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LE COURRIER SOLIDARITÉ 11

SAMEDI 21 FÉVRIER 2009

L’intouchable
impunité Une partie du territoire guarani
des militaires
mexicains restituée aux indigènes par l’Etat
ONU • L’examen du Mexique BOLIVIE • Des communautés réduites à l’esclavage se voient attribuer la propriété
n’a pas défrayé la chronique. de leur territoire ancestral. Mais le département vole au secours des expropriés.
Mais des ONG s’inquiètent de
BERNARD PERRIN, LA PAZ
la militarisation de la sécurité.
Vivons nous l’année de la libération
L’impunité dont bénéficie l’armée mexicai- du peuple guarani, comme l’avait ré-
ne est un fléau qui préoccupe sérieusement cemment annoncé le vice-ministre
les organisations de défense des droits hu- bolivien des Terres, Alejandro Alma-
mains. C’est le problème «le plus urgent à ré- raz au Courrier1? Dans les commu-
soudre», a affirmé à Genève Luis Arriaga, du nautés de l’Alto Parapeti, dans le dé-
Centre Pro derechos humanos (Prodh). Ac- partement de Santa Cruz (est),
compagné d’autres militants de son pays, il a l’espoir n’a en tout cas jamais été si
dénoncé devant la presse, en marge de l’Exa- grand. L’Institut national de réforme
men périodique universel (EPU) du agraire (INRA) vient en effet de frap-
Mexique, les dérives de la lutte antidrogue, per un grand coup en annonçant que
prétexte à de nombreuses exactions. l’Etat y récupérera (passé un délai de
Selon les ONG, le «climat d’impunité» recours d’un mois) 36 000 hectares,
résulterait du «manque d’impartialité de la soit dix immenses propriétés actuel-
justice militaire», trop souvent amenée à se lement aux mains de cinq familles. Et
substituer aux instances civiles. «Une fem- pas n’importe lesquelles: ce sont en
me victime d’un viol par un militaire aura effet celles qui avaient pris les armes
toutes les peines du monde à le prouver», contre le gouvernement en février et
relève par exemple M. Arriaga. en avril derniers, empêchant par la
force l’accomplissement de la réfor-
Les crimes politiques ne sont pas davantage me agraire, et n’hésitant pas à
poursuivis. Parmi les régions connaissant prendre en otage pendant sept
des violations extrêmes des droits de l’hom- heures le vice-ministre des Terres2.
me, un rapport (lire ci-dessous) de l’Organi- Un vice-ministre qui ne cache pas
sation mondiale contre la torture (OMCT) et sa satisfaction un an plus tard: «La ré-
de la Fédération internationale des droits de forme agraire a été freinée mais elle ne
l’homme (FIDH) pointe le Chiapas, où le re- s’est pas arrêtée! Et ces 36 000 hec-
cours excessif à la force publique vise à dé- tares seront enfin rendus aux Guara-
courager les peuples autochtones de faire va- nis, même s’il ne s’agit que d’une pre-
loir leur droit à la terre et à l’association. Cas mière étape d’assainissement des
emblématique, celui de la tuerie d’Acteal: terres dans la région de l’Alto Parapeti.»
plus de dix ans après le massacre par des pa-
ramilitaires de quarante-neuf indigènes Conditions d’esclavage
tsotsiles, aucun des hauts responsables n’a Nous avons examiné de manière
été puni. Même constat après la révolte approfondie la décision d’assainisse-
d’Oaxaca, réprimée dans le sang en 2007. ment de l’INRA. Mis à part quelques
Dans l’Etat du Guerrero, la répression de détails, elle représente pour nous un
membres du peuple Me´phaa s’est soldée en pas en avant historique vers la
avril 2008 par l’emprisonnement de quinze constitution d’une Terre communau-
indigènes. Au Nuevo León, des militants taire d’origine (TCO) de 157 000 hec-
d’ONG sont menacés de morts. Dans toutes tares, que nous réclamons», explique
ces régions, la lutte contre le narcotrafic est de son côté le dirigeant guarani José
utilisée comme prétexte pour justifier les Yamangay.
exactions, souligne le rapport OMCT/FIDH. Mais de quel droit l’Etat a-t-il
confisqué ces surfaces aux mains de
Au Mexique, ni état d’urgence promulgué ni propriétaires terriens, alors que la La survivance du travail infantile et de formes d’esclavage dans les exploitations de l’Alto Parapeti (ici, la récolte des
état de siège proclamé, mais une dérive sécu- nouvelle Constitution adoptée le 25 cacahuètes) a justifié l’expropriation et la remise des terres aux communautés qui les travaillent. L. VERA/CRS
ritaire qui y ressemble. Dans plusieurs pro- janvier respecte la propriété privée?
vinces, des couvre-feux sont instaurés par «Nos investigations ont démontré
une armée et des paramilitaires omnipré- qu’il y avait bel et bien des situations du propriétaire, sans indemnisation, de véhicules, son soutien aux grands La bataille de la terre n’est donc
sents. A Tijuana, les militaires ont désarmé d’esclavage ou de travail forcé, comme et de la redistribuer aux personnes qui propriétaires terriens. pas terminée dans l’est de la Bolivie.
en janvier les 2320 policiers de la ville, afin de les enquêtes de l’ONU ou de l’Organi- la travaillent effectivement. Le préfet a répété que les autorités D’autant moins qu’Alejandro Alma-
s’occuper à leur place des trafiquants et du sation internationale du travail du département se chargeraient elles- raz a reconnu il y a quelques jours
crime organisé. Depuis peu, des patrouilles l’avaient déjà révélé», explique Alejan- La droite aux barricades mêmes d’assainir les terres, dans le que le sous-sol de l’Alto Parapeti ren-
conjointes armée-police ont vu le jour. dro Almaraz. Les enquêteurs du gou- Mais avant d’être l’année de la cadre de l’application des statuts auto- fermerait d’énormes réserves de gaz
Ce transfert de compétences est justifié vernement ont pu notamment dé- libération des Guaranis, 2009 risque nomiques, adoptés en mai 2008, au naturel. «C’est pour pouvoir les ex-
par la corruption policière. A en croire le montrer qu’au moins cinquante d’être encore celle de la lutte. L’oppo- cours d’un référendum illégal. ploiter à son seul profit que l’Etat ten-
nouveau ministre de l’Intérieur, Fernando familles guaranies vivaient dans des sition de droite au gouvernement Une décision qui a provoqué l’ire te d’exproprier les propriétaires
Gómez-Mont, il ne devrait être que «provi- relations de soumission, avec des sa- d’Evo Morales remonte en effet aux du gouvernement. Le directeur de privés», a immédiatement dénoncé
soire», a-t-il promis devant le Conseil des laires dérisoires pour des horaires dé- barricades. Et le préfet du «départe- l’INRA, Juan Carlos Rojas, a rappelé la Préfecture de Santa Cruz. «Le gaz
droits de l’homme, le temps d’assurer une passant largement les huit heures ment autonome» de Santa Cruz, Ru- que la procédure de réforme agraire n’a rien à voir avec la réforme agraire,
nouvelle «formation» aux forces de police. quotidiennes, des violences physiques ben Costas, a pris officiellement la ressort de la seule compétence de rétorque Alejandro Almaraz. Ici, on
Un délai pour le moins flou, s’inquiète et de nombreux cas de travail infantile. tête d’une «Commission de défense l’Etat national. Et le vice-président parle de réparer plus d’un siècle d’in-
Dario Ramirez Salazar, de l’ONG Article 19, Or, en présence de telles violations de la terre» qui s’est rendue mercredi Alvaro Garcia Linera a menacé de re- justice, et de rien d’autre.» I
qui appelle les instances internationales à la des droits de l’homme, la loi permet à dans l’Alto Parapeti pour apporter, à courir à la force publique pour faire 1
Notre édition du 24 janvier 2009.
vigilance. RAZVAN PREJBEANU l’Etat bolivien de confisquer la terre la tête d’une caravane d’une centaine respecter la démocratie et la loi. 2
Le Courrier des 10 et 17 avril 2008.

