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Yves Bonnefoy
Yves Bonnefoy Yves Bonnefoy Collection dirigée par

Yves
Laurence Tacou
Né à Tours, il décide d’être poète
Genève, 1993
Carnets
après des études de mathématiques
et de philosophie. Il se fait connaître « Avène, avène », chantonnait Rimbaud sembla- Honoré de Balzac

Bonnefoy
dès 1953 avec Du mouvement et blement, dans un moment d’espérance, « que le Traité des excitants modernes
de l’immobilité de Douve. D’autres beau temps t’amène ! » Un beau mot se faisait pour
Yves Bonnefoy
ouvrages de poésie suivront  : Hier lui le signe d’un bien possible, un son transgressait Pensées d’étoffe ou d’argile
régnant désert en 1958, Pierre écrite un sens pour ranimer un désir.
en 1965, Dans le leurre du seuil en

Genève
Ce qui n’est pas étonnant, puisque le son, c’est un Michel Déon
1975. Puis de 1987 à 2008, Ce qui fut Journal (1947-1983)
sans lumière, Début et fin de la neige,
fragment de la réalité sensible, c’est du dehors de
La Vie errante, Les Planches courbes l’esprit autant que la couleur d’un nuage ou le grain Robert Desnos
et La Longue Chaîne de l’ancre. rugueux d’une pierre : si bien que l’écouter pour ce Jack l’Éventreur
qu’il est, au-delà du sens, c’est déjà se tourner vers

1993
Traducteur de Shakespeare, Yeats, Franz Kafka
Pétrarque et Leopardi, il est aussi cet indéfait d’au-delà les concepts que j’évoquais Le terrier
l’auteur de nombreux travaux cri- tout à l’heure. Le son dans le vocable fait signe en Montaigne

Genève, 1993
tiques sur les poètes et les peintres, direction de cette intuition qui a rouvert la pensée Éloge de l’animal
(rassemblés dans L’Improbable, Le de l’être. C’est comme si l’unité que la signification
Nuage Rouge, La Vérité de parole, avait abolie était demeurée cachée au sein même Marcel Proust
ou Dessin, couleur et lumière) avec Le salon de Mme de…
des monographies consacrées à de la parole. On la cherchait du côté de Dieu, elle
Giacometti, Goya ou Rimbaud. était ici, avec nous, dans le moindre mot, chacun le Sade
maître mot en puissance. Français, encore un effort…
Il a enseigné dans diverses univer-
sités françaises et étrangères et Mario Vargas Llosa
a occupé au Collège de France Y.B. Comment j’ai vaincu ma peur
la chaire d’Études comparées de de l’avion
la fonction poétique de 1981 à 1993. Ma parente d’Arequipa

Carnets
9,50 e

L’Herne
L’Herne
9 782851 979247
ISBN 978-2-85197-924-7 - SODIS 7234082

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GENÈVE, 1993

Carnets

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© Éditions de L’Herne, 2010
22, rue Mazarine 75006 Paris
www.lherne.com
lherne@lherne.com

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Yves Bonnefoy

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L’Herne

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AVANT-PROPOS

Toute œuvre court le risque de se clore sur elle-


même. Conscient de cette tentation inhérente à la
création et à la pensée, Yves Bonnefoy a toujours
accordé une grande importance aux occasions de
parole publique. Les enseignements et les confé-
rences qu’il a donnés en France et à l’étranger en font
partie, mais aussi les circonstances où il s’adresse à
des auditeurs qui ne sont pas d’avance gagnés à la
poésie, circonstances vécues par lui comme un débat
où les idées se mêlent.

