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LA CICCIOLINA, HONORABLE DÉPUTÉE
«Bacini, bacini!»: le jeudi 2 juillet 1987, la blondissime
Cicciolina aka Ilona Staller fait son entrée au Parlement
italien. Il ne manque rien au curriculum vitae de cette
Hongroise née en 1952 et naturalisée italienne : es-
pionne communiste, top model, Miss Hongrie, animatrice
radio, chanteuse, star de la télévision, pornostar, épouse
de Jeff Koons et députée.
Choquant le respectable Bel Paese, où tout fait scandale
mais où (au fond) tout est permis, elle devient candidate
du Parti Radical qui lutte contre le nucléaire et la censure
tout en prônant l’éducation sexuelle et l’amour libre. Le
scandale éclate immédiatement: «UNE STAR DU PORNO
AU PARLEMENT?» Eh bien oui et, pour couronner le tout,
avec 20 000 voix de préférence! Et elle, sans scrupule, li-
bre et courageuse ne déçoit personne : jupe ras la touffe,
couronne de fleurs, dentelles brodées et transparentes.
Au-delà du raz-de-marée médiatique, la parlementaire
parvient à imposer ses combats et ses idées. «Qui a peur
de la Cicciolina?» questionne l’un des livres qui lui est
consacré en 1987.
Quatre ans plus tard, elle se présente de nouveau, cette
fois sous la bannière du Partito dell’Amore (le Parti de
l’Amour) qu’elle cofonde avec la mythique Moana Pozzi,
figure historique et énigmatique du porno intello. Mais le
projet utopique de révolutionner l’Italie par la dépénalisa-
tion des drogues, par la défense de la liberté sexuelle des
prisonniers et par l’interdiction de toute forme de violence
se révèle un échec. Les années 80 sont bel et bien finies.
Le rêve s’est brisé.
GABRIELE VALERIO | Traduit de l'italien par M-A Vinti et revu par Gabriel Houdin
CHRONIQUE CRUE ET TENDRE DU TEMPS QUI PASSE: U.S.A. 1976 DE WILLIAM CLIFF
Mille neuf cent septante six. William Cliff est jeune. Il
prend pour la première fois l’avion et part à la découverte
de la mystérieuse et attirante Amérique, du fascinant pays
d’où viennent ces beaux jeunes hommes pleins d’audace
et de joie de vivre qu’il a croisés à Louvain, Barcelone et
ailleurs et dont il rêve d’approcher la source de vie. Son
intrépidité et sa naïveté le mène au travers des quartiers
de New York la mythique, draguer sur ses docks inquié-
tants, se perdre dans le Bronx, flâner dans le “Village”, lire
dans ses bibliothèques, baiser dans ses hauts apparte-
ments d’où l’on contemple l’Hudson, et s’ennuyer, aussi.
Car sa quête le pousse encore et toujours à chercher un
autre, un autre corps, à continuer à marcher sur cette pla-
nète qui nous porte et nous portera jusqu’à notre mort.
Cliff reconnait le caractère tragique de son passage sur
terre qui semble le vouer à la solitude au travers de ren-
contres joyeuses ou insatisfaisantes, tout en même temps
que son insatiable appétit pour les autres hommes et sa
liberté solaire à en jouir. Il passe par Boston la morne
et arrive à San Francisco la légère, posée sur le bord du
continent, ouverte à l’océan, propice aux aventures, aérée
par le vent de l’époque. Les années septante prolifèrent
et s’écoulent, les pattes d’éléphant, les shorts découpés
dans de vieux jeans, le haschisch et autres drogues, les
artistes psychédéliques... tout cela n’est pas pour lui, ici
ou là, il frôlera ces cercles où l’on crée, fume, s’encule,
discute et divague au rythme des substances chimiques
présentes. Non, Cliff leur préfère les couloirs étroits des
librairies de seconde main éclairées aux néons qui font
mal aux yeux et où il se plonge dans la littérature de ce
monde nouveau et étranger dont il est avide mais pas
dupe : il y a bien ceux qui vivent en haut des tours de
verre et ceux qui vivent en bas, sans rien, souvent noirs
ou latinos. Oui mais l’espace, l’immensité, la gentillesse,
tout ce qui le séduit là-bas, au cœur de ses 25 ans !
