles X à partir de )*/ fera le reste" #acun sait, sans doute, que la maçonnerie moderne remonte au début du X3III
e
siècle 4Les constitutions du pasteur 5nderson ne datent que de l’année ).)., mais elles nefont que codifier une pratique qui e%istait déjà dès le milieu du X3II
e
 siècle6" Elle nous $ientd’5n&leterre et s’est répandue en 7rance dès la fin du X3II
e
 siècle, sous l’influence des8tuart" #ette nou$eauté $enue d’outre 9ance séduira très rapidement la société distin&uée dusiècle et l’on sait, par e%emple, que 9ontesquieu sera reçu franc-maçon à Londres en ).:;"9o<art, lui, attendra l’année ).*/ pour de$enir apprenti
)
" Il est de notoriété publique quecertains des pilosopes des Lumières, et les 7rançais notamment, pratiquèrent l’5rt ro=al,ces derniers au sein de la célèbre Lo&e des euf 8>urs  #ondorcet (peut-2tre ?0, @el$étius,3oltaire (sur le tard et à peine trois mois a$ant sa mort, sur$enue le :; mai )..*0, mais aussile Ai$in 9arquis, et combien d’autresB C
 Attitude critique et 
 
 sceptique à l’égard de lareligion, voilà qui tient à l’essence même de la
 
 philosophie des Lumières
 D, pour reprendre l’e%cellente formule d’Ernst #assirer, qui la dédiait plus précisément au% 7rançais
" #ette pro%imité des pilosopes des Lumières et de la franc-maçonnerie déplut fort àla 8ainte &lise et au pape, qui s’en alarma" Irrité par cette C nou$eauté D pas catolique dutout, cette diablerie de la perfide 5lbion, importée en 7rance et dans le reste de l’Europe, l’é$2que de 'ome en&a&ea très tFt le fer contre la maçonnerie  dès ).:*, et au terme de sacélèbre bulle
 In eminenti
, #lément XII interdira la franc-maçonnerie en e%communiant lesfrancs-maçons, interdiction réitérée jusqu’à aujourd’ui par tous ses successeurs
:
" #etantimaçonnisme primaire
/
 fut parta&é par les ré&imes tsariste, puis bolce$iG, en 'ussie, par les na<is en 5llema&ne, par le ré&ime de 3ic=, pendant toute la &uerre et l’Hccupation, en7rance, par 7ranco et 8ala<ar en Espa&ne et au ortu&al, ces deu% pa=s (a$ec la olo&ne0 oJla maçonnerie était arri$ée
dans les
 
bagages
, pour ainsi dire
 ,
 de l’5rmée de apoléonB Kuelques dates peu$ent 2tre retenues  - ): septembre )*.., date importante qui $oit le rand Hrient Ae 7rance abandonner l’in$ocation, la référence au 5AL1 (rand 5rcitecte de l’1ni$ers0, caque maçon étantsormais libre de croire en un Aieu , ou de ne pas = croire" #ette cisionfondamentale pro$oquera une scission, pour donner naissance, à partir de )M):, à uneobédience concurrente, la rande Lo&e ationale 7rançaise, qui postule encore aujourd’uil’e%istence de Aieu et impose à cacun de ses impétrants une reconnaissance écrite de sacro=ance en Aieu"
)
 L’on attribue parfois l’ori&ine de la maçonnerie an&laise à Hli$ier #romNell ()OMM-)+O*0, encore quedes C ateliers D e%istassent déjà au début du X3II
e
 siècle en cosse" #e qui est en re$ance a$éré, c’est que la période républicaine (#ommonNealt )+/M-)++)0, a$ec #romNell, fut passablement troublée et il est autement probable que certains personna&es de qualité aient $oulu se rencontrer C à cou$ert D sans risquer de se retrou$er le soir à la Pour de Londres et le lendemain la t2te sur le billot sous l’accusation de complot
"
 Ernst #assirer,
 La Philosophie des Lumières
, 7a=ard, pp" )O/ sq"
:
 #urieusement le ru&b=, de m2me ori&ine, connut à ses débuts de semblables tracas et déboires $aticanesques"
/
 endant très lon&temps francs-maçons et juifs parta&èrent les m2mes persécutions de ces ré&imes quia&itèrent le tème du complot judéo-maçonnique,
 
