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1toth »* &¢ o des « 6 IDEES L'étre et le néant Essai d'ontologie phénoménologique JEAN-PAUL SARTRE mri > & Fr ‘%, e, fong gai\™ INTRODUCTION A LA RECHERCHE DE LETRE INTRODUCTION ALA RECHERCHE DE L'ETRE 1 LIDEE DE PHENOMENE La pensée moderne a réalisé un progrés considérable en réd sant Vexistant 4 la série des apparitions qui le manifestent. On visait par Ii A supprimer un cerlain nombre de duatismes gut embarrasssient la philosophie et & Jes remplacer par le monisine du phénoméne, ¥ a-ton réussi 7 II est certain quion s'est débarrassé en premier Liew de ce dualisime qui oppose dans Vexistant W'intéricur a exterieur. 11 n'y a plus dextérieur de Yexistant, si Yon entend par 1 une peau superiicielle qui dissimulerait aux’ regaris Ia yéritable nalure de Yobjet. Fi cette véritable nature, & son tour, si elle doit tre la réalité secrite de Ia chose, qu'on peut pressentir ou supposer ais jamais atteindre parce qu'elle est « intéricure » A lobjet considéré, n'existe pas non plus. Les apparitions qui manifestent Yoxistant ne sont ni intérieures ni exlérieures : elles se valent toutes, elles renvolent toutes 4 Wau:res apparitions et aucune debies n'est privilégiée. La force, par exemple, n'est pas un conatus métaphysique et d'espéce inconnue qui se mascuerait derriére ses effels (accélérations, déviations, ele.) : elle est Vensemble de ces effets. Pareillement Je courant électrique n'a pas d'envers seeret + il n'est rien que ensemble des actions phy= sico-chimiques (électrolyses, incandescence d'un filament de car Bone, déplacement de Tatguille du galvanomatre, ete.) «ui le sstent, Aucune de ces actions ne suftlt & le révéler. Mois celle n'indique rien qui soit derriare elle : elie indique elloméme et in série totale. 1 s'ensuit, évidemment, que le dualisine de Vetre et du paraitre ne saurait plus trouver droit de eité en philosophie. Lrapparence renvoie a la série totale des apparences et non & un réel eaché qui aurait drainé pour lui tout Vétre de Vexistant, Et Vanparence de son coté n'est pas une manifesta tion ineonsistante de cet etre, Tant qu'on a pu croire aux réalites nouménales, on a présente apparence comme un négatif por. Cistait « e¢ qui a'est pas elle navait dautre ctre que 12 VETRE ET LE NEANT celui de Tillasion et de Verreur. Mais cet dtre méme était em: pronté, if était lui-méme un faux semblant et la diffleulté 1a plus gcande qu'on pouvait rencontrer, ¢'était de maintenir assez de cohésion et d'existence a l'apparence pour qu'elle ne se résorbe pas d'elle-méme au sein de 'étre non-phénoménal. Mais si nous nous sommes une fois dépris de ce que Nietzsche appelait « V'l- lusion des arriére-mondes » et si nous ne croyons plus l'étre- de-derrigre-apparition, celle-ci devient, au contraire, pleine positivité, son essence est un « paratire > qui ne s‘oppose plus a Vétre, mais qui en est Ia mesure, au contraire. Car Vtre dun existant, c'est précisément ce qu'il parait. Ainsi parvenons-nous 4a Vidée de phénoméne, telle qu'on peut Ia rencontrer par exem- ple, dans la « Phénoménologie » de Husserl ou de Heidegger, 12 phénoméne ou le relatif-absolv. Relatif, le phiénoméne le demeure car le « paraitre » suppose par essence quelqu'un a qui paral tre. Mais il n'a pas la double relativité de !Erscheinung kan- tienne. If n'indique pas, par-dessus son épaule, un étre véritable ‘qui serait, lui, P'absolu. Ce qu'il est, il Vest absolument, car il se dévoile comme il est. Le phcaoméne peut éire étudié et décrit en tant que tel, car il est absolument indicatif de lui-méme. Du méme coup va tomber Ia dualité de Ia puissance et de Pacte. Tout est en acte. Derriére Vacte il n'y a ni puissance, ni « exts », ni vertu. Nous refuserons, par exemple, d’entendre pat « genie >» — au sens od l'on dit que Proust « avait du génie » ou qu'il « était » un génie — une puissance singuliére de pro- duire certaines ceuvres, qui ne s'épuiserait pas, justement, dans 1a production de celles-ci, Le génie de Proust, ce n'est ni Poeuvre considérée isolément, ni le pouvoir subjectif de la produire : crest Y'euvre considérée comme ensemble des manifestations de la personne. C'est pourquoi, enfin, nous pouvons également rejeter le duslisme de Yapparence et We l'essence. L’apparence nne cache pas lesscnce, elle la révile : elle est Vessenee, Les- sence d'un existant n'est plus une vertu enfoneée au creux de cet existant, c'est 1a loi manifeste qui préside A Ia succession de ses apparitions, c'est la raison de Ja séric. Au nominalisine de Poincaré, définissant une réalité physique Ge courant électrique, ar exemple), comme Ia somume de ses diverses manifestations, Duhem avait raison opposer sa propre théorie, qui faisait da concept Cunité synthétique de ces manifestations. Et, certes, la phénoménologie n'est rien moins qu'un nominalisine, Mais, en initive, Vessence comme raison de la série n'est que le lien des apparitions, clest-i-dire elle-méme une apparition. C'est ce gui explique qu'il puisse y avoir une intuition des essences (la Wesenschau de Husserl, par exemple). Ainsi l'étre phenomenal se ‘manifeste, if manifeste son essence aussi bien que son existence INTRODUCTION 13 et if nest tien que la série bien lige de ces manifestations. Est-ce a dire que nous ayons réussi A supprimer fous Jes dua Tismes en réduisant Vexistant & ses manifestations ? I semble pluldt que nous les ayons tous eonvertis en un dualisme nouveau. celui du fini et de Vinflni, Lexistant, en effet, ne suurait se ré- Guire & une série finie de manifestations, pulsque chacune d'elles fest un rapport a un sujet en perpétuel changement. Quand un fabjet ne se livrerait qa’ travers une seule absehaitung > le seul fait q'tre sujel implique la possibilité de multiplier les points de vue sur cette ¢ abschattung >. Cela suffit pour multi- plier & Yinflni I’ € abschattung > eonsidérée Ea outre, sila série d'apparitions était finie, cela sigaifleralt que les premieres appa- rues n'ont pas Ja possibilité de reparaitre, ce qui est absurde ow au'elles peuvent étre toutes données & la fols, ce qui est plus ab- surde encore, Concevons bien, en effet, que notre théorie du phé nomine a remplacé la réalité de In chose par Yobjectivité du phit- nomine et qu'elle 4 fondé celle-ci sur un recours a Tinfini. La réalité de celle tasse, c'est qu'elle est 18 et quielle mest par moi. Nous traduirons cola en disant que la série de ses apparitions est lige par une raison qui ne dépend pas de mon bon plaisir. Mais apparition réduite & elle-méme et sans recours a la série dont elle fait partic ne saurait étre qu'une plénitude intuitive et subjective : la maniére dont le sujet est affecté. Si te phénomene doit se révéler transcendant, i} faut que le sujet lui-méme trans- cende lapparition vers la série totale dont elle est un membre. Il faut quill saisisse le rouge & travers son impression de rouge. Le rouge, c'est-ivdire Ja raison de la série ; le courant électrique A travers Télectrolyse, ete. Mais si la transcendance de Y'objet se fonde sur la nécessité pour V'apparition de se faire toujours transcender, il en résulte qu'un objet pose par principe la série de ses apparitions comme infinies. Ainsi 'apparition qui est finie slindique elle-méme dans sa finitude, mais exige en méme temps, pour étre saisie comme apparition-de-ce-qui-apparalt, ttre ‘dépassée vers Vinfiai. Cette opposition nouvelle, le « fini et Pin- fini », ou micux ¢ Vinfini dans le fini », remplace le dualisme Ge Vétre et du paraitre : ce qui parait, en elfel, c'est seuleme tun aspect de Vobjet et Vobjet est tout enter dans cet aspect et tout entier hors de lui, Tout entier dedans en ce qu'il se mani feste dans cet aspect : il s'indique lui-méme comme la structure de Vapparition, qui est en méme temps la raison de la série. Tout centier dehors, car la série elle-méme n’apparaitra jamais ni ne peut apparaitre. Ainsi, le dehors s’oppose de nouveau au dedans et Pétre-qui-neparalt-pas 4 apparition. Pareillement une cer~ taine © puissance > revient habiter lo phénoméne et lui conférer sa transcendance méme : la puissance d'tre développé en une “ VATRE ET LE NEANT série d'apparitions réelies ou possibles. Le genie de Proust, méme réduit anx @uyres produites, nen équivaut pas moins Vinflnité des points de vue possibies qu'on pourra prendre sur ceite cuvre et qu'on nommera < inepuisabilité > de Veuvre proustienne, Mais cette inégpuisabilits qui Implique une transcen- danee et un recours & l'in‘ini, n'estelle pas une < exis », au moment meme oii on la saisit sur Fobjet? L'essence enfin est radicalement coupée de Yapparence individuelle qui la mani= feste, puisqu’elle est par prineipe : ce qui doit pouvoir étre ma- nifesté par une série inflnie de manifestations individuelles A remplacer ainsi une diversité @oppositions par un dualisine unique qui les fonde toutes, avons-nous gagné ou perdu ? Crest ce que nous verrons bientét. Pour l'instant, la premiére consé- quence de Ja < théorie du phénomene », eest que Vapparition ne reavoie pas & I'etre comme le phénoméne kantien dy nou- mene. Puisqu'il n'y a rien derriére elle et quelle n'indique qu'elle-méme (et la série totale des apparitions), elle no peut Gire supportée par un autro Eire que le sien propre, elle ne sau- rait €1re 1a mince pellicule de néant qui sépare Metre-sujet de Ptre-absolu. Si essence de Papparition est un ¢ parailre » qui ne s‘oppose plus & aucun ére, il y a un probleme légitime de Yétre de ce paratire. Crest ce probleme qui nous occupera ici et qui sera le point de départ de nos recherches sur 'étve et Je néant. 