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Je suis né dans la ville d'Aubagne sous le Garlaban couronné de chèvres au temps des
derniers chevriers. Garlaban, c'est une énorme tour de roche bleue. Elle monte très haut
dans le ciel de Provence, ce n'est donc pas une montagne, mais ce n'est plus une colline,
c'est Garlaban.
"Le laboureur et ses enfants."
Mon père était instituteur public.
Prenez de la peine, c'est le fonds qui manque le moins.
Il s'appelait Joseph. Sa voix était grave et plaisante et ses cheveux d'un noir bleuté
ondulaient naturellement les jours de pluie.
Un trésor est caché dedans.
Il rencontra un dimanche une petite couturière qui s'appelait Augustine. Il la trouva si jolie
qu'il l'épousa aussitôt. Je n'ai jamais su comment ils s'étaient connus car on ne parlait pas
de ces choses là à la maison. Ils étaient mon père et ma mère de toute éternité, et pour
toujours. L'âge de mon père , c'était 25 ans de plus que moi et ça n'a jamais changé.
L'âge d'Augustine, c'était le mien, parce que ma mère c'était moi, et je pensais dans mon
enfance que nous étions nés le même jour.
Joseph!
Sibella, prends ma place!
Quand je pense que c'est toi qui m'as fait ça!
Augustine.
Sibella, Sibella.
Je suis papa, et c'est un garçon!
Pour le fils d'un instituteur, l'école c'est tout l'univers.
Marcel!
Mes souvenirs d'Aubagne sont peu nombreux, parce que je n' y ai vécu que trois ans car
mon père brûlait les étapes. D'Aubagne, nous passâmes à Saint-Loup dans la banlieue de
Marseille. Quand ma mère allait au marché, elle me laissait au passage dans la classe de
mon père qui apprenait à lire à des gamins de 6 ou 7 ans. Je restais assis au fond, bien
sage, et j'admirais la toute puissance paternelle.
Bien..
Un beau matin, ma mère me déposa à ma place et sortit sans mot dire, tandis que mon
père..
Non, c'est pas vrai.
Qu'est-ce que tu dis?
Maman ne m'a pas puni, tu n'as pas bien écrit.
Qui t'a dit qu'on t'avait puni?
C'est écrit là.
Voyons, voyons, mais..tu sais lire?
Oui!
Musique
Mon frère Paul était à présent un petit bonhomme de trois ans. Il était pensif, ne pleurait
jamais, et jouait tout seul dans son coin. Augustine était toujours pâle et frêle, mais
heureuse entre son Joseph, ses deux garçons et sa machine à coudre toute neuve. Cette
prodigieuse invention moderne me permettait de l'aider dans ses travaux. Tante Rose, la
soeur d'Augustine, trompait avec nous sa solitude de jeune vieille fille comme l'appelait
Joseph pour la taquiner.
Paul non!
Mais qu'est-ce que c'est?
Un bigoudi. Aah, il avale tout ce qu'il trouve.
La dernière fois c'était une longue lanière de lard. Marcel..
Mais qu'est-ce que c'est?
L'annuaire des chemins de fer. Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu
pour avoir des enfants pareils?
Ce que tu as fait, ou plutôt ce que tu n'as pas fait!
Rose, je t'en prie!
Je sais bien que c'est Joseph avec ses idées, mais il n'empêche qu'un
mariage qui n'est pas célébré à l'église..
..n'est pas un vrai mariage! Et, à propos de mariage, il serait bien temps de
vous soucier du vôtre, ma chère Rose. « Vivez si m'en croyez, n'attendez
à demain, cueillez des aujourd'hui les roses de la vie. »
4
Comme j’approchais de mes six ans, j’allais enfin à l’école, dans la classe enfantine que
dirigeait Mademoiselle Guimard.
Bien, alors..
aeiouy
Quand on sait on se tait! Petit singe savant!
Pendant que la marmaille ânonnait le B a Ba je restais muet, paisible et souriant. Je me
racontais des histoires et je me promenais au bord de l’étang du parc Borely au bout du
Prado de Marseille. Chaque dimanche ma tante Rose venait déjeuner à la maison et me
conduisait ensuite au moyen d’un tramway jusqu’en ces lieux enchantés.
Un beau dimanche je fus terriblement surpris lorsque nous trouvâmes un monsieur assis
sur notre banc.
A partir de ce jour, et je n’allais pas m’en plaindre, nos promenades au parc devinrent de
plus en plus fréquentes. Ma tante m’avait confié, comme un secret, que ce monsieur était
le propriétaire du parc Borely, que si nous disions un seul mot de lui, il le saurait
certainement, et qu’il nous défendrait d’y retourner. Je savais que ses largesses ne lui
coûtaient rien. Je n’en étais pas moins très reconnaissant et fier d’avoir un ami si riche.
Plouf…
37 ans!
37 ans, tout de même, c’est bien vieux!
Allons donc! J’aurai 30 ans à la fin de l’année. Je me considère comme
un homme encore jeune. Non, 37 ans, mais c’est la force de l’âge.
Et puis, eh, Rose n’a plus 18 ans.