Or dans ce débat, qu’y a-t-il de plus nécessaire


que de mesurer les enjeux vitaux au sein d’une
société et de redonner confiance en la possibilité
d’un avenir, malgré les périls qui s’accumulent  ? À
ses yeux la poésie peut et doit exercer une fonction de
cette nature. « Il faut identifier la poésie et l’espoir »,

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écrivait-il dès 1959. En effet, dans l’expérience qu’il
en a, elle s’accompagne d’une réflexion qui porte
à la fois sur la nature des besoins humains les plus
profonds et sur la spécificité du langage, qui est l’outil
qu’elle utilise. Mais Yves Bonnefoy est en même
temps tout aussi averti de la difficulté qu’il y a à faire
entendre et reconnaître dans la conscience collec-
tive la vérité de la parole poétique : « Ô poésie, / Je
sais qu’on te méprise et te dénie  /  Qu’on t’estime
un théâtre, voire un mensonge, / Qu’on t’accable des
fautes du langage », lit-on dans un poème récent.

C’est donc en militant, pour ainsi dire, et au nom


d’une défense et illustration de la poésie, qu’il a réguliè-
rement accepté de prendre la parole lors de rencontres
avec des représentants d’autres horizons de la pensée
et de la création. C’était le principe des Rencontres
internationales de Genève, dont il prononça en 1993
le discours d’ouverture, reproduit dans ce Carnet.

Ces Rencontres avaient vu le jour en 1946, lorsque


quelques personnalités genevoises, conscientes de la

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GENÈVE, 1993

La conscience de soi
et le fait de la poésie

Mesdames, messieurs, nos rencontres de cette


année s’apprêtent à poser la question de l’identité,
autrement dit celle du rapport que peuvent avoir avec
eux-mêmes les hommes et les femmes de notre fin
de siècle si chaotique, si déchirée. Et il ne me paraît
donc pas inutile, pour commencer, de rappeler quelle
aura été l’ampleur de la révolution que l’humanité a
vécue, depuis la Renaissance, et de combien d’illu-
sions elle a dû faire le sacrifice, alors que nombre de
ces croyances, dressées en elle et autour d’elle comme

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les voûtes d’un temple, l’aidaient à mieux endurer sa
condition difficile.

Il y a eu un temps, en effet – il a duré jusqu’aux


découvertes de Galilée, il se prolongea même, ici ou
là, dans quelques lieux ou milieux de l’espace occi-
dental –, où l’être parlant s’imaginait vivre dans un
univers structuré par des formes, des lois, des signes
si assurés et si cohérents que la réalité, comme nous
disons, et si gauchement, lui paraissait être un ordre,
dont il détenait le sens et au sein duquel il avait sa
place. Qui plus est, cet ordre, on pouvait aussi le dire
de l’être, parce que son fait reposait sur un absolu,
en soi impensable mais évident, celui de la personne
divine. Personne alors pour se laisser aller à penser,
comme Mallarmé le fera au seuil de la poésie d’à
présent, que nous ne sommes que « vaines formes de
la matière ».

Et pas plus que du ciel étoilé ou du spectacle des


choses sublunaires l’heureux être parlant de cette
société archaïque n’avait à trop s’inquiéter – sinon

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pour sa bonne conduite – de ce qui avait lieu dans
la profondeur de sa vie psychique : car il percevait le
langage, qui règne là, comme un calque non défor-
mant de la réalité extérieure. Loin de s’interposer
entre qui l’on est et ce que l’on croit que l’on est par
une activité autonome et peut-être incontrôlable, les
mots semblaient permettre à des analogies reconnues
entre les aspects visibles du monde, signes de Dieu,
de clarifier plus encore – symboles médités et compris
– et d’intensifier s’il était besoin la connaissance de
l’être et le sentiment que l’individu, aussi périssable
soit-il, en est une part, témoin d’un mystère mais
nullement d’une énigme.

D’où ce qu’on pourrait appeler le bonheur onto-


logique de la société médiévale, par opposition au
malheur de sa réalité quotidienne, si constant dans
ces temps de guerre, de famine et de grandes pestes.
Un bonheur qui était, en somme, de disposer d’une
identité, et de pouvoir prendre appui sur cette
évidence dans les moments où l’existence est en crise.
– Mais si grand, dirait-on, est le besoin humain de

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