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2008/03 - n° 151
ISSN 0071-190X | ISBN 978-2-2520-3651-8 | pages 277 à 292
2. 1. Un interculturel polysémique
Par exemple, l’interculturel évoqué dans le Socle commun semble se limi-
ter à des affirmations de valeurs (civilité, tolérance, respect, ouverture d’es-
prit). Or l’approche interculturelle, telle que définie par Porcher (2006b), va
plus loin en prônant « la générosité, l’hospitalité, le respect effectif (et non pas
seulement affirmé), la confiance […] l’enrichissement par les différences »
et la compréhension que « l’autre est à la fois différent de moi et identique à
moi ». Les mots choisis désignent des actions ou des actes, et pas seulement
des éléments moraux. Pour De Carlo, l’interculturel implique interaction,
échange, réciprocité, véritable solidarité et élimination des barrières. Outre sa
dimension éthique (développement d’attitudes envers l’altérité), Dufays voit
pour sa part dans l’interculturel un lien avec des enjeux esthétiques, cognitifs,
contre l’ethnocentrisme. Pour dépasser l’opposition valeur/pratique, on pro-
poserait volontiers que l’interculturel soit « une valeur mise en pratique ».
C’est contre une conception figée de la culture et de l’identité que les
approches interculturelles dans l’enseignement peuvent prendre sens – au
cœur même de la polysémie du mot « culture ».
3. Cf. Conférence des Directeurs d’IUFM, Dossier n° 6, 1996, La formation des Enseignants de
langues vivantes étrangères dans les IUFM, p. 3, citée par Madricardo, op. cit.
2. 6. Et en didactique ?
Il reste qu’enseignement et interculturel, s’ils font bon ménage sur le papier
ou dans les discours, ont encore du mal à didactiser leur rencontre. Et le DDF
affirme, avec un peu d’ironie, de l’interculturel : « Sa présence en didactique,
pour l’instant, reste plutôt une simple affirmation et une manière de se don-
ner bonne conscience par la simple parole ». Si didactiser la rencontre avec
l’autre devient à la fois une valeur et une fonction à l’école, c’est que face à la
diversité, nous nous devons de dessiner une attitude commune. L’interculturel
serait alors plus un chemin ou une posture qu’une suite de savoirs et de savoir-
faire, un chemin de lutte peut-être – et à une époque où les chercheurs se
sont posé récemment 4 la question de leur engagement sur le terrain social, on
pourrait ajouter de lutte contre les discriminations de toutes sortes.
Notre parcours notionnel, qui ne perd pas de vue la classe et ses entours,
nous a donc menées du rapport entre langue et culture, aux relations des
cultures entre elles vers un champ existentiel et idéologique dont on peut se
demander s’il ne dépasse pas le cadre de l’école – à moins qu’il n’en soit le
cœur même. Il est temps à présent de nous interroger sur la façon dont les
principaux concernés, à savoir les enseignants, envisagent ces questions et
en voient les répercussions dans leur classe et leur métier.
8. Bénisti J.A. (2004) « Rapport sur la prévention de la délinquance », contre lequel se sont
élevées plusieurs communautés de chercheurs.
9. Voir la définition du plurilinguisme dans le Cadre Européen Commun de Référence pour les
langues (2001 : 129).
10. Destinés à connaître, autant que faire se peut, ce qu’ils avaient retenu de leur formation con-
cernant les langues et cultures et leur lien avec leur futur métier d’enseignant.
13. Cf. Heusbourg F., « Introduction », dans Éloge de l’autre : Mémoire des poètes, Éd. Mémoire
vivante, 2008.
4. ÉLÉMENTS DE CONCLUSION
Nous sommes, au terme de ce parcours, peut-être un peu plus à même
qu’au début de répondre à notre question sous-jacente : l’interculturel s’en-
seigne-t-il ? Et la réponse est non. En tout cas pas comme une discipline aux
contenus et à la progression délimités. L’interculturel ne s’enseigne pas, il ne
s’apprend pas, ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas sa place dans la classe :
mais il se vit, s’expérimente, se met en actes et en action, c’est une « intention
en acte ». Il s’incorpore, au sens fort, c’est-à-dire qu’il devient une posture,
un être-au-monde, ou pour reprendre les mots de Chaouite (2007), un art de
vivre, pour peu qu’on ait le souci, comme nous y invite Édouard Glissant, de
« créoliser le monde ». Or cette « option culturelle », dont nous avons cons-
taté dans nos enquêtes qu’elle ne va pas de soi, est une option sociale, une
option « militante » (Porcher, 1984), voire un « combat ».
Tous les moyens sont bons pour partager et diffuser cet art de vivre, dont
l’école n’a sans doute pas encore pris toute la mesure. Car elle devra intégrer
16. Bouzar D., Allah, mon boss et moi, Paris : Dynamique Diversité. Coll. « Hors Cases », 2008.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
17. Cf. A. Chaouite, op. cit., p. 13 : « il n’y a sans doute pas d’interculturel – de représentation
interculturelle, de comportement interculturel, d’option stratégique interculturelle – sans une prise
en compte de cette double valence, subversive/inventive, de la diversité. »
18. Cf. Carlos Fuentes « Les 5 soleils du Mexique », Le Monde, octobre 1999.
19. Cf. Bouzar D., Allah, mon boss et moi, op. cit., p. 19.
20. Ibid., p. 95.
21. Cf. Télérama, n° 3010, septembre 2007, p. 18 (entretien).