Automne deux mille huit. Je croise William Cliff, prolifique
écrivain belge francophone dont j’admire l’œuvre, au
Duquesnoy, à Bruxelles. Il vient de publier Epopées,
son seizième recueil de poèmes (alors que le théâtre
du Rideau de Bruxelles vient de donner son adaptation
QUATRE QUESTIONS À ISHAI MISHORY
Qi es-tu? Le plus sexy, le plus intelligent queer bear de
Tel-Aviv-Yafa!
Qe fais-tu? Je suis illustrateur. Je réalise principalement
des livres pour enfants mais je traduis aussi de l’anglais
vers l’hébreu pour gagner de l’argent. Je suis par ailleurs
activiste queer contre l’occupation de la Palestine et pour
une plus grande justice sociale en Israël.
http://ishai.carbonmade.com
Qu'as-tu fait pour le supi•6? Wild West Supi!
Et ton prochain projet? M’installer à San Francisco.
Après cette éphémère carrière politique, elle épouse le
célèbre artiste Jeff Koons dont elle divorce avec fracas
notamment au cours d’une bataille épique pour la garde
du petit Ludwig. Elle enchaîne également échecs disco-
graphiques, retour politique en Hongrie et diverses inter-
ventions de chirurgie plastique. La fabuleuse Lolita du
porno eighties, espiègle et naïve, se transforme en Junon
quasi sexagénaire, entre passages à la télé poubelle et
concerts play-back dans des boîtes gay de province. C’est
la fin naturelle d’une étoile filante borderline que seules
les rutilantes années 80 ont pu engendrer.
Symptomatique de l’état de santé de la politique ita-
lienne : les pornostars intellectuelles d’hier, qui faisaient
rêver, ont aujourd’hui laissé place à de pseudo députés
et président du Conseil, surpris la main dans le sac,
entre cocaïne, starlette de télé à deux balles, homicide
et escort. Sans aucun doute un magnifique symbole
dans l’imaginaire collectif italien mais pas seulement :
manquerait plus que ça, Onorevole Cicciolina!
d’Hamlet de Shakespeare). Comme dans les autres
recueils, il y marche sur la terre et rencontre et regarde
et touche et fait l’amour et respire l’air qui entoure la
barque qui le mène vers la mort, son corps. Un corps est
le meilleur ami de l’homme, intitulait-il le recueil qu’il a
traduit de Jaime Gil de Biedma. Mais il a aussi écrit qua-
tre romans. Toute son œuvre parle de lui, de son enfance
et de ses voyages. Soit en prose, soit en vers, alexan-
drins, décasyllabes, octosyllabes, et même de nombreux
poèmes en vers de 14 pieds (comme si les vers existants
ne pouvaient pas contenir tout l’élan qui le porte vers les
autres et le monde).
William Cliff veut vivre la volupté et ne s’en prive pas,
qu’elle provienne d’un voyage, d’une verge, d’un souvenir,
d’un visage ou d’un vertige amoureux. Elle inonde son
œuvre. Et nous de l’approuver. Pour preuve : notre plaisir
de lire ce qui n’est pourtant qu’un récit de voyage mais
qui par les mots et leur musique (ah la mélodie des
phrases, ah le plaisir des passés simples et des mots aux
acceptions suaves et désuètes!) devient une si belle, si
crue, si tendre chronique du temps passé.
Hiver deux mille dix. Paraît U.S.A. 1976. Le temps avance
et fait d’improbables sauts à reculons, rendus possibles
par un poète, dans son dernier roman.
