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Martine Segalen introduit son livre sociologie de la famille ainsi :

• Les a priori de nos jugements concernent la famille contemporaine, référée à une famille
mythique, plus « sentie » que véritablement analysée ou connue. La presse, la télévision
répercutent les mêmes clichés : « famille en miettes », « dépérissement de la famille », «
famille assistée », « ébranlement contemporain de la famille » etc... qui accentuent
l'association entre « famille » et « crise ».
• Résumons ici les principales formulations de ce thème qui seront analysées au long les
divers chapitres. La famille contemporaine s'est rètrècie, repliée sur le couple. cessant d'être
lieu de production, elle n'est plus que lieu de consommation. Elle l'assure plus les fonctions
d'assistance dont elle se chargeait autrefois : le soin aux vieillards, la garde des malades ou
l'hébergement des fous etc... Les fonctions qu'elle conserve, comme la socialisation des
enfants, sont partagées avec d'autres institutions. En outre, cette famille « insulaire »
n'entretient plus guère de relations avec les autres cellules familiales. Celles-ci se sont «
appauvries », et en disant cela, on se réfère implicitement à une époque passée où elles
étaient « riches ». Dans cette représentation, la cellule familiale, objet de manipulation de la
part des institutions sociales, apparaît faible.
• Un autre discours lui reconnaît au contraire une formidable puissance dans la mesure où elle
se fait refuge, lieu privilégié de l'affectivité. Le couple, et secondairement les enfants, y
investiraient tous les sentiments qui ne peuvent s'exprimer dans une société déshumanisée.
Toute la chaleur des relations sociales, qui, autrefois enveloppait de nombreux parents,
voisins et amis, serait désormais concentrée sur le foyer conjugal et , les proches parents.
• La contradiction entre les deux discours est patente : famille en crise d'une part, famille
détentrice d'un pouvoir exorbitant d'autre part : celui de détenir toute la puissance affective
dans une société qui en est chiche. Selon un mot relevé par une sociologue enquêtant auprès
de familles parisiennes : « La famille va mal, mais ma famille va bien ».
• Y a-t-il véritablement « crise » de la famille? Ces discours ne manquent-ils pas leur objet, ne
maquillent-ils pas une crise de la société ?
• Une façon de démystifier ce discours est de reconnaître dans un premier temps qu'il n'est pas
nouveau. Tout au long du XIXe siècle, ce thème est récurrent. L'industrialisation attirait dans
les villes des masses d'ouvriers dèculturés et prolétarisés; le nombre d'abandons d'enfants, de
naissances illégitimes va alors s'accroître ainsi que la délinquance des jeunes. L'instabilité
familiale des classes prolétariennes inquiète les classes dominantes qui souhaitent réaffirmer
le pouvoir de la famille, restaurer l'autorité patriarcale comme l'autorité monarchique, faire
de la famille un agent de moralisation de la classe ouvrière.
SOURCE : M Segalen, sociologie de la famille, A Colin, 1981.

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