0 LE PUENOMENE D'ETRE EP 1PETRE DU PHENOMENE apparition n'est soutenue par aucun existant different delle : elle a son étre propre. L’étre premier que nous rencontrons dans nos recherches ontologiques, e'est done Vétre de apparition, Est-il luiméme une apparition ? Il Je semble d'abord. Le phéno- mene est ce qui se manifeste et I'étre se manifeste a tous en quelque fagon, puisqe nous pouvons en parler et que nous en avons une cerlaine eompréhension. Ainst doit-il y avoir un phen étre, une apparition d'étre, descriptible comme tehe,[L-étre nous sera dévoilé par quelaue moyen d'acets imme ist, Fennui, fa nausée, etc., et Yontologie sera la description du phinoméne détre tel quill se manileste, c'est i-dire sans inler- inediairey Pourtant, i convient de poser & toute ontologie une éalable !1e phenoméne d'étre ainsi attoint est-t iden- tique & Metre des phnoménes, e'est-idire : Vetre qui se dévoile A moi, qui m'apparait, estil de méme nature que Vétre des exise tants qui m'apparaissent ? Il semble quill n'y ait pas de diff culté : Husserl a montré comment une réduction eidétique est INTRODUCTION 15 toujours possible, e'est-i-dire comment on peut tonjours dépas- ser le phénomine coneret vers son essence et, pour Heldegzer, la ‘© réalité humaine » est ontico-ontologique, c’est-i-dire qu'elle peut toujours dépasser le phénomene vers son étre, Mais le passage de objet singulier a Iessence est passage de 'homogene A Vhomogtne. En est-ll de méme du passage de Fexistant au phiés nomne d'étre ? Dépasser lexistant vers le phénomine d'étre, est- ee bien le dépasser vers sam fre, comme on dépasse le rouge particulier vers son essence ? Regirdons mieux. ans uun objet singulier, on peut toujours distinguer des qui- és comme Ia couleur, Fodeur, ele. Et, & partir de celles-ci, on” peut toujours fixer une essence qu'elles impliquent, comme le signe implique Ia signification. L’ensemble « objet-essence » fait un tout organisé : essence a’est pas dons V'ebjel, elle est le sens de Vobiet, 1a raison de Ja série Wappatitions qui le dévoilent. Mais 18're n’est ni une qualité de Yobjet saisissable parmi d’au- tres, ni un sens de l'objet. Lrobjet ne renvore nas a Tétre comme & une signification : il serait impossible, par exemple, de désinir Petre comme une présence — puisque absence dévoile ausst Petre, puisque ne pas Ctre (4, cest encore. étre. L'objet_ne_pos- side pas etre, et son existence nest pas une participation & Petre, ni tout autre genre de relation, Il esi, cest Ta seule manitve de définir sa facon U'étre ; ear Yobjot ne masque pas l'étre, mais ne Je dévoile pas non plus : il ne Ie masque pas, car i serait vain Wessayer d'éearter certaines qualités de Texistont pour troaver V'etre derridre elles, létre est l'étre de toutes également — I re le dévoile pas, ear i serait vain de s'adresser & Tobict pour appréhender son étre. L’existamt est phénoniene, e'est-lulire u'll se désigne Tut-méme comme ensemble organisé de qualités, Luisméme et non son étre. L’étre est simplemeat Ja condition de tout dévollement + il est étre-pour-dévoiler et non élre dévoilé, Que signifte done ce dépassement vers Fontologique doat parle Heidegger ? A coup sir, je puis dépasser cette table ou cette chaise vers son Gtre et poser Ia question de I'étre-table cu de Yétre-chaise, Mais, 4 cet instant, je détourne les yeux de 1a table phénoméne pour fixer Pétre-phénomine, qui n'est plus In eond- tion de tout dévoilement — mais qui est luk-méme un dévoile, tune apparition et qui, comme telle, a A son tour hesoin d'un dire sur le fondement duguel 11 puisse se dévoiler. Si Métre des phénombnes ne se résoutd pas en ua phénoméne Wétre et si pourtant nous ne pouvons rien dire sur V'étre qu’ea consultant ce phénoméne d’étre, le rapport exact qui anit le phénoméae détre 4 ire du phénoméne doit étre établi avant tout. Nous pourrons le faire plus aisément si nous considérons que Vensemble des reruargues préeédertes a été directement ins- 16 VETRE ET LE NEANT piré par Pintuition révélonte du phénoméne d'etre. En considé- cant non [étre comme condition du dévoilement, mais Vétre comme apparition qui peut Giro fixée en concepts, nous avons compris tout d'abord que Ia connaissance ne pouvait a elle seule Ire raison de T'atre, c'estidire que Méire du phénoméne ne pouvait se réduire au phénoméne d’étre. En un mot, le phéno- rabne dire est « ontologique » au sens ot Yon appelle ontolo- gigue la preave de saiat Anselme et de Descartes. TL est un appel Wétre ; il exige, en tant que phenoméne, un fondement traasphénoménal, Le phénoméne d'etre exige la transphénem® nialité de ttre, Cela ne veut pas dire que J'éire se trouve eaché derriére les phénomines (nous avons va que le pbénoméne ne peut pas masquer Vétre) — ni que Je phénoméne soit une appar Fence qui renvoie & un éire distinct (c'est en fant qu'apparence que le phénoinéne est, e'est-i-dire qu'll s‘indique sur Te fonde- de Vétre). Ce qui est impliqué par les eonsidérations qui lent, c'est que I'étre du phénoméne, quoique coextensit au phénoméne, doit Gehapper a la conditicn phénoménale — qui est de n'exister que pour sutant qu'on se révele — et que, par con- sequent, il déborde et fonde la connaissance qu'on en prend. i LE COCITO PREREFLEXIF ET L'ETRE DU PERCIPERE. On sera peu-ttre tenté de répondre que les difficultés men- tionnées plus haut tiennent toutes & une certaine conception de etre, a une maniére de réalisme ontologique tout a fait incom- patible avec 1a notion méme Papparition. Ce qui mesure Vetre de Vapparition c'est, en effet, qu'elle apparatt. Et, puisque nous avons born la réalité an phénoméne, nous ponvons dire dx phé- oméne quit est comme il epparait. Pourquoi ne pas pousser Tilée jusqu’d sa limite et dire que "ttre de 'apparition c'est son apparaltre, Ce qui est simplement une fagon de choisir des mots nouveaux pour habiller le viell « esse est percipi » de Berkeley. Et est bien, en effet, ce que fera un Husserl, lorsque, aprés avoir effectué 1a réduetion phéaoménologique, 1 traitera te hotme diérréel et déclarera que som « esse > est un « pereipl >. 