J’en ai 26. Et puis il me plaît, voilà..!
Mais c’est l’essentiel, naturellement! Mais qu’est-ce qu’il fait à la
Préfecture?
Il est sous-chef de bureau.
Euh….bureau de quoi?
Je ne sais pas. Mais il gagne 220 francs par mois.
Eh!
Et il a une petite rente qui lui vient de sa famille, et il m’a dit que nous
pouvions compter sur 350 francs par mois!
Eh bien ma chère Rose, je vous félicite! Mais, au moins, est-ce qu’il est
beau?
Ah non, ça pour être beau il n’est pas beau!
Oui, il est beau, il est superbe!
Mais, Marcel!
Non, voyons Marcel!
C’est à la suite de ces évènements que le propriétaire du parc Borely vint un jour à la
maison accompagné de tante Rose.
Mon cher Joseph!
Mon cher Jules! Comment allez-vous?
Ils revenaient tous les deux d’un beau voyage..
Augustine!
Oui, le propriétaire sous nos yeux stupéfaits embrassa ma mère, puis mon père! Sa langue
roulait les “ r ” comme un ruisseau roulait les graviers.
5
Augustine!
Augustine!
Joseph!
Rose!
Joseph! Humm!
Oncle Jules!
Et pas de bonbons, hein!
Non, non, non!
Merci Oncle Jules!
Rose!
Oui!
Merci.
Haha, vous travaillez le dimanche!
Oui, oh, des broutilles!
Il est vrai que vous autres instituteurs avez les vacances pour vous reposer!
Les grandes vacances!
Oui, sans doute nous devrions remplacer pendant deux mois les
fonctionnaires épuisés par leur longue sieste et meurtris par les
ronds-de- cuir.
Jules, Joseph!
Oui, oui.
Alors mon cher Jules, la matinée était bonne?
Très très bonne. Je suis allé à la messe de 10 heures.
Tiens, vous comprenez le latin?
Assez pour prier mon cher Joseph.
Je me demande parfois, mon cher Jules, si l’usage du latin n’est pas fait
pour cacher des choses aux fidèles ignorants.
Un peu comme l’emploi de formules magiques chez les charlatans?
Je ne vous le fais pas dire.
A table..
Hum, fichtre, c’est rudement bon. Ah, bravo à la cuisinière!
Merci!
Et goûtez moi ce nectar, il vient de mon Roussillon natal.
Ah non, pas pour moi!
Un verre!
Non! Un verre de ce vin là contient 5 centilitres d’alcool pur, une dose
dont l’injection suffirait à tuer trois chiens de belle taille.
Allons, ne me récitez pas les leçons de choses de votre école normale!
Elle est plus rigoriste que le séminaire. Allez, ne me refusez pas!
Non, ma religion me l’interdit!
Laissez-moi vous convertir!
Alors un doigt hein!
C’est un produit naturel, même les enfants pourraient en boire.
Attention, ne bougeons plus! Mademoiselle Guimard un sourire. Ne
bougeons plus. Là. Bien.
Trois années passèrent.
Attention, ne bougeons plus, s’il vous plaît, là. monsieur Arnaud, allons
monsieur Arnaud, merci, bien, un sourire, ne bougeons plus.
7
Sachant que 20 kilos de pommes valent 100 francs. Combien valent deux
kilos de pommes.
Je triomphais de la règle de trois. J’appris avec un joie inépuisable l’existence du lac
Titicaca.
Mangiapan dehors.
…..
Louis X, dit le Hutin.
Et ces règles désolantes qui gouvernent le participe passé. Mais on ne s’instruit pas que
devant le tableau noir. Ainsi mon voisin, un nommé Mongiapan nous fit part un jour d’un
hypothèse pour le moins audacieuse. Il prétendait que les enfants sortaient du nombril de
leur mère.
Du nombril, con.. L'autre jour, ma soeur Miette, la grande. Elle est tout
chose en ce moment. Faut dire qu'elle fréquente.
Mon frère Paul avait grandi. Il abordait le soir dans son lit la philosophie des Pieds
Nickelés. J'aurais bien aimé vérifier avec lui l'hypothèse audacieuse de Mongiapan qui
m'avait d'abord paru absurde.. mais, après un assez long examen de mon nombril, je
constatais qu'il avait vraiment l'air d'une boutonnière, avec au centre une sorte de petit
bouton. J'en conclus qu'un déboutonnage était possible, et que Mongiapan avait donc dit
vrai. J'étais décidé à percer le grand secret. C'est en revenant un jeudi du marché que je
fis une importante découverte. Je remarquais qu'Augustine avait changé de forme. Elle
marchait le buste penché en arrière comme le facteur de la Noël.
Qu'est-ce qu'elle a notre Augustine sous son tablier?
Attendez-moi les enfants, pas si vite.
Deux mois après, alors que nous avions célébré longuement la Chandeleur, trois
jours durant chez la tante Rose à faire sauter les crêpes, nous trouvâmes un soir Augustine
souriante, mais pâle et sans force dans le grand lit. Une petite soeur était née.