- . juillet )M;/  Loi #ombes sur les #on&ré&ations interdites d’ensei&nement (mile#ombes était lui-m2me franc-maçon et 9irbeau lui $ouait une réelle admiration0"- M décembre )M;O  Loi de séparation des &lises et de l’tat"#es trois dates donnent à elles seules une idée de l’influence que la maçonnerie, et leHA7 en particulier, pou$aient e%ercer à l’époque sur la politique en 7rance" Il était connuqu’un bon radical-socialiste ne sortait jamais le soir sans ses C
décors
 D, cQest-à-dire sontablier et ses &ants blancs" 9ais un simple retour en arrière de quelques années nousrappellera la #ommune de aris en mars )*.), oJ l’on a $u les maçons $ersaillais de9onsieur Piers tirer sur leurs frères communardsB et $ice-$ersa
O
"#’est surtout a$ec l’affaire Are=fus, qui commence fin )*M/, que la franc-maçonneriefrançaise $a 2tre mise à l’épreu$e" L’antisémitisme et l’antidre=fusisme étaient partout, et jusque dans certaines lo&es maçonniques oJ ils sé$issaient aussi, à telle ensei&ne que le randHrient, lors de l’inau&uration de son #on$ent
+
 de )*M*, crut de$oir faire la proclamationsui$ante 
 Fidèles au traditions qui sont l’orgueil de la !ranc"ma#onnerie $ !idèles au principesde la %évolution qui a proclamé l’égalité des hommes devant la Loi, quelle que soit leur race, quelles que soient leur philosophie et leurs cro&ances, et promis à tous les garantiesd’une égale 'ustice $ passionnés par la grandeur de la patrie !ran#aise, en ce que ces principes se sont incarnés, et pour le bon renom de son armée nationale qui doit être la gardienne de la 'ustice et la sauvegarde du droit humain $ ils proclament, comme leurs prédécesseurs, que toute violation du droit est une diminution de la patrie( Ils dénoncent comme criminelle et honteuse pour le pa&s de la )éclaration des )roits de l’*omme lacampagne trop longtemps tolérée qu’un parti de mal!aiteurs ne craint pas de poursuivre, sous prétete de race ou de con!ession, contre une catégorie de cito&ens(
 
Un marronnier de plus ?
 8’il est bien un sujet de réfle%ion passionnant, pour qui $eut a$ancer un peu plus loindans l’>u$re du rand Imprécateur, c’est d’obser$er ce sin&ulier
tropisme
 qu’il manifesta$ers la franc-maçonnerie et les maçons, sujet que j’ai tenté d’e%plorer depuis quelque tempsdéjà, dans la mesure oJ il semble bien qu’il n’ait pas encore été traité
*
" 5lors, un marronnier de plus, et jusque ce< 9irbeau ? eut-2treB éanmoins, je prends le risque" Re n’ima&ine d’ailleurs pas que 9irbeau ait été si peu que ce soit initié à la pratique de l’5rt 'o=al et qu’il fi&ur!t S mais, après tout, pourquoi pas ? S dans les listes detelle ou telle lo&e" Las T il n’est à ce jour aucune des trois obédiences de l’époque, à sa$oir le"H"A"7" (rand Hrient de 7rance0, la plus importante, la "L" (rande Lo&e de 7rance0 etA"@" (Aroit @umain0 qui le re$endique pour a$oir été l’un de ses membres" #ela étant, etm2me s’il
 est 
 
tou'ours hasardeu d’associer un homme à une institution
M
 D, le moins quel’on puisse dire, c’est qu’il flirta allé&rement a$ec la 3eu$e (si elle $eut bien me permettre
O
 Et dans cet ordre d’idées peut-2tre n’est-il pas inutile de rappeler l’épisode de la uerre du 9e%ique, oJl’on $erra un maçon, Uenito Ruare< en$o=er au poteau d’e%écution, le )M juin )*+., un autre maçon, 9a%imiliend’5utrice, qui pensait bien écapper au c!timent, du fait de sa qualité maçonnique" 9ais en $ain"
+
 #on$ent  assemblée &énérale annuelle d’une obédience, qui fonctionne abituellement sur le modeassociatif de la loi de )M;), si ce n’est que seuls les maçons a=ant atteint le &rade de maVtre (à la différence desapprentis et des compa&nons0 peu$ent = participer"
.
 3oir l’article de Lucien 8aba, C La 7ranc-maçonnerie et l’antisémitisme D, dans la
 %evue des études 'uives
, )MM+"
*
 E%cepté, bien entendu, pour Louis-5mable 9irbeau senior, a$ec le très intéressant article de 9a%#oiffait"
M
 #f" Rean-ierre Lassalle in C 5ndré Ureton et la franc-maçonnerie D,
 *istoires littéraires
, nW ), ;;;, pp" */-M;"
 