51 ne paralt pas que 1a eélvbre formule de Berkeley puisse nous satisfaire. Ceci pour deux raisons essenticlles, tenant lune a la nature du pereipi, l'autre & celle du percipere, Nature du « percipere ». — Si toute métaphysique, en effet, suppose une théorie de la connaissance, en revanche toute theo. nie de Ia connaissance suppose une métaphysigue. Cela signifie, INTRODUCTION VW entre autres choses, qu'un idéalisme soucicux de réduire I'ttre & fa connaissance qu'on en prend, devrait auparavant assarer de quelque maniére I'Ctre de la connaissance. Si lon commence, 2 contraire, par poser celle-ci comme un donné, sans se prevecue per d'en fonder I'étre et si Yon affirme ensuite < esse es! per cipi >, la totalilé « perception-pergu », faute d'tire soutenue par tun atte solide, s'effondre dans le néant. Alnsi V'étre de Ia com raissance ne peut étre mesuré par Ia connaissance ; 1 échappe Au « percipt » (1). Ainsi ltre-fondement du percipere et du percipt doit échapper lui-méme aul peréipl =i! doit Cire transphe oménal, Nous revenons 4 notre point de départ. Toulefois on TETAS accorder que le percipi renvoie & un Clre qui Echappe ux lois de Tappacition, mais tout en maintenant que cet étre transphénoménal est lire du sujet. Ainsi le percipé renverrait au pereipiens — le connu a 1x connaissance el colle-ci a Yetre connalssant en tant qu’ll est, non en tant qu’ll est conn, e'est Acdire 4 Ia conscience. Cest ce qu'a compris Husserl : car si le noime est pour lui un corrélatif irréel de ta novse, dont 1a lol ontologique est le percipi, la notse, an contraire, lui apparatt comme la réalité, dont la caractéristique principale est de se Uonner & la réflexion qui Ia connaif, comme ¢ ayant été déji 1a avant ». Car la Joi d'etre du sujet eonnaissant, c'est d’étre-cone- cient, La conscience mest pas un mode de connaissence pa culier, appelé sens intime ou connaissance de soi, c'est Ia dimes: sion d'étre transphénoménale du sujet. Essayons de mieux comprendre celle dimension d’étre, Nous disions que 1a conscience est I'étre eonnaissant en tant qu'il est ef tion en tant quill est connu. Cela signifie qu'il convient d'aban donner Ie primat de la connaissance, si nous voulons fonder cefte connaissance méme, Et, sans doute, la conscience peut con nalire et se connsitre, Mais’elle est, en elle-méme, autre chose qu'une connaissance retournée sur soi. ‘Toute conscience, Iusserl I'a montr6, est conscience de quel- que chose. Cela signifie quill n'est pas de conscience qui ne soit position d'un objet transcendant, on, si Yon préfire, ate In cons cience n'a pas de ¢ contenu >. II fant renoncer ii ces ¢ données > neutres «(ui pourraient, selon le systéme de références choisi, se constiluer en € monde > ou en = psychique », Une table n'est pas dans Ia conscience, méme a titre de représentation. Une table est dans espace, & cdté de la fenitre, ele. Lexistence de le () 11 va de soi que toute tentative pour remplacer le « percipe par une autre affitude de la rialité humaine restersit parsilement Uofraciueuse. Si Ton admettait que Dire so néeele i Thomme dans le ¢ faire , encore faudreit-il assurer P'tre du faire en dehors ce Faction, 18, Verne ET LE NEANT table, en effet, est un centre dopacité pour 1a conscience ; it faudrait un procés infini pour inventorier le contenu total d'une chose. Introduire colle onaeité dans la conscience, ce serait ren- voyer A Tinfini linvertaire qu'elle peut dresser d’elle-méme, faire de la conscience une chose et refuser le cogito. La premiére dé- marche Wane philosuphie doit done tire pour expulser lee cho- ses de Ja conscience ct pour rétablir le vrai rapport de celle-e wee Ie monde, a savoir que la eonseience est cunscience posi- Uonnelic du monde. Toute conseience est positionnetle en ce qu'elle se transeende pour atteindre un objet, et elle s'épuise dans cette position méme : tout ce qu'il y a dintention dans ma conscience actuelle est dirigé vers le dehors, vers la table ; toutes mes activités judicatives ou pratiques, toute man affecti- vité du moment se transcendent, visent Ia table et s'y al/sorbent. ‘Youte conscience n’est pas connaissance (il y a des consciences affectives, par exemple), mais tonte conscience connaissante ne peut étre connaissance que de son objet Poustant Ia condition nécessaire ct suffisante pour quene conscience connaissante soit connaissance de son objet, e'est quielle soit conscience d'elle-méme comme étant cette connais- sanee. C'est une condition nécessaire + si ma conscience n'etait pas conscience W'étre conscience de table, elle serait done eons- ee de celte table sans avoir conscience de I'étre ou, st Ton veut, une conscience qui s'ignorerait soi-méme, une conscience inconsciente — ce qui est absurde. C'est une condition suffisante: iL euttt que Yate conscience