L'hypothèse de Mongiapan me parut démontrée. J'embrassais ma mère tendrement en
songeant à ses souffrances, au moment où il avait fallu déboutonner son nombril.
La petite créature nous parut d’abord étrangère. Augustine lui donnait le sein, ce qui me
choquait beaucoup et effrayait Paul.
Elle mange quatre fois par jour!
L’oncle Jules et la tante Rose habitaient à la rue des Minîmes, un nouvel appartement doté
de tout le confort moderne.
Et nous faisons la cuisine..
au gaz, s’il vous plaît..
Oh..
au gaz, mais toujours avec l’huile d’olive…
Ah, ah..
Et le téléphone mon cher Jules, c’est pour quand?
Celui qui vous sonne comme un domestique.. Ah non, ce mal élevé
n’entrera pas chez moi, hein..
Madame, elle est servie..
Eh bien mon cher Jules, mais, vous menez grand train!
Oh..
Seriez-vous passé préfet?
Oh non, Dieu m’en garde!
Oui, of, je doute que….votre Dieu se mêle aussi de la carrière des
fonctionnaires…
8
..Allez, à table..
Oh, je meurs de faim..
Eh oui, tu dois manger pour deux..
Je remarquais avec surprise que ma chère tante Rose se gonflait à son tour, et je conclus
immédiatement à un prochain déboutonnage.
Les enfants de vieux, c’est toujours délicat.
Ma soeur n’a que 28 ans.
Pour un premier enfant, c’est déjà beaucoup. N’oubliez pas que son mari
en a 40.
39!
28 et 39 font 67,
Ce jour là nous allions voir un enfant de vieux.
Tu comprends, il aura 67 ans, il sera tout rabougri, il aura des cheveux
blancs avec une barbe blanche.
Comme celle de Grand-père?
Oui mais, petite évidemment, plus fine, une barbe de bébé.
Ca serait pas beau!
Peut-être qu’il saura parler puisqu’il est si vieux! Alors, il nous racontera
d’où il vient.
Non, non, non, non, regardez, regardez..
Ho ho ho ho…
Mais nous fûmes tout à fait déçus. La tante Rose, quoique un peu pâle, avait l’air tout à
fait reboutonnée. Il y avait auprès d’elle un bébé, un bébé sans barbe ni moustache.
Il a l’air bien jeune ce bébé!
Qu’est-ce qu’il veut dire par là?
Que ce bébé, il fait pas son âge.
Viens, crapaud, j’ai besoin de toi.
Pour quoi faire?
Ah…ben, tu vas voir.
Joseph, qu’est-ce que vous dites de ça?
Je dis que vous avez un bien joli chapeau.
Pas le chapeau.. la rascasse! Dix livres, un vrai monstre!
Et vous avez posé… pour la photographie!
Eh bien oui, un pareil exploit valait bien d’être immortalisé!
Ha.. Vous avez posé, ha ha, avec un poisson..
Ho, ho ho!
Qu’il soit content d’avoir pris une belle pièce, je veux bien l’admettre,
mais se faire photographier avec un poisson, quel manque de
dignité! De tous les vices, la vanité est décidément le plus ridicule.
Sais-tu où je t’emmène?
Non.
Dans la caverne d’Ali Baba.
J’allais oublier vos chaises. Quelle heure est-il?
Ca fait cinquante francs.
Oh, oh.. c’est trop cher.
C’est cher mais c’est beau. La commode est d’époque.
Elle est certainement d’une époque, mais pas de la nôtre!
Vous aimez tellement le moderne?
9
Ah, peut-être.
Mon père parlait, Paul l’interrogeait. Augustine nous aidait. Et moi dans ma tête, je me
répétais des mots magiques.
Villa, colline, garrigue, cigales, désert.
Marcel…
Papa..
Augustine..
Le matin du départ, dès huit heures nous étions déjà revêtus du costume des vacances,
l’ouvrage d’Augustine. L’oncle Jules, en grand organisateur avait tout arrangé. Les deux
familles feraient le voyage séparément. Lui, avait pu s’offrir un camion de
déménagement, nous devrions nous contenter d’un paysan et de sa charrette.
Excusez le retard. Je vendais mes abricots au marché. Ah, ces gens de la
ville!…D’un peu plus je devais les payer pour qu’ils me les achètent
mes abricots!
Monsieur Joseph!
Ben, oui!
Bonjour Monsieur.
Bonjour Monsieur.
Bonjour Monsieur.
Bonjour Monsieur.
Allez, on va charger vos antiquailles là..
Allez zou.. Bon alors, c’est bien convenu, hein. Vous prenez votre
tramway et on se retrouve au carrefour des quatre saisons. Vous
saurez le chemin.
Ah, j’ai mon plan.
Bien, Adieu.
Allez, hue, carogne.
Si des fois je tardais, vous trouverez là-bas une petite buvette.
Oui, ben ça nous verrons, nous verrons, allez, il va falloir faire 9
kilomètres.
C’ est beaucoup pour les enfants.
Alors, c’est bon?
Oui.
Hue!
C’est le village de la Treille?