cette e%pression un peu leste0 et que certains de ses fils lui furent tout à fait familiers, $oiretrès proces" 
Les r!ren"es de Mir#eau $ la !ran"-ma%onnerie
 Elles sont suffisamment $o=antes et di$erses pour 2tre remarquées et certains élémentsde caractère istorique peu$ent e%pliquer ces références, parfois impré$ues, sou$ent cocasses"#ertaines sont tout à fait e%plicites (a0" A’autres, au contraire, ne seront qu’implicites oucodées, mais déciffrables cependant, &r!ce, notamment, à la compétence et à l’érudition del’annotateur (b0" 
a& Les r!ren"es e'pli"i(es
#’est principalement dans le cadre de l’affaire Are=fus que nous obser$ons un contactdirect, non équi$oque, de 9irbeau a$ec la franc-maçonnerie, puisque se trou$e mentionnéesa participation, un : décembre )*M*, à une conférence au siè&e du "H"A"7", )+, rue #adet, àun meetin& a$ec Auclau% comme président et lui-m2me comme assesseur" Il est é&alement précisé qu’il n’= prit pas la parole, mais qu’importe, il occupa ce soir-là une position à tout lemoins si&nificati$e
B 9ais un seul élément au dossier ne suffit pas à établir une preu$e, celle d’une
 proimité
 supposée de 9irbeau a$ec la maçonnerie" La meilleure tode, propre à établir ce faisceau de présomptions susceptibled’emporter la con$ictionr $a donc consister à peser
au trébuchet 
 les différentes occurrencesoJ il fut question de maçonnerie et de francs-maçons dans l’>u$re de 9irbeau, aussi biendans ses romans que dans ses articles ou sa correspondance, sans que l’on puisse, à ce stade,espérer une quelconque e%austi$ité" 5insi $errons-nous apparaVtre sur la scène de cette sortede tra&i-comédie  -
Le !ran"-ma%on "omme pou)an(ail de la *rande #our*eoisie+
 ou del’aristocratie, mais aussi du petit peuple qui fréquentait les é&lises et les curés Aans son article sur l’
 -nquête sur la question sociale
 de Rules @uret (
 Le .ournal,
 ;décembre )*M+0, c’est le duc de Aoudeau$ille (8ostène de la 'ocefoucauld, )*O-)M;*0qui, par le trucement de 9irbeau, s’e%prime en ces termes C
 .e ne crois pas aumouvement ouvrier( .e ne crois pas au socialisme/
 Je ne
 
crois qu’aux francs-maçons
/
 Les francs-maçons, monsieur, voilà le mal 
 
contemporain
0((( -t o1 nous mènent"ils, ces gens"là 2((( Ah 0 'e voudrais bien le savoir/ 3uant à votre prétendu mouvement ouvrier, à votre prétendu socialisme/ à votre prétendu ceci ou cela/ laisse4"moi vous dire que ce sont descrises momentanées, inconsistantes et qui passent 0(((
D Pelle est donc l’opinion supposée du/
e
 duc de Aoudeau$ille sous la plume de 9irbeau en )*M+B 3enant de lui, la facétie est particulièrement sa$oureuse  elle ren$oie à la célèbre réplique de Poinette à 5r&an dans
 Le 5alade Imaginaire
 le poumon T our 8ostène, l’ori&ine du mal n’est certes pas le poumon, non, ce sont les francs-maçons T""" 5insi, a$ec une économie de mo=ens tout à faitremarquable, 9irbeau s’est-il ser$i de la maçonnerie pour mettre les rieurs de son cFté, ce quiest bien, de mon point de $ue, le comble de la sub$ersionB Kuant à la question
 -t o1 nousmènent 6ils ces gens"là 2 Ah 0 .e voudrais bien
 
le savoir 
B D, n’est-il pas résumé là tout le poids du secret maçonnique qui se fait sentir et qui faisait tellement fantasmer le profane ducde Aoudeau$ille ? Il ne faut, quoi qu’il en soit, manquer sous aucun préte%te cette
 -nquête sur la
 
question sociale
 qui constitue, sous la plume de 9irbeau, une car&e féroce contre lescapitalistes, ommes d’affaires et autres économistes dont il e%ibe, a$ec une certainedélectation, le total, l’indécent mépris à l’é&ard de la classe laborieuse"
);
 3oir Hcta$e 9irbeau,
 L’A!!aire )re&!us
, édition de ierre 9icel et R"-7" i$et, Librairie 8é&uier, )MM), p" ).."

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