q'avoir eonselence de cette table pour que jen aie en effet conscience. Cela ne sutiit certes pas pour me permettre dalfirmer que cette table existe en sof — mais bien qu'elle existe pour moi, Que sera cette conscience de conscience ? Nous subissons A un tel point Yillusion du primat de ta eomnaissance, que nous som- mes tout de suite préts a faire de la conscience de conscience tune idea édew A la maniére de Spinoza, e'estai-dire une contiai sance de connaissance. Alain ayant 4 exprimer celte évidence « Savoir, e'est avoir conscience de savoir >, In raduit en ces termes :'« Savoir, c'est savoir qu'on sat. » Ainsi avtons-nous aéfini In réflexion ou conscience positionnelle de la conscience ou micux encore connaissance de In conscience, Ce serait une wonstience complite et dirigée vers quelgue chose qui west pas elle, cest-Adire vers Ia conscience réfléchie, Ele se transcen- derait done et, comme Ia conscience positionnelie du monde, Sépuiserait a viser son objet. Seulontent cet objet serait lu-mémie une conscience. ne parait pas que nous puissions aceepter cette interpréta tion de ta conscience de conscience, La réduction de la eons- INTRODUCTION 19 elence & la coanaissance, en effet, imptique qu’on introdait dans In eonscience la dualité sujet-objet, qui est typique de la connais- sunee. Mais Si_nous aeceptons 1a loi du couple connaissant connu, un troisiime terme sera nécossaire pour que le eonnais sant devienne connu 4 son tour et nous serons places devant ce dilenime ¢ of nous arréter & um terme quelconque de Ia série conna—connaissant connu—connalssant connu du connaissont, tle.Alors e’est a totalité da phénoméne qui tombe dans Vinconmy Cestei-dire que nous butons toujours contre une réflexion non- consciente de soi et terme dernier — ou bien nous affirimons la nécessité d'une régression & Vinfini (ldea fdew idew, etc), c2 Gui est absurde, Ainsi la nécessité de fonder ontologiquement Ia connaissance se doublerait ici d'une nécessité nouvelle : celle de la fonder épistémologiquement, N'est-ce pas qu'il ne faut pas introduire la loi du couple dans la eonseience ? La conscience de sol n'est pas eouple. Tl faut, sl nous voulons éviter 1a régression a Vinfini, qu'elle soit rapport immédiat et non cogitif de soi a D'ailleurs 1a couscience réflexive pose 1a conscience réftéchie comaie son objet : Je porte, dans Vacte de réflexion, des juge- ments sur la conseience réfiéebie, j'en ai homte, fen suis fer, Je la veux, je la refuse, ete. La conscience immédiate que je prends de percevoir ne me permet ni de juger, ni de vouloir, ni avoir honte, Elle ne connait pas ma perception, elle ne Ja pose pas tout ce qu'il y a d’intention dans ma conseience actuelle est diri- g@ vers Je dehors, vers le monde. En revznche, cette conscience spontande de ma pereeption est constitutive de ma conseience perceptive, En d'autres termes, toute conscience positionnelle objet est en méme temps conscience non positionnelle del méme. Si je compte les cigarettes qui sont dans cet étui, jai Vimpression dy dévoilement d'une propriété objective de ce groupe de cigarettes : elles sont douze. Celle propriété apparait A ma conscience comme une propriété existant dans le monde. Je puis fort bien n'avoir aucune conscience positionnelle de les compter. Je ne me ¢ connals pas comptant », La preuve en est ‘que les enfants qui sont eapables de faire une addition sponta- nément, ne peuvent pas expliquer ensuite comment ils s'y sont pris: les tests de Piaget qui le démontrent constituent une excellente réfutation de Ia formule Alain : Savoir, clest sivoir ‘qu'on seit. Et pourtant, an moment oii ces cigarettes se dévoilent & moi comme douze, j'si une conscience non thétique de mon activité additive. Si Yon m’interroxe, en effet, si Yon me de- mande: © Que faites-vous 14? » je répondrai aussitdt : « Je compte », ef cette réponse ne vise pas seulement la conscience instantanée que Je puls attelndre par la réflexion, mais eclles qui 20 VERE LE NEANT. sont passées sans avoir &ié réléchies, celles qui sont pour tous jours drvsflechter dans mon passé lamédiay Alnsi n'y. i facune esptce de primat de Ia réllesion avce'la consetence ré- fléchie sce nest pas celleTA qul révile celle & elle-méme, Tout thétique de compiler qui est In condition méine de mon a additive, S'll en Giait autrement, comment addition seraitelle le theme unificateur ‘de mes consciences ? Pour que ce théme pré- side A tonte une série de synthises dunifieations et de réeogni- Aions, il faut quill soit présent & luiméme, non eoimme une chose mals comme une intention opératoire qui ne peut exister que comme « révélante-révélée » pour employer une expression de Heidegger. Ainsi, pour compler, fautdl avoir conscience de compter. Sans doute, dira-ton, mais il y a cerele, Car ne faut-il pas que ie compte en fail pour que je puisse avoir conscience de comp- ter? Il est vrai. Pourtant, il n'y 9 pas cercle ou, si Von veut, crest 1a nature méme de la conscience d'exister « en cercle >, Crest ce qui peut s'exprimer en ces termes : toute existence cons. ciente existe comme conscience d'exister, Nous comprenons