Ouai, ouai. Ah, on n’est pas encore rendu.
Là haut il faudra que la dame descende et que nous nous poussions un peu.
La cale, la cale.
Il faut frapper plus fort…?????
Non, non, je veux pas.. Il faut lui crever les yeux…A lui!
Me crever les yeux à moi? Qu'est-ce que c'est que ce sauvage? Je crois
qu'il faudrait mieux l'enfermer dans le tiroir.
Non, non, je veux pas.
Et voilà ce qu’il en coûte de vouloir crever les yeux aux gens. On finit par
les enfermer dans les tiroirs.
Monsieur, je pense qu’il a dit ça pour rire.
Même pour rire, c’est pas des choses à dire. Et juste le jour que je me suis
acheté au marché une paire de lunettes pour le soleil.
11
Ah quand même…
Allez, allons-y..
Allez, allez, allez..
…
Le jeu de boules est une affaire trop sérieuse pour qu’on s’occupe d’autre
chose. Vous allez voir si je vais m’en occuper, moi, de vos boules.
Vous allez voir…
Hou-hou, hou-hou..
Et quoi encore?
Vous entendez?
Quoi? le coucou, et alors? Ecoute, tu joues ou tu joues pas.
Le coucou en cette saison… Mais non, c’est Baptistin.
Et qui est Baptistin?
Baptistin, il me fait le guet. Voilà, alors, si c’est le coup que c’est
Baptistin, salut la compagnie.
Pardon Messieurs, vous n’auriez pas vu un…
Non.
Nous cherchons un braconnier qui..
Eh non..
Merci bien Messieurs.., pour votre précieuse collaboration.
Il n’y a pas de quoi.
De rien…
C’est toujours un plaisir.
Au revoir…
Mais vous m’aviez dit qu’il n’y avait pas de gibier dans vos collines..
Hein.. du gibier.. non .. mais de la perdrix, de l’ortolan, de la lièvre, ça
oui… à condition de savoir les attraper.
Ha ha ha ha ha …
Malgré que vous êtes de la ville, vous pourriez peut-être faire équipe avec
notre François.. pour terminer la partie.
Et alors… pas d’accord.. je suis sûr de perdre là, c’est pas du jeu ça.
Oh oui papa, vas-y..vas-y
Je veux bien essayer.
Tu vois, il veut bien essayer.
Ca se refuse pas..
Bon, alors, vous tirez ou vous pointez?
Mais comme vous voulez.
Eh.. comme vous voulez.
Moi j’ai plus de boules, là il faut tirer.
Attention.. monsieur l’instituteur, ça ne s’apprend pas dans les livres hein..
Ha ha…
Oh..
C’est pas vrai..
Poussez-vous là, poussez-vous.
Oh.. Bravo..
Là, il vous faut, voyez là..
Non mais, j’ai vu, j’ai compris, j’ai compris.
Ils vous ont adopté, bravo..
15
Hou..
Reste où tu es, ne bouge pas.
Oh, oh oh oh...
Deux livres de trop, mais bien en main, et il monte bien à l'épaule, hein.
Préparons nos munitions.
Que croyez-vous que nous allons trouver dans ces collines?
Il faut bien tasser les bourres.
D'abord des petits oiseaux.
Oh, des tout petits oiseaux?
Hum, une belle brochette de becfigues ma chère Augustine,
En tout cas je te défends bien de tuer les canaris hein.
Ho ho ho...
Ni les canaris, ni les perroquets, c'est juré.
Mais les culs-blancs et les ortolans!
Hum, les ortolans, c'est délicieux.
Voici la jaugette pour mesurer la charge.
Elle est graduée en grammes et en décigrammes.
Oui.
et les grives? Vous nous permettez les grives?
Oui..
Mais, mais il y a beaucoup mieux. Dans les ravins du Taoumé existe le roi
des gibiers... Devinez..
Des éléphants?
Paul, veux-tu
allez.. au lit, allez..
Non, je ne crois pas qu’il y ait des éléphants? Mais après tout, je n’en suis
pas sûr. Alors, Joseph, trêve de plaisanterie, faites un petit effort. Le gibier
le plus rare...
La perdrix.
Le plus beau.
La perdrix rouge.
Le plus méfiant
Le lièvre.
Allons Joseph, le gibier qui est le rêve du chasseur.
Le faisan.
Ah..
Pff...
Alors Joseph?
Je ne sais pas.
Allons, voyons,...
Alors, le plus rare, Je cacarde, le plus beau, le plus méfiant...
Non, je ne sais pas.
La bartavelle!
Qu’est-ce que c’est?
Vous voyez... ce gibier est si rare que Joseph lui-même n’en a jamais
entendu parler. La bartavelle, Mesdames et Messieurs, c’est la perdrix
royale, et plus royale que perdrix car elle est énorme, et rutilante. La
bartavelle, c’est presqu’un coq de bruyère. Ce n’est pas seulement..
17
L’oncle Jules avait parlé toute la soirée en savant et en professeur, tandis que mon père qui
était examinateur au “Certificat d’Etudes”, qui jouait si bien aux dames, qui tirait si bien
aux boules, l’avait écouté d’un air attentif, d’un air ignare même, comme un élève. J’étais
honteux et humilié.