DÉFENDRE LES DÉFENSEURS EN BREF


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Le bref rapport présenté par l’OMCT et la


FIDH durant l’examen onusien du Mexique
souligne les difficultés rencontrées par les JUSTICE INTERNATIONALE
défenseurs des droits humains actifs dans
les domaines environnementaux et Dix ans après, que reste-t-il
économiques. Groupes d’intérêts et auto-
rités n’hésitent pas à proférer des menaces, de l’affaire Pinochet?
à harceler, voire à attenter contre les mili- Un peu plus de dix ans après l’arrestation de l’ancien
tants, notent les rapporteurs, au retour dictateur chilien à Londres, que reste-t-il de l’affaire
d’une mission d’enquête internationale. Pinochet? Quelles avancées, quels échecs a connus la
Pourtant, ces exactions peuvent être évitées. justice internationale après la spectaculaire détention
Depuis 2000, l’accompagnement par des du général chilien sur les terres de son amie et alliée
volontaires des Peace Brigades International Margareth Thatcher? Pourquoi, malgré le mandat
a permis à plusieurs militants des Etats d’arrêt international lancé par le juge espagnol Balta-
mexicains du Guerrero, d’Oaxaca et du sar Garzón, le bourreau d’Allende a-t-il pu finir ses
département fédéral de poursuivre leur jours en liberté dans son pays? Jeudi soir à Genève, le
combat. Mercredi prochain, Marielle Tonossi, juriste colombien Federico Andreu Guzmán sera l’in-
ex-volontaire PBI, témoignera en images de vité d’Amnesty International et de TRIAL pour une
son travail aux côtés des défenseurs mexi- conférence exceptionnelle à Uni-Mail1. Actuel respon-
cains des droits humains. A l’invitation des sable de la Commission internationale de juristes,
Mexicains de Genève et des Amis du M. Guzmán était en octobre 1998 conseiller juridique
Mexique, elle interviendra dès 20 h à Tierra pour les Amériques auprès d’Amnesty. BPZ
Incognita (Charles-Humbert 6) en compa-
gnie de Sandra Froidevaux, future envoyée 1
26 février, 19 h, salle R070, bd du Pont-d’Arve 40, 1205 Genève.
de PBI au sud du Río Grande. BPZ

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