présent pourquoi la conscience premiére de conscience n'est pas Positionnelle : c'est qu'elle ne fait qu'un avee la conscience dont elle est conscience. D'un seul coup elle se détermine comme conscience de perception et comme perecption, Ces nécessites de Ia syntaxe nous ont obligé jusqu’lei & parler de 1a « cons: cienee non positionnelle de soi >. Mais nous ne pouvons user plus longtemps de cette expression olt le « de sof » éveille encore Vidée de connaissance, (Nous mottrons désormais le « de> entre parenth?ses, pour indiquer qu'il ne répond qu’ une contrainte grammaticale.) Cotte conscience (de) soi, nous ne devons pas la considérer comme une nouvelle conscience, mais comme le seul mode existence qui soit possible pour une conselence de quelque chose, De mime qu'un objet étendy est eontraint dexister selon les trois dimensions, de méme une intention, un plaisir, une douleur ne sauraient exister que eomme conscience immediate () eux-miémes. L’étre de intention ne peut etre que conseience, sinon intention serait chose dans la conscience. Ll ne faut done pas entendre ick que quelque cause extérieure (un trouble organt. ue, une impulsion inconsciente, une autre « erlebnis ») pourrait determiner un événement psychique — un plaisir, par exemple — 4 se produire, et que cet événement ainsi déterminé dans sa structure matérielle serait astreint, q'autre part, A se produire INTRODUCTION 2 comme conscience (de) soi. Co serait faire de la conscience non thétique une qualité de la conscience positionnelle (au sens ot lo perception, conscience positionnelle de ceite table, surait par surcroit la qualité de conscience (de) soi) et relomber ainsi dans jusion du primat théorique de 1a connaissance, Ce serait, en outre, fire de lévéuement psychique une chose, et le quatifier de conseient comme je peux qualifier, par exemple, ce buvard fe rose. Le pluisir ne peut pas se distinguer — méme logique: ment — de la conscience de plaisir. La conscience (de) plaisir test constitutive du plaisir, comme le mode méme de son exis- tence, comme la matiére dont il est fait et non comme une forme qui s'imposerait apres coup 4 une maliire hédoniste. Le plaisir ne peut exister ¢ ayant » 1a conscience de plaisir — meme sous la forme de virtualité, de puissance. Un plaisir en puissance ne saurait exister que comme conscience (W!)étre en puissanee, il m'y a de virtualités de conscience que comme cons- clence de virtualités. Réciproquement, comme Je le montrais tout 4 Pheure, il faut witer de définir le plaisir par Ia conscience que Yen prends. Ce serait tomber dans un idéalisme de la conscience qui nous ramé- nerait par des voies détournées au primat de le connaissance. Le plaisir ne doit pas s“évanouir derrigre la conscience qu'il a (de) Ini-méme : ce n'est pas- une représentation, e’est un événement coneret, plein et absolu, Il n'est pas plus une qualité de 1a cons- cience (de) soi que Ia conseience (de) soi n’est une qualité du plaisir. n'y a pas plus d'abord une conscience qui recevrait ensuite Vaffection < plaisir x, comme une enu qu'on colore, qu'll n'y a dabord un plaisir (inconscient ou psychologique) qui recevrait ensuite la qualité de conscient, comme un faisceay de tumitre. Il y aun étre indivisible, indissoluble — non point une substance soutenant ses qualites comme de moindres étres, mais un étre qui est existence de part en part, Le plaisir est Petre de la conscience (de) soi et Ia conscience (de) soi est Ja loi d'etre du plaisir, C'est ce qu'exprime fort bien Heidegger, lorsqu'll écrit (en parlant du « Dasein », a vrai dire, non de Ix conscion- cee): € Le « comment » (essentia) de cet étre dolt, pour autant quill est possible en général d’en parler, étre concu & partir de son étre (existentia). > Cela signifle que 1a conscience n'est pas produite comme exemplaire singulier d'une possipilité abstraite, ‘mais qu’en surgissant au suin de I'Gtre elle erée et soutient son essence, cest-A-dire Pagencement synthétique de ses possibi sites. jela veut dire aussi que Ie type d'étre de tn conscience est & inverse de celui que nous révele la preuve ontologique : comme {a conscience nest pis possible avant d'étte, mais que son étre 2 LftRE ET LE NEANT est la source et Ia condition de toute possibilité, c'est son exise tence qui Iinplique son essence. Ce que Husserl exprime hevees Sement en parlant de sa ¢ nécessité de fait », Pour qu'il y ait une essence du plaisir, iJ faut qu'il y ait Wabord te fait dune conscience (ds) ce plaisir. Bt c'est en vain qu'on tenterait din. yoquer de prétendues io/s de la conselenee, dont ensemble articulé en constituersit V'essence : une loi est un obijet transeen. dant de connaissance ; il peut y avoir eonseience de loi, non lek de Ia conscience. Pour les mémes raisons, il eat impossible dace signer a une conscience une autre motivation quielle-méme. Sincn il faudrait coneevoir que la conscience, dens Is mesure of elle est un effet, est non consefente (de) soi. Il fanitrait que, par Guelaue edté, elle f0t sans tre conscience (@')Cire. Nous tombe: tions dans cette illusion trop fréquente qui fait de Ia conscience