Qu’est-ce qu’il a l’oncles Jules?
Il a la colique?
Nous allons vérifier le groupement des plombs. Attention. Allez-y.
Mon père visa. Je tremblais qu’il ne manquât la porte. C’eut été l’humiliation définitive.
Le coup avait frappé le milieu de la porte. Je ressentis une fierté triomphale et j’attendais
que l’oncle Jules exprimât son admiration.
Mais ce n’est pas un fusil, c’est une passoire.
Il l’a frappée en plein milieu.
Pas mal tiré, mais l’envol d’une perdrix n’a rien de commun avec une porte
de cabinet.
Ha ha ha....
Nous allons maintenant essayer les chevrotines. Tenez. Et vous
Mesdames, bouchez-vous les oreilles. On ne plaisante pas avec la poudre.
Vous allez entendre le tonnerre.
Et vous serez bien votre crosse, hé..
Allez, un, deux..
C’est du bois dur, elles n’ont pas traversé.
Ah, mais si nous avions eu des balles!
Heureusement ils n’en avaient pas eu. Car à travers la porte massacrée, nous entendîmes
une faible voix. Elle disait, incertaine:
Je peux sortir maintenant?
C’était la bonne.
Le chien : Oua, oua, oua...
Le perdreau: Fla, fla, fla, fla...
Un pas en arrière.. Le perdreau arrive: Fla, fla, fla, fla...
Epaulez, visez...fla, fla...
Mais que font-ils?
Le perdreau est à 10 centimètres.
Pan, Pan, Boum, Boum, et voilà le coup du roi. Vous avez saisi?
Oui.
Mais c’est ton papa que j’interroge.
Ca n’a pas l’air facile, hein.
Vas-y papa!
Je me cache derrière la haie. J’épaule mon fusil, c’est pas ça? J’épaule
mon fusil. Venez avec moi.
Un pas en arrière. Venez, venez.
Ca n’a pas l’air facile, hein. Alors, je...
Le chien, oua, oua.. Les perdreaux, fla fla fla...
Le fusil, un pas en arrière, épaulez, 10 centimètres, Pan, Pan..
Alors je me cache derrière la haie,...
Visez, ne tirez pas...Le perdreau...10 centimètres, Pan, Pan....
Mon père préparait l’ouverture de la chasse avec une application si minutieuse et si
humble que pour la première fois de ma vie je doutais de sa toute puissance. Il m’envoyait
18
me cacher dans un buisson. J’avais ordre de fermer les yeux. Là j’attendais, les oreilles
grandes-ouvertes, et attentif, au moindre craquement.
Tu m’as entendu venir?
Pour ne pas le chagriner je répondais...
Non, papa.
et mes inquiétudes ne faisaient que grandir, car mon père, enfant des villes et prisonnier
des écoles n’avait jamais tué ni poils, ni plumes.
Ca ne me plaît pas trop, moi, que papa aille à la chasse!
Ah, pourquoi ça?
Tu n’as pas vu comme l’oncle Jules est fier.
C’est toujours lui qui commande et qui parle tout le temps.
C’est pour apprendre à papa. Il fait ça par amitié!
Non, je vois bien qu’il est rudement content d’être plus fort. Papa le gagne
toujours aux boules. Mais là je suis sûr qu’il va perdre.
La confiture, framboise ou mirabelle?
Je trouve que c’est bête de jouer à des jeux qu’on ne sait pas.
Moi je ne joue jamais au ballon parce que j’ai les mollets trop petits et que
les autres se moqueraient de moi. Mais je joue toujours aux billes parce
que je suis sûr de gagner.
Mais, gros bêta, la chasse c’est pas un concours. C’est simplement une
promenade avec un fusil. Et, si papa ne tue pas de gibier..
S’il le tuait ça me dégoûtera,
Ca me dégoûterait, je ne l’aimerais plus.
Marcel, Marcel!
Oh... mon Dieu, qu’ils sont beaux!
C’est pas une veste, c’est trente poches cousues ensemble.
Oh mon Dieu, les biberons!
Douze kilomètres dans les collines, ce n’est pas excessif, mais ça fait tout
de même une belle trotte.
Moi, je porterai le déjeuner.
Quel déjeuner?
Le nôtre.
Où ça?
A la chasse!
Mais Marcel!
Moi, je n’ai pas de fusil. C’est tout naturel que je porte le déjeuner, parce
que si vous le mettez dans un carnier il n’y aura plus la place pour le gibier.
Puis moi, quand je marche, je ne fais pas de bruit. Puis vous n’avez pas de
chien. Les perdrix, quand vous les aurez tuées, vous ne pourrez pas les
retrouver. Tandis que moi, je suis tout petit, je me faufile à travers les
broussailles.
Marcel…
Et puis, papa, papa…
Viens ici..
Tu as entendu ce que vient de dire l'oncle Jules. Nous allons faire douze
kilomètres dans les collines. Tu as de bien petites pattes pour
marcher si longtemps.