MANUEL BENGOÉCHEA
CLIFF W., U.S.A. 1976, Paris, La Table ronde, 2010
LE
LEMERCIER (& THE LALA BY)
Un lundi de décembre dans un Berlin glacial. Une cham-
bre impeccablement rangée dans un grand appartement
de Kreuzberg. C’est ici que vit depuis sept ans le suisse
Steev Lemercier, musicien et DJ passionnant qu’on croise
depuis longtemps lors de ses concerts, de ses sets ou au
Möbel Olfe.
Son grand projet c’est Lemercier & The Lala By. Une
dizaine de musiciens de la scène berlinoise (d’Hanayo
pour la plus connue à l’adoré Alessandro Tartari de Gui.
tar) réunis depuis deux ans autour de son univers pop
et spirituel. «Mon idée, dit-il, était de faire des textes de
lumières dans une musique sombre pour créer un cross-
over.» Quatre choristes, une basse, deux guitares, un
synthétiseur, une boite à rythmes, une batterie, un banjo,
une kalimba et des clochettes. Un groupe, à proprement
parler, chorale qui fait souvent penser à The Hidden
Cameras pour l’énergie sur scène ou à un chœur antique
qui chante et qui joue avec croyance et foi. ‘Real Fiction’
donc comme premier opus pour Lemercier & The Lala By,
aboutissement d’une complicité fructueuse sur les scènes
arty de Berlin.
Le Genevois n’est pas novice en musique. Au début
des années 2000, il jouait dans Anachron, groupe qu’il
formait avec son compatriote Daniel Lagardère. Mais
c’est surtout en tant que DJ qu’il s’est fait remarquer au
célèbre Panoramabar où il a été résident pendant deux
ans. Ses sets puissants et énergiques font que c’est un
des DJ’s berlinois les plus sollicités. «Je joue de la musi-
que électronique parce que c’est ce que les gens veulent
MICHEL-ANGE VINTI | www.myspace.com/lemercier | www.basso-berlin.de
CINEMA ITALIA
Du cinéma italien, on retient surtout celui de son Âge
d’or, des années 50 aux années 70. Ce cinéma est celui
de Visconti, de Rossellini, de Pasolini, cinéma du réel
et du politique, du mystique et du délirant (Fellini), de
l’avant-garde formelle (Antonioni) et de la satire la plus
grinçante (Ferreri) mais aussi un éclatant cinéma de
genre ourdi de beautés funèbres (les giallos de Argento,
l’horreur de Bava, les western de Leone). Les années 80
ont vu la télévision phagocyter ce cinéma-là, le détruire
littéralement avec la complicité du politique.
Aujourd’hui, à l’instar du cinéma allemand, les produc-
tions italiennes se réapproprient l’histoire à la fois politi-
que et sociétale de leur pays. Il s’agit de se pencher avec
un certain recul sur un passé, et d’ancrer un réel ques-
tionnement sur la société, ses dérives et ses acquis. Tan-
dis que les cinéastes allemands ouvrent un réel débat sur
le ressenti d’une société fille du fascisme, leurs confrères
italiens mettent en question leur fonctionnement politique
actuel. A cette fin, ils critiquent ouvertement les pouvoirs
politiques et mafieux en place, mettent en scène des
frasques historiques oubliées ou recourent à l’ironie. Un
renouveau politique du cinéma italien, applaudi sur la
scène internationale, semble donc s’affirmer.
Défendant depuis toujours la philosophie de gauche
dans son pays, Nanni Moretti a pu présenter son film Il
Caïman à Cannes. Loin d’être sa meilleure réalisation
ce film critique directement Berlusconi : une brique en
plein visage sans effusion de sang. Gomorra de Matteo
Garrone (Grand Prix, Cannes 2008) ou encore Il Divo de
Paolo Sorrentino (Prix du Jury, Cannes 2008) s’aventu-
rent également de manière radicale en eaux troubles. Au
risque pour les réalisateurs d’être menacés de mort car
s’attaquer aux pouvoirs parallèles gangrenant la société
BRUXELLES
FÉVRIER:MARS
2010
entendre, assure-t-il, sinon je mélange tout des années
70 à aujourd’hui sauf la minimale que je déteste. Je peux
jouer de la techno, de l’electro, du rock mais aussi de la
musique africanisante qui tapent avec des voix abstraites
comme Cajmere, Green Velvet, etc.» Pas surprenant, tant
la culture musicale de Lemercier est grande. Comme de
nombreux DJ’s de musiques électroniques, il «écoute prin-
cipalement du rock, du post-rock, des morceaux à cru qui
rigolent pas. Sonic Youth, Pavement, Stereolab, Ladytron.»