lun demi-inconscient ou une passivité, Mais la conscience. est conscience de part en part. Flle ne sauruit done étre limitce que par elle-méime, Cette détermination de tn conscience par soi ne doit pas ttre congue comme une genése, comme un devenir, car il faudrait supposer que Ia conscience est antérieure & sa propre existence. ne faut pas non plus concevoir cclte création de soi comme wa acte, Sinon, en effet, In conscience serait conscience (de) sot comme acte, ce qui n'est pas. La conscience est un plein desi. fence et cette determination de soi par sot est une earactéris. ftigue essentielie. IL sera méme prudent de ne pas abuser de Vexpression ¢ cause de soi >, qui laisse supposce une progres sion, un rapport de soi-cause & soi-eMfet, Il serait plus juste de ire, tout simplement : In conscience existe par soi. Et par 1a i ne faut pas eniendre qu'elle se « tire du néant >. I ne saurait y avoir de < néant de conscience » avant ta conscience. < Avant > Ia conscience, on ne peut coneevoir qu’sin plein d'ctre Gont aucun élément ne peut renvoyer a une ennseience absen Pour qu'il y ait néant de conselence, il faut ane conscience 4 4 &é et qui n'est plus et une conscience témoin qui pose le néent de ta premiére conscience pour une synthése de réeognitions La conscience est antéricure au néant et « se tire > de Pitre (1). On aura peut-itre quelque peine & aceepter ces conclusions: Mais si on les regarde mieux, elies paraitront parfaitement lai: Fes : le paradoxe n'est pas qu'il y ait des existences par soi, mais vil n'y alt pas ew'elies. Ce qui est véritablement impensabte, ) Cela ne signitte nullemest que ta conscience est Ye fondement de son Etre. Mais au eontraire, evuame nous le verso. plus lola, i Ya une contingence pléniire de Tétre ile la conscience, Nowa Youtou foulement’ indiquer = I" Que rien n'est ewise dela conseionrs 2 Quielle ext eause ce sa propre maniire etre, INTRODUCTION 23 fe passive, e’est-iilire une existence qui se perné ni de se conserver. crest Veniston tae sans avoir la foree ni de se prodain De ce point ile vie il n'est rien de plus inia! cipe Winertic. Hi, ea eflet, doh < viendrait » La conscience, st tlle pouvait ¢ venir > de quelque chose? Des timibes de T'in- canseient on dn piiysiologigue, Mais si fon se demande conment fees limbes, a lear faue, peavent exister et droit elles tirent leur existence, nous nous trouvons raments au concept d'existence passive, cesteindire que nous ne pouvons absolument plus com prendre comment ees données non-conscientes, qui ne tirent pus leur existence -Velles-mémes, peuvent cepencdant Ja perpétuer el trouver encore Ja farce de produire une conscience. Gest ee dque marque asser la grande faveur qu'a connue Ja preuve « @ contlugentia mundi >. ‘Ainsi, en renongont au primat de 1a connatssance, nous avons: Aécouvert Létre di connaissant et rencontré Vabsoln, eet absolu tméme que les rationatistes daxvir'stécle avaiont définietcanstitué logiqeement comme un objet de comnaissance. Mais, précisément parce qui siagit d’an absolu d'existeace of non de connaissance, 1 échappe A cette fameuse objection selon laquelle un absolu conna n’est phis un absolv, parce qu'il devient relatif & 1a con naissance qu'on en prend, En foit, Fabsoln est iei non pas le résultat d'une construction logique sur le terrain de la connais- sanee, mais te sujet do In plus coneréte des expériences. Et il nest point relatif A eette expérience, parce qu'il est cette exp Fienee. Aussi est-ce un absoli non-substaaticl. \L'erreur ontolo: tgique du rationalisme cartésien, clest de n’avoir pas vu que, si Pabsola se détinit par le primat de Mexistence sur Pessence, il ng saurait étre concn comme tine substance, La conscience n'a rien de substantiel, c'est une pure « apparence », en ce sens qu'elle prexiste que dans Ia mesure of elle s'apparait. Mais e'est préei sément parce qu’elle est pure apparence, parce qu’elle est un de total (putisaue Te monde eatier est en dehors delle), c'est Aeause de cette idemilé en elle de Papparence et de I'existence awelle peut étre considérée commie Pabsolu. wv ETRE DU PERCIL gible que le prin. I semble que nous soyons parvenus au terme de notre recher- che. Neus avions réduit les choses A la totalité liée de leurs appa. Fences, puis nous avons constate que ces apparences réclamalent tun étre qui ne fat plus lukmeme apparence, Le « perctpi » ous a reavoyé & un © percipiens », dont etre s'est révelé A nous eomme consetence, Ainsi aurions-nous alteint le fondement 24 VETRE ET LE NE NT ontolosiye de Ia connaissance, Vetre premier & qui toutes tes autres appavilions apparaissent, Vabsolu par rapport & quoi tout phénomene est relatif. Ce n'est point le sujet, a sens Kantien du terme, mais c'est la subjectivité méme, Vimmanence de soi h sol. Dés a présent, nous avons échoppé &'Vidéatisme + pour cel ‘ire est mestiré par Ja connaissance, ee qui le soumet & Ia loi fe dualité ; il n'y a d'etre que connu, s'agitil de la pensie méme : 11 pensée ne s'apparait qu'A (avers ses propres pro- duits, c'est-i-dire que nous ne Ia saisissons jamais que comme Ia signification des pensées