Mais je suis léger moi, j'ai pas les grosses fesses de l'oncle Jules. Ca fait
19
L'oncles Jules venait de confirmer l'exactitude de ses récits de chasse. Il était temps que
Joseph songeât à rattraper son retard. Un perdreau, c'était un perdreau.. Il y en avait
toute une compagnie. Je décidais de les rabattre vers les chasseurs.
Allez, allez, allez…
Oh…
Oh.., enfin je vous l'ai déjà dit, chaque fois que vous avez tiré, vous
rechargez de suite. Il faut toujours recharger de suite chaque fois qu'on a
tiré, allons…Et la perdrix..
Ah..
Alors.. Chaque fois…
J'étais consterné par notre échec. C'était d'un comique navrant.
Oh, vérifiez le canon, vérifiez que le canon ne soit pas bouché..
Enfin..
Lui, le maître d'école, allait-il rentrer bredouille tandis que l'oncle Jules serait tapissé de
perdrix et de lièvres comme la devanture d'un magasin? Ah non, ah non, cela ne serait pas.
Je lui enverrais tant de gibier qu'il finirait bien par tuer quelque chose. Que faire, fallait-il
tout bêtement rentrer à la maison? Mais avais-je le droit d'abandonner Joseph seul avec
son fusil ridicule derrière ses lunettes de myope pour aller lutter contre le roi des
chasseurs? Puisqu'ils avaient contourné le pic par le bas, je les rencontrerais forcément en
marchant droit devant moi.
Haha..
Eh pas à chaque fois.
Pour les rejoindre, j'étais prêt à affronter ces hautes solitudes.
Papa..
Il fallait me rendre à l'évidence, j'étais perdu! Je pensais à la merveilleuse intelligence du
petit poucet, génial inventeur de la piste préfabriquée. Il était bien trop tard pour l'imiter,
j'écoutais longuement la colline, je n'entendis qu'un silence de mort.
Ehpp là-bas, on ne doit pas toucher au bien des autres, c'est sacré.
Je voulais juste regarder l'oiseau.
C'est une bédouide. Tu ne serais pas voleur de pièges?
Non.
Tu as quoi dans ta musette?
Rien.
Eh puis, qu' est-ce que tu fais dans les parages?
Je me promène.
Ah, tout seul?
Oui. mais.. non, je suis avec mon père et mon oncle.
Et où sont-ils?
Allez, dis-le que tu es perdu.
Non... enfin, si, un peu.
Tu es avec les chasseurs..
Tu les as vus?
Un béret et une casquette...
Oui.
Alors, ils sont par là, équipés comme pour partir à la guerre.
Ils font l'ouverture.
Les couillons, .. moi pour aller à la chasse, je ne demande pas la
permission.
22
Et on ne te dit rien.
Qui me dirait? Tous, ils ont font autant. L'ouverture, ha, c'est bon pour les
gens de la ville. Allez, va les retrouver, mais je te préviens, ils sont loin.
Ca va, je ne suis pas fatigué.
Tu es sûr? Sinon, je te ramène avec moi.
Non, je vais me débrouiller.
Comme tu veux. Adieu.
Eh..
Quoi?
Je m'appelle Marcel, et toi.
Lili, Lili des Bellons.
Je pensais que ce vautour ou ce condor pouvait voir en ce moment mon père et mon oncle
en train de faire griller leurs côtelettes sur la braise de romarin car le soleil était au zénith.
Je suivais toujours la direction indiquée par Lili, mais je constatais avec terreur que ce
rapace décrivait maintenant un cercle dont j'étais le centre.
Aaaaaaaaaahhhhh.
Mon cri sauvage ne parut pas intimider cet arracheur de lambeaux sanglants. Je cherchais
des yeux, ces yeux qu'il devait crever de son bec recourbé, un refuge. Cette hutte de
berger me rappela ma triste situation. Je pensais, je suis perdu au bout du monde, mais
pour le moment personne ne s'inquiète à mon sujet, et les chasseurs me croient à la
maison, et Augustine avec eux. Mais quand ils vont rentrer, quelle catastrophe, maman va
peut-être s'évanouir. En tout cas elle va pleurer. Alors ils vont se mettre à ma recherche.
Ils alerteront les paysans, les gendarmes. Quand la nuit sera tombée, je verrai peut-être au
loin briller les torches de l'expédition. J'appellerai de toutes mes forces..
Au secours, au secours!!
Mais ils ne m'entendraient pas. Et les sauveteurs s'éloigneraient sans me voir, à jamais,
comme le bateau au large de l'île de Robinson. Mourir ou dormir, quelle différence.
Papa, oncle Jules.
Il me sembla bientôt distinguer la rive d'un vallon, peut-être était-ce celui de ce matin. Je
bondis de joie, lorsque soudain...Je crus que ce sang était le mien, et j'allais fondre en
larme, lorsque je constatais que les volatiles étaient eux-mêmes ensanglantés. C'étaient
des perdrix, mais leur poids me surprit. Mon coeur sauta dans ma poitrine, des perdrix
royales.