Berlin, ville irréelle mais toujours fascinante a une grande
influence sur le travail artistique de Steev : «Berlin m’a
un peu endurci dans la vie, explique-t-il, je suis moins
émotionnel, moins rêveur. La réalité sociale de la ville
est assez dure. J’observe, je regarde et je m’en inspire.
Passer neuf mois dans la grisaille et le froid peut aussi
peser sur le moral. Mais J’ai rencontré des gens incroya-
bles ici qui m’ont beaucoup inspiré.» Même si Berlin
s’est aseptisée ces dernières années, elle reste le centre
névralgique des innovations et des expérimentations
artistiques en Europe. Principalement pour l’art actuel. Le-
mercier y participe activement au sein du collectif BASSO,
plateforme réunissant douze artistes indépendants autour
de projets communs.
Steev Lemercier est un artiste qui a beaucoup évolué.
«J’avais une identité que j’avais envie de créer quand je
suis arrivé à Berlin, elle s’est vraiment développée ici.
Tout mon travail depuis dix ans dit la même chose, il y a
quelque chose de très homogène et cohérent. Une seule
et même chose qui vient de mon cœur et de mon esprit.»
LA GAZETTE DU MAUVAIS GOÛT
Des «chattes» tatouées, une «robe plan de métro
parisien» ou encore un chien peluche que l’on peut
transformer en petite sirène. Voilà quelques exemples
incongrus que nous propose ‘La Gazette du mauvais
goût’, blog génialement farfelu animé par Dora Moutot. A
travers des thématiques souvent nineties, la jeune femme
décrypte les modes et les styles des deux dernières
générations et ce de manière totalement poilante. Même
si aujourd’hui cette imagerie peut être considéré comme
ringarde, le tout évoque une joyeuse nostalgie et rappelle
des instants précis de notre adolescence. Le ton est au
second degré. Cela dit, le travail de Dora Moutot est celui
d’un documentaliste et c’est en ça qu’il est précieux.
JEROME CASANOVA et MICHEL-ANGE VINTI
lagazettedumauvaisgout.blogspot.com
italienne ne plaît guère – mais l’Italie est une démo-
cratie ! Cette démocratie est cependant noyée dans la
double contrainte du pouvoir conservateur, illusionniste
et spectaculaire (Berlusconi) et la dérive intégriste du
Vatican (Ratzinger) qui s’invite toujours avec force dans
les débats sociaux et éthiques. Une grande partie des
italiens marche hélas du côté de ces pouvoirs en place.
Mais les artistes n’ont plus peur: le récent documentaire
Improvvisamente l’inverno scorso de Gustav Hofer
et Luca Ragazzi s’attaque frontalement à ces allian-
ces douteuses entre le politique et le religieux sur les
questions du PACS italien et des homosexualités, toujours
très impertinentes en Italie. Plus récemment encore
Vincere de Marco Bellocchio esquisse un rapprochement
notable entre Mussolini et Berlusconi, tout en contrai-
gnant le spectateur à mettre en perspective les dérives du
fascisme. Si l’engagement politique de certains s’impose
avec force, l’humour permet à d’autres d’appréhender un
dysfonctionnement sociétal évident : le coscénariste de
Gomorra, Gianni Di Gregorio, y parvient délicieusement
avec sa première réalisation Pranzo di Ferragosto.
NICOLAS GILSON et FRÉDÉRIC ARENDS