faites ; et le philosophe en quéte de Ia pensée doit interroger Jes sefences constitnées pour Ven titer, & titre de condition do leur possibilite, Nous avons saisi, au con- Irairo, un étre qui échappe a la connaissance et qui la fonde, use pensée gui ne se donne point comme représentation ou comme nilieation des pensées exprimées, mais qui est directement saisie en tant quelle est — et ce mode de saisissement n'est pas tun phénoméne de connaissance, mais c'est la structure de V'tre, Nous nous trouvons @ présent sur le terrain de la phénoméno- Togie husserlienne, bien que Musser! Iui-méme n’ait pas toujours {te fidole & son intuition premise. Sommes-nous setisfaits ? Nous avons reneoniré un Gtre transphénoménal, mais est-ce bien Metre auquel renvoyait le pli¢noméne d'etre, est-ee bien Vétre du phé nomiéne ? Autrement flit P'8tre de la conscience sufMt-il A fonder Votre de Vapparenee en tant qu'apparence ? Nous avons arraché son étro au phénomPae pour le donner & la eonseience, et nous comptions qu'elle Ie lui restituerait ensuite, Le pourra-t-elle ? Crest ce que va nous apprendre un examen des exigences onto- logiques du « percépi >. Notons dabord qu'il y a un étre de la chose perene en tant qu'elle est percue. Meme si je voulais réduire cette table 4 une synthése q'impressions subjectives, au moins faut-il remarquer awelle se révele, em tant que table, & travers cette synthtse, quelle en est Is limite transcendante, Ia raison et Ie but. La Table est devant In connaissance et ne saurait étre assimilée & Ja connaissance qu'on en prend, sinon elle serait conscience, c'est Aedire pure immanence et elle sévanonirait commie table, Pour Je méme motif, méme si une pure distinction de raison doit la séparer de la synthése impressions subjectives a travers la- quelle on la saisit, du moins ne peut-elle pas étre cette synthese ce serait la réduire & une activité synthétique de liaison. En tant, tone, que le connu ne peut se résorber dans In connaissance, il faut Tui reconnaitre un étre. Cet étre, nous dit-on, c'est le per- ceipi. Reconnaissons tout d'abord que l'étre du pereipi ne peut se réduire & celui du percipiens — c'estsi-dire & Ia conscience — pas plus que Ia table ne se réduit & Ja liaison des représentations. INTRODUCTION 25, e, Mais Tout au plus, pourrait.on dire qu'il est retalif A eet oh cette relalivité ne dispense pas d'une inspection de percipl. ‘Or, Je mode du percipi est le passif. Si done Metre du phénomene réside dans son percipi, cet tre est passivité Relativité et passivité, telles seraient les structures caractéristi- ‘ques de esse en tant que celui-ci se réduicait aw percipi. Qu'est- te que la passivité ? Je suis passif lorsque je regois une modifies. tlon dont je ne suis pas Vorigine — c’est-i-dire ni le fondement ni le eréateur. Ainsi mon étre supporte-til une maniere d’ftre dont il west pas la source, Seulement, pour supporter, encore Faut-il que [existe et, de ce fail, mon existence se situe toujours au dela de la passivilé, « Supporter passivement », par exemple, est une conduite que je flens et qui engage ma liberté aussi bien que € rejeter résolument >, Si je dois étre pour toujours « celut quisa-élé-olfensé », Hl faut que je persévére dans mon étre, c'est Edire que je m’aflecte moi-méme de Yexistence. Mais, par 12 méme, je reprends & mon eomple, en quelque sorte, et jassuime mon offense, je eesse d'etre passif vis-a-vis delle, D’oii cette alternative : ou bien je ne suis pas passit en mon etee, alors Je deviens le fondement de mes affections méme si tout d'abord je nen ai pas €é Lorigine — ou bien je suis aifecté de passivité jusqu’en mon existence, mon étre est un Cire regu et alors tout tombe dans le néant, Aiusi Ja passivité est un phénoméne doi blement relatit ; relatif a Pactivite de celui qui agit et a Texis. tence de celui qui patit, Cela implique que Ia passivité ne sa rait coneecner Petre méme de Wexistant passif : elle est une rel~ tion d'un Eire @ ua autre étre et non d'un dire aun néant, Ht est impossible que le percipere affecte le pereeptum de Petre, car pour éire alfecté i} faudrait que le pereeptum fit aj donné en quelaue fagon, done qu'il existe avant d’avoir ree Vatre. On peut concevoir une eréation, Ia condition que Veire eréé se reprenne, s‘arrache au créateur pour se refermer sur so: aussitat et asstmer son étre : c'est en ce sens qu'un livre existe contre son auteur. Mais si V'acte de création doit se continuer indéfiniment, si I'étre eréé est soutenu jusqu’en ses plus inflmes parties, s'il n'a aucune independance propre, s'il n'est en Iui- méme que du néant, alors la créature ne se distingue aucune- ment de son eréateur, elle se résorbe en lui ; nous avions affaire ane fausse transcendance et le créatear ne peut meme pas avoi illusion de sortir de sa subjectivite (1). ‘Diailleurs la passivité du patient réclame une passivité égsle chez Vagent - c'est ce qu'exprime le princive de Yaction et de (1) Crest pour cette raison que Ta doctrine cartésienne de Ia subs. tance trouve son achivement fogique das Te spinozisme.

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