Des bartavelles! Vous avez eu la prétention de faire un coup du roi en un
doublé sur des bartavelles. Des bartavelles qui venaient vers moi.
J'ai pourtant vu voler des plumes!
Oh moi aussi j'en ai vu voler de belles plumes, qui emportaient des
bartavelles à 60 kilomètres à l'heure, jusqu'au haut de la barre, où
elles doivent bien se foutre de nous!
Il les a tuées, il les a tuées!! Toutes les deux, il les a tuées!!
Et dans mes petits poings sanglants d'où pendaient quatre ailes dorées, je haussais vers le
ciel la gloire de mon père en face du soleil couchant.
Baro, bartavelle, nom féminin, sorte de perdrix rouge vivant sur les hauts
sommets dans les forêts de pins.
C'est tout? Que savons-nous de ses moeurs, de ses origines, de ses...Ben
que veux-tu en faire?
Les plumer, et les vider, pour les rôtir pour ce soir.
Mais, malheureuse, mais ce n'est pas de la volaille, c'est du gibier, et quel
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Oh, oh oh..
Je songeais en cet instant à Monsieur Arnaud qui avait pausé avec sa rascasse.
« Se faire photographier avec un poisson », avait dit mon père, « quel manque de
dignité! »
Attention.. La vanité...
Ne bougeons plus, 1,2,3, parfait..
A table.
AAAhhh, Ohhhhh, Ohhh, Bravo...
Humm, Huuum, hummmm, Huuuummm..
Hum...
Tiens une alouette.
Ce ne serait pas plutôt un becfigue?
Non, c'est Lili.
Lili! Ah, oh oh, eh, nous avons de la compagnie.
Mais tu le connais.
Oui.
Moi aussi je vous connais, c'est vous le calibre douze, celui des
bartavelles.
Ah aha ha !
Tu mangerais une côtelette avec nous ?
Non, j'ai apporté de quoi.
Oh..
Oh, mais tu es un vrai braconnier.
Moi, non, je suis des Bellons.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Ca veut dire que la colline, c’est le bien des gens d’ici. Ca fait hein,
qu’on n’est pas des braconniers.
Ce qui manque le plus dans ce pays, ce sont les sources. Toi qui connais
tout, à part le puits du mûrier, y en a d’autres.
Des sources, moi j’en connais sept.
Sept ! Et où sont-elles ?
C’est défendu de le dire.
Et pourquoi donc ?
Parce que..une source ça se dit pas.
Même à moi ?
Je voudrais bien, mais c'est défendu. Même dans les familles ça ne se dit
pas. Y en a une que mon grand-père connaissait. Eh ben, il n’a
jamais voulu la dire à personne.
Et alors comment le sais-tu?
C’est quand on labourait le petit champ de blé noir au fond du Passe-
Temps .. Tous les jours, à midi, avant [de] manger, le grand-père
disait,
« ne regardez pas où je vais » , et il partait avec une bouteille vide.
Et tu ne regardais pas un peu ?
Oh, bonne mère il aurait tué tout le monde; au bout d’un moment il
revenait avec une bouteille d’eau glacée.
Mais, jamais, jamais vous n’avez rien vu ?
A ce qu’ il paraît, quand il est mort il a essayé de dire le secret. Il a appelé
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mon père, et il lui a fait : « la source, la source » et toc il est mort. Il avait
attendu trop longtemps. Ca fait ..que c’est une source de perdue.
Eh ben, voilà un gaspillage un peu stupide.
Mais quand même, peut-être elle fait boire les oiseaux.
Je me dépêche, parce que l’orage n’est pas loin.
L’orage..mais il ne pleuvra pas. Le temps est parfait pour la chasse.
Allons.
S’il fallait qu’il boive tout ce qui va tomber, il pisserait jusqu’à la Noël.
Adieu.
Adieu.
Marcel, tu viens..
Non, allez-y sans moi. Je vous retrouve à la maison.
Ah..
C’est des darnagas. Les gens de la ville leur disent bêtes croisées.
Mais nous on leur dit darnagas parce que c’est un oiseaux imbécile.
Qu’est-ce que c’est ?
C’est des ............
Té...l’orage...
Allez zou, on a juste le temps.
Il faudrait peut-être rentrer.
Pas la peine, je sais un endroit où on ne se mouillera pas et où on verra
tout.
Eh ben pour un de la ville, tu te débrouilles bien.
Maintenant, ça peut commencer...
C'est beau !
C'est beau, mais c'est couillon.
Baisse-toi, et ramasse deux grosses pierres, tourne-toi tout doucement.
C’est un vampire ?
Non. C’est le grand Duc. Le gros hibou on lui dit. S’il nous attaque,
attention les yeux.
Partons, il vaut mieux être mouillé qu'aveugle.
On est perdu.
Non, si tu restes avec moi. Té, donne ta main. Elle est là-bas ta maison.
Où ça ?
Là-bas.
Soyez tranquille Madame, mon Lili va le ramener votre Marcel.
Les voilà !
Ah, tu vois bien qu'ils ne sont pas perdus.
Mon Dieu, oh mon Dieu, ils sont trempés. Mais comment ça se fait, tu es
tombé dans la mer ? Oh..
Attention, mais attention ! Oh...Eh... ...
Oh, les enfants ça craint pas l’eau. ... Surtout que c’est de l’eau du ciel. Ils
sont rouges comme des gratte-culs.
Gratte-culs !
Ça s’est calmé ! Allez, Lili ! Zou !
Madame, le costume, je peux le garder ?
Tu as pas honte dis !
Ça, il faut le demander à Marcel !
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Tu le pourrais ?
Tu ne me connais pas.
J’aimerais bien moi que tu restes. Mais dans la colline, où vas-tu chercher
ta vie ?
Ma vie c’est hermite.
Termite ?
Mais non, hermite, c’est des gens qui se retirent du monde pour penser.
Et comment ils mangent ?
Y en a qui ne mangent pas, mais c’est spécial. Moi, je chercherai des
asperges, des escargots, des champignons. Tiens, je planterai des
pois- chiches.
Tu sais les faire cuire ?
J’apprendrai.
Dis, je pense, puisque tu seras là-haut, je pourrais faire deux fois plus de
pièges. J’en apporterai la moitié à la maison et on pourra vendre le
reste.
On pourrait vendre aussi les escargots au marché.
Et le fenouil, l’herboriste en donne trois sous le kilo.
Eh, avec tout cet argent on achètera des pièges à lapins.
Si nous prenons une lièvre ça fera au moins cinq francs.
Dis donc, à ce train là, d’ermite, moi je me fais millionnaire.
Millionnaire, ça sert à quoi ?
Eh ben, on a plein de sous.
Eh alors, tu ne vas pas te manger dix côtelettes avec chaque repas. Comme
disait mon grand-père on n’a qu’un trou du cul, alors..
Ce serait donc ma dernière soirée, mes derniers instants en famille. Je m’apprêtais à
m’attendrir lorsque...
Mais c’est peut-être un vice chez moi, il me tarde de retrouver mes
gosses, mon tableau noir !
Et les bartavelles, qu’est-ce qu’il en faisait ce maniaque? Je vis bien qu’il clouait le cercueil
des vacances et que rien n’y changerait rien.
Papa.
Moi, ici, ce qui m’a manqué le plus, c’est le gaz. Mais franchement, je me
languissais de partir à cause du gaz.
Tante Rose.
Et moi, ce qui m’a manqué, ce sont des cabinets confortables, sans
fourmis, sans araignées et munis d’une chasse d’eau.
Voilà donc à quoi il pensait ce grand buveur de vin, avec ses grosses
fesses. J’étais au comble de l’indignation, mais je constatais avec
fierté que ma mère ne blasphémait pas mes chères collines. Je décidais de
faire à elle seule un baiser d’adieu.
Mon cher papa, ma chère maman,
Surtout ne vous faites pas de mauvais sang, maintenant j’ai trouvé ma
vocation ; c’est «ermitte». Pour mes études maintenant c’est trop
tard
parce que j’ y ai renoncé. Moi, mon bonheur, c’est l’aventure. Il n’y a pas
de danger, j’ ai emporté deux cachets d’ aspirine de usines du Rhône ; ne
vous affolez pas. Paul va être un peu jaloux, mais ça ne fait rien,
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Qu’est-ce qu’ il y a ?
Y a pas à dire. T’es formidable. Y en a pas deux comme toi. Tu es
vraiment l’ermite des collines.
Cette admiration stupéfaite qui flattait ma vanité me parut soudain inquiétante, et il me
fallut faire un effort pour rester formidable. J’étais sur le point d’y réussir quand...
Oh, il y a une chose que nous avons oubliée.
Quoi ?
Et d’avoir oublié ça, ça me semble pas possible. Moi, j’aurais dû y
penser, mais toi aussi t’as oublié.
De quoi tu parles ? Tu deviens fou ?
Le gros hibou.
Le grand Duc.
Oui, celui qui a voulu nous crever les yeux. Je te parie douze pièges que
sa femelle habite le...................avec lui.
On approchait de la grotte, et cette terrifiante nouvelle m’accabla.
On a beau être formidable. Il y a des moments où le destin nous trahit.
Le hibou la nuit, c’est pire qu’un aigle. Quand ils sont deux....
Nous aussi nous sommes deux.
Deux gros hiboux. Je les vis voler autour de ma tête. Alors, je fus d’autant plus
formidable que je décidais de battre en retraite le moment venu.
Voici la Font Breguette.
C’est ici qu’on viendra boire. La source ne tarit jamais. Elle donne au
moins 10 litres par jour.
J’eus soudain l’inspiration que je cherchais depuis un moment.
Dix litres, tu plaisantes ?
Pas du tout. Peut-être même quinze.
Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec quinze litres d’eau ?
Tu vas quand même pas boire tout ça ?
Et pour me laver ?
Pour se laver .........................ça suffit.
Peut-être pour toi, mais moi il faut que je me savonne du haut en bas.
Pourquoi, t’es malade ?
Non, mais je suis de la ville. Ça fait que je suis